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La puissance d'agir des disparus




Samedi 28 janvier 2023



Ma soeur m'a envoyé un long texto, après être avoir rendu visite à notre commun père. Elle me faisait part d'une discussion entre eux, au cours de laquelle elle lui demandait s'il avait des nouvelles de ses enfants. Après un moment il lui à dit: « Avec Pierre... on n'a pas grand chose à se dire, il ne m'invite jamais, je me demande si je ne suis pas passé à coté... j'espère qu'il n'en a pas trop souffert ». Ma sœur ajouta l'avoir senti perplexe, un peu déçu, mais résigné.

Quelle étonnante et tardive prise de conscience ! Je ne l'attendais plus après avoir tenté, à de multiples reprises, de l'y ouvrir lorsque j'avais entrepris de comprendre l'origine de mon manque de confiance en moi. J'avais alors à peu près l'âge actuel de mes enfants. Lui ne semblait pas comprendre de quoi je lui parlais, fuyant l'approfondissement, restant rétif à tout ce qui concernait la psychologie.

Après avoir signifié à ma soeur ma perplexité en retour, tant la remarque paternelle tenait pour moi de l'évidence depuis longtemps, elle me renvoya un texto complémentaire : « Il semblait regretter un peu... perplexe, n'ayant toujours pas bien compris. Je n'ai pas forcément eu le coeur de lui rappeler certains de ses comportements rabaissants, donc destructeurs. J'en ai vaguement évoqué un peu, doucement. Il a beaucoup oublié le passé. Je l'ai rassuré en lui disant que tu avais été résilient et semblait t'en être bien remis... simplificatrice ».

Ce à quoi j'ai répondu que « j'ai fait le choix, depuis plusieurs années, de ne pas l'embêter avec ses comportements passés. De toutes façons je crois que c'est "irréparable", parce que lui et moi sommes trop différents dans nos rapports à l'existence. Et même s'il parvenait à comprendre, la culpabilité serait trop grande. Inutile de lui infliger ça, sauf si lui-même voulait aller au fond des choses. Oui, je m'en suis bien remis. Cela a coloré mon existence et conduit à développer ma résilience en explorant de nouveaux champs de connaissance ».

J'ai remercié ma soeur pour son implication dans la relation assez particulière que j'ai avec mon père (et vice-versa). Elle est une des rares personnes avec qui, au fil des ans, j'ai longuement pu parler de « ce que j'ai fait de ce qu'on m'a fait ». L'autre personne, au sein des proches, étant ma mère, dont je savais qu'elle en parlerait à mon père. Il y a aussi eu, il y a une quinzaine d'années, un "déballage" familial par lettres interposées, durant lequel pas mal de choses avaient été posées et partagées au sein de la cellule originelle.

D'une certaine façon, pour moi, tout cela a été suffisamment abordé pour que chacun puisse être à peu près en paix. Du moins moi le suis-je, sans ressentir le besoin d'aller plus loin. Quelles que soient les séquelles, pour ma part, j'ai rangé cela dans les archives de ma conscience.

Je n'ai plus besoin de dire à mon père ce qui m'a meurtri. Et je ne pense pas qu'au moment de sa mort je puisse regretter de n'avoir pas pu être plus proche de lui. C'est ainsi : une vie entière à se cotôyer sans vraiment se rencontrer. Je lui suis reconnaissant de certains fondamentaux qu'il m'a transmis... et tant pis pour les entraves que je traînerai probablement jusqu'au terme de mon existence. J'aurais mis des décennies à accepter cette fatalité, ne disposant pas de suffisamment de ressources interieures pour m'en émanciper.

Et puis j'ai pu résoudre l'essentiel grâce à l'écoute de ma mère, qui me permettait ainsi de "réparer" à moitié les erreurs dues à l'inexpérience parentale. Sans oublier les années de thérapie analytique, ni la fonction réparatrice de l'écriture intro-retrospective, puis celle du journal en ligne, lu et commenté.

Bref : après en avoir beaucoup parlé je suis en paix avec ce passé familial. Il n'y a plus de ressentiment... même si tout ce qui n'a pas pu être exprimé de part et d'autre a induit de larges espaces d'incommunication. Pour partie nous restons des étrangers les uns aux autres. Il semble que cet état de fait a été accepté par chacun. Le décès de celle qui fût longtemps le noyau de la cellule familiale n'a rien bouleversé dans cet équilibre.


* * *

Ce long préambule introductif m'est venu spontanément, au moment d'entamer ce pourquoi je me suis mis devant mon clavier aujourd'hui. À savoir, le rapport relationnel aux autres quand la communication avec eux n'existe plus.

L'inspiration m'en est venue après le visionnage d'un épisode de "Les idées larges", sur Arte, intitulé : Et si on ne faisait pas son deuil ? Avec l'éthologue Vinciane Despret comme invitée.

Il y est question des "vrais" deuils, par rapport à la mort des proches mais, pour ma part, j'élargis le deuil à toute situation de perte ayant des conséquences traumatiques. « La vie est une succession de séparations par lesquelles on ne cesse de grandir. À chaque instant, on meurt à soi-même, à l'autre, au monde, au temps. Cette expérience de la perte sans cesse répétée n'est-elle pas la trace d'un deuil originel inscrit en nous à la naissance ? » ("Deuils", éditions Autrement, 1992).

Comme tout le monde j'ai du affronter diverses pertes et "faire mon deuil" en conséquence. Actuellement je me prépare à la perte de la place que j'avais investie dans la vie professionnelle tandis que, dans une autre dimension, j'anticipe la perte des privilèges de nos conditions d'existence. La première sera plus simple à vivre que la seconde, assurément. Dans un autre registre encore, le décès de ma mère m'a conduit à conclure un très long deuil, commencé plusieurs années auparavant en constatant la "disparition" de son aptitude à communiquer, du fait de la déterioration irréversible de ses capacités cognitives. Ce deuil-là, bien préparé, m'aura été étonnamment simple à traverser.

Il en va tout autrement d'une perte majeure - dont je ne saurais désigner la teneur - vis à vis de laquelle le deuil n'opère qu'avec une infinie lenteur. Si toutefois il opère... C'est par rapport à cette incertitude que l'intitulé de l'épisode a attiré mon attention : et si on ne faisait pas son deuil ?

J'en extraits un fragment : « Dans la théorisation freudienne, [...] on ne fait pas son deuil. [...] Aucun objet ne viendra se substituer. Il n'y a pas de remplacement, il n'y a pas de restauration, il n'y a pas de réparation. Et c'est bien là qu'on voit qu'il n'y a pas de travail de deuil. C'est une perte sèche. C'est à dire qu'il y a un trou dans le réel, innommable... voilà. On ne peut pas tellement en dire quelque chose. Donc il faut trouver des points d'appui, des figures de bord, pour border précisément le gouffre. Pour faire en sorte que l'endeuillé ne tombe pas lui-même dans ce trou. » (Laurie Laufer, psychanalyste).

Je note le terme "innommable", qui correspond bien à ce que, maladroitement, j'ai tenté de cerner au fil des ans autour de la perte à laquelle j'ai dû faire face. Je retiens aussi la notion de "points d'appui", que j'ai bien dû trouver. Pour ma part ces points d'appui auront été l'échafaudage mental construit autour d'une béance aux contours indéterminés. Je ne connaissais pas l'étendue de la perte, au départ, consolidant l'échafaudage au fur et à mesure que je voyais la béance s'agrandir. Elle ne s'est délimitée qu'infiniment lentement, plusieurs années durant. Si bien que lorsque j'ai enfin compris... l'échafaudage tant de fois mis à l'épreuve est resté en place. Trop solidement construit, trop durablement installé pour s'effondrer d'un bloc. La succession des désillusions m'avait rendu résilient.

Je n'ai pas cherché à décrire ici cette résilience, qui au départ était une forme de résistance. Je crois que j'étais mal à l'aise avec la narration de la persévérance dont je faisais preuve, alors même qu'indubitablement le réel m'avait opposé des fins de non-recevoir de moins en moins discutables. Et peut-être avais-je un peu honte de ne pas réussir à accepter le réel. Cependant, en mon for intérieur, je sais parfaitement ce qu'il en est : le processus de deuil est resté incomplet. Parce que, tout simplement, je refuse l'étendue de la perte. « C'est plus fort que moi », pourrais-je dire. Il demeure un lien "inaltérable", comme je l'écrivais il y a quelques semaines. Et finalement, plutôt que d'avoir honte de mon incapacité à accepter une certaine réalité, qui n'est pas la mienne, je suis plutôt fier de rester fidèle à une autre réalité, qui me correspond. Dans une relation il y a toujours deux côtés pour tenir la corde. Et si la réalité c'est qu'il n'y a plus personne d'un côté de la corde, ce peut aussi être qu'elle reste tenue du bord opposé. Certes le lien pendouille dans le vide, sans réponse aucune, mais il est là. À la fois vivant et mort, comme le chat de Schrödinger. Analogie que j'ai posée de longue date ici...

En quoi le documentaire susmentionné trouve t-il sa place ici ? (en l'occurrence c'est plutôt lui qui a ouvert une place à mes cogitations). Et bien c'est qu'il évoque la "puissance des morts". Idée que j'élargis illico à la puissance des disparus, ou des pertes. La mort étant à entendre au sens de "ce qui n'est plus".

Vinciane Despret : « Les morts ont de redoutables puissances ! Ils peuvent vous pourrir la vie, ils peuvent vous rendre incapables de travailler pendant longtemps, ils peuvent vous rendre incapables de renouer avec les joies de la vie... et puis ils peuvent vous rendre capables de choses extraordinaires. C'est une drôle d'éthologie parce que, d'une certaine manière, est-ce que j'étudie les puissances des morts ou est-ce que j'étudie ce dont les morts rendent les vivants capables ? (...) C'est une éthologie d'interdépendance. Les morts ont des puissances qui ne leur permettent pas d'agir directement dans le monde, mais ils rendent les vivants capables de faire quantité de choses ».

Ce que j'en comprends c'est que les morts, et par extension tous les "ce qui n'est plus", restent chargés de la puissance d'agir que personnellement nous continuons à leur accorder. Ainsi en va t-il de tout ce qui, dans notre passé, a été chargé d'une intensité particulière. Par exemple ce que j'ai fait des comportements de mon père lorsque j'étais enfant. Ou ce que je fais des comportements passés d'une amie "disparue" (ou ayant laissé tombé son bout de corde relationnelle).

 « Le bon registre pour penser la manière dont les morts continuent à être présents parmi nous, leur mode d'existence, ce serait de se dire "qu'est-ce qu'ils nous font faire ?". C'est ça leur puissance d'agir. Un mort peut vous faire rêver. Quand un mort vient dans votre rêve, vous pouvez vous dire que c'est un produit total de votre conscience, qui secrète des histoires, le souvenir qui est réactivé. Vous pouvez aussi vous dire, sur un mode pas tout à fait éloigné du matérialisme, "il y a un mort qui m'a fait rêver". »

Le matérialisme est en effet au coeur de la question du deuil : si la mort est ce qui n'est plus, alors il suffit d'en prendre acte, sans chercher à faire durer quoi que ce soit. Le mort est mort, passons à autre chose. Sauf que le mort (ou le disparu, ou l'évènement passé) a laissé une trace qui, elle, vit encore en nous. Ce qui n'est plus... est encore présent dans notre esprit. Autrement dit le mort n'est pas totalement mort. Tel un fantôme, l'absent peut nous hanter, nous accompagner, voire nous enchanter. Et cela aussi longtemps que demeure investi un lien d'attachement. Peu importe qu'il ne soit plus tenu que d'un seul côté.

On sait que beaucoup de gens disent "sentir" la présence de leurs morts, voire discutent avec eux, contre toute rationnalité. Et ce qu'explique Vinciane Despret, c'est que l'on n'est pas obligé de choisir une approche ou l'autre : les deux peuvent coexister. Ainsi entre le matérialisme et "une autre approche" : « Je ne sais pas ce que je pense à cet égard. (...) le type d'attitude qui est extrêmement intéressante, et sur laquelle j'ai finalement appris à m'aligner, c'est l'attitude qui consiste à se dire "pourquoi pas ?". C'est très instable, mais pas nécessairement inconfortable. Ça ne peut être inconfortable que si vous vous dites "je vais devoir choisir, à un moment donné je vais devoir arrêter d'hésiter". Mais si vous vous dites que l'hésitation fait partie du processus vivant même de la façon dont nous vivons nos rapports avec les morts, l'hésitation, la perplexité, le fait qu'on passe d'une hypothèse à l'autre, sans aucune obligation de choisir, ça ne crée pas du tout du mal être. Le mal être ne vient que s'il y a une obligation, si on vous dit à un moment "là, après la ligne d'arrivée, vous ne pouvez plus hésiter entre les deux, vous devez choisir" ».

À l'évidence, pour une certaine perte, je n'ai pas choisi. Je n'ai pas su/voulu choisir, pas su/voulu renoncer. J'ai laissé - et laisse encore - cohabiter le rationnel de l'achevé et la "puissance d'agir" de l'inachevé. Je crois que c'est la médiation optimale trouvée par mon psychisme pour « ne pas tomber dans le gouffre ».











Entre le 4 février et le 30 juillet 2023 un important travail de prise de conscience a pu être effectué avec l'écriture de nombreuses pages autoanalytiques, rédigées hors publication. Publiées en bloc le 14 août 2023 elles constituent désormais un embranchement éteint de ce journal et sont accessibles ici.






Sortir du malaise



Dimanche 30 juillet 2023
[Mis en ligne le 14 août ]


Je ravive ce drôle de journal en ligne.

Je veux le reprendre en évitant des erreurs fâcheuses. Car, à vouloir explorer les profondeurs de ce qui m'animait, je me suis sans doute fourvoyé en évoquant des sujets dont la confidentialité ne m'appartenait que pour moitié. D'une certaine façon j'ai abusé d'une confiance qui ne m'avait été accordée que temporairement en divulguant des éléments privés sans consentement.

Quelles que soient les raisons historiques qui m'ont conduit à agir ainsi, j'en ai toujours gardé une sensation de malaise. Parce que je faisais passer mes intérêts vitaux (ma sauvegarde psychique, ma restauration psychologique) avant le respect dû à autrui. C'était très inconfortable.

Lorsque j'ai compris que la voie suivie était une impasse j'ai pensé clore définitivement ce journal. Après tout, c'était sans doute la meilleure façon de "passer à autre chose". Quitte à ouvrir un autre espace d'expression, totalement détaché de celui-ci. Il se peut que je m'y résolve, d'ailleurs...

Entre le changement dans la continuité - qui jusque-là a souvent eu ma préférence - et la rupture pour du nouveau, la seconde option a probablement des avantages. Ne serait-ce que sur le plan technique : chaque publication m' est assez fastidieuse, sans aucun des automatismes que proposent les plateformes type "blog".

Pour le moment je tente encore le changement de contenu sans changer la forme. Je verrai bien si cela s'accorde avec la tonalité "nouvelle" que j'aimerais trouver.








Diverger


Samedi 5 août 2023
[Mis en ligne le 14 août ]


Voilà six mois que je laisse décanter la profusion de mes écrits de février, ne sachant pas si leur mise en ligne sera opportune le moment venu. Il est probable que je "libère" un jour cet embranchement, rapidement perçu comme étant une impasse. C'est d'ailleurs à ce titre que je le perçois comme significatif dans ma démarche autobiographique : cette branche dévitalisée, sans avenir, était condamnée à s'éteindre.

Dès que j'ai eu cette conscience, j'ai considéré que le cours principal du journal ne pourrait reprendre tant que sa branche mourante "vivait" encore. Après plusieurs mois sans autre expression que le constat répété d'une non-reprise, je crois pouvoir établir celui de la réussite de l'opération.

Alors maintenant, quel est le devenir du corps principal de ce journal qui, lui, pourrait théoriquement continuer à exister ?

Je n'ai pas encore de réponse, percevant bien le risque de voir mon expression attirée vers l'ornière. Ce journal est tellement imbibé, depuis son origine, d'une rencontre fondatrice que je ne suis pas du tout sûr de pouvoir m'en affranchir suffisamment. Je crains, dans le cadre d'une analyse autocentrée, d'avoir trop souvent à éviter la pente glissante.

Ai-je encore envie d'écrire dans un cadre auto-contraint ? Non !


Cette simple réponse, qui a jailli aussi spontanément que la question, m'apparaît comme très claire : je ne peux pas continuer à écrire ici. Du moins pas dans les conditions qui ont prévalu jusque-là. Et je ne vois que deux pistes de sortie, si toutefois l'envie d'écrire est là :
  • clore ce journal et, éventuellement, en ouvrir un autre ailleurs ;
  • ou bien m'orienter vers un récit privé, me permettant d'expurger tout ce qui ne peut s'écrire publiquement... et dont j'ignore le contenu, la portée, l'objectif inconscient.

Deux pistes qui ont en commun de libérer des champs d'écriture, de pensée, d'analyse. Deux pistes qui nécessitent de rompre avec le journal ici présent.

Pour autant, ai-je envie de fermer définitivement ce journal ? Voire le faire disparaître ? Ces questions, je me les suis posées de longue date, sans jamais me résoudre à préparer vraiment ce qu'elles impliquent. Ce n'étaient que des possibilités.

Aujourd'hui elles prennent davantage de consistance. Je vais me laisser le temps d'y penser.







De la brièveté de l'existence




Vendredi 11 août 2023
[Mis en ligne le 14 août ]

Il y a exactement vingt ans j'étais en vacances à l'Ile d'Oléron. Nous y étions deux familles : la nôtre et celle de ma soeur, en camping. J'avais emporté un livre au titre évocateur et qui m'avait paru utile : "Le courage d'être soi". J'avais en effet une décision à prendre, qui était de nature à changer le reste de ma vie. Je ne me souviens pas avoir eu à prendre décision aussi déterminante.

Être soi.

Mais qui est "soi" ? Entre différentes instances du moi, laquelle est "soi" ?

Durant le trajet qui nous menait vers cette destination lointaine, sur un ruban autoroutier suivant les méandres collinaires du Massif Central, j'avais eu une révélation quasi-mystique. Unique expérience de ce genre dans mon parcours de vie, venue sans signe annonciateur, je n'ai jamais su quel sens lui attribuer. Et surtout, le fait que cela survienne à un moment bien particulier de mon existence à induit une part de doute : pourquoi à ce moment-là ?

Le souvenir que j'en garde est assez clair, quoique difficilement exprimable. En mots simples je pourrais dire que j'ai eu conscience de l'amour universel. J'ai été immergé, une heure durant, dans un état de surconscience : il y avait là une sorte de certitude. Je savais, je percevais, je ressentais.

Mais c'était quoi ? J'étais déjà athée et, à ce moment-là, je me suis demandé si ce que je vivais n'était pas de nature à m'en faire douter. Cela ressemblait tellement à un récit connu. Cet amour universel, cet amour absolu dont j'étais à cet instant éclairé, imprégné, inondé, bouleversé... n'était-ce pas ce que l'on m'avait enseigné autrefois et auquel je n'avais jamais vraiment cru ? Je crois que c'est à ce moment là que quelques mots me sont revenus en tête, sous forme inversée : cet amour absolu dont j'ai la révélation... serait-il divin ?

Que m'arrivait-il ? Quel était le sens de cette révélation ? Il y avait là quelque chose d'absurde et en même temps une telle évidence de l'indubitable ! Comment cela pouvait-il être aussi contrasté ?

Ce phénomène a duré approximativement une heure, dans une bienheureuse inondation lacrymale, sous le regard étonné de mon épouse.

Vingt ans plus tard, qu'en penser ?

