Sans issue






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Cette ramification du journal trace l'aboutissement d'une démarche exploratoire parvenue à son terme. Sans issue ni avenir, condamnée à s'éteindre d'inanition, je la considère désormais comme arborescence stérile.

Ce qui suit consigne donc la fin d'une quête qui visait un objectif résolument hors de portée. En dévitalisant cette branche je fais en sorte que le journal puisse s'ouvrir à de nouvelles voies d'exploration.

Récit d'une prise de conscience, de la tentation au renoncement.

[7 août 2023]









Une tentation incertaine



Samedi 4 février 2023
[amendé le vendredi 10 février]

[Incise ajoutée le 14 février 2023 : Ce qui suit est particulier en ce sens que l'écriture du texte m'a conduit, par un enchaînement de circonstances, à remettre largement en question son bien fondé. À tel point qu'il est très rapidement devenu obsolète, lorsque je me suis rendu compte que certaines de mes interprétations étaient erronées, voire fausses. Dès lors j'aurais pu tout effacer et faire comme si cela n'avait pas existé.

Sauf que cela a bien été écrit, donc pensé. Caduc, certes, mais je considère utile de garder trace d'un revirement dont je considère qu'il marque une importante inflexion dans mon parcours d'acceptation. Je le laisse donc, tel un brouillon partiellement amendé, tout en étant certain que ce jour (soit 10 jours plus tard)  je considère ce texte comme totalement dépassé, anachronique même. Je suis absolument certain que je ne pourrai plus l'écrire car, en trop de points, il ne correspond plus à mon état d'esprit.

C'est difficilement illisible puisque des incises, ajoutées a posteriori et en deux temps, s'intercalent dans le texte]



Dans un coin de mes pensées, depuis fort longtemps, s'est incrustée une idée. Il s'agit de l'éventuelle possibilité, indéfiniment reportée, de (re)contacter - ou pas - la chère amie perdue. C'est infime, absolument incertain, mais c'est là. Mirage absurde, peut-être. Ou pas. J'y pense peu, laissant la présence de l'absente aller et venir dans mon esprit, éthérée, au gré des réminiscences spontanées. Occasionnellement quelque évènement peut susciter une convocation mémorielle, réactivant temporairement la possibilité latente.

Fait remarquable, cette entité est la seule, parmi les rencontres déterminantes de mon existence, avec qui demeure cette singularité. Pourquoi seulement elle ? Par quoi suis-je encore retenu dans cette amitié tombée dans l'abîme ? Cela m'intrigue.

J'ai tendance à penser que cela provient du processus extrêmement filandreux, poisseux, de l'éloignement [ou arrachement, rupture, abandon...], dont les motivations profondes, non élucidées, me sont restées incomprise.

--> Incise ajoutée le 10 février : là je fais erreur, parce que le processus à finalement été clos pacifiquement il y a un peu plus de treize ans, fin 2009. Il n'a été "filandreux" que durant les années qui ont précédé cette acceptation de fin [il a surtout été filandreux parce que, ne comprenant pas, je n'acceptais pas]. Et si, effectivement, aujourd'hui encore je n'ai pas tout compris des motivations de l'éloignement, nous avons suffisamment échangé à ce sujet en 2009 pour parvenir ensemble à la conclusion que nos perspectives de suite divergeaient radicalement.

Je me demande cependant si cette hypothèse tient la route car, rationnellement, les années passant, j'ai fini par accepter le réel : elle ne voulait plus avoir de contact avec moi. Un jour c'est devenu très clair [cf. incise]. Normalement, cela aurait dû invalider d'avance toute velléité qui irait dans le sens contraire. Et, de fait, je n'ai plus rien tenté. Pour autant, la volonté de se retirer de mon existence et de mes préoccupations, du fait même de l'incomplétude d'un processus d'éloignement particulièrement alambiqué [et s'étirant sur cinq ans, entre septembre 2004 et octobre 2009], aura induit une persistance tenace dans mes pensées. Trop d'éléments sont restées en suspens, inexpliqués ou incompris [et les explications ultérieures, restées "virtuelles" en ne passant que par l'écrit, ont manifestement mal imprimé mes souvenirs]. Avec, probablement, des conséquences notables sur mes représentations et attentes en termes de confiance relationnelle. Peut-être n'est-ce pas un hasard si, depuis, je me suis vu incapable d'imaginer investir une relation forte. [Et peut-être n'est-ce pas un hasard, mais la simple conséquence d'une incapacité à accepter l'achèvement de ce qui a tant compté pour moi]

M'étant accomodé de la situation, sans doute y ai-je trouvé un sens : l'incertitude à laquelle j'ai dû faire face m'a permis d'accéder à des domaines de pensée qui, sans cela, seraient restés inexplorés. Ainsi en est-il de cette possibilité, indécidée à ce jour, de reprendre contact. S'ouvre alors une question, qui est au coeur-même de l'hésitation : pour quoi faire ? Avec quel objectif ?

Mes motivations ont évolué au fil des ans. Longtemps je fus tenaillé par un impérieux besoin de comprendre. Plus tard apparut l'envie de montrer [à qui ?] que j'avais pu m'en sortir, puis celle d'exprimer de la gratitude pour ce qui avait été partagé. Mais pourquoi donc, puisque rien de tout cela ne m'a jamais été demandé ? [et a cependant été partagé durant l'épisode de pacification de 2009]. Est-ce que je chercherais à réparer quelque chose ? Mais alors quoi ? Curieux et patient, je continue de laisser émerger les motivations les plus enfouies, les découvrant moi-même peu à peu. Je mets à profit cet interminable temps de pensées nébuleuses pour observer dans quelle direction elles s'orientent ou s'accumulent. Ce faisant, je les laisse travailler ma conscience, infiniment lentement. Le fait de n'avoir aucun autre interlocuteur que moi-même ajoute à la lenteur. Car je n'en parle à personne, persuadé d'être perçu comme englué dans une histoire sans autre issue salutaire qu'un abandon immédiat.

Sauf que, pour moi, à force de reporter, il n'y a plus aucune question de délai, plus aucune urgence. C'est ce que j'ai compris et voulu mettre en évidence dans mon texte précédent. La mort, pourtant, sera la limite ultime.

Bien sûr, si l'incertitude me pesait, je pourrais reprendre un travail analytique sous la supervision d'un·e psy. Je n'en ressens ni le besoin ni l'envie. Je ne souffre pas d'une situation... qu'en quelque sorte je choisis de laisser durer. D'une certaine façon je reste "accompagné" par cet ectoplasme [!?] relationnel et il semble que cela s'accorde bien avec la solitude dans laquelle je me réfugie.

Et puis la tentation de reprendre contact, outre la question du "dans que but ?", s'est systématiquement heurtée à une évidence : cela contreviendrait aux consignes reçues.

« Je préfère laisser les choses telles qu'elles sont à présent ». Cette unique phrase, sans la moindre fioriture, reçue en 2013 en réponse à une furtive proposition de ma part, confirma ce qui avait été clairement exposé en 2009. Depuis, aucun indice n'a pu me laisser penser que quoi que ce soit aurait changé. Si je m'en tiens à ce dernier avis... je ne dois rien tenter.






Relativité


Vendredi 10 février 2023


Turquie, Syrie : 21.000 mots au dernier décompte, après le séisme qui a eu lieu il y a quatre jours. Détresse absolue de ceux qui ont tout perdu : leurs proches, leur habitat, leur raison de vivre. Ukraine : bientôt un an de guerre, de destruction, de souffrance. Des milliers de morts et des vies en conditions précaires, dans le froid et la peur du lendemain. Tant d'autres lieux où vivre est difficile, douloureux, atroce.

Et moi, qui étale les états d'âme de mon petit coeur endolori.

Assurément le contraste d'intensité est énorme et pourrait relativiser toute forme de « souffrance » psychologique. Sauf que chaque souffrance est individuelle, parfois collective, mais jamais universelle. Elle est toujours subjective et largement étrangère à la raison. Pour celui ou celle qui souffre, cela s'arrête à ça et n'a que faire de ce que peut vivre le monde autour.

Vivre, en soi, c'est rechercher les meilleures conditions d'existence, voire d'épanouissement. C'est valable pour les humains comme pour l'ensemble du vivant. Sauf que pour l'humain doté de conscience, la perception des difficultés alentour peut perturber, par empathie ou par culpabilité de n'être pas touché, l'épanouissement individuel. Difficile de se sentir heureux de vivre lorsque d'autres ne le sont pas. D'où la tentation, sans doute salutaire, de détourner le regard. Face au mendiant, face aux infos anxiogènes, face au changement climatique, face au déclin des conditions d'habitabilité terrestres, face aux conditions d'élevage et d'abattage... ou face aux difficultés existentielles d'un ou une amoureuse déchu(e).

D'abord me sauvegarder. D'abord me sentir en situation d'oméostasie. Pour le reste... chacun ses problèmes. C'est ainsi que la majorité agit, élargissant plus ou moins le cercle du "moi et mes proches". Ou plutôt : moi et ce qui donne sens à ma vie. Je n'échappe pas à cette règle générale.


* * *


Ce qui donne sens à ma vie, dans une large mesure je l'ai identifié. En très bref : mes enfants, avoir des relations de qualité, ressentir la nature. J'y ajouterai les notions d'harmonie, de confiance, d'équilibre. Ce qui le perturbe : la violence, la destruction, la brutalité. L'inconnu et la crainte qui l'accompagne, aussi.

Mais ce n'est pas à ce sujet que je veux écrire. Je n'ai pas envie de me lancer dans une vaste auto-analyse, trop chronophage pour les éventuelles "révélations" non nécessaires que j'en retirerai. Non, ce qui ma remis les doigts au clavier c'est le fait d'avoir, dans la pile de mes fichiers numériques archivés, retrouvé des échanges de courriels... qu'habituellement j'évite de relire. J'évite, mais lorsque je tombe dessus... j'en lis quand même un peu. Et le hasard fait parfois qu'au gré de mes picorages aléatoires, je me retrouve face à des documents dont le contenu précise le souvenir que j'en avais ou, au contraire, me rappellent ce que j'avais "oublié" (mais qui se ravive immédiatement... ).

Je suis notamment tombé sur un billet de blog m'identifiant implicitement, publié en 2008, et dont, étonnamment, j'avais oublié la virulence à mon égard. Par quel mécanisme de pensée est-il possible que j'aie oublié cet épisode désastreux ? Me suis-je à ce point laissé leurrer par mon imaginaire [fantasme de réconciliation] pour espérer encore, bien des années plus tard, l'éventualité d'une ouverture ? Fort opportunément j'ai aussi retrouvé le fichier compilant l'ensemble des échanges concernant cette rupture (cette fois sans guillemets). Alors j'ai tout relu, depuis ma réponse à la publication rageuse de 2008, et j'ai compris la raison de l'oubli : un an plus tard il y avait eu un échange de longs courriels permettant de pacifier ce qu'il restait de la relation. Et de la clore en - relativement - bons termes. Si ma mémoire me joue des tours quant au déroulé des derniers échanges, c'est probablement parce que cela s'est fait par écrit, sans perception orale ni visuelle. Une rupture virtuelle, en quelque sorte...

À l'automne 2009, pas rancunier, j'avais même osé faire une proposition de rencontre réelle à l'occasion de mon premier voyage en solo au Québec. Là, après un échange écrit, sans aucune animosité, l'offre n'avait été saisie. Cela m'avait permis de constater que les attentes différaient totalement quant à une éventuelle suite de relation : d'un côté il y avait volonté de clôture, de l'autre mon espérance de trouver ensemble une façon de poursuivre. Je cherchais une réconciliation qui, en face, n'était pas souhaitée.

J'ai fini par accepter cela.

Disons plutôt que j'ai fait les efforts nécessaires pour l'accepter, me contraignant à renoncer à un profond désir. C'est cette résistance interne qui est à l'oeuvre depuis tout ce temps : me forcer à ne plus rien tenter. La puissance de mon désir qu'il en soit autrement génère donc, de temps en temps, la tentation de tenter quelque chose...

C'est ce qui est advenu ces derniers jours et que j'ai pu désamorcer, une fois de plus. Notamment en l'écrivant clairement (l'écriture publique a pour moi un côté engageant).

Quant à la redécouverte fortuite de fichiers anciens, précieusement conservés, elle tient de la coïncidence : je venais de récupérer des données potentiellement perdues sur un disque dur ayant rendu l'âme. En voulant classer ces précieux dossiers d'archive je me suis rendu compte que plusieurs n'étaient plus lisibles, du fait d'un format trop ancien. J'ai donc dû rallumer un ancien ordinateur et réenregistrer les fichiers sous un format compatible. C'est là que, par curiosité, je suis allé relire ce que j'avais laissé s'oublier. Semi-hasard, donc, puisque je ne serais sans doute pas aller pêcher dans mes archives si je n'avais été quelque peu décontenancé par l'oubli susmentionné d'une publication de blog datée de 2008.

J'ai bien fait de le faire. Et ai été bien inspiré de conserver ces archives pour me rafraîchir la mémoire. Cela m'a éte bénéfique, ces derniers jours, de relire les très longs échanges de clôture relationnelle ("to give closure" m'avait-elle dit, en précisant apprécier cette formulation anglophone).

Relecture qui s'est révélée efficace pour mettre un terme à mes velléités de reprise de contact. Il n'y en aura pas de ma part et c'est très bien ainsi. Je restaure ainsi ma puissance d'agir. En restant stoïque, je me sens digne. Ce faisant, je descend encore d'un cran dans le désinvestissement de ce qui n'a plus présenté aucune trace de lien depuis... dix ans !

Ainsi je trouve ma voie libératrice du moment : demeurer disponible, car je ne ferme rien, mais sans me sentir en charge de tenter quoi que ce soit. Et advienne que pourra.



* * *


Ma construction mentale fait que mes souvenirs se sédimentent en laissant systématiquement les meilleurs remonter à la surface. Ce qui fait qu'avec le temps je retrouve les sensations agréables, avec des envies de retrouvailles. Si je n'avais pris garde à cette tendance réconciliatrice j'aurais pu me laisser aller à ce fantasme, négligeant peu à peu le fait qu'il n'est absolument pas partagé. C'est ainsi que, par vagues - certes de plus en plus espacées - à de multiples reprises, j'ai senti monter cette pulsion vitale... à laquelle je savais ne pas devoir laisser place. Il me suffisait alors d'aller pêcher en eaux profondes des souvenirs moins reluisants pour refroidir mes ardeurs. Finalement tout retombait assez vite... jusqu'à la vague suivante, quelques mois ou années plus tard.

Serait-il préférable que j'en vienne à quitter tout espoir de réconciliation ? Définitivement ? Irrévocablement ? Je ne sais pas. Il me semble que j'y perdrais quelque chose d'important.







Archivage



Samedi 11 février 2023


Et si c'est parce que je n'avais jamais archivé que j'étais encore hanté par le fantasme de réconciliation ? Depuis mon premier courrier à elle adressé, j'ai enregistré nos échanges (comme pour beaucoup d'autres personnes, dès lors que l'échange était suffisamment riche). J'ai continué, enregistrant ausis nos échanges par chat lorsqu'ils me paraissaient significatifs. J'ai aussi photographié certains instants symboliques, alors que c'était pas le moment le plus opportun. Je pense notamment à un tendre baiser, que j'ai voulu "immortaliser". Comme si je pressentais qu'il y avait dans ce moment tellement inoubliable quelque chose d'éphèmère. Comme si cette photo était destinée à devenir preuve que cela avait bien existé.

Pour certains textes il m'est arrivé de les relire pour m'assurer que je n'avais pas embelli la réalité, que les mots que j'avais gardé en mémoire n'avaient pas été le fruit de mon imagination.

J'en étais arrivé à un tel état d'incompréhension face au changement d'attitude que je me suis demandé si ce n'était pas mon imaginaire qui m'avait joué des tours. Je ne l'ai jamais constaté.

Retrouver les échanges qui auraient dû garantir que tout était clair entre nous. C'est un leurre : on ne sait jamais comment on pourra réagir aux contingences.

Plaisir à relire et à rire de nos facéties rédactionnelles.






Les 5 pourquoi



Dimanche 12 février 2023


Pourquoi continues-tu à tenir ce journal ?

Parce qu'il m'est important.

Pourquoi t'es t-il important ?

Parce qu'il témoigne d'un cheminement personnel.

Pourquoi témoigner de ce parcours personnel t'es t-il important ?

Parce que, d'une certaine façon, c'est l'oeuvre de ma vie. L'ouvrage de ma vie, aux deux sens du terme. Il est à la fois le réceptacle de mes réflexions et l'outil qui les permet. Il aura été un compagnon, un guide, un confident. Un témoin aussi. Je m'y suis engagé et il m'engage. Il a recueilli la plupart de mes tergiversations importantes, celles qui avaient besoin d'être structurées et qui m'ont structuré.

Pourquoi tes réfexions avaient-elles besoin d'être structurées ?

Parce que je ne me connaissais pas. Je ne savais pas qui j'étais ni ce que je voulais dans l'existence. Ou du moins je ne le savais pas suffisamment complètement. Je ne me connaissais que partiellement. Ecrire ce qui me posait question, puis partager ces questionnements, m'a permis d'aller à la découverte de moi-même. J'y ai vu ce à quoi j'aspirais mais aussi mes limites. Ce qui, en moi, m'empêchait de me réaliser. Cela m'a permis de comprendre de quoi j'étais fait. Quant à savoir pourquoi j'ai continué ce journal alors qu'il n'engendre plus aucune interaction depuis des années...

Pourquoi continues-tu alors qu'il n'engendre plus aucune interaction ?

Alors ça... c'est effectivement LA question que je cherchais à faire émerger avec cette série des 5 pourquoi...

Il y a la partie "témoignage", c'est certain, qui existe depuis l'origine. Témoignage partagé à destination de quiconque y trouvera de quoi enrichir ses propres réflexions. Mais à l'origine il y avait interactions, ou du moins désir qu'il y en ait. Et il y en a eu. Au delà de ce que j'imaginais. En cela l'expérience a été indubitablement hautement bénéfique. Sauf que cela n'existe plus. Dès lors, pourquoi continuer ? C'est là qu'intervient un autre élément clé : garder trace. Sauf que rien ne justifie que je garde trace publiquement. Je ne sais même pas si qui que ce soit continue à lire, ou découvre par hasard, ce journal en ligne qui est probablement parmi les plus longévifs. Vingt-trois ans de journal en ligne, tant que je ne cesse pas l'aventure, c'est probablement un record du simple fait que ceux qui prééxistaient sont aujourd'hui éteints. En cela, je me sens dépositaire d'une "mission" de continuité dont absolument personne ne m'a chargé et dont je ne suis absolument pas certain que qui que ce soit l'ait repérée ou que cela puisse avoir de l'importance. Je pense là à l'archivage numérique opéré par la BNF depuis à peu près vingt ans. Pourquoi accorder de l'importance à cela ? Par intérêt pour l'archivage en général et les journaux personnels en particulier. Cela rejoint mon adhésion à l'APA depuis... 1997, je crois. Sans que je n'y ai jamais rien déposé, je me dis que mes écrits contiennent certainement de quoi intéresser quelques personnes. Et le parcours personnel que je narre ici depuis 2000 présente assurément quelque originalité, du fait de la méta-analyse de mon écriture, d'une part, et, surtout, du parcours relationnel qui y est décrit. Parce qu'il y a à la fois l'intériorité décrite, mais aussi les effets sur le réel de ce parcours de conscience. Et là je pense, bien évidemment, à l'extra-ordinaire aventure relationnelle qui aura sous-tendu le récit. Il n'est assurément pas banal de décrire sur une telle durée la naissance d'une relation amoureuse... et son agonie infiniment lente, sur vingt-trois ans dont "seulement" quatre l'auront été dans l'élan constructeur initial. En fait je crois - sans pouvoir le prouver - que ce récit est tout simplement unique, du fait de ses singularités : la durée du journal public ; la narration détaillée et - au début - croisée d'un élan d'amitié amoureuse ; les affres détaillées des tourments générés par les complications croissantes de ladite relation ; et enfin l'interminable narration de mes tourments et remises en question après l'extinction infiniment lente de la communication au sein de la dé-relation. Oui, je crois que la conjonction de ces récits étroitements imbriqués a quelque chose d'unique. Et en tout cas, cette conscience de la rareté du truc (qui n'en fait pas pour autant une valeur) aura pesé dans mon choix de faire durer l'exercice.

Il est important que je le signifie ici.

D'autant plus important que cette "mission" pour laquelle je me suis senti investi aura, par ailleurs, eu des conséquences préjudiciable sur ma partenaire d'alors. Elle, qui écrivait aussi son propre récit sur ce qu'elle vivait dans la relation, a cessé d'écrire à ce sujet lorsque les choses se sont compliquées et a fini par faire disparaître toute trace de son journal. Et je sais qu'elle a souffert de ma persistance à tenir récit de la dégradation de notre "extra-ordinaire" relation (hors du commun parce que construite à 5900 km de distance, dans un esprit de très profond respect initial, sous le principe d'une "libraimance" en cours de définition).

Avec le recul il me paraît évident que le choix que j'ai fait de continuer à écrire a joué un rôle dans la rupture de communication. Le récit que j'ai fait de ma perception des choses, s'il était aidant pour moi, était maltraitant (irrespectueux) à son égard. Ce n'est pas l'écriture qui, en soi, posait problème, mais le fait d'exposer ma douleur et d'en explorer publiquement les causes. J'aurais pu écrire un tout autre récit, apaisant la situation au lieu de me débattre en recherchant la part de responsabilité de chacun. Stratégiquement j'ai fait une erreur... qui correspondait au désarroi qui m'accablait. C'est donc bien moi qui ai coloré le côté tragique de cette fin, en me voyant incapable de faire face à une telle perte sous le regard de celle qui la décidait. J'aurais pu réagir de toute autre façon, acceptant les limites qu'elle posait, respectant totalement son souhait de désinvestir ce que nous avions si joliment contruit. Dès la première anicroche - car il y a bien eu une "première fois" - j'aurais pu réagir autrement si - et seulement si - j'avais eu davantage confiance en moi-elle-nous. Elle était là, ma faille : le doute en ma propre valeur. Redoutable poison dont nous avions pourtant abondamment parlé dans notre phase d'approche, pensant - à tort - que nous garantissions ainsi entre nous un degré de confiance qui nous était indispensable. Le respect absolu de nos différences et la curiosité réciproque que nous avions l'un envers l'autre semblaient nous assurer que jamais nous ne basculerions du côté de l'atteinte à la liberté de l'autre. Et pourtant cela arriva et je crois que c'est moi qui, le premier, exprima un jour une inquiétude, perçue comme attentatoire à sa liberté.

Je me sens fautif, plus de vingt-ans plus tard, pour ce jour où j'ai demandé davantage que ce qu'elle me donnait. J'avais franchi une limite invisible. J'étais entré dans le territoire de ses défenses et elle me l'avait clairement signifié. En soi, ce n'était pas grave. C'est moi qui, après ce petit coup de patte défensif, ai activé un mécanisme de repli et de... soumission. Ce jour-là s'est enclenché un minuscule mécanisme qui, s'amplifiant de loin en loin, allait conduire, des années plus tard, à la destruction de ce qui nous avait si étroitement rapprochés.

Je m'en veux pour cette faiblesse... et pourtant elle résultait de blessures d'enfance contre lesquelles j'avais fait ce que je pouvais pour les guérir. J'ai été... ce que j'ai pu être. J'ai fait de mon mieux. Cela n'a pas suffi et c'est comme ça. Cela a pu me paraître "injuste" mais en la matière il n'y a pas de justice. Seulement des personnes qui font du mieux qu'elles le peuvent, chacune avec leurs difficultés, leurs aspirations, leurs limites.

Je ne me sens pas coupable de soumission, mais seulement responsable d'avoir été incapable de me respecter en ajustant mon territoire de protection au sien. Je ne sais pas comment aurait évolué notre relation si j'avais agi ainsi mais ce qui est certain c'est qu'à l'époque je n'ai pas su faire autrement.

Je ne supporte pas l'agression, fut-elle défensive, fut-elle minime. Cela me renvoie à des traumatismes de rejet. Je ne sais toujours pas "faire avec", renvoyé que je suis, instantanément, à un puissant mécanisme de repli qui tourne en boucle dès l'instant de l'agression, sur lequel ma pensée reste inopérante : je sais que je tourne en boucle, je sais que l'agression était un mécanisme défensif, je sais que je "devrais" surmonter l'épreuve - souvent dérisoire, factuellement - mais je me retrouve comme un tout petit enfant injustement frappé [je laisse ce mot venu de mon inconscient], ne comprenant pas ce qu'il a fait ou dit de "mal". Le sentiment d'injustice et de vulnérabilité est terrible, à ce moment-là, et neutralise ma pensée consciente. C'est un cauchemar sans anesthésie. C'est extrêmement violent comme sensation et en moi tout se déchire, entre raison et souffrance. Je sais que je ne devrais pas m'arrêter à ça, je sais que je devrais dire ce qui me fracture à cet instant, mais c'est plus fort que moi et rien ne sort. En fait je suis dans une détresse absolue parce que désespérement seul face à quelqu'un en qui j'avais confiance mais qui, par son mécanisme défensif, s'est rendu inaccessible. Lorsque cela arrive - et cela m'arrive encore occasionnellement - je suis perdu. Je me sens tiraillé entre le désir de mettre un terme immédiat et définitif à la relation, dont je perçois alors tout le côté destructeur pour moi, et la raison qui me dit que ce n'est pas si grave, que l'autre n'a pas voulu m'agresser mais seulement se défendre. Se protéger,  tant moi que l'autre, qui assurément ne s'est pas rendu compte de la portée de sa réaction autoprotectrice. Cesser une relation parce que l'un et l'autre ont franchi une limite... ce serait sans doute un peu exagéré. Cependant, ce mécanisme d'acceptation peut conduire à la soumission. Il est pernicieux. C'est celui qui fait qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon. Accepter une seule fois la violence (qui ne se s'applique pas nécessairement par des coups) sans manifester avec la plus grande fermeté le rejet de cette violence, c'est laisser le doigt entrer dans l'engrenage.

Je me suis soumis. J'ai mis en évidence cela assez tôt dans la relation, alors qu'il était encore temps de changer d'attitude et manifester ma liberté de ne pas accepter certains comportements. J'aurais pu ajuster les limites de mon territoire, marquer des temps de recul et de prise de distance, signifiant ainsi ma réprobation et les atteintes à mon intégrité. Je ne l'ai pas fait. Par lâcheté, sans doute. Je m'en libérais dans mon journal, sachant qu'il serait lu par celle à qui je voulais le signifier. Manière pitoyable de contourner l'expression directe... et les éventuelles conséquences. Mais j'avais trop peur de perdre cette relation qui m'avait tant apporté. Je regrette de n'avoir pas su faire...

Je me demande si cette "faute originelle", que je porte désormais sans avoir pu la réparer (et ce n'est pas faute d'avoir essayé... mais trop tardivement), n'est pas aussi ce qui me retient dans cette histoire sans fin - pour moi, cela va de soi. N'ayant pas pu "réparer" (mais "accepter", certes), je reste comme prisonnier de l'irrésolu. Et en incapacité totale - à ce jour - d'imaginer avoir une autre relation de haute intensité. Cela ne me tente même pas. C'est comme si c'était impossible, tant que je ne me suis pas extrait de ce magma de réflexions sans réponses fermes.

Les quelques relations d'intimité que j'ai partagées depuis (il y a maintenant bien longtemps) sont restées éphémères, jamais investies sentimentalement au delà de l'affection amicale. Elles ont pu l'être intellectuellement et/ou sexuellement et durer quelques années, mais ont fini par s'étioler dans l'espacement des contacts. Seule ma relation avec Artémis, qui dure depuis... quinze ans, m'aura permis de partager quelque chose de plus abouti. Je l'ai cependant toujours considérée comme temporaire, "le temps que ça durera", sans jamais l'investir amoureusement. Artémis est une compagne de route, une rencontre de passage... même si le chemin partagé aura duré longtemps [une distanciation est subtilement à l'oeuvre depuis de nombreux mois].

Puis-je dire que je n'ai aucune intention de renouer éventuellement une "belle" relation ? Non, car cette tentation est toujours restée dans un coin de ma tête. Mon aspiration à vivre librement des relations épanouissantes, riches, drôles, inventives, est toujours là. Je n'ai pas renoncé à cela. Par contre je n'ai jamais retrouvé concrètement ce désir d'aller plus loin avec les femmes que j'ai cotoyées dans les plus divers registres de mon existence. C'est comme si les hasards des rencontres ne m'avaient plus mis face à... l'évidence du "avec elle c'est possible". Je ne dis pas que cela ne peut pas advenir, mais jusque-là ce n'est plus arrivé.

Et l'horloge biologique tourne. Je vieillis et les femmes de mon âge aussi. Certains mécanismes d'attirance réciproque  fonctionnent probablement moins bien.

Je me prépare, depuis déjà un certain nombre d'années, à finir ma vie sans pouvoir revivre ce que j'ai tant aimé découvrir avec celle que j'aimais [oui, je le mets au passé]. Et dire que je me suis émancipé de ma vie de couple pour avoir cette liberté relationnelle...

