Août 2004
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Le grand vide



Dimanche 15 août


Elle est partie. Retournée de son coté de l'Atlantique. 
Hier encore je la serrais dans mes bras, carressais ses joues, sentais ses cheveux. Puis j'ai vu son avion décoller, si vite, si loin. Et ça faisait si mal...

Quelques heures plus tard elle m'a téléphoné. Bien arrivée chez elle. Sa voix était tellement proche, et elle tellement loin, désormais impalpable. Peut-être pour toujours. Et c'est ça qui fait le plus mal.

Nous ne nous reverrons peut-être jamais. Beaucoup de larmes auront accompagné cette décision arrache-coeur. Mais la réalité est là: 5900 km nous séparent, sans possibilité de rapprochement actuellement. Or nous avons chacun une vie, des proches qui comptent pour nous et sur nous.



Cette réalité nous a rattrapés, parce que nous sommes pas seuls dans notre relation. Et surtout, parce que je ne suis pas célibataire. Trop lié affectivement à Charlotte. Deux relations en interférence, alors que je les voulais complémentaires.
J'ai tenu jusqu'au plus loin, tentant la concilitation de deux histoires qui pouvaient se nourrir l'une de l'autre. Cela n'aura été facile pour personne. Ni pour nathalie, parce que nous étions loins, ni pour moi, pour la même raison à laquelle s'ajoutait le tiraillement d'entraîner dans mes hésitations celles qui m'aiment. Et surtout pas pour Charlotte qui ne voyait aucun espoir dans notre avenir commun.

C'est elle qui aura donné le coup de grâce à cette tentative hors-normes. Elle m'a téléphoné deux jours avant la fin de mon séjour avec nathalie pour renouveller plus précisément son ultimatum: à son retour de vacances, je devrais avoir choisi entre elle et nathalie. Sans quoi elle partirait. Plus question d'habiter à proximité l'un de l'autre. Ce qui signifie la fin de notre vie de famille, le divorce et la fin de notre "amitié".

Je ne suis pas prêt à ça. Ou pas encore.

Ces deux semaines passées avec nathalie auront été déterminantes dans la prise de conscience de l'importance de ma famille. Mes enfants me manquaient. Charlotte me manquait. En découvrant plus précisément la personnalité de nathalie, je voyais simultanément ce qui nous rapprochait et nous différenciait. Nos centres d'intérêt ne sont pas toujours les mêmes au quotidien, pas plus que nos rythmes de vie. Tout un apprentissage relationnel qui demande du temps, des adaptations, et peut-être aussi des renoncements.

J'ai pu mieux cerner ce qui me lie à Charlotte, ce qui me lie à nathalie. Chacune m'apporte bien quelque chose de singulier, d'incomparable importance. Chacune d'elle compte énormément dans ma vie ou dans mes espoirs. Mais... aucune ne comble seule toutes mes attentes.

Entre ces deux relations, c'est moi que je découvrais. C'est en moi que j'apprenais à trouver une force de vie, plutôt que de la chercher dans le regard d'autrui. J'apprenais à m'entendre et à "exister" par moi-même. A m'affirmer dans mes différences, aussi, tout en m'ouvrant à davantage d'acceptation de celles d'avec mes partenaires. Très long travail qui commençait à porter ses fruits.

J'apprenais aussi à aimer à ma façon, comme me l'a fait remarquer nathalie. Je définissais ce qu'était l'amour pour moi, ce dont j'avais besoin, ce qui comptait, ce qui m'était ou non indispensable. Ensemble nous parvenions à trouver cette façon de fonctionner en respectant les individualités de chacun. Ces quatre années de découverte interpersonnelle, ces dix-huit mois de relation amoureuse construisaient quelque chose de solide, bien à nous. Nous sommes passés par nombre de difficultés, que nous avons toujours surmontées. Parce que nous avions la volonté d'y parvenir. Parce que nous nous y enrichissions tous les deux. Pour ma part, il y avait là un formidable espoir, qui me donnait la force de surmonter mes peurs ou mes faiblesses.

L'espoir était aussi du coté de ma relation avec Charlotte, avec qui je voyais tout ce que nous aurions pu améliorer dans notre relation de couple. Hélas... si elle a toujours semblé convaincue des possibilités théoriques, elle n'a pas pu en supporter la mise en pratique. Elle n'avait pas, comme moi, les bénéfices de la double relation. Mes efforts de conciliation, de dialogue, de rapprochement, n'auront fait que prolonger la situation et la souffrance qui l'accompagnait.

