Année 2022

Dernière mise à jour - Accueil - Archives - Message
























Larguer les amarres




Mercredi 5 janvier 2022

[Mis en ligne le 16 janvier ]

Pas de résolution pour cette nouvelle année. Je n'ai jamais été adepte de cette pratique, à mes yeux aussi vaine qu'illusoire. La seule résolution que je pourrais prendre serait... de ne rien décider.

Il se pourrait cependant qu'une inflexion marque mon rapport à l'écrit ici, si je me réfère à une sensation relativement marquée. En effet, je crois désormais tenir pour acquis un degré supplémentaire dans la réintégration en moi-même d'une part que j'avais de trop multiples façons amarrée hors de moi. Trop de filins tendus, trop de projections, trop d'attentes, trop d'affect. J'ai l'impression d'avoir écrit cela mille fois, tant les liens ont pu résister et chercher à se maintenir dans l'ombre, presque à mon insu.

Saurais-je jamais tout ce que j'ai pu investir de moi dans autant de directions ? Fallait-il que quelque chose de plus fort que moi m'emporte ainsi, bien plus rapidement qu'il aura fallu de temps pour m'en décramponner ?

Alors, quoi de différent maintenant ? Peut-être la compréhension, relativement profonde, que me positionner encore en réaction face à un personnage aussi absent qu'intemporel était une façon d'en faire durer l'influence. Je dois bien reconnaître que l'emprise aura duré bien plus longtemps que je l'imaginais, et s'est maintenue largement à mon insu alors que je pensais lutter contre. Mais lutter contre... c'est encore se positionner par rapport à quelque chose qui n'est pas soi. Paradoxalement, chercher à s'éloigner d'un rêve-espoir-désir c'est maintenir un lien avec ce que l'on cherche à fuir. La libération passe certainement davantage par un recentrage.

D'un autre côté je me dis qu'il faut un certain temps pour renoncer à l'infinité de liens qui ont pu se tisser lorsque le terrain paraissait favorable. Et peu importe le chiffre et l'unité de mesure de ce certain temps.

Finalement tout cela est tout à fait personnel et chacun s'accomode avec sa propre réalité, éventuellement avec la surprise de découvrir l'ampleur de ce qui, en soi, fut un jour prêt à lancer quantité de filins, et même les plus insoupçonnés.






Filandreux



Samedi 6 janvier 2022
[Mis en ligne le 16 janvier ]

Un journal tel que celui-ci transcrit mal la réalité d'une existence, qui n'est pas faite que de questionnements et réflexions redondantes. Ne transparaissent pas les temps, majoritaires, de réflexions autre que le thème habituel du journal, ni les moments de non-réflexion lorsque seul l'instant présent se vit, sans la nécessité de le mettre en mots.

Ne transparaissent pas non plus les pensées en mouvement, instables, difficiles à figer dans une instantanéité qui, par ailleurs, pourrait bien donner une image faussée. Idéalement il faudrait en passer par la retranscription d'un dialogue intérieur. Je m'y livre parfois, moins dans une volonté de pluralité de pensées que comme exercice de clarification intérieure. Un peu comme un dialogue autothérapeutique, ou du moins auto-éclairant. Il n'est pas exclu que j'y revienne prochainement.

Je me sens actuellement dans une phase de cristallisation, par rapport à des thèmes anciens qui semblent enfin trouver une part de leur résolution. Je veux parler ici de la succession d'étapes qui prennent place dans le processus de détachement qui m'anime (ou m'éteint...) depuis pas mal d'années. Dans mon entrée précédente j'ai évoqué la notion de liens multiples, que je pourrais qualifier de filandreux. J'ai tenté la métaphore des filins lancés de toute part mais celle de la toile d'araignée serait sans doute plus appropriée. Une sorte de cocon pluridimensionnel aux fils tenaces et collants, duquel il est particulièrement difficile de s'extraire. Mais la particularité de cette toile... c'est que c'est moi qui l'ai tissée ! C'est bien moi qui ai lancé les filins, les ai reliés entre eux et m'y suis empêtré. Le problème, dans cette affaire, c'est la solidité des fils et leur durabilité dans le temps. J'ai utilisé des cables d'acier là où il n'aurait fallu que des fils de soie. C'est idiot.

L'énergie et l'investissement initiaux étaient excessifs. Le démantèlement allait être symétriquement équivalent, quoique bien plus long, complexe et onéreux en termes psychiques. C'est le genre d'erreur que l'on ne fait qu'une seule fois mais dont on paye longtemps le prix.

Bref : je continue le processus de désengagement entrepris... il y a fort longtemps.

Le "gros morceau" du moment c'est d'avoir entériné l'irréversibilité du processus. Car longtemps je suis resté accroché à un espoir, aussi ténu soit-il, de restauration - quasi miraculeuse - d'un lien endommagé. J'espérais - et je sais toute la fragilité de cette attente impuissante - qu'avec le temps puisse revenir à la surface la confiance qui avait été tant abimée. Il est dans ma nature de croire en l'inaltérabilité de certains éléments de l'attachement. Mais peut-être s'agissait-il, ici, d'un déni de réalité ? J'ai longtemps - très longtemps - hésité entre deux options contraires, m'accrochant à celle qui correspondait le mieux à mes croyances, soupesant simultanément la réalité qui les démentait. De cette incertitude j'ai tenté de faire le meilleur usage, bravant l'inconfort qui en a découlé. Je ne suis pas sûr qu'au final j'en sortirai gagnant mais c'est ce qui m'a semblé être le plus en accord avec ce que je suis. Là encore il s'agit d'une expérience qui restera unique.

Tout cela ne se négocie qu'entre moi et moi : entre un certain idéalisme et la réalité factuelle. Entre ma représentation du monde et la totale insensibilité de celui-ci à mes états d'âme. Cela me ramène à l'humilité qui sied à la poussière d'étoiles que je suis. Que nous sommes tous.






Dissolution d'un déni




Dimanche 16 janvier 2022
[Mis en ligne le 21 mai 2022]

Sur le seul blog que je lise encore avec régularité, j'ai lu une réflexion sur « les signes que la vie place subrepticement sur notre route, et que nous décidons de voir ou non ». Puis, poursuivant le récit support, est évoquée « une longue liste de concordances et de simultanéités incroyables. Que les cartésiens auraient aussitôt classés dans les purs hasards sans signification statistique ».

Signes... ou purs hasards insignifiants ? Ainsi il pourrait exister une sorte de vérité dans l'intuitif, que le cartésien ne saurait percevoir ? Hum...

Dans le fil des commentaires du texte cité j'eus la surprise de voir nommée une station balnéaire méditerranéenne qui présente, pour moi, la particularité d'être chargée de signes puisque c'est précisément là que j'ai rencontré... celle avec qui tant de signes m'avaient conduit à un rapprochement.

L'apparition du nom de cette localité dans le fil de commentaires tenait évidemment du pur hasard et je pouvais décider d'y voir, ou pas, un signe. Le seul signe que j'y ai vu, c'est de m'en saisir pour déclarer « je me méfie du sens des signes, qui n'ont que celui qu'on veut bien leur donner ».

Plus loin dans le fil de commentaires j'ai un peu développé ma pensée en m'appuyant sur les propos du texte (qui, de tonalité légère, ne prétendait assurément pas à un développement philosophique sur les vertus comparées de l'intuition et de la raison) :

« Peut-on être à la fois cartésien et intuitif, sans se perdre dans d'interminables tergiversations, tant les deux modes de pensée peuvent se contredire ? De même, comment interpréter des signes lorsqu'entre eux ils s'opposent ? Est-ce qu'une abondance de signes positifs devrait être mise en échec par un seul signe négatif (et inversement) ? Qu'est-ce qui fait qu'un signe a davantage d'importance qu'un autre ?

Ces quelques questions pour exprimer toute l'ambivalence qui peut apparaître face à des "signes" ou intuitions contradictoires, mettant plutôt face au désarroi qu'à l'évidence. Je me demande si les "signes" que l'on capte ne sont pas prétextes à confirmer ce que l'on souhaite voir advenir. Et ça c'est plutôt cartésien ;) »

Cette réflexion sur les signes et le sens qu'on a envie de leur donner rejoint un autre commentaire apparu dans le même fil de discussion, citant visiblement une source inconnue : "La synchronicité est une coïncidence qui prend soudainement du sens, provoque une émotion forte, est porteuse de transformation et se produit au moment opportun." 

"En conclusion, on peut dire que les pures coïncidences n'existent pas : elles sont soit des projections mentales de désirs subconscients ou de blessures cachées ou bien, des hasards qui ne sont pas totalement improbables mathématiquement."

Je n'aurais su si bien dire : les "signes" et autres synchronicités que l'on perçoit ne sont que des projections mentales. Et c'est en ce sens qu'ils sont importants : ils ne nous indiquent pas une direction à suivre en tant que telle, mais révèlent le sens de nos désirs plus ou moins cachés. Ils sont l'approbation implicite de ce que, sans eux, l'on n'oserait peut-être pas suivre.

Je me souviens de ces coïncidences et du plaisir fugace qu'elle provoquaient, jadis. Peut-être m'étais-je un peu trop laissé aller à la dimension "magique" que j'avais envie d'y voir ; Peut-être m'étais-je laissé griser par cette sensation que l'extraordinaire s'était, par une chance rare, offert à nous. Toujours est-il qu'en me laissant aller à suivre mon intuition, à suivre mon en-vie, et voir cela coïncider avec les élans d'une "alter ego", j'ai pu m'affranchir d'un certain nombre de carcans propres à une trop grande rationnalité.

J'ai osé ! C'est une de mes plus grandes fiertés.

« Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ». Cette citation (apparemment apocryphe), qui me revient en tête à l'instant, m'a servi d'émulation. J'ai voulu y croire. J'avais besoin de m'appuyer sur différents éléments de ce genre pour me convaincre que ce que je vivais pouvait durer. Là était l'erreur, puisque la durée ne saurait se garantir.

C'était impossible et nous l'avons fait... aussi longtemps que cela nous fut possible.

Longtemps tous les signes furent au vert, sans aucune fausse note. L'accord parfait. En soi, à mes yeux, c'était déjà un signe éminemment favorable. Je m'en étonnais ouvertement : pas la moindre dispute, pas la moindre mésentente. [...] Jusqu'au jour où mes doutes sur moi-même ont commencé à se manifester, d'abord sporadiquement. Insidieusement je me suis mis à attendre des signes réguliers d'attachement. Et à souffrir lorsque j'en manquais.

Aujourd'hui je sais que ce ferment mauvais est à l'origine de la dégringolade finale... dont j'ai tant de mal à me remettre totalement.

Probablement pour me sauvegarder psychiquement j'ai, partialement, mis bien trop souvent en évidence d'autres raisons externes. Mais en fait toutes découlaient du manque initial de confiance en moi-même. Je pointais les symptômes et conséquences, incapable d'assumer la responsabilité première des causes.

Pourtant j'avais très tôt identifié cette difficulté personnelle, mais sans parvenir à la surmonter. Sans doute attendais-je indulgence et compréhension, comme je pensais que cela devait exister dans une relation "de confiance". Or je ne me rendais pas compte que c'est précisément cette confiance que, par mes doutes, je fragilisais.

De cela, je ne suis pas fier...

Fierté d'avoir osé, honte d'avoir échoué. Honte de m'être cru plus solide que je n'étais réellement.


* * *

Tu as changé ton texte. Ce n'est pas ainsi que tu concluais.

Oui, j'ai changé parce que je suis allé relire ce que j'écrivais il y a fort longtemps... autour d'un évènement particulier que je pensais signifiant. Un évènement que j'ai toujours considéré comme étant à l'origine de mes craintes, oubliant qu'en fait il n'était qu'une réponse à l'expression de mes attentes. J'ai découvert cela en me relisant.

Mais... tu devais bien le savoir puisque tu as tout écrit !

Visiblement j'avais oublié la chronologie des faits. Ou plutôt : à l'époque j'étais incapable de mesurer ma part de responsabilité. Je me sentais "victime" d'injustice. De par cette incapacité à me voir objectivement il semble que j'ai élaboré un scénario faussé qui, lui, m'est resté en mémoire.

Mais c'est pas possible : tu as tellement retourné les choses dans tous les sens, analysé et décortiqué le moindre détail. Comment aurais-tu pu passer à côté de ça ? Tu t'es pourtant auto-analysé sans complaisance !

Sans complaisance volontaire et consciente. Mais va savoir ce qui se joue dans l'inconscient et quels mécanisme de déni peuvent se mettre en place. Un déni est, par définition, inconscient. Ce sont là les limites de l'auto-analyse : le déni passe totalement inaperçu. Pire : le récit "acceptable" le renforce.

Wikipédia : En psychanalyse, le déni est, pour une personne, l'attitude inconsciente de refus de prendre en compte une partie de la réalité, vécue comme inacceptable par l'individu. Le déni (Verleugnung) est un mécanisme de défense, par lequel le sujet refuse de reconnaître la réalité d'une perception ressentie comme menaçante et/ou traumatisante.

Il semble qu'après des années de maturation je suis aujourd'hui en capacité de voir les choses autrement.

Fort bien ! Crois-tu qu'il s'agisse d'un changement définitif ?

Je le crois, oui.

Mais alors... ce journal n'a plus lieu d'être ?

C'est possible.

Et ce que tu avais écrit aujourd'hui, tu vas en garder trace ?

Non. C'était une histoire fausse. La perpétuation du mensonge auquel je croyais. La relecture de la période qui m'intéressait m'a démontré que je me leurrais et j'ai instantanément changé d'avis. J'ai remis les choses à l'endroit.

Comme ça, en un instant ?

Oui. Expérience singulière que de voir basculer un récit aussi ancien. Mais le déni s'étant dissous, l'évidence s'est imposée sans aucune retenue. Et c'est une délivrance.

Ben dis donc, quelle affaire ! J'en reste muet...


 * * *


J'ai sous les yeux ce que je pensais publier. C'est anachronique. Déjà obsolète. Périmé et frelaté. Malsain. J'efface. [Delete]

Je ne garde que l'extrait qui suit, parce qu'en commençant à écrire sur les signes et coïncidences j'avais l'idée que, peut-être, ma difficulté à m'affranchir de l'histoire sans fin tenait au fait qu'entre intuition et raison je m'étais perdu.

(...) j'avais entrepris ladite aventure en décidant de suivre mon intuition plutôt que ma raison. Dès lors, prendre le risque de perdre tout ce que j'avais engagé parce qu'un seul signal d'alarme avait retenti se doublait de la possibilité d'une illusion : mon intuition avait peut-être mal évalué la situation. (...) Cela aurait signifié que ma perception, mon intuition en quelque sorte, n'était pas fiable.

Il n'en est rien : mon intuition n'a pas été défaillante.

Et puis je garde ceci, parce que cet aveu, important, a précédé ma relecture... qui confirma la sentence :

(...) Il m'en revient l'entière responsabilité.

Je laisse aussi la conclusion, qui reste valable : (...) c'est bien moi qui ai accordé à certains signes un sens favorable ou défavorable. Ces signes ont renforcé des attentes préeexistantes d'ouverture, d'immobilisme ou de repli. Je suis le seul responsable des choix que j'ai fait et continue de faire.

Il est important que j'accorde toute leur importance à mes intuitions à un moment donné. Peu importe qu'elles aillent dans un sens d'ouverture ou de fermeture, c'est la perception de l'instant qui compte. Il m'est vital, essentiel, de chercher à rester en phase avec mes intuitions, perceptions, sensations.

Lorsque je suis en présence d'autrui je dois [injonction ?] me recentrer sur mon intériorité plutôt que me laisser envahir par ce qu'exprime l'autre, avec qui ma tendance (hyper)empathique m'éloigne de moi-même au point de me déstabiliser, voire m'égarer.

Finalement, entre raison et intuition je n'ai pas fini de tergiverser.

Avec tout ça, pas étonnant que je préfère rester seul...







Chagrin


Vendredi 18 février 2022
[Mis en ligne le 21 mai 2022]

Notre collègue S. s'est suicidée. Cette fin brutale m'atteint davantage que je ne l'imaginais. Je me pensais relativement détaché des personnes avec qui je partage le cadre professionnel et je constate que, depuis l'annonce de son décès, des vagues de chagrin se succèdent, me happent et m'emportent. Il y a bien longtemps que je n'avais pas versé autant de larmes.

Il y a quelques années c'est M., une autre collègue, qui se suicidait et ma réaction avait été bien moins émotionnelle. Probablement parce qu'avec M. une spirale dépressive avait rendu son passage à l'acte moins surprenant. C'est après la perte brutale de son conjoint que la volubile M. avait inexorablement perdu pied, révélant une grande fragilité que nous ne soupçonnions pas.

Pourquoi suis-je donc autant touché par le suicide de S. ? Je crois qu'elle incarnait, pour moi, un modèle de réussite : dynamique, enthousiaste, joyeuse, taquine, chaleureuse, séduisante. Cette femme avait tout pour plaire et était unanimement appréciée. Son acte anéantit tout cela. En mettant fin à sa vie elle ôte aussi à tous ceux qui l'appréciaient de ce dont elle était porteuse : la joie de vivre. D'une certaine façon elle était un phare et l'a éteint sans préavis.

Parce que je suis encore dans cet état transitoire qui consiste à savoir qu'elle est morte tout en la sentant encore "vivante", à plusieurs reprise je me suis adressé à elle à voix haute, comme si elle pouvait m'entendre : « mais pourquoi t'as fait ça ? ». Ma tristesse est grande et je lui en veux de nous infliger cette peine. En même temps je respecte son choix : elle a préféré arrêter là.

Préférer arrêter là...

Réminiscence lointaine d'une autre perte. D'un autre phare disparu.







Pourquoi ?



Samedi 19 février 2022
[Mis en ligne le 21 mai 2022]

Le suicide de S. a remis en mouvement, par analogie, l'infini processus qui consiste à « faire mon deuil » d'une relation trop abruptement rompue pour que j'en sorte indemne. Un processus qui dure depuis près de dix-huit ans [oui, je sais, c'est long] afin de, tout simplement, accepter de n'en pas comprendre les raisons. Accepter, avec l'objectif d'être le plus en paix possible avec cet évènement.

Lorsqu'il s'agit d'un suicide le deuil est qualifié de "traumatique", du fait de son irruption brutale et inattendue, mais aussi parce qu'il résulte d'un acte volontaire. Car à la douleur de la perte s'ajoutent des sentiments ambivalents : culpabilité (de n'avoir pas su l'empêcher), colère (de n'avoir pas été appelé à l'aide, d'avoir été abandonné), injustice (d'être laissé sans explications). Peut-être se joue t-il là quelque chose d'assimilable à une trahison de confiance, oubliant en cela que l'acte d'anihilation de soi est fondamentalement autocentré : il est renoncement à une vie intérieure perçue comme insupportable.

La personne qui, par son geste désespéré, aveuglée par sa propre souffrance, met fin à tout ce qu'elle avait tissé avec d'autres, néglige la douleur qu'elle va infliger aux personnes qui lui avaient accordé confiance ; ignore le fardeau d'incompréhension dont elle les leste pour le restant de leur vie. Mettre fin à une vie devenue insupportable est ainsi un des actes les plus égocentrés qui soient. En finir avec le mal-être l'emporte sur toute autre considération. D'où l'ambivalence des témoins-victimes de ce choix funeste et l'échappatoire de sauvegarde que la plupart se créent : « je garderai en moi les meilleurs souvenirs ».