Mais je n'ai pas de regrets : ce que j'ai vécu a été tellement merveilleux, même si ça n'a pas duré, qu'il aurait été contraire à la vie que j'y renonce. Bien sûr il y a eu des victimes collatérales, mais il semble, aussi bien pour Charlotte que pour nos enfants, qu'ils s'en sont bien sortis. Je l'espère, en tout cas.

Et pour finir la boucle avec le début de ce texte, que j'ai laissé librement s'écrire, c'est aussi pour cela que j'ai poursuivi ce journal : mes enfants pourront éventuellement, si cela leur paraît nécessaire, lire par quel cheminement je suis passé pour en arriver là.

Et moi je continue à lui trouver un sens, ne serait-ce que pour ce que j'y ai déposé aujourdhui. 






Point de bascule



Lundi 13 février 2023


Bon, récapitulons. Il semble bien que quelque chose a basculé en moi depuis quelques jours, alors que je venais d'écrire un texte... que finalement je ne suis pas sûr de publier. D'ailleurs, depuis ce texte du 4 février et les amendements que j'y ai apporté le 10 février, j'ai décidé de ne plus publier... tant que les choses n'auront pas suffisamment décanté. Je ne prévois qu'une publication en différé... si toutefois je publie.

Que s'est-il passé ? Dans le texte initiateur je m'étais "lâché" en ne retenant plus mon "secret" (qui n'en était sans doute pas un puisque j'en avais déjà évoqué la tentation) : il m'arrivait, à intervalles de plus en plus espacés dans le temps, de m'interroger sur l'idée d'écrire une lettre à l'absente. En fait cette idée était extrêmement forte au début (c'est à dire à la pseudo-fin de la relation) et passait par des phases de préparation de brouillons que je n'envoyais jamais. Je savais, à chaque fois que j'en écrivais un, qu'il était très peu probable que j'aille jusqu'à l'écrire "pour de vrai" et l'envoyer. C'était pour moi une façon de m'illusionner sur la possibilité d'être entendu. Je parle là d'il y a au moins une quinzaine d'année (oui, je suis extrêmement persévérant). Mais systématiquement le contenu me paraissait intransmettable. Je ne trouvais pas le ton juste et, surtout, je me rendais bien compte que je quémandais encore quelque chose. Pouah !

Alors je rangeais le brouillon dans un coin, avec les précédents, au cas où il pourrait me servir de base à peaufiner une autre fois. En fait, à chaque fois qu'une envie de communiquer me venait [espacées de plusieurs mois, hein, quand même !] je repartais à zéro sans même relire les brouillons antérieurs, que je savais périmés. Car oui, entretemps "j'avançais" dans ma compréhension des choses et mon acceptation. J'avançais surtout dans la gêne que je ressentais par rapport à mes comportements passés. Oh ce que j'ai pu me repasser le film dans tous les sens, sur tous les tons, à toutes les sauces !

Mais, stoïque, j'ai résisté ! Je n'ai jamais envoyé de lettre !

Non seulement cela m'était implicitement (voire, presque explicitement) "interdit", mais en outre la rédaction en elle même était littéralement "impossible" : je ne savais même pas par quels mots commencer ! Et puis pour dire quoi ? En attendant quoi ?

J'ai longtemps (jusqu'à il y a quelques jours, donc) tenté d'évaluer la portée de cette hypothétique tentative de... je ne sais quoi. Y avait t-il une forme d'audace dans cette persévérance, tout en sachant que l'échec était probablement au bout ? Y avait-il au contraire de la faiblesse à démontrer ainsi que j'étais encore "pris" dans quelque chose de résolument terminé de l'autre côté de la corde ?

Je n'ai pas vocation à subir le rejet et ai suffisamment d'estime de moi pour ne pas prendre le risque de l'humiliation volontaire. Alors j'ai indéfiniment reporté l'idée, la laissant s'éveiller et se rendormir au gré des aléas de ma météo intérieure.

Je savais qu'il était préférable de ne pas la laisser se développer et j'ai soigneusement évité de stimuler chaque bourgeon d'envie. Bien que je disposasse de moult archives écrites, photographies et même objets "reliques", je m'abstenais de m'en approcher. Tout au plus y jetais-je un oeil lorsque, au hasard de rangements ou de recherche d'autre chose j'étais mis à leur contact. Mais sans m'appesantir jamais, sans laisser trop remonter une nostalgie inévitablement teintée de tristesse et de joie mêlées, d'incompréhensions plus ou moins résolues, de regrets et de sourires. Bref, toucher à cela revenait assez vite à manier un produit instable, susceptible de réactions en cascade aux effets inconnus et donc à éviter.

Avec le temps, les années, et même les décennies désormais, une grande paix a pris place dans mon esprit par rapport à cette drôle d'histoire. Elle est restée là, "incorporée", encastrée en moi, colorant subtilement mon existence. Je vis très bien, avec moult autres préoccupations nettement moins égocentrées. Bref, tout va bien pour moi et cette histoire pourrait être considérée comme digérée.

Sauf que ce n'était pas aussi lisse et inodore que ça : de multiples façons, de manière totalement inattendue, les bruissements de la vie me rappellent ce qui a existé. C'est normal, dans une certaine mesure, et le signe que ce qui a été vécu était important. Cela peut m'arriver vis à vis de ma mère décédée, par exemple, ou envers mon ex-épouse. De ces petites réminiscences qui étincellent dans un éclat de lumière... ou qui rappellent au contraire que tout n'était pas si bien.

Il n'en demeure pas moins vrai que l'irrésolu et marqué par davantage d'épaisseur. C'est moins léger, ça traîne davantage, ça fait plus de bruit dans la tête. J'ai appris à maîtriser la bête, à dompter le spectre et on est presque devenu copains. On est là, chacun de notre côté, et on ne sollicite pas ce qui a fait naître la situation.

Excepté un éventuel lectorat, nul ne sait que je cohabite avec un fantôme. C'est mon histoire et ça ne regarde personne d'autre.

Bref, j'en étais là, dans une phase plus ou moins habituelle de vague questionnement... mais cette fois il y a eu une subtile insistance de ma pensée. Cela a duré plus longtemps que d'habitude. Et je me demande si ce n'est pas lié à mon entrée dans une nouvelle phase de mon existence, qui commence à envisager sa fin. Avec ma retraite qui pourrait être imminente si je le voulais, avec le décès de ma mère et le rapatriement de son journal, celui des correspondances de mon père, du stockage des milliers de diapositives de leur vie... il y a quelque chose de la transmission qui prend place. Pour le moment je recueille des archives, j'en ai parcouru quelques éléments. De mon côté je commence aussi à préparer ma propre transmission. Ce sera un travail de longue haleine et je sens qu'il est utile que je m'y mette peu à peu.

Alors bien sûr, en regardant du côté de la finitude, cela peut éveiller d'autres registres. Je pense aux amis avec qui le contact s'est un peu perdu, je pense à mes enfants, avec qui je pourrais peut-être passer davantage de temps. Je pense à la somme de mes écrits, dont il faudra que je me préoccupe un peu du devenir s'il m'importe qu'il soient conservés (et pour quoi faire ?). Inévitablement, dans tout cet archivage d'une existence s'invite la question de l'irrésolu...

C'est à ce moment-là que, tel le mécanisme d'un carillon, tout à coup les engrenages libèrent des axes, des volets, et qu'en quelques instants tout bascule.

(à suivre)






Pas touche !



Mardi 14 février 2023

Sans relire ce qui précède, je poursuis mon nouveau voyage intérieur...

J'ai beaucoup pensé depuis le 10 février. Plus abondamment que ma capacité à l'écrire. En fait, j'ai carrément plongé dans ce que j'avais mis sous une couverture au grenier de me pensées. Jusque-là, je me disais "pas touche", sachant le pouvoir très ambivalent, et sans doute un peu maléfique, du simple contact avec un passé mal passé. Y penser un peu, oui, lire quelques pages de correspondance ou de pages anciennes de mon journal, c'était faisable. Mais m'appesantir, surtout pas ! Je crois que ç'aurait été malsain pour moi. Ce qui m'était plaisant finissait toujours par raviver des questionnements irrésolus et, éventuellement, convoquait des souvenirs désagréables. Donc, « pas touche ! ».

Qu'est-ce qui a fait que je rompe avec cette injonction, intériorisée depuis des années ? Et bien c'est l'enchainement de circonstances décrit ces derniers jours : brasser des fichiers numériques, en ouvrir un qui avait un nom légèrement différent des autres (qui sont des dates) et découvrir un épisode oublié qui invalidait la fiabilité du récit que je m'étais fait. Surpris, j'ai alors lu les échanges qui avaient suivi, retrouvant le récit que j'avais gardé en mémoire. Preuve, s'il en fallait, que ce qui est résolu, clarifié, quitte le registre des questionnements. Si j'avais oublié l'épisode c'est parce qu'il avait été apaisé ultérieurement. Finalement, n'est-ce pas un état intérieur que, fondamentalement, j'ai toujours cherché à atteindre ? Elle s'était donc bien établie, cette pacification qui m'importait tant ! Et, de fait, en acceptant de "laisser aller", je pouvais entrer dans une phase que ne permettait pas la résistance.

Je n'ai plus résisté... sans pour autant tout abandonner. J'ai lâché prise, ce qui est différent du renoncement. Le renoncement à quelque chose de définitif, ce qui est peu compatible avec ma nature profonde. À quoi bon tenter de forcer ce que je ne suis pas ?

Alors, sans vraiment savoir comment m'y prendre, j'ai accepté de ne pas obtenir ce que je souhaitais. Accepter, c'est prendre le réel tel qu'il est à présent. Une relation n'est plus là ? Soit, j'en prends acte. Pour autant je n'y renonce pas nécessairement. La relation n'est plus là maintenant. Elle ne sera peut-être jamais plus mais aucune certitude ne peut l'affirmer. Sauf la mort (et encore, en est-on certain ?).

Fort de cette acceptation, j'ai réinvesti ma vie, mes élans, mes projets, vers ce qui m'offrait des perspectives attirantes. Cela ne m'a pas empeché de rester relié à ce qui a été vivant et vibrant et qui, d'une certaine façon, le demeure. Je suis fait ainsi. Au présent, relié de multiples façons à mon passé et projeté vers un avenir souhaité. Ma temporalité ne se limite pas à maintenant : elle en élargit le champ de perception. D'où viens-je et où ai-je envie d'aller ?

Là, aujourd'hui, en écrivant ces lignes, je me demande comment j'ai pu aussi durablement renier ce que je suis. Oh je sais pourquoi : je répondais à une injonction personnelle venue de je ne sais où, mais pas de moi. Du genre « Passe à autre chose ! ». Allez, je l'avoue : je crois que j'avais honte ! Honte de montrer que non, je n'oubliais pas. Et d'un autre côté, en mon for intérieur, non seulement je n'avais pas honte, mais j'étais plutôt fier de tenir mon cap : non, je n'abandonne pas. J'accepte, mais ne me résigne pas. Tout se joue dans la subtilité des mots et des concepts. Le sens des nuances ne m'a pas quitté.

Pourquoi n'énoncer les choses aussi clairement que maintenant, tant d'années après. Tout simplement parce qu'il m'aura fallu tout ce temps pour comprendre le sens de ma persévérance [bizarrement ce mot m'a résisté : j'ai dû le réécrire 5 ou 6 fois pour arriver au résultat correct !]. Il y a quelques temps j'écrivais le mot "inaltétrable", en parlant de la persistance d'un lien. Je me demande si ma persévérance ne serait pas inaltérable, pour avoir résisté aussi longtemps à toutes les vicissitudes et aléas qu'elle aura dû affronter. Mais, plus que tout, cette persévérance n'aura existé que parce que ce à quoi je tenais avait une valeur que, sans hésiter, je qualifie d'inestimable. La qualité de la relation qui s'était tissée surpassait ce que j'aurais pu imaginer. Et c'est cela qui m'est resté en mémoire, et que je n'ai jamais pu me résoudre à perdre. Certes, ce n'est plus là, mais cela a existé autour de "quelque chose" dont rien ne peut me garantir que ça n'existe plus. Sauf la mort (j'y reviens). Bien sûr la "raison", toute raisonnante qu'elle est, pourrait chercher à m'assurer qu'il n'y a aucune "raison" que quoi que soit change ! La raison "sait"... mais elle ne sent pas. Or je ne me sers pas de ma raison, ici : je suis... mon intuition. Peu me chaut ce qu'au nom de la raison on pourrait me sussurer. Je m'en fous !

Ce qui a changé, peut-être, ces derniers jours, c'est que j'ai accepté d'être seul dans cette aventure de reconquête... de moi-même. Indubitablement j'ai lâché quelque chose. J'ai lâché un lien... que je qualifierais de... soumission. C'est le mot qui me vient. Je me suis affranchi. C'est désormais mon histoire. Celle de ma relation avec une autre personne... et peu importe que cette autre personne s'en soit éloignée. JE reste relié, sans attendre que la réciproque soit vraie. Je ne sais pas ce qu'en pensera l'éventuel lecteur ou lectrice mais pour moi cela tient aujourd'hui de l'évidence. En fait, je me sens libre, extrêmement libre de vivre ce lien... sans attache. Sans aucune dépendance.

Evidemment qu'être relié sans s'assurer d'une réciprocité peut passer pour une absurdité. Et pourtant... nombre de gens ne se sentent-ils pas "reliés" à leurs proches disparus ? Ou même à leurs proches vivants sans savoir si ce qui existe en retour est équivalent ? Ne sommes-nous pas tous plus ou moins dupés par ce que l'on imagine d'une relation ? Y aurait-il des déceptions, des brouilles, des claquements de portes et des séparations si chaque relation était vécue en parfaite adéquation d'attentes ? Après tout, une relation, ce n'est qu'un fil tendu entre deux imaginaires temporairement compatibles. Parfois le temporaire dure toute une vie, et même au delà, parfois il s'interromp avant.

J'ai dit, en commençant ce texte, que j'avais plongé dans ce que j'avais soigneusement recouvert depuis des années. Oui, j'ai plongé dans mes archives, celles que j'avais commencé à reconstituer au paroxysme de mon incompréhension, pour tenter de "comprendre" l'origine du cataclysme que je vivais. J'avais alors assemblé une correspondance depuis ses presque débuts, cherchant trace de ce qui s'était pourtant construit de merveilleuse façon, dans un absolu respect réciproque, propre à bâtir une confiance ardemment souhaitée de part et d'autre.  Finalement je crois que relire ces échanges, autrefois, me rendait encore plus incompréhensible le constat désespérant du saccage de tout cela. Chaque relecture était finalement une torture émotionnelle et un attentat à la raison. Je n'y comprenais rien de rien.

Depuis quelque jours j'ai repris mon travail de reconstitution chronologique des échanges et je trouve cela passionnant ! Fascinant, même. Les années passées à m'éloigner de ce qui ravivait des émotions... [je ne trouve pas de mot, mais il contiendrait l'idée de décontenancé, désarroi, hébétude] m'ont visiblement permis de laisser les choses se travailler sans que je n'en aie conscience. Et je me retrouve là, aujourd'hui, enchanté de relire des échanges presque aussi frais que s'ils n'avaient que quelques semaines. Avec ravissement je retrouve le mélange de profondeur et d'espièglerie qui m'a ravi.

Relire, avec plus de deux décennies d'écart, une correspondance personnelle, serait-ce fou ? Le signe d'une pathologie mentale ? D'une incapacité à accepter le réel ? Je n'en crois rien ! On lit bien les correspondances publiées d'autres que soi, pourquoi serait-il absurde de relire celles dont on a été partie prenante ? L'important n'est-il pas l'émotion ressentie au présent ? La satisfaction, le plaisir, de lire ce qui, aujourd'hui, m'éclaire sur des questionnements que j'ignorais avoir en moi ? De trouver des réponses à des éléments qui, à l'époque, etaient passés inaperçus ? De pointer des phrases ou des paragraphes qui, relus avec une autre maturité et du recul, indiquaient des traits de caractères, des craintes, des aspirations qui, ultérieurement prendraient une importance influant directement sur la suite. Mais une telle lecture, mazette, c'est mieux qu'un roman ! C'est passionnant ! La vie d'une relation, de sa naissance à son épanouissement majestueux, des premiers signes de son déclin à l'apothéose de sa fanaison ! Avec du panache et des bassesses, des élans grandioses et des mesquineries pitoyables. Tout y est. « Ma vie est un roman » avais-je écrit autrefois. Elle l'était ! Et je me régale aujourd'hui en suivant le fil d'une intrigue dont je connais le dénouement. J'aime !

J'ai passé des heures à reconstituer les échanges, retrouvant les copies des courriels précieusement enregistrés à l'époque [acte prémonitoire sur lequel il pourrait être intéressant que j'en développe les motivations...]. Non sans les relire en intégralité au fur et à mesure de leur assemblage. J'en suis déjà à... tenez-vous bien... 235 pages ! Et ce n'est pas fini. Cela représente approximativement 18 mois de correspondance. Sans doute la plus riche, alors que l'éventail des possibles n'était effleuré qu'avec une infinie délicatesse, entre confidences, humour, et découvertes feutrées. Il me manque la première année, mais je sais en avoir au moins une partie en copies papier. Je ne suis pas sûr de retrouver l'intégralité de ce qui a précédé la rupture, par contre j'ai l'intégralité des échanges qui l'ont suivie. Mais je ne suis pas du tout sûr d'avoir envie de les relire...

En fait - et je crois que je l'écrivais déjà il y a quelques années - j'ai envie de ne garder que le meilleur, le doux, le bon, le beau, le pétillant. Quant au sombre et tumultueux, le laid, le violent... que le diable l'emporte ! Cela ne m'intéresse pas. Je sais que c'est là, que cela a existé, occasionnant une immense déception réciproque et une incommensurable souffrance. Mais ça, c'était avant. Comme le reste d'ailleurs, mais le pire a détruit le meilleur et c'est par le meilleur que nous avons construit ce qui fut magnifique. C'est cela que je veux garder en mémoire.

Le pire aura néamoins été utile, pour que je décèle ce que j'ignorais avoir en moi. J'y ai gagné en humilité, en connaissance des mécanismes d'interactions humaines. J'y ai perdu des illusions, ce qui est finalement un gain de conscience.







Réponse à tout



Mercredi 15 février 2023


Bon, allez, il est temps que tu passes sur le divan. Alors, qu'est-ce qu'il se passe en ce moment ?

Comment ça "passer sur le divan" ? Mais il n'en n'est pas question. Je ne ressens aucun signe de mal-être !

Peut-être... mais tu n'es pas dans un état normal...

Mais... quelle idée ? D'où te vient cette interprétation hasardeuse ? Qu'est-ce que tu me fais, là ?

Mais tu sais bien que je suis ton accoucheur des choses difficiles à dire, je suis là pour t'aider à faire sortir de toi ce que tu cherches...

Ah ben, désolé, mais là je me débrouille très bien tout seul pour "accoucher". Je n'ai pas besoin d'aide, merci.

Oui mais quand même, rends-toi compte de ce que tu es en train de raconter ! Tu ressors des placards une vieille histoire qui...

Mais quelle "vieille histoire" ? Ce n'est pas parce que je reviens sur un passé encore présent que ce serait périmé ! Bien au contraire...

Oui mais quand même ! Rends-toi compte de l'image que tu montres...

Ouahaha, mais je m'en fous de cette image ! Quelle importance ? Je cherche une vérité, je cherche à trouver du sens, je ne cherche pas à montrer une image. Tu fais des projections, là.

Boh, je te connais bien, tu as toujours fais gaffe à ce que tu laissais voir de toi !

Et ben ce n'est peut-être plus le cas. En tout cas ce ne l'est pas maintenant.

J'y crois pas.

Là, en cet instant, je t'assure que je m'en contrefous, de mon image.

...

Ah, ça te laisse coi, hein ?

Ben, normalement c'est pas dans ce sens que ça se passe. C'est moi qui te triture le cerveau pour en faire sortir le jus.

Et ben pas aujourd'hui ! Cette fois on inverse les rôles. Et là je te demande : pourquoi tu viens me questionner ? Qu'est-ce que tu cherches à faire sortir ? J'ai l'impression que tu n'a pas compris que quelque chose avait changé.

Quelque chose à changé ?

Tsss... c'est pas toi qui poses les questions, je te dis. Moi je te demande pourquoi tu cherches à me faire dire autre chose que ce qui m'est dejà venu spontanément.

Spontanément ?

Oui, justement : spontanément ! Ça t'en bouche un coin, hein ?

C'est inattendu, en effet.

Ben oui, faut s'y faire : je ne suis plus le même.

...

Et toi t'es tout perdu, là, à voir que je ne réagis pas comme tu l'imaginais.

Je ne sais plus quoi dire...

Hé hé, je vois bien ça. Tu n'étais pas prêt à cette rebellion, hein ? Tu croyais peut-être que j'allais prendre une position vaguement coupable, n'assumant pas vraiment cette audace consistant à poser des mots hésitants autour de quelque chose qui n'ose pas vraiment se dire ? Et ben c'était mal me connaître. Je suis capable de brusques revirements !

Brusques, brusques, faut le dire vite... vingt ans, quand même !

Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre que ça fasse vingt ans, trois siècles ou deux nanosecondes ? Ce qui compte c'est ce qui se passe maintenant ! Pas le temps que ça a mis pour advenir. Oui, ça a été long! Et alors ?

Ben...

Ben rien. Mets toi-bien ça dans le crâne : ce qui compte c'est maintenant ! Mieux : c'est la direction prise maintenant. L'objectif poursuivi à cet instant. C'est ça la vie : ce que je ressens en cet instant. Peut être que ça ne durera pas, peut-être que ça durera, mais maintenant c'est là.

Je ne te reconnais pas.

Moi non plus, ha ha :) Mais je me sens parfaitement bien, parfaitement ajusté à mon état intérieur du moment. Et acteur de ce que j'ai envie de vivre. C'est puissant comme sensation !

Oui mais tu vibres sur un truc vieux, mort...

Mais qu'est-ce que tu en sais, toi, le raisonneur ! Comment peux-tu dire que quelque chose est mort ? Tu as des preuves de ça ? Ou seulement des croyances ?

Ben tu déconnes, là ! Tu sais bien que tu ressors de vieilles reliques, que toi seul crois encore animées de je ne sais quelles potentialités.

Qu'est-ce que ça peut te foutre que je fasse usage de ce qui m'est utile ?

Ben c'est pas sain de s'appuyer sur des trucs moisis !

Pfff, "pas sain" ! Pour qui ? Pour toi peut-être ! Comment peux-tu prétendre savoir mieux que moi ce qui serait sain ou pas ? Après tout, ça ne regarde que moi. Laisse-moi faire ce qui me semble juste. Et sain ! Parce que pour MOI, je trouve cela très sain de revisiter le passé. Extrêmement instructif. J'aurais presque dû le faire avant... si j'avais été prêt à cela.

Ou si tu avais osé affronter tes vieux démons...

"Vieux démons"... mais d'où tu sors ça ? Quels démons ? Y'a pas de démon là dedans. C'est juste une question de capacités, et ça, ça ne se décrête pas. C'est là ou pas. C'était pas là, et c'est aussi simple que ça. Maintenant, c'est là.

Ben je sers plus à rien, là. T'as réponse à tout !

Parfaitement : là, en cet instant, j'ai réponse à toutes tes faiblardes tentatives de me faire culpabiliser de quoi que ce soit. Je ne me sens pas coupable, tu vois, donc tu ne peux rien contre ça.

Bon ben... à une autre fois, peut-être ?

C'est ça. Si un jour j'ai besoin de toi je te ferai signe.




 [PS : je ne m'adresse jamais à qui que ce soit sur le ton de ce qui précède].


* * *


Un peu de sérieux, maintenant.
Voilà quatre ou cinq jours que je lis "notre" correspondance, à raison d'une ou deux heures à chaque fois. Ce soir je suis entré dans une des parties les plus significatives, en ce sens que j'y trouve des éléments essentiels dans la perception qui s'est ancréee en moi autrefois.

Un des éléments les plus saillants, avec le recul, est ma propension à douter de la persistance de l'intérêt qui m'était porté. Si assez tôt sont apparus des signes de ce doute sur ma valeur, je constate que plus la relation gagnait en intensité, en solidité, en confiance... plus le doute semblait avoir des racines profondes. Alors que j'aurais dû être rassuré par tout ce qui m'était signifié comme attentions, comme attrait, il suffisait de peu de choses pour que mes doutes reviennent.

J'avais identifié cela très tôt mais, dans ce nouvel épisode que je décris ces derniers temps, et même avant la relecture, je sentais que c'était sans doute la faille principale qui, à long terme, allait mener aux premières tensions. Je crois que ma relecture a ce but, maintenant que j'y suis prêt : regarder en face les premières escarbilles de ce qui conduirait à l'incendie. Ce soir, j'en suis arrivé à lire ce qui s'échangeait le 12 février 2003, à un moment où nous nous déclarions réciproquement, ravis et presque incrédules, que ce que nous vivions confinait à l'idéal. Dit comme ça, le terme peut paraître un peu facile, mais quand on sait avec quelle prudence nous nous étions rapprochés, le temps qu'il nous avait fallu, à quel degré de confidence nous nous étions livrés, et combien nous avions décrit nos vulnérabilités respectives... cette notion d'idéal prend tout son sens.

Je relis cela "à froid" et avec tout le recul permis par des années de réflexion, de questionnement, d'analyses et de décortiquage mille fois répété sous tous les angles. Cette histoire, je la connais "par coeur", même si j'en découvre encore des dimensions. Je relis sans tristesse ni regrets. Au contraire, je suis avide de redécouvrir. Je souligne certains passages significatifs, je me régale de nos facéties et me réjouis d'assister à la naissance d'une grande complicité. Je la trouve belle cette histoire. Plus que ça : elle est magnifique, grandiose. Oui, bien sûr, quand je quitte le récit, me revient cette phrase tant de fois répétée en mon fort intérieur : quel dommage de n'avoir pas su poursuivre ! Mais je n'en suis pas triste. Le fait de pouvoir lire ainsi, avec plaisir, sans mélancolie aucune, m'indique que j'ai maintenant bien accepté que ce ne soit plus.

Quand je dis que cette histoire est belle, c'est très réducteur. Ce qui est admirable c'est la qualité de l'écoute réciproque. Et ce que je remarque le plus c'est le total respect des positions de chacun. Il y a échange d'impressions, exposition des aspirations, des craintes. Des questions délicates, des invitations à aller plus loin mais sans jamais rien forcer. Avec plaisir je redécouvre des déclarations de bonheur partagé et j'assiste, ravi, à l'éclosion des aveux d'attirance réciproque, avec la crainte que ceux-ci ne bouleversent l'équilibre patiemment construit. C'est touchant. Je les aime bien ces deux-là. Ils étaient beaux. Ils s'aimaient avant d'oser y croire.


« Je crois que ce n'est pas la première, ni la dernière fois que nous aurons besoin de nous rassurer mutuellement. Le doute fait partie de nous et, quel que soit le degré de confiance qu'on peut atteindre à certains moments, ce doute pourra s'insinuer dans le moindre espace libre. Un délai de réponse un peu plus long que prévu, un mot un peu inquiétant, un ton légèrement différent... et pfout, c'est reparti pour les doutes. Mais au moins on le sait :o) »

Pierre, correspondance, 15 février 2003


Je crois qu'il serait bon que je relise, en finesse, tout ce qui s'est échangé à une période charnière dont "l'anniversaire" a lieu précisément aujourd'hui. Il me semble percevoir que c'est à ce moment-là que "quelque chose" d'extrêmement puissant nous a liés et que c'est aussi à partir de là que nos plus grandes vulnérabilités se sont conjuguées.








Jeudi 16 février 2023


Brusque regain d'activité pour ce journal. C'est inattendu. Souvent m'est venue en tête l'idée de lui mettre un terme mais je constate qu'il reste un espace utile d'exploration personnelle.

Cette fois il aura retrouvé sa fonction en brisant une injonction que je m'étais faite : éviter au maximum d'évoquer ce qui, pourtant, aurait été ma principale source d'inspiration. La quasi interdiction que je m'imposais ne pouvait que brider sévèrement la libération de ce qui m'enfermait... et dont j'aurais pu m'affranchir en prenant une écriture privée.

Je ne l'ai pas fait. Retenu "ici" par je ne sais quelle fidélité au journal et à ce qu'il m'a permis d'écrire, de comprendre. Et sans doute à ce qu'il m'a permis de vivre. Il restait aussi mon ultime espace d'expression consacré à... ce dont je ne voulais pas parler.

Aujourd'hui, en faisant le choix d'une écriture à publication différée, assurément sans aucun lectorat "en temps réel", je retrouve une liberté propice aux révélations. D'ailleurs mon écriture est beaucoup plus fluide, rapide, sans trop d'hésitations. Je ne cherche pas à  écrire "joli".