De cette souffrance Charlotte aura su entendre ce qui comptait pour elle. Et moi j'aurais appris à mieux la connaître. J'ai découvert ses forces, son amour pour moi, mais aussi ses failles. C'est désormais une autre femme, avec qui je dois me repositionner.



C'est nathalie qui m'aura proposé de redonner de la place à ma relation conjugale en "disparaissant" de mes préoccupations. Afin que les deux relations n'interfèrent pas, et que je redonne une vraie chance à mon couple. Que je redonne à Charlotte une place prééminente. Qu'elle se sache de nouveau "l'unique". Que je me consacre à la reconstruction du couple, ou du moins que j'ai la place d'examiner ce qui est possible.

Car nathalie m'a observé durant nos deux semaines ensemble et a pu voir à quel point j'étais affecté par la souffrance de Charlotte lorsque j'ai appris qu'elle était en arrêt de travail depuis mon départ. Difficile d'y rester insensible...
Et puis j'avais invité mes enfants pour passer un moment avec nous, afin de donner un peu plus de matérialité à cette femme qui compte tant dans ma vie, tout autant que pour que nathalie connaisse mes enfants, qui font partie intégrante de ma réalité. Il se pourrait que cette rencontre ait joué un rôle important. D'une part parce que Charlotte a mal vécu que nos enfants apprécient beaucoup nathalie, d'autre part parce que nathalie à bien senti la force du lien qui existe entre eux et leur papa.



Tout cela à fait que l'ultimatum de Charlotte est devenu un enjeu capital: il ne s'agit plus seulement d'une relation de couple, mais de toute une vie de famille. En contrepoids, nos rencontres deux fois par an, avec tellement d'absence au milieu, une obligation de maintenir les émotions dans une zone de relative neutralité afin de ne pas souffrir exagérément de cette distance, un amour qui ne peut s'épanouir entièrement faute de disponibilité, de proximité, de temps... La voix de la raison est sans appel.
C'est ce qui a fait que la décision de suspendre notre relation, avec nathalie, à été presque immédiate.

Pourtant, alors même que quelques temps plus tôt je prenais conscience de la place que Charlotte avait dans ma vie, ce nouvel ultimatum m'a de nouveau éloigné d'elle. Parce qu'elle ne me laisse pas le choix. C'est son choix, et il est respectable, mais n'entre pas du tout dans mes critères d'attirance. Si, contraint, je renonce à poursuivre ma relation avec nathalie, ce n'est pas parce que je choisis Charlotte. Et ça, ce n'est pas une bonne chose.

Je ne sais pas si un jour j'en serais parvenu à cette décision, mais ce qui est certain c'est qu'elle ne m'en a pas laissé le temps.

Là j'ai décidé de m'amputer, par esprit de survie et de responsabilité, dans l'urgence. Mais nathalie, sacrifiée et se sacrifiant, en devient du même coup terriblement manquante et... encore plus attirante. Parce que son renoncement a pour moi quelque chose de très grand et fort. Par amour pour moi, pour ne pas me voir défait par une amputation opposée, pour ne pas me voir ne plus être moi-même, elle aura préféré que nous renoncions l'un à l'autre. Elle s'est amputée en même temps que moi et je trouve son attitude particulièrement noble. Et très forte.

Durant ces deux derniers jours nous nous sommes préparés tant bien que mal à cette sublimation de notre relation. Car elle restera évidemment très présente dans nos coeurs. Nous savons, chacun de notre coté de l'océan que l'autre nous aime. Amour qui devra sans doute devenir silencieux, sans que nous sachions comment y parvenir. Je ne peux me résoudre à imaginer ne plus avoir jamais aucun contact avec nathalie. Hier, à l'aéroport, nous avons reporté à un peu plus tard cette décision. La séparation aurait été trop déchirante sans cela...

Et puis... nathalie me garde une place dans son coeur, pour un temps suffisamment long, si toutefois je me rendais compte que ma vie ne peut plus être sans elle. Ce geste est pour moi un magnifique cadeau, marque de son amour et de sa confiance d'une valeur inestimable.



Je suis désormais seul pendant deux semaines, Charlotte étant partie juste avant mon retour. Les choses vont se placer doucement. Je ne sais pas du tout dans quelles dispositions je serai pour son retour, mais je sens déjà que j'ai bien du mal à ne pas lui en vouloir. Même si je comprends sa réaction de "survie", elle aussi.