Il est assurément très inconfortable d'en vouloir à celui ou celle qui a choisi de mettre un terme à sa propre souffrance. Entre la compassion à son égard, la tristesse d'apprendre qu'elle portait seule un tel mal-être, la totale impuissance à avoir pu l'aider et la profonde douleur que sa disparition nous cause... la réaction la plus acceptable est parfois d'occulter le ressentiment. Et même d'embellir la réalité, lui prêtant des attentions de bienveillance. Du genre « je sais qu'elle veille sur nous, maintenant qu'elle est la-haut » (exemple lu dans des messages de condoléances, hier).

*

Le décorticage iconoclaste auquel je me livre, là, en analysant ce que je ressens par rapport à l'acte irréversible de S., éclaire ce que j'ai ressenti lors du sabordage relationnel auquel j'ai dû faire face autrefois. Lorsque celle avec qui j'étais lié décida de s'extraire de ce que nous avions construit ensemble, j'ai rapidement assimilé cela à une sorte de suicide affectif. Une intuition qui se dessina en lisant ses écrits, tandis que je tentais d'analyser la situation avec l'analyste qui accompagnait mon cheminement. Cette dernière posa une phrase qui me libéra : « on ne sauve pas quelqu'un qui n'en a pas envie ». C'était très juste et je me sentis instantanément soulagé d'une charge que j'avais endossée.

S. ne voulait pas être sauvée. Personne n'a pu l'aider parce qu'elle n'a émis aucun signe en ce sens. Peut-être parce qu'elle n'admettait pas ses propres failles, ni certaines faiblesses ? C'est l'une des hypothèses émises pour expliquer son geste.

E
lle aimait se débrouiller seule et, semble t-il, ne dévoilait pas ses tourments intérieurs.

*

Pourquoi diable apparaissent dans mon esprit des analogies entre le suicide de S. et le désengagement relationnel d'une aimable complice, jadis ? Probablement parce que dans les deux cas il y a eu renoncement, celui-ci étant perçu comme seule issue. Abdication face à une situation devenue "insupportable", trop coûteuse en énergie psychique.

L'analogie s'arrête là, car si le suicide anéantit tout, la rupture permet au contraire de se sauvegarder.

Quant à ceux qui restent...






Ceux qui restent



Mercredi 23 février 2022
[Mis en ligne le 21 mai 2022]

Ceux qui restent face à la béance de l'absence, du vide, du silence, il leur faudra accepter - si ce n'est comprendre - la disparition, la fuite, l'abandon, le renoncement, l'effacement. Entendre ce que cela a pu signifier comme détresse, mal-être, souffrance, épuisement, lassitude. Écouter à rebours les non-dits, les non-entendus, les malentendus. Relier les fragments, combler les vides. Se souvenir.

Se taire. Faire silence en soi. Écouter encore.

Que n'ai-je pas entendu ? Que n'ai-je pas vu ? Que n'ai-je pas perçu ? Pouvais-je seulement entendre, voir, perçevoir ?

Ne surtout pas se laisser glisser du côté de la culpabilité : on ne sait qu'après. Si on avait su avant, on aurait sans doute agi autrement. Ou pas. Et quoi qu'il en soit, ça n'aurait pas nécessairement suffi à éviter ce qui est advenu. Je ne suis pas l'autre. Je ne vis pas ce que vit l'autre.

« On ne sauve pas quelqu'un qui n'en a pas envie »







Jusqu'à ce que l'espoir s'éteigne




Samedi 2 avril 2022
[Mis en ligne le 21 mai 2022]

J'ai
"oublié" ce journal.

Dans la nuit qui a suivi la cérémonie des funérailles de S., le 23 février, la Russie envahissait l'Ukraine. Basculement dans un autre monde. La guerre revenait en Europe, tout près, chez nos voisins. L'évènement m'a atteint, accaparant mon attention. Sensation de vivre en direct un triste tournant historique, voyant défaillir bien plus tôt que je l'imaginais l'idéal - très illusoire - de paix durable, seulement écorné en 1991 durant le conflit qui morcela l'ex-Yougoslavie.

Une semaine plus tard j'étais appelé auprès de ma mère, entrée dans un sommeil inquiétant. Depuis quelques mois elle perdait inexorablement contact avec le monde, aprés avoir perdu ses capacités à se mouvoir seule. En appelant les Urgences, je savais qu'elle n'en ressortirait peut-être pas vivante. Elle n'y est restée qu'une semaine, sans vraiment retrouver conscience. Décédée le 10 mars, il a fallu encore une semaine pour qu'aient lieu ses obsèques, puis son incinération et enfin le dépôt de ses cendres en colombarium. Trois semaines pour passer de vivante à... poussière. Ma mère n'est plus.

Je ne sais pas pourquoi, mais le peu que j'ai écrit autour de cette disparition l'a été sur mon blog, pas sur ce journal. Sans doute avais-je envie d'écrire à des vivants, et d'avoir des échos. Ici je n'aurais eu aucun retour. Ici il y a probablement quelque chose de mort. De terminé. Ici c'est du passé qui s'écrit. Du présent ancré dans le passé.

Et peut-être ce passé est-il en train de mourir, lui aussi. Quelque chose agonise, ici.

Je sais ma propension à faire durer, à ne pas clore, à ne pas rendre irréversible. C'est ma façon d'être, de tenir. Une sorte de loyauté. Mais peut-être, aussi, une difficulté à tuer ce qui vit encore en moi ? Peut-être une difficulté à accepter la perte ?

J'ai l'impression qu'il y a un lien entre la mort de ma mère - et donc de ma relation avec elle - et la mort... d'une autre relation. Disons plutôt que le décès de ma mère me permet de verbaliser une autre extinction. Mettre en mots, clairement, ce que je sentais depuis plusieurs mois sans vraiment l'écrire. Pour éviter l'irréversible ?

Je crois avoir un rapport particulier à la perte, qui aurait peut-être pour moi quelque chose d'inadmissible... si je n'avais pas profondément travaillé mon rapport à l'attachement. Je ne peux que constater que je ne me suis jamais plus attaché depuis la perte... [Je cherche le mot le plus juste]... dévastatrice à laquelle j'ai dû faire face en 2004. Dévastatrice pace que je m'étais trop attaché, trop impliqué, que j'avais trop attendu et espéré. D'ailleurs, j'en prends conscience à l'instant, je viens d'utiliser trois termes que j'ai banni de mon vocabulaire depuis cette époque : attachement, attente, espérance. Ne pas s'attacher, ne rien attendre, ne rien espérer, c'est mon leitmotiv. C'est la garantie de ma liberté.

J'entends déjà des voix : quelle tristesse ! Quel dommage ! Quelle non-vie !

Je suis conscient que ce "choix" - qui tient plutôt de l'adaptation aux circonstances - aura obéré une partie de mon existence. D'un autre côté, il m'aura permis de vivre dans un état de sérénité croissante. Et ce d'autant plus que je renonçais à voir se restaurer le lien si précieux dont, longtemps, j'ai espéré le retour.

Espérer, c'est attendre sans rien faire. En choisissant de ne rien faire j'ai réduit l'attente à néant. Il a suffi de patienter sans rien faire, jusqu'à ce que l'espoir s'éteigne.







Plusieurs vies



Dimanche 3 avril 2022
[Mis en ligne le 21 mai 2022]

Ne rien faire (dire, écrire, proposer, demander...), pour ne rien attendre, pour ne rien espérer, pour ne pas ressentir l'intense frustration de l'inaccomplissement. Certes, vu ainsi, le renoncement par anticipation paraît fort peu enthousiasmant. Mais il reste une voie, cependant : faire sans attendre de retour. Faire en prenant le risque de l'effet nul. Faire parce que j'en ai envie, parce que je sens que c'est juste, et parce qu'au final... je n'ai rien à perdre. Faire en anticipant l'éventuel échec de l'action entreprise.

En d'autres termes : oser.

Je me demande à quel point l'échec auquel j'ai dû faire face, après avoir eu l'audace d'oser le plus engageant exploit de mon existence, aura eu des conséquences sur la confiance que je m'accorde [et que j'accorde à autrui]. De fait, après cela je me suis replié, recentré sur un minimum existentiel. J'ai réduit mes rêves et mes ambitions à mes capacités du moment. Modestie pour entreprendre à l'avenir, chemin d'humilité en analysant mes errements du passé.

Où en suis-je, désormais ?

Occupé par plusieurs vies simultanées, aux rythmes variables. J'alterne entre vie professionnelle, au rythme soutenu et en équipe, et vie personnelle, paisible et presque exclusivement solitaire. Entre les deux s'ajoute une vie politique, citoyenne, associative, faite de réunions et rencontres, parfois de rédactionnel mais surtout de beaucoup de lecture informative. Je passe énormément de mon temps à tenter de suivre le foisonnement informationnel autour de la situation écologico-énergétique. Des heures de lecture, d'écoute, de visionnage. Chaque jour.

Les rencontres familiales ou amicales m'extraient de cet activisme immobile et solitaire. Il en va de même, quoique moins qu'auparavant, de mes temps de contemplation paysagère et forestière, plus ou moins méditative, au rythme lent, en solo. Je les entrecoupe régulièrement de travaux extérieurs sur mon vaste domaine, petit paradis aliénant que je me dois d'entretenir. Quelques escapades photographiques et, occasionnellement, de brèves excursions en montagne ou dans quelque région océanique complètent le tableau.