* * *


Il serait difficile de voir en moi quelqu'un de déraisonnable ou d'irréfléchi. Tout au contraire chacun de mes actes est longuement évalué, soupesé, ses conséquences évaluées. J'ai besoin de m'assurer que mes choix sont les meilleurs au moment où je les fais. Ce n'est pas nécessairement une garantie de réussite, mais au moins je n'aurai pas le regret d'avoir insuffisamment réfléchi. Je n'ai cependant pas la capacité de tout anticiper, ni d'imaginer tous les scénarios envisageables. Je peux donc faire des erreurs d'appréciation, de jugement, de perception. Surtout si le temps ne m'est pas donné de le prendre autant qu'il m'est nécessaire. Or, bien souvent, dès lors que mes choix impliquent autrui, je ne dispose pas d'un temps décisionnel infini. Je suis contraint par les capacités de l'autre à supporter l'incertitude.
           
C'est ce qu'il s'est passé il y a deux décennies, lorsque mon épouse [l'emploi de ce terme m'indique que j'imagine un lectorat] m'a demandé de choisir entre ma liberté et notre vie de couple. Je ne reviens pas sur le choix déchirant qu'elle me demandait de trancher dans un délai incompatible avec mes capacités décisionnelles. Et ce temps qui m'était nécessaire était incompatible avec son besoin de savoir, dans un délai plus court, quelle direction prendre. En m'obligeant à choisir, en insistant pour que ce soit plus rapide que mes capacités, elle aura, sans le vouloir, fait pencher la balance du côté de l'éloignement. Mais dans le fond, sans que je le sache encore, je n'aurais pas renoncé à la liberté que je découvrais. Elle avait senti, bien plus rapidement que moi, qu'elle n'accepterait pas que cette liberté existe au sein de notre couple. Moi j'en étais encore à croire qu'il existait peut-être des voies possibles...

Je ne dirai rien de "l'autre histoire", décortiquée ad nauseam. Ce n'est pas ce qui m'intéresse ici. Non, ce que j'ai envie d'observer c'est ce qu'il se passe en ce moment : "plonger" dans la lecture d'une correspondance de vingt ans d'âge. Certes, c'est un bon crû et j'en apprécie la saveur mais, forcément, je m'interroge sur mes motivations après des années d'omerta [relative l'omerta, hein !]

Je m'interroge parce que j'imagine ce que pourraient penser des personnes construites avec un esprit très différent du mien. Je me dis que je pourrais être perçu comme "dingue" ou atteint d'une pathologie mentale obsessive pour être encore, après tant de temps, à réfléchir à un passé révolu [ce qui est le propre du passé, me direz-vous...]. Notez bien que je ne m'interroge pas sur ma santé mentale, mais sur la perception d'autrui sur ma santé mentale ! J'en reviens à ce que j'ai écrit plus haut : je ne suis pas vraiment un gars déraisonnable. Certes, ce n'est pas incompatible avec une altération du jugement, pourrait-on me rétorquer. Je pourrais très bien être extrêmement réfléchi, pondéré, en capacité d'argumenter sur les raisons de mes motivations... et néanmoins avoir un raisonnement faussé et incapable de m'en rendre compte. C'est une hypothèse que je ne peux exclure. Autant que je puisse en avoir conscience, je ne me sens pas entrer dans ce cas de figure.

Que mon raisonnement soit peu courant, j'en conviens. Qu'il soit "incompréhensible" à certaines personnes, je le conçois aisément. Qu'il soit délirant... je ne le crois pas. Ne serait-ce que parce que je crois pouvoir le défendre tout à fait rationnellement, si je devais en répondre.

Ainsi, dans ma perception des relations, revenir vingt ans plus tard sur une situation restée incomprise n'a rien de bizarre ni de pathologique. Au contraire, je trouve cela très sain de chercher à mettre au clair ce qui pose question. Je l'ai déjà fait il y a près de trente ans avec un amour de jeunesse et cela m'a permis de totalement dépasser le malaise que j'avais porté. Pour moi cette ancienne expérience a été tout à fait bénéfique. Alors entreprendre un travail intérieur du même ordre, pour une autre situation "anachronique", ne me semble pas du tout aberrant. Éclairé par la première expérience je peux, en outre, en éviter les écueils. Comme celui de croire légitime de "forcer" l'autre à répondre à mes demandes. Cette piste n'est pas une option. D'ailleurs, à chaque fois que j'ai été tenté d'envoyer une missive, j'ai dû me rendre à l'évidence : d'une part cela m'est moralement interdit, et d'autre part il me paraissait bien difficile d'être sûr de n'avoir aucune attente !

Il ne me restait donc que peu de pistes à explorer, hormis une très lente décantation en solitaire [et avec la béquille de ce journal, aussi peu "bavard" soit-il]. Jusqu'à ce que le fruit mûr de mon élaboration intérieure se détache, il y a quelques jours, en redécouvrant des fichiers perdus...








Vendredi 17 février 2023


Est-ce que je peux revenir ?

Si tu ne cherches pas à m'entraîner du côté de la raison ou de la morale, oui, tu peux.

C'est toi qui diriges les échanges, tu le sais bien.

Ok, alors je me lance. J'ai envie de savoir ce qui opère en moi en ce moment. Non pas pour comprendre pourquoi, subitement, je change de stratégie en abordant clairement ce que jusque-là je refoulais, mais pour analyser ce qui se travaille en moi en ce moment. Ou qui s'est travaillé depuis des années en sous-marin.

Dis m'en un peu plus.

Et bien j'ai entrepris de relire la correspondance à partir de là où j'en ai gardé des traces. C'est à dire le mois d'août 2001. C'est à ce moment-là, je crois, que l'aimable correspondance de deux diaristes a changé de tonalité. D'ailleurs si j'ai commencé à conserver des textes à ce moment-là, et pas avant, c'est que quelque chose de particulier m'y avait conduit.

Tu disais que tu avais aussi des copies papier depuis l'origine.


Oui, elles sont classées à part, dans un dossier-papier, et je n'ai pas encore cherché à voir si elles couvraient toute la période depuis le 7 juillet 2000, date de mon tout premier courrier.

C'est important, pour toi, cette précision dans les dates ?

Le 7 juillet 2000, oui, puisque c'est ce jour que j'ai à la fois écrit à qui l'on sait et commencé (ou réellement activé) mon journal en ligne. Pour les autres dates, ce sont plutôt des périodes que je garde en mémoire : telle année, tel mois.

Je précise ma question : c'est important, pour toi, cette chronologie.

Oui, tout à fait, puisque c'est dans le continuum qui s'est dessiné entre la naissance, le développement, l'apothéose et le déclin. Il y a eu un enchainement de faits et de situation qui ont concouru à la fin tragique que l'on sait.

Fin tragique ?

Ouais bon, j'exagère un peu avec mes mots. Disons... la fin.

Tu as toujours du mal avec ce genre de mots définitifs.

Oui, c'est me faire violence que de les employer. Parce que pour moi rien n'est fini.

"Rien n'est fini" ?

Des tas de choses sont finies : la montée en puissance est finie, la découverte initiale et terminée, la correspondance n'est plus. Le lien lui-même... donne toutes les apparences de ne plus exister.

Ah, tu hésites. Tu as du mal à poser certains constats ?

Disons que les constats peuvent avoir plusieurs dimensions. Objectivement il n'y a plus aucun lien d'échange. Donc on pourrait dire que le lien n'existe plus. Cependant, à un autre niveau de conscience le lien demeure du seul fait que pour moi il reste vivant. En état de léthargie, certes, mais vivant. D'ailleurs il n'y a qu'à lire la tonalité de ce journal depuis que, en pratique, tout serait "terminé". Il est clair que pour moi, en mon for intérieur, ce n'est pas terminé. Il y a donc bien une double conscience, qui fait intervenir d'un côté la raison, de l'autre "l'intuition", quoique le mot me semble impropre.

Quel pourrait être un terme plus juste ?


Une sorte de "force", de "puissance" de "plus fort que moi". Osons le mot : une "foi". Au sens originel : fidelis. Non pas une fidélité morale, mais une fidélité affective, sentimentale. Non : pas sentimentale. Disons plutôt... quelque chose qui ressort de l'amitié. Et de l'amour, donc.

Continue...

Je ne peux que reconnaître qu'au plus profond de moi je reste "habité" par la qualité de ce qui s'est vécu autrefois. À un moment donné il a existé une relation dont la qualité a surpassé tout ce que j'ai connu ailleurs, confinant à... la perfection. Oui, durant quelques temps, nous avons atteint "l'idéal". L'idéal de ce que, chacun de notre côté, espérait au plus profond de soi. En disant cela je ne suis pas dans un imaginaire délirant : nous nous le sommes écrit, émerveillés que nous étions d'un tel degré de confiance et de respect. En langage courant on pourrait dire que c'était "magique".

Je te sens exalté, là.


Je ne dirais pas exalté. Plutôt absolument juste. Je le répète: nous avons touché à la perfection. Nous avons atteint un summum. Et je crois que c'était, jour pour jour, les 15 et 16 février 2003. C'est là que j'ai arrêté ma lecture.

Pourquoi l'avoir arrêté là ?

Parce que j'ai retrouvé les mots que je cherchais. Ceux des sensations que j'avais gardé en mémoire. J'ai voulu m'assurer que, définitivement, je n'avais pas embelli ce qui s'était si fortement imprimé dans mon esprit et qui a orienté la suite. Il y a là les bases, les fondements sur lesquels je me suis appuyé. Et c'est à cela que je suis fidèle. Parce que ce qui a existé dans des conditions favorables, qui a périclité dans des conditions défavorables, est toujours présent en moi. C'est le noyau autour duquel j'ai tout construit.

Et maintenant que tu as retrouvé ce noyau... ?


Déjà cela me rassure sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un délire, d'une exagération fruit d'un imaginaire porté au sentimentalisme mièvre. Non, ce qui s'est écrit à ce moment-là entre deux personnes hésitantes à confier l'une à l'autre le plus profond de leurs désirs, de leurs fragilités, c'est un bijou. Nous nous sommes donné, en confiance, les armes... Non : nous avons ouvert, en confiance, les armures qui nous protégeaient. Ce faisant nous avons offert notre vulnérabilité absolue. Je ne citerai pas ce que j'ai relu, parce que c'est trop intime, mais nous avons clairement formulé que si l'autre "abandonnait", ce serait terrible. Dévastateur. Oui, bien avant de nous rencontrer physiquement, nous connaissions déjà nos vulnérabilités.

Continue...

Si j'ai arrêté ma lecture là c'est que je pressens qu'à cette période il y a eu une première inflexion. Déjà je note que la notion de "doutes" apparaît. Et c'est moi qui l'exprime. Dans les échanges j'évoque clairement ma propension a douter si je ne suis pas régulièrement "rassuré" sur l'importance que j'ai pour l'autre lorsque je ne reçois pas de signes durant plusieurs jours.

Tu doutais ?

Je doutais, oui. Et je m'en voulais de douter ainsi alors que, "rationnellement", je savais ne pas devoir douter. Je dis "rationnellement" parce que j'avais senti le pouvoir potentiellement destructeur de ce doute, qui ne venait que de moi.

Elle ne doutait pas ?


Je ne crois pas. Elle était prudente, mais ne doutait pas. Elle m'expliquait son monde, sa façon de voir les choses, ses doutes sur elle-même, mais pas sur notre relation. Sa confiance paraissait croître sans que le doute ne s'y invite. La mienne croissait... en restant marquée par ce doute insidieux venu de loin. C'était moi l'élément contaminant.

Contaminant ?

Oui, je crois que ce sont mes doutes qui ont fragilisé ce qui confinait à la perfection.

On va arrêter là pour le moment.

Juste un dernier mot : je ne devrais pas dire "perfection", mais "confiance parfaite". Ou "confiance absolue".



* * *
 


Extrait de mon journal dans "Ça tourne pas rond", le 15 février 2003 :


« Il aura suffi que ma complice soit moins disponible en ce moment pour que je me retrouve finalement seul face à moi-même. Un peu perdu. Doutes qui resurgissent, enflent, m'envahissent. Ai-je trop parlé ? trop montré mon attachement ? Ne suis-je pas envahissant ? Ne suis-je pas devenu dépendant ? Ou alors au contraire est-ce que je ne me montre pas trop distant ?

Désemparé.

Agacé par moi-même, cette trop rapide propension à tout remettre en question. Je n'ai aucune raison objective de le faire, mais je maîtrise mal cet envahissement. Je ne résiste pas très longtemps devant les assauts incessants de ce doute. Et si j'avais laissé croire quelque chose qui semble bien difficile à réaliser ? Et si elle se protégeait, anticipait, en prenant de la distance ? Et si elle n'acceptait pas cette relation, privée du contact jusqu'à une échéance lointaine ?

Et si, à force de douter, et de l'exprimer, je ne la faisais s'éloigner de moi ? »



Cette dernière phrase, étonamment lucide, dessinait déjà ce qui allait advenir. Mon doute a bien été à l'origine de la chute.








Samedi 18 février 2023


Alors, où en es-tu aujourd'hui ?

J'ai poursuivi ma lecture de correspondance. Je suis allé au dela de ce que je pressentais comme étant "l'apothéose", que je devrais peut-être appeller "summum" de l'idéal. Et comme je le pressentais, quelques mois plus tard des crises étaient apparues. Il y a des trous dans la correspondance, parfois de plusieurs mois et je sais qu'un épisode très marquant a eu lieu au printemps 2003. Quelque chose s'est brisé là, mettant fin à la notion d'idéal. Chose normale, cela va de soi : il y a forcément une fin à l'idéalisation. Ce jour là, après notre première "dispute" (dans mes souvenirs), je m'étais effondré en me disant que j'avais tout cassé. En fait on est toujours deux à "casser" quelque chose dans une relation : celui qui amène l'élément "cassant" et celui qui, par sa réaction, le casse. Cette fois c'est moi qui avait amené l'élément "cassant" en étant demandeur d'attention.

Hmmm...

En relisant au delà de cet épisode dont je n'ai pour le moment pas retrouvé la trace, mais qui apparaissait sybillinement dans nos journaux respectifs, j'en suis arrivé à nos échanges de l'été 2003. Et là encore je suis tombé sur une autre crise, toujours due à l'introduction de l'élément "cassant" : j'exprimais mon désarroi devant la perte de substance de nos échanges, formulant des hypothèses et des questions pour comprendre, à deux, ce qu'il se passait et comment nous pouvions nous adapter à cette évolution vers une moindre intensité.

Te sens-tu encore coupable d'avoir apporté ces éléments cassants ?

Disons que cette tendance à la culpabilisation, sur le mode du "si je n'avais pas exprimé mes doutes, ou mes manques, il n'y aurait pas eu crise", m'a toujours parue inadaptée. Si je pouvais reconnaître avoir déclenché, en apparence, la crise, celle-ci ne naissait pas ex-nihilo. Je mettais des mots sur une situation prééxistante et c'est ce qui rendait la chose visible. Je pointais du doigt... ce qui était là. Certes, avec ma tendance au doute, je pointais peut-être un peu vite les choses. J'aurais pu prendre acte de ce que je constatais et m'adapter en conséquence.

T'adapter ?

Oui, j'aurais pu prendre du recul et m'ajuster à la situation : si je constatais une moindre communication je pouvais me mettre en pause et attendre que, de l'autre côté, s'exprime le désir de la réinvestir. Bref, faire preuve de souplesse en ondulant au gré des vagues.

Qu'est-ce qui a fait que tu n'agisses pas ainsi ?

D'une part il y avait ces doutes... mais en me relisant j'ai pu constater qu'ils n'avaient finalement pas duré très longtemps. J'avais pu être suffisamment rassuré pour me sentir en confiance, visiblement de façon durable, si j'en crois nos échanges. Et d'autre part... et bien j'ai perçu un décalage entre le pacte que nous avions implicitement scellé et la réalité de ce qui se vivait.

Le pacte ?

Oui, un pacte de sincérité et de "transparence". Afin d'être au plus près de nos ressentis respectifs dans cette relation. Après nous être mutuellement exposé nos vulnérabilités et avoir ainsi touché du doigt les risques que nous prenions en nous dévoilant autant, nous avions opté pour l'expression libre de nos ressentis. Par exemple si je sentais le doute en moi s'immiscer, j'évoquais les pensées qui me traversaient, j'analysais l'origine de la situation. Et ces aveux de faiblesse étaient lus ou écoutés avec attention et curiosité. De sorte que le moindre décalage entre nous était rapidement réajusté, au bénéfice de la relation et de notre bien-être. C'est cela que je nomme "idéal" : une parfaite confiance. Ce qui n'empéchait pas le doute de revenir de temps en temps, mais j'étais rapidement rassuré. Et réciproquement.

Et qu'est-ce qui a fait que ça n'a pas duré ?

Et bien précisément, je ne sais pas. Il y a là un mystère que je ne m'explique pas. Ce "je ne sais pas" reste, vingt ans plus tard, le questionnement irrésolu. Non pas par rapport à cette précoce incompréhension, mais parce que c'est à partir de là, selon moi, que "quelque chose" d'extrêmement sensible et délicat, le coeur même de ce qui nous a rapprochés, à commencé à se fissurer. Il y avait les mots échangés, qui favorisaient la libre expression de nos fragilités... et puis, parfois, la réalité qui en différait.

C'est à dire ?

Il est arrivé que ce que je dévoilais en confiance, c'est à dire mes failles, mes attentes, ne fut pas "entendu" comme je l'espérais. Ma sincérité heurtait des limites auxquelles je ne m'attendais pas. Très surpris, je constatais qu'en exposant mes vulnérabilités... je déclenchais des réactions défensives-agressives. Oh, ça restait minime, mais je sentais bien que je touchais un domaine sensible, âprement défendu. Et là, eh bien je ne comprenais plus rien. Pour moi le pacte de confiance et de sincérité se brisait. Et là, j'étais perdu. Mes repères vacillaient, je me retrouvais seul devant une hostilité à l'égard de ce que je venais de confier. Pour moi, c'était terrible. Je me sentais être l'élément perturbateur, celui qui amenait la discorde.

Tu en parles avec émotion.

Oui, parce que je crois que c'est autour de ces brisures a répétition que s'est installé ce qui allait conduire au déclin de notre relation, des années plus tard. Il y avait manifestement des zones sensibles dans lesquelles je ne devais pas aller. Je ne devais même pas m'en approcher. Sauf que je n'en connaissais pas vraiment les contours.

Ils ne t'avaient pas été précisés ?

Hmmm, si, plus ou moins. J'en retrouve les traces dans notre correspondance. Des pharses éparses, des sensibilités décrites au travers d'autres relations... qui avaient périclité à cause de ça, justement. D'une certaine façon le parcours avait été balisé et j'avais bien noté un certain nombre de ces zones sensibles. Elles étaient des mines potentielles, sur lequelles je devais prendre garde à ne pas mettre le pied. Mais quand nous en parlions, elles étaient décrites comme inopérantes avec moi. Soit parce que la situation était différente, soit parce que la qualité de ce que nous avions établi ensemble nous prémunissait de toute explosion. Le terrain était décrit comme sûr. Alors bien sûr, à la première explosion de mine... je n'ai rien compris. Ça ne devait pas exploser...

Qu'as-tu ressenti à ce moment-là ?

Un chagrin immense. Cette impression d'avoir "tout cassé", par ma faute. Celle de m'être avancé en confiance... mais pas assez prudemment. Je n'aurais pas dû exposer mes doutes, mes peurs, et surtout, je n'aurais pas dû perdre confiance.

N'y a t'il pas une contradiction entre "avancer en confiance" et "perdre confiance"?

Si, précisément. C'est comme si j'avais fait confiance à un « fais-moi confiance » mais que, dans la réalité, j'aurais dû faire preuve de prudence en ne me confiant pas au delà d'une limite de sensibilité. Mais d'un autre côté il est vrai que mes doutes, c'est à dire une perte de confiance, jouait au coeur de ce pacte. En exprimant des doutes j'exposais de fait une fragilité et cela pouvait fragiliser l'autre de me voir ainsi douter d'elle. Voilà pourquoi j'assume la responsabilité d'avoir, le premier, été porteur d'un doute contaminant. Ce sont mes doutes qui ont joué dans ses sensibilités.

Tu dis que tu assumes ta part de responsabilité. C'est important pour toi ?

C'est fondamental ! Si je ne regarde pas en face cette responsabilité, cela revient à me sentir "victime" de quelque chose d'extérieur. Soit mon parcours antérieur, notamment mon enfance et le rôle castrateur de mon père, soit une responsabilité extérieure, qu'en toute conscience, je ne peux accepter. Ce serait me défausser à bon compte.

Tu parlais plus haut d'élement cassant et de réaction à cet élément cassant. Comment intègres-tu ce que tu viens de dire avec cette idée ?

Par rapport à la sincérité-confiance, indissociable duo, je considère avoir été porteur de l'élément cassant. Ce faisant, j'ai induit des réactions. Mais c'est bien moi qui, le premier, ai introduit l'élément perturbateur.

En es-tu sûr ?

Il me semble, oui.

Mais tu disais aussi que l'élément cassant ne pouvait pas venir de "rien". il y a donc d'autres éléments qui entrent en jeu. Quels pourraient-il être ?

Je ne peux que m'en tenir à des suppositions, plus ou moins fondées. Mais cette histoire de "champ de mines" est certainement un des éléments à prendre en compte. J'ai très vite senti qu'il y avait des attitudes à ne pas avoir... si je tenais à cette relation. J'acceptais volontiers l'existence de ces zones sensibles, dont la description balisait aussi les zones de confiance. Le fait même de décrire cela engendrait le processus de confiance croissante. Quoi de plus touchant que d'être informé, en confiance, de ces zones de vulnérabilité ? Je crois que c'est cela qui a constitué un des éléments forts de la relation. Car il y avait de la confiance réciproque et ce partage de confiance faisait toute la beauté du lien qui se construisait. Certes le terrain était miné, mais le plan des mines m'était donné. Comment ne pas me sentir en confiance ?

Tu parles de "mines", armes qui sont placées à dessein pour blesser ou tuer. L'analogie n'est-elle pas excessive ?

J'en parle dans le sens d'objets vulnérants dissimulés, donc invisibles pour qui s'aventure sur le terrain. Dans l'histoire que je décris il n'ont évidemment pas été placés à dessein. Ou pas volontairement.

Pas volontairement ?

Je repense à un aveu étonnant, sur une tendance au sabotage... mais je n'en dirai pas plus. Cela ne m'appartient pas.

Tu parles d'un aveu... tout en disant que ça ne t'appartient pas. Pourtant cela t'a bel et bien été donné. Un aveu c'est un "don".

Tout à fait. C'est aussi un soulagement pour qui s'en décharge.

Que penses-tu de ce don qui t'a été fait ?

J'y ai vu une tentative de compréhension et une marque de confiance. Typiquement, cela correspondait exactement au pacte de confiance-sincérité. D'ailleurs la plupart du temps il fonctionnait très bien. Ce jour-là une hypothèse était posée et je ne peux m'empêcher de penser qu'elle avait une part de vérité. Peut-être existait-il une part de refus de la perspective du bonheur ?

C'est intéressant cette idée de "perspective du bonheur", à rapprocher de la question de "summum de l'idéal" évoquée plus haut.

Je n'avais jamais fait le rapprochement ! Et là, tout d'un coup, je me rends compte que ma propension au doute, qui était en fait une crainte que le bonheur ne dure pas, ou qu'il ne soit "pas pour moi", pourrait rejoindre le "sabotage relationnel"... par peur de croire que le bonheur existe et que "j'y ai droit".

Hmmm...

C'est dingue, ça ! Je suis en train de me rendre compte que, probablement, nous avions le même genre de peur mais qu'elles s'exprimaient de façon opposée. D'un côté le doute exprimé, en attente de réassurance : de l'autre le doute plus profondément enfoui, sans doute moins exprimé, et une fragilisation par les doutes exprimés par l'autre. Comme si les doutes exprimés étaient menaçants, inquiétants. Comme si les doutes pouvaient tuer le bonheur entrevu. Oui, je crois que cela fait sens. D'ailleurs cela correspond bien à quelques phrases, relues dans la correspondance, exprimant très clairement, de part et d'autre, la crainte de l'anéantissement si cette relation, tellement "merveilleuse", devait péricliter.

Vous vous l'étiez écrit ?

Parfaitement. Noir sur blanc. J'avais oublié les formulations exactes mais je me souvenais bien de ces déclarations de haute intensité. Et là encore cela avait renforcé notre lien. Nous étions bien dans la mêmes situation, avec une importance équivalente, extrêmement haute, accordée à ce lien entre nous et à la qualité d'échange et de confiance qu'il nous avait permis d'atteindre.

Tu es de nouveau un peu exalté, là...

Oh là, tu sors de ton rôle là ! C'est un jugement, ça. C'est plus fort que toi.

C'est vrai.

Je ne suis pas exalté : je restitue fidèlement ce que nous nous écrivions au moment de l'apothéose confiance-sincérité. C'est extrêmemement important comme épisode, parce que c'est sur cette base que j'ai solidifié ma représentation de la relation. C'est cette période que je garde en tête comme "possible atteignable", parce qu'atteint.

Tu en as déjà parlé hier.

Oui, et le fait que je le répète indique bien que j'en reviens toujours à ce "noyau". Cela a existé ! Cela a été possible ! Cela reste donc possible.

Où ? Pour qui ?

Possible à vivre pour moi. Avec elle ou ailleurs.

Tu dis « avec elle » ?

Pourquoi pas ?

Parce qu'elle ne le veut pas.

Et alors ? Ce n'est pas parce qu'elle ne veut pas que ça ne reste pas "possible".

On va en rester là pour aujourd'hui.



* * *


Pendant une bonne journée passée dehors, j'ai laissé mes pensées "travailler" et j'ai réfléchi à la notion de "sabotage relationnel". Bizarrement je n'avais pas cherché auparavant à me renseigner à ce sujet. Si je sais de longue date que l'autosabotage existe face à "la crainte de réussir", je n'avais pas approfondi le concept en matière relationnelle. Je me demande si je n'ai pas, inconsciemment, occulté ce qui aurait pu me renseigner... sur ma propre tendance à l'autosabotage ! Je ne savais même pas que c'était quelque chose de suffisamment courant pour que nombre d'articles en parlent. Cependant, j'ignore si c'est un mécanisme psychologique reconnu ou si ça reste dans le champ para-psychologique du "développement personnel".

Voici ce que j'ai trouvé et qui me paraît un minimum sérieux :

« L’autosaboteur joue principalement sur le registre des doutes, des peurs et de la culpabilisation liées avec le syndrome de l’imposteur. »

Rien qu'une introduction de ce type aurait eu de quoi éveiller mon attention. La correspondance avec mon portrait est suffisamment frappante.
« L'autosabotage et tous les comportements qui y sont reliés sont des actes inconscients apparaissant dans des moments de grands changements dans la vie des individus, peu importe leur nature. Ces comportements ont tendance à gêner l'accomplissement des objectifs ou buts via des auto-manipulations inconscientes. (...) C'est une manifestation de toutes ces croyances basées sur des peurs qui se sont installées à un moment de leur vie et qui ont abouti à des échecs qui, au fil du temps, ont pris du poids et le pouvoir en elle. Ces manifestations sont le symptôme de blessures plus profondes appartenant au passé, souvent à l’enfance. Il est important d’en prendre conscience afin de travailler dessus et reprendre confiance en soi et de ne pas avoir peur de se tromper afin d’affronter ce qui doit l’être. »

Bon... j'aurais peut-être pu commencer par là : prendre conscience que moi aussi j'y étais soumis.

« Ces comportements auto-saboteurs apparaissent souvent dans les situations qui impliquent une grande responsabilité ou un engagement important, ou quand la personne doit prendre une décision importante qui représentera un enjeu personnel pour elle. (...) ce qui caractérise l’autosabotage c’est le fait d’avoir cette croyance négative « de ne pas mériter de réussir, ou d’être aimé,.. ». C’est souvent très fortement ancré et inconscient et la personne s’en défend souvent en accusant les circonstances extérieures. Ce qui renforce souvent la croyance négative qui s’autoalimente en permanence. »

Source : https://www.psychologue.net/articles/quest-ce-que-lautosabotage


Sur le même site, un article aborde plus spécifiquement le sabotage amoureux :

« Imaginez la situation suivante : vous êtes avec un nouveau partenaire. La connexion est magique et la personne est incroyable. Il y a une complicité intellectuelle, une bonne alchimie et le sexe est agréable.

Naturellement, le désir d'augmenter l'intimité et de passer plus de temps ensemble apparaît, mais soudain, vous commencez à vous comporter de manière froide et distante.
Vous arrêtez d'être attentionné, annulez vos projets, commencez à vous disputer sur des absurdités et évitez de parler de faire passer la relations au niveau supérieur. L'autre ne comprend pas le changement de comportement. L'autre exprime sa déception et essaie d'améliorer ce que vous n'aimez pas. Cependant, vous continuez à rencontrer des problèmes là où il n'y en a pas. Jusqu'à ce que votre partenaire ne puisse pas supporter ce comportement. La relation se termine et vous êtes de nouveau triste et seul.e.

Cela vous semble familier ? Si c'est le cas, vous avez de fortes chances de saboter vos relations affectives.
»



Pour ma part je ne me retrouve pas dans ce cas de figure... mais y reconnais cependant quelque chose de proche de ce qui s'est produit.


Un autre site aborde les choses ainsi :

« D’où proviennent les comportements d’autosabotage relationnel ?