Il s'est passé tant de choses entre nous depuis quelques mois. Elle m'en veut de ce qu'elle perçoit comme une "trahison" de notre esprit de couple, et moi je crois que je vais avoir quelques difficultés à oublier le rejet que j'ai si souvent ressenti. Notre amour a été mis à nu et nous en connaissons mieux les zones sombres et lumineuses. Mais sommes nous capables de repartir sur ces nouvelles bases? Qu'est-ce qui nous relie et qu'est-ce qui nous sépare, désormais? A quel point sommes nous fondamentalement différents dans notre façon d'aimer?

Pour le moment, tout ce que je vois devant moi c'est un grand vide. Pas d'avenir. Depuis que nous avons parlé d'interrompre notre relation, avec nathalie, c'est ce vide béant et noir qui est devant moi. Elle m'a parlé de donner de l'espace pour ma relation avec Charlotte, mais sans l'espoir que j'avais de trouver ce qui me semblait si attirant, je ne vois que le vide à coté du terne.

Je n'ai plus envie de rien. Je n'ai plus d'espoir. Je ne ressens que l'absence qui ne fait que commencer. Il faudra pourtant bien que je retrouve goût à la vie. Que je m'appuie sur ce que j'ai découvert en moi pendant cette aventure tellement enrichissante...
Que je retrouve le chemin du bonheur. Que j'essaie de croire qu'il soit possible avec Charlotte, et seulement elle.







Rêveur




Lundi 16 août - 10h


Pour une fois mes réflexions vont vite. Depuis que je suis séparé de nathalie, je réalise à quel point cela ne pourra pas durer. Ce manque d'espoir me rend sans vie, et cette situation ne donnera rien de bon. J'ai besoin d'espérer pour être heureux.

Alors il faut trouver autre chose. Une séparation radicale ne convient pas, il faut procéder autrement. Espacer nos contacts, oui, mais en gardant des points d'accroche dans un intervalle de temps acceptable. Avoir un espoir de se retrouver, même si c'est éloigné dans le temps. Comme une balise, un phare, une étoile.

Savoir que l'autre existe, sans aucun signe, c'est beau dans les romans ou au cinéma. Mais le vivre...
Moi je ne m'en sens pas capable. Ce n'est pas ma décision, ce n'est pas un vrai choix. J'en voudrais trop à Charlotte et cela empêchera tout rapprochement. Nous devons négocier, trouver un accord qui satisfasse les trois parties en présence. Puis renégocier ensuite, selon la tournure que prendront les évènements.

De toutes façons une séparation imposée (ou "choisie" par obligation) ne fait que renforcer l'attrait pour la personne manquante. Exactement l'inverse de l'effet recherché. Il faut que cette tentative de clarification des souhaits de chacun (et surtout entre Charlotte et moi) se fasse dans une relative neutralité. Je peux bien nous donner du temps, avec Charlotte, afin que nous sentions ce qui est possible entre nous. Mais pas en disqualifiant nathalie. Pas en faisant "comme si" je ne pensais plus à elle. nathalie est prête à nous donner ce temps et à se mettre en retrait. Toutes les conditions sont réunies pour que nous inventions avec Charlotte ce qui peut nous convenir, si quelque chose est possible, hors du contexte d'une double relation. Car nous avons désormais, avec nathalie, assez de force conjointe pour suspendre un certain temps nos contacts.

Suspendre, interrompre provisoirement, donner du temps au temps, mais pas cesser définitivement. Colère, tristesse, révolte... tout se rebelle en moi en pensant à cette alternative. 




22h

Ne suis-je pas un peu idéaliste? [rhôôô, quelle idée!]. N'aurais-je pas quelques difficultés à regarder la réalité en face? Ne fais-je pas preuve d'un léger excès d'optimisme? A quoi est-ce que je m'accroche en reprenant espoir?

Espoir de quoi? De trouver un compromis? Inutile de rêver, ça n'est pas possible. Ça n'est pas possible!

Il semble que j'ai du mal à admettre la réalité. Je n'ai pas le coté terre à terre de nathalie, qui ne partage pas cet espoir. Elle semble bien plus persuadée que moi que notre relation est condamnée et semble déjà s'y résigner. Ou du moins s'y préparer avec un peu plus de détermination. Et moi je rêve encore...