Reste le peu de temps que je m'accorde pour l'écriture, désormais plus descriptive qu'introspective et, occasionnellement, la lecture des ecrits autobiographiques parentaux.

Tout cela fait que je suis fort occupé, sans jamais ressentir l'ennui. Sans ressentir non plus le manque relationnel, au grand dam de celle qui aurait aimé que nous soyons plus qu'amants, confidents et partenaires d'escapades. Un relation de plus en plus ténue, qui s'amenuise par manque de concordance, de nouveauté, et de volonté qu'il en soit autrement. Il se pourrait que, dans quelques temps, celle-ci se sera tellement étiolée qu'elle n'existera plus.

Vais-je être désireux de vivre une autre rencontre affective ? Rien n'est moins sûr...





Effroi


Samedi 21 mai 2022

« Vous avez répondu entre janvier et mars 2022 à un questionnaire en ligne intitulé « Crise écologique et manifestations psychologiques ». L’objectif de notre projet est de mieux comprendre les enjeux psychologiques de la menace posée par la crise environnementale. Nous vous remercions pour votre participation à cette étude et souhaitons vous proposer de continuer à participer au projet. » 

Voici l'entrée en matière d'un message reçu il y a quelques semaines. Il se poursuit ainsi :

« Nous vivons dans une période de prise de conscience croissante de la crise écologique. De l’anxiété, de la tristesse, du désespoir, un sentiment de solitude ou encore un manque de motivation dans la vie quotidienne peuvent être liés à cette prise de conscience. Ces souffrances psychiques ne sont pas anodines et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons les étudier davantage et aider les personnes qui les ressentent. »

La notion de "souffrance" m'a d'abord fait penser que je ne me sentais pas vraiment concerné, étant plutôt à l'aise avec l'état du monde et la façon dont cela m'affecte. Toutefois, l'idée de contribuer à une étude sur un sujet qui m'intéresse depuis plusieurs années m'a motivé.

« Je suis psychologue clinicienne et doctorante au laboratoire xxx où je mène ma thèse sur la crise environnementale et la santé mentale, sous la direction de xxx. Le but de ma recherche est de s’inscrire au plus près de ce que vivent les individus. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de proposer des consultations pour accompagner les individus qui souffrent de leurs préoccupations environnementales. »


Consulter, je l'envisageais depuis quelques temps déjà en constatant à quel point les préoccupations environnementales mobilisent mes pensées. D'ici à prendre un rendez-vous... il y avait encore un grand pas à franchir avant qu'un jour, éventuellement, je me lance.


« Ces entretiens auront pour objectif d’ouvrir un espace de parole. Ils pourront vous permettre de poser des mots sur ce que vous ressentez, de vous sentir compris et de ne plus vous sentir seul face à cela. Les entretiens auront lieu à distance, par visioconférence. Nous vous proposons de participer à 5 entretiens hebdomadaires de 45 minutes, qui pourront être renouvelables une fois. 


Dans le cadre de la recherche, votre participation à ces consultations pourra nous permettre de mieux comprendre ce qu’il se passe pour les personnes qui souffrent de leurs préoccupations environnementales. Cela nous aidera également, par la suite, à comprendre comment mieux aider et accompagner ces personnes. »



Je crois que c'est avant tout l'idée d'« aider à comprendre » qui m'a poussé à répondre favorablement. Et si, de surcroît, je pouvais y trouver quelque chose de bénéfique pour moi ce serait très bien.

C'est donc l'esprit serein et teinté de curiosité que j'ai entrepris la première séance. En fait j'avais envie d'explorer un peu ce que pouvait contenir le mot "effroi", qui m'était venu le jour où, face à une jeune femme expérimentée dans l'écoute, je m'étais senti suffisamment en confiance pour parler de mes ressentis profonds face aux crises environnementales.

Effroi. Le mot était fort. Il m'indiquait un potentiel maintenu volontairement caché. Je sentais bien que si je grattais, je trouverais quelque chose. Encore fallait-il les conditions nécessaires pour que puisse y plonger.

Et ça n'a pas loupé : en narrant des bribes de mon existence, en vue d'établir des liens avec mon rapport au monde, j'ai vu se dessiner les origines de celui que je suis.

Il y a d'abord un rapport au passé antérieur à mon existence, avec une sensation de bonheur perdu. Cela en ligne directe avec des photos prises par mon grand-père il y a un siècle, que j'avais longuement observées alors que j'étais jeune adolescent. J'y trouvais un ancrage en reconnaissant divers paysages qui m'étaient contemporains (dans les années 70). Mêmes lieux mais profondément transformés, déjà, par la modernité laide et l'envahissement automobile.

Bouleversé, ému aux larmes en décrivant cette perception ancienne à la jeune psychologue, j'ai instantanément compris que se jouait là quelque chose de fort, donc d'important dans ma construction mentale (ou émotionnelle ?). Le passé m'importe. Plus que cela : le bonheur passé m'importe. Il semble que je projette sur les photos de paysages bucoliques du passé un état d'esprit, un art de vivre, un rapport à l'existence qui me paraît heureux. C'est comme si j'avais vu dans ces photos la représentation d'un monde perdu, dont je serais nostalgique sans même l'avoir connu. Et je serais resté porteur de la tristesse de savoir tout cela englouti dans la modernité. Tristesse qui se serait, en quelque sorte, ravivée dans la période actuelle en prenant conscience  que le monde court à sa perte. Ou du moins qu'il sera exploité, donc détruit, sans retenue ni vergogne.

Profonde tristesse.

* * *

2eme séance hier. Après avoir brièvement restitué la fin de l'entretien précédent j'ai évoqué mon rapport au temps, à la mémoire, à la transmission. Et tout naturellement j'en suis venu à parler de mes écrits personnels. Puis de ma désaffection de ce processus de narration autobiographique. Cela en lien, sans doute, avec ma perception du futur, que j'imagine peu propice à l'écriture-lecture. Non seulement parce que les possibilités matérielles d'accéder aux fichiers numériques pourraient être difficiles (ou impossibles), mais aussi parce que chacun pourrait avoir d'autres préoccupations, nettement plus fondamentales dans une existence que j'imagine moins portée à l'introspection.

J'ai pas mal digressé en décrivant mon entrée en écriture, telle que je l'ai décrite au début de ce journal. J'ai ensuite suivi la piste abordant les tribulations relationnelles et sentimentales que ce journal décrit par le menu. De ce fait je me suis largement éloigné du thème de l'étude... mais les associations d'idées ont tout leur sens dans un travail exploratoire de ce genre, me semble t-il.

J'ai terminé la séance autour des éternelles questions du "pour quoi et pour qui écris-je ?". Avec la notion de transmission, de témoignage, voire de patrimoine autobiographique. Des réflexions qui me travaillent à faible intensité depuis que, précisément, je n'écris presque plus. Pourquoi n'écris-je plus ? Pourquoi ne ressens-je plus l'intérêt de transmettre, de témoigner, d'analyser ? Est-ce parce que je n'en aurais plus besoin... ou parce que cela pourrait disparaître ? Ou témoigner, dans le futur, d'un passé révolu ?

Me sont alors apparues des analogies entre le bonheur perdu d'il y a un siècle et la perception du présent de 2022 que nous pourrions avoir dans quelques décennies. Ne verrons nous pas les années 2020 comme des temps heureux et d'insouciance ?

Heureux, insouciance, sérénité... autant d'états existentiels dont, précisément, j'ai cherché à me rapprocher et largement atteint. Et qu'aujourd'hui je sens menacés à très grande échelle.

Profonde douleur.





Puissance



Vendredi 19 août 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]


J'ai poursuivi mes séances d'écopsychologie à distance. Je viens de terminer la dixième séance, qui était aussi a dernière selon l'accord initial. L'ensemble m'a permis de parcourir et revisiter mon existence, ce qui compte pour moi, et les évènements déterminants qui auront fait qui je suis aujourd'hui. De façon plus ou moins directe des liens se sont établis entre mon inquiétude par rapport à un avenir menaçant et l'attachement que j'ai au vivant. Et à l'humanité dans ce qu'elle peut avoir de meilleur. Liens aussi avec un système de domination et d'oppression qui asservit au profit de quelques uns.

Le sujet exploré est trop vaste pour que je tente d'en aborder en détail les ramifications et surtout les interconnexions entre de multiples éléments de ma vision de l'existence, elle-même conditionnée par un parcours affectif, éducatif, informatif et sensible.

L'élément important du jour est un terme fort : puissance. Je peux y ajouter son complément : détermination. Deux mots qui me sont venus alors que je narrais ma perception de rapports de manipulation et de domination/soumission.

Il se trouve que j'ai, cette semaine, été victime d'une démarche frauduleuse sur mon compte bancaire. Un usurpateur s'est fait passer pour le service de sécurité de ma banque, m'informant qu'une tentative de paiement frauduleux avait été interceptée. L'opération pouvait être annulée si je n'étais pas l'auteur de l'achat. Induit en erreur par le ton rassurant de ce "sauveur", grugé par la connaissance qu'il avait de mes coordonnées bancaires et de mon adresse, son argumentaire bien rodé a eu raison de ma prudence, levant mes doutes à chaque fois que j'en émettais. Bref, je me suis fait avoir en validant pour de bon des faux achats que je pensais invalider !

Sentiment de honte d'avoir été aussi naïf alors que, jusque-là, je me sentais plutôt vigilant et bien informé. Sentiment de trahison, aussi, puisque mon interlocuteur m'a donné des gages apparents de fiabilité, sachant neutraliser chacune des petites alarmes intuitives qui se déclenchaient en moi. Colère de m'être laissé duper, d'avoir fait confiance.