D'abord je dirais que mon athéisme m'a protégé : sans cela j'aurais pu être attiré vers des croyances déistes.
Ensuite je reste circonspect sur ma perception, compte-tenu de la période à laquelle cet évènement est survenu. Et si c'était tout simplement un délire de mon encéphale, dopé par je ne sais quelle hormone aux effets hallucinatoires ? Je savais que durant ces vacances j'allais devoir me déterminer, avoir "le courage d'être moi", d'oser écouter ce que je désirais vraiment. Au vu de l'enjeu et du stress qui m'accompagnait, il n'est pas impossible que mon cerveau ait été mis dans un état singulier, jamais connu jusque-là, jamais retrouvé depuis.

Je ne pense pas que cette expérience ait résolument orienté le choix que j'allais faire, parce qu'il n'y avait aucun lien évident entre les deux, mais il se pourrait que cette "conscience" ait quand même ajouté son souffle dans la balance. Je crois que la survenue de cette "révélation" à donné une sorte de légitimité à ce que je désirais profondément. En quelque sorte l'expérience mystique cautionnait la justesse de mes ressentis. Mon désir me paraissait ainsi "inspiré", légitime, juste. Sain. Je pourrais presque dire incontestable.

J'avais probablement besoin de cette caution pour m'émanciper de certaines règles morales contrariant le bien fondé de mon choix. Il me fallait être sûr de moi pour m'autoriser à me libérer.

Ainsi préparé, le coup de pouce final me fut donné par ces quelques mots soufflés vers moi : « car c'est court la vie, tu sais ».

Alors je me suis lancé...






Au musée des souvenirs


Lundi 14 août 2023

Grand jour ! Je mets en ligne l'ensemble des textes écrits depuis plus de six mois. L'acte n'est pas simple à mettre en place mais, en laissant filer le flux retenu de cette vague épuisée, je veux planter un jalon dans l'historique de ce journal. Tchak ! Une part de moi n'y a plus sa place et je l'inscris. Je n'en veux plus ici.

Ce jour mémorable me permet aussi de faire le point sur la pertinence de publication de mes états d'âme aléatoires. Car, en ce qui me concerne, bien que je considère l'écriture auto-analytique comme m'étant utile, rien ne m'indique qu'elle nourrisse de quelque façon que ce soit d'hypothétiques lecteur·ices. Et ça, ça m'embête un peu. Où est l'échange fertile ? Cela fait trop longtemps que plus aucune interaction n'existe. Pas le moindre signe d'un supposé lectorat. À tel point que la conscience d'être lu, et le surpassement qu'elle m'a permis autrefois, ne joue plus vraiment son rôle. Je ne suis donc pas sûr que le bienfait perçu imaginairement d'une lecture en sympathie puisse durer indéfiniment sans aucun signe en retour. Et c'est peut-être très bien ainsi.

D'un autre côté, même si mes écrits n'apportent rien à quiconque, ils ne nuisent désormais plus à personne. Quand bien même nul ne les lirait plus... ce qui compte est le bénéfice que j'en retire.

Tant que j'en retire un...
Là est l'incertitude.

Car en ayant fait en sorte de parvenir à un état de désinvestissement émotionnel, j'ignore s'il permettra encore que je m'épanche en ce lieu. Le risque étant de voir le moindre de mes élans s'éteindre dans un « à quoi bon ? »

Sans destinataire connu, un tel journal a t-il encore un sens ?

Vers quel imaginaire adresser mes mots ?

Suis-je mon seul lecteur ?
Y'a quelqu'un ...quelqu'un ...quelqu'un ...quelqu'un

Hey, t'es tout seul ici !

Ouais, seul face à moi. Seul avec mes différents "moi".

Et surtout seul sans cette béquille d'un personnage imaginaire, ectoplasmique, fantasmé, grâce à qui tu cheminais cahin-caha depuis la "disparition" de sa réalité.

En effet, je l'ai lâchée. Je crois avoir désormais suffisamment poli les reliques de mes tourments passés pour les mettre au musée des souvenirs. Le récit de mes questionnements a abouti à ce que je cherchais : trouver un sens acceptable, plausible, logique, à ce qui longtemps n'en n'avait pas. Et ça... ben je ne savais pas m'en accommoder. Il m'était important - pour ne pas dire indispensable - de "comprendre" les raisons d'un naufrage relationnel. De pouvoir l'expliquer, même s'il reste des zones d'ombre et d'incertitude. Je n'ai pas besoin de tout comprendre, mais qu'au moins il y ait suffisamment d'éléments pour "faire sens".

Très bien !

Il y a encore quelques mois je faisais en sorte de me satisfaire d'un « Je ne sais pas » comme rustine explicative mettant fin aux questionnements. Cela me laissait tout de même un peu frustré, avec un léger arrière-goût d'amertume. J'essayais, tant bien que mal, d'accepter qu'il demeure une part d'irrésolu ; j'admettais cependant que cela m'était tout à fait supportable. L'acceptation m'a sans doute permis de lâcher encore du lest... et, de ce fait, peut-être m'ouvrir à de nouvelles pistes de compréhension ? Visiblement ces dernières ont satisfait mes besoins.

Quoi qu'il en soit mon regard a changé. Et parce que cette perception détachée est restée stable durant plusieurs mois, j'en ai conclu que je pouvais en rester à une conclusion désormais suffisamment claire.

Elle ne reviendra pas.

Bénéfice secondaire et néanmoins fondamental : après avoir tant écrit, ces derniers mois, j'ai la sensation d'avoir restauré une dignité. Je suis fier d'avoir eu le courage de me lancer... et d'avoir tenu face à l'adversité.







Écrire pour personne



Mardi 15 août 2023

Petit coup de chaud en mettant en ligne une flopée de textes après six mois de rétention : mon système de transfert de fichier, via FTP, me baragouine quelque chose et je réalise que l'adresse de ce journal n'est pas sécurisée. Forcément, avec le temps les techniques évoluent et, visiblement, la plateforme qui héberge ce site n'est pas en protocole "https". Ce qui implique que l'accès est peut-être bloqué. Immédiatement je fais le lien : si je n'ai plus eu aucun retour depuis plus de cinq ans, c'est peut-être parce plus personne ne peut accéder à ce journal !

Tout d'un coup je réalise que ce fameux "lectorat" multiple et indistinct à qui je m'adresse sans le voir tient un role absolument essentiel dans mon parcours d'écriture. Or si je suis mon seul lecteur... ce n'est plus du tout la même affaire ! J'ai besoin d'imaginer d'autres yeux que les miens, d'autres perceptions. J'ai absolument besoin d'imaginer cette altérité venant - fort heureusement - interagir avec ma subjectivité. Le lecteur c'est mon garde-fou et mon garde-raison. L'analogie avec le travail psychanalytique est évident : la présence écoutante de l'autre est indispensable.

Tout de suite j'ai pensé à ces années d'écriture... sans personne en face ! Gloups... alors tout ça, c'était pour... rien ? Ces regard de lecteurs, je les aurais imaginés... en vain ? Sueurs froides...

En fait je n'ai pas prolongé très longtemps ma réflexion inquiète : en toute logique, si je peux accéder à mon journal, alors il n'y a aucune raison pour que d'autres n'y arrivent pas. J'ai vérifié avec mon téléphone et, hormis un petit signe d'alerte "site non sécurisé", l'accès ne présente aucun blocage.

Ouf, rassuré.

Mais j'ai réalisé la fragilité de ce journal-monstre : il suffirait que l'hébergeur coupe le service (gratuit depuis toujours, sans publicité, donc entièrement à ses frais) pour que tout disparaisse. C'est ce qui est en train de se passer avec la plateforme Skyblog, qui sera coupée le 21 août prochain. Heureusement l'hébergeur a pris contact avec la BNF pour archiver l'intégralité des blogs répondant à quelques critères minimaux de fréquentation et de contenu.

De mon côté je ne suis pas inquiet : outre le stockage sur mon ordinateur, ce journal est archivé à la BNF depuis très longtemps. J'ai quand même voulu être certain que l'éventuelle faille de sécurité n'était pas bloquante. Confirmation reçue très rapidement de la part de C.G, qui était impliquée dans la mise en place des premières collectes. J'ai eu l'occasion de la rencontrer quelques fois lors d'évènements en lien avec les journaux intimes sur internet. Elle m'a confirmé que mon journal a été collecté à partir de 2009, remontant aux archives jusqu'en 2000, et que toutes les archives jusqu'à 2023 semblent y être. Elle m'a par ailleurs proposé d'aller voir directement ce qu'il en était dans une des rares bibliothèques permettant l'accès à ces archives d'internet.

Il m'est important, sans que je sache vraiment pourquoi, de savoir que mes écrits sont archivés quelque part. Je me plais à imaginer qu'un jour il puisse en être extrait quelque chose d'utile à d'autres que moi. Que tout cela puisse avoir une portée plus large que la seule satisfaction de mon auto-analyse.





Interlogue



Jeudi 17 août 2023


La question de l'adresse de ce journal (« pour qui écris-je ? ») s'est actuellement ravivée. D'une part parce que je souhaite exclure un personnage imaginaire, fantasmé, qui, jusque-là, est indubitablement resté présent en coulisse. D'autre part parce que, hormis ce personnage décorellé de sa réalité, il y a d'autres entités à qui je voudrais continuer de m'adresser : l'hypothétique lectorat silencieux, contemporain, fidèle ou ponctuel. Il y a aussi d'éventuels lecteurs futurs, comme mes enfants. Ces entités sont lestées d'une part d'imaginaire, elles aussi, mais infiniment moins sujettes à projections.

L'exercice pourrait être délicat, c'est pourquoi il est possible que je m'accorde un temps de retrait. Voire que j'aille vers une extinction du journal, comme je l'ai déjà évoqué.

C'est un nouvel équilibre à trouver. Qui devra très probablement s'accommoder du même contexte : sans aucun écho.

Mais le principal destinataire... c'est moi. Ou, plus exactement : celui que je serai lorsque je relirai mes écrits, plus tard [si toutefois je suis tenté par cette relecture...]. Je pourrai alors confronter mes souvenirs du moment à mon écriture passée. Ce que je fais de temps en temps, partiellement, généralement avec la satisfaction d'avoir été plutôt juste, pertinent, perspicace [et persévérant !]. Parfois avec l'étonnement de constater à quel point j'ai eu besoin de redécouvrir les mêmes choses pour qu'elles finissent par devenir intégrées.

Cette fonction de mémoire en vue d'une relecture, je pourrais bien sûr l'obtenir avec un journal privé, non publié. Oui... sauf que l'expression n'aurait pas les mêmes contraintes ; n'aurait pas la pression du regard - imaginé - d'autrui. Or c'est précisément cette altérité projetée que je recherche. C'est grâce à ces regards imaginés que je trouve ma voie.

Reste peut-être une solution, que j'ai régulièrement utilisée : le dialogue interne, entre différentes instances du moi. Le raisonneur versus le spontané, pour simplifier. Le prudent et l'audacieux. Ce genre de dialogue me parait fécond : il me permet d'entendre [lire] ma voix et de trouver ma voie.

J'hésite dans la nomination que je pourrais donner : interlogue ? alterlogue ?

Vérification faite, s'il existe quelques occurrences avec ces termes, aucune n'a le moindre rapport avec ce que j'évoque.

En cherchant "dialogue intérieur" les résultats sont plus intéressants :

« Si un individu prend du temps avec lui-même, et à discuter patiemment de tel ou tel point, il finit en discutant les points et contre-points de vue qu'il possède, à prendre des positions et à mieux se connaitre. Avec le temps, ce qui doit être élevé au rang de méthode - la discussion avec soi-même - s'améliore, et celui-ci en harmonie, les émotions sont moins vives et moins prégnantes, les idées sur les choses et lui-même beaucoup plus claires et moins fondées sur ses préjugés, ses actes finissent par plus le ressembler ».

Toutefois ce dont il est question diffère un peu de ce que je pratique puisque je passe par l'écriture (sur un mode "automatique", très rapide, pour bénéficier des surprises qu'offre la spontanéité). Mais sur le fond, je me retrouve totalement dans ce qu'explique Jung dans ces extraits.

«... il faut se cultiver dans l'art de se parler à soi-même, au sein de l'affect, et d'utiliser celui-ci, en tant que cadre de dialogue, comme si l'affect était précisément un interlocuteur qu'il faut laisser se manifester, en faisant abstraction de tout esprit critique. Mais, ceci une fois accompli, l'émotion ayant en quelque sorte jeté son venin, il faut alors consciencieusement soupeser ses dires comme s'il s'agissait d'affirmations énoncées par un être qui nous est proche et cher. Il ne faut d'ailleurs pas s'arrêter en cours de route, les thèses et antithèses devant être confrontées les unes avec les autres jusqu'à ce que la discussion ait engendré la lumière et acheminé le sujet vers une solution satisfaisante. Pour ce qui est de cette dernière, seul le sentiment subjectif pourra en décider. Naturellement, en pareil débat, biaiser avec soi-même et chercher des faux-fuyants ne nous serviraient de rien. Cette technique de l'éducation de l'anima présuppose une honnêteté et une loyauté pointilleuses à l'adresse de soi-même, et un refus de s'abandonner de façon prématurée à des hypothèses concernant les desidera ou les expressions à attendre de “l'autre côté”. » C.G. Jung « Dialectique du moi et de l'inconscient », Idées / Gallimard, 1973 p 174.

« Tout l'art de ce dialogue intime consiste à laisser parler, à laisser accéder à la "verbalisation" le partenaire invisible, à mettre en quelque sorte à sa disposition momentanément les mécanismes de l'expression, sans nous laisser accabler par le dégoût que l'on ressent naturellement vis-à-vis de soi-même au cours de cette procédure qui semble un jeu d'une absurdité sans limite, et sans non plus succomber aux doutes qui nous assaillent à propos de l'“authenticité” des paroles de l'interlocuteur intérieur. » (C.G. Jung, « Dialectique du moi et de l'inconscient », Idées / Gallimard, 1973, p. 171/172).


Cette forme de dialogue intérieur sied parfaitement au grand indécis que je suis, qui éprouve le besoin d'être le plus juste possible dans ses décisions. En pesant le "pour" et le "contre" qui m'animent simultanément, je parviens à discerner les différentes polarités qui constituent ma psyché. L'exercice est souvent plaisant, parfois vraiment drôle (il m'arrive d'en rire tout seul devant mon écran) et n'a jamais été décevant ou malaisant. En outre, la distance que cela crée entre différentes instance du moi rend la publication plus facile.

Je me demande même si je ne suis pas parvenu, grâce à cela, dans la situation qui m'a si profoncément occupé, à me passer d'accompagnement psychologique. J'ai l'impression d'avoir suffisamment pratiqué l'analyse thérapeutique pour me débrouiller seul face à mes questionnements. Du moins dans la temporalité longue qui a caractérisé la mésaventure à laquelle j'ai du faire face. Il me semble que j'ai pu faire un "travail" assez complet, aux ramifications élargies à l'ensemble de mon rapport au monde.

Ah ben t'es content de toi, là !

Parfaitement !


*  *  *


Plus tard...

Pour prendre le contrepied de ce que j'ai écrit plus haut : et si la capacité à s'auto-analyser selon les besoins, qui certes permet d'éviter tout mal-être durable, aboutissait aussi à une analyse sans fin ? Une sorte d'enfermement analytique... alors que c'est au contraire une "libération" qui est souhaitée ? Devenir comme aliéné à sa propre libération ? Au vu du temps considérable que j'ai consacré à l'écriture depuis vingt-trois ans (sans compter mes écrits antérieur...), la question mérite d'être posée : cela valait-il le coup ?

Sans hésiter je réponds par l'affirmative ! Je n'aurais jamais fait un tel chemin sans en passer par là. Je n'aurais pas su être "acteur de ma vie" sans avoir autant cherché à comprendre ce qui m'animait et ce qui me bloquait dans mes rapports à autrui.

L'écriture a vraiment été pour moi une libération.






Lundi 21 août 2023
[Mis en ligne le 18 septembre]

« Je suis solitaire dans l’âme, mais demandeur de complicité. Ce mot est très important pour moi : « complicité ». Je ne cherche pas l’âme sœur, ni à fonder une famille. J’aspire à un lien fort, quelle qu’en soit la nature. »


Lu dans un texte de présentation de soi, sur un groupe Facebook.






Mardi 22 août 2023
[Mis en ligne le 18 septembre]

La phrase du jour : « Une seule chose importe : apprendre à être perdant » Emil Cioran.

Aujourd'hui, dans mon jardin, le thermomètre est monté jusqu'à 38,5°. Depuis 30 ans, je n'avais jamais observé une telle température.

Mais tout le monde s'en fout.





Chhhhut !



Dimanche 10 septembre 2023
[Mis en ligne le 18 septembre]

Vingt ans.
Souvenirs intacts.





* * *



C'est tout ? Tu n'as rien d'autre à en dire ?


Non, rien d'autre. Juste noter cette date.

Quatre mots seulement ?

Oui.

Mais ça n'a pas de sens ! Tu n'écris pas quatre mots "juste comme ça".

Qui te dit que ça n'a pas de sens ?

Façon de parler. En fait c'est très signifiant : tu notes quelques chose, donc tu signifies quelque chose... et en ne disant rien de plus tu signifies en outre que tu n'en diras pas davantage.

On peut le dire comme ça.

Tu es en train de démontrer que tu écris en pensant à quelque chose qui t'empêche d'en dire davantage. Ce faisant tu montres que tu n'es pas libre.

Euh...

Libère-toi ! Ecris ce que TU as envie de signifier pour TOI. Seulement pour TOI.

Ai-je seulement besoin d'écrire à ce sujet ?

Manifestement, oui. Sinon tu aurais laissé passer ce jour sans en dire un mot.

Mais ai-je envie d'écrire ?

Toi seul le sais...

Ecrire, c'est partager quelque chose. Ou donner quelque chose. Ou exprimer quelque chose. Ai-je quelque chose à partager autour de cet anniversaire ? Je me le demande.

?!

Je veux dire : ce jour, 10 septembre 2023, ai-je quelque chose à partager à cette date particulière ? Non, je ne crois pas. Ce qu'il s'est passé il y a vingt ans est dans ma mémoire et je peux le convoquer n'importe quand. Comme je l'ai écrit plus haut : c'est intact. Ou du moins il me reste suffisamment de souvenirs précis pour en tirer un récit si j'en éprouvais la nécessité un jour.

Et qu'est-ce qui pourrait te faire ressentir cette nécessité ?

Nécessité est sans doute un peu fort. Disons que je pourrais peut-être garder trace de ce qu'il s'est passé, au cas où cela pourrait intéresser mes enfants. Car au final, ils pourraient être les seuls lecteurs un tant soit peu concernés par ce qui à conduit leur père à bifurquer, un jour, de sa vie sans histoire.

Et s'ils ne le sont pas ?

Alors ça n'intéressera personne ! Ce qu'il s'est passé à ce moment-là n'était "émerveillant" que pour les protagoniste ayant vécu la situation. Fondamentalement c'était extrêmement banal, hormis quelques détails singuliers. Mais pas de quoi en faire un roman.

« C'est un beau romaaan, c'est uuune belle histoire... »

Ouais, ça c'est ce qu'on se dit sur le moment. Mais le roman peut se terminer. Et ce n'est pas parce qu'on n'a pas envie qu'il se termine que ça l'empêchera.

Et rien ne dit que signifier cette crainte ne soit pas une façon de conjurer ce que l'on pressent...

Oui, c'est possible.

Ou ce que l'on "sait" d'avance...

C'est bien possible.

Comme une fatalité...

Je te laisse la responsabilité de tes assertions.

Faux-cul !

Hé hé...

« Le monde a tellement de regrets
Tellement de choses qu'on promet

Une seule pour laquelle je suis fait

Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai »


Oui, c'est sûr, je n'évoquais pas la même chanson.