Je ne sais pas si j'ai eu une bonne idée de lui téléphoner pour établir les modalités de nos contacts futurs. Mon enthousiasme volubile a fini par s'éteindre devant son apparente résignation. Elle est déjà comme engourdie afin de se protéger. Elle semble tellement convaincue que ce qui a existé n'existera plus... Sans pessimisme, sans défaitisme, mais avec l'assurance de celle qui pressent l'issue de tout ça. C'est comme si elle savait ce que ressent Charlotte et comment elle réagira.

Et moi qui rêve...






Les pieds sur terre




Mardi 16 août


Mauvaise fin de soirée, hier. Tout d'un coup j'ai ressenti combien j'étais encore dans le rêve. Je me suis senti planer au dessus d'une nathalie redescendue sur terre. Doux rêveur qui croit encore au miracle...


Non, les vacances sont finies. Comme on ferme une dernière fois les volets, puis la porte d'une maison où on sait déjà qu'on ne reviendra sans doute jamais, un dernier regard et on est déjà parti. Déjà dans l'ailleurs, se projetant chez soi avec les soucis quotidiens qui reviennent en tête.

nathalie semble déjà avoir tourné une page et je crois que je l'ai presque réveillée en revenant lui parler de mes espoirs. Loin de moi, elle s'était déjà anesthésiée. Et elle a raison.

Les vacances sont finies. L'escapade du couple parallèle se termine, je dois revenir dans la réalité des choses. Ce furent des moments intensément enrichissants, 18 mois de découverte et d'aventure sur des chemins inconnus, souvent exaltants et parfois difficiles. J'ai appris beaucoup et désormais je suis fort de mes découvertes, mais la vie continue et d'autres chemins sont à suivre.

nathalie s'est déjà un peu calfeutrée, pour ne pas se taper la tête contre les murs. Elle met du coton sur ce qui pourrait faire mal, se protège. Tout comme elle le fait depuis un an, depuis qu'elle sait que notre vie n'est pas ensemble parce que nous sommes trop éloignés. Cette mise en veille des émotions, cette atténuation de l'expressivité amoureuse, que j'ai mis si longtemps à comprendre et qui réveillait régulièrement mes inquiétudes, j'en saisis maintenant toute l'importance.

Rêver de l'impossible ne peut faire que du mal lorsqu'on s'écrase contre le mur de la réalité. Et quand on aspire à être heureux, il vaut mieux se concentrer sur ce qui est réaliste en gardant bien les pieds sur terre. Ce sera une nouvelle leçon de vie qu'elle m'aura enseigné.

Il y a quelques jours, les yeux dans les yeux, nathalie m'a ouvert son intériorité, montré ses fragilités, dévoilé ses espoirs, ses limites. Maintenant je crois qu'elle entre dans le sommeil de la belle au bois dormant et ne se réveillera pour moi que si, un jour, dans un délai imparti, je décide que quelque chose est librement possible entre nous...






Raconter ma vie




Mercredi 18 août


Je lisais Valclair qui, une fois de plus, s'interrogeait sur sa pratique de l'écriture. C'est aussi dans mes préoccupations actuelles. D'une part parce que j'y passe beaucoup de temps (vous n'avez ici qu'une part de ce que je rédige en abondance...), d'autre part parce que ce que je raconte de ma vie depuis quelques mois, sans beaucoup de pudeur, me semble jouer un rôle dans mon existence. Je veux dire que l'écriture publique pourrait bien interférer avec la réalité de ce que je vis. A "raconter ma vie" comme si j'étais l'acteur vivant d'un roman, je me demande dans quel mesure cela n'influerait pas sur le récit lui-même.


Je sais que d'être lu est pour moi une certaine forme de soutien. Je me sens moins seul sur le chemin que je suis par ce simple fait de me savoir lu. Mais tout comme j'attendais une certaine forme d'approbation de la part de nathalie-lectrice, je me demande dans quelle mesure ma vie et mes choix ne seraient pas légèrement orientés par vos regards... Je n'ai pas envie de "décevoir" mon lectorat, par exemple, et je me suis senti attristé de devoir raconter l'orientation que prenait ma relation avec nathalie. Je me suis demandé si j'allais en parler, ou même si j'allais cesser mon journal. Parce que ce n'est pas le dénouement que je souhaitais. Comme si... j'étais un auteur qui voudrait choisir le destin de ses personnages.