Les racines de l’auto-sabotage se trouvent souvent dans les expériences négatives de la petite enfance. Il résulte souvent de parents (ou d’autres personnes chargées de s’occuper de l’enfant) qui se sont montrés peu réceptifs, abusifs ou incohérents dans leur façon de s’occuper de l’enfant. Il déclenche des sentiments profondément ancrés d’indignité ou d’insuffisance. Il favorise une vision négative de soi et des attentes négatives ou une méfiance envers les autres.

Voici quelques raisons pour lesquelles les gens s’autodétruisent dans leurs relations :
  • La peur d’être blessé.
  • Une faible estime de soi.
  • Croyances et attentes relationnelles malsaines.
  • Difficulté à faire face aux problèmes relationnels.
  • Évitement de l’engagement.
Une personne qui a peur d’être abandonnée évitera les relations pour se protéger. Elle peut être contrôlante et exigeante pour s’accrocher à son partenaire. Elle peut également laisser les choses progresser seulement jusqu’à un certain point avant qu’un comportement sabotant ne mette fin à la relation. »

Source : https://www.lesmotspositifs.com/blogue/signes-autosabotage-relation/


Je ne sais pas si j'ai eu tendance à autosaboter la relation en exprimant mes doutes. Je crois qu'au contraire je cherchais à solidifier le lien et "attendais" de la mansuétude envers ce que je percevais comme une faille en moi et, de là, une menace pour la pérennité de la relation. J'aurais eu besoin d'être aidé... et considérais que ma partenaire avait cette solidité en elle. En cela je me suis trompé car en exprimant mes doutes, donc implicitement un manque de confiance, je pouvais laisser entendre que si je n'étais pas rassuré j'abandonnerais l'aventure. Mais tout aussi bien, en montrant mes failles et le besoin d'être rassuré, je pouvais susciter une crainte de l'envahissement. D'ailleurs, dans notre correspondance, il m'est arrivé d'exprimer clairement mes craintes par rapport à ces deux possibilités d'interprétation.

Enfin, dernier point à remarquer : le moment où les tensions se sont exacerbées correspond à la période où, dans ma vie conjugale, il commençait à y avoir de sérieux remous par rapport à mon ouverture à cette autre relation. Là encore, la crainte pouvait être double : que je renonce à la relation parallèle (suscitant une crainte d'abandon) ou au contraire que je renonce à ma vie conjugale (avec pour corollaire une crainte d'envahissement). Ce ne sont bien sûr que des hypothèses personnelles qui, dans mon souvenir, n'ont pas fait l'objet d'échanges approfondis. Comme s'il avait été malvenu d'en parler.



* * *


« (...) et si, bien malgré ma volonté, quelque chose en moi ne se mettait pas en position de créer ce qu'il craint le plus ? C'est à dire que ma peur d'être abandonné ferait en sorte que je me trouve à solliciter cette crainte... en déclenchant précisément ce que je redoute. En craignant de n'être pas aimé... mon subconsient pervers ferait s'agiter le chiffon rouge que tu ne supportes pas de voir. Juste pour sentir si tu peux l'accepter ou pas... confirmant ainsi la crainte lorsque je vois que, non, tu ne l'acceptes pas. En quelque sorte "tester" ta capacité d'acceptation.
Je ne sais pas ce qu'il en est, mais je me suis posé la question.

Ça ressemblerait au "sabotage" inconscient de cette possibilité de rencontre.

Bon... mais tout ça est à un tel niveau du subconscient profond que je ne sais pas si on peut y avoir accès.
»

Correspondance, Pierre, 1er août 2003







Dimanche 19 février 2023

Matin

Dixième jour de mon voyage rétrospectif. Chaque jour j'ai consacré plusieurs heures à reconstituer une correspondance, réinsérant dans l'ordre chronologique les échanges datés d'il y a... vingt ans. Partant d'août 2002, j'en suis à août 2003. J'ai tout relu, mot à mot. Cela donne une idée de la densité des échanges et/ou de la longueur des mails, qui atteignaient parfois plusieurs pages. Actuellement j'ai compilé approximativement 500 pages Word, sans remise en forme.

Ce qui m'apparaît c'est que le registre de l'écrit y est majeur. Non seulement dans ces échanges épistolaires, mais aussi dans une autre forme d'échange que nous pratiquions souvent : le tchat Yahoo!. Généralement avec caméra, ce qui donnait une dimension supplémentaire à des "conversations" peu fluides, phrase par phrase, souvent en décalage dans le tac au tac. Dans ces temps antédiluviens les systèmes de vidéoconférence n'existaient pas. Ou n'étaient pas aisément accessibles. Le logiciel Skype n'a été crée qu'en août 2003, et le populaire Zoom en 2011. Nous avions aussi des conversations par téléphone qui, si je me souviens bien, étaient relativement onéreuse quand elles duraient longtemps. Et puis, bien sûr, il y avait nos journaux respectifs, autre façon de "communiquer" indirectement, notamment sur les autres aspects de nos existences.

Par cette relecture intégrale (il me manque quelques mois, entre mars et juillet 2003) je réorganise ma perception de l'aventure commune. Avec le temps, je me rends compte que j'avais un peu déformé le réel, gardant des souvenirs surévalués de certains épisodes ou, au contraire, ayant quelque peu oublié des moments importants.

Dans le grand chaos qui a marqué la "fin", je me suis parfois perdu en voulant comprendre l'origine des dysfonctionnements. Avec, en particulier, d'assez désagréables discordances de perception sur la réalité des faits selon les deux protagonistes.

Ce que je retiens aujourd'hui c'est qu'il y aurait eu une première période d'approche, ayant duré un an (juillet 2000 à août 2001). Je n'ai pas encore relu cette partie mais je la sais "sans histoires". C'était une correspondance régulière et aimable entre diaristes qui s'appréciaient mutuellement. À l'époque je vivais comme une sorte de privilège le fait de pouvoir échanger avec celle dont la pratique avait deux ou trois ans d'antériorité et dont la qualité d'écriture faisait mon admiration.

À partir d'août 2001 s'est mis en place une correspondance plus soutenue, plus personnelle, plus initime, durant laquelle nous comparions nos différentes approches de la séduction et des relations d'amour/amitié. Nous nous retrouvions dans une perception "décalée" du modèle majoritaire, en explorant toute la diversité des nuances relationnelles. Nous en parlions de façon générale, selon notre perception propre, mais après un an à ce régime nous sommes imperceptiblement entrés dans l'observation de ce mécanisme très délicat de séduction qui, apparu entre nous, prenait de l'ampleur. Manifestement nous nous plaisions, avec nos approches concordantes et nos modes de vie assez radicalement opposés : elle semi-célibataire, vivant seule mais aux nombreuses relations successives ; moi l'homme d'une seule femme, marié depuis vingt ans et vivant en famille. Il y avait entre nous, je crois, un vif intérêt pour le différent de soi mais tellement semblable dans son approche.

En dix-huit mois nous avions établi une grande complicité. En août 2002 elle m'avait proposé que l'on se téléphone mais j'avais décliné l'offre, par prudence : je connaissais le pouvoir de la voix et, à cette époque, redoutais que cela ne nous emmène trop vite trop loin. En décembre 2002 nous avons eu l'idée d'un blog à 4 mains. Pour des raisons pratiques il paraissait plus simple d'élaborer ce projet en faisant usage du téléphone. J'acceptai donc, dans les tout derniers jours de l'année 2002. Sous ce prétexte de praticité, j'avais pu m'autoriser à dire oui. Peu après, le 8 janvier 2003, avait eu lieu une rencontre de diariste à Paris et j'y avais participé. C'était à l'occcasion de la présence en France de "L'insomniaque", diariste montréalaise. Des photos avaient été prises et c'est ainsi que celle avec qui je conversais de longue date vit enfin mon visage. Elle n'avait encore eu aucune image de moi, tandis qu'elle en distillait régulièrement d'elle, par fragments, sur son site

Confidences + voix + visage... tout était en place pour que le rapprochement s'accentuat. En février 2003 l'attraction devint suffisamment significative pour que mon épouse s'en inquiète. Je ne lui avais pas caché le crescendo d'amitié ni, peu à peu, l'émergence de quelque chose de plus intense. Nous en parlions souvent et c'est à cette époque que Charlotte me déclara un jour, avec une fermeté que je ne lui connaissais pas : « Si un jour tu vas avec une autre, je te quitte ». C'est aussi à cette époque quelle me demanda, alors que nous évoquions sereinement tout cela assis dans l'herbe, près de la maison, « Tu l'aimes ? ». Surpris par ce mot, que je n'osais sans doute pas m'avouer, je ne sais même plus ce que je lui ai répondu ! Ce qui est certain c'est que je n'ai pas nié.

La correspondance s'interromp le 10 mars 2003, à ce que j'appellerai le summum de l'idéal : l'entente était parfaite... mais les premiers signes du poids de mes doutes étaient là. Cette période charnière a pour moi une grande importance parce qu'elle marque la naissance d'une fissure : suivant le pacte de sincérité-confiance que nous avions établi, je m'ouvrais de ce qui me tracassait. Sauf qu'en faisant cela j'allais plusieurs fois déclencher des réactions que je qualifierais de "défensives", qui sanctionnaient ma sincérité. Disons plutôt que les réactions défensives mettaient à mal, de mon côté, la confiance qui m'était nécessaire pour être sincère. Plusieurs courriels de ma part expliquent ce mécanisme.

S'il est important pour moi d'y revenir, vingt ans plus tard, c'est parce que cette faille de confiance, dont j'assume la responsabilité, a trouvé un milieu favorable à son extension. Certes je suis celui qui a failli... mais la fissure s'est propagée parce qu'elle était dans un milieu fragile. Autrement dit, dans un milieu "imperturbable" elle ne se serait sans doute pas propagée. Comme une faiblesse structurelle elle se serait parfois entr'ouverte mais aurait pu être circonscrite. Un peu comme une cocotte-minute dont la soupape permet d'évacuer la pression sans éclater la cocotte.

C'est d'ailleurs ainsi que nous avons pu fonctionner ensuite. Ma fissure de confiance mettait en pression la soupape de confiance de ma partenaire, qui lachait sa vapeur... et nous parvenions ainsi à réguler nos vlunérabilités respectives. C'est ce qui m'apparait dans notre correspondance, notamment durant une crise assez sévère en juillet 2003. C'est à dire deux mois avant notre première rencontre physique.

Il m'est important de remettre dans l'ordre, et à la juste hauteur, la suite des évènements qui, avec le recul, étaient sans doute moins dramatiques que le souvenir confus que j'en garde. J'ai besoin de réécrire le récit au plus près de sa réalité, au plus près de sa justesse.


* * *

Un peu plus tard...

Je parle de "faiblesses" et de" failles", mais si je veux être juste je pourrais aussi parler de "forces". Forces, au sens intérieur, mais "force" aussi envers le monde extérieur.

Ma "force" c'est peut-être d'avoir la capacité d'analyser en détail, et longuement, ce que j'observe en moi. Je peux passer un temps considérable à décrire, de la façon qui me semble la plus juste possible, ce que je comprends d'une situation dans laquelle je suis partie prenante. J'essaie, dans la mesure du possible, d'être objectif tout en sachant pertinemment que je reste porteur de subjectivité. Mon désir est donc de croiser les subjectivités afin d'obtenir un relatif consensus sur l'objectivité d'une situation. Bon, c'est un idéal probalement rarement atteignable. Mais au moins, lorsque l'on tombe d'accord sur le déroulement d'un processus impliquant plusieurs points de vue, ça me semble déjà bien.

Peut-etre suis-je doté de capacité analytiques, de capacités descriptives, d'une aisance dans l'écriture, qui me permettent de proposer une réflexion relativement aboutie ?

Ma "force" se serait située là, dans la relation que je décris a posteriori : j'analysais, je décrivais ce qui m'animait, et cela avait de l'intéret pour ma coéquipière, qui renchérissait. J'avais oublié qu'elle me l'avait signifié aussi clairement. Ou bien je ne m'étais pas rendu compte de cette "richesse" que je lui apportais.

L'envers de cette "force", c'est que j'en ai fait usage en attendant une forme de réciprocité. Tant que cette réciprocité allait de soi, tout allait bien. Mais quand, pour diverses raisons, un déséquilibre s'installait entre ce que je "donnais" et ce que je recevais en retour, cela devenait compliqué pour moi et, par voie de conséquence, pour ma partenaire. Et là, je faisais pression (je "forçais") pour avoir un retour équivalent à ce que j'avais non pas "donné", mais... peut-être imposé puisque j'attendais un contre-don. Disons que ce que je donnais attendait sa réciprocité (c'est un thème que j'avais développé, au moment des difficultés). Ce dont je n'avais pas conscience - et qui émerge en ce moment-même - c'est qu'en mettant en évidence ma capacité à décortiquer, je pouvais placer en situation de "faiblesse" ma partenaire qui, dans certaines circonstances, n'avait pas cette capacité à me répondre aussi abondamment que ce que j'attendais. Et quand je parle de réactions "défensives", elles l'étaient peut-être, le cas échéant, par rapport à ce sentiment d'impuissance dans laqueelle, sans m'en rendre compte, je plaçais ma partenaire.

Comment ne l'ai-je pas compris plus tôt ?

Parce que j'ai toujours douté d'avoir des "forces" ! Je ne comprends celle-ci (capacité argumentative, descriptive, analytique...) qu'ajourd'hui pour ce qui est de la sphère relationnelle. Pour le reste, j'en avais peu à peu pris conscience ces dernières années.

Et là, subitement, je fais un lien avec la relation que j'avais avec Charlotte, que j'épuisais avec ma soif de comprendre ce qui me posait question. Que ce soit le monde qui m'entoure ou la relation que j'avais avec elle.

Je fais le lien aussi avec ma co-équipière actuelle qui, au contraire, admire ma capacité de réflexion et d'analyse (admiration excessive, à mon sens). Elle aime les hommes "intelligents" et c'est cette qualité qu'elle a trouvé chez moi (sans que moi-même je parvienne à me considérer comme tel...).

Je suis donc en train de réaliser que, peut-être, mes faiblesses (faible estime personnelle, génératrice de doute), conjuguées à mes forces (capacité analytique et descriptive) ont probablement joué un rôle majeur dans, à la fois, la montée en puissance de la relation passée que j'analyse encore et le déclin de celle-ci. Parce que dire mes doutes (« devenir effrontément désinvolte avec les confidences »), conjugué avec ma capacité à les décrire, au milieu de ma soif de comprendre, et donc d'interagir avec autrui, pourrait bien être un cocktail instable. De la nitroglycérine relationnelle.

Avec Charlotte mes doutes étaient omniprésents et je dépendais à 100% de son regard sur moi. Avec "celle que je ne nomme plus" mes doutes étaient intermittents et mon autonomie affective soumise à de forts aléas (quand l'absence de retours positifs réveillaient mes doutes). Avec Artémis mes doutes sont "inexistants" (parfois réveillés lors d'épisodes défensifs-agressifs de sa part), parce que que je me sens libre par rapport à cette relation.

Ainsi - sans surprise - autonomie affective et propension au doute seraient solidement liées. De même, capacité à se dire (ou se décrire) ne ferait pas bon ménage avec qui n'a pas accès à cette aisance.

Je crois que cela, en l'état actuel de ma conscience/connnaisance du sujet, pourrait "expliquer" les raisons des tensions qui sont apparues. Et cela du fait que la défense/agression a la fâcheuse particularité de me faire perdre toute confiance en moi, donc à porter mes doutes à leur paroxysme. Sauf si l'injustice est manifeste. Dans ce cas ma confiance en ma capacité de jugement reste intacte et je peux alors argumenter et défendre mon point de vue, mon autonomie.

Ma "faiblesse" semble n'apparaître qu'en cas de vulnérabilité avouée... et refusée. Me sentir "agressé" (mécanisme défensif) alors que je me croyais en confiance est sans doute l'arme la plus destructrice pour mon auto-estime. C'est comme si, m'étant mis à nu, je devais subir la brûlure d'un lance-flammes. Cela m'anéantit.

Il se peut que ma "nudité" (vulnérabilité) ainsi exposée suscite une réaction d'insupportabilité ? Non pas dans le sens de "arrête de te dévoiler autant" mais dans celui de "je ne peux rien faire pour t'aider, alors va te rhabiller".

Non, ce n'est pas ça...

Ce serait plutôt : "arrête d'exposer devant moi les blessures à ta sensibilité infligées par qui je suis". Ou autrement dit : "ce n'est pas ma faute si tu es sensible à ce que je suis". Ou encore : "je ne veux pas me sentir coupable de te blesser en étant moi-même".

Je suis persuadé que les réactions agressives/défensives résultent d'un mécanisme de protection vis à vis d'une culpabilité à juste titre refusée. En gros ce serait : "je rejette ta sincérité parce qu'elle me montre que je te blesse en étant moi-même et que cela m'est insupportable. Insupportable de te voir souffrir et insupportable d'en être, malgré moi, l'instrument".

Ne pas oublier que montrer ses blessures peut-être une forme d'agression. De non respect de la sensibilité de l'autre.

Et davantage encore si cette monstration est publique... dans un journal intime en ligne :(


* * *


Plus tard...

Une intuition se dessine : et si nos "crises" n'étaient pas tombées à certaines périodes cruciales ? Je pense à une des premières, survenue alors que je commençais à entrer dans les difficultés liées à mon statut d'homme marié. Cela engendrait des discussions, des tensions, du questionnement au sein de mon couple. A ce moment-là je me sentais un peu "perdu". Non pas que j'hésitais, mais parce que je devais enclencher le mouvement et que cela pouvait aller vers l'irréversible. J'avais alors besoin de m'assurer que je ne faisais pas tout ça pour *rien* (TOUT !) et que ma partenaire restait bien présente. J'avais peur de ce que je faisais, je me sentais seul... et c'est à ce moment là qu'elle se montrait "absente", occupée ailleurs, fatiguée ou malade... Bref : pas vraiment là.

Autre épisode de même type, lorsque Charlotte m'a demandé de quitter la maison. Là encore je me retrouvais seul, allant encore un peu plus loin dans l'irréversibilité de ma situation de couple. J'avais besoin de sentir sa présence... et là encore ma partenaire était devenue "absente" (moins disponible).

Dernier épisode marquant : la pseudo "fin", en septembre 2004, quand ma co-équipière a décidé que notre relation s'arrêterait là et qu'il ne fallait plus que l'on se contacte. Mon sentiment de détresse en perdant à la fois la relation, nos confidences, notre amitié... au moment même ou Charlotte me laissait une ultime chance de restaurer notre couple, était immense. Or j'ai refusé d'accéder à la demande de Charlotte de ne jamais plus revoir ma complice. J'ai même refusé la demande, assouplie, de renoncer à la revoir pendant 1 an. Que pouvais-je faire de plus engageant que ce choix d'autonomie ?

Dans ces trois situations je me suis retrouvé "seul" pour décider de mes orientations. Dans ces trois situation il existait, vu du côté de ma partenaire, le risque que je renonce à tout ce que l'on s'était dit, à tout ce que l'on avait construit ensemble.


Note : je ne ressens pas du tout comme "malsain" de revenir ainsi en détail sur ce qui a pris une grande place dans mon récit de vie. Ce n'est pas davantage "pathologique" au sens où je me sens parfaitement clair dans la démarche que j'ai entreprise : clarifier, clarifier encore et "donner du sens" à cette séparation dont je n'ai pas compris qu'elle s'accroisse. Je cherche ma part de responsabilité dans cette pénible mésaventure.


* * *


Mon marathon dans les lignes d'écriture m'épuise un peu mais j'y trouve une grande satisfaction. Ce soir j'étais sous le charme du mois de septembre 2003, c'est à dire dans les préparatifs de notre première rencontre, suivi du retour à la banalité du monde réel. Non que cette rencontre fut "irréelle", mais elle était supra-réelle. Hors du temps et à une altidude inatteignable dans le quotidien. En quelque sorte ces trois jours furent notre "lune de miel" (oui, je sais, le terme est culcul et inadapté, mais sa poésie sied à ce que je veux en dire). Et puis la pleine lune était effectivement là, presque couleur de miel.

Lorsque je pense à la mise en ligne de ce qu'actuellement je stocke... je ne suis pas sûr d'aller jusque-là. C'est quand même extrêmement personnel. Je me demande si cela peut avoir un intérêt pour quiconque. Et puis je me pose des questions sur la portée de ces écrits : suis-je suffisamment respectueux de l'autre personne autrefois partie prenante ? Je m'en voudrais de ne pas être très vigilant sur ce point.

En attendant de statuer sur le sort de ces pages, je poursuis sans trop me poser de questions sur la forme. J'aviserai ultérieurement.


* * *


Alors, où en es-tu, ce soir ?

Sensation mitigée. J'ai relu certains épisodes durant lesquels la communication était difficile. Des situations de crise... dont je commence à comprendre qu'elles avaient sans doute un sens caché. Mais j'ai aussi relu des échanges extrêmement beaux, exprimant toute la puissance de ce qui nous reliait, la joie que cela existe et le souhait que cela dure.

Rien à voir avec la tonalité un peu tragique que tu évoques parfois.

Il y a eu du tragique... Non, le tragique il n'a eu lieu qu'à partir du moment où le processus de séparation/rupture a été enclenché. Avant il n'y avait que des difficultés passagères et beaucoup de merveilleux moment. En tout cas je retrouve davantage de traces de "beaux moments", de magnifiques moments, que d'épisodes douloureux. Même si ces derniers m'ont fortement impressionné.

Tu veux dire que tu leur aurait donné davantage de poids qu'il n'en ont eu ?

Ces moments de crise m'ont marqué parce qu'ils semblaient invalider et "détruire" ce qui avait été mis en place. Mais en fait ils permettaient toujours de reconstruire, plus solidement encore, une fois la crise dépassée. Je me demande même s'ils ne nous soudaient pas davantage.

Tu en doutais ?

Je crois que je me suis laissé impressionner et que lorsque de nouvelles tensions apparaissaient, je redoutais le courroux de ma partenaire. Non... je redoutais que nous soyons une fois de plus soumis à des turbulences... qui me désolaient.

Pour que tu attaches encore autant d'importance à des crises vieilles de vingt ans au sein d'une relation qui n'existe plus... c'est que ela t'a vraiment marqué.

Oui, exactement. C'est comme si j'avais été "surimpressionné" par ces crises... qui étaient avant tout des crises de confiance. Comme si, à ces moments-là, les deux étaient rattrapés par leurs vieux démons.

Ce que tu avais bien identifié à ce moment-là.

Oui, tout à fait !

Alors pourquoi sembles-tu encore pris là dedans ?

Je ne sais pas. Je crois que c'est la perte effective, qui ne viendra que bien plus tard, qui a ravivé le souvenir de ces moments de crise. Comme si se rejouait un scénario connu, perçu comme dangereux. Et comme, effectivement, l'après "séparation" est devenu extrêmement complexe, suivant une spirale descendante que je me voyais incapable de contrer, le scénario "crises" à pris beaucoup de place dans mon esprit. Surtout parce que chaque rémission finissait systématiquement en crise, dont il devenait de plus en plus difficile de se relever. C'est comme si, après avoir solidement bâti un cadre de confiance, il était démoli de plus en plus sérieusement par une succession de crises ne permettant pas de le rebâtir. Ça, oui, ce fut tragique. Et ça le reste.

Ça le reste ?

Oui, parce que malgré les années, je reste habité, imprégné, par cet échec relationnel. Je ne m'explique pas comment nous avons pu en arriver là. J'ai "accepté" que cela soit ainsi, ce qui fait que ça ne me révolte plus, que je n'en veux plus à cette co-équipière qui a préféré se préserver. J'ai accepté... mais ça ne m'empêche pas d'être encore ébahi d'en être arrivé à ce "rien" qu'est devenue une relation qui fut si extra-ordinaire.

Il s'agit donc d'une acceptation contrariée ?

Parfaitement : une acceptation rationnelle, mais fondamentalement je n'accepte pas l'extinction de ce qui a existé. Pour moi cette relation n'est pas morte.

Si tu restes seul dans une relation, n'est elle pas morte ?

Je ne le sens pas ainsi, je l'ai déjà dit. Je ne me résigne pas. Enfin si, je me résigne à ce qu'elle ne soit plus... mais d'un autre côté je n'ai pas abandonné. Je suis toujours là.

Ça veut dire quoi, "là" ?

Ça veut dire disponible. Prêt à répondre à l'appel... s'il devait y en avoir un.

Et s'il n'y en a pas ?

Prêt quand même.


Fidélité sacrificielle ?

Absolument pas. Il s'agit moins de "fidélité" que de confiance. Comme si ma confiance était devenue inébranlable. Inaltérable. Comme si je sentais, au plus profond de moi, qu'une si longue absence, un si long silence, une si grande... patience, ne pouvait qu'être gage de confiance et d'une puissante volonté de voir exister encore ce qui a été.

Tu dis "volonté" ?

Oui, je veux, je souhaite, je désire. J'ai fait ce qu'il fallait pour ça. J'ai coulé, puis ai gravi les marches une par une pour remonter à la surface, pour gravir une colline, une montagne. Et maintenant je suis prêt.

Prêt à quoi ?

Prêt à croire.

Croire à quoi ?

Croire en moi, croire en elle, croire en nous. D'ailleurs... il a été bien rare que je perde cette foi.

Foi ?

Foi au sens littéral : fides, ou -fiance, comme dans "confiance". C'est "plus fort que moi", cette confiance est toujours restée à mes côtés, sauf rares exceptions que je pourrais compter sur les doigts de la main. Et si parfois je semblais perdre confiance, ce n'était ni en moi ni en nous, mais en cette part qui ne dépendait pas de moi. En fait, je crois que je n'ai jamais douté de moi, dans cette aventure. Je n'ai douté que des autres.

Pourtant tu as souvent parlé de tes doutes...

Mes doutes sur la réciprocité, pas sur moi-même.

Tu étais plus solide que tu le croyais ?

Non, plus solide que ce que je laissais voir. Mais solide jusqu'à un certain point, puisque seul je ne pouvais rien. J'avais besoin de sentir une solidité en face.

Tu ne la sentais pas ?

Si, bien sûr ! Mais je ne correspondais pas forcément à ce qui semblait être attendu. Je redoutais donc d'être perçu comme "non aimable". Ma force dépendait de la confiance qui m'était faite. Et certaines paroles ont été, "menaçantes" en ce sens. L'épée de Damoclès était au dessus de ma tête. Pas tout le temps, mais quand j'exprimais certains doutes... qui pouvaient à leur tour en éveiller en retour. Une des hypothèses que je pose, c'est que c'est une conjonction de mésestimes personnelles qui aurait causé la chute. Le genre de scénario de doute sur sa propre valeur, donc de doute sur l'intérêt que l'on peut susciter chez l'autre, que l'on estime. Dans le genre : une personne aussi admirable ne peut pas s'intéresser durablement à quelqu'un d'aussi peu de valeur que moi. Je retombe sur le scénario d'auto-sabotage décrit hier. Je crois que ce mécanisme et vraiment délétère, et que le chemin pour en sortir est ardu, possiblement long, douloureux, et sujet aux rechutes. Je me dis aussi qu'il est dépassable.

On arrête là ?

Ok.






Lundi 20 février 2023


Ces derniers jours j'ai écrit "au kilomètre", sans penser la relecture ni revenir sur les fautes de frappe. C'est simple : je ne me suis pas relu. La mise en forme, l'éventuel polissage, voire l'autocensure viendront ultérieurement.

Je ne suis pas certain de mettre en ligne la totalité de ce que j'ai libéré. Peut-être m'aura t-il suffi d'avoir l'intention de la publication, sans avoir besoin de la rendre effective. Car je m'expose, cette fois plus que d'autres, au jugement tant ce que je raconte pourrait paraître... délirant. Je redoute cette éventuelle perception parce qu'elle invaliderait la portée de mon propos qui va, il me semble, au delà des apparences. En effet il s'agit moins de replonger dans le passé pour, en quelque sorte, le "ressuciter", que d'observer ce que ce plongeon me révèle de moi. Oui, je ravive quelque chose... qui semble n'avoir jamais été mort en moi, mais ce n'est pas stérile ni dénué d'avenir. Car ce qui ainsi "se travaille" en moi pourrait bien être un levier de changement. Je devrais dire qu'un levier a déjà mis en route un changement et c'est ce dernier qui m'a conduit à soulever la couverture qui maintenait un certain passé dans la pénombre.

Ce levier de changement, je crois qu'il vient de ma conscientisation de la fin. De ma propre fin. Depuis que je sais que, même en faisant preuve d'un très grand optimisme, je suis nécessairement plus proche de ma mort que de ma naissance, un imperceptible murmure me sussure que le temps est compté. Il l'a toujours été, mais maintenant le tic-tac de l'horloge biologique et existentielle est devenu plus audible. J'approche de l'âge de la retraite, mes enfants sont des adultes déjà bien affirmés, je suis trois fois grand-père. Ma mère est décédée il y a un an, mon père est devenu nonagénaire. Rien que du rationnel dans ces phrases, mais intérieurement, viscéralement, cela vibre différemment que dans la seule raison. Je dirais que la finitude s'incarne, s'incorpore en moi. Cela sans inquiétude aucune. Je vois se manifester ces signes avec sérénité. Presque avec amusement. Oui, je trouve ça marrant de passer imperceptiblement du côté des "vieux", moi qui me sens à peine sorti de l'adolescence, tout empêtré que je suis dans mon inconfiance.