Un anniversaire



Vendredi 15 septembre
[Mis en ligne le 18 septembre]


Tu n'as pas pu t'empêcher d'évoquer cet anniversaire.

Oui, avec moult hésitations.

Pourquoi l'envie de marquer ce moment ?

Parce qu'il revêt une grande importance dans ma vie. Il est fondateur.

De quoi ?

Il a concrétisé ma capacité à aller au bout de mes aspirations. Il a concrétisé une émancipation, mais aussi il a prouvé un engagement.

Hmm ?

Il était donc important pour moi de signifier que "je me souviens".

Signifier à qui ?

Toujours un peu pareil : signifier ce qui m'importe "au lectorat imaginaire". Garder trace, peut-être pour moi aussi, au futur, de ce qui aujourd'hui compte à mes yeux. Et indiquer que, même vingt ans plus tard, ce jour reste mémorable. Laisser quelques mots autour de ce chiffre symbolique de deux décennies m'était important.

Et pourtant tu n'en as pas dit grand chose.

Non, parce que je sentais bien que cela convoquerait en moi cette "présence" que je veux évacuer de mon écriture publique. Je ne voulais pas qu'un quelconque "message" cherche à se communiquer. Hormis ce « je me souviens ».

Mais tu ne t'en es pas tenu à ça.

Non, parce que c'était vraiment trop bref. Ça n'avait pas de sens de n'écrire que deux lignes sybillines.

Ben si, ça en avait un. C'est ce que tu as développé ensuite.

Je ne sais plus vraiment autour de quoi j'ai développé et peu importe. C'est ce qui avait besoin de s'exprimer à ce moment-là.

?!

Ce qui m'importe autour de cet anniversaire c'est d'analyser ce qui est ravivé. Des souvenirs, bien sûr, ô combien puissants et joyeux, mais aussi la perception de l'écart, du fossé, de l'immense étendue qui s'est installée entre ce passé et le présent. Non pas dans ma propre perception des choses, puisque ce passé reste fortement connecté avec mon présent, mais dans la perception commune de cette époque.

Perception commune ?

Disons plutôt la non-commune perception. Ce qui ne cesse de m'étonner c'est d'en être arrivé à une rupture totale de toute forme de matérialité du lien.

Plus ou moins, puisque manifestement des traces de ce lien s'écrivent ici quasiment en continu.

Oui, bien sûr, la rupture étant choisie d'un côté, subie de l'autre. Il est évident que je n'ai que consenti à la rupture du lien. Que j'ai accepté de laisser filer la corde... sans jamais parvenir à la lâcher totalement. C'est bien toute la difficulté... et tout le sens de mon écriture ici.

Difficulté ?

Au passé. Il ne m'est plus difficile d'écrire, hormis quelques hésitations lorsque je sens que, précisément, la tentation de tenir le lien cherche à se manifester.

Comment ça ?

Typiquement lorsque j'écris parce qu'un anniversaire est là. J'aurais très bien pu ne rien écrire. Pas un seul mot. Passer totalement sous silence ce jour de mémoire.

Oui, si seulement tu n'y avais pas pensé !

Exact. J'aurais donc pu volontairement passer sous silence le fait d'y penser. Mais ç'aurait aussi été signifiant. J'aurais voulu montrer à "quelqu'un" que je ne montrais rien.

Donc... tu n'es toujours pas parvenu à extraire de tes pensées ce "quelqu'un".

À l'évidence. Mais ce n'est pas nouveau. Dans le fond, je démontre depuis la "rupture" unilatérale, que de mon côté je n'ai jamais rompu.

Ce serait difficilement contestable...

Ce qui change peu à peu, infiniment lentement, et dont je témoigne ici, c'est que l'acceptation lente de la rupture fait son oeuvre. Je m'observe, et sans doute de plus en plus librement, accepter l'éloignement. Accepter la dissociation. Oui, c'est ça, je me dissocie d'une, finalement, assez brève association.

Un mirage d'association ?

Non, pas un mirage : c'était bien réel. Mais temporaire.

D'où l'évocation de la chanson : « c'est un beau romaaaan, c'est uuuune belle histoire ».

Tout à fait, avec l'évocation qui avait été faite de la fin de la chanson : ils sont repartis chacun de leur côté. « En espérant que cela ne se termine pas ainsi », m'avait-elle dit. Pourquoi évoquer la fin dès le début ? Qu'est-ce que cela indiquait comme crainte ? J'avais été surpris par cette évocation, sans y porter vraiment attention.

Il n'empêche que vingt ans plus tard tu l'as toujours en mémoire.

Oui, parce que cela a trouvé un sens avec le déroulement du processus de... sabotage.

Je t'arrête : cela ne te concerne pas directement. Tu es dans la supposition.

Je suis dans les suppositions et hypothèses depuis les toutes premières incompréhensions.

Oui, et ce n'était peut-être pas la meilleure piste à suivre. Quand on ne comprend pas, on demande des explications. "Ne fais pas de suppositions" est un des quatre accords Toltèques. Et tu le sais bien puisque c'est un des deux seuls éléments que tu as retenus de ce livre que tu n'as jamais lu.

Effectivement, je me suis perdu dans les suppositions... mais finalement c'est tout ce qu'il me restait pour me sortir du marasme.

Il y avait d'autres pistes, que tu as finalement trouvées : accepter ce qui est.

C'est vrai. Et c'est seulement ainsi que je peux accéder à une vraie paix de mon esprit.





Happiness only real when shared



Samedi 16 septembre 2023
[Mis en ligne le 18 septembre]


La tentation de célébrer un anniversaire et mon hésitation à l'évoquer publiquement m'a poussé à réfléchir à ces motivations contradictoires. Spontanément j'avais envie de "marquer le coup" en signifiant ce qui m'animait. D'un autre côté ma retenue provenait du fait qu'une célébration est un moment de partage. Or j'étais censé être seul avec mes souvenirs qui, de ce fait, sont potentiellement impartageables.

"Censé être seul", "potentiellement impartageable"... formulations floues, hésitant entre deux réalités. Oui, je suis seul avec mes souvenirs puisque je ne peux me les remémorer que seul. Mais en fait non, je ne suis pas sûr d'être seul. D'une part parce qu'il existe la possibilité d'être lu par je ne sais qui, avec qui je peux "partager" ma célébration ; d'autre part parce qu'il existe la possibilité d'être lu par la seule personne avec qui j'aurais pu célébrer dignement cet anniversaire. L'incertitude est toujours là. D'où mes hésitations sur la réalité que je choisis.

Comme je m'efforce de me dissocier de cette entité mi-réelle, mi-imaginée, je suis tenté de faire comme s'il n'existait plus rien de commun. Mais en réalité il reste en commun tout ce qui a été partagé autrefois. Il reste en particulier le "bonheur partagé" qui m'a si profondément imprégné et "engagé" dans la relation.

« Happiness only real when shared » [Le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé].
Citation attribuée à Christopher Mc Candless dans le livre "Into the wild", de Jon Krakauer.

Mon bonheur fut partagé, autrefois. En particulier des moments de bonheur intense, révélateurs, fondateurs. Éblouissants. Le bonheur lui-même résultait du partage de sensations, de rires, d'émotions, de réflexions. Je pourrais dire que le partage générait du bonheur. Et de l'amour.

Et peut-être la crainte de voir ce bonheur disparaître m'a t-il conduit à avoir des attitudes inappropriées, conduisant à engendrer ce que je redoutais. J'ai cherché à "garantir" ce bonheur, à m'assurer qu'il resterait bien partagé. Ce faisant j'ai agi défavorablement en voulant "forcer" des manifestations du lien d'affection.

Si une attitude consiste à « fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve », la mienne était alors de tenter de l'attacher. Erreur fatale.

Le plus regrettable est que j'en étais conscient. Je savais que j'agissais à l'inverse de ce qu'il aurait fallu faire : laisser toute liberté d'aller et de venir. Si le bonheur n'est réel que s'il est partagé, il est aussi indissociable de la sensation de liberté. Attachement libre. On ne peut forcer le bonheur du partage.

Mon avidité au partage profond n'a pas su accepter la baisse d'intensité de celui-ci. Je n'ai pas su me satisfaire d'une réduction... inexpliquée... ou mal assumée...

Ah, je te sens hésitant ! Besoin d'un accoucheur ?

Ouais, je crois qu'il faut en passser par là.

Pourquoi ces hésitations à qualifier l'attitude de l'autre partie prenante ?

Parce que c'est loin et que je n'ai pas envie de trop m'appesantir là dessus.

C'est précisément pour ça que j'interviens. Qu'est-ce que tu cherches à contourner ?

Je ne cherche pas... mais oui, il se peut que je préfère éviter le sujet.

Je le sens bien !

Pfff...

Tu disais donc "une réduction inexpliquée, mal assumée".

Pfff, pas facile. Je n'ai pas envie d'être accusateur.

Il ne s'agit pas d'accuser mais d'observer les parts de responsabilités des protagonistes. C'est une démarche saine. Tandis que dissimuler ne l'est pas forcément. Voire pas du tout.

Hmmm...

Tu rechignes à exprimer clairement les choses.

Oui.

Je t'écoute.

J'hésite.

Lance-toi !

Et bien... je cherche inlassablement à éclaircir la part mystérieuse d'un processus d'éloignement très tôt entamé.

C'est à dire ?

Je fais confiance à mes intuitions : à un moment donné j'ai perçu des signes de distanciation, qui m'ont inquiété. Ou, plutôt, qui ont ravivé une part d'inquiétude profonde et ancienne, qui m'appartient. Disons que mon terrain affectif est propice à l'inquiétude et que, cela étant, j'ai besoin de signes d'attachement, ou d'intérêt, lorsque j'émets des signes d'inquiétude. Il en faut peu pour me rassurer, mais il en faut.

Et ?

Et bien à certains moments, j'émettais des signes d'inquiétude... qui ne déclenchaient pas de signes de réassurance mais au contraire des signes d'agacement. Ou de fuite. Ou pire, d'agressivité. Celle-ci indiquant, à mon sens, un conflit intérieur du type : « je ne peux pas te donner ce que tu me demandes alors je t'agresse parce que tu me mets en difficulté ».

Mais ça tu ne le savais pas, à l'époque.

Non, je ne le savais pas. Mais sans doute le subodorais-je. Je ne connaissais pas assez les mécanismes psychologiques complexes qui nous animent tous. J'ai d'ailleurs beaucoup appris grâce à ce que j'ai vécu...

Et tu crois que tu maîtrises mieux ceux-ci, maintenant ?

Oh non, je ne maîtrise rien du tout ! Bien trop peu, en tout cas, pour analyser "en direct" ce qu'il se passe. Tout au plus puis-je repérer que quelque chose de complexe est à l'oeuvre, qui met chacun en position défensive, voire agressive. Au mieux je peux tenter de mettre en pause pour éviter que la situation ne s'aggrave.

Ça t'arrive encore ?

Exceptionnellement. J'ai su trouver un modus vivendi avec les personnes que je côtoie et avec qui un lien de confiance existe.

Que tu *côtoies*...

Oui, c'est le terme le plus approprié puisque je reste à une distance adéquate afin de ne plus être exposé aux remous affectifs. Je n'ai plus ni ami(e)s ni "complice". Je suis... autonome, si tant est que l'on puisse l'être en tant qu'être social. En fait j'ai pas mal d'interactions, de proxmité ou à distance, des sympathies, des relations propices à un certain degré de connivence et de confidences, mais rien de vraiment engageant. Avec chacune des personnes que je "côtoie" tout pourrait s'arrêter du jour au lendemain sans que j'en sois vraiment affecté. Aucune commune mesure avec... euh... l'amitié... que j'ai vécue.

Tu hésites sur le terme "amitié".

Oui, parce que je ne sais plus vraiment comment qualifier cette "amitié" qui m'a finalement expulsé de sa vie.

Expulsé ? Tu y vas fort, là...

Ben... non. Littéralement elle m'a sorti de son existence. Ejecté. Rejeté. Repoussé.

Tu en restes affecté, ça se sent.

Ben oui, j'en reste affecté. Evidemment ! Comment pourrait-il en être autrement ? C'est quand même quelque chose de particulièrement violent que d'être rejeté par une personne avec qui un tel niveau de complicité et de confidence avait pris place.

Tu lui en veux encore ?

Non. Elle a fait comme elle a pu. Elle a fait au mieux de ses intérêts, tout en essayant de tenir compte de mes besoins.

Et tu as fait de même.

Exactement. Nous avons fait au mieux.

Ce qui n'enlève rien à la violence de la rupture.

Faire au mieux n'évite pas nécessairement la violence, lorsque les intérêts sont radicalement divergeants.

Les intérêts ou les façons de procéder ?

Oui, plutôt les façons de procéder car les intérêts étaient les même : retrouver au plus vite un équilibre intérieur, sortir de la souffrance, de la déception, des désillusions. Soigner les profondes blessures mutuellement infligées.

Vous avez morflé tous les deux.

Je crois, oui. Enfin pour moi c'est certain, hé hé...

Ça te fait du bien d'écrire tout ça ?

Oui ! :)
Ça me soulage, ça m'apaise, ça me réconcilie avec moi-même.

Et tu l'écris sous son potentiel regard, si un jour il se posait sur ces lignes...

Oui, mais ça n'a pas vraiment d'importance. Qu'elle lise ça un jour ou pas, en fait je m'en fous. Je ne m'adresse pas à l'inconnue qu'elle est redevenue. Tant d'années sans un seul signe...

Tu n'y crois plus ?

Non, je n'y crois plus. Je l'ai écrit : elle ne reviendra pas.

Alors pourquoi tu racontes tout ça ?

Pour moi. Pour me faire du bien. Peut-être un peu pour "elle", aussi, si cela pouvait lui faire du bien. Je mets des guillemets à "elle" parce que je ne sais plus qui elle est. Je ne sais même plus comment je l'imagine, entre la réalité du vécu partagé autrefois, la réalité du rejet par cette même personne, la réalité du silence de cette "inconnue" qui n'est plus ni l'une ni l'autre des deux entités. Oui, voilà : c'est désormais une inconnue. Celle que j'ai connue comme complice, celle avec qui j'ai vécu tant de belles choses, celle avec qui j'ai eu le bonheur de partager mon bonheur... celle-ci n'existe plus. Ou du moins ne m'est plus accessible.

D'où ta frustrations de ne pouvoir célébrer un anniversaire...

Exactement.

Ni celui-là ni les autres.

Plus aucun. Ou alors seulement en mon for intérieur...




* * *



Tu n'avais pas déclaré que tu n'écrirais plus sur ce sujet ?

Euh, non, je ne crois pas. Que j'écrirai moins, ou autrement, mais pas que je n'écrirai plus...

Attends, je remonte le fil. Je retrouve ça, le 5 août : « je ne peux pas continuer à écrire ici. Du moins pas dans les conditions qui ont prévalu jusque-là ».

Voilà : rien de vraiment définitif. C'est tout moi, ça :)

Il y a aussi ça, antérieurement, le 30 juillet : « à vouloir explorer les profondeurs de ce qui m'animait, je me suis sans doute fourvoyé en évoquant des sujets dont la confidentialité ne m'appartenait que pour moitié ». Là tu viens de flirter avec cette confidentialité.

Je ne crois pas. Je ne donne aucun élément nouveau. Tout au plus une interprétation actualisée de faits anciens, déjà décrits. Ça reste subjectif et assumé comme tel. Et puis le 14 août j'écrivais ceci : « même si mes écrits n'apportent rien à quiconque, ils ne nuisent désormais plus à personne ».  Pour le moment je reste dans cette ligne.

Ouais, bon, ok.

Sur le fond je considère qu'il est sain de chercher à faire la lumière sur ce qui reste obscur. Donc laisser remonter à la surface les bulles et voir ce qu'elles contiennent encore de fermenté.

Beurk ! Et pourquoi pas des miasmes putrides, tant que tu y es ?

Non, pas du tout. C'est le processus naturel d'intégration : tant qu'il y a des bulles c'est qu'il reste des trucs louches. Un jour il n'y aura plus de bulles.

Tu crois vraiment qu'un jour tout sera assaini ?

Je fais ce qu'il faut pour ça. Et manifestement ça fonctionne. Presque toute l'amertume initiale a disparue. Je suis quasiment en paix avec ce qu'il s'est passé autrefois. Je le suis avec le présent et le serai un jour, très probablement, avec le futur.

Le futur ?

Oui, celui qui n'adviendra pas. C'est à dire que mon esprit travaille à accepter qu'il ne se passera plus rien avec celle qui m'a exclu de sa vie.

N'est-ce pas le plus difficile à accepter ?

Assurément ! Le passé, c'était déjà pas simple, mais l'avenir l'est davantage. Parce que l'avenir aurait pu "réparer" le passé, en expliquant, en pacifiant, en réconciliant.

Aaah, la réconciliation ! Cette fameuse réconciliation que tu as tant espéré !

Et ben oui, il m'a fallu renoncer à cette perspective, qui avait l'avantage d'offrir un horizon heureux, aussi lointain qu'il puisse être.

« Le bonheur en partage », back again ?

Oui, ben non : y aura pas !

Tu cherches à t'en convaincre ou tu le penses vraiment ?

L'écrire ouvertement est une façon d'accepter cette perspective.

Donc, en n'étant pas catégorique, tu te gardes une petite lueur d'espoir ?

Je déteste cette expression ! « Une lueur d'espoir », mais c'est complètement pourri cette notion ! C'est juste bon à entretenir du rêve pour s'illusionner que quelque chose reste possible. L'espoir, quand on est dans l'incapacité d'agir, c'est s'octroyer le temps d'accepter l'inacceptable. C'est se persuader, par exemple, en faisant fi du réel, que des vivants pourront être extraits des décombres d'un tremblement de terre une semaine plus tard. L'espoir, si ce n'est un poison, est un sédatif temporaire.

Dis donc, tu n'aimes vraiment pas ça !

Logique : je suis sous emprise toxique de "l'espoir" depuis des années. Pas facile de me sevrer. Ça fait partie de la panoplie de trucs pourris dont j'étais porteurs depuis mon enfance et dont j'ai dû me débarrasser pour ne pas sombrer dans le défaitisme, le pessimisme, le fatalisme. J'ai voulu rester vivant, garder ma confiance en l'alterité, continuer à voir ma vie comme une chance et un bonheur. Donc exit la passivité de l'espoir... que je distingue de l'espérance.

Comment ça ?

L'espoir c'est relié à une attente précise, l'espérance c'est une façon de voir l'existence. Je reste un espérant vagabond, ouvert à ce qui peut advenir de meilleur. L'espérance c'est un état d'esprit, tandis que je vois l'espoir comme une forme d'oscurantisme, un terrain favorable à la crédulité et à l'inaction.

Mouais, propos sans doute un peu radicaux qu'il faudrait nuancer.

Certes, j'en conviens. Mais ce sera pour une autre fois.






Suffire à mon bonheur




Dimanche 17 septembre 2023
[Mis en ligne le 18 septembre]


Lorsque, à l'automne 2004, j'ai commencé à réaliser que l'alliance établie avec une aimable complice n'avait visiblement pas la solidité et la pérennité que j'avais imaginé, j'ai très vite senti que si ce que je redoutais devenait définitif, j'en aurais « au moins pour dix ans à m'en remettre ». Une telle échéance pouvait alors paraître exagérément pessimiste.

En fait c'était une vision excessivement optimiste puisque cela fait... dix-neuf ans que je n'en suis toujours pas revenu. Je veux cependant immédiatement modérer mon propos : cet exil n'est que partiel. Globalement je me suis bien remis de la mésaventure. Les séquelles sont discrètes et je suppose que personne, dans mon entourage proche ou lointain, ne les perçoit. Je ne suis pas quelqu'un de triste ou déprimé et ne me plains jamais de mon existence. Il m'arrive même assez souvent de me déclarer heureux de vivre, me satisfaisant d'un bonheur simple et à ma portée.