Il y a un autre aspect qui pourrait jouer un rôle et dont je dois me méfier désormais: en énonçant mes pensées autour de ma double relation, je donnais une seconde vie à ce qui se passait. Je gonflais artificiellement les évènements en étirant leur durée d'existence. Je donnais ainsi beaucoup plus de poids aux choses, non seulement en les répétant par écrit, mais aussi en les "matérialisant", en les archivant. Mes écrits sont rédigés, lus et relus, puis mis en mémoire. Mais ils échappent ainsi à leur destin vivant, qui est celui de l'instant. Je ne pense pas que cela joue dans la durée, puisque les souvenirs de ce que j'ai vécu sont directs, mais à courte échéance, je me sens baigner dans un bain de présent étiré, malaxé, déformé.


Et maintenant, si je dois "oublier" nathalie, il serait certainement préférable que je sorte de ce bain. Que je m'abstienne d'évoquer de ce que je ressens autour de cette relation. La faire revivre en permanence, maintenir comme actuels des souvenirs dont le destin est de s'éloigner serait néfaste. Tout comme l'expression de ma révolte et de ma tristesse. D'abord parce qu'il est inutile d'en garder trace (c'est pas beau, la tristesse), ensuite parce que j'ai opté pour l'évaluation de ma relation de couple et que je dois donc m'y consacrer.







Baisser la pression






Jeudi 19 août


Bon, soyons terre à terre. Pour le moment je suis mal parti: je suis devenu incapable de faire quoi que ce soit, suis totalement absorbé par ce qui m'arrive, vidé de toute énergie. Je pense (beaucoup), je dors (n'importe quand), j'écris (énormément), parfois je bouffe un peu...
La morosité m'envahit.

Tout ça ne donnera rien de bon.
Il me faut réagir.

Hier, en discutant avec une amie pleine de sagesse, elle m'a fait prendre conscience que je me mettais trop de pression. C'est vrai, je voudrais tout régler à la fois, sans faire de dégats, sans faire souffrir personne, et le tout dans le délai le plus court. Mission impossible.
Il me faut fractionner les problèmes, les traiter un par un, et surtout... prendre le temps.

Prendre le temps de m'écouter, moi tout seul. Donner toute la place à ma pensée propre, afin de savoir ce que je désire vraiment, sans penser aux autres. Oui oui, sans penser aux autres! Je dois d'abord penser à moi, et ensuite voir comment je peux accorder mes désirs et souhaits avec ceux des autres.

J'ai paré au plus pressé, décidé dans l'urgence afin d'éviter une catastrophe annoncée, mais maintenant je peux prendre le temps.


Alors soyons pragmatique: commencer par prendre soin de moi.
Donc me sortir de cette pression qui m'étouffe. Pour cela, évacuer la pression, au moyen d'une écriture privée, totalement libérée, sans regards qui sont autant de craintes de jugement et qui troublent l'apparition de mes pensées profondes. Ou bien en discussions en tête à tête, en confidences, pour bénéficier d'ouvertures vers des idées nouvelles, d'air frais. Peut-être aussi sera t-il judicieux que je me fasse aider psychologiquement...
Ensuite, une fois que la pression est évacuée, que l'air frais peut circuler, sortir de tout ça. Faire autre chose, en réalisant, en construisant, en me détendant. M'ouvrir, vivre, quoi...

Prendre soin de moi, c'est aussi ne pas m'enfoncer vers des chemins obscurs. Ne renoncer à rien de ce qui me donne espoir. Ne pas prendre des décisions à contre-coeur, ne pas avancer comme si j'allais à l'abattoir. Sans espoir que ma vie puisse être heureuse, je perds toute envie de me battre. Et dans la complexité de ce que je vis, il est indispensable de garder du courage et de la ténacité pour trouver la sortie du tunnel.

Prendre soin de moi, c'est cesser de m'écarteler. Donc choisir un axe de réflexion, un seul à la fois, et l'explorer jusqu'à épuisement des idées. Quitte à y revenir ensuite, après exploration d'autres axes interférents. Je ne peux pas réfléchir simultanément à ma relation avec Charlotte et à celle avec nathalie dès lors qu'il y a des complications. Or il y en avait des deux cotés, et notamment parce que je n'avais pas réglé clairement celles de ma relation de couple. C'est en partie cette écartèlement qui créait des complications, de la pression, un sentiment d'urgence.