Tout ceci est agaçant, mais sans gravité réelle. Par contre, j'ai rapidement établi des analogies avec un autre système de tromperie et de manipulation : la classe dirigeante, qu'elle soit politique ou économique (et souvent les deux à la fois). Soudain il m'a paru très clair que "nous", citoyens, étions continuellement manipulés par des professionnels de l'entourloupe. Des spécialistes du discours lénifiant, trompeur, destiné à faire perdurer aussi longtemps que possible un système destructeur qui bénéficie à quelques uns. À coup de "croissance verte", "transition écologique" et autre concepts parés des atours du "durable", nous nous faisons entuber sans vergogne par cette caste qui constitue "l'élite" censée nous mener vers le meilleur des mondes.

Tout cela je le sais évidemment depuis longtemps, mais je ne l'avais pas ressenti avec autant d'acuité qu'avec la désagréable expérience de mon faux banquier manipulateur. Il aura fallu que je sois touché profondément par le sentiment de tromperie pour réaliser à quel point il opère au plus haut niveau décisionnel. D'un coup, mes yeux se sont ouverts. Et la colère s'est installée en moi.

Colère de me laisser gruger par des professionnels de la manipulation, de ne pas voir les grosses ficelles utilisées, de ne pas savoir comment m'opposer à des discours trompeurs, biaisés, tronqués.

Un des éléments centraux apparus durant mes séances d'écopsychologie est la notion de domination (et son colorollaire : la soumission). Ce mode de fonctionnement me révolte à chaque fois que je prends conscience d'un espace où il s'exerce. D'un autre coté mon histoire de vie - et en particulier le rapport avec mon père - fait que les figures d'autorité m'impressionnent. Je perds ma consistance lorsque j'attribue à l'autre un "pouvoir". C'est plus fort que moi. Comme un réflexe.

Seul le sentiment d'injustice peut galvaniser mes forces et me donner l'assurance nécessaire pour contrer l'abus de pouvoir. Je peux alors devenir extrêmement déterminé et m'imposer face à qui abuse d'une position dominante. À ces moments-là - rares dans mon existence - je ressens une puissance extraordinaire, basée sur la justesse de ce que je defends. Si je peux hausser la voix, je ne me sens jamais débordé par des pulsions incontrôlables. Au contraire, il y a quelque chose de très mesuré dans la colère qui m'anime.

Je crois qu'il y a là une voie a explorer pour servir l'engagement militant qui s'opère en moi depuis quelques années. Je pense pouvoir m'appuyer sur cette énergie qui m'anime pour defendre ce qui m'importe. Je vais devoir "travailler" en ce sens pour activer mes ressources que sont le sentiment d'injustice et la révolte qu'il déclenche.





Chronique d'une liaison passagère



Mardi 11 octobre 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]

Il y a bien longtemps que je n'étais plus allé au ciména. Cela datait probablement d'avant le Covid. J'ai préféré m'y rendre seul, le film étant susceptible de me renvoyer à un passé impartageable. Je ne sais plus par quel hasard j'ai découvert son existence mais son titre, puis sa description, avaient capté mon attention : « Chronique d'une liaison passagère ».

J'ai beau me maintenir habituellement à l'écart du registre sentimental, je ne peux que constater que je reste attiré par certaines de ses composantes. Captif, peut-être, d'un besoin de comprendre maintenu vif malgré tout le travail de détachement réalisé dans le long temps de l'après. Comprendre, dans le sens de « prendre avec soi », incorporer à soi. Continuer à tisser quelque chose autour d'un concentré de mémoire et de sensations, un précipité de sentiments éparpillés.

Dans le film un gars plutôt emprunté, maladroit, balourd et un peu niais, peine à déployer ses ailes face à une femme radieuse, peu farouche, qui ne s'embarasse pas de scrupules. Il est marié, elle est célibataire. Il est pétri de craintes et de contradictions ; pas elle, qui ne veut que simplicité et évidence. En voyant ce gars pataud, je retrouvais un part de moi, lorsque j'apprenais à m'émanciper du carcan qui m'avait servi d'enveloppe protectrice. Je voulais quelque chose... que je n'étais pas encore capable de vivre. Je visais un objectif que je ne pouvais pas atteindre seul. Il m'a fallu rencontrer une personne dont les attentes, à un moment donné, coïncidaient parfaitement avec les miennes pour que j'ose entreprendre une prometteuse, mais trop lente et laborieuse transformation.

En étais-je réellement capable ? Je le crois. Cependant je ne pourrai jamais en être indubitablement certain puisque, dans les conditions et le temps impartis, j'ai échoué. Dans la réalité, je n'ai pas su m'affranchir de limites plus solidement tissées que je l'imaginais. Pour reprendre une formule maternelle, « j'ai fait ce que j'ai pu ». Nul regret à avoir, donc.

Et pourtant ! La démarche est restée inaboutie puisque je n'ai fait que la moitié du chemin voulu. En traversant le mur, en découvrant ce que j'ignorais mais à quoi j'aspirais, le retour en arrière m'est devenu inadmissible. Partiellement émancipé, je suis resté coincé dans un entre-deux. Une situation particulièrement inconfortable au début mais dans laquelle je me suis finalement installé, faute s'aspirations nouvelles. Une position neutre, sans autre ambition qu'accepter le réel. De là j'ai pu observer les turbulences engendrées par les vents contraires, qui eux mêmes se sont apaisés. Les perturbations intérieures ont cessé.

Ma vie est devenue extrêmement calme.
Sans doute un peu trop calme pour que j'en sois pleinement satisfait.







Un rêve puissant



Vendredi 21 octobre 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]

Je viens de perdre un texte. Je venais d'y mettre le point final. Il était prêt et j'étais satisfait de ce qu'il exprimait. Une heure et demie d'expression spontanée, conservée sans retouche, effacée en une fraction de seconde. C'est frustrant. Peut-être signifiant, aussi, en conduisant à cette question : pourquoi vouloir garder trace ? Y compris de ce qui peut paraître "important" (pour qui ? pour quoi ?). Ce texte m'importait parce qu'il s'inscrit dans le processus d'acceptation au long cours d'une histoire inachévée. Mais voilà, une défaillance informatique a tout effacé. C'est encore dans ma tête, mais est-ce utile de tenter une seconde retranscription ?

J'hésite. Passer tant de temps à recommencer, alors que je sens bien que le fait d'avoir déjà exprimé ce qui m'importait rendra laborieuse la seconde mouture.

« Cette nuit j'ai fait un "rêve puissant". J'appelle "puissant" ce type de rêve qui... indique... »

Pfff, mes mots hésitent parce que je sais que je ne retrouverai pas l'inspiration première, vierge. Je voudrais réécrire tel que c'est sorti la première fois et c'est impossible.


Je reprends :
Cette nuit j'ai fait un "rêve puissant". J'appelle "puissant" ce type de rêve symboliquement fort qui marque une avancée dans les profondeurs de mon inconscient. J'en faisais, autrefois, à une période ou "quelque chose" d'inacceptable se travaillait dans mon esprit.

Je me trouvais, sans savoir comment, chez « celle qui ne veut plus me voir », invité là par deux ou trois femmes qui nous connaissaient tous les deux et tentaient d'organiser une rencontre (réconciliatrice ?). Elle n'était pas là (dans une maison qui ne ressembalt en rien à la sienne, avec un grand jardin) mais, pas très loin, était au courant de ce qui se passait et n'arrivait pas. Il y avait des négociations, infructueuses, et je comprenais rapidement que je n'étais pas le bienvenu. Mal à l'aise, je cherchais alors à m'éloigner de cette situation désagréable. Je n'avais nullement l'intention de forcer quoi que ce soit, ayant bien tenu ma décision de ne pas le faire depuis des années.
Un homme entre dans le rêve. Je comprends que c'est l'un de ses "protecteurs" (un ami ? son frère ?). Il me prend à l'écart, nous marchons sur un chemin en herbe, dans le jardin, bordé de grands arbres. Je lui explique que je n'ai aucune mauvaise intention et en viens tout de suite à me confier à lui. Je lui dis que ce n'est pas moi qui ai initié cette rencontre et que je suis prêt à partir. Mon rêve, à ce moment là, se confond avec une émergence de conscience : je sais que je rêve et peux ainsi orienter ce que je lui dis. Dans cet entre-deux semi-conscient je me livre à un plaidoyer défendant ma cause et ma bonne foi. Il m'écoute et je pressens qu'il pourra rapporter favorablement mes propos. Un instant j'entrevois une ombre furtive, indiquant que « celle qui ne veut pas me voir » est peut-être là, tout proche. Je sens une présence indéfinie, qui observe et entend ce que je dis. J'affirme que je suis prêt à repartir et tant pis si j'ai fait tout ce voyage pour rien.

Fin du rêve. J'émerge du sommeil puis me rendors.

Plus tard dans la nuit je fais un second rêve, en lien avec le premier : durant un très bref instant (une ou deux secondes) je vois ses yeux qui me regardent, avant d'être masqués par je ne sais quoi. Instantanément je sens monter une émotion, qui retombe aussitôt : c'est impossible. En fait ce ne sont pas ses yeux mais ceux, très clairs, d'une autre femme, que j'identifie.

Un troisième rêve me place en présence d'une psy inconnue. Je ne suis pas venu là pour ça mais en parlant je me rends compte que j'ai des choses à dire et qu'il serait peut-être utile que je reprenne un cycle d'analyse. Je réalise que ce que je pensais avoir suffisamment travaillé seul pour apaiser mon esprit reste encore bien présent en moi.


Que puis-je interpréter de ces trois rêves consécutifs ?

C'était assez clair dans mon premier jet, malenconterusement disparu. Il m'est beaucoup moins facile de le décrire "à froid".