Ma vie me convient bien. En outre j'ai conscience que si je la souhaite différente, plus riche, plus épanouie, il me revient de faire les efforts nécessaire pour qu'il en soit ainsi. Sachant que mes ambitions restent, quoi qu'il en soit, modestes.

Alors en quoi les dix-neuf années écoulées ont-elles pesé ? De quoi ne suis-je toujours pas revenu ? Qu'est-ce qui est resté coincé dans la - très - désagréable fin d'expérience vécue ? Qu'est-ce qui a été endommagé, et est-ce réparable ?

C'est probablement réparable puisque je ne suis pas adepte de l'irréversible et du définitif. C'est d'ailleurs flagrant dans mes écrits puisque je dois régulièrement me confronter au tranchant du réel, qui a le mauvais goût d'être beaucoup plus déterminé que moi. Je doute bien souvent de ce que ma raison "sait", je doute de mes certitudes passées, pourtant dûment consignées pour mieux m'en persuader. Mais l'auto-persuasion ne fonctionne pas longtemps : mon optimisme forcené ne cesse de libérer un imaginaire heureux... qu'il me faudra de nouveau dompter, inlassablement.

Dix-neuf ans de louvoiement entre l'âpreté sèche de la raison et l'inventivité souple de scénarios joyeux. Comme si je n'avais jamais accepté de rester dans ce cauchemar : elle a renoncé à "nous". Cela dépasse mon entendement, malgré les douches froides répétées, malgré tous les constats d'éloignement, malgré l'éternisation du silence. Alors bien sûr, n'étant quand même pas tout à fait dingue, j'ai capté le message. J'ai admis la fin. J'ai accepté la sentence. Il n'empêche que tous ces éléments factuels de raison raisonnante, quoique imparables et indiscutables, ne pèsent pas suffisamment lourd pour empêcher mon esprit de s'envoler. Comme un gaz léger il trouve toujours une micro-fissure pour s'échapper. Oh ça ne va pas loin puisque le milieu extérieur n'est pas favorable à son expansion. Des feux-follets s'échappent, volètent, puis s'étiolent et disparaissent. Ça n'a rien de désagréable. C'est même plutôt doux, et beau.

Feux-follets, l'esprit hanté par un fantôme [qui n'est pas "elle", mais la relation]... mon registre est celui des cimetières.

Dans quel cimetière ai-je enterré la part gorgée de vie que j'ai voulu voir s'épanouir, autrefois ? Qu'est-ce qui s'est promptement refermé après s'être si précautionneusement ouvert ? Pourquoi n'ai-je pas envie de tenter de nouveau l'expérience de la rencontre ? Suis-je encore prisonnier d'une histoire énigmatique et irrésolue ou bien trouvè-je suffisamment de satisfaction à me complaire dans les vestiges d'une relation riche de contrastes ? Ou autrement dit : ne me suis-je pas librement enfermé dans une histoire dont il me plaît de dénouer patiemment les incompréhensions ? Est-ce que cela ne suffit pas à mon bonheur, finalement ?



* * *


Je vieillis. Sans que cela ne m'inquiète je commence à penser à la vie de retraité solitaire qui s'annonce, dans quelques années, quelques mois peut-être. Je n'ai toujours pas décidé du moment où j'arrêterai mon travail salarié. Tant que cela me plaît suffisamment, je reste. Cela me permet de côtoyer "des gens", d'être "actif", avec des défis à relever. Le jour où je serai retraité je pourrai toujours être actif, mais sans contrainte. Or je me sais peu porté à la planification [qui est pourtant au coeur de mes fonctions professionnelles !], me laissant porter au gré de mes envies. Quelles seront-elles quand je me retrouverai seul au quotidien ?

La question s'invite mais je ne cherche pas à y répondre : je verrai bien ce qu'il en sera le moment venu. Cependant je connais aussi mon avidité aux échanges de réflexion et il se pourrait qu'une frustration se fasse sentir. Elle est déjà là, d'ailleurs, compagne de mon existence. Je ne connais plus l'effervescence née des "années internet", lorsque de longues correspondances me passionnaient. Il y a bien longtemps que tout cela s'est éteint, sans que je ne sache si c'est le bouillonnement qui a cessé ou si c'est moi qui, rassasié, me suis tourné vers d'autres centres d'intérêt. Peut-être avais-je fait le tour de ce que j'avais à découvrir dans le domaine relationnel qui m'intéressait ?

Et puis... je crois qu'une partie de mon attrait pour certains échanges découlait de mon attrait pour les jeux de séduction. Or les circonstances semblent ne plus y avoir été favorables. Quelques rencontres ont bien eu lieu, dans les années qui ont suivi ma cruelle désillusion, mais sans jamais se rapprocher de ce qui me correspondait. En fait je n'ai jamais plus cherché à entretenir un lien durable, me contenant de répondre aux sollicitations. Sans aucun mérite pour cela puisque je ne me suis plus jamais "accroché" à qui que ce soit. Ce n'est pas un choix mais une adaptation à la réalité de mes non-émois.

Cela a pu être déroutant pour quelques unes de celles qui ont cherché à m'approcher. Peu stimulant. J'en ai eu quelques remords, parfois.

Tout cela est de l'histoire ancienne. Seule mon ex-collègue Artémis s'est vraiment accrochée, tenant bon une quinzaine d'années, finissant cependant par lâcher prise devant mon peu d'empressement à multiplier nos rencontres. Nous sommes encore en relation, mais sur un rythme très espacé. La distance s'accroît perceptiblement. Sont attrait vers moi s'est fortement réduit, tout comme la fréquence de nos brefs messages qui, de quotidiens, sont devenus bi-hebdomadaires et très superficiels. Le contact est encore là mais il s'étiole.

De ce fait ma vie de célibataire relatif tend vers le célibat strict. Ce qui me convient bien, finalement.

Sauf lorsque je pense que cette fois ce pourrait être définitif, au vu de mon peu d'empressement à y changer quoi que ce soit.






Presque libre



Lundi 18 septembre 2023


Il me semble que depuis pas mal d'année je publie la plupart de mes textes en différé. Parfois avec plusieurs semaines de décalage, voire plusieurs mois. Or à l'origine je ne procédais pas ainsi, publiant ma prose au jour le jour.

Qu'est-ce qui a changé ?

Je vois plusieurs facteurs :
  • une prudence accrue dans le fait de me délester de mes pensées
  • des doutes sur la pertinence de ce que je consigne
  • des hésitations à dévoiler ce qui gagnerait peut-être à rester dissimulé
  • des scrupules à persister dans une narration répétitive et autocentrée

Bref : le fait de publier est précédé d'une grande incertitude. Reporter la publication me permet donc de mettre une distance avec mes hésitations. Dans l'antichambre qui sépare l'écriture de la publication, mes textes, et surtout la perception que j'en ai, maturent lentement. Plus je leur sens un potentiel "dérangeant" (avant tout pour moi), plus le temps écoulé "hors ligne" me permet de me familiariser avec ce que j'ai mis en mot.

Il y a souvent un travail de relecture des textes accumulés dans l'antichambre. Tant qu'ils ne sont pas "lâchés" je peux les retravailler et leur permettre de me travailler. Souvent j'écris par salves de plusieurs textes, qui se complètent, s'engrènent, et fertilisent ainsi ma réflexion. Et quand le flux se tarit, je laisse au repos un certain temps, oublie presque de quoi il était question... et lorsque je les retrouve ils me sont devenus tout à fait acceptable, donc délivrables. C'est du moins le processus que je vois à l'oeuvre lorsque je libère des "gros morceaux".

Mon journal n'a rien de léger. Je n'écris pas pour faire joli, pour divertir, pour plaire. J'écris parce que cela me permet d'avancer (même si j'ai parfois l'impression de me répéter et de tourner en rond).

Et finalement, le fait de n'avoir pas la moindre trace d'un lectorat est sans doute un avantage : je me sens presque libre.






Dichotomie



Vendredi 22 septembre 2022


L'écriture auto-analytique que je pratique ici nécessite des conditions propices : d'abord de l'inspiration, ensuite du temps disponible, mais surtout une disposition d'esprit particulière. En effet, il faut que je sois "ouvert" à la réflexion. Porté par une idée soudainement émergée ou, au contraire, rappelé par un thème profondément labouré depuis longtemps. Je ne me mets donc jamais à écrire sans y être "poussé" par une inspiration, bien que, à elle seule, elle ne soit généralement pas suffisante.

Car ailleurs, loin des pensées égocentrées, d'autres réflexions que celles que je développe habituellement ici peuvent mobiliser une grande part de mon attention et de ma conscience. Là-bas, ma relative méconnaissance des thèmes abordés fait que j'ai infiniment moins à exprimer qu'à apprendre. À tel point que parfois je n'écris plus durant plusieurs mois. Ni ici, ni ailleurs. Je ne m'épanche plus, je m'emplis.

Seuls quelques épisodes de logorrhée scripturale dont je me décharge ici - parfois à haute intensité - gardent trace de mes pensées du moment. Tout le reste est emporté dans le flux vivant des pensées qui s'écoulent, sans laisser de traces. Ce qui fait qu'à la lecture, ici, rien n'indiquera que ce qui n'est pas consigné a cependant existé. J'imagine donc qu'il peut en découler une impression de rabâchage monomaniaque infini [impression que moi-même je n'ai pas, sauf répétitions manifestes].

Quoi qu'il en soit je ne peux le nier : je me sais être habité par un thème d'écriture duquel je ne m'écarte guère. Et si je ne ressens plus la nécessité d'écrire sur des sujets annexes, c'est sans doute parce qu'ils ne me posent pas question. Ou bien que je trouve suffisamment de quoi répondre à mes éventuels questionnements à travers la lecture ou l'écoute d'autres pensées, qui me nourrissent.

Ce pseudo-journal serait donc le creuset dans lequel je malaxe encore ce qui ne trouve pas de réponses ailleurs. Il serait le réceptacle de pensées happées au vol, ou venues spontanément, à consigner parce que paraissant potentiellement éclairantes.

C'est ce qu'il m'est arrivé ce matin, sous ma douche, inspiré par je ne  sais quelle suite d'idées ayant rebondi ces derniers jours. Probablement parce que j'ai écrit récemment et que la mise en mots me "travaille" ensuite.

Le mot-clé serait : dichotomie.

Je songeais à l'entité qui m'accompagne depuis des années, largement imaginaire désormais. Je sens bien que, au fil du temps, j'ai fait de cette entité une "compagne" intériorisée. Ce n'est pas un choix volontaire, mais je constate que cette "présence" reste flottante dans mon esprit du fait même de son absence, de son silence, de sa "disparition". D'où l'analogie que j'ai parfois faite avec les disparus (morts) et le lien singulier que l'on peut conserver avec eux malgré l'absence du moindre retour. Bizarrement, le passé ne meurt pas vraiment. On sait qu'il n'est plus et ne reviendra pas, mais un lien demeure avec cette époque durant laquelle la relation existait et que ce qui deviendrait souvenirs se construisait.

Lien... relation... souvenirs... autant de concepts fondamentaux dans ma perception de l'existence. Ce qui fait, selon moi, que vivre est réjouissant.

[...

J'ouvre ici une parenthèse : ce midi j'écoutais à la radio un documentaire dans lequel la parole était donnée à des personnes ayant été soudainement frappées d'amnésie. Un jour ces personnes se sont retrouvées, hagardes, dans un lieu qu'elles ne connaissaient pas, sans savoir pourquoi elles étaient là, sans savoir qui elles étaient. Dans leur cerveau quelque chose s'est déconnecté, les privant d'accès à leur mémoire. Pourtant elles n'ont pas perdu l'usage du langage, ni de leur conscience. Seuls les souvenirs des situations vécues leur sont inaccessibles. Leurs proches, leur conjoint, leurs enfants, leurs parents... sont devenus aussi inconnus que toutes les autres personnes. C'est toute une vie qui redémarre à zéro. Reset !
Les témoignages étaient terribles, tant de la part des personnes atteintes que de celle de leur entourage. Perte totale des liens affectifs, impossibilité de partager des souvenirs. Une épouse disait qu'il lui fallait faire le deuil d'une personne pourtant bien vivante.

J'ai été bouleversé par ces témoignages, instantanément envahi d'émotion.

Simultanément je me suis demandé ce qui suscitait une si forte émotion. D'abord c'était face à la détresse de la personne qui se découvre "seule au monde", vulnérable et effrayée de ne (re)connaître absolument personne. Ensuite c'était autour de la perte du lien, de l'effacement du passé et des souvenirs heureux qu'il recèle. Moi qui suis très attaché à la notion de continuité, de lien entre présent et passé, de transmission... je mesurais là combien imaginer l'amputation de ce passé me bouleversait.

Brièvement j'ai constaté une similitude avec la situation de "deuil relationnel" qui se travaille en moi depuis tant d'années pour faire face à une "disparition"...

...]

Je referme la parenthèse et reviens à ma douche matinale, toujours accompagné de l'entité semi-imaginaire.

J'ai donc pensé, sous le bienfaisant jet aquatique, à ce que je répondrais si on me demandait « Tu lui en veux encore ? ». Non, je ne lui en veux pas : elle a agi selon ses intérêts et, en tant qu'ami, je ne peux qu'accepter ses choix, voire la soutenir dans ses choix. Elle a bien fait de se préserver.

C'est la qu'intervient la dichotomie : pour elle c'était le meilleur choix... oui, mais moi, mon intérêt, mon choix, ce n'était pas du tout ça !

D'un côté je n'en veux aucunement à une amie qui a fait le meilleur choix pour elle ; de l'autre j'en veux (ou j'en ai voulu...) à la personne qui m'a "laissé tomber", me privant du même coup de perspectives d'avenir, d'amitié durable, de lien inaltérable. Coupant court à ce en quoi j'avais cru, me fermant l'accès à ce que je partageais avec elle, à la complicité qui s'était établie, au lien de confiance.

Comment gérer cette superposition de réactions opposées à l'intérieur de soi ? Comment accepter de faire l'impasse sur sa propre douleur, son propre effondrement intérieur ? C'est à cette dualité que je me suis confronté depuis l'annonce de sa décision. Des années de travail intérieur pour accepter sa totale liberté de choix tout en conscientisant mon rôle : les erreurs que j'avais faites, les carences révélées, les manques qui m'habitaient encore, les enseignements à tirer d'un tel basculement, le cap que je me fixais pour rester digne [ce qui ne fut pas toujours réussi...]. Au final j'ai fait le choix de m'en sortir en évitant de glisser du côté obscur. J'ai fait avec les moyens du bord, composant avec ma souffrance et domptant mon espérance. J'ai mis au jour les racines de ma douleur, prenant soin de certaines d'entre-elles, m'affranchissant d'autres, apprenant à accepter de vivre avec l'absence [ou sans la présence...].

Alors oui, certes, j'ai quelque peu aménagé la réalité en laissant perdurer un lien sans réciproque, me fiant à des souvenirs devenus impartageables. Je suis parfaitement conscient de l'incongruité de la chose mais, après tout, ça ne regarde que moi, sans nuire à personne. C'est un arrangement entre mes aspirations et la réalité du refus qui leur a été opposé. L'efficacité de cette élaboration mentale fait qu'il m'arrive, spontanément, de m'adresser brièvement à "elle" en mon for intérieur. Parfois même à voix haute, comme si elle était encore "vivante" et accessible. Comme si notre complicité d'autrefois demeurait, inaltérable, bien que chacun de mes élans aient été refusés.

Ne pas me couper des possibles, c'est ce dont mon psychisme a besoin pour continuer à vivre sans amertume. Sans ressentiment. Sans haine. Si certaines personnes préfèrent couper les liens, moi j'ai besoin de croire qu'ils demeurent au delà des apparences.






Mémoire floue



Dimanche 24 septembre 2024
[Mis en ligne le 29 octobre]

Petite mise en réflexion, ce matin, en écoutant un 2eme volet du documentaire radiophonique sur l'amnésie. Cette fois la personne qui témoignait avait perdu certains pans de la mémoire immédiate et, par exemple, ne reconnaissait plus les lieux, ne pouvait plus s'orienter. Mais peu importe la situation qui était présentée, ce qui m'accroche c'est la résonance partielle avec ma propre mémoire.

Ma mémoire, sélective, comme pour tout le monde, a peut-être la particularité de s'ancrer préférentiellement dans les émotions, les sensations. Je la perçois comme une mémoire émotionnelle, parce que je sais que c'est par cet aspect qu'elle s'imprime le plus fortement. Inversement il peut m'être difficile de mémoriser quelque chose qui ne me touche pas émotionnellement. Il se pourrait que les difficultés scolaires que j'ai eues depuis l'entrée au collège jusqu'à la terminale soient dues à cette incapacité à mémoriser certains champs du savoir quand ils sont situés hors de celui des émotions.

Par émotions j'entends notamment la joie, la tristesse, la colère (face à l'injustice), mais aussi le plaisir, la curiosité. Or certaines matières enseignées ne portent pas vraiment vers ces émotions. Cela dit, je me sais aussi capable de mémoriser des éléments n'ayant aucune résonance émotionelle et même, parfois, totalement inutiles.

Si je m'interroge sur la mémoire c'est parce que dans le documentaire susmentionné un homme, atteint dans plusieurs parties de son cerveau, ne mémorisait plus certains évènements. Non seulement il ne reconnaissait pas un trajet habituel, mais, par exemple, il pouvait aussi faire des impairs en demandant à un ami des nouvelles de son épouse... décédée depuis plusieurs années ! C'est précisément cette anecdote qui m'a fait cogiter, parce qu'il m'arrive bien souvent, et depuis toujours, de ne pas me souvenir de ce qui concerne la vie d'autrui. Je n'oublierai évidemment pas qu'un conjoint est décédé, mais je peux ne plus savoir si des parents sont encore vivants. Ne plus savoir quelles ont été les études suivies par un enfant.

J'ai longtemps considéré que si je ne me rappelais pas de ce genre de choses c'est parce que ça ne m'intéressait pas vraiment. Parce qu'émotionnellement rien de particulier ne m'avait "touché" pour que j'en garde la trace. Inversement je crois garder en mémoire des élements qui pourraient paraître anecdotiques mais qui, d'une façon ou d'une autre, me touchent.

Ce fonctionnement est peut-être tout à fait normal... ou pas. Je n'ai pas de moyen de le savoir. Tout ce que je sais c'est que ne pas me souvenir de ce qui fait le quotidien d'autrui m'est handicapant : j'ai peur de faire un impair et redoute de laisser voir qu'en fait je ne retiens pas ce que l'on me dit. Pour éviter le malaise je m'abstiens de poser des questions susceptibles de mettre en évidence mon inattention.

Cette mémoire émotionnelle me pose un autre problème : je mémorise mal les nombres, par exemple. Et je suis incapable de restituer le contenu d'un article, d'un livre, d'une conférence, sauf si j'a pris des notes et entreprends de les restituer par écrit. Dans ce cas, je me demande si c'est la mémorisation qui me pose problème ou le stress de devoir restituer un contenu articulé alors que ce que j'ai mémorisé est davantage de l'ordre des impressions, des intuitions. J'ai bien mémorisé quelque chose, mais pas forcément de façon logique, articulée, restituable de façon intelligible. C'est comme si j'avais été "impressionné" (au sens photographique) mais que j'étais incapable de restituer une image nette. Oui, c'est ça : le résultat est flou !

De la même façon, je ne parviens à prendre la parole en public que lorsque je suis porté par l'émotion, losqu'un thème me touche à ce niveau-là.

Emotions... mémoire...