Prendre soin de moi c'est donc me laisser du temps. Donner du temps au temps. Rien ne presse dans un délai court. Et même si chaque jour compte, le but n'est pas d'arriver le plus vite au bout (de quoi?), mais de vivre bien chaque jour. C'est court la vie, je sais, raison de plus pour la vivre chaque jour le plus sereinement possible.


J'ai su m'entourer de personnes stables, réfléchies, patientes, lucides, respectueuses. Ce n'est pas un hasard. C'est avec ce genre de personnes que je peux fonctionner, moi à qui il faut tant de temps pour choisir mon chemin, mais qui ne regrette généralement pas mes choix ultérieurement. Je sais que dans la lenteur je construis du solide, conforme à ce que je souhaite, et avec qui trouve satisfaction à mes côtés.


Mon axe de réflexion du moment va être l'évaluation de ma relation de couple. Charlotte m'avait laissé du temps pour explorer les possibilités d'une autre relation, mais affiche ses propres limites d'acceptation.
Nous nous sommes donc entendus avec nathalie pour mettre notre relation sur "pause" (et non pas sur "stop") et elle me laisse largement assez de temps pour maintenant consacrer mes réflexions à ce que je souhaite vivre au sein de mon couple. Et ces reflexions doivent se faire en faisant abstraction, autant que possible, de cette autre relation. C'est bien de ma relation avec Charlotte dont il est question, et non pas de la comparaison entre deux relations... incomparables.


Et maintenant, au boulot!







Le devoir d'avancer






Vendredi 20 août


Mes parents sont venus chez moi, hier. Ils voulaient voir un peu dans quelles conditions je me logeais. Je revois la moue surprise et dubitative de mon père lorsqu'il est entré. Il regardait l'air de dire "et tu vis là dedans?". Il faut dire qu'il s'agit de la pièce dans laquelle j'ai fait le moins de travaux. Elle est réstée telle qu'elle était depuis au moins cinquante ans: plafond de grosses poutres noircies par la fumée, murs recouverts d'une peinture sans teinte précise, entre l'ocre de la dernière couche et le rose de la précédente. Ses murs sont parfois friables, l'ambiance générale est un peu humide, surtout depuis les dernières grosses pluies qui ont révélé une fuite dans la toiture, expliquant un gros trou de pourriture dans le plafond.
Ils ont été un peu rassurés par la petite cuisine que je me suis aménagé, apportant la modernité qui leur semble indispensable. Et ma chambre, toute simple, aux murs repeints en blanc pour donner de la lumière, leur à parue saine, et sèche.

Ils s'inquiétaient de savoir si je comptais finir mes jours dans ces conditions. Non, je n'y passerai pas ma vie, la solution actuelle est provisoire, pour un temps indéterminé. Soit j'améliorerais les conditions de confort, soit je changerai de logement.

Je ne sais pas comment nathalie à perçu ce même logement, lorsque nous y sommes venus pour la soirée qui précédait son départ (Charlotte étant partie en vacances), mais je ne me souviens pas du même genre de regard inquiet. Elle me proposait plutôt des solutions d'embellissement, afin de rendre le lieu plus convivial, plus propice à m'apporter un relatif bien-être (chose à laquelle elle me pousse à faire attention).

C'est amusant de pouvoir comparer les réactions, entre celle de me prendre comme je suis, et celle de me regarder avec une compassion inquiète, teintée de désapprobation silencieuse.



Au cours du repas qui a suivi, avec mes parents et mon fils aîné, la conversation a inévitablement glissé vers la situation de notre couple. J'y suis toujours prêt, voire même satisfait de voir le sujet prendre sa place. Peut-être parce que je vois là des opportunités d'expliquer (justifier?) mon comportement.
Alors que j'expliquais, une fois de plus, que c'est par souci d'épanouissement personnel, d'aller vers un "meilleur de moi-même", que je me suis trouvé dans cette situation, mon père m'a rétorqué, comme beaucoup, que j'aurais pu effectuer mon développement personnel avec Charlotte. Evoluer en couple, plutôt que "seul" (ce qui passe pour un narcissisme exacerbé ou de l'égoïsme). Bref, ne pas "trahir" l'esprit de couple (le mot a été prononcé).