L'idée générale c'est que toute tentative de contact serait malvenue, indésirable. Mais il y a quand même une part de doute en moi, donc d'ambivalence : j'ai encore besoin de croire que je puisse un jour être entendu et compris. En fait je reste dans une incertitude qui convient à mon équilibre. Je n'ai pas tranché. Je n'ai pas décidé irrévocablement [ce mot est important] de ce que je ferai ou pas. Je laisse le temps passer et le met à profit pour accepter pleinement ce qui est advenu. Accepter au sens de dire « oui, c'était ainsi, et chacun a fait au mieux de ce qu'il pouvait ». J'ai inlassablement revisité le passé, explorant ses moindre recoins, pour le mettre en lumière et en retirer toute trace de... rancoeur (?). J'ai lavé mes blessures et ma honte.

Bon. Ce récit "réchauffé" est d'une grande pauvreté. Il est hélas bien moins riche que la première version, inspirée. Il est trois fois mon long, pataud, pauvrement factuel et amputé de toutes les ramifications et précisions qui en faisaient la valeur. C'est ainsi.

Accepter la perte, une fois de plus. Laisser l'oubli oeuvrer.


J'avais expressément noté que mon texte était resté tel quel, d'un premier jet et sans retouches. Celui-ci dessus ne rentrera pas dans cette exception.





Referais-je le même choix ?




Mercredi 26 octobre 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]

Mon fils aîné [L'écrire ainsi indique que je m'adresse à un lectorat - supposé - qui ne le connaîtrait pas] et sa petite famille sont allés passer quelque jours dans la vieille ferme du Vercors qui fait office de "Maison de famille". J'ai profité de cette relative proximité (1h15 de route) pour leur rendre visite.

Après une tentative peu fructueuse de récolte de champignons dans l'après-midi et une soirée autour d'un repas préparé par mon fils, une fois que les enfants eurent été couchés, nous avons entrepris d'échanger entre adultes. Une simple mise à jour des récentes variations de nos vies, de leurs projets, de mes occupations. Je ne sais plus comment s'est fait un glissement entre ma vie actuelle et ce qui m'avait conduit au célibat. Je crois qu'à ce moment-là nous parlions alors de ma vie fort occupée de quasi-célibataire et, de là, de ma vie affective non-amoureuse. Et puis, sans que je le voie venir, mon fils me demanda : « est-ce que tu referais le même choix ? ». La question m'a surpris puisque, depuis "le grand bouleversement", nous n'avions plus vraiment abordé ce sujet. Je me souviens qu'à l'époque il avait estimé - avec raison - que je lui en parlais trop, lui-même étant en pleine construction de sa propre vie de couple. Il est vrai que mes remises en questions, un peu trop facilement exprimées, pouvaient être perturbantes pour une conscience encore en construction...

Referais-je le même choix ? Question simple mais réponse complexe puisque je sais désormais quelles auront été les conséquences et que cette connaissance influe forcément. Je lui ai donc répondu en deux temps : oui, je ferais le même choix si, me replaçant dans le vivant du passé tout en ignorant ce qui allait advenir, j'avais à le faire. En ce sens je n'ai pas changé d'avis. Mais, bien sûr, si j'avais su d'avance les conséquences de ce que je tentais, le malheur qu'il allait engendrer et les pertes qui allaient en découler, je ne referai pas ce choix.

Sur le plan des valeurs et des principes, je n'ai donc pas changé. Par contre je pense avoir introduit dans mon mode de pensée une grosse dose d'incertitude : bien que les principes restent des axes de repère, je sais que les aléas existentiels peuvent fortement les contrarier. Il y a ce que je veux, ce en quoi je crois, ce qui me guide... et il y a la réalité des circonstances, de l'altérité, de l'imprévisible.

Stimulé par quelques nouvelles questions de mon fils et de ma belle-fille, j'ai longuement repris le récit de ces années d'incertitude et les douloureux choix à faire, quand ils m'étaient expressément demandés. J'ai raconté les ultimatums posés par celle qui était encore mon épouse et le désarroi dans lequel cela me plaçait. J'ai décrit, pour ce que j'en ai compris, les réactions et décisions de l'amie d'outre-atlantique qui a, selon ses mots, « préféré se retirer de l'équation ». Je pense que mon fils ignorait pas mal d'éléments de ce qui, d'un côté comme de l'autre, m'avait mis face à de profonds tourments.

La conclusion qui m'est venue, en élaborant oralement ce récit actualisé, c'est que là où je pensais autrefois qu'il y avait des pistes d'évolution sur lesquelles chaque protagoniste aurait pu trouver son compte, il y a finalement eu trois perdant·e·s.

Ou pas. Car chacun ayant eu à réorienter ses objectifs, on peut supposer qu'il y a eu un gain d'expérience : je sais désormais ce que je veux et ne veux plus. Je me connais mieux.

Une autre question aurait pu être : qu'est-ce que tu changerais si tu pouvais revenir en arrière ?


* * *

Coïncidence : alors que je narrais les circonstances particulières qui allaient initier le processus de rupture, j'ai suspendu mon récit un instant pour remarquer que cela s'était produit précisément ici, dans cette vieille ferme du Vercors (décrit le 15 août 2004).
Plus tard dans l'échange, alors que mon fils me disait que j'aurais pu tout arrêter lorsque j'ai perçu que la cohésion du couple conjugal était menacée, j'ai de nouveau remarqué que c'est sur la grande table où nous étions intallés que j'avais pris la décision d'oser entreprendre la rencontre, lors d'une retraite spécialement dédiée à ce choix crucial, validé le 31 décembre 2003.






Le journal de mes incompréhensions



Samedi 29 octobre 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]


« En quoi serais-je plus vrai d'écrire sans me corriger, ou d'accumuler des informations indigestes ? J'ai trié. J'ai regardé mes émotions en face. Le temps que j'ai passé à les polir m'a permis de les cerner ». Ces quelques lignes, datées du 6 novembre 1992, sont extraites du "journal d'enquête" de Philippe Lejeune, tenu durant la rédaction de son ouvrage intitulé "Le moi des demoiselles".

Cet extrait, que j'ai lu dans le numéro 91 de "La faute à Rousseau", répond à une question latente dont je diffère la réponse depuis que j'ai adhéré à l'APA : puis-je déposer mes écrits tels quels ou dois-je "retravailler" mes textes ? En fait, depuis que j'écripublie sur internet, la question se pose à deux niveaux, dont seul l'un des deux a trouvé réponse : je retravaille ce que j'écripublie et cela fait entièrement partie du processus d'autodécouverte. En ce sens, les quelques lignes de Philippe Lejeune décrivent exactement ce que je produis. Par contre, à un second niveau, la question reste entière : si un jour je me décide à déposer mes écrits à l'APA, le ferais-je pour l'intégralité de mon journal papier, puis numérique, ou devrais-je élaguer tout ce qui est redondant, indigeste, inutile ? Ma nature indécise n'a pas fini d'hésiter devant ce dilemme. J'ai souvent pensé à deux versions : l'intégrale (surabondante, mais sans doute porteuse d'un sens) ou l'essentielle (supposée capter la substantifique moëlle, débarassée de tout superflu). Il se pourrait que j'opte finalement pour une version longue expurgée de trop de redondances et digressions datées.

Quant à savoir si mes écrits peuvent avoir un intérêt quelconque pour d'autres que moi, ou mes descendants... c'est une autre affaire.

Mes écrits ont toujours été égocentrés. On n'y retrouvera que d'infimes traces d'autres réflexions sur le sens de l'existence, sur les évènements du monde alors même que je pouvais en être affecté dans la contemporanéité de l'écriture. Mes émotions, mes révoltes et incompréhensions à ce sujet seront restées intérieures. Sans doute parce que je savais qu'en faire, mentalement parlant. Mon journal aura plutôt été le réceptacle de ce dont je ne savais pas quoi faire, ce que je ne savais par quel bout prendre. Je crois l'avoir déjà écrit : c'est le journal de mes incompréhensions.

On pourrait en déduire que la raréfaction de mes interventions indique que je ne suis plus tourmenté. C'est en partie exact. Mais je suis cependant inquiet pour ce que j'appelle "la marche du monde". J'ai perdu, face à l'incertitude de l'avenir, l'insouciance qui me caractérisait. Je n'écris guère à ce sujet (quoique...), pour lequel je ne peux être que témoin impuissant (quoique...). Cependant je lis beaucoup et essaie de suivre l'actualité des mauvaises nouvelles. J'y passe une importante part de mon temps libre... au détriment de l'écriture et même de "la vie". Je ressens, j'apprends, je comprends, mais cela reste plus intellectuel que sensoriel. J'ai l'impression d'avoir les yeux grand ouverts sur le monde, d'être "relié" à ce qui advient... mais je vis cela dans la solitude qui me convient tant. Ma liberté de solitaire, dont je me demande parfois si elle n'est pas un peu trop aliénante, en ce sens que je la préfère souvent à la participation présentielle. En fait je préfère "vivre" intellectuellement que de "perdre mon temps" dans des rencontres physiques où la palabre tient lieu de vernis relationnel.






Cogitations d'un grand-père intermittent




Dimanche 27 novembre 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]


Il faudra qu'un jour j'éclaircisse le statut bâtard de ce journal "extime", adressé à d'autres que moi sans que je sache si seulement une autre personne le lit. Ne serait-ce que pour décider si je le privatise complètement, en revenant au statut antérieur : un journal intime non publié.

Cette petite introduction m'est venue alors que je voulais parler de... mon fils aîné, que j'aurais simplement prénommé dans un écrit privé.