Par association d'idées je fais le lien avec ce que j'ai découvert à propos de ma sensibilité écologique : il y a quelque chose de l'ordre de l'émotion à voir se perdre un équilibre naturel. Une douleur à voir disparaître ce que je perçois comme "bénéfique". Cela me touche fort, émotionnellement, viscéralement. Me revient à l'esprit le lien que j'ai établi, en entretien d'éco-psychologie, avec la mémoire des temps heureux du passé. Par rapport aux photos de mon grand-père, dans lesquelles je trouvais la trace de paysages bucoliques aujourd'hui urbanisés, banalisés, amochés. Trace de moments heureux de la vie de mes ancètres, à une époque qui, il me semble, offrait une meilleure qualité de vie.

Ce que je décris ici, reliant des élements épars, n'a peut-être ni queue ni tête. J'établis cependant un dernier lien : ce journal enregistre, retranscrit, et donc mémorise ce qui me touche fortement. Depuis son origine je garde trace, le plus fidèlement possible, de ce qui m'anime au présent dans plusieurs registres. D'une certaine façon, en retranscrivant ce qui me touche, je le mémorise plus fortement. Je sacralise la mémoire, lui donnant davantage d'épaisseur en l'actualisant, en la ravivant, en la convoquant. Les suites d'une relation que je raconte sont maintenues "vivantes" grâce à ce journal. Je ne lâche pas le passé, je le fais durer en racontant de quelle façon il se perpétue au présent. Je ne me coupe pas de ce passé. Je ne le laisse pas sombrer dans l'oubli qui, pourtant, sera un jour son destin.

Mémoire défaillante d'un côté, mémoire entretenue de l'autre. Avec comme élément commun la charge émotionnelle.

Derniers point, anecdotique ou pas : en ce moment je range pas mal de piles de documents et redécouvre ainsi des pans de mon passé. Beaucoup de ces documents sont périmés, n'ont plus aucune utilité et je pourrais les jeter sans hésiter. Sauf qu'en les triant je redécouvre des périodes de ma vie professionnelle, de mes enagements, des causes qui ont compté, des formations que j'ai suivies... Et tout cela me ramène dans le passé, faisant resurgir des noms, des lieux, des ambiances. C'est subtilement teinté d'émotion et j'aime bien ressentir cela. J'aime sentir que ma mémoire me relie à ce passé qui m'a mené où j'en suis aujourd'hui. Il y a quelque chose de vivant à constater cette fiabilité de la mémoire malgré le temps écoulé, malgré que bien des choses ont changé et que pour rien au monde je ne voudrais revenir en arrière.

Ce qui me plaît dans cette mémoire vive, c'est l'idée de perpétuation. Non pas de transmission, dans ce cas, puisque ce n'est évocateur d'émotions que pour moi, mais de continuation : mon présent résulte de ce passé et, d'une certaine façon, je suis reconnaissant de ces étapes par lesquelles je suis passé, des personnes que j'ai rencontrées... même si aujourd'hui je n'ai plus aucun contact avec elles.

Et peut-être, pour boucler avec ce journal, ce que je décris ici depuis des années est une façon de ne garder que la reconnaissance pour ce qui a été partagé à partir de l'écriture. Il y a dans ma démarche d'écriture solitaire la perpétuation d'un récit, par delà les vicissitudes d'une séparation et de la rupture, et d'un pacte autobiographique jamais formulé. En quelque sorte j'étais le seul à m'être engagé, tant dans la relation que dans l'écriture. En assaisissant au maximum ce qui a été endommagé et terni par la violence du commun naufrage, je retisse la trame de ce qui m'importe vraiment.

Un jour, peut-être, les traces de la déchirure ne me paraitront plus dommageables.
C'est en bonne voie.






Raviver


Vendredi 29 septembre 2023
[Mis en ligne le 29 octobre]

J'écoute quotidiennement France-Culture. Parfois plusieurs heures par jour, en temps cumulé. C'est une radio dont j'apprécie énormément la hauteur de vue, la qualité des émissions et l'approfondissement des sujets. Aujourd'hui, alors que j'avais laissé le fil de l'écoute diffusé à faible volume, j'ai saisi au vol quelques phrases autour d'une rupture amoureuse et du silence brutal et irréversible qui avait été imposé à celle qui ne s'y attendait pas. J'ai évidemment porté toute mon attention à ces propos et réécouterai dès que possible l'intégralité de l'entretien avec Eric Rheinhart.

Immédiatement après, une autre émission... évoquait les "Coeur brisés", que ce soit en amour, en amitié, en lien famiial. Le témoignage de plusieurs personnes composait un bouquet de situations, dans lesquelles j'ai senti une forte résonance avec les émotions violentes qui peuvent accompagner les "brisures", quelles que puissent en être les raisons.

Fugitivement je me suis dit que je pourrais écrire à l'émission pour proposer le témoignage de la belle et néanmoins douloureuse aventure que j'ai eu la chance de vivre. Je suis certain qu'il y a de quoi apporter des éléments de compréhension, ou du moins se similitude, à des personnes encore habitées de la présence de l'autre disparu·e.

Incidemment il était dit en fin d'émission que la rediffusion aujourd'hui, 29 septembre, était due à ce que c'était la date de la journée mondiale du coeur...

Pourquoi raconter cela ? Simplement parce que cela illustre la façon dont je reste "habité" : n'importe quand, une émission de radio, une lecture, un documentaire, peut raviver ce qui est en moi et avec quoi je vis [sans que cela ne me soit pénible]. Comme je l'ai souvent écrit, "c'est là", "c'est en moi".

Et comme ça ne pèse pas sur moi, finalement je ressens cela comme plutôt bienfaisant. Même si, de temps en temps, l'incertitude par rapport à un passé irrésolu me titille un peu les neurones. Et je sais pourquoi : il demeure encore cette "espérance" qui maintient aussi une incertitude vers l'avenir. Même si je sais que c'est idiot.

Il semble que, pour je ne sais quelle motivation de ma psyché, cela me soit plus agréable qu'une certitude... qui ne me correspond pas.






Pourquoi l'aimais-tu ?


Mercredi 11 octobre 2023
[Mis en ligne le 29 octobre]

Voilà deux semaines que je suis en vacances. Deux semaines de soleil avec un été qui joue les prolongations. C'est inquiétant, quoique indéniablement "agréable". Les climatologues hallucinent mais globalement le monde s'en fout : « jusque là, tout va bien. Jusque-là, tout va bien...»

L'actu est en Israel, après l'attaque terroriste qui à fait 1200 morts d'un côté (à ce jour) et 900 de l'autre (+ 1500 terroristes liquidés). À quoi tout cela va t-il mener ?

Mais je ne vais pas écrire sur ces sujets. Je n'ai rien de plus à dire que ce que d'autres, bien plus compétents que moi, disent déjà.

Non, si je prends le clavier ce soir c'est parce que depuis mes deux semaines de vacances... je n'ai pas pensé à "l'affaire" qui m'a si longtemps occupé l'esprit. C'est important, dans le fil de mon récit, que je consigne cette neutralisation. Et si effectivement ce soir j'y reviens c'est après avoir regardé un film au titre inspirant : "Un amour impossible". De Catherine Corsini. Histoire d'une passion amoureuse... qui se termine mal. Une histoire de "disparition", encore. De fuite. De fin qui n'en finit pas. De ruptures et de retours. D'inceste, aussi, mais là sans écho pour moi. Une histoire de relation malsaine, de domination, d'humiliation. Avec à la fin la question qui tue, d'une fille à sa mère : « pourquoi tu l'aimais ? »

Et là, une résonance : pourquoi je l'aimais ? Qu'est-ce que j'aimais chez elle ? Qu'est-ce que j'aimais dans cette relation, consciemment et inconsciemment ? Question déjà ancienne, pour la dernière, que je n'ai jusque-là pas voulu trop approfondir.

Et pourquoi n'ai-je pas voulu approfondir ?
Je connais la réponse : pour ne pas briser le mythe. Pour ne pas en arriver à me dire que, peut-être, je m'étais trompé. Parce que cela reviendrait à dire que ma perception était erronée. Que mon intuition profonde n'était pas fiable. Parce que ce que j'avais trouvé "beau" perdrait alors tout éclat, devenant illico bijou de pacotille. Leurre. Illusion.

Alors j'ai préféré rester sur l'idée de "vrai". D'authenticité. Même si j'ai fini par en douter...

Et cela m'amène à une autre série de questions : est-ce qu'elle m'aimait ? Qu'aimait-elle chez moi ? Qu'aimait-elle de la relation, consciemment et inconsciemment ? Je sais répondre à la première, mais pas à la dernière. Et peut-être est-ce là, précisément, que le mystère demeure. Ce mystère non élucidé, cet "irrésolu" qui m'a si longtemps hanté. Et dont je me défais depuis que j'ai accepté de ne pas savoir.







Où va le monde ?



Samedi 28 octobre 2023
[Mis en ligne le 29 octobre]

En quoi ce non-journal est-il représentatif de mon existence ? Que dit-il de ce qu'est ma vie au jour le jour autant que dans le temps long ? Bien peu de choses...

Je viens de parcourir le "Garde mémoire" annuel de l'Association pour l'Autobiographie, dont je suis adhérent depuis plus de vingt ans. Il s'agit d'un recueil d'échos de lecture de textes autobiographiques ou journaux déposés auprès de ladite association à des fins de conservation. Echos de lecture qui consistent à traduire, de façon brève, l'essence des documents déposés : le contenu, la forme, le style. Apparaissent alors des fragments de récits de vie, factuels et/ou intimes, d'une grande diversité. En lisant quelques uns de ces textes et le rapport sensible qui en est rédigé, je ne pouvais m'empêcher de songer à la nature de mes propres écrits, dont je n'ai à ce jour déposé aucun élement.

Je ne tiens plus de journal à proprement parler : mes écrits papier ont cessé lorsque j'ai entrepris d'écrire en ligne. Pendant plusieurs années j'ai écrit quasi-quotidiennement ici [du moins est-ce l'impression que j'en ai, sans vérification]. Ce qui était alors bien un "journal" constituait un élement important de mon existence. Écrire, mettre en ligne (c'est à dire rendre public), générait un "travail" intérieur, que j'assimilais à une démarche auto-analytique en continu. Les circonstances ont fait qu'à un moment de ma vie ce journal auto-analytique s'est doublé d'une demarche de quasi-correspondance, d'abord discrètement réciproque, puis unilatérale mais tolérée, et finalement source de tensions. Cette coexistence devenant de moins en moins tenable, j'ai ouvert un blog, à titre d'essai, afin d'élargir mes réflexions à d'autres horizons. Le blog a fini par prendre une grande place, notamment parce qu'il suscitait des interactions qui m'étaient bénéfiques et semblaient l'être pour une partie des personnes qui me lisaient.

Et puis avec les années, pour diverses raisons qui échappent à ma conscience, l'esprit de cette relation écrivant-lecteurs s'est lentement dissout. Jusqu'à presque disparaître depuis au moins cing ans (le blog a 18 ans). Il en reste quelque chose puisque généralement, lorsqu'il m'arrive encore d'y écrire, quelques fidèles se manifestent. Mais je dois bien reconnaître que ce blog est moribond.

Récapitulons : un journal non-journal en voie d'extinction ; un blog qui semble suivre le même chemin ; aucun autre écrit privé. Est-ce que quelque chose palpite encore, pourrait se demander le/la lecteur·ice ?

Assurément ! Même si je n'en dis rien ici.
Je vis, ressens et pense... sans en écrire un mot.

Pas le moindre commentaire sur l'effroyable "conflit Israelo-Palestinien" qui s'est soudainement ravivé dans un déchaînement de violence et de cruauté le 7 octobre. Qu'en dire ? Pas un mot sur la guerre en Ukraine, dont je suis pourtant au quotidien les évolutions sur mon quotidien de référence. Pas un mot non plus sur d'autres conflits non médiatisés (ce qui, en soi, pourrait donner lieu à commentaires). Rien.

Il m'arrive parfois d'évoquer un autre vaste sujet, pour lequel je me sens davantage inquiet et partie prenante : la course folle de l'humanité vers le précipice des limites planétaires. Le peu d'écho que j'en ai reçu sur mon blog, malgré de nombreuses tentatives à plusieurs années d'écart, m'a dissuadé de persister. Et comme c'est LE sujet qui m'importe le plus, autour duquel j'ai envie de trouver de l'échange... j'ai déserté cet espace inapproprié. J'ai aussi tenté l'expérience d'un autre blog, sur ce thème, mais ne l'ai pas poursuivi, faute de retours, faute d'en avoir diffusé l'adresse hors d'un cercle très restreint. Je me suis alors tourné vers d'autres cercles d'échange à distance, dans lesquels je suis bien plus lecteur-observateur que participant. Je ne me sens pas suffisamment compétent pour m'exprimer sur des sujets complexes et nécessitant de solides connaissances. Je me contente de relayer dans d'autres cercles moins informés, voire très peu informés.

Je lis beaucoup, énormément, l'actualité des dommages panétaires et du refus obstiné des décideurs politiques à s'engager résolument et sans délai dans l'action efficace. À la longue je constate que j'acquiers une meilleure connaissance de la complexité. On me renvoie régulièrement, dans la vie réelle, cette image de celui qui connaît son sujet. Cela m'étonne toujours tant je mesure l'étendue de mon ignorance, mais j'accueille cependant avec plaisir cette reconnaissance de ma (modeste) maîtrise des enjeux. Des collègues élus d'autres communes m'encouragent à prendre la parole publiquement, se pensant moins légitimes que moi pour cela.

Il y a quelques jours, à l'issue d'une réunion publique autour d'un projet routier suscitant la contestation, c'est le président de l'intercommunalité lui-même qui est venu vers moi. Il a tenté de me convaincre du bien-fondé de sa position et de la nécessité de réaliser ce projet, sachant pertinemment que nous n'étions pas du même avis. J'y ai vu une marque de considération... en tant qu'opposant un peu gênant. Ainsi je découvre que mes prises de parole, consignées dans des documents diffusés aux élus décisionnaires, sont prises en considération.

Il se trouve que je suis largement à l'origine d'un regroupement d'élus soucieux d'un changement de trajectoire pour tenir compte des réalités écologiques. Cela m'occupe parfois pas mal de temps et d'énergie. Je n'ai pas l'âme d'un leader et j'ai besoin de recueillir l'assentiment pour prendre la parole au nom d'un groupe. C'est probablement handicapant, cela ralentit la mise en action, mais c'est ma façon d'être. Je n'ai pas en moi l'assurance nécessaire pour me lancer sans être assuré d'être légitime pour cela.

Bizarrement j'ai besoin de sentir un collectif avec moi... alors que j'affectionne aussi ma liberté de parole, ma liberté de penser. Je suis un solitaire qui aime être entouré ;)

Solitaire... je le suis de plus en plus dans ma vie relationnelle privée. Hormis mes enfants et quelques rencontres avec la famille élargie, je n'ai pas d'ami·e·s. Je rencontre "des gens", bien sûr, mais essentiellement dans un cadre "engagé", lorsque je sais qu'il y aura des échanges de fond (ce qui n'empêche pas la convivialité du moment, toujours appréciable). Mais rencontrer "des gens" pour le simple plaisir d'être ensemble, c'est rarissime. Je m'ennuie vite si l'on en reste à des échanges superficiels.

Lorsque je ne suis pas en réunion de travail ou d'information, je passe la plupart de mes soirées "seul face au monde", l'observant en immersion mentale depuis la fenêtre de mon ordinateur. Je ne m'ennuie jamais et le temps passe toujours trop vite. Mes week-end sont souvent de la même veine, en y ajoutant le temps passé à effectuer quelques travaux extérieurs comme couper du bois, me promener, flâner sur mon terrain dont la vastitude m'enchante : j'ai de la place, j'ai du silence, j'ai de la tranquillité. J'y suis bienheureux.

Affectivement ? Excepté mes enfants il n'y a (presque) personne. Celle qui aurait voulu davantage de ma présence, Artémis, semble s'être résolue à ce que je ne réponde définitivement pas à ses attentes. La fréquence de nos rencontres s'en est considérablement espacée, devenant approximativement mensuelle. Corollairement, la proximité physique se limite à quelques brefs contacts asexuels. Je n'ai pu qu'accepter cette adaptation à sa façon de vivre une relation moins proche.

Désormais privé de cette dimension je me suis vaguement demandé si j'avais envie de tenter la moindre démarche d'ouverture ailleurs... et admis que ce n'était pas le cas. Si un jour la vie m'offre de faire une jolie rencontre, il sera toujours temps d'envisager le présent du moment.

Quant à l'absente, son aura fantômatique s'est beaucoup éloignée. Je n'y pense plus vraiment et cela me va bien. Un peu par hasard j'ai réalisé que cette semaine c'était son anniversaire. J'ai hésité sur la date exacte : le 23 ou le 25 ? J'oublie presque les détails sans importance, c'est bon signe.

Au fait : l'automne est enfin arrivé !





Perceptions



Dimanche 29 octobre 2023


J'écoutais, sur France-culture, une émission abordant le sujet des images violentes faisant effraction dans nos vies. Il était questions de celles du Hamas, filmant en direct les atrocités perpétrées. Par chance je n'ai eu à faire face à aucune de ces images. Les brèves descriptions que j'en ai entendu, ou lu, m'ont largement suffi. Je n'ai aucune envie d'être hanté à vie, traumatisé par ce que personne ne devrait jamais voir.

Ces images posent beaucoup de questions, tant à l'égard de ceux qui les filment que de ceux qui les voient, de façon plus ou moins consentie. Comment peut-on filmer - et plus encore accomplir - volontairement l'horreur, la barbarie et la cruauté ? Quelle structure mentale, quelle négation de l'autre, peuvent-elles conduire à cela ? Pourquoi les regarde t-on ? Que ressent-on ? Le débat, fort intéressant, s'est terminé sur l'abolition mentale de la distance et du temps : voir immédiatement ce qui se passe n'importe où sur terre. Cette immédiateté du "ici et maintenant" influe directement sur nos modes de perception. Elle les fausse, les amplifie ou les atténue. De plus il existe une sorte de "communion" dans le partage d'images : nous voyons tous (ou presque) la même chose, les mêmes tragédies, au même moment. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur le traitement médiatique de chaque évènement, qu'il soit sur ou sous-représenté, voire passé sous silence...

Outre cette dimension médiatique et traumatique collective, la question de l'abolition du temps et de l'espace sur nos perceptions m'a vivement intéressée. Elle trouve une résonance avec ce que j'évoquais hier de mes relations : une grande partie de ce qui engage mes affects ou ma réflexion se fait à distance. En d'autres termes, l'équilibre que j'ai trouvé reste dépendant de relations dites "virtuelles". Je me confronte assez peu aux autres pour les sujets qui me tiennent à coeur. Hors du cadre professionnel, je ne me frotte pas vraiment à la différence de point de vue en face à face. Je le fais dans une moindre mesure avec mes fonctions d'élu, mais dans un cadre thématique restreint. Pour le reste, c'est avec quelques proches et parfois avec des "conscientisés" de la cause écologique. Avec d'autres je n'essaie même pas tant nos préoccupations semblent se situer à des années-lumières.

Mais je digresse : ce n'est pas là que je voulais en venir. Non, l'analogie qui m'est venue en tête c'est en songeant à une phrase que m'avait dite - ou écrite - mon amie d'autrefois : « Si nous avions habité à proximité je suis sûre que les choses ne se seraient pas déroulées ainsi ». Dans le sens que nous aurions pu échanger nos points de vue en face à face, plutôt que très imparfaitement à 5900 km de distance, à une époque ou les moyens de communication instantanée se limitaient au téléphone ou au tchat, par clavier interposé, devant une vidéo muette, saccadée et de piètre qualité. Dans ces conditions, impossible de percevoir clairement les réactions. Il manquait les sens et les messages inconscients qu'ils délivrent. Je n'ai pu qu'acquiescer à cette remarque, tristement impuissant, déplorant que ce contexte ait été le nôtre.