Et ici-même je décris ce que je vis encore, vingt ans - VINGT ANS !?? - après la rencontre qui a bouleversé mon existence, peut-être jusqu'à la fin de mes jours. C'est fort, ça, quand même ! D'aucuns pourraient y voir un signe d'immaturité affective, de nostalgie anachronique, d'incapcité à lâcher, de phobie de l'abandon ou que sais-je. Il est possible que je souffre d'une pathologie bénigne dont je ne puisse avoir conscience. Je ne peux exclure cette éventualité. Il se peut aussi que je reste lié à une aventure sans fin ; qui ne pouvait avoir de fin durant la durée de mon existence. Parce que se serait vécu là... le summum de ce que j'étais en capacité de vivre à ce moment-là. C'est comme si j'avais eu accès à ce que je pouvais imaginer de meilleur pour la personnalité qui me constitue.

Les années ont passé et malgré mes efforts pour dépasser l'amertume, surmonter la tristesse, fragmenter l'incompréhension et l'hébétude, pulvériser le chagrin... et bien la beauté pure de ce qui a été vécu est toujours remontée à la surface. Malgré les blessures, malgré les rejets, malgré toute la violence ressentie, ce sont toujours les trésors partagés qui étincellent.

J'ai enduré de quoi anéantir toute persévérance, et pourtant je suis toujours là, vaillant, prêt à repartir. Non pas par masochisme, mais parce que... je ne doute pas. Peut-être est-ce une erreur, peut-être cela vient-il d'une incapacité à accepter cette fin-là. Je ne sais pas ce qui fait que ma confiance persiste malgré les messages de femeture déclarés comme « irrévocables ». Je sais, mais n'y crois pas. Cela, littéralement, "dépasse mon entendement". Et pourtant, à plusieurs reprises, après des coups de massue qui me terrassaient, j'ai cru abdiquer pour de bon. Je réalisais qu'après de tels rejets il était devenu impossible de rétablir quoi que ce soit. Il n'y avait plus aucun espoir de restaurer la confiance tellement elle avait été pulvérisée de part et d'autre. Mais  aplatir l'espoir n'empêche pas nécessairement qu'il se regonfle peu à peu. C'est un peu comme Terminator : même écrasé, brûlé, explosé... il se reforme et retrouve sa puissance. C'est persque un cauchemar, pour qui voudrait s'en débarasser une bonne fois pour toute !
C'est ça le problème : je ne veux pas m'en débarasser. Quelque chose résiste en moi. Parce que, comme je le disais, cela a existé. Et qu'en moi ce n'est pas mort. Qu'en moi cela ne meurt pas. Ou bien... n'est pas encore mort. Car ce qui existe encore maintenant, un jour n'existera peut-être plus. Il se peut que le travail que j'ai entrepris depuis quelques jours aboutissent à un changement dans ma structure de pensée. Je ne peux exclure qu'un jour un déclic se fasse et que, par usure, par lassitude, par colère contre moi-même ou je ne sais quelle autre manifestation intérieure, j'abandonne la lutte. Que j'abandonne ma "foi" en une relation dont les forces de séparation me surpassent.

Peut-être y a t-il de ça dans ma persévérance : voir si j'ai eu raison, ou pas, de ne pas douter.


Il y a quelque chose qui me travaille en sous-main depuis longtemps et qui s'est réactivé ces derniers jours : que peut-il se passer entre deux personnes qui doutent d'elles-mêmes alors qu'elles s'attirent ? Vont-elles se rassurer l'une et l'autre de se voir "personne de valeur" dans les yeux de l'autre, ou bien vont-elles s'inquiéter l'une l'autre de ne pas être à la hauteur de cet autre si "intéressant" ? Si je doute de ma valeur, alors je vais douter d'être intéressant pour l'autre qui m'intéresse. Et à la limite, si l'autre s'intéresse à moi, je vais peut-être tout faire pour qu'il voit à quel point je ne suis pas intéressant, confirmant ainsi ce que je sais [crois] de toute éternité : je ne suis pas aimable. S'il/elle m'aime, c'est qu'il/elle ne me voit pas tel que je suis, et je vais me débrouiller pour qu'il/elle ne m'aime plus, pour retrouver mon confortable équilibre de personne qui ne s'aime pas (je simplifie).

Je vois, dans cette dynamique auto-dénigrante une des hypothèses les plus plausibles pour expliquer les anicroches en pleine ascension, jusqu'à la chute finale. Ce n'est peut-être pas la seule explications, mais elle pourrait être une des plus redoutables d'efficacité. Pour l'heure, c'est celle qui me paraît la plus pertinente. Elle présente en outre l'avantage d'être issue de l'inconscient, ce qui permet de retirer toute idée de volonté. Dans un tel cas, deux personnes sont victimes l'une de l'autre et chacune d'elle-même. Il n'y a que des perdants.



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Je ne sais pas dans quoi je me suis lancé avec cette écriture "libre", qui l'est davantage parce qu'elle est hors-ligne pour un certain temps. Il se peut que ces quelques jours ne constituent qu'une excroissance temporaire, qui pourrait trouver place dans une page en marge du contenu chronologique. Il se peut aussi que je n'en publie rien. Sans avoir d'objectif précis j'ai une vague idée de ce à quoi je voudrais parvenir : reprendre un récit après l'avoir expurgé des restes encore insuffisamment digérés. Idéalement j'aimerais parvenir à un état de totale sérénité avec ce que j'ai traversé (ce que "nous" avons traversé...). Il me semble n'avoir plus aucune trace de rancœur. Je n'ai plus besoin de clarifier le passé en en discutant : je crois avoir suffisamment travaillé cela en solo pour ne pas avoir besoin de revenir dessus. Et peut-être ai-je envie, là, de m'alléger de certaines choses restées un peu obscures. Je crois que j'y parviens, remontant jusque vers ce qui appartient à ma personnalité profonde et qui serait bien antérieur à toutes mes relations "de cœur".

Idéalement j'aimerais parvenir à ne garder en tête que ce pour quoi j'ai tant lutté : la confiance et la sincérité. Le reste ne devenant que vieilles cicatrices, signatures de l'âpreté du combat contre des démons intérieurs et antérieurs.









Mardi 21 février 2023


Peu inspiré ce soir (et surtout un peu fatigué), je n'ai pas écrit. Mais je viens de relire mes entrées entre le 10 et le 19 février, pour vérifier si elles pourraient éventuellement être publiables [ici, pas en librairie !] dans quelques temps. J'avais la sensation d'avoir écrit quelque chose d'insupportable, trop mièvre, trop exposé, trop autocentré.

Je dois dire que... ce n'est pas du tout l'impression que j'en retire. Certes c'est autocentré, mais je relis ce récit familier en pensant à ce que pourrait y trouver un lectorat intéressé. Et je me dis que ça vaut d'être publié. Ne serait-ce que pour aider, le cas échéant, une seule personne à y voir plus clair dans son propre parcours. Je pense en particulier à la notion d'autosabotage qui, pour l'heure, prend une consistance que je n'imaginais pas.

Je crois l'avoir écrit plus haut (je ne me suis pas relu), que ce mécanisme de sabotage-protection-enfermement pourrait receler bien du potentiel explicatif.

Et les explications, c'est ce que je cherche ! C'est ce dont j'ai besoin pour passer le cap de ce qui résiste et attend sa délivrance.







Samedi 25 février 2023

Le flot de mots s'est tari. En partie parce que la trève d'une dizaine de jours sans réunions, propice à l'introspection, s'est terminée. Mais principalement parce que j'ai clarifié, dans mon esprit, un enchaînement de situations "historiques". J'ai écrit (et non pas réécrit) l'histoire. J'ai remis dans l'ordre le déroulé. En réinsérant des courriels dans leur ordre chronologique sur une correspondance jamais relue en intégralité, j'ai pu constater l'enchainement des faits et ce qui, ainsi, se construisait d'une histoire commune.

Je viens à l'instant de relire ce que j'ai écrit le 19 février dernier, durant un exercice d'autothérapie. Cette forme de dialogue entre différentes instances du "moi" est souvent féconde, parfois révélatrice. Je crois que cette entrée du 19 février, sans apporter de révélations, m'a permis de replacer certains éléments majeurs dans une échelle d'importance. Je me suis arrrêté en cours de lecture, alors que j'abordais la notion de responsabilité. Car je réalise qu'il est extrêmement important, dans mon mode de fonctionnement, d'attribuer à chacun sa part de responsabilité dans ce qu'il/elle "importe" au sein d'une relation comme dans ce qu'il/elle en importe en lui-même. Je précise ma pensée : en étant en relation j'injecte une façon de percevoir le monde et aussi une façon d'être par rapport à cette perception. Je mets dans le pot commun relationnel des éléments subjectifs. Mais j'incorpore aussi en moi les réactions de l'autre induites parce que j'ai injecté. Par exemple si j'exprime des doutes face au monde et que mon expression rejoint quelque chose de similaire chez l'autre, alors cette perception "commune" va nous rapprocher. Si ma perception du monde est suffisamment différente de celle de l'autre sans être trop éloignée, et surtout restant "compatible" avec sa propre perception, alors nous allons être intrigués, peut-être captivés par cette différence pas si lointaine. Il y a là enrichissement mutuel. Mais si j'exprime des doutes ou des réactions qui entrent en conflit avec les valeurs fondamentales de l'autre, ou qui le/la bousculent dans sa représentation de lui/elle-même... alors la situation devient sensible. Voire dangereuse.

Je crois que mon besoin de comprendre ce « je ne sais pas », qui a fini par caractériser ma perception actuelle d'une relation mal terminée, est le moteur du regain d'activité de ce journal.

Petit retour en arrière : je ne me souviens plus si j'en ai parlé spécifiquement (en ne voulant pas aborder ici le sujet "tabou"), mais depuis plusieurs années, quand je sentais mes pensées encore perturbées par cet irrésolu, j'en arrivais inluctablement à cette conclusion : « je ne sais pas ». En essayant d'assembler le puzzle épars des explications, le nombre trop important de pièces manquantes me remettaient systématiquement devant l'impossibilité de tracer un fil explicatif ininterrompu.

Or j'ai beau être quelqu'un d'extrêmement patient pour obtenir ce qui lui tient à coeur... la perspective de la mort, tout autant que le désir de retrouver une véritable paix intérieure face à la perte dommageable que je porte encore en moi, font que le "besoin de savoir" occupe une part de mes pensées. Et comme cela fait vingt ans que cela dure... il se peut que cet anniversaire ait un peu titillé mes neurones.

Bref : le besoin de comprendre cherche à être assouvi.

Dans la chaine des causes et conséquences, après avoir mené l'enquête de longue date, je cherche encore LA cause initiale... de part et d'autre. C'est important, pour moi, de trouver à quel instant quelque chose a fait "crac". Pour ce qui me concerne, je garde dans ma mémoire sensible, émotionnelle, la trace nette de chacun de ces "crac" s'ils n'ont pu être réparés immédiatement ou plus tard. Sans éclairages je n'ai pu, durant toutes ces années, que procéder par déductions et/ou hypothèses pour expliquer certaines réactions courroucées. Je voyais bien que j'avais touché quelque chose de très sensible, mais sans comprendre les mécanismes qui l'avaient déclenché. C'est ce que j'ai nommé, il y a quelques jours, "le champ de mines".

Aujourd'hui, grâce à ce retour tardif dans l'écriture descriptive et auto-analytique, basée sur le support objectif d'une correspondance, j'ai l'impression d'avoir fait une belle avancée dans mon processus de reconstruction post-apocalypse [oui, je sais, mon vocabulaire est excessif].

Je me demande, depuis quelques jours, si je ne vais pas, littéralement, réécrire l'histoire de cette rencontre. C'est à dire reprendre le récit depuis le début en m'appuyant sur le souvenir que j'en garde, mais aussi en le confrontant aux "sources" fiables que constituent les échanges épistolaires, tout en puisant aussi dans la traduction publique qui en était faite dans nos journaux respectifs.

Un tel récit aurait plusieurs objectifs. D'abord condenser un corpus d'écrits trop énorme pour pouvoir en faire quelque chose. Ensuite, constituer une histoire "claire et nette", avec son enchaînement chronologique de causes et conséquences. Ceci afin que ce qui me paraît encore, par certains aspects, "absurde", retrouve une logique. Le « je ne sais pas » peut probablement être réduit à quelques poches d'irrésolu. Enfin, réécrire l'histoire avec l'objectif d'en faire émerger la substantifique moëlle, la logique dans laquelle elle s'est inscrite, me permettrait de transmettre cela à mes enfants. Je pense - mais il faudrait que je leur demande si c'est bien le cas - que le choix émancipateur qu'à fait un jour leur père aurait davantage de sens s'il était expliqué et placé dans le contexte qui l'a permis.

J'ignore si j'irai jusque-là mais je constate déjà à quel point le travail de relecture-écriture de ces derniers jours m'a été bénéfique. Après des années de travail intérieur, il semble que j'étais prêt à passer à une autre phase pour peaufiner encore l'apaisement généralisé qui m'habite désormais.


* * *

[09:50] Après un temps de cogitation sous la douche

Si je devais établir la trame d'un "récit" (forme à définir), elle serait sous forme descriptive logique : les périodes, les faits, les enchainements de causes et conséquences. Je poserais les éléments principaux autour desquels se sont jouées des dynamiques émotionnelles (individuelles et interactives, avec effets sur l'autre), sentimentales, intellectuelles.

La trame :

Une rencontre autour de bases communes :
- un goût pour l'écriture introspective
- une capacité à observer, décrire, analyser ce qui se passe en soi et avec "les autres"
- une inappétance pour les catégorisations, les classifications
- un attrait pour le nuancé, l'entre-deux, le non-binaire
- un genre perçu comme peu représentatif de notre assignation sexuée (parts de féminin-masculin éloignées des standards)
- une non exclusivité sentimentale (vécue ou souhaitée)
- une curiosité pour le "différent de soi mais suffisamment proche"

Les points de focalisation :
- une très grande prudence en termes de confiance, suite à des trahisons relationnelles antérieures.
- des doutes sur soi-même (mésestime de soi)
- un besoin de confiance "absolu"

Les éléments de la rencontre :
- un journal intime en ligne
- une phrase-clé : " je suis devenu effrontément désinvolte avec les confidences"
- un crescendo dans l'intimité des confidences
- une séduction réciproque, intellectuelle et physique

Les éléments d'abord protecteurs, devenant progressivement limitants :
- la distance géographique
- la temporalité longue

Les éléments favorisants :
- un très grand respect initial, favorisant la confiance, puis des confidences poussées
- la temporalité longue, permettant de ne rien brusquer

Les éléments perturbateurs, plus ou moins "détonants" (synergie de pôles similaires ou opposés)
- des doutes sur soi-même (mésestime de soi)
- des doutes sur la fiabilité de l'autre (et s'il/elle arrêtait tout ?)
- des discordances entre la description de soi et la réelle façon d'être (représentation erronée de soi)
- une différence dans la manière et la capacité d'exprimer-entendre les perturbations émotionnelles (affects)
- une approche difficilement compatible de la gestion post-crise (en parler ou passer à autre chose)
- la distance géographique (manque de présence corporelle)

Pour résumer : une relation "magnétique" (puissance des pôles attraction/répulsion). Deux aimants qui s'attirent ou se repoussent selon la compatibilité de leur polarités quand ils s'approchent.



* * *


Un petit divan ?

Volontiers !

Ton état d'esprit du moment ?

Mitigé. D'un côté je sens que je fais du bon travail, de l'autre... je m'interroge sur cette persistance à vouloir élucider le passé.

Tu sais pourtant que c'est le passé qui te cherche, pas l'inverse.

Oui, je sais, mais quand même, revenir sur une histoire aussi ancienne et sans autre signe de vie que les miens, ça me pose question sur les éventuelles "attentes" que j'aurais.

Quel genre d'attentes ?

Et bien j'écris en pensant... à l'éventuelle lecture, un jour, de ces lignes par celle qui les inspire.

Cela ne veut pas dire que tu attendes quelque chose.

Non, mais je sais que j'écris en souhaitant que cela puisse servir, au cas où...

Au cas où quoi ? Au cas où elle reviendrait te lire ?

Oui. Au cas où elle reviendrait avec un état d'esprit différent que les derniers aspects qu'elle m'en ait donné. C'est à dire une fermeture à toute idée de suite, quelle qu'elle puisse être.

Oui, je crois qu'elle a été très claire à ce sujet. Tu le sais.

Précisément, voilà ce qui me pose question : pourquoi, alors que je le sais... quelque chose en moi continue à espérer que cela puisse changer ?

Peut-être parce que tu restes idéaliste ?

Probablement, oui. Je "rêve" encore d'une réconciliation. En fait, je n'ai jamais su me défaire de ce souhait.

Jamais su ou jamais voulu ?

Je crois qu'il y a des deux. Je ne peux pas vouloir quelque chose qui ne me correspond pas. Être ce que je ne sais pas être.

Précise un peu.

J'ai souvent dit que quelque chose de plus fort que moi était présent. C'est comme si je n'agissais pas mais étais agi. Aller contre ce "plus fort que moi" serait vain, me semble t-il. Ça ne fonctionnerait tout simplement pas. Alors je fais avec ce qui est, c'est à dire cette ténacité.

Ténacité ?

C'est le mot qui me vient. Mais ce n'est pas moi qui suis tenace, c'est la ténacité qui s'impose à moi.

Comme si tu ne dirigeais pas vraiment la situation ?

C'est ça. Comme s'il me fallait encore croire que... que... J'allais dire : "croire que je ne m'étais pas trompé", mais il ne s'agit pas de ça. Du moins pas au sens d'avoir fait une erreur de jugement. Plutôt dans le sens de m'être moi-même trompé. Auto-trompé, en quelque sorte.

Ce n'est pas très clair...

Non, c'est pas clair.

Et ?

Et bien je butte sur quelque chose, là. Sans doute cet "irrésolu" que j'ai plusieurs fois évoqué ces derniers temps.

Il te plait, ce mot !

Oui, je le trouve éloquent. Et puis il est neutre, il n'accable personne. Je le préfère à "incompris" ou "inexpliqué", qui font peser une part de responsabilité sur l'un ou l'autre. "Irrésolu" c'est factuel.

Une part de responsabilité, dis-tu. Il y a peu du disais avoir besoin de connaître ta part de responsabilité et que chacun porte la sienne.

Chacun porte une part de responsabilité dans les réactions qu'il a. Pour autant, à un moment donné, il n'y a plus lieu de chercher à établir des responsabilités. Surtout quand c'est ancien. Ce serait stérile et l'essentiel n'est pas là.

Et où se situe l'essentiel, selon toi ?

Dans la pacification. J'allais dire dans la réconciliation, mais c'est un peu trop demander : ce serait attendre que la vie me donne ce que j'attend d'elle. Mais "la vie" ne me doit rien. Personne ne me doit rien. Et c'est cela que je dois accepter de façon plus... sereine. Plus apaisée.

Donc tu cherche la paix ?

Oui, la paix dans mon esprit, la paix avec ce passé qui fut parfois tourmenté. La paix avec ce qui a disparu et le sentiment d'injustice qui accompagne cette perte. En fait c'est cela qui se travaille encore, aussi longtemps après : la paix. J'aimerais pouvoir ne garder de cette histoire que le meilleur, et pour cela aimer même "le pire". Aimer et être reconnaissant d'avoir pu vivre cela. Même avec les turpitudes. Même avec la perte. Même avec le silence. Même avec l'absence.

C'est tout un travail, ça.

Un énorme travail ! Mais je suis certain que cela vaut la peine que je l'effectue. Parce que pouvoir regarder cette histoire avec tendresse, avec amour, c'est le meilleur hommage que je puisse lui rendre. Un jour, peut-être, parviendrais-je à n'être que sourire en y pensant. J'aimerais parvenir à cela. Je crois que c'est ce que cherche ce "plus fort que moi", qui ne me pousse pas nécessairement vers ce que j'imagine. L'espoir, ce n'est probablement pas une réconciliation partagée, qui ne dépend pas que de moi, mais une réconciliation en moi. Avec moi, avec cette belle histoire... et avec elle, même si je devais ne plus jamais avoir de contact.

Ce qui risque fort d'advenir.

Oui, je le sais. J'apprivoise lentement cette idée. Cela fait dix-neuf ans que je l'apprivoise.

Et tu l'écris.

Oui, noir sur planc. Ce qui est une façon d'accepter cela.

Comment te sens-tu, maintenant ?

Très bien. En paix.








Dimanche 26 février 2023


Il y a une vie en dehors de ce journal. Je vis en dehors de lui, bien que je n'en parle pas. Une vie sociale, professionnelle, familiale, politique. Une vie contemplative aussi, et laborieuse. Et cependant je n'en dis rien, tout focalisé que je suis sur le présent de mon ressenti... par rapport à ce "passé qui ne passe pas". Ce passé qui marque encore puissamment mon présent.

En cherchant, hier, ce qu'il me restait d'une certaine correspondance imprimée, j'ai redécouvert d'autres correspondances. Certaines furent abondantes, d'une tonalité intime comparable à celle qui occupe encore mon esprit. Des courriers d'une longueur équivalente, autour de sujets similaires. Parfois il y a même eu rencontre. Bref : j'ai eu d'autres relations épistolaires approfondies et relativement durables (plusieurs mois, voire annéees). Et pourtant il n'y a rien eu de comparable au niveau de l'investissement temporel. Ces relations, aussi intenses qu'elles aient pu être par la correspondance, se sont éteintes sans faire de bruit. Discrètement, sans manque ni la moindre souffrance. Tout au plus ai-je constaté, au bout d'un certain temps, que ces agréables échanges n'existaient plus. Et je n'ai pas cherché à les raviver. Pas davantage que mes correspondantes n'ont cherché à le faire.

Alors pourquoi une seule d'entre elles reste "vivante" en moi ? En quoi cette relation et son évolution diffère t-elle des autres ?

Hier soir, après avoir éteint mon ordinateur, une phrase m'est revenue en tête : « L'important ce n'est pas ce que l'on nous a fait mais ce que nous faisons de ce que l'on nous a fait ».  Vérification faite la phrase serait plutôt (mais il en existe plusieurs versions) : « L'important ce n'est pas ce qu'on a fait de toi mais ce que toi-même tu fais de ce que l'on a fait de toi » (Sartre).

Elle m'est venue en pensant à mon père qui, il y a un mois, semblait se désoler que lui et moi n'ayons « rien à nous dire ». Sur le moment, apprendre cela m'a troublé. J'aurais préféré qu'il ne prenne pas conscience de cette incapacité à entrer véritablement en contact, lui et moi. J'aurais préféré que le non-dit persiste jusqu'à sa mort. Maintenant que je sais qu'il sait, je me sens mal à l'aise. Je ne sais plus comment me situer par rapport à lui. Je ne l'ai pas revu depuis deux mois et je commence à me sentir coupable de cette désaffection. D'un autre côté, le fait qu'il ait nommé la situation avec ma soeur me conduit à penser qu'il pourrait fort bien venir, lui, à mon contact. Mais il ne le fait jamais. Il ne me téléphone jamais, ne m'écrit jamais. Par contre il se plaint de solitude et que "personne" ne vient le voir, ce qui est faux.
Mon père, qui ne supporte pas la solitude, n'a jamais vraiment eu d'amis. Ceux qui, dans sa famille, étaient de sa génération sont tous morts. Il ne lui reste que ses enfants et petits-enfants, des nièces, quelques rares connaissances.

Lorsque je vais le voir seul à seul, il me demande avidement des nouvelles de mes enfants. En quelques minutes je lui raconte ce que je sais. Je n'ai pas forcément beaucoup à lui apprendre parce qu'eux-même sont régulièrement en contact avec lui et parfois il les a vus plus récemment que moi. Après... la conversation devient plus laborieuse. Je lui raconte un peu mes activités politiques, nous parlons un peu de la marche du monde. Il me demande si j'ai des projets de voyage [non]. Je lui demande de qui il a eu des visites. Effectivement, nous n'avons pas grand chose à nous dire. Nous n'avons jamais été proches, nos registres d'intérêt ne présentent que peu de points de convergence.

Pour en revenir à la phrase de Sartre, j'ai fait de moi ce que j'ai pu en fonction de ce que mon père a fait de moi. C'est à dire que je me suis construit du mieux que j'ai pu sur une base en partie fragilisée par le regard condescendant de mon père. Le mot condescendant n'est pas tout à fait juste : c'était surtout de l'incompréhension à mon égard et une certaine dose de mépris (et de méprise) sur ma façon d'être au monde. J'attribue à cette attitude le fort manque de confiance en moi que je traîne depuis la pré-adolescence. C'est sans doute un peu facile de regarder les choses ainsi et c'est pourquoi la phrase de Sartre, depuis que je la connais, reste dans un coin de mes pensées : qu'ai-je fait de ce que mon père a fait de moi ?

Je crois que tout au long de ma vie j'ai tenté de me réparer. De m'épanouir malgré le handicap qui consistait à me sentir "insignifiant", pas digne d'intérêt. Je dois reconnaître que si je suis parvenu à prendre une place dans le monde, elle est restée plutôt discrète. Et il en faut peu pour que je m'efface : quelques critiques, quelques remarques désagréables, un peu d'agressivité à mon encontre et hop, je me replie comme un escargot. Et si parfois, d'une façon ou d'une autre, j'ai un peu émergé en étant reconnu pour ce que je faisais, le syndrôme de l'imposteur apparaissait très vite. Bref : j'ai "choisi" de ne pas dépasser de la masse.

Les circonstances, qui ne sont pas dues au hasard, m'ont amené à vivre seul. Je m'y sens bien, n'ayant à faire face aux autres qu'avec parcimonie. Et j'ai pu assouvir ma soif d'échanges approfondis (domaine où, lorsque les circonstance sont favorables, j'excelle) grâce aux relations à distance. Là où il est possible, à loisir, d'être ou ne pas être en contact avec le monde.

J'ai écris que "j'excelle" dans les échanges approfondis. Il est rare que je me survalorise ainsi mais c'est le mot qui m'est venu et je crois qu'il correspond à une réalité : je suis capable de donner suffisamment de moi pour induire en retour des confidences. Ma propension à décortiquer ce qui m'anime, à analyser ma façon d'interagir avec autrui, semble avoir été profitable aux personnes disposant d'une capacité équivalente. D'où les correspondances fertiles que j'évoquais au début de ce texte.

Ce matin j'ai donc relu deux longues lettres (courriels) faisant partie d'un parcours de confidences mutuelles, qui m'avaient été écrites en 2001 par une très jeune femme de 18 ans. Cette jeune femme était particulièrement brillante, avec une réflexion très mature qui ne la distinguait pas de celle qu'aurait pu avoir une personne ayant toute une vie derrière elle. L'âge n'ayant pour moi pas plus d'importance que le temps (seul ce qui se vit au présent compte), j'avais beaucoup apprécié la tonalité de nos échanges, qui avaient duré plusieurs mois. Nous nous étions même rencontrés, au sein d'un groupe, et j'avais eu la maladresse de faire allusion, par la suite, à l'attrait qu'elle avait pu exercer sur moi. Cela aurait dû rester dans le non-dit, au vu de la différence d'âge (j'étais de la génération de son père...). Antérieurement à cette maladresse, je lui avais parlé de ce journal. Implicitement je l'invitais ainsi à m'en demander l'accès, ce qu'elle fit. Il est possible que ce soit ici-même qu'elle ait découvert que je n'étais pas resté insensible au charme de sa jeunesse...

Maintenant, si j'élargis le cadrage, je suis certain d'être allé trop souvent trop loin dans les confidences sur ce journal en ligne. J'ai beaucoup trop détaillé et dévoilé, jusqu'à l'obscénité, les affres et turpitudes que je vivais. Je suppose que la lecture a parfois été vécue comme gênante, exposant trop de détails, dans une sorte de pornographie diaristique. C'était d'autant plus gênant lorsque cela concernait des personnes identifiables par elles-mêmes ou, pire encore, par d'autres. Je reconnais n'avoir pas toujours su bien doser entre ce qui gagnait à être exprimé et ce qu'il aurait été préférable de taire. J'ai beaucoup tu... mais pas suffisamment. Aujourd'hui encore je me demande si ce que je décortique de moi-même, lorsque cela implique le passé partagé avec une autre personne, respecte l'intimité imprescriptible d'une relation. Je ne suis pas très à l'aise avec cela. Et bien que je m'efforce de ne parler qu'au "je", il arrive que, pour que mon propos reste intelligible, je dise "elle". J'ai l'impression de flirter avec des limites que je ne voudrais pas franchir et il se peut que je commette encore des indélicatesses.