Donc mon fils aîné m'a envoyé un message, presque un mois après la discussion que nous avions eue dans la vieille ferme du Vercors : « J'ai beaucoup réfléchi, suite à notre conversation au sujet du choix que tu as fait il y a 15 ans. Je voulais juste te dire que je comprends ta décision. Celle d'être en phase avec toi. Tu as été très courageux. Bises et à bientôt ».

Ce retour m'a fait grand plaisir et m'a apaisé : je craignais d'avoir été un peu insistant sur ce sujet auquel je le sais sensible. J'ai surtout apprécié qu'il utilise le terme de courage, appuyé par un inattendu superlatif. J'ai tellement apprécié que je lui ai répondu en reprenant ce terme à mon compte, rare exemple d'une fierté assumée : « Merci pour ce retour. J'y ai pas mal réfléchi aussi, me disant qu'une fois de plus j'avais beaucoup parlé et peut-être eu des propos un peu perturbants pour un fils en "conflit de loyauté envers chacun de ses parents.

Oui, ma décision a été celle du courage et de la droiture, moi aussi en conflit intérieur envers plusieurs fidélités contradictoires. J'ai agi selon ce qui me semblait être le plus juste et le plus honnête.
»

Je me souviens parfaitement de cette question du courage, qui accompagnait ma réflexion à chaque fois que je décidais de passer un cap supplémentaire dans mon émancipation. Je prenais le risque de l'abandon et celui de la solitude. Des deux, celui de l'abandon était le plus rédouté. La menace avait été très tôt clairement annoncée : « si tu continues je demande le divorce ! ». Et même si les apparences ont pu, durant quelques temps, me laisser croire qu'une évolution était possible, est venu le moment du choix irrévocable. Et j'ai eu le courage de le faire, même si d'autres avaient vu de la lâcheté dans ce qu'ils prenaient pour un renoncement, ou en constatant la durée de mon indécision.

Cette question du courage face au risque d'abandon est une des composantes essentielles de ce qui s'est produit ensuite : une paradoxale mésaventure. J'étais allé trop loin dans la conscience de mes motivations pour renoncer à ce qui s'était dessiné. Faire marche-arrière aurait signé une lâcheté, un petit arrangement minable. Un mensonge. Une trahison secrète. Je n'aurais pu en tirer aucune fierté.

Alors même si, au final, je n'ai pas pu poursuivre ce pour quoi je m'étais affranchi, au moins ai-je gagné cette fierté d'avoir été fidèle à mes convictions.

Certes, au vu de ce qu'il s'est passé, il m'arrive de songer à ce qu'aurait été la suite de mon existence si j'étais sagement rentré au bercail : la vie conjugale aurait probablement repris son cours. J'aurais renoncé à moult aspirations maintenues plus ou moins secrètes, me serais conformé à un mode de vie... plus ou moins acceptable. J'aurais bénéficié du confort (et des contraintes) de la vie à deux, portant en silence la charge d'une insatisfaction supportable. Tout cela étant totalement insuffisant en tant que tel, mais gratifié par la continuation de la vie de famille. Nous serions - peut-être - devenus des grand-parents appréciés, évitant à notre descendance des contorsions pour aller d'un côté ou de l'autre, divisant par deux le temps passé avec l'un et avec l'autre. C'est assurément ce qui pèse le plus dans les regrets que je peux avoir. Et cela ne se réduit pas avec le temps qui passe...

En fait je ne regrette pas la vie de couple, mais sans doute celle de grand-parents unis.

D'un autre côté, en restant solitaire, je réponds à mon besoin de "participer au monde" en consacrant beaucoup de mon temps disponible à des considérations intellectuelles et une réflexion médidative. Je réponds aussi à mon besoin de solitude, propice à la contemplation, la pensée flottante, l'écoute musicale, à l'écriture. Je trouve largement mon équilibre dans ces investissements à portée émotionnelle.

Je ne suis donc pas sûr de la fiabilité de mes aspirations à être grand-père, rôle que rien ne m'empêcherait d'investir davantage si j'y tenais vraiment.





Mardi 29 novembre 2022


En relisant ce que j'écris plus haut, sur le ton du « et si j'avais fait un autre choix », je réalise que cela n'a aucun sens : je n'ai pas fait ce choix-là ! Ma décision a été douloureuse à prendre, mais sans regret. C'est assurément la décision qui aura été la plus coûteuse de mon existence, mais aussi la plus affirmée. J'en suis fier.





Du temps pour moi



Vendredi 9 décembre 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]


Ma vie actuelle s'épanouit dans différentes sphères relativement hermétiques les unes par rapport aux autres. D'un côté il y a le travail, qui occupe une large part de mes journées, quatre jours par semaine. De l'autre il me reste autant de soirées, ainsi que trois jours complets "pour moi".

Sur les quatre jours de travail, trois sont pour le moment non négociables : régularité de présence, mission à assurer, collègues à cotoyer. Le quatrième jour, en télétravail, me permet de rester chez moi au calme, sans interaction directe avec les collègues. J'y gagne au minimum une heure de non-déplacement, mais surtout un heureux alliage constitué de concentration et de légèreté.

Dans les temps "pour moi"... un certain nombre de mes soirées sont occupées par diverses réunions, en présentiel ou en visio, correspondant à mes engagements d'élu, de citoyen, de militant associatif. En moyenne deux soirées par semaine. Globalement j'apprécie ces temps d'échange, qui ont néanmoins un coût en énergie relationnelle et psychique. En compensation je retrouve avec plaisir la solitude que j'affectione durant les journées que je consacre à l'entretien de ma vaste propriété, que je parcours aussi par plaisir contemplatif. Cela varie selon les saisons : davantage l'été que l'hiver.

Il y a aussi les divers temps de rencontres familiales, moments fluides et nourriciers. Et puis beaucoup de temps pour m'informer sur la marche du monde en ce qu'elle a de préoccupant. Cela passe peu par la presse généraliste, beaucoup par les médias alternatifs et un réseau de vulgarisateurs.

Tout cela fait qu'au final il ne me reste que peu de temps vraiment pour moi. Je veux parler de ces espaces temporels suffisamment amples pour que je puisse entrer en intériorité. Car il me faut disposer d'espace mental pour laisser ma pensée s'ouvrir et se développer. M'accorder le temps de m'écouter, de dialoguer avec moi-même, processus qui gagne souvent à passer par l'écriture.


* * *


J'ai été coupé dans ma réflexion par une conversation téléphonique impromptue. Il s'agissait d'une des personnes avec qui je co-administre une association dont les objectifs rejoignent mes préoccupations sociétales. Une femme dynamique, brillante, enjouée, directe, entreprenante. Autant de caractéristiques qui me font apprécier sa façon d'être au monde. Je la connais peu et elle habite loin mais elle fait partie des rares femmes qui me séduisent.

Ma vie sentimentale reste un désert...

(et je ne fais rien pour y changer quoi que ce soit).







Engourdissement



Samedi 10 décembre 2022
[Mis en ligne le 11 décembre 2022]

« Ma vie sentimentale reste un désert... ». Cette conclusion m'est venue directement sous les doigts, sans que je ne l'aie anticipé. La clarté de la formulation m'a presque surpris. Bien sûr je ne découvre rien : je le sais depuis fort longtemps. Habituellement j'évite de laisser cette pensée émerger, pour qu'elle ne me vienne même pas à l'esprit. Je préfère en voir le versant plus lumineux de ma situation : je suis libre. Encore qu'un désert n'a rien de "sombre", bien au contraire.

Ma liberté-solitude est clairement un choix. Je n'en souffre pas. Pour autant je me garderai d'affirmer que rien ne me manque. Je n'ose écrire depuis combien de temps je n'ai pas serré dans mes bras un corps aimé. Depuis combien de temps je n'ai pas ressenti l'ineffable sensation de plénitude et d'infinie douceur que procure cet enserrement réciprioquement désiré. Depuis combien de temps je n'ai plus posé mes lèvres sur une bouche offerte.

Comment ai-je pu m'en passer aussi longtemps ?

En n'y pensant pas. En acceptant la réalité d'un creux, d'un vide. En cueillant ce que la vie m'a offert autrement. Dans l'étreinte sexuelle a-sentimentale. Dans tout ce qui peut ressembler à du "être ensemble" mais dénué de sentiment amoureux. Un compagnonage régulier doté de richesses certaines, mais privé de la substantielle essence qui ouvre à d'incomparables dimensions.

« Je ne fais rien pour y changer quoi que ce soit ».

Si je me suis (un peu) laissé approcher il y a quelques années, force est de constater qu'il n'y a pas eu de suites. Je n'ai pas été suffisamment séduit (ou pas été sufffisamment en manque...) pour entretenir ce qui pouvait s'assimiler à des démarches de séduction réciproque. L'attrait n'était pas suffisamment fort, ou bien mes hésitations l'étaient trop. Je crois que je n'étais pas prêt. Et pas demandeur.

Encore aujourd'hui il m'est difficile d'analyser les raisons de mon faux-célibat prolongé. Est-ce que je n'ai pas su m'ouvrir à d'autres possibles ? Est-ce parce qu'aucun "possible" ne s'est présenté pour me rouvrir ? Je ne me suis pas considéré comme hermétiquement fermé mais, assurément, il aurait fallu des conditions particulières pour que je me laisse de nouveau aller en confiance. Elles ne sont pas advenues, c'est ainsi.

L'esprit progressivement désencombré des questionnements qui, irrésolus, se sont progressivement sédimentés, j'ai investi d'autres champs de pensée. Je me suis éloigné du registre des relations sentimentales. Ou plutôt : j'ai évité de le solliciter. Sujet sensible. À éviter.

Tout est encore là, sous la surface des apparence. Je le sens, là, en écrivant, par l'hésitation et la retenue qui engourdissent mes doigts.