D'un autre côté... c'est bien parce qu'il y avait cette distance initialement "protectrice" que j'ai pu me laisser aller à ce fort tentant rapprochement. Je ne suis pas sûr que dans une hypothétique proximité mes barrières morales ne m'en auraient pas empêché.

Je n'aurai jamais de réponse à cela.

Bon... partir des images d'atrocités terroristes pour en arriver aux regrets d'une communication sensorielle défaillante, voilà un grand écart quelque peu maladroit. Il n'empêche qu'il y a bien un point commun : nos perceptions sont perturbées par les outils technologiques qui ont envahi nos vies. Il n'est pas certain que les indéniables avantages que cela permet en termes d'échanges de connaissances compensent les inconvénients induits sur nos consciences, potentiellement très néfastes sur le plan civilisationnel. Car le "vrai" de la réalité semble peu à peu perdre de sa consistance, rendant floues les limites avec l'imaginaire.


*  *  *


Il m'arrive parfois d'écrire quelques phrases ici pour marquer le passage du temps dans des périodes mutiques. Probablement pour signaler (à qui ?) que mon "silence" ne masque pas des écrits retenus temporairement dans l'antichambre de la publication différée. Oui, il m'arrive de ne rien écrire, sans pour autant retenir quoi que ce soit.

J'ai l'impression, actuellement, d'être dans une phase de latence. Avec l'envie de voir se poursuivre ce journal mais sous une autre forme que celle qui, bien trop longtemps, a entretenu une gêne, un malaise, une retenue devenue nécessaire.

Il me faudra peut-être du temps pour laisser revenir d'autres champs de réflexion que celui qui s'est imposé des années durant. Et il est possible que, à l'instar de mes deux précédentes entrées, s'invitent quelques réflexions annexes stimulées par je ne sais quelle résonance émotionnelle ou affective. Je ne veux pas me les interdire (ce serait une autocensure inhibitrice) tout en n'ayant pas l'intention de les laisser se développer. J'aimerais, idéalement, les voir peu à peu s'atténuer et constater un jour qu'elles ont disparu. Au moins dans les frémissements émotionnels que leur évocation pourrait engendrer.

Il n'y a pas eu de ces frémissements dans les entrées récentes et j'ai fait en sorte de ne pas m'y laisser entraîner en dehors de l'écriture. Car le glissement est toujours possible, si je n'y prête pas attention. Je connais ma propension à imaginer l'improbable...





Une valeur inestimable



Samedi 4 novembre 2023
[Mis en ligne le 9 décembre]

La résurgence inattendue d'une ancienne relation de connivence me propulse vers l'exploration du rapport que j'entretiens avec ces rares affinités particulières qu'il m'ait été donné de croiser et côtoyer d'un peu près. J'ai suffisamment vécu pour savoir qu'elles sont aussi rares qu'elles me sont précieuses. Mais aussi qu'elles me portent, me nourrissent, m'enrichissent, me dynamisent et m'élèvent. Sans en avoir conscience au début de ma vie, ce sont de telles relations que j'ai inlassablement "cherché" et attendu. J'ai eu la chance d'en rencontrer quelques unes et je le dois, pour la plupart, à l'avènement d'internet. Je me demande ce qu'aurait été ma vie intérieure si j'avais dû ne me satisfaire que de rencontres contingentes.

Il y a là quelque chose d'un peu vertigineux à me dire que c'est grâce à des moyens numériques que j'ai pu accéder aux échanges approfondis dont j'avais besoin. Echanges par écrit pour la plupart, avec tout ce que cela peut contenir d'interprétations, mais aussi de possibilités qu'offrent la non-présence : disponibilité, temps d'élaboration, mise à l'écart des contingences du réel. Il y a donc là quelque choe de "faux"... qui permet l'émergence d'un "vrai" de circonstances.

Je viens de relire quelques uns des derniers échanges de mail avec S. [voir le billet en lien, ci-dessus] datant de 2009. Je peux dire que, d'une certaine façon, j'avais "oublié" leur teneur. Mais je n'avais pas oublié que S. gardait une place toute particulière dans mes pensées... même si je ne pensais plus à elle. Il aura suffi que son aura soit évoquée sans même la nommer pour qu'instantanément la qualité de notre relation passée me revienne en tête. Une véritable joie m'envahit sans même convoquer les souvenirs. Je restais habité, sans le savoir, par cette présence à laquelle je ne pensais plus.

En lisant ce que je viens d'écrire je fais le rapporochement avec une autre "présence absente" qui, par contre, résiste fort à l'oubli malgré les ans. Mais n'est-ce pas une part de moi qui résiste à cet oubli ? La question mériterait d'être réfléchie un jour...

Pour en rester à S., outre une émouvante et ravissante photo d'elle et moi opportunément revenue à la surface il y a quelques semaines, la relecture de nos derniers échanges a ravivé mes souvenirs. En quelques phrases j'ai replongé dans la relation épistolaire que nous avions entretenue au gré des écrits publics de l'un ou de l'autre. Si je n'avais pas oublié "l'atmosphère" de notre confiance réciproque, générant des confidences d'une touchante sincérité, je n'en avais plus la saveur précise. Un peu comme une odeur ravive instantanément le passé.

S. et moi nous faisions confiance et partagions une certaine exigence en matière de relations (quaité des échanges, confiance, loyauté...). Je crois que nous avions une forte affinité, bien que, autant que je me souvienne, nous n'avons jamais évoqué un souhait de rapprochement plus poussé. Ce que nous partagions nous nourrissait suffisamment. Et puis nos coeurs endoloris ne cherchaient probablement pas à se soumettre à de nouvelles épreuves. Bref : j'appréciais beaucoup S. mais ni l'un ni l'autre n'était dans une relation de séduction. Notre relation était sensible et intellectuelle, mais non sentimentale. Je crois pouvoir dire que S. était une amie...

Nous nous sommes pourtant perdus de vue (ou de clavier). Comme tant d'autres. Je viens de compter les correspondantes pour lesquelles j'avais créé un dossier de rangement de correspondances : il y en a 49, auxquelles s'ajoutent seulement 5 hommes. Sur ces 54 correspondances classées, seulement une est encore active. Et encore : selon une fréquence très espacée et irrégulière. D'où ma nostalgie, parfois, du bienfaisant « Temps des correspondances » qui ne cesse de s'éloigner dans le passé.

D'un autre côté je ne fais pas grand chose pour faire durer, ou même raviver, une correspondance ou une relation qui s'étiole. Je considère que l'envie de correspondre est le seul moteur qui vaille. Et il se peut qu'à la longue l'un ou l'autre ne trouve plus suffisamment de quoi nourrir cette envie. Ou a laissé passer trop de temps pour oser y revenir. La relation s'estompe alors peu à peu, jusqu'à se fondre dans le paysage indisctinct du passé. C'est à dire que l'on ne pense plus activement à l'autre, même si la seule évocation de son nom, ou la redécouverte d'un texte, d'une photo, d'un lieu, ravivent instantanément les souvenirs.

J'aime savoir que ces souvenirs sont là, en moi, réactivables par hasard ou par envie. Ils font partie de mon trésor personnel, incessible et inviolable. Inestimable, il n'a de valeur que pour qui lui en accorde.






Lu



Lundi 20 novembre 2023
[Mis en ligne le 9 décembre]

Hasards et coïncidences, alors que mon texte précédent était resté dans l'antichanbre qui sépare l'écriture de sa publication, une seconde "relation d'avant" s'est manifestée en m'écrivant directement, après neuf ans de silence réciproque. Non parce qu'il y aurait eu la moindre brouille, lassitude ou usure, mais parce que, comme j'en décrivais plus haut le mécanisme, la correspondance s'était simplement mise en sommeil.

C'est avec grand plaisir que j'ai reçu la longue missive de SolAnge [je crois que c'est le nom que j'avais adopté pour elle dans mes écrits], à laquelle j'ai répondu tout aussi longuement. Des deux côtés nous nous sommes livrés à un état des lieux de nos vies, mettant à jour les évolutions... et les stabilités [de mon côté, surtout]. Sans surprise, la tonalité de l'échange était dans la confiance, comme si le temps écoulé n'avait marqué aucune distance.

Incidemment SolAnge m'a indiqué avoir lu ce journal... qui n'est donc pas aussi désert que j'avais fini par le penser. Dans le même mouvement une autre lectrice s'est manifestée sur mon blog en m'indiquant qu'elle aussi m'avait lu ici. Oups... deux regards coup sur coup ! Moi qui, il y a quelques jours encore, envisageais de clore ce pseudo-journal au contenu outrepassé !






En ai-je encore envie ?




Dimanche 3 décembre 2023
[Mis en ligne le 9 décembre]

Avec mon ex-épouse, Charlotte, je vis une non-relation apaisée. Nous ne nous cotoyons que rarement seul à seul, la plupart du temps pour des raisons "fonctionnelles", pour ne pas dire utilitaires. Dans ces moments nous discutons un peu : enfants, vacances, profession. Seulement des sujets qui nous permettent de respecter une distance de bon aloi, sans s'approcher ce qui fait la vie personnelle de chacun. Une seule fois, l'an dernier, nous avons eu une longue discussion qui avait permis de poser encore quelques éléments implicants.

Ce matin Charlotte m'envoie un sms me demandant si elle peut passer récupérer les albums photo familiaux "d'avant", que nous gardons alternativement. Je lui réponds qu'elle peut passer quand elle veut.

Quant elle sonne et que je lui ouvre la porte nous échangeons dans la tonalité habituelle. Une bise, quelques mots. Elle m'indique qu'elle ne restera que quelques minutes. Je propose d'aller lui chercher les albums à l'étage et, dès que j'y suis, elle me demande :

 - Je peux monter ?

 - Si tu n'as pas peur du bordel, tu peux.

L'étage est cette partie de la maison, hors de la vue des visiteurs, dans laquelle je ne me soucie pas de leur regard. Le rangement y est très relatif, de même que le ménage, ce qui offre un habitat qui plaît beaucoup aux araignées. Charlotte ne me fait aucune remarque à ce sujet.

Je retire un a un les albums de l'étagère, feuilletant devant elle quelques pages pour vérifier qu'il s'agit bien de ce qu'elle cherche. Vingt-cinq ans de vie commune, qui commencent avec les photos de notre mariage, sont conservés dans ces lourds albums.

Un des albums contient les photos de la construction de notre maison, il y a 28 ans.

 - Tu te rends compte, nous n'avions que 34 ans ? lui dis-je, amusé. Nous avions l'âge de R. ! [notre dernier fils]

 - Nous n'aurions pas dû nous lancer dans un tel projet, me dit-elle. C'était trop ambitieux. Tu créais ton activité en même temps, c'était trop de stress. Tu étais complètement déprimé.

 - Euh...

 - Je ne me suis pas écoutée. Je t'ai fait confiance parce que tu avais fait des études dans le bâtiment, mais moi j'avais peur. Regarde R. (qui vient de créer son activité) : il s'est fait aider pour établir son projet. Et notre fille aussi, il y a quelques années.

 - Mais... moi aussi je m'étais fait aider. J'avais même eu un accompagnement spécifique en tant que jeune agriculteur, j'avais suivi des formations... Mon projet était viable. Je ne me suis pas lancé sans réfléchir.

 - C'était trop lourd pour toi, tu étais épuisé, déprimé.

 - Euh... je n'ai pas du tout le même souvenir que toi de cette époque. Pour moi notre projet a été une réussite. Déjà, il y a une quinzaine d'années, tu m'as dit que tu t'étais sacrifiée en venant habiter à l'écart d'un village pour que je réalise mes rêves, et maintenant tu m'apprends que tu l'a fait aussi pour cette maison ? Je l'ignorais.

 - Je ne me suis pas écoutée. Je t'ai protégé.

Paf, comme ça, en 2 minutes, Charlotte m'annonce que ce que j'avais toujours pensé être un projet commun (faire construire une maison qui nous ressemble, selon des principes écologiques, en tenant compte de notre budget serré) ne correspondait pas à ce dont elle se sentait capable ! Elle aurait préféré une maison plus simple, standard, plus petite, moins onéreuse. Et surtout totalement achevée alors que, pour des questions de budget, j'avais pris en charge une partie importante des travaux restant à faire. Nous avions emménagé dans une maison habitable seulement dans sa partie basse (quoique sans cuisine), tout l'étage étant à terminer par mes soins. Nous avions travaillé fort quelques semaines durant, parfois aidés par la famille, pour avoir un minimum d'habitabilité. Certes, au debut cela ressemblait à du camping, entre plaques de plâtre et rouleaux de laine de verre. C'était un peu folklorique. J'avais bien senti qu'il ne fallait pas que ça dure trop mais je ne pensais pas que cette situation pesait autant pour Charlotte. Je croyais que nous étions d'accord pour accepter cet inconfort durant quelque temps... Le "quelque" étant une notion évidemment assez élastique et pas nécessairement équivalente pour chacun.

Apprendre vingt-huit ans et un divorce plus tard que Charlotte regrettait de m'avoir suivi, je trouve le choc un peu rude.

 - Je ne savais pas que tu avais vécu la situation ainsi, lui dis-je un peu abasourdi.

 - Tu devais bien t'en douter.

 - Et bien non, vraiment, je ne l'ai pas senti.

 - Je sais bien cacher les choses.

 - Ben.... si c'était caché, comment aurais-je pu savoir ?

Et Charlotte de me dire qu'avec moi ça n'allait pas. Qu'elle aurait aimé une autre vie. Faire davantage de randonnées, voir davantage de gens, partir plus souvent en vacances. Elle étale devant moi ses frustrations d'autrefois, comme si je n'avais rien vu, rien compris. Alors que je ne peux plus rien y changer...

Je lui rappelle que de mon côté j'avais aussi fait des concessions importantes, m'efforçant de répondre à ses demandes, jusqu'à flirter avec les limites de ce qui m'était supportable. Et que c'était la normalité des couples que d'y consentir, dans une adaptation mutuelle.

Chacune de ces phrases qu'elle me lance à la va-vite nécessiterait de prendre le temps d'un échange posé, d'une écoute réciproque de tout ce passé désaccordé. Là nous sommes avec ces albums, côte à côté, sans espace pour les échanges de regard.

Un peu plus tard, alors que nous sommes de nouveau près de l'entrée, elle m'indique un cadre qui orne l'escalier.

 - J'aimerais bien récupérer ce cadre. C'était un cadeau pour mes 25 ans.

 - Pas de problème, je le décroche. [j'ai choisi de longue date de n'opposer aucune résistance qui puisse être considérée comme illégitime]

 - Tu as du papier journal, pour l'emballer ?

 - Tiens. Et voilà du scotch  [je l'aide à emballer son cadre].

 - Cette horloge aussi était à moi, un cadeau de mes parents. Mais je te la laisse, elle va bien ici.

 - Si tu veux tu peux la prendre. [n'opposer aucune résistance... ]

 - Non, c'est bon. Je dois y aller...

Je fais bonne figure mais je sens descendre en moi une ombre obscurcissant mon âme. Alors qu'avant l'arrivée de Charlotte tout allait bien, il a suffi qu'elle m'évoque ces "sacrifices" pour que je me sente gagné par une sombre tristesse. Quelque chose de lourd, perturbant, m'envahit. J'ai envie de dire « attends, on se pose et on en parle ». En même temps j'ai hâte qu'elle parte et emporte avec elle ces récriminations anachroniques.

L'esprit confus, perturbé, pris au dépourvu, je sens agir le poison qu'elle laisse en moi sans même s'en rendre compte. Je ne veux pas rester ainsi. Je dois lui parler.

 - Tu sais... je suis partagé par rapport à ce que tu m'as dit tout à l'heure. D'un côté j'ai envie de te dire que tu fais bien de t'écouter. De l'autre il m'est difficile d'apprendre que tu regrettes tes choix d'autrefois. Je te remercie cependant de me dire les choses ainsi car, d'une certaine façon, cela m'éclaire. J'en viens à me demander ce qui se serait passé si tu avais manifesté ton refus se suivre mes aspirations. Comment aurions-nous pu trouver un terrain d'entente ?

 - Nous nous serions peut-être séparés...

 - Peut-être... Tu mets là en évidence certaines incompatibiltés entre nous.

 - Nous n'étions pas faits l'un pour l'autre.

 - Ben... à cette époque, là où on en était, peut-être que si.

 - Faut pas que ça te fasse de la peine.


 - C'est pas de la peine que je ressens. C'est plutôt de la tristesse d'apprendre que tu as vécu les choses ainsi.

Ce que je ne lui dis pas, mais pense, c'est que j'ai la sensation d'avoir été trompé. J'avais confiance en elle, autrefois, et j'apprends, bien plus tard, qu'elle ne me disait pas ce qu'elle ressentait. Il y a dans les remarques qu'elle me fait aujourd'hui quelque chose d'injuste. Elle me précise qu'elle ne me fait pas de reproches et, de mon côté, je ne me sens pas coupable mais... c'est comme si j'avais été privé d'éléments de choix.

Encore abasourdi je ne saisis pas encore bien ce qu'implique ce changement de paradigme. Charlotte ne semble pas se rendre compte de l'impact que ses révélations ont sur moi. Elle a des choses à me dire et c'est aujourd'hui que ça sort. Comme ça, un peu maladroitement, entre deux portes.

Elle continue sur sa lancée, dans un autre registre.

 - Toi tu es un artiste. Tu as des mains en or.

 - Ah ? Mais tu sais, je ne dessine plus, je ne bricole plus.

 - Tu as des mains en or, tu ne t'en rends pas compte. Tu sais tout faire.


Quelques instants plus tard elle me dit qu'elle a compris beaucoup de choses durant un atelier d'écriture, auquel elle a participé il y a plusieurs années.

 - Je pensais ne pas savoir écrire mais c'est faux. J'aime écrire.

Je perçois une forme de défi, ou de fierté. Les deux, peut-être. Depuis toujours elle sait que j'écris. Parfois elle m'a reproché d'y passer trop de temps. D'autres fois elle semblait m'envier cette capacité.

J'ai du mal à suivre sa pensée. J'ai l'impression qu'elle cherche, sans même s'en rendre compte, à me faire comprendre qu'elle s'est émancipée de moi. Je la sens fière de s'être "trouvée". Peut-être a t'elle eu besoin de me le signifier ?

Tandis que j'essaie de rassembler ces sensations éparses, elle continue sur sa lancée, remet son manteau et s'apprête à partir. Comme elle est chargée et qu'elle a laissé sa voiture en bas du chemin, à cause de la neige, je prends les deux sacs les plus lourds. Sur le chemin enneigé nous marchons côte à côte, lestés de nos sacs, dans l'air sec et frais de ce matin ensoleillé.

 - Personne ne m'a parlé avec autant de douceur que toi.

 - Merci de me le dire.

Mais pourquoi me dit-elle cela ? Bien sûr il m'est agréable de l'entendre, mais pourquoi maintenant ? Pourquoi si tard ? Pourquoi après tout le reste ? La situation n'est pas favorable pour que je lui demande tout ça : Charlotte est en partance.

En arrivant à sa voiture je la félicite pour ce cheminement dont elle témoigne et la remercie de m'en avoir fait part. À ce moment-là ma pensée est orientée vers elle. Je pose brièvement ma main sur son bras, dans un geste affectueux d'encouragement. Pendant une fraction de seconde j'ai envie de la serrer dans mes bras, parce que je suis heureux pour elle, de la sentir être en accord avec elle-même. Je n'en montre rien : elle pourrait se méprendre sur mes intentions. En même temps je suis troublé par tout ce qu'elle m'a déclaré dans un laps de temps qui n'a représenté que dix, peut-être quinze minutes.