Depuis le temps qu'on me l'oppose, j'ai beaucoup réfléchi à ce genre d'argument. Si le but était d'éviter le chaos actuel que j'impose à mes proches, il aurait en effet été préférable que je ne m'écarte pas du chemin balisé par nos habitudes culturelles. Et en tout cas que je ne franchisse pas les limites personnelles de Charlotte. Mais si le but est d'avancer dans la vie, d'évoluer, alors on sait que c'est souvent du désordre que peut apparaître quelque chose de nouveau, de plus fécond.

La question devient donc: a t'on le droit d'imposer à son conjoint les conséquences douloureuses d'un épanouissement personnel?

Si c'est non, alors soit on renonce à cette évolution, soit on se met à l'écart pour continuer d'avancer. Se mettre à l'écart, dans un couple, cela signifie séparation de la vie commune. Et puisque mon avancement semblait m'orienter vers une transgression des règles du mariage, il aurait fallu que je rompe le contrat qui nous liait. Donc divorcer, afin de reprendre ma liberté (et rendre la sienne à Charlotte), dès que j'ai senti que j'étais attiré par des relations avec d'autres femmes (source incontestable de mon épanouissement).
Divorcer... donc créer le chaos, alors même que j'ignorais vers quoi j'allais! Alors que moi-même je refusais de mettre en danger mon couple, alors même que j'étais convaincu que je ne ferais rien qui le menacerait.
Chaos certain du divorce par anticipation, ou chaos prévisible de la recherche de compromis. Pour moi la question ne se posait même pas...

J'ai donc, de fait, imposé mon avancement à Charlotte, et c'est ce qui m'est le plus reproché: on n'a pas le droit de faire souffrir un autre. Pas le droit d'avancer au détriment d'un autre.
On oublie généralement de se demander si on a le droit d'empêcher quelqu'un d'avancer...

Dans ce cas, tu aurais dû avancer seul, me rétorque t-on. Donc... laisser Charlotte? Ce qui, à mon sens, revient à peu près au même que de la "trahir" en conjuguant une part de ma vie avec une autre femme. Sauf qu'ainsi je la libérais de notre engagement... Ouais, c'est vrai, mais pas de la détresse de se retrouver seule, il me semble. Solution qu'elle peut d'ailleurs choisir, et m'imposer à son tour.
Je ne la libérais pas davantage de la "trahison" des sentiments puisqu'elle aurait été "libre" certes, mais privée de l'homme qu'elle aime de toutes façons. Et qu'en outre mes sentiments pour elle restaient intacts (quoique mieux cernés).

C'est ainsi que j'ai fait le choix très clair du non-choix, ou plutôt du double choix (notion incompréhensible pour beaucoup...), lui laissant toute latitude de faire éventuellement le sien en conséquence. Le tout dans une situation en évolution, donc avec des choix qui peuvent s'affirmer dans le temps. C'est ce qui se passe depuis quelques mois. Chaque choix de l'un entraînant un choix de l'autre, un positionnement en fonction des situations nouvelles que cela crée.



Dans notre société, il semble que l'on privilégie l'idée de couple et de durée, et en tout cas l'exclusivité amoureuse. On privilégie aussi la notion de développement personnel, mais après celle de couple. En cas de conflit entre les deux notions, c'est l'idée de couple qui s'impose. Si le couple est menacé, il est considéré qu'il faut choisir: soit de le faire durer (en renonçant à avancer) soit le faire exploser si l'avancement est l'objectif prioritaire. Or je défends la thèse inverse: l'épanouissement personnel est prioritaire, et la notion de couple devrait pouvoir s'adapter à cette évolution. Du moment que l'esprit de couple demeure (fidélité des sentiments, souhait de durabilité), je ne vois pas de raisons valables de briser ce couple. Il me semble préférable de rechercher l'évolution, l'adaptation, le compromis. Même si cette évolution d'un ou des deux partenaires passe par des chemins inattendus.

Nous avons donc cherché avec Charlotte, depuis des mois, s'il existait une solution de compromis entre mon épanouissement personnel et son inacceptation. Quelque chose qui puisse éviter cet éclatement du couple. Confrontation entre deux personnalités, deux modes d'épanouissement, deux narcissismes qui ont besoin d'être satisfaits. Et souvent en allant à contre courant de ce qui paraissait "évident" pour l'immense majorité des gens, à savoir: une double relation serait impossible à vivre.
Or je persiste à croire, notamment en fonction des spécificités de ma relation distante avec nathalie, que c'est (c'était...) possible. Ou du moins que nous pouvions encore continuer à chercher comment c'était possible. En cernant mieux nos attentes, limites, besoins. C'est d'ailleurs ce que j'espère que nous allons entreprendre bientôt...