Inaltérable



Dimanche 11 décembre 2022


Ecrire ici reste une démarche compliquée. Cela parce que je ne sais pas à qui je m'adresse ni qui me lit ou me lira ultérieurement. Je ne sais même pas si ce que j'écris sera lu un jour par quiconque. Ce n'est peut-être qu'une mémoire qui se trace, evéntuellement exploitable... par moi seul. Si toutefois je trouve un sens à la relecture.

Ecrire a pour moi deux fonctions : éclaircir mes idées et "accoucher" de celles que j'ignore avoir à l'esprit. C'est un outil de conscientisation. Je pense que ça m'est utile, sans en être certain : la relecture me montre que je redécouvre souvent les mêmes choses. D'un autre côté je peux être surpris d'avoir "oublié" certaines découvertes !

Bon, mais il n'y a là rien de problématique ou de compliqué. La complication vient plutôt de l'éventuelle lecture par d'autres. Ces derniers temps j'ai essayé de me dire que j'écrivais pour mes enfants, si toutefois ils tombent un jour sur ce volumineux corpus de pensées paternelles. Je ne suis pas sûr qu'il y trouvent de quoi les intéresser, au vu de la tonalité très égocentrée de mes reflexions.

Il y a peut-être encore quelques lectures silencieuses de personnes qui, autrefois, ont suivi mes réflexions. Mais au vu de l'espacement de mes mises en ligne (je ne procède plus que par envois groupés de plusieurs mois retenus), je me doute bien qu'il ne doit plus y avoir grand monde pour me suivre.

Il reste des destinataires éventuels : quelques hypothétiques chercheur·ses ou thésard·e·s qui, dans leur domaine particulier, pourraient trouver dans ce journal en ligne (archivé à la BNF) à l'exceptionnelle longévité de quoi se sustenter. Rien ne me dit que cela arrivera un jour, mais j'aime assez l'idée que cela puisse advenir.

Et puis... il y a toujours l'éventuel regard de celle que je ne nomme plus et qui pourrait, occasionnellement, dans n'importe quelle temporalité, suivre l'étalement de mes états d'âme. Assurément ce regard-là, dont rien ne me dit qu'il existe encore, pèse sur ma liberté d'expression. J'ai beau essayer de l'oublier, de faire comme s'il n'existait plus, il n'y a rien à faire : le simple fait de savoir qu'un jour il pourrait parcourir ce fil d'écriture me bride.

Ce n'est pas forcément préjudiciable puisque, d'une certaine façon, cela m'empêche de me laisser aller à je ne sais quelles tentatives de "communication" totalement hasardeuse et d'inspiration fantasmatique. Le lien est coupé rompu n'existe plus et il reste préférable que je me tienne à l'écart de tout ce qui pourrait contrecarrer cette réalité.

Il n'empêche que la réalité c'est aussi qu'un lien demeure malgré tout, quels que soient mes efforts pour en atténuer la trace. J'évite de laisser mon esprit divaguer à chaque fois que ce lien se manifeste dans mon esprit. Et s'il m'arrive de m'accorder un bref temps de réflexion, c'est toujours dans le sens de l'acceptation du réel : cela n'existe plus.

À l'évidence, si je dois encore me répéter ce mantra c'est qu'il n'est toujours pas intégré. Je reste hanté par la profonde incompréhension de ce qui est advenu. Et même si j'en ai fait un modèle existentiel d'acceptation, cela reste une construction mentale davantage qu'une certitude bien ancrée. Je me suis adapté au détachement, sans l'avoir adopté. C'est un plaquage. Une apparence à laquelle je pourrais presque me laisser prendre moi-même.

Non, je n'ai rieeeen oouuuuuuublié ! [Aznavour]

Par contre j'ai dissimulé, autant que j'ai pu. Pour y penser le moins possible. Pour ne pas avoir constamment sous les yeux la béance de l'arrachement. Autrefois je parlais d'amputation mais ce fut davantage que cela. Une amputation c'est net.

Le pire c'est que cette dissimulation volontaire fonctionne assez bien. J'y pense peu. Lorsque cela arrive et que je sens que je pourrais me laisser aller, que je pourrais me faire plus de mal que de bien, je coupe le circuit : « pas touche ! ». Ne surtout pas m'appesantir. Penser à autre chose. Cela a plutôt bien fonctionné pour ce journal... au prix de son désinvestissement.

Je me demande cependant jusqu'à quand je vais devoir jouer ce double-jeu. Est-ce qu'un jour je parviendrai à définitivement "renoncer" ?

Ce matin, en cherchant un dossier familial, je suis tombé sur un énorme classeur marron, rempli de correspondances par mail que j'avais imprimées à cette époque, les considérant comme importantes. Dont toute une partie datée de décembre 2002, précisément au moment où la relation épistolaire que j'entretenais avec une certaine québecoise est montée en intensité. Ce qui est assez étonnant c'est que pas plus tard qu'hier j'avais cherché dans mon journal ce qui se passait à cette époque, dont je me souvenais bien qu'elle avait été déterminante. Le journal n'en disait presque rien, excepté dans une entrée intitulée Bonheur. Un peu frustré par cette non évocation, qui ne correspondait pas à ce que je pensais trouver, j'ai rapidement cherché dans la pile de mails opportunément redécouverts. Et là j'ai bien retrouvé la teneur des échanges que j'avais gardés en mémoire.

C'est en effet à cette période qu'après un peu plus de deux ans de correspondance, nous avions réciproquement dévoilé notre confiance et nos sensibilités. C'est à cette période que s'est "cristallisé" le lien qui s'était établi et que nous nous étions avoué l'importance que cette relation avait pour chacun de nous. Et c'est juste avant noël, comme un cadeau, que nous avons eu notre premier échange téléphonique, à son initiative. Entendre nos voix, nos intonations, nos rires, nous avait enchantés.

Il est important que je me confronte à cette réalité d'une époque fondatrice, douce et heureuse, tellement contrariée plus tard par une toute autre réalité, extrêmement douloureuse. Il m'est arrivé de douter de mes souvenirs, parfois, craignant de m'être leurré. Mais non, je peux me fier à ma mémoire.


* * *

Je me suis autorisé à relire les mails de l'hiver 2022-2003. Il semble que j'y étais prêt, après tant d'années passées à fuir cette confrontation. Je l'avais déjà fait pour d'autres messages, moins anciens, au moment de la catastrophe, pour tenter de comprendre ce qui dépassait mon entendement. Et puis j'avais fini par renoncer à comprendre, mon impuissance et ma tristesse devant le désastre étant trop douloureux à vivre.

La relecture m'a plongé dans le bain à remous des sentiments. Tout était là, intact. J'ai retrouvé ses mots, dans leur fraîcheur initiale, encore plus intenses que ce que ma mémoire avait engrangé. Comment avons-nous réussi à détruire ce qui était réciproquement aussi bienfaisant ? Quel incommensurable dommage d'avoir perdu cela ! Quelle tristesse de n'avoir pas su résister ensemble à l'adversité.

Je sais pourquoi je me suis dit « pas touche ! » à chaque fois que j'y pensais : cela ravivait instantanément ce qu'elle m'a demandé d'éteindre. Comme si, malgré toutes les épreuves endurées, ma confiance en ce "nous" restait insubmersible. Dès lors, que pouvais-je faire d'autre que refouler cette anachronique persistance, clairement, irrévocablement et expressément refusée ?

Je n'ai pas eu d'autre issue que laisser le temps de l'oubli faire son oeuvre.

Honnêtement, cela ne semble pas fonctionner. Non seulement il y a là quelque chose d'insubmersible, mais aussi d'inaltérable.





Ce qui est moi



Mardi 13 décembre 2022


L'écriture introspective est dotée de l'insoupçonnable capacité de faire basculer l'état intérieur. Quelques heures seulement après avoir rédigé mon précédent texte j'ai senti s'épanouir en moi une joie bienfaisante. Quelque chose de très doux, régénérant, revenu de loin.

Par un retournement inattendu, la tristesse ressentie plus tôt, du fait même de se raviver, m'a rendu heureux. Certes, je pouvais ressentir de la tristesse en repensant à ce que j'ai perdu d'infiniment précieux, mais seulement parce que j'ai d'abord eu l'extraordinaire chance de l'avoir touché, carressé, partagé, porté. C'est mon trésor particulier et il me revient de ne laisser personne tenter de me l'ôter, l'atténuer ou le détruire. Il est en moi aussi longtemps que je lui reconnaîtrai une valeur.


Sans l'avoir vu venir, j'ai retrouvé l'état d'esprit entreprenant et audacieux qui m'avait donné la force de (ou autorisé à...) me surpasser. J'ai senti revenir en moi cette sensation si bénéfique de celui qui ose, qui se donne les moyens, qui impulse. Quelle sensation de puissance que celle de conquérir ce qui, jusque-là, était inaccessible... par conformisme ou par frilosité ! Fierté d'avoir osé, d'avoir réussi et atteint l'objectif convoité. Sensation irréfragable d'accomplissement et de liberté.

Pourquoi tout cela m'est-il revenu subitement, autant d'années après ? Peut-être parce que le temps, la réflexion et l'introspection ont suffisamment agi pour que la bascule se fasse. Ou peut-être est-ce grâce à quelques phrases intactes exhumées des feuillets conservés dans un dossier oublié ? J'avais cherché des réponses dans des situations à problèmes ; elles étaient sans doute là où il n'y en avait aucun.

Une sérénité marbrée de quelques certitudes semble s'être enfin installée. J'ai retrouvé ce qui est moi.





Mercredi 21 décembre 2022

« Même si je ne devais plus jamais te revoir, ça ne changerait rien » (Dernière phrase de Noëmie Lvovski dans le film "Camille redouble")












Année précédente : 2021 
Année suivante : 2023