Dès qu'elle elle est partie je sens tout le mal-être qu'elle a laissé en moi prendre place. Je me sens alourdi par quelque chose de sombre, que je n'ai pas vu venir. Un mélange de satisfaction (pour elle), de tristesse... et sans doute de colère. Car Charlotte est arrivée, à posé son paquet de choses à me dire... et m'a laissé me débrouiller avec.

Je suppose qu'elle s'est sentie plus légère. Elle était souriante.

Et moi je me suis demandé si j'avais encore envie d'être celui qui a toujours été prêt à l'écouter.





Presque rien



Lundi 4 décembre 2023
[Mis en ligne le 9 décembre]

Ai-je encore envie d'être celui qui écoute sans être écouté en retour ? Oui, bien sûr, tant que je ne suis pas partie prenante de ce qui m'est confié. J'écoute volontiers, et avec gratitude, ce qui est partagé dans un registre sensible. Je peux écouter et n'être que l'oreille attentive qui permet à l'être-parlant d'avoir cette présence d'un autre que soi, dont je sais toute l'importance pour trouver, précisément, ce qui est en soi et que l'on ne saurait percevoir aussi bien sans altérité.

Mais être celui à qui l'on confie ses propres difficultés à faire avec mon être-différent, sans laisser toute la place et le temps que nécessite la libre expression réciproque, non, je n'en veux plus. Il y a d'autres oreilles pour cela, gracieusement amicales ou professionnellement rétribuées.

Je ne sais pas encore ce que je ferai de ce que m'a imposé Charlotte hier. Soit le digérer lentement, en gardant cette impression ambivalente (gratitude/tristesse/colère), soit lui écrire pour lui signifier le mal qu'elle m'a fait. Lui parler, je ne l'envisage pas vraiment : je sais qu'elle me perçoit comme étant trop à l'aise avec les mots face à elle [ce qui n'est plus le cas, par prudence]. Elle craindrait de se faire manipuler.

Je me demande, après toutes ces années, si Charlotte ne m'a pas craint. Ne m'a pas placé sur un piédestal. Je me souviens de ce « Je ne t'admire plus », dont le sens était celui-ci : tu ne m'impressionnes plus [une affirmation dont je doute aujourd'hui].

Si j'ai mis en italiques l'expression « le mal qu'elle m'a fait » c'est parce que cette formulation, qui m'est venue hier tandis que je tentais de retrouver mon équilibre après le sale moment que ses confidences m'ont infligé, c'est parce que j'ai immédiatement perçu une résonance avec cette formulation très semblable, écrite par une autre à mon égard : « tu ne te rends pas compte du mal que tu m'as fait ».


Lorsque j'ai lu cette phrase, il y a une dizaine d'années, elle a eu l'effet d'une onde de choc. Comme le souffle d'une explosion, elle m'a arrêté le coeur. Non, je ne me rendais pas compte. Je suis tombé des nues, totalement stupéfait, désemparé, désarmé. Ainsi, tout occupé que j'étais à tenter de soigner ma propre douleur, j'avais « fait du mal » en exprimant mon besoin de clarté ? Le choc avait été rude, et salutaire, m'obligeant à une remise en question immédiate du bien fondé de mes besoins.

Cette phrase, mentalement accolée aux mots d'une autre amie exprimant l'envie d'être « heureuse » et que je la « laisse partir » a bouleversé ma représentation de la situation et des positions de chacun. Ainsi il n'y avait pas que moi qui étais en souffrance de devoir supporter le silence, il y avait aussi ma comparse de n'être pas entendue dans son besoin de silence.

J'ai patiemment analysé, puis compris, et enfin accepté de longue date cette opposition fondamentale entre deux besoins pouvant apparaître autour de situations mettant chacun en difficulté. Et voilà que Charlotte, en venant m'imposer ses paroles sans se préoccuper de la façon dont elles m'affectent, me place dans la situation inverse. Non pas que je refuserais le dialogue, bien au contraire, mais parce que je n'envisage celui-ci que dans des conditions de respect, de bienveillance et d'écoute réciproques.

Conditions que, dans l'inénarrable aventure transatlantique qui sous-tend mes écrits, j'avais clairement posées lorsque l'abrogation de 6 mois d'un silence imposé m'avait été proposée. Conditions qui m'avaient été réfusées... précisément parce que mettre des conditions compromettrait la reprise du dialogue. Le silence avait donc été maintenu, à mon plus grand désarroi, induisant une tristesse accrue d'être passé si près de ce que j'espérais, doublé d'une colère d'être ainsi balloté au gré d'envies fluctuantes.


Pourquoi les deux histoires se téléscopent-elles aujourd'hui ? Qu'est-ce qui fait que mon esprit établisse un lien entre deux situations inverses ? Il ne s'agit assurément pas d'un hasard.

Je crois voir le lien : la crainte, liée à une surestimation de l'autre. Si cet autre est perçu, à tort ou à raison, comme "maître du jeu", alors l'autodévalorisation de soi induit une forme de soumission. Charlotte dit tardivement s'être fait passer après moi ("oubliée") afin de me « protéger ». Mais me protéger de quoi ? Il faudrait que je lui demande...

D'un autre côté, dès l'origine, elle m'avait choisi parce qu'elle me percevait comme quelqu'un de sérieux, de fiable, qui ne la laisserait pas tomber. Elle avait besoin de sentir cette solidité... sans doute perçue comme protectrice à son égard. Ainsi, en me protégeant... n'était-ce pas elle aussi qu'elle protégeait, en se garantissant ma stabilité ?

Si aujourd'hui, quatorze ans après le divorce, dix-neuf ans après la séparation, elle me dit que constater nos différence aurait pu aboutir à une séparation bien plus tôt, n'est-ce pas de cela dont elle a voulu se prémunir en se "sacrifiant" ? Ou, plutôt que se sacrifier, en se soumettant à mes besoins... mais sans me le dire ?

Hier, tandis que Charlotte disait qu'elle ne s'était « pas écoutée » et le regrettait, j'ai glissé que moi je m'étais écouté [et j'en suis fier]. En m'écoutant j'ai suivi mes aspirations qui, étant inacceptables pour Charlotte, l'ont conduite à s'écouter à son tour. Elle a eu beau tenter d'accepter mon exploration des relations plurielles et du polyamour, est venu un moment où ce n'était plus acceptable pour elle. Là elle a changé. Elle s'est affranchie. Et elle a commencé à me repousser, à trancher le lien. Il y a eu des périodes de va et vient mais c'est bien la rupture qui, finalement s'est installée. Avec, pour elle, un sentiment de liberté, probablement, mais aussi de... rancune. Je crois qu'elle m'en a voulu d'être acculée à l'émancipation. De devoir se séparer de son imparfait protecteur, qu'elle avait jusque-là protégé non sans y trouver quelque avantage.

Ce n'est qu'une hypothèse mais je crois qu'elle tient la route.


* * *


Hier, par téléphone, j'ai évoqué cette situation toute fraîche avec mon amie SolAnge. Après m'avoir attentivement écouté, et connaissant bien le déroulé de ma vie amoureuse, elle m'a suggéré que Charlotte cherchait peut-être à me faire souffrir en venant titiller mes sensibilités. J'ai d'abord répondu que si elle le faisait, c'était sans s'en rendre compte. Pas volontairement. En y réfléchissant davantage je me suis souvenu que, tout au long de notre vie de couple, Charlotte avait parfois eu à mon égard des propos piquants, blessants. J'en étais fort affecté, parfois durablement. Il m'est arrivé de dire à Charlotte qu'elle était "méchante". Un vocabulaire qui pourrait paraître enfantin mais qui indique bien aussi une certaine réalité : faire mal. Si ce n'est volontairement, du moins pas totalement inconsciemment. Comme si elle voulait me mettre à l'épreuve, atteindre ma sensibilité, me mettre à terre.

Et ça marchait bien : je me souviens d'avoir été profondément affecté par des remarques perfides, tout au long de notre vie de couple. Il pouvait me falloir des semaines pour retrouver une joie de vivre après avoir senti malmenée la confiance que je croyais exister entre nous. J'étais tellement affecté que je ne savais plus comment rétablir le lien de confiance. D'une certaine façon Charlotte refusait le dialogue et, m'ayant rendu muet dans ce registre en portant atteinte à la confiance, devenait maître du jeu. Ce n'est que plusieurs jours plus tard qu'elle revenait vers moi, restaurant le dialogue, rétablissant la confiance rompue.

Sans son regard "admiratif" (c'est à dire croyant en mes capacités), je perdais toute consistance. Je me souviens de l'époque où je lui disais « sans toi, je ne suis rien ». Terrible aveu de faiblesse et de dépendance. De son côté je crois que j'étais son phare, son repère. Situation de co-dépendance éminemment fragile, en somme.

Et puis je me suis émancipé, j'ai ouvert mes ailes, j'ai découvert d'autres sources auprès desquelles assouvir ma soif d'échange et de découvertes. Au début elle s'en est réjouie, ensuite elle s'en est inquiétée.

Le côté "déprimé" dont me parlait Charlotte hier, à mes yeux, reste attaché à ces périodes de tristesse et de doute existentiel consécutif à l'impossible communication. Ce « je ne suis rien » qui me renvoyait vers une adolescence d'insignifiance. Sans la confiance qui permet l'échange des ressentis, je renouais avec un sentiment d'insignifiance. De son côté Charlotte reprenait l'ascendant, étant moins à l'aise que moi avec le maniement des mots et le décortiquage des enchaînements de situation.

Je l'ai écrit il y a longtemps : notre relation, toute enrichissante et nourricière qu'elle soit, consommait beaucoup de notre énergie. Pour nous entendre, nous devions beaucoup parler, beaucoup nous écouter, beaucoup nous adapter l'un à l'autre.

La satisfaction que je trouve dans mon existence actuelle, depuis que je vis en célibataire, découle directement de la tranquillité que la situation m'offre.

Et quand je vois les tourments dans lesquels je peux replonger en ayant côtoyé mon ex-épouse durant seulement 15 minutes, je ne suis absolument pas tenté de rompre avec ma tranquillité existentielle. J'aime beaucoup les discussions et bons moments passés avec les quelques femmes que j'apprécie et avec qui je sens une compatibilité partielle, mais n'ai aucune envie de me retrouver entraîné dans des complications relationnelles. Ni co-dependance, ni soumission vengeresse dans un sens ou dans l'autre.

Cette perception prudente des relations est probablement faussée par des expériences trop contrastées, trop ambivalentes, trop éprouvantes, trop je-ne-sais-quoi mais insuffisamment respectueuses. Insuffisamment aimantes.

Peut-être n'ai-je pas rencontré les bonnes personnes ? Non, cette expression n'a aucun sens. Alors peut-être n'étais-je tout simplement pas prêt ? Pas assez confiant dans mes ressentis ? Pas assez sûr de moi, ou de mes besoins ?


* * *



Tandis que j'écrivais ce qui précède, j'ai reçu un texto de Charlotte. En 10 lignes, elle « regrette » ce qu'elle m'a dit hier. « Ça ne sert à rien de brasser le passé. Le présent est là et autrement ainsi que l'avenir et je te souhaite que les deux soient beaux », m'a t-elle écrit.

Je l'ai remerciée pour ce message attentionné (qui restaure une amorce de dialogue) tout en lui disant que pour moi, selon ce que j'en sais, tant le présent que l'avenir ne peuvent s'affranchir d'un passé insuffisamment éclairci. Je ne lui ai pas caché que j'avais été chamboulé par son passage éclair, qui n'offrait pas les conditions de dialogue que ses révélations auraient pu induire. Je l'ai informée qu'un courriel suivrait peut-être, après avoir laissé un peu décanter, si je l'estimais nécessaire. Il m'a fallu pas moins de 50 lignes pour évoquer à la fois ma tristesse et mes encouragements à son égard. C'est probablement le plus long texto que j'aie jamais rédigé !

En y réfléchissant un peu, je me dis une fois de plus que c'est l'alliance/confrontation des sensibilites personnelles et de la capacité à les mettre en mot qui conditionne la qualité des relations. Il suffit de peu de choses pour créer une connivence et de peu de choses pour voir exploser en vol un pacte de confiance, induire des réactions défensives-passives ou défensives-agressives. Tant de sensibilités blessées par quelques mots, par une tonalité, par des presque-rien perçus intuitivement !






Une relation désaffectée


Mardi 5 décembre 2023
[Mis en ligne le 9 décembre]

Depuis un mois j'étais totalement sorti des préoccupations affectivo-relationnelles. J'avais réinvesti le champ du militantisme écologique et m'étais attelé à assurer les fonctions associatives dont j'ai la charge. Est-ce d'avoir l'esprit "libéré" de cogitations qui l'a permis ? Est-ce, au contraire, le manque de temps disponible qui m'a extrait de l'égocentrage ? Je ne saurais le dire.

Ce que je sais, c'est qu'il n'aura suffi que de quelques minutes de présence de Charlotte, et surtout les mots dont elle sera venu se décharger chez moi, pour que je replonge dans des tourments. Sans le vouloir, elle a réveillé en moi ce que, tant bien que mal, j'avais réussi à mettre à distance.

Je ne lui en veux pas et cependant je suis en colère. Il ne s'agit absolument pas une colère violente, car cela reste très pacifique, mais je sens que cela touche quelque chose de profond dans le registre du sentiment d'injustice et de la blessure. Je ne ressens pas la moindre agressivité à son égard, mais plutôt un repli triste. D'un côté je crois important d'accorder de l'attention à ce que je ressens, de l'autre je ne veux pas me laisser aller à une réaction qui pourrait l'affecter en retour.

Je pense que si elle est venue se décharger ainsi c'est qu'elle en ressentait le besoin. Celui de le dire à l'ancien compagnon pour lequel elle se serait sacrifiée, et qu'il l'entende [et que cela lui fasse mal ?]. Malheureusement, elle semble avoir négligé que je pourrais avoir quelque chose à répondre. C'est comme si elle n'avait pas pris en considération le fait que je puisse avoir vécu les choses autrement. Là j'étais seulement « celui à qui elle a des choses à dire », sans qu'aucun espace de dialogue ne soit envisagé. C'est étonnant. J'ai eu l'impression qu'elle ne voulait pas me laisser a parole. Comme si elle en avait peur. Comme si elle avait peur de moi, de mes mots !

En fait il n'y avait aucune place pour l'expression de mon intériorité, ma subjectivité, ma sensibilité. Elle semble avoir oublié (ou ne sait pas ?) que je suis sensible à tout ce qui vient d'elle, en tant que personne à qui j'ai un jour [et pour toujours ?] accordé ma confiance.

Je suis moi-même surpris de ma réaction sensible, tant je me suis éloigné (par autoprotection) des interactions avec Charlotte. Sans trop réfléchir, si on m'avait posé la question, j'aurais [presque] pu dire que j'étais devenu indifférent. Erreur manifeste : je ne le suis pas et ne le serai peut-être jamais. Je me suis seulement adapté à la distance qu'elle a installé entre nous. J'ai désactivé la part affective de la relation. C'est une relation désaffectée.

S'il y a bien eu une distanciation irréversible, par nécessité, il subsiste pourtant quelque chose que je ne saurais qualifier simplement. Un lien à la fois solide et sensible. Trop sensible, peut-être. C'est pourquoi Charlotte peut encore me faire mal. Et réciproquement, peut-être, bien que la posture que j'ai adoptée (n'opposer aucune résistance) me semble peu propice à causer de la souffrance. Lors d'une longue conversation, il y a environ un an, Charlotte m'avait laissé entendre que la distance que je maintenais avec elle était plus grande qu'elle l'aurait souhaitée. Quelque peu rassuré j'avais dit que sa réaction pouvait m'inciter à m'ouvrir davantage...

Force est de constater qu'à part me sentir moins sur mes gardes, je n'ai pas manifesté de rapprochement. Ma confiance reste blessée, vigilante, et me laisser réapprivoiser [si toutefois cela est possible] demandera du temps... et des preuves.

Nous n'en sommes pas là et le déballage inopiné et maladroit de Charlotte me montre que la prudence reste nécessaire.


Cette mésaventure contemporaine a, inévitablement, fait écho avec une autre relation ; une autre personne à qui j'ai autrefois accordé ma confiance. Pour le moment je laisse cela dans le grenier de mes pensées, dans l'ombre, dissimulé sous des couvertures.


* * *


Ce matin, au radio-réveil, deux personnes racontent leur histoire. Abandonnées à la naissance, sans aucun élément d'identification. L'absence d'origine connue les conduit à une recherche perpétuelle : d'où viens-je ? Pourquoi ai-je été abandonné ?  À quel scénario m'accrocher, parmi tous les imaginables, pour expliquer les raisons de cet abandon ?

Cela a fait écho en moi, par analogie, avec un abandon insuffisamment expliqué.







Le mal que l'on se fait




Samedi 9 décembre 2023


J'ai un peu triché avec le texte précédent : resté inachevé depuis mardi, je ne l'ai finalisé que ce matin. Avec quelques jours de recul j'ai pu mieux préciser ma perception intuitive. Cette impression de n'avoir pas eu de place, face à Charlotte, pour exprimer ce que je ressentais. Et une idée s'est infiltrée : aurait-elle encore peur de moi ?

J'écris "encore" parce que je sais vaguement cette crainte. Je crois qu'elle m'en avait parlé autrefois, avant ou pendant la séparation. Elle l'avait affirmée ensuite plus clairement, plusieurs mois après la séparation, le jour où, alors que je réitérais ma proposition que l'on prenne le temps de discuter, elle avait refusé d'y donner suite. Cet instant très marquant, dont la scène reste marquée au fer rouge dans ma mémoire, a consacré la rupture de confiance. J'en ai été très profondément affecté et, à compter de ce jour, ai totalement cessé toute initiative dans sa direction.

Le problème c'est que cette distance qu'elle a voulu marquer, que j'ai à mon tour bien mémorisée [genre violent coup sur le museau], m'a rendu extrêmement prudent. Davantage que prudent : méfiant.

Je ne pense pas que Charlotte se soit rendue compte du mal qu'elle m'a fait ce jour-là. Quoique... n'ai-je pas perçu dans son regard une forme de défi ? De plaisir ambigü à me voir me rétracter instantanément ? De jouissance ?

J'hésite sur les mots que je dépose en cet instant. Sont-ils justes ?

Dans son enfance Charlotte a grandi dans un milieu qui pouvait être très toxique, avec une mère atteinte de pathologie psychiatrique. Une mère qui pouvait être violente physiquement, particulièrement instable, dénigrante, et même "méchante" [volonté de faire mal]. Toute la fratrie en aura été affectée et les séquelles resteront définitives. Dans un milieu ou la violence et la méchanceté sont "normales", il a pu être difficile pour ces enfants de discerner la bonne voie entre la normalité extérieure et l'anormalité relationnelle qu'ils avaient toujours vécue.

Nous avions une trentaine d'années quand j'ai suggéré à Charlotte de se faire aider psychologiquement, étant parvenu au bout de ce que je pouvais lui offrir sans me mettre moi-même en difficulté. De toute sa fratrie-sororie, je crois que c'est Charlotte qui s'en est le mieux "sortie". Mais pas complètement. Tout au long de notre vie de couple il y a eu des moments où je perdais pied face aux réactions de Charlotte, lâchant soudainement, dans des situations de mal-être, des reproches aigus sur ma façon d'être. Dans ces moments-là elle réactivait mes propres blessures d'enfance, me renvoyant à la sensation d'être nul, de n'avoir rien compris, d'être asocial...

Notre vie de couple a pu être rude, demandant régulièrement des temps de dialogue... souvent complexes à maintenir. Je me souviens avoir perçu ce que je qualifiais "d'énergie négative", faute de savoir comment nommer autrement. Je me souviens de cette sensation d'être face à quelqu'un qui cherchait, plus ou moins consciemment, à me faire mal. Il pouvait y avoir de la méchanceté dans ses paroles et une sorte, oui, de "jouissance" à me voir flancher devant ses coups. Elle prenait l'ascendant. Elle me dominait, à coup de piques, rendant muet celui qu'elle ne parvenait pas à contrer par la parole.