Il se pourrait, d'ailleurs, que ma volonté de clarification et de pacification soit la motivation de mon écriture... tout en courant le risque d'aller trop loin. C'est le piège de mon écriture : à la fois libératrice, éclairante... et "destructrice de confiance" par excès de dévoilement et irrespect de la confidence. Ou autrement dit : j'aurais préféré la clarification directe plutôt que devoir en passer par d'hasardeuses tentatives d'explications et autres hypothèses. Et là, j'en reviens aux fondements de ce journal : « je ne camoufle plus, j'expose ». Extrait d'un paragraphe qui m'avait tellement plu qu'il a enclenché ce journal et initié la correspondance qui a si fortement influé sur mon parcours de vie.


* * *


Divan ?


Divan !

Je t'écoute.

Je ne sais pas où je vais avec tout ça. Cette avalanche de mots, la convocation de différents pans de ma vie, la réapparition de certains type de relations... Que vient faire mon père là-dedans ? Que vient faire la jeune "Amandine" ? Quel rapport avec la tentative de conclusion que je cherche à apporter à "l'histoire sans fin" ?

Oh là, beaucoup de choses ! D'abord le lien que tu fais, effectivement : pourquoi as-tu relié ces relations ?

Mon père parce que ça me tarabuste depuis quelques semaines et que je lui attribue la causalité de ce que je suis. Amandine parce que... je suis tombé "par hasard" sur cette correspondance, comme je suis tombé sur d'autres encore plus abondantes.

Mais tu t'es arrêtée sur celle-là.

Oui. Peut-être parce que j'avais, déjà, fait preuve de maladresse en en disant "trop". Cela ne m'est pas revenu quand j'ai relu ces deux courriers mais oui, j'ai le souvenir de ce "trop dit" et là je fais un lien avec le "trop dit" de la relation inachevée... et sans doute le "trop dire" actuel.

Tu écrirais trop ?

C'est bien possible. Je ne me sens pas très à l'aise de brasser des choses anciennes avec l'idée de - peut-être - mettre le tout en ligne dans quelques temps. Mais en même temps l'exercice de conscientisation ne fonctionne que parce que je pense à l'éventualité d'un lectorat. Si je ne m'écrivais qu'à moi-même ça n'aurait pas le même effet. Parce qu'ici il entre la notion, précieuse, de culpabilité. Si j'hésite c'est parce que je me sens coupable - peut-être coupable - de "mal faire".

Qu'est-ce qui serait "mal" ?

D'inclure dans mes réflexions une personne qui ne veut plus en faire partie. Je devrais ne plus rien dire de ce qui ne m'appartient pas en propre. Or je parle de ce qui m'appartient... en commun. De ce qui "nous" appartient. Même si ce nous, de fait, n'existe plus.

Ce "nous" n'est-il pas intemporel ? Dans le sens qu'il est imprescriptible.

Tout à fait : ce qui a existé constitue un "bien commun" (ou un mal commun...) que je ne dois pas m'approprier. Il n'aurait dû être dévoilé que tant que cela était accepté sans réserves. Dès lors que ce n'était plus la cas, soit que ce soit clairement dit soit que je le "sente", j'aurais dû arrêter.

Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?

Parce qu'il existait un pacte de confiance-sincérité... et que j'ai surtout retenu l'aspect "sincérité". Je suis resté arc-bouté sur la notion de "transparence", qui avait été un des termes qui m'avait séduit dans le fameux paragraphe qui m'a servi de viatique. Ce « je ne refoule plus, j'expose ». Cette déclaration d'indépendance qu'exprimait "l'extraordinaire liberté de la désinvolture". Je l'ai prise au pied de la lettre... et j'ai eu tort.

Pourquoi "tort" ?

Parce que c'est... un idéal. Non seulement inatteignable sans conséquences, mais aussi, probablement, préjudiciable. Voire délétère. La "transparence" c'est un leurre, c'est une violence à l'égard d'autrui. Être "transparent", cela demande d'être capable de ne parler que de ce que JE ressens, sans émettre le moindre jugement. C'est extrêmement difficile. Et cela demande à celui ou celle qui reçoit cette "transparence" d'être en capacité de faire face à des affects forts. Si j'énonce « ce que tu me dis me blesse », encore faut-il que l'autre soit en capacité d'assumer la blessure qu'il inflige contre son gré. Même la communication non-violente n'exclut pas la blessure narcissique en retour. Il faudrait être d'une totale bienveillance, envers soi et envers l'autre, pour que des éléments de privation soient entendus sans la moindre tristesse ni amertume.

Des éléments de privation ?

Dire, par exemple, « je n'ai pas envie de te voir en ce moment », c'est priver l'autre de ce qu'il aimerait partager. C'est privatif de plaisir, de satisfaction. Il faudrait être en capacité, pour celui qui ne répond pas favorablement à une demande, de projeter le désir frustré vers un autre horizon de temps. Ceci afin de "rassurer" l'autre sur l'importance qu'il garde malgré le refus.

Difficile de penser à tout. À son propre équilibre et à celui de l'autre.

Oui, difficile. C'est pourquoi le concept de "transparence" ne peut être appliqué intégralement et en toute circonstance. Où alors cela s'assimile à de la "franchise"... qui peut être rude, difficile à endurer.

Tu avais exploré tout cela, il y a longtemps.

Oui, parce que j'y étais confronté. Il y avait eu un échange poussé sur la différence entre sincérité et franchise, qui, malgré leur proximité apparente, diffèrent dans le souci de l'autre. La franchise considère que l'autre est capable d'entendre tout ce que JE pense. La sincérité y ajoute, à mon sens, un souci de l'autre. Ainsi elle est plus délciate à manier puisque elle consiste à dire l'essentiel... avec bienveillance envers l'interlocuteur. On peut voir cela comme "mettre de l'huile dans les rouages" ou comme une sorte d'hypocrisie, selon la perception que l'on a des rapports avec autrui. J'y ajouterai la notion de respect, qui joue aussi dans les deux cas. Pour les uns, le respect c'est dire ce que je pense ; pour d'autres, le respect c'est prendre en compte qui tu es.

Et toi, qu'en penses-tu ?

Je me situe du côté de l'attention portée à l'autre, à sa sensibilité. C'est pour cette raison que pour moi les rapports sociaux sont complexes : je pense toujours à la perception de ce que j'émets. Et comme je ne sais pas, la plupart du temps, quelle est la sensibilité de l'autre à tel ou tel sujet, je me tais. Lorsque ma parole est nécessaire, j'avance à tâtons, guettant sur le visage de l'autre le moindre signe de désapprobation, de surprise, d'étonnement, en quête d'un "feu vert" affinitaire.

Tu es donc très dépendant du regard de l'autre.

Très. J'y suis presque soumis. J'attribue à l'autre un pouvoir sur moi. Et ce d'autant plus que je l'estime ou lui reconnais une position d'autorité.

Oui, tu en as souvent parlé.

Tout à fait. En particulier quand j'ai commencé à me rendre compte que j'entrais dans une forme de soumission face à... euh... l'autoritarisme... l'intransigeance... la ... franchise de celle avec qui je m'étais senti, jusque-là, en relation égalitaire et de confiance.

Tu sais que ce n'est pas si simple : tu doutais de ta valeur. Donc, implicitement, tu créais un déséquilibre en te mettant en position d'infériorité. N'est-ce pas toi qui à induit l'autoritarisme que tu évoques ? Après tout, tu aurais très bien pu réagir autrement en refusant le premier accès d'autorité. Tu aurais ainsi clairement posé des jalons aux abords de tes limites.

C'est vrai, je me suis, par "nature" (ou plutôt par apprentissage) placé en position basse. J'étais le demandeur, le "fautif". Et ma façon de l'exprimer, en posture de "victime", pourrait bien avoir rendu la position de "bourreau" insupportable. D'où la fermeté un peu brutale de la réponse.

Tu penses à quelque chose, là.

Oui, à une certaine phrase à propos des attentes. Mais je ne la répèterai pas. Par respect de la confidentialité.

Je comprends.

En fait je ressens de la honte. Que je tempère par le fait que j'étais ignorant de ce qui se jouait. Il n'empêche que je porte encore une culpabilité d'avoir mal fait. Car, incontestablement, j'ai mal fait. Et je me responsabilise pour la spirale perturbante que cela allait générer, alors même que la qualité de la relation, par ailleurs et hors des moments de "crise de doute", continuait à gagner en qualité et en intensité. C'est comme si je voyais se construire un bel édifice tout en sachant que, dans les fondations, quelque chose était en train de les fragiliser. Il y avait d'un côté le beau, le bon, le bienfaisant, le merveilleux... et de l'autre un truc sombre, insidieusement rampant... qui me faisait peur.

Mais tu n'étais pas seul dans cette construction. Et pas seul à savoir ce qu'il se passait dans la lumière et dans l'ombre.

Non, je n'étais pas seul. Mais peut-être étais-je un peu seul quand il s'agissait de regarder les choses en face.

Vraiment ?

Non, pas vraiment. Le sujet pouvait être abordé. Mais peut-être pas aussi profondément que j'en aurais eu besoin. Parfois il était évité, rejeté... et je me retrouvais désemparé d'avoir introduit cela, créant un malaise qu'il n'était pas toujours simple de supprimer. Souvent il fallait "oublier" le problème pour retrouver, plus tard, une autre fois, la qualité et la légereté des échanges. Souvent j'ai dû ravaler ma frustration de ne pouvoir aller au fond des choses.

Tu n'osais pas le dire franchement ?

Ma franchise, dans ce sens, aboutissait à créer des tensions. Par respect, je ne forçais pas les choses. Et je gardais ma frustration.

Et, de ce fait, tu ne respectais pas le pacte de sincérité-confiance.

Exactement. Il y avait discordance entre le principe et la réalité. Et je le vivais mal.

Tout cela paraît bien lourd.

Par moments ça l'était, mais la plupart du temps rien de tout cela n'était présent. Par contre la simple possibilité de voir une crise se réveiller induisait une crainte sourde, latente. Je savais qu'à tout moment un de mes propos "sincère" pouvait susciter une réaction d'hostilité défensive. Il y avait quelque chose de "menaçant".

Comment établir une relation de confiance s'il y a crainte ?

Justement, c'est là toute la contradiction à laquelle j'étais confronté.

Et tu en parlais, de cette contradiction ?

C'était un sujet très délicat, parce qu'il pointait précisément sur ce qui était devenu un tabou.

Un tabou ?

Oui, implicitement il m'était devenu "interdit" d'en parler. Cela engendrait trop rapidement de la colère... et des appréciations négatives à mon encontre.

Dis-donc, le portrait que tu dresses est moins flatteur que tout le "merveilleux" que tu as décrit. Il apparaît là quelque chose de presque malsain dans la relation.

Cette part là était malsaine, j'en suis certain. Le reste, qui representait la majeure partie de la relation, était au contraire très "sain".

Un fruit sain est exempt de parties malsaines. S'il y a une seule partie malsaine, elle risque de contaminer l'ensemble.

C'est ce qui s'est produit, à mon sens. Les non-dits, les "non-dicible" sont devenus une gangrène. Peu à peu l'étendue, par contagion, a réduit l'espace de confiance-sincérité. Or c'était le socle sur lequel nous avions bâti la relation. Il se fragilisait.

D'après ce que tu dis, l'issue était fatale...

Je considérais que l'on pouvait sauver la relation... en abordant les choses clairement. Malheureusement, en face, l'idée etait plutôt qu'il vallait mieux ne pas revenir sur les points de friction. Du moins c'est la perception que j'en avais. C'était donc insoluble. Et il est arrivé ce qui devait arriver : un jour ce serait "trop". Trop de tensions, trop de non-dits, trop de décalage.

Et ce "trop" est arrivé quand il a fallu que tu choisisses "pour de bon", en septembre 2004.

Oui. La tension sous-jacente était telle que j'ai vacillé. Et cette hésitation semble avoir été perçue comme un renoncement. Ce qu'elle n'était pas. En quelques jours... non... je préfère ne pas en parler. Cela m'emmènerait trop loin. À partir de là commence la seconde partie de l'histoire, c'est à dire le lent déclin de la confiance.

C'est difficile pour toi ?

Non seulement c'est difficile, quoique je me sens avoir bien dépassé tout cette période, mais c'est surtout "privé". Il y a eu trop de blessures et de maltraitance réciproque, de maltraitance de ce qu'il restait de la relation, que je préfère ne pas revenir dessus. De toutes façons s'est passé et ce n'est pas la partie la plus reluisante de la relation. Je préfère... non pas l'oublier, mais la prendre pour ce que je crois qu'elle était : la manifestation réciproque - et indécente en public - d'une immense déception. Des deux côtés. C'est fou le mal que l'on a pu se faire en essayant, chacun à notre façon, de faire évoluer la relation. Vers son achèvement d'un côté, vers sa restauration sur de nouvelles bases de l'autre. Mais on ne restaure pas seul une maison commune. Donc on a tout laissé tomber.

Sauf que manifestement tu n'as pas tout laissé tomber.

Oui mais ça c'est mon histoire. Je sais que j'y suis seul.

Tu sais que tu y es seul...

Oui, je le sais.

Et pourtant, tu crois encore en une possible réconciliation.

Ce n'est pas que j'y crois... enfin si, je crois en la possibilité. Disons que j'ai envie de croire que quelque chose sera possible, un jour. J'ai l'impression que cela me fait davantage de bien que de mal. Sur ce support d'espérance j'ai rebâti quelque chose qui me semble "bon". Si rien n'advient... et bien je n'aurai rien perdu à me transformer pour le rendre possible. Et si quelque chose advient... et bien ce serait... Je préfère m'abstenir de tout qualificatif trop élogieux. Ce serait déjà trop y croire.

Tu y crois sans y croire.

Je le souhaite sans l'attendre. C'est déjà suffisamment ambitieux !

On arrête là.


* * *


Tu vois, là, si j'avais pu en parler avec [toi], je te dirais que dans ton paragraphe qui m'a tant marqué sur la désinvolture des confidences, une seule petite lettre devrait être changée. Ce ne serait plus « je suis devenu effrontément désinvolte avec les confidences », comme je l'ai cru en l'adoptant pour moi-même, mais « je suis devenu effrontément désinvolte avec MES confidences ». Ce simple changement d'une lettre modifie radicalement le sens de la phrase. Et si j'avais pu t'écrire mes impressions à ce sujet, comme je le faisais autrefois, je t'aurais dit que "les" confidences cela va dans les deux sens : les tiennes et celles de l'autre. Dans ce sens l'idée est généreuse, ouverte, acceptante. Mais si c'est "mes" confidences, alors on rejoint la notion de franchise, que nous avions abordée ensemble. La franchise c'est dire ce que je pense... et « à toi de voir si ça te va ». Dans les deux cas il s'agit d'une démarche louable, mais la première c'est "ensemble", tandis que la seconde c'est "moi d'abord". Je l'écris ici sans jugement aucun. C'est "je place mes intérêts, mon équilibre, avant tout". Cette formulation a le mérite de la clarté : « je suis ainsi, à toi de voir si tu peux faire avec ». Je retrouve ce côté très "sain" de mener les relations, qui m'avait attiré vers [toi]. Sain... mais rude. « La relation est un sport de combat », pourrais-je formuler en paraphrasant Bourdieu.

Ce détachement par rapport aux conséquences de la "désinvolture confidentielle" - car cela peut conduire à l'achèvement de la relation - m'impressionnait, me fascinait. En cela je voyais en [toi] un modèle. En quelque sorte ta façon d'être me montrait la voie que, sans le savoir, j'avais envie de vivre. Une voie d'exigence. Une voie âpre, rude, mais tendant vers une certaine pureté relationnelle.

Aujourd'hui je ne suis pas sûr que ce soit atteignable, ou durablement viable. Je crains qu'il faille une certaine dose de souplesse (que tu avais aussi, je le reconnais) face à des principes aussi exigeants. Mais il est possible que tu aies évolué par rapport à cette déclaration de 1999.

De mon côté je me suis rendu compte que mon apprentissage de la désinvolture avec mes confidences s'était soldé par un échec : ma "désinvolture" avec [toi] m'a mis face à l'inacceptabilité de celle-ci. Il m'a fallu du temps pour comprendre que la règle ne s'appliquait pas en toutes circonstances. Et il m'a fallu près de vingt-trois ans pour réaliser qu'une seule petite lettre m'avait trompé, me faisant croire que j'avais trouvé mon graal.

Non, je te l'assure, je ne saurais être effrontément désinvolte avec mes confidences.

Et je suis presque sûr que tu aurais convenu, avec moi, que cette désinvolture était intenable. Je m'empresse de préciser aussi que je ne t'accable de rien, et surtout pas de tromperie. C'est bien moi, et moi seul, qui ai donné un sens "libérateur" à ce paragraphe lorsque je l'ai lu. J'ai cru y trouver une voie à suivre, qui convenait parfaitement à ce que je souhaitais vivre. C'est moi qui ai fait usage de tes mots, qui m'en suis nourri, qui t'ai écrit pour cela et me suis lancé dans ce journal intime pour les mêmes raison. C'est bien moi qui ai cru voir en [toi] un alter ego, une âme-soeur, une amie de coeur et tous les qualficatifs de proximité-similarité que j'avais envie de voir exister.

Je suis le seul responsable de ce que j'ai perçu, vécu, souffert... et de l'enchantement qu'ont produit sur moi ces milliers de pages d'échange, ces centaines d'heures de conversation passionnées et passionnantes, cette si puissante attirance vers ce que j'ai perçu en toi comme potentialités d'un "nous". Je suis le seul responsable d'avoir accepté de te rencontrer alors que je n'y étais pas encore prêt, bousculant ainsi une vie de couple... qui sans cette rencontre aurait peut-être encore duré des années, me privant d'un épanouissement qui ne pouvait venir que de l'extérieur.

Pour tout cela tu as mon infinie gratitude.

[et je ne devrais pas m'adresser ainsi à [toi], qui ici n'est qu'une projection de mon imaginaire actuel]








Lundi 27 février 2023


Pas d'écriture ce soir. Overdose, sensation d'être complètement à côté de la plaque avec mes réminiscences réchauffées. Sensation d'obscénité à écrire sur des égoteries obsessives et dérisoires. Ce matin j'ai entendu que 40 réfugiés s'étaient noyés en Méditerranée. Ailleurs c'est la guerre, ailleurs encore la souffrance, la survie, la misère. Mes préoccupations sont celles d'un riche repus bien au chaud, confortablement salarié et sans souci du lendemain [c'est faux, l'avenir du monde m'inquiète]. Bref, ce soir je trouve mes masturbations émotionnelles bien vulgaires.







Mardi 28 février 2023


Alors, aujourd'hui ?

Journée professionnelle. Participation à une session de tables rondes. J'ai eu l'esprit complètement occupé hors de ma personne.

Bien.

Par contre, cette nuit j'ai fait un rêve. Un « rêve puissant », comme je les nomme. Il s'agissait d'une rencontre avec plusieurs personnes venues de loin, pour plusieurs jours (un week-end ?). Des personnes qui se connaissaient, mais comme si elles ne s'étaient jamais rencontrées (affinités via internet ?). Et il s'agissait de fêter un évènement autour de deux personnes, qui avaient invité les autres (peut-être 5 ou 6 personnes). La rencontre était prévue de longue date et les invités venaient de loin, de divers coins de France. Il s'agissait donc d'un évènement important (une annonce ? une union ?), ne serait-ce que parce qu'il avait fallu l'organiser et faire le déplacement. Et là, à peine toutes ces personnes venaient-elles de prendre contact, au moment de se dire bonjour, l'un des deux invitants faisait publiquement une remarque blessante à l'égard de l'autre, qui était presque le personnage principal. Celui autour de qui l'évènement se déroulait. Tout le monde était surpris de cette remarque, qui ternissait subitement une entente jusque-là parfaite. Alors les gens disaient à celui (homme) qui avait été très désagréable avec l'autre (homme aussi) de retirer ses propos, lui demandaient de s'excuser, qu'on ne pouvait pas parler de cette façon à quelqu'un dont on est l'ami. Mais le premier refusait de retirer ses propos, tandis que le second se mettait à l'écart. L'ambiance devenait tendue, franchement déagréable, gênante pour les convives, alors que le week-end n'avait même pas commencé. Tout le monde était là, désemparé, avec encore ses bagages dans les voitures, pas encore déballés. Le lieu, c'était un chemin ou une petite route, dans un virage, avec une bifurcation. C'était à l'orée d'une forêt. Plus loin il y avait des clôtures agricoles anciennes.  L'homme qui avait été désagréable avec son ami refusait toute remise en question. Buté, il était méconnaissable dans sa façon d'être. Cela ne correspondait pas à ce que "nous" (les gens présents) avaient connu de lui jusque là. Même en l'implorant, afin de ne pas rendre impossible cette rencontre tant attendue, il ne pliait pas. En fait, il était en train de saborder la rencontre par son intransigeance. Et même... de la saboter.

La saboter ?

Oui, c'est l'association d'idée qui se fait.

Tu remarques que...

Oui, bien sûr que je remarque. Et ce qui est... gênant, pour moi, c'est qu'au réveil l'association d'idée était déjà là. Comme une évidence.

Quelle évidence ?

Qu'il y avait transposition d'une autre histoire.

Laquelle ?

Toujours la même. Et en même temps... euh... non : ce qui m'a troublé c'est de constater cette association d'idée. Le personnage fermé qui avait été désagréable était dans une logique, incompréhensible, du « ni excuses, ni pardon ». Non : simplement du « pas d'excuse ». Il y avait une dimension irréversible dans ce qui avait été dit. « Je ne changerai pas d'avis ». Voilà l'association d'idée qui, au réveil, à émergé en même temps que je reprenais conscience. C'était là.

Et tu en penses quoi ?

J'en pense que, surpris par cette association d'idée, je me suis dit que je pouvais voir la chose autrement. Cet "autre que moi" (car j'assistais à la scène, dans mon rêve), pouvait très bien être une métaphore de moi refusant de changer d'avis. Moi disant des choses désagréables à quelqu'un qui, atteint, ne se défendait pas. Moi faisant cela en public, mettant tout le monde dans l'embarras. Moi "sabotant" un week-end pour lequel beaucoup de gens avaient fait le déplacement en se réjouissant de la fête à venir entre deux personnes - deux amis - qui s'aimaient. Un peu comme si ces deux là allaient fêter une sorte d'union. C'est un peu vague dans mon souvenir onirique, mais il y avait quelque chose de ça. Ce sont des éléments dont je me souviens.

Et donc ?

Et bien cette possible inversion des rôles me trouble un peu. Ce qui m'est venu à l'esprit c'est que, quelle que soit le personnage "buté et désagréable", son rôle était réversible. Ce pouvait être l'avatar de quelqu'un que j'identifie comme "faisant du mal" à quelqu'un d'autre, devant témoin, ou bien moi faisant du mal à quelqu'un d'autre devant témoins.

Intéressant...

Oui. Troublant.

Comme si , par ce « rêve puisant » tu validais quelque chose .

Oui, comme si mon inconscient validait à la fois ma part de responsabilité et le côté "injuste" d'une situation que j'ai subi et que j'ai fait subir. Ce "sabotage" pouvait aussi bien être celui auquel j'assistais, incapable de l'empêcher, que celui qu'un "personnage" autre que moi, altérisé par un mécanisme autoprotecteur inconscient. Voilà, je n'en sais pas plus, mais ce rêve a, par cette dualité de personification, quelque chose d'intéressant. J'avais envie de le consigner. Ces « rêves puissant » marquent toujours un jalon dans l'acceptation par mon inconscient profond.

Autre chose ?

Oui, mon bref texte d'hier soir. Malaise.

Malaise par rapport à quoi ?

Parce qu'il me met face à un relativisme qui, forcément, est en ma défaveur. Par rapport à la misère du monde, mes préoccupations égocentrées sont tellement... dérisoires. En fait j'ai eu honte de moi et de l'étalement complaisant de mes élucubrations.

Tu as parlé de « masturbation émotionnelle ».

Oui, dans le sens de « se faire plaisir tout seul ». Comme si je me complaisais dans la narration détaillée d'évènements... sans plus aucune importance.

Oui, mais tu en parles. Ils ont donc de l'importance pour toi.

Oui, c'est certain. Mais ça me gêne... d'en faire état publiquement.

Il n'y a pas de public, seulement toi et [toi] moi.

Ah... tu as hésité en mettant ce "toi" entre crochets !

Euh... oui, parce que je voulais parler de mon autre moi, qui ici joue le rôle de celui qui me fait parler... mais dont la mise entre crochets est la même que celle que j'ai utilisé la veille pour une autre entité, qui, cette fois-là, n'était pas moi.

Ouhlala, ça se complique !

Là, à cet instant, je "me" parle en m'auto-interrogeant. C'est une écriture rapide, non réfléchie, sans pause. Sauf que de temps en temps je me rends compte que, par ce dialogue intérieur, je découvre quelque chose que je ne connais pas. En écrivant ce "moi" entre crochets je n'ai pas pu manquer de remarquer la graphie identique. Et ça... c'est intéressant aussi.

Explore un peu plus loin.

Oui, parce qu'en m'auto-analysant je m'écris à moi-même, mais sous le regard imaginé de potentiels lecteurices. De même, en écrivant à ce [toi], deux jours plus tôt, je m'adressais pour de bon à une autre entité que moi... sauf que cette entité-là est entièrement issue de mon imagination. Non : pas entièrement, mais c'est une prolongation imaginaire sur une base réelle subjectivement interprétée.

C'est pas un peu barge, ton truc ?

Je ne crois pas. C'est simplement le signe que je reste "piégé" dans un entre deux : une réalité factuelle d'un côté, face à l'interprétation subjective que j'en ai faite lorsque j'ai vécu la situation, augmentée par l'accumulation de perceptions ultérieures, en couches accumulées et superposées. Il y a donc bien un fond de réalité, mais l'édifice imaginaire qui s'est bâti là-dessus est forcément déformé. Pas du tout fiable.

Continue...

Quand je parle de "piège", je le vois ainsi : je suis dans un labyrinthe de suppositions dont je cherche une sortie. Je ne dis même pas "la" sortie, mais "une" sortie. Souvent j'ai pensé en être sorti... et puis non, je n'étais sorti que d'une partie du labyrinthe et j'étais entré dans une autre dimension, plus vaste, moins oppressante, mais toujours pas libre.

Comme autrefois, dans ton histoire avec Laura ?

Je l'avais oubliée celle-là, mais oui, c'est le même genre de situation. C'est bien pour ça que, lorsque euh... la "catastrophe" est arrivée, j'ai écrit que si ce n'était pas réparé, j'en aurais au moins pour dix ans à m'en remettre.

Et ça fait vingt ans...

Comme quoi, je me connaissais mal :) J'ai fait preuve d'optimisme.

Ça t'amuse ?

Oui. Il y a un côté risible à voir que je reproduis le même genre de chose, en pire, en étant coincé dans une histoire dont moi seul tient encore un bout de corde. Je dois être bizarrement constitué, intellectuellement, pour être autant marqué par des relations... trop investies. Mais je ne peux que constater ce qui est. Je ne choisis pas d'être comme ça.

Vraiment ?

Je ne choisis pas d'être happé dans les tourments. Par contre, il se peut qu'au delà d'un certain temps de "silence", j'incorpore une dose de fantasme sur la base de souvenirs gélifiés.

Quels fantasmes ?

Fantasme de restaurer quelque chose qui a été bon. Qui m'a été bénéfique. Qui m'a fait me sentir "vivant", vibrant, capable de me surpasser. Oui, je crois que c'est cet état "vivant" que je cherche à garder en moi.

Pourtant, c'est un peu mort tout ça.

C'est à la fois mort et vivant.

Comme le chat !

Et oui, j'y reviens. Comme des souvenirs, sauf que ces derniers, généralement, ne sont pas "vécus" comme une continuation du passé. C'est le passé qui se ravive. Alors que pour moi, le passé vit encore. Nous ne sommes pas morts. C'est cette façon de "vivre encore le lien" qui est peut-être un peu bizarre.

Ce que tu appelles "inaltérable".

Oui, c'est ça. Je ne sais pas pourquoi je suis comme ça. Mais c'est une singularité que j'aime bien, finalement.

Qu'est-ce que tu aimes bien dans cette singularité ?

Elle me permet de faire durer le plaisir :) Elle me fait ressentir des émotions, et les émotions... c'est de la vie. Je peux me réjouir, des années plus tard, de retrouver des sensations et émotions presque intactes. Moins intenses, certes, mais toujours vibrantes.

Les bonnes comme les mauvaises ?

Je préfère les bonnes. Mais il m'arrive de plonger dans les "mauvaises", aussi, parce qu'elles m'enseignent quelque chose.

Du genre ?

Et bien soit elles se sont affadies, soit elles gardent un pouvoir et donc m'indiquent le lieu où quelque chose n'est pas guéri. Ou bien là où il existe un terrain sensible. Et cela me permet d'analyser ce qui se passe à cet endroit-là.

Et-ce que cette analyse te sert à quelque chose, dans ton existence ?

Oui : à me sentir en paix avec moi-même, et avec... les personnes avec qui je pourrais garder un ressenti douloureux, ou triste, amer. Bref : un arrière-goût désagréable.

Tu as réglé cela avec toutes les personnes avec qui tu as ces ressentis désagréables ?

Non, pas encore. Je ne l'ai pas fait avec mon père, ni avec mon frère.

Pourquoi ?

Trop douloureux. Trop complexe. Trop... tard.