On me dit parfois que mon besoin de développement ne peut se faire au détriment des autres. C'est vrai, je ne peux pas imposer aux autres d'avancer, surtout si ce n'est pas dans leur champ d'investigation. Mais pour moi, personnellement, avancer n'est pas un "besoin", mais un devoir. En tant qu'humain, et détenteur d'une micro-capacité à agir sur le monde, j'estime qu'il est de mon devoir de tenter d'aller vers le meilleur de moi-même. Mon épanouissement ou mon mal-être rejaillissant alentour, j'estime que je dois, par respect pour tous autant que par solidarité humaine, m'efforcer d'aller vers un sens d'ouverture à l'autre. Lorsque je sens que mon chemin m'oriente vers une direction que mon intuition me désigne, je la suis. Parce que c'est celle là et aucune autre qui est valable à ce moment là. Parce que je dois passer par ce chemin-là pour aller plus loin. Refuser une voie alors que je sais que c'est la mienne, c'est ne pas laisser venir à la vie une part de moi qui peut être essentielle.

Ceux qui me connaissent voient à quel point je suis transformé depuis quelques temps. Ils savent bien à quoi cela est dû. Ils savent bien que cette évolution si rapide provient de cette émancipation partielle de mon couple. Il est flagrant que c'est grâce à ma relation avec nathalie. Mais la plupart persistent souvent à croire qu'il aurait pu en être autrement. Que ce qui se révèle aurait pu l'être au sein de mon couple. Alors que ce couple existe depuis 24 ans et évoluait à un rythme tout autre, et dans d'autres registres.

Il y a là un aveuglement devant l'évidence, comme un refus de voir la réalité des choses: ce n'est pas au sein de mon couple que je pouvais éveiller certaines parts de ce qui dormait en moi. Il a fallu passer par une découverte extérieure au couple, passer aussi par le chaos de la déstabilisation. Tout cela est bénéfique. Pour moi et pour tous ceux qui m'entourent. Même si ça passe par des épisodes douloureux.
Jamais je n'avais reçu autant de témoignages de satisfaction, de remerciements pour ce que mes pensées énoncées ici ou là avaient permis pour d'autres évolutions personnelles. Je sais que je participe à l'avancement d'autres personnes, tout comme je nourris le mien des échanges que j'ai avec eux. Je suis très satisfait de pouvoir aider d'autre personnes, et n'en tire aucune gloire. J'ai juste l'impression de participer de la bonne façon, d'être à la bonne place.


La question est maintenant de savoir si, afin de maintenir mon couple, source de stabilité pour ma famille, pour Charlotte, et pour moi, je dois cesser d'explorer mon intériorité avec la complicité de nathalie. En effet, si je me déstructure parce qu'il me manque l'équilibre que m'apporte Charlotte, les bénéfices d'une meilleure connaissance de moi-même risquent d'être largement amoindris. Si je sombre dans la déprime, je n'apporterai pas grand chose à ma part du monde.

Je sais que j'ai encore beaucoup de choses à découvrir avec nathalie. Parce qu'avec elle nous avons contruit une certaine forme de relation, qui a maintenant plusieurs années d'existence, qui est passée par des étapes qui nous mènent vers cette amélioration de nous-même tout en nous apportant des satisfactions importantes pour notre bien-être. Eteindre tout cela n'est pas impossible, et nous en avons certainement la force tous les deux... mais à quel prix! Là, il y aurait véritablement un "gâchis", comme on me l'a dit pour mon couple.

Le gâchis, il apparaît dès lors qu'on renonce à poursuivre quelque chose qui apporte du bien-être. Dès lors qu'on détruit ce qui fonctionne. Je n'ai jamais voulu détruire mon couple, et je ne veux pas davantage détruire le couple que je forme avec nathalie.

Faudra t-il pourtant étouffer une de ces deux relations? La survie de l'une par l'extinction de l'autre?



Tout cela fait que j'en veux à ce modèle culturel qui nous a instillé dans la pensée, depuis la naissance, que le seul modèle possible est celui de l'amour exclusif. Je vois bien que tous les raisonnements de mes contradicteurs s'ancrent dans ce seul postulat. Et j'en veux à ce fatalisme qui dit