Ce que je décris là correspond aux pires situations, heureusement suffisamment rares pour laisser place à de larges périodes de connivence et de bien-être ensemble. Notre vie de couple n'a pas été une longue suite de tensions et de souffrance ! Il y avait cependant, ponctuellement, ces "moments noirs", extrêmement préjudiciables au maintien de la confiance. J'y avais forcément ma part, étant moi aussi porteur de séquelles affectives antérieures à notre rencontre. Je ne veux nullement accabler Charlotte et me poser en victime ! J'étais partie prenante et ma façon d'être interagissait nécessairement avec la sienne.

Aujourd'hui, nourris et formés par nos vécus respectifs, en commun puis désormais séparés, nous avons pu retrouver un "vrai soi" indépendamment l'un de l'autre. Nous ne sommes plus les mêmes et avons trouvé notre équilibre chacun de notre côté. Charlotte vit en couple depuis une douzaine d'années avec le même homme, elle voyage davantage, comme elle le souhaitait, se réjouit de son rôle de grand-mère. Je vis seul depuis qu'elle est partie, sans aucune envie de partager ma vie quotidienne. J'aime ma tranquillité, en laquelle je me ressource. Je suis un grand-père peu investi dans ce rôle.

Hormis trois enfants, autant de petits-enfants et un passé commun, nous n'avons plus de lien affinitaire. Si je rencontrais Charlotte pour la première fois, aujourd'hui, je crois qu'elle me paraîtrait être une personne... sans originalité. Je ne serais pas attiré par elle. Ni intellectuellement, ni physiquement. En somme, je n'ai rien à regretter : notre séparation était dans la logique des choses.

Alors pour quelle raison suis-je encore affecté quand elle me dit qu'elle regrette ses choix d'autrefois ? Quand elle me dit qu'elle ne s'est pas écoutée ? Qu'elle m'a protégé ?

Je crois que c'est parce qu'il y a là les signes d'une tromperie. J'avais confiance en "nous" et je pensais que c'était réciproque. Or Charlotte, à plusieurs reprises, m'a montré que ce n'était pas toujours le cas. Elle m'a dissimulé ses pensées. Pour « me protéger », dit-elle aujourd'hui, pour « ne pas me perdre » m'a t'elle dit autrefois. Elle se serait "sacrifiée" pour me permettre de m'épanouir, en se mettant en arrière plan au prix d'une dette dont j'ignorais être débiteur. Je comprends ses choix de renoncement et la "stratégie" consistant à se garantir une présence rassurante. Je ne lui en veux pas : elle n'avait pas forcément conscience de ce qui se jouait et, quoi qu'il en soit, elle avait "besoin" de ce que je lui apportais comme stabilité, comme pondération, comme réflexion. Je ne me sens pas trahi... mais peut-être un peu manipulé.

J'aurais eu besoin que l'on en parle posément, après que la séparation fut devenue irréversible. Elle a refusé cela et je l'accepte : elle ne s'en sentait pas capable. J'ai respecté son choix et me suis éloigné. J'ai endossé ma part de responsabilité et j'ai fait en sorte de me débrouiller seul. Après tout... le nécessaire a été dit et les choses sont à peu près claires.

Sauf qu'apprendre bien tardivement qu'il y avait encore des choses cachées, ça donne encore un coup de canif à la confiance. Passée et présente. Cette tromperie tardivement avouée m'affecte. Y a t'il encore des choses qui vont remonter à la surface plus de quinze ans après la séparation ? Finalement je découvre que tout au long de notre vie commune Charlotte s'est servi de moi : elle m'a choisi non par amour mais pour le côté rassurant et stable qu'elle avait perçu. Parce que je l'aimais, j'ai du m'adapter à des élans amoureux quelque peu modérés. Je crois pouvoir être sûr qu'avec le temps elle a aimé qui j'étais, mais j'ai peu à peu découvert qu'elle me craignait aussi ! Non parce que j'aurais pu être malfaisant, mais parce que j'ai toujours été avide d'échanges approfondis et de réflexions poussées... face auxquelles elle se sentait fragilisée. Ou inconfortable, insécure, je ne sais pas. Peut-être remettais-je en question trop de ce dont elle avait besoin en termes de stabilité, de "normalité", de certitudes ?

Ce dont je suis à peu près sûr c'est que certains sujets d'exploration la mettaient mal à l'aise. Il y avait des limites [invisibles] à ne pas dépasser.

De là à considérer que ma soif d'échange ait fini par me porter vers d'autres qu'elle...


Hum...

Si je pousse la réflexion un peu plus loin, à cet instant, je me rends compte que mes attirances vers le féminin ont toujours été inspirées par l'échange intellectuel approfondi. Ce serait la même chose envers le masculin... si je ne me sentais pas en insécurité avec mes homologues [ce point mériterait sans doute quelques approfondissements].

Je me demande si je ne ressens pas, envers le féminin, des chances non nulles de pouvoir établir un lien de confiance fiable [je note la redondance]. Je crois [croyance fantasmée] que je peux établir un lien de confiance solide, inaltérable, avec une [à défaut de plusieurs] femme que, par certains côté, j'admire. En quelque sorte j'ai besoin de sentir que chacun des deux peut apporter à l'autre quelque chose d'admirable [je laisse venir les mots tels quels...]. Assurément j'ai rencontré plusieurs de ces femmes partiellement "admirables", avec qui la part d'échanges émotivo-intellectuels prédominait largement. J'y ai trouvé un vif plaisir et cela a indéniablement contribué à construire l'homme que je suis aujourd'hui. Je garde une profonde reconnaissance envers chacune de ces compagnes de route, quoique pour la plupart nous nous soyons perdus de vue (mais sans doute pas de coeur).

Les hasards et les circonstances ont fait que je vis désormais seul et que les temps d'échange autour de l'intériorité ont perdu de leur intensité et de leur diversité. Peut-être n'en ai-je plus besoin ? Peut-être ai-je trouvé mon équilibre en investissant d'autres champs de réflexion et de connaissance ? Toujours est-il que "les femmes" ont moins de place dans mon existence que par le passé. Elles restent, et de loin, mes partenaires préférées pour les temps d'échange, mais je n'ai plus la même soif d'approfondissement. Je me contente de ce qui advient.

Je me demande de temps en temps si je renouerai un jour avec l'alliance sacrée : tête, coeur, corps. Je me demande si je le souhaite. C'est un peu comme si j'avais accepté de les dissocier. Dans cette dissociation, le plus à la peine est évidemment le coeur. Quoique...







Mettre à distance



Dimanche 10 décembre 2023
[Mis en ligne le 29 décembre]

Cogitations, suite.

Dans mon précédent texte j'ai l'impression d'être allé trop loin dans le portrait peu flatteur que j'ai fait de mon ex-épouse. Je pense notamment à ces mots : « une personne sans originalité ». La formulation est rude ! Elle ne mérite pas cela.

Certes, j'ai besoin d'apprécier/admirer pour m'intéresser à quelqu'un. J'ai aussi besoin de me sentir apprécié. Et il est certain que ce mécanisme d'attraction ne fonctionne plus avec elle depuis que la séparation a été concrétisée. C'est d'ailleurs la fin de l'attraction, pour ne pas dire la matérialité de son éloignement, qui m'a le plus bouleversé, à l'époque. Je ne brillais plus dans son regard.

Qui étais-je devenu pour elle ? Quelle place m'accordait-elle encore dans sa vie ? Les constats furent douloureux : j'étais prié de m'effacer. J'ai rapidement compris que je ne devais pas résister et admis, non sans tristesse, que j'étais devenu indésirable.

Et ça c'était rude !

Alors j'ai fermé les écoutilles de ma sensibilité. J'ai peu à peu accepté la perte de cette "amie" qui, outre l'éloignement affectif, me malmenait parfois encore avec des remarques acides. Et comme je ne me suis plus senti le bienvenu, n'ai plus eu accès à sa part sensible. Charlotte est devenue une étrangère. D'où la formulation « sans originalité », parce que le peu que je vois d'elle ne me permet pas de déceler grand chose d'intéressant. En tous cas je n'y ai pas accès.

Bon, c'est comme ça.

Il y a bien eu cette "réconciliation", l'an dernier, mais cela n'a fait que suspendre le processus d'éloignement de ma part. Bien qu'heureux de ces "retrouvailles" inattendues, je suis resté sur mes gardes depuis. Prudent. Au fond de moi la confiance demeure mais je ne prends aucun risque. Je n'ai pas envie de me faire de nouveau taper sur le museau.





Décantation



Mercredi 20 décembre 2023
[Mis en ligne le 29 décembre]

Plus de deux semaines se sont écoulées depuis le passage de Charlotte, puis son bref message le lendemain, suivi du mien en réponse. Aucun contact n'a suivi (ce qui n'a rien d'anormal). Je ne lui ai pas écrit, ni téléphoné. Faute de temps disponible, sans doute, mais aussi parce que je ne sais pas par quel bout commencer, ni si la démarche est utile.

Rien ne presse. Je laisse encore décanter les choses. Un jour prochain, peut-être...

Finalement c'est Charlotte qui est revenue vers moi aujourd'hui, m'écrivant encore par sms. Un message plutôt gentil, commençant par ces mots : « Je ne remets pas tout en cause ». Il semble donc que mon silence [tiens tiens...], après mon dernier texto, la préoccupe un peu. Elle me dit aussi que me qualifier d'artiste est pour elle un compliment [je l'avais bien compris dans ce sens favorable].

Dans une nouvelle réponse je lui confie que je reste sensible à certaines des choses qu'elle peut me dire et qu'il me revient de comprendre où ça me touche et pourquoi ça me touche. Je préfère élaborer cela en moi et ne lui proposer que le résultat d'une réflexion posée, totalement pacifique. Je veux que n'apparaisse plus aucune trace de rancoeur, de déception, de colère. Je n'ai pas envie que, pouvant se sentir "attaquée", elle se mette en position défensive. Je tiens à ce que notre relation actuelle, quelle que soit la distance qui désormais la caractérise, soit réciproquement sereine.

Mes doutes, mes questionnements, mes impressions hésitantes, j'ai déjà pu m'en ouvrir à quelques confidentes attentives. Leur écoute, leurs impressions en partage, leur perception de la situation m'ont ouvert des pistes.

En dehors de ces brefs moments de réflexion, je n'y pense pas. Je sens cependant qu'en moi se travaille quelque chose d'assez profond.






L'oubli de soi



Jeudi 28 décembre 2023
[Mis en ligne le 29 décembre]

En congé depuis une semaine, je n'ai pas saisi ce temps libre pour m'adonner à l'écriture. J'ai préféré le passer à l'extérieur, profitant d'une bienfaisante douceur ensoleillée. Les hivers sont indéniablement de moins en moins rudes. La neige du début de mois n'a tenu que quelques jours et déjà quelques primevères ouvrent leur corolle. En décembre !

Je n'ai pas écrit, mais je n'ai guère réfléchi non plus. Je n'avais pas l'esprit à l'introspection. Si j'ai pu cogiter encore ponctuellement au sujet des déclarations tardives de Charlotte, c'est de façon presque imperceptible. Je n'ai aucune motivation à me "prendre la tête" et préfère laisser mes pensées cheminer à leur guise. Elles s'alimentent ainsi au gré des lectures, des conversations, des films que je regarde.

Film ? J'ai regardé pour la quatrième ou cinquième fois "Sur la route de Madison". J'y découvre encore des résonances. Notamment avec cette réplique du photographe incarné par Clint Eastwood : « Ce genre de certitude ne se présente qu'une fois dans une vie ». J'aquiesce.

Livre ? J'ai offert à ma fille celui-ci : « On ne nait pas soumise, on le devient » (Manon Garcia). Un de ses frères, présent ce soir-là, a cru lire un trouble dans son regard et m'en a fait part le lendemain. J'ai alors craint d'avoir été maladroit, par rapport à la relation de couple de ma fille. Il n'en était rien : en fait elle avait acheté ce livre il y a quelques années, en ma présence, puis l'avait prêté avant de l'avoir lu. Depuis, il ne lui a pas été rendu et mon cadeau était donc tout à fait bienvenu.

En quelques mots je lui ai dit que le sujet de la soumission m'importait.

Il se pourrait que les récentes déclarations de Charlotte aient ravivé cet intérêt. J'en viens même à me demander si ce thème, régulièrement revenu dans mon parcours relationnel, ne me touche pas davantage que j'en ai conscience.

Soumission, gentillesse... oubli de soi.






Consentir



Vendredi 29 décembre 2023


C'est bien souvent l'incompréhension qui me fait écrire. Mettre en mots pour penser et trouver un sens, fut-ce provisoirement.

Il aura donc suffi que Charlotte me communique quelques informations nouvelles, à mon intention, (c'est à dire en se souciant de mon ressenti) pour que l'inconfort né de ses révélations tardives s'estompe de lui-même. Et bien que je sente que "quelque chose se travaille encore en moi", cela n'a rien d'éprouvant. Au contraire, je pense que c'est bienfaisant. Sain.

Je veux dire aussi qu'à postériori je ne me suis pas senti très à l'aise de décrire ici ma perception de la situation à son insu. Parler "de" quelqu'un sans que cette personne ne le sache et sans qu'elle puisse apporter sa version des faits ne me semble pas juste. Pas respectueux. Malsain ?

Sain, malsain... je préfère, et de loin, le dialogue direct afin que chacun apporte son éclairage à l'autre. Hors des caméras et des micros. Hors des écrits "publics". Malheureusement ce n'est pas toujours possible. C'est là que l'écriture peut jouer son rôle clarificateur de pensées. Mais jusqu'où peut-on écrire "sainement" (respectueusement) dès lors que l'autre protagoniste d'une relation ne participe pas à l'opération d'éclaircissement ?

Je n'ai pas, jusque-là, trouvé l'équilibre parfait entre ce qui, d'un côté, serait sain pour moi et, de l'autre, pourrait porter préjudice à autrui. Parler de l'autre hors de sa présence est forcément "injuste", dans le sens que ce ne peut être "ajusté" sans sa propre perception. Or l'expression d'une perception duelle est parfois impossible à obtenir.

J'élargis mon champ de réflexion : en ce moment "l'affaire Depardieu" suscite pas mal de remous. Etalage public de comportements pour le moins déplacés, sans même parler des comportements criminels à propos desquels la justice n'a pas encore statué. Il est devenu clair que « le monstre sacré du cinéma français » a eu, tout au long de sa carrière, des attitudes conquérantes, dominatrices, humiliantes à l'égard de nombreuses femmes. Certain.e.s, dans une solidarité à géométrie variable, s'offusquent aujourd'hui d'une supposée « chasse à l'homme », omettant au passage de porter attention aux victimes premières.

Dénoncer publiquement des attitudes prédatrices et l'abus de pouvoir d'un homme "puissant" (par sa notoriété) serait-il malsain ? N'est-ce pas la tolérance complice et le silence autour d'une déviance qui le sont bien davantage, et cause première des réactions enfin étalées au grand jour ?

Que ce serait-il passé si tous les prédateurs sexuels dont les outrages, tardivement venus à la connaissance publique, avaient entendu ce dont ils étaient accusés, plutôt que de le nier ? Certainement tout autre chose. Les victimes réelles n'auraient sans doute pas ressenti l'absolue nécessité de dévoiler les abus dont elles ont été frappées. Qui est victime, les abusées ou l'abuseur ? Qui, par refus de se sentir coupable, accuse les victimes d'affabulations ou de consentement implicite ?

Si chacun de ces hommes ayant abusé de leur pouvoir avait été attentif à la douleur des victimes, avait reconnu le préjudice causé, avait voulu sincèrement et humblement y apporter réparation, il est probable que les "affaires" ne serait pas venues en place publique. Les affaires privées peuvent se régler en privé... pour peu que le préjudice soit reconnu, entendu, accepté sans réserves.

« Je réalise que, par mon attitude, je t'ai fait du mal. Je n'en avais pas conscience mais maintenant j'entends ta douleur, ta souffrance. Je regrette. Je te demande de m'excuser/me pardonner pour ce mal que je t'ai fait. »

Quelques phrases de repentir, pour peu que l'intention soit sincère, peuvent apporter un immense soulagement à la victime. Et ouvrir un processus de "réparation", même si cela peut être long et difficile. C'est la base, le minimum nécessaire pour commencer à "délivrer" la victime de son tourment.

Evidemment la présentation que j'en fais ici est simpliste : le processus d'emprise et de soumission, dont la victime n' est qu'en partie responsable, fait que cette dernière est dans l'incapacité de se positionner clairement au moment de l'abus de pouvoir. Incompréhension, sidération, peuvent inhiber toute réaction et induire des mécanismes durables de déni. Si bien que l'écart de temps entre la commission des faits et leur révélation peut être considérable. Dès lors, de tardives révélations peuvent indisposer l'auteur des faits reprochés, qui se voit ainsi "accusé" de faits dont il n'a pas mesuré la portée.

C'est là que l'attention portée à l'autre prend tout son sens.

Les révélations de Charlotte agissent sur un mécanisme similaire, quoique à un degré bien moindre. Avec une différence : elle est sans accusation à mon encontre. Elle ne s'est pas positionnée comme victime. En me disant qu'elle s'était « oubliée », elle assume sa part de responsabilité. Je n'ai donc pas été tenté de me défendre d'accusations infondées, bien que je mesure n'avoir pas perçu, à l'époque, le préjudice (sacrifice) auquel elle consentait.

Ce qui m'a troublé c'est de ne le découvrir que trente ans plus tard.

Ma colère est venue de la sensation de tromperie (dissimulation revendiquée) : je ne savais pas. Elle ne m'en a pas parlé lorsque j'étais en capacité de répondre (ou pas ?) à ses besoins. Son silence à ce sujet m'a privé de mon libre arbitre. En voulant me "protéger" elle a aussi créé une dette à son égard, sans que j'y consente.

Consentement... le mot-clé.

Elle a consenti à ce que je réalise mes rêves, mais sans que je le sache. Ou du moins pas à la hauteur de ce qu'il lui en coûtait.

Je ne lui en veut absolument pas pour tout ce qu'elle m'a caché autrefois (en se le cachant à elle-même). J'aurais cependant aimé que nous puissions avoir un dialogue plus sincère, à l'époque, qui m'aurait permis de mieux prendre en compte ses besoins fondamentaux.

Ce n'est pas advenu.

Peut-être en serions nous arrivé au constat de nos différences, plus importantes que je le croyais ? Qu'aurait-il découlé de ce constat ? À quels renoncements cela nous aurait-il conduits ? Nous ne le saurons pas.

Dans son dernier message, en réponse à ma déclaration assurée de vivre actuellement heureux, Charlotte m'écrit : « Je suis heureuse que tu le sois aussi à ce jour. Ta vie te correspond mieux qu'avec moi ».

Je dois bien reconnaître que l'absence de conflits, de disputes, de laborieuses négociations visant à trouver des compromis, font que ma vie est devenue heureuse. Tranquille, certes, mais heureuse. Sereine et pacifique. Et selon toute vraisemblance cet état de bien-être n'aurait pas pu advenir durablement entre nous. Parce que certains de nos besoins fondamentaux sont trop différents. Difficilement conciliables. Les points de convergence n'auront pas suffi.

Ainsi, j'en viens à la conclusion que notre séparation... est peut-être la meilleure chose qui pouvait respectivement nous arriver.

Autrefois je me sentais heureux auprès d'elle, malgré les difficultés à coexister. Aujourdhui je me sens plus entièrement heureux sans elle. Sans les difficultés.









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