Il n'est jamais trop tard, tu le sais bien.

Trop tard dans le sens que je n'ai pas envie d'amener mon père à de la culpabilité, et pas non plus envie d'être confronté à une éventuelle absence de culpabilité.

Et ton frêre ?

Un peu pareil. Je me débrouille avec le status quo pacifié, ou pacifique, qui a pris place.

Et avec Charlotte ?

Très compliqué aussi. Là j'ai tout mis sous l'éteignoir. En fait j'ai pris mon parti de ne pas discuter avec des personnes qui... non : en qui je n'ai pas confiance. Des personnes qui, selon les tentatives que j'ai faites, ne me comprennent pas et ne comprennent pas à quel point je suis sensible à leur disqualification.

Et pourquoi est-ce différent avec cette personne que tu ne nommes pas mais qui est cependant parfaitement identifiable ?

Parce que, précisément, je garde confiance. Sur la base de la confiance si patiemment établie qui a existé... et dont je ne comprends pas, je n'accepte pas, l'achèvement.

Tu n'aceptes pas ? Je croyais que tu acceptais ?

Je l'ai dit : rationnellement j'accepte, mais émotionnellement je n'accepte pas. Je ne parviens pas à me dire que cette confiance n'existe plus. Il est là mon fantasme : croire que cette confiance puisse avoir passé les épreuves, s'être affranchie du temps et du silence. Je suis fait comme ça. Je ne peux pas l'expliquer autrement. C'est pourquoi « c'est plus fort que moi ».


* * *


À qui appartiennent les confidences partagées ? À qui appartient l'intimité partagée ?

Je dirais qu'elles appartiennent au "nous" ainsi constitué. Comme une propriété en indivision. Ce qui a été partagé n'appartient plus en propre à la personne qui a donné. Mais la personne qui a reçu ne peut cependant en disposer librement, parce qu'il existe une part inaliénable de l'autre. Une sorte de "propriété intellectuelle" qui, ici, relèverait de la "propriété sensible". L'intimité étant une chose sensible et "personnelle",  son "don" n'est que partiel : je te donne cela de moi, à condition que cela reste "entre nous".

Ici j'évite, autant que possible, de divulguer des éléments d'une intimité qui ne m'appartient pas en propre ; dont je ne peux disposer à ma guise. Pour cette raison je ne cite plus des phrases qui n'auraient pas été publiques à un moment donné. Et même si elles l'ont été, le fait qu'elles ne le soient plus m'oblige à garder une réserve. Je ne cite donc... que mes propres phrases.

De même je m'efforce de ne plus donner d'éléments trop détaillés, par souci de confientialité. Certes, pour qui m'aurait lu depuis des années, il est probablement assez aisé de reconstituer les éléments manquants. Mais je suppose que les lecteurices ont mieux à faire de leur temps libre que de se passionner pour la haute valeur de mes écrits égocentrés.







Mercredi 1er mars 2023


Flux et reflux. J'ai l'impression d'avoir passé l'apogée d'une tardive vague submersive. J'ai cessé de relire la correspondance historique depuis plusieurs jours. L'envie (besoin ?) d'écrire s'est fortement atténuée. Je reprends de la distance avec cette "histoire sans fin". Vaincu, sans doute, par le principe de réalité : tout ce que je raconte n'existe que dans mon esprit. Il n'y a plus personne en face.

Parfois je me dis qu'il n'est pas possible qu'une personne avec qui j'ai partagé autant d'intimité et de confidences ait "oublié" l'aventure commune. Et donc que, au moins de temps en temps, un regard se pose sur les traces que je compile ici. Mais d'autres fois je pense à l'absurdité de ma ténacité : il y a longtemps que le passé vécu ensemble a pu être relégué au rang de souvenirs archivés, sans intention de les raviver d'aucune façon. En quelque sorte, vu de l'autre côté, tout cela serait "mort", définitivement éteint. Sans aucune intention de suivre cet étranger que je suis devenu.

Non seulement je ne peux exclure une telle éventualité, mais en outre il est très probable qu'elle ait été très tôt projetée ainsi. Dans ce cas, toutes mes tentatives de raviver quelque chose étaient non seulement vouées à l'échec, mais présentaient l'inconvénient mortel de me rendre détestable à force d'insistance.

Ce n'est que lorsque j'ai compris et admis que mon acharnement à maintenir le lien était pesant, douloureux, dérangeant, que j'ai cessé. Sans autre récidive qu'une unique proposition, cinq ans plus tard. Cela fait donc dix ans que je n'ai plus rien tenté, malgré quelques vagues de submersion similaires à celle qui, aujourd'hui, semble s'achever.

Le flux pourrait cesser aussi vite qu'il est venu, mon état intérieur ayant retrouvé son homéostasie en dissipant, par l'écriture, l'énergie de vie qui cherchait son exutoire. L'écriture aura alors joué son rôle de régulateur émotionnel, jusqu'à tarir l'élan sans issue.







Dimanche 5 mars 2023


Je me demande si l'acharnement dont je témoigne ici, paraissant absurde en tant que tel (s'accrocher à une histoire passée), n'aurait pas une autre signification, plus constructive. Car, fondamentalement, est-ce à un passé que je m'accroche ou au besoin de comprendre le sens de ce qu'il s'est passé ? J'ai l'impression que le récit factuel est davantage un support, une référence, une base authentique, que la narration détaillée d'un crescendo abruptement interrompu, sombrant en lente déliquescence et s'achevant dans une inarrêtable agonie.

Les faits, je les connais. Du moins je connais la version que j'ai mémorisée, forcément subjectivée. Je connais aussi, quoique très partiellement, une autre interprétation... qui n'y correspond qu'imparfaitement, voire en diverge largement. Et je crois que c'est précisément cela qui me pose problème : la divergence. Pour quelle raison, quels éléments, quels mots, il y a eu divergence interprétative ? Et pourquoi n'a t-il pas été possible de rétablir une consensus interprétatif lorsque les divergences apparaissaient ? Qu'est-ce qui empêchait la convergence ?

Je crois que c'est là que se situe le "mystère" qui entretient mon intérêt. Ce que j'appelais "énigme", autrefois, et que malgré le temps passé je cherche à résoudre.

Il s'agirait donc moins du maintien en (sur)vie d'une belle histoire que de la persistance vivante d'un questionnement irrésolu. Mais comme se pencher sur une histoire "morte" est peu goûteux [cela ressemblerait trop à l'autopsie d'un cadavre], il se pourrait que mon mental ait trouvé ce stratagème de garder "vivante" une part de l'aventure relationnelle. En quelque sorte, en imaginant une très improbable réconciliation, je parviendrais à maintenir suffisamment tiède le cadavre pour me donner l'illusion qu'il vit encore... et pourrait donc, un jour, sortir de sa profonde léthargie.

Je ne suis pas certain que ce scénario tienne la route mais il présente l'avantage d'être assez crédible à mes yeux. Du moins aujourd'hui...

Il est important pour moi de garder "tête haute", de ne pas céder à la gène, voire la honte de poursuivre la narration d'une pseudo-relation unliatéralement auto-entretenue. Je crois que ma démarche reste fondamentalement saine : retrouver confiance en qui je suis.

Est-ce que la méthode retenue, à savoir l'introspection écrite et semi-publique, est la bonne ? Faute de comparatif je ne le saurai pas. Aurait-ce été différent si j'avais cessé d'écrire publiquement ? Aurait-il été préférable que je cesse ? Et, le cas échéant, préférable pour qui, pour quoi ? La relation aurait-elle pu se prolonger ou bien était-elle, de toute façon, condamnée par un irréversible mécanisme mû par le fatalisme ? Je ne le saurai pas.

Il y a beaucoup de points de bifurcation pour lesquelles je n'aurai d'autre choix que me contenter d'un « je ne sais pas ». Mais puis-je m'en contenter sans avoir auparavant cherché la moindre bribe de réponse pouvant réduire l'étendue de cette ignorance ?


* * *


Si on agit toujours en vue de tirer un avantage existentiel, quel avantage ai-je tiré en faisant durer l'illusion d'une possible réconciliation ? Pour quel bénéfice personnel inconscient ai-je entretenu en moi un vaine espérance ? Et si l'énigme avait sa solution non pas dans la relation qui a existé entre deux êtres, mais à l'extérieur de celle-ci, c'est à dire en moi ? Que quelque chose ait dysfonctionné est chose courante, alors pourquoi n'ai-je pas accepté qu'il en soit ainsi ?

J'ai l'impression d'avoir évité les questions les plus dérangeantes, pour moi, en cherchant des causes extérieures.

Pourquoi vouloir rester "disponible" ad vitam aeternam en prenant le risque de ne jamais être sollicité ? Pourquoi un tel sacrifice ? À quelle injonction muette me soumets-je ? Pourquoi une telle "fidélité" envers quelqu'un qui n'en veut pas ? Est-ce que je chercherais à réparer quelque chose dont je n'ai même pas conscience ?

Quand comprendrais-je qu'une partie de moi reste accrochée à une relation perdue ? Est-ce vivre que d'attendre, sans même savoir quoi, comme dans "Le Désert des Tartares" ?







Lundi 6 mars 2023

Mon engouement soudain pour la relecture de mon passé semble se tarir. D'autres centres d'intérêt m'ont diverti. Il se pourrait que ce soit une fenêtre de temps libre qui ait permis à ma réflexion de prendre ses aises, là où d'habitude réunions et divers engagements ne m'offrent pas cette opportunité. Mais il y a longtemps que je sentais l'envie d'y revenir et l'occasion a fait le larron.

Petite plongée dans la correspondance qui a suivi la pseudo-rupture, histoire d'équilibrer un peu les choses après la lecture du crescendo vers l'apothéose. Lecture aussi de ce que j'écrivais sur un blog privé, pour bien m'imprégner de mon état d'esprit de l'époque. J'ai trouvé cela édifiant quant à la... stagnation de ma réflexion depuis une quinzaine d'années. J'avais déjà tout décrit de ma perception de la situation. La seule différence c'est qu'à l'époque mon acceptation était moins entière. Quoique...

Bref : à peu près un mois après le début de cette énième vague, qui ne m'a pas le moins du monde mis en difficulté, je constate l'avoir laissée me traverser sans trouble. Au contraire, j'ai ressenti un vrai plaisir à retrouver ce qui fut si bon, autrefois. Quant aux échanges plus rudes, aux aspects plus sombres, j'en ai fait usage pour modérer ma propension à croire que les choses auraient pu s'arranger. Aujourd'hui je suis convaincu qu'il ne se passera plus rien. Il est extrêmement peu probable qu'un jour celle qui m'a affirmé qu'elle « ne changerait pas d'avis » se dédise. Il est bon que je me confronte à cette réalité, que je prenne conscience que l'ouverture que je sens en moi ne fait face qu'au vide ; que je me souvienne qu'à chaque fois que j'ai tendu la main elle n'a pas été saisie. Il est bon que j'oppose la réalité crue à mon idéalisation romantique. Aujourd'hui je peux accepter cela sans amertume, sans trace de ressentiment... et même sans tristesse. Je crois que je suis parvenu au niveau de détachement que je visais.

Oui, deux décennies cela peut paraître un temps considérable, excessif. Mais c'est le temps qu'il ma fallu et à mes yeux seul le résultat compte. Je me sens en paix. Sans attentes. Libre.

Ce n'est certainement pas aussi abouti que je le pense, pas aussi acquis, mais aujourdhui c'est ainsi que je le ressens. Et j'aime bien ressentir cela.







Mardi 7 mars 2023

Il me paraît de plus en plus improbable que je mette en ligne ce que j'ai écrit depuis un mois. Je me demande si cela peut avoir le moindre intérêt pour quiconque. La honte et la fierté peuvent se rejoindre lorsque je constate la ténacité dont je fais preuve à l'égard d'une compagne de route qui a préféré renoncer à l'aventure symbiotique.

Ces valeurs morales ne devraient pourtant pas avoir place et n'existent que lorsque je songe à des regards extérieurs. En moi ces questions ne se posent pas. Je suis encore "là" parce que cela me fait du bien, parce que cela correspond à ma nature de ne pas abandonner tant que je crois en quelque chose. Fidèle à ce que je suis, à l'écoute de mes envies. Ce qui m'importe c'est de ne pas me perdre en forçant ma nature. Abandonner ne me correspondrait pas, tout simplement.

Être là, c'est être moi.







Vendredi 10 mars 2023

La vague se retire, la crue s'efface et le flux calme de la rivière retrouve son lit. Cette fois encore j'ai jugulé la tentation et je me suis débrouillé tout seul pour que cela n'éclabousse pas autour.

J'ai évité que deux réalités subjectives puissent s'opposer. Car objectivement la "personne" [persona] sur laquelle est bâtie ma réalité n'est plus là. Il n'y a plus personne en face de moi. Ce n'est que dans la subjectivité de ma représentation qu'il existe encore réellement "quelqu'un"... qui n'est qu'un personnage. Une double réalité apparente parce que "personne" et "personnage" ne coïncident pas.

Mentalement, la coexistence de cette double réalité m'aura demandé - et me demande encore de temps en temps - un effort d'intégration. Je crois que ces moments émergent lors des vagues de submersion, ces grandes marées que je sens arriver à intervalles de plus en plus espacés. Je suis alors débordé par la puissance d'une inaltérable et insubmersible "amitié"... qui n'a plus sa place. Alors je me répands en mots, en pensées bouillonnantes, en interrogations réactivées. Cela dure quelques jours et puis le flot décroît peu à peu.

La submersion émotionnelle se retire.



* * *

 

Je garde toujours un regard critique [d'où cela me vient-il ?] sur ma façon d'être au monde : est-il sensé d'écrire comme je le fais sur ce qui me préoccupe ? Est-il "normal" de penser encore à une situation ancienne ? Est-ce "bien" de chercher à comprendre ce qui est en moi ? En fait ce regard critique est plutôt un regard analytique, suscité par une pesanteur morale. C'est d'abord une question de "bien/mal" qui m'interroge et me pousse vers l'analyse, aussi objective que possible, de ce qui est en moi. Alors je constate ce qui est, en cherche les racines probables, et j'aboutis à la conclusion que ce qui est, est. Sans jugement. J'observe ce qui est, m'émancipant de tout regard moral, et ressens alors toute la justesse de mes pensées ou actions. Ce n'est plus "bien/mal" en termes moraux mais "juste ou préjudiciable". La notion de justesse, que je ressens par un état intérieur de non-tensions, est ma boussole. Soit je me sens bien avec ce que je fais, en moi et par rapport à ce que je perçois du monde extérieur, soit je ressens une dissonance avec l'extérieur et cela m'indique que je dois encore corriger quelque chose. Il y a un va-et-vient constant entre mon égo-intérieur et l'altérité extérieure. Selon la perception que j'en ai, bien sûr, qui elle même peut être faussée... parce que je ne dispose pas de suffisamment d'élements de compréhension ou de perception de cette altérité.

Je crois que c'est une quête de justesse qui aura motivé mon écriture. Pour être au plus près du non-préjudiciable. En cela il existe nécessairement une projection mentale de la réalité de l'autre, des autres. Et c'est l'inconfort de cette double réalité qui cherche son apaisement. Mon objectif, en somme.



* * *


Sur la notion de "personnage" et la distinction que j'en fais d'avec la personne, il m'apparaît clairement que si je me suis raccroché à un personnage (idéalisation de la personne) c'est que j'en avais psychiquement besoin. Il m'était trop insupportable d'accepter un incompréhensible changement d'attitude de la personne. Par nature j'ai psychiquement besoin de comprendre le sens de ma relation aux autres et au monde et il a bien fallu que je me raccroche à des éléments épars de réalité, fussent-ils incohérents entre eux. En fait, depuis près de vingt ans [tout dépend du moment où je considère qu'un décrochage à eu lieu] je cherche à comprendre le sens d'éléments contradictoires. Et comme ces éléments sont en lien avec mes fondamentaux essentiels (la confiance et la sincérité), la quête est traitée à la hauteur de ce qui est en jeu. Je suis convaincu que ma démarche est "saine"... même si parfois je me suis égaré en voulant trop rapidement nommer les choses.
Dans un tel processus d'acceptation de l'incompréhensible je constate qu'il peut falloir beaucoup de temps avant d'être en capacité de nommer les choses avec justesse. Et beaucoup de tâtonnement sur des pistes et hypothèses avant de voir emerger celles qui semblent les plus pertinentes, cohérentes, logiques. Un bouquet de présomption, en quelque sorte, pour approcher d'une plausibilité suffisamment satisfaisante pour retrouver une paix de l'esprit.

C'est ainsi que j'ai vu s'affiner ma perception et que je pense pouvoir parvenir à établir un récit acceptable, tant de mon point de vue que de celui, supposé, de l'autre. Qu'à défaut de concorde factuelle et confrontée au réel il existe au moins celle que j'imagine plausible.

Il ne serait pas juste que je m'accomode de ma seule perception du réel. J'ai besoin de la considérer du point de vue opposé... même si, concrètement, je ne peux l'obtenir qu'à partir de mon imaginaire. Je n'ai pas d'autre choix que faire avec l'absence et les traces anciennes d'un réel aujourd'hui asynchrone et décorellé.

Mentalement, psychiquement, l'expérience est singulière. Elle crée une réalité mouvante, qui évolue dans le temps selon ma conscience des rôles de chacun.

Peut-être paraît-il plus simple à la majorité des gens de figer une fois pour toute un récit qui leur convient. Ce n'est pas ma façon de traverser l'existence. J'y reviendrai autant de fois qu'il me sera nécessaire pour trouver la justesse d'un récit suffisamment fluide pour être accepté. Même s'il y restera sans doute une part d'irrésolu et d'inexplicable.







Samedi 11 mars 2023


Aujourd'hui j'étais en famille chez un de mes enfants. Loin de mon univers égocentré et de mes réflexions autour d'une histoire passée. J'étais bien dans le présent. Durant quelques instants j'ai songé à ces deux niveaux de conscience qui m'animent.

J'ai fait le trajet avec ma fille qui, incidemment, m'a demandé à quoi je passais mon temps libre en ce moment. Je lui ai donné quelques éléments mais ai évité celui de l'écriture. Elle m'en aurait immanquablement demandé la teneur et j'aurais été bien en peine de lui répondre. Tout simplement parce que j'aurais eu... honte. Sans doute à tort parce que ma fille ne me juge pas. Au contraire elle semble souvent me comprendre.

Pourquoi cette notion de honte, que je sais paradoxale ? Car par ailleurs je me sentirais presque fier de vouloir aller au bout d'une démarche de compréhension. En fait il n'y a ni honte ni fierté à avoir : je suis simplement à l'écoute de ce qui m'anime. Même si je ne comprends pas tout. Surtout si je ne comprends pas tout !

En étant attentif à cela je ne fais que chercher à résoudre ce qui me pose question et entrave mon avancée dans l'existence. Même si aujourd'hui l'entrave est fort réduite, peu perceptible et pas vraiment gênante. Un peu gênante, quand même. Je pourrais très bien vivre avec et laisser l'entrave s'user avec le temps. Sauf que cela ne correspondrait pas à ce que je suis : un chercheur de sens. Ou plutôt un observateur de tensions relationelles, avide de comprendre les causes qui y conduisent.

Nulle honte à ressentir dans cette attitude d'ouverture à l'inconnu. Alors pourquoi le sentiment de honte ?

Probablement parce qu'il me vient de très loin et a perduré jusque-là, insidieusement caché et réactivé à chaque fois que ce que je suis est invalidé, critiqué, dénigré. À chaque fois que ma sincérité [je pourrais aussi parler de spontanéité] est bafouée, bloquée, rejetée, moquée. J'ai l'impression de porter un traumatisme, facilement réactivable. Quelque chose qui me bride, me vulnérabilise... et me soumet à une forte attente de confiance. Tellement forte qu'elle me surexpose à ce que je redoute. Il se pourrait qu'ainsi je crée les conditions de l'échec.








Dimanche 12 mars 2023


Quelque chose cherche à prendre place en moi au travers d'écrits répétitifs. Cela tourne autour du doute qui m'habite et de la place que je m'accorde en ce monde. Depuis des années la notion de "croire en soi" [en moi] trace la ligne conductrice. Je ne suis pas certain d'avoir assez d'une vie pour réparer ce qui a été brisé je ne sais quand, mais assurément très loin dans le passé.

Ce qui m'importe aujourd'hui, exprimé en raccourci simplificateur, c'est de passer de la honte d'avoir échoué à la fierté d'avoir réussi. Échec et réussite sont forcément relatifs. Je n'ai ni "raté" ni "réussi" ma vie : j'ai tenté de traverser l'existence au mieux de mes intérêts, selon la perception que j'avais de ceux-ci au présent.

Oui, il y a probablement eu des "conduites d'échec" parmi mes actions, c'est à dire qu'inconsciemment je me serais débrouillé pour réussir dans l'échec. Confirmant ainsi un présupposé : je ne peux pas réussir. Comme si la réussite (= obtenir ce que je veux) n'était pas pour moi. Ce qui, en inversant le point de vue, revient à dire qu'en fait je ne voulais pas. Je préférais rater que réussir. Le mécanisme tordu de l'auto-sabotage.

« L'important n'est pas ce qu'on vous a fait, mais ce que vous faites de ce qu'on vous a fait » (à corriger)

Je ne dois pas chercher des responsabilités extérieures : c'est bien moi qui n'ai pas su me relever. Tant d'autres que moi on su trouver en eux la force de surmonter des traumatismes infiniment plus conséquents que le mien. D'un autre côté je ne veux pas non plus me culpabiliser de n'avoir pas su le surmonter: j'ai fait du mieux que j'ai pu. Comme tout un chacun.

Il y a là une tension entre ce que j'ai reçu (ou pas) et ce que j'en ai fait.



* * *



Hier soir je pensais à un terme employé par mon fils à propos de ma démarche d'émancipation : le courage. Je le relie à un autre terme, qui très précisément m'avait servi de viatique : "Le courage d'être soi". C'est au nom de ce courage, et porté par lui, que j'ai osé me lancer dans l'aventure la plus périlleuse : risquer de perdre mes appuis affectifs. Ça n'a l'air de rien, dit comme ça, mais si j'ai eu besoin de puiser dans mes ressources profondes, et de "croire en moi", c'est bien parce que cela m'était difficile.

Et ce qui cherche à trouver une place depuis mon grand naufrage c'est le retour de cette puissance créatrice. Oser être. Seul. Sans attendre de soutien durable. Car des soutiens j'en trouverai toujours, temporairement, alternant les uns à la suite des autres. Mais le soutien durable... d'un père, je ne l'aurai pas. Ni de mon père biologique, ni de "pères" de substitution. Aucune figure d'autorité ne pourra remplacer un père défaillant. C'est en moi que je dois trouver ce "père" manquant ["Père manquant, fils manqué"].

J'ai essayé d'être un père présent avec mes enfants. Je ne suis pas sûr d'avoir été à la hauteur mais j'ai fait de mon mieux, affairé moi-même dans ma propre reconstruction, indispensable pour avoir la solidité nécessaire pour tenir le rôle.

Mon père, qui à 90 ans se demande s'il n'aurait pas manqué quelque chose avec moi...

Ben si, Papa, tu as manqué pas mal de choses ! Mais tu m'as donné ce que tu pouvais, ce qui te semblait important : une sécurité matérielle. Et c'est déjà beaucoup. C'est une base indispensable, qui aura permis que je puisse me construire sans transmettre trop de ce qui m'a manqué.

Au travail un de mes colègues a dit un jour que j'étais leur papa à tous. Lui me voit en pilote du navire, chef de l'équipage. En fait tout mon entourage professionnel reconnaît ma capacité à mener cet équipage, jusqu'à mes supérieurs qui me laissent une très grande autonomie.

Il n'y a que moi pour me trouver des défaillances.

Moi... et les femmes que j'ai aimé. Pour qui je n'ai pas été à la hauteur... de... ce qu'elles attendaient de moi ? Comme si je n'avais pas été assez solide, assez inébranlable roc ? Comme si je n'avais pas été suffisamment homme ? Ou "père"  de substitution ?

Si c'est le cas alors la dynamique était viciée et ne pouvait qu'aboutir à une impasse. Un échec. Celui que je voulais voir se confirmer ?

Vertige des mécanismes inconscients qui se croisent et s'enlacent jusqu'à la déchirure, la chute, la perte.

Finalement la relation qui semble durer est celle que je partage en pointillés, instable, sans aucun engagement. Mais sans sentiment, sans abandon, avec une confiance relative, partielle, dans une sincérité balisée, jamais totale.

L'âme soeur ? Mais ça n'existe pas !


* * *


Je parle d'échecs, mais combien y-en a t-il eu ? Très peu, en fait.
- J'ai raté mon bac... mais j'ai obtenu plus tard un diplôme de niveau supérieur, et plus tard encore un bac pro avec mention.
- J'ai raté la reconquête en amitié d'un amour d'adolescence. Ouais... bof.
- Je n'ai pas su éviter le départ de mon épouse, qui n'a pas pu accepter le nouveau modèle que je pensais pouvoir vivre. Mais est-ce vraiment un "échec", tant le pari était hasardeux ?
- Je n'ai pas su être à la hauteur du colossal défi que représentait une amitié amoureuse à distance, entre deux personnes à la fois trop semblables et trop différentes. Je n'ai pas su être suffisamment stable, ni n'ai su déjouer un mécanisme d'auto-sabotage. Je n'ai pas pu "sauver" l'autre... qui ne demandait pas à l'être.

Et auparavant j'ai sans doute raté le rôle du fils que mon père aurait aimé voir en moi.

Autant d'échec pour lesquels je n'étais qu'un des éléments en jeu, un des acteurs. Pour le bac ma mère m'avait dit que je l'avais raté pour m'opposer à mon père. Hypothèse que j'avais rejetée mais qui, finalement, pourrait s'expliquer ainsi.






Mercredi 15 mars 2023


Garder aussi la trace de l'effacement. Du presque rien. La vague s'est retirée, laissant peut-être inachevé le processus d'intégration en cours. Je laisse faire. Je ne force pas.

Quelque chose continue à se travailler en moi, à très bas bruit. J'y pense de temps en temps, stimulé par des accroches imprévues, des rugosités servant de support à des analogies fécondantes. Un peu comme des étincelles se produisant par friction, brièvement éclairantes.





Un mois plus tard...

La vague



Dimanche 15 avril 2023


Il y a deux mois, au début de février, une vague déferlante m'a emporté. Elle m'a poussé à écrire à haute intensité, comme cela ne m'était plus arrivé depuis bien longtemps. Durant un peu plus d'un mois j'ai noirci des pages, me mettant au clavier chaque jour, ou presque. Parfois à plusieurs reprises dans la même journée.

Quelque chose avait besoin de se dire. De se comprendre. Je crois que j'avais une étape importante à passer. Cette fois j'ai laissé la vague submersive me porter. Je l'ai acceptée le temps qu'elle a duré. Sans résister. Le moment était venu.

En reprenant le clavier aujourd'hui, je ne relis pas ce qui s'est alors exprimé et dont je ne garde en mémoire directe que quelques éléments. L'abondance de mots et d'idées a assurément fait un travail intérieur. Perceptible lorsque j'étais dans le processus de conscience et de mise en mot ; insensible depuis. En fait je n'y ai plus pensé. Je savais avoir posé ce qui devait l'être et qu'il était probable que j'y revienne ultérieurement.

À l'instant où j'écris je ne sais pas encore si je mettrai en ligne ce qui constitue comme une excroissance du journal. Une protubérance. Si je le fais un jour, ce sera vraisemblablement en marge de la linéarité chronologique du journal. Un tracé à part, une digression. Un chemin de traverse. Je suis certain que ce que j'ai mis au jour est important dans mon parcours de compréhension et d'émancipation. D'une certaine façon j'ai renoncé - à un niveau plus élevé qu'auparavant - à ce qu'encore j'espérais. J'ai repoussé sine die - si ce n'est définitivement - toute velléité de contact.

Il n'y en aura peut-être jamais plus. J'ignore si chaque jour qui passe m'éloigne davantage du dernier contact ou me rapproche d'un qui pourrait advenir, au delà d'une attente dépassée.






Un autre mois plus tard...


Mardi 9 mai 2023

Je viens de relire les nombreuses pages écrites ci-dessus, entre le 10 février et le 15 mars. Finalement, à part le texte déclencheur, très brouillon, et ceux qui l'ont suivi, sans relief, de nombreuses pages me semblent porteuses de sens. Je constate avoir posé un certain nombre d'élements importants, et je suis fier d'y être parvenu.

Aucune révélation fondamentale (quoique...) mais plusieurs éléments de ce qui me constituent se sont trouvés reliés entre eux. D'une certaine façon "l'histoire" telle qu'elle s'est déroulée trouve son sens. Ce qui m'a longtemps paru incompréhensible a gagné en clarté grâce aux hypothèses plausibles que me sont apparues et dont, cette fois, je n'ai pas contrarié l'émergence.

Il se pourrait donc que je publie ces pages, qui pourraient être éclairantes pour d'éventuels lecteurs chez qui elles trouveraient écho. Je me laisse encore du temps pour décider de la forme de cette publication : en marge du récit, comme une branche terminale ; ou bien plus ou moins intégrée dans le fil du journal, une fois expurgée des parties les plus rébarbatives.

Je veux aussi noter ici que depuis le reflux constaté le 15 mars je n'ai pratiquement plus pensé à tout cela. Seul le désir assez vague et sans échéance de cesser d'en parler me rappelle ces pages restées entre deux eaux : écrites mais non publiées. Mais l'acte de publication est-il encore nécessaire ?

Cette nuit j'ai fait un rêve en rapport avec l'histoire inachevée. Très peu de souvenir m'en sont restés, si ce n'est qu'il était question de réconciliation - enfin ! - avec la complice d'autrefois, qui avait entrepris une démarche en ce sens. Manifestement mon inconscient fait son travail de son côté...

Ces derniers jours il m'est arrivé de penser fugitivement à une question pourtant réglée : la possibilité de tenter un contact, un jour, si nécessaire. Toujours cette porte de sortie que je me garde. Au cas où...

Juste parce que je n'ai pas envie de la fermer irrévocablement.







Résoudre l'irrésolu



Samedi 13 mai 2023


En écoutant une émission de radio autour de deux ouvrages récents ayant pour thème la rupture amoureuse, inévitablement se sont réactivées dans mes pensées des amorces de réflexion. D'autant plus qu'il y a peu, dans les pages qui précèdent, j'ai utilisé le mot "rupture", remarquant que je lui avais oté les guillemets que jusque-là j'utilisais. J'y ai vu la trace d'une évolution dans mon acceptation de l'irréversible. Pour autant le terme ne me satisfait pas. Ne me convient pas. Certes, il y a ce côté définitif qu'il est important que j'accepte mais, d'un autre côté, il y a en moi une notion de souplesse qui ne colle pas avec la radicalité de la rupture.

J'ai cherché sur le net ce que je pouvais trouver autour de la notion de "rupture amoureuse" et cela m'a renvoyé vers une infinité de pages incitant à "tourner la page", précisément. De préférence le plus rapidement possible, avec moult conseils et recettes. L'idée générale étant de "rebondir" au plus tôt en laissant la douleur de la rupture derrière soi. En quelque sorte effacer la blessure. Effacer la relation brisée. Effacer la trace de l'autre et du lien. J'ai aussi cherché "rupture relationnelle"... qui globalement renvoyait vers la dimension amoureuse. Or il y a des ruptures d'amitié, des ruptures familiales.

Quoi qu'il en soit, je ne me sens pas en phase avec le terme de "rupture". Même si, bien sûr, la notion de points d'inflexion m'est évocatrice. En d'autres termes, je me retrouve bien dans l'idée proche de "rupture de pente", de ligne brisée, de cassure, mais avec la notion de continuité. Ce n'est pas une rupture-arrêt ou une rupture-fin, mais une rupture dans la linéarité. Comme une branche cassée, avec un point d'inflexion visible, mais qui continue à croître après la déformation. Bref : quelque chose qui reste vivant.

C'est en cela que, peut-être, ma façon de vivre les relations diffère de la tendance majoritaire, pour qui le "passer à autre chose" semble être la voie du salut. Ou de la délivrance.

Or il semble que ma délivrance ne passe pas par l'oubli, mais plutôt par l'exploration détaillée de tous les points d'inflexion, ainsi que de leur origine, réelle ou hypothétique. Cela m'est nécessaire. C'est mon mode de fonctionnement : comprendre. Du moins tenter de comprendre le sens de ce qui est advenu. En quelque sorte je mène une enquête. L'objectif étant de reconstituer le fil des évènements, la part de responsabilité qui me revient dans une situation qui m'affecte. Et tant que je n'ai pas résolu l'énigme... je continue à chercher. Je devrais dire : quelque chose en moi continue à chercher. Parce que ce n'est pas une démarche volontaire, mais une nécessité pour mon équilibre intérieur.

J'ai parfois utilisé le terme d'irrésolu. Il est, à ce jour, celui qui traduit le mieux le sens de ma quête. Je cherche à résoudre l'irrésolu. Et ma résolution est grande pour résoudre l'irrésolu ! Je suis résolu à résoudre l'irrésolu !

Bon, dans ces jeux de mots il m'apparaît quand même une certaine volonté : je ne laisse pas tomber mon en-quête. Je persiste. Parce que j'en ai besoin... Certes ce besoin n'est pas à la base de la pyramide de Maslow, c'est pourquoi d'autres besoins, plus immédiats, passent régulièrement devant. L'enquête, c'est quand j'ai le temps et la disponibilité d'esprit pour cela. C'est une des raisons qui font que l'enquête peut durer longtemps.

Le point important, que m'a enseigné l'expérience, c'est qu'un jour je me verrai parvenu au terme de ma quête. Et là, je pourrai clore le dossier et le ranger. Ce sera terminé.

C'est probablement ce qui arrivera dans l'affaire qui m'occupe depuis... vingt ans, presque jour pour jour.



J'ai voulu vérifier et, à la date du 7 mai 2003, voici ce que j'ai retrouvé dans mon journal (extraits) :

« Tenter de trouver le point d'origine du mal-être. Entre le "avant-tout-allait-bien" et le "maintenant-ça-va-pas", il s'est certainement passé quelque chose, un micro-évènement passé inaperçu, mais qui a joué un rôle important. Ces questions qu'elle se pose proviennent de l'état consécutif à ce point de départ. Eclaircir ce premier point, comprendre ce qui s'est passé et comment ça agit sur elle. Tenter de suivre l'enchaînement de pensées qui l'ont amenée à cet état de morosité. Tant qu'à réfléchir, au moins que ça soit dans un but constructif. »

Je décrivais là les pistes que j'avais tenté de donner à ma fille de seize ans, en plein désarroi relationnel, juste après qu'elle m'ait dit : « Et puis je réfléchis tout le temps, surtout quand ça va pas. J'aimais mieux quand j'étais petite, je ne me posais pas de questions, tout était simple ».

Cette même fille qui, quinze ans plus tard, découvrira qu'elle est fait partie des personnes dites à "Haut Potentiel Intellectuel". Elle qui m'invita à effectuer à mon tour le bilan neuro-psychologique qui me permit de découvrir que j'avais, comme elle, cette propension à beaucoup réfléchir...

Ce n'est pas ce que j'avais en tête en cherchant dans mon journal de 2003 mais il m'apparaît néanmoins un lien flagrant entre le besoin de comprendre et la propension à beaucoup réfléchir !

 
Juste après j'écrivais ceci, dans les confidences de ce journal introspectif : « Moi aussi je me posais des questions sur le sens de ma vie, sur les difficultés de communication entre les êtres. Avec Charlotte on était dans une impasse. Elle qui trouvait que je me questionnais trop et ne supportait plus que je lui fasse partager mes états d'âme. Et moi qui ressentais justement qu'elle m'échappait parce que je ne trouvais pas avec elle le partage dont j'avais envie. Attentes contradictoires, blocage, et... impossibilité d'en parler puisque ç'aurait été faire précisément ce qu'elle ne supportait plus. Décalage. Mutisme de ma part, enfermement en moi, basculement vers un état déprimé. Je savais qu'elle avait raison de m'exprimer son ressenti, mais ne savais comment répondre à son attente.

Je me retrouvais seul.
»


Je retrouve là une des difficultés que j'avais avec celle qui était encore mon épouse : mon besoin de pousser la réflexion, d'échanger nos points de vue, était trop pesant pour elle. Je sais de longue date que c'est une des principales raisons qui m'ont poussé à me tourner vers d'autres interlocutrices, plus désireuses d'échanges.

Là encore, ce n'est pas ce que je cherchais dans mon écrit de 2003, décidément riche d'éléments convergeants. Mais ce que j'y cherchais se trouve en continuité directe, alors que j'évoquais, à demi-mots, un des points d'inflexion les plus significatifs d'une relation parallèle et prometteuse qui s'était établie jusque-là sans nuages.

« Par la suite nous avons pu nous expliquer, et le *petit* problème était à peu prés résolu. Sauf que... la vie fait que certaines périodes ne sont pas propices. Ni de mon coté, ni du sien nous n'allions bien, pour des raisons différentes et indépendamment de nous deux. Alors un peu fragilisés par ce petit premier accroc, quelque chose a fait que le tissu s'est brusquement déchiré sur toute sa longueur. Craaaac, comme ça, sans qu'on ne l'aie vu venir. Succession d'incompréhensions, de réactions, de maladresses, de doutes. On ne se connaissait pas sous tous nos aspects, et notamment les plus sensibles.

Le choc de deux fragilités qui se brisent l'une contre l'autre. Et en quelques heures, quelques jours, tout semble en miettes, éparpillé, perdu. Ce qui était si merveilleux quelques temps plus tôt paraissait, sans qu'on n'y comprenne rien, anéanti. Comme si cet autre, tout à coup, n'existait plus. Une autre personnalité était entrée en jeu, inconnue, trop différente. Comment comprendre ce changement?

Quelques jours d'enfer, avec, comme le disait ma fille, cette envie de ne plus être là, de ne plus être rien, de ne plus exister. Le néant existentiel. Et des questions, des questions, des montagnes de questions. Des avalanches de questions. Pourquoi, comment? Qu'ai-je fait? Qu'ai-je dit? Pourquoi ai-je dit? Pourquoi m'a-t-elle dit? Vers quoi va-t-on? Tourbillon infernal. Et la lumière au bout du tunnel qui vacille, va et vient, s'éloigne alors qu'on vient de la ramener un peu plus près...
»

Ce jour-là il s'est produit, pour moi, un cataclysme. Un effondrement. Un anéantissement. Et ce fut extrêmement douloureux pour moi. Je comprenais brutalement qu'il y avait des limites fermes et non négociables dans un lien que j'avais intégré comme étant "de confiance". Or cette confiance, je le découvrais, resterait limitée, fragile, susceptible de prendre fin si je m'avisais d'aller au delà de la proximité qui m'était accordée. Dès lors - et je crois que je l'ai pressenti ce jour-là - la perspective de la rupture entrait dans le paysage. Et avec elle la crainte d'une fin si je ne me pliais pas à une règle aux contours flous.

En fait ce ne pouvait qu'être opressant.

Je suis souvent revenu sur cet épisode, marqué au fer rouge dans ma conscience, mes émotions, et ma perception toute entière des relations "de confiance". Je sais que c'est précisément autour de cette période précoce que s'origine la déconvenue qui... peut-être, ne pouvait qu'advenir. Comme si la relation était condamnée à l'échec, quels que soient les efforts que j'allais pouvoir faire.

Selon mon mode de fonctionnement il est important que je comprenne si j'aurais pu éviter cet échec magistral. Je sais que le défi était grand, me demandant de déconstruire une représentation trop exigeante de la confiance. J'étais prêt à le tenter, malgré les difficultés que représentaient mes propres limites intérieures, que je me sentais en capacité de repousser. J'avais envie d'apprendre, envie de m'émanciper de mes carcans. Mais j'avais pour cela besoin de "nourriture" intellectuelle, d'échanges soutenus et enrichissants. Et sans aucun doute j'avais aussi besoin d'être rassuré sur l'importance que j'avais pour cette autre qui m'avait tant apporté jusque-là.

J'ai bien conscience de ces failles, qui me rendaient vulnérable. Je mesure bien ma part de responsabilité dans le déclin de l'aventure partagée.

Aujourd'hui, vingt ans plus tard, j'ai clarifié nombre des questionnements existentiels que j'avais à 42 ans. Mes centres de préoccupation se sont élargis et vont bien au delà des liens relationnels, devenus fort réduits dans mon quotidien. Je me nourris des réflexions des autres, que je trouve en (sur)abondance sur internet, privilégiant la fiabilité et la compétence des auteurs.

Hormis sur ce journal, l'expression de l'intime est absente et l'intériorité n'est plus vraiment partagée. Avec qui le serait-elle ? pour dire quoi ? pour en faire quoi ?






Tu ne me dois rien


Vendredi 9 juin 2023

Trois semaines plus tard...

[Je mentionne désormais les écarts temporels entre mes écrits, les estimant significatifs de ma non-préoccupation, au quotidien, de ce qui sans cela pourrait passer, au fil d'une lecture inattentive sur ce point, pour une obsession monomaniaque. Cela ne veut pas dire que j'aurais totalement cessé d'y penser, mais que les pensées ne me viennent qu'au compte-goutte. Quelque chose se travaille, là, que je laisse infuser sans m'y attarder. Parfois j'ai envie de laisser quelques mots ou une simple phrase, sans le faire. Je me dis alors que si c'est important ça me reviendra.]

Aujourd'hui, alors que je binais une ligne de pommes de terre (ou était-ce après avoir lu un entretien avec Comte-Sponville, chantre de l'acceptation, je ne sais plus...) m'est venue cette idée forte : dans tout ce que j'ai écrit autour d'une amitié-amoureuse interrompue rompue, l'important n'est pas de comprendre ce qui a pu motiver l'amie à mettre un terme à la relation. Non, cela c'est à prendre comme un fait. J'aurais dû le prendre comme un fait ! Au lieu de cela, je me suis mis en quête de trouver l'origine, le sens de ce fait ! Après avoir exploré, des années durant, toutes les hypothèses imaginables - sans qu'aucune ne puisse devenir certitude, faute de confirmation - il m'est apparu, ce matin, donc, que le seul "sens" que je pourrais jamais trouver se résume à une seule question : pourquoi n'ai-je pas accepté l'état de fait ?

Au lieu de me demander pourquoi autrui a agi de telle ou telle façon, me demander pourquoi moi je n'ai pas accepté la liberté d'agir de l'autre. Autant il est clair que je n'ai pas cherché à résister à un phénomène d'attraction réciproque, jadis ; autant il m'apparait avec évidence que je n'aurais pas dû chercher à résister à un mouvement de recul ultérieur. Quoi qu'il m'en coûte. En matière relationnelle, la liberté sacrée de chacun est de pouvoir aller et venir au gré de ses envies. Autrement dit : « Tu ne me dois rien ». Le seul engagement qui vaille, c'est celui de laisser à l'autre sa liberté.

Cela je le sais, maintenant, avec une forte conviction. Et pourtant j'ai failli : j'ai résisté...

Alors si j'ai encore quelque chose à comprendre, ce sont les motivations profondes de ma résistance. Mais ai-je encore besoin de chercher ? N'ai-je pas déjà inventorié le complet éventail des possibilités ? N'ai-je pas mis à jour les nombreuses pistes dans lesquelles ma responsabilité était engagée ?






Serais-je guéri ?


Dimanche 11 juin 2023

Une fois de plus je tombe "par hasard" sur des écrits anciens. Vrai hasard, puisque c'est par la fonction "recherche de fichier", sur un sujet n'ayant rien à voir, que je reconnus une série de pages enregistrées que je croyais avoir perdues. Je n'ai pas ouvert ces fichiers sur le moment. Ce n'est que le lendemain que je me suis souvenu que ces pages "perdues" pouvaient peut-être m'intéresser. Et là, en revanche, ce n'était plus du hasard...

Qu'y ai-je trouvé ? Du passé lointain. Un temps révolu, quoique toujours présent à ma mémoire. J'ai ensuite voulu relire ce que j'écrivais ici-même à la même époque, puis la correspondance du moment. Une même période vue sous trois éclairages différents.

Et pour la première fois, me semble t-il, j'ai relu l'ensemble sans émotion. J'étais concentré, avec une sensation de parfaitement comprendre la situation d'alors. Ces textes, je pense les avoir déjà relus plusieurs fois, il y a très longtemps ou plus récemment, mais là c'était différent. Je ressentais une acceptation totale. Bien qu'il n'y ait rien de nouveau, je lisais avec un autre regard. Je ne cherchais plus d'explications, je les trouvais. Elles étaient clairement visibles. Certains phrases semblaient être devenues lumineuses, comme si elles étaient sorties de l'ombre. Je me suis senti en paix avec cette époque, en accord avec l'autre protagoniste de l'affaire. J'ai notamment relu une grande partie de la correspondance dite "de rupture", étalée sur cinq ans et 600 pages. Cela n'a pas réveillé d'amertume, de tristesse ou de douleur. Ma lecture est sereine et fluide. J'avais l'impression d'enfin comprendre la logique de ce qui m'est resté si longtemps incompréhensible. C'était bienfaisant.

J'ai retrouvé les échanges de pacification finale, relus il y a pourtant peu de temps, mais cette fois mon regard a été autre. Je me suis senti en accord avec ce qui s'est dit de part et d'autre. Je crois que j'ai compris, enfin, ce qui avait motivé l'éloignement.

Quelque chose de tout simple, qui ne s'explique pas, ne se justifie pas, mais n'en est pas moins parfaitement recevable : « J'ai changé ». Ces mots m'ont été donnés il y a quinze ans, à un moment où, pour moi, ils n'avaient aucun sens. Il m'étaient, littéralement, incompréhensibles. J'ai pourtant fait l'effort de les accepter et il m'aura fallu tout ce temps d'intégration pour que, subitement, aujourd'hui, j'en reconnaisse entièrement la validité. Ce n'étaient plus des mots âpres et rudes lus seul de mon côté de l'écran, mais des mots qui, d'abord acceptés intellectuellement, avaient ensuite cheminé dans mon esprit, puis été infiniment lentement digérés dans les profondeurs de mon être, à mon insu, incorporés dans une nymphose latente et finalement métamorphosés le moment venu. Restitués par moi-même, sans personne pour me les rappeler.

Serais-je guéri ?




« Que je mette quatre ans à quitter une histoire n'a pour moi aucune importance. La question de la durée n'est pas là puisque j'ai commencé à y réfléchir depuis bien plus longtemps, et que s'il me faut dix ans pour épuiser le sujet... et bien ce sera ça ! Même s'il me fallait toute une vie. Au contraire, c'est le signe que l'expérience était suffisamment riche pour diffuser durant des années tout ce qu'elle pouvait m'apprendre de la vie. Jauger cela en fonction d'une simple rupture passerait à côté de toutes les autres dimensions que je peux explorer. »

Extrait du 20 octobre 2008






Tragiquement drôle



Lundi 12 juin 2023


Fasciné par les différentes façons de percevoir une situation, j'auto-observe la mienne lorsqu'elle m'étonne ou varie dans le temps. Il y a quelques mois, ici-même, je décrivais combien je ne voulais pas trop « regarder sous la couverture » dans quelque recoin de mes souvenirs. Ce faisant, je me protégeais émotionnellement avec l'injonction d'un « Pas touche ! ». Sous le vernis d'une relative acceptation il y avait - et je le savais - encore des traces d'amertume, de tristesse, et sans doute de colère autour d'une séparation aux motivations jamais vraiment élucidée. Porter le regard dans cette direction avait quelque chose de douloureux, bien qu'il y ait simultanément de la douceur. Mais peut-être est-ce cette double saveur trop contrastée qui rendait l'observation délicate ?

Pendant un mois j'ai longuement écrit et, notamment, j'ai "interdialogué" entre différentes instances du moi : d'un côté la raison, de l'autre le vivant (envies et émotions). Il me semble que cet "interlogue" produit des effets de prise de conscience assez remarquables lorsqu'un sujet complexe me me préoccupe.

Ce qui est certain c'est qu'après plusieurs semaines de "travail intérieur", sans même y avoir pensé, quelque chose a changé dans ma perception. Hier j'ai relu la correspondance qui, depuis des années, restait d'une saveur âpre et piquante, ravivant une sensation tenace de "quel dommage". Et bien cette fois je n'ai rien ressenti de tel. Ma lecture était détachée, fluide, attentive. Agréable. C'est probablement ce qui m'a permis de voir autre chose que lors des lectures antérieures.

Le plus étonnant, j'en ai pris conscience tout à l'heure, c'est que cette fois j'ai perçu une... complicité dans le sabordage relationnel. Parcourant les différents épisodes d'une séparation particulièrement étirée en longueur et ambigüe à souhait, j'ai retrouvé la longue alternance des mouvements d'éloignement et rapprochement. Parfois tout semblait de nouveau possible... et peu de temps après les frêles édifications s'écroulaient de nouveau, après une phrase maladroite, une difficulté quelconque. Fermeture accrue. Quelques semaines ou mois passaient et, de nouveau, une ouverture prudente paraissait envisageable. Mais non, un mot de travers, une attente mal formulée ou paraissant inadaptée, une froideur inattendue, et en quelques instants un nouvel éloignement douchait la tentative. C'était décevant, rageant et émotionnellement épuisant. Ce régime, en épisodes discontinus, a duré quatre ans.
Pourquoi aussi longtemps ? Je reviendrai peut-être un jour sur l'analyse de ma persévérance dans de telles circonstances.

Ce que je veux consigner aujourd'hui c'est la sensation, au présent, d'une paix intérieure beaucoup plus profonde que celle que j'avais pu ressentir jusque-là. Il me semble que celle que j'avais atteinte était plus restreinte, étriquée, autocentrée. Fragile. Là, maintenant, je sens une paix plus profonde, ample, englobante. Une paix qui va au-delà de ma seule personne.

C'est difficile à décrire.

D'une certaine façon je me suis éloigné d'une histoire terminée, tout en m'ouvrant à l'après. Quelque chose s'est fermé, ouvrant à un autre champ de perception, de compréhension, d'accueil. C'est assez doux, en fait. Et c'est en cela qu'un changement a opéré : il n'y a plus ni amertume, ni tristesse, ni colère. J'accueille ce qui est, ce qui a été et ce qui sera dans un même mouvement. Et tout en m'éloignant d'un passé révolu, extrêmement riche de sensations et d'émotions, j'ai l'impression d'embrasser l'histoire tout entière. Sans temporalité autre que le présent. L'histoire devient comme atemporelle : les débuts candides, le crescendo émerveillé, le décalage inattendu, le pitoyable naufrage, les moches querelles... et finalement ce silence qui s'installe et s'étend, devenant infini après les derniers soubressauts. Tout est là, dans une temporalité confondue. Une fusion des temps, faisant fi de la géométrie. Le proche et le lointain peuvent se cotoyer, dialoguer, se regarder en miroir.

Ce que j'écris-là est assez confus, parce que difficilement exprimable. J'y reviendrai certainement...

L'élément important à retenir c'est qu'aujourd'hui cela m'est agréable.

Tout comme il y a quelques mois je retrouvais, avec une vraie joie, la tonalité légère et profonde de la correspondance initiale, je me réjouis aujourd'hui d'avoir retrouvé la trace d'une cocasse, tragique, dérisoire et inattendue complicité de saboteurs. Du grand art : deux personnes étroitement liées ont méticuleusement détruit les ponts qui les avaient réunies. Elles ont sabordé la confiance qui leur était indispensable. En s'entredéchirant elles se sont fait mal comme jamais, alors même que leur idée était d'éviter cela de la façon la plus absolue. Bref : elles ont généré le pire !

Jusqu'à réduire à néant toute forme de communication directe.
Pour des êtres qui furent tellement  avides de mots partagés, n'est-ce pas tragiquement drôle ?







Mercredi 14 jun 2023


L'histoire que je narre n'aurait pas existé sans internet, s'est développée par internet. Elle a pris une tournure particulière du fait de sa dimension "publique" (lue par des témoins), tant dans ses côté lumineux que sombres. La post-histoire n'aurait sans doute pas pris autant d'importance si je n'en avais pas écrit publiquement les péripéties.

J'en viens à me demander si ce qui est advenu n'aurait pas été influencé, intensifié, dynamisé, par la publication que j'en ai fait. Et si l'arrêt de la publication ne pourrait pas me conduire à un desinvestissement plus efficace.

Ecrire encore m'est-il bénéfique ou néfaste ? Travail de détachement ou maintien d'un lien outrepassé ?








Indécidable



Mercredi 22 juin 2023

Parfois je me dis que c'est moi qui n'ai rien compris. Qui n'ai pas su voir au delà des apparences. Que c'est moi qui doutais trop...

D'autres fois je pense l'inverse.

En fait je ne sais pas et ne saurai probablement jamais. Je devrai me contenter de cette incertitude, de ces hypothèses irrésolues. De ces possibilités multiples et indécidables.

Et peut-être est-ce préférable ainsi.





 


Elle ne reviendra pas



Dimanche 30 juillet 2023

Encore un mois de passé sans écrire ici. Un mois sans y penser. D'autres sujets m'occupent l'esprit, en ce temps de records climatiques...

Oh, j'ai bien pensé de temps en temps à ce désir refoulé qui m'a mis en ébullition en février, mais ce fut vraiment par intermittence. Généralement en lisant un article ou en écoutant la radio, sur quelque sujet me renvoyant à des fragments conséquents restés irrésolus.

J'ai ainsi noté une phrase de George Sand, adressée à son ami Gustave Flaubert : « Pas de vraie amitié sans liberté absolue. »

Affirmation tout à fait juste à mon sens, qui a fait écho à une pensée ayant pris place dans mon esprit depuis quelques temps : « Tu ne me dois rien ». Personne ne doit quoi que ce soit à quiconque, en termes d'affection et de sentiments. Ni en amitié, ni en amour. Si l'on a tendance à attendre quelque chose, c'est que l'on se réfère au registre de l'éthique ou d'une morale personnelle, mais ce n'est en rien un dû sacralisé. Tout au plus le don résulte-t-il d'une marque d'attention, de considération, de gentillesse, et peut-être de pitié.

Or j'attendais. D'abord des marques d'attention, en vue de rassurer une inquiétude originelle. Plus tard j'ai attendu une forme de réparation pour les pertes et préjudices que je considérais avoir subi. La réparation aurait pu venir sous forme d'attention, de sympathie, de douceur. Bref : de continuité du régime de faveur préexistant. Et j'ai reçu, avec parcimonie. La réparation aurait aussi pu venir sous forme d'excuses, de reconnaissance de préjudice, voire de demande de pardon. Mais rien ne m'était dû et il me revenait de trouver le chemin de sortie de ma très subjective douleur.


Un autre passage m'a interpellé hier, en écoutant une entrevue avec Claire Marin, auteure de l'ouvrage "Rupture(s)". Elle citait Roland Barthes : « Dans le deuil amoureux l'objet n'est ni mort ni éloigné. C'est moi qui décide que son image doit mourir ».

En recherchant l'original de cet extrait j'ai trouvé ceci :

« Dans les Fragments d’un discours amoureux, Barthes évoque un phénomène d’« annulation » très particulier, décrit comme étant une « bouffée de langage au cours de laquelle le sujet en vient à annuler l’objet aimé sous le volume de l’amour lui-même : par une perversion proprement amoureuse, c’est l’amour que le sujet aime, non l’objet ». L’autre, auquel il peut arriver d’être vu « sous les espèces d’un objet inerte », devient brusquement et brutalement « un objet annulé », qui n’est plus désiré, désinvesti. L’amoureux reporte son désir sur son désir lui-même ; c’est maintenant le désir qui devient essentiellement un objet de désir. Mais en retirant son désir et en renonçant à l’autre, l’amoureux « sacrifie l’image à l’Imaginaire ». Ce sacrifice est accompagné du deuil de l’Imaginaire lui-même. Car ce qui est essentiel, c’est qu’aux yeux de Barthes l’amoureux pleure « la perte de l’amour, non de tel ou telle ».
Le thème du deuil de l’Imaginaire revient également dans un autre fragment intitulé « L’exil de l’Imaginaire ». Cet exil est provoqué par la décision prise par le sujet de renoncer à l’état amoureux. Pour expliquer la particularité du deuil de l’Imaginaire, Barthes propose de faire une distinction entre le deuil réel et le deuil amoureux. Ainsi, dans le deuil réel, « l’épreuve de réalité » montre l’inexistence actuelle de l’objet aimé, alors que dans le deuil amoureux, l’objet n’est ni réellement mort, ni éloigné. C’est uniquement son image qui est morte suite à la décision prise par l’amoureux de renoncer à celle-ci et d’abandonner le langage amoureux. »

Dans « Du deuil de l’Imaginaire au chagrin interminable. Le chemin de Roland Barthes », par Magdalena Marciniak [lien]

En première écoute je pensais à l'extrême lenteur de mon propre travail d'annulation d'un désir devenu, de fait, inopérant par non-réciprocité. Je pensais aussi à la notion de "deuil de l'imaginaire", dont je subodore qu'il est, dans le cas qui m'intéresse, une des clés de la désaliénation de mes pensées.

Mais en recopiant l'extrait ci-dessus je viens de prendre conscience d'une autre dimension tout à fait éclairante : le fait d'avoir été moi-même "objet annulé", désinvesti, et l'abandon du langage amoureux qui en a découlé.

C'est cette phrase qui, par sa similitude avec ce qui m'a été énoncé jadis, m'a fait tilter : « la décision prise par le sujet de renoncer à l’état amoureux ». En effet, il m'apparait maintenant clairement que dès que cette dynamique a été enclenchée, de façon volontaire et de plus en plus déterminée, déclarée comme irrévocable, ma lutte était perdue d'avance. J'étais d'ores et déjà "annulé". À l'évidence je n'étais plus désiré.

Longtemps j'ai cherché à savoir ce qu'il en était, ne trouvant pas dans les mots qui m'étaient renvoyés la clarté dont j'avais besoin... et que je redoutais au plus haut point.

Longtemps j'ai espéré un retour de l'amie fugitive.

Elle ne reviendra pas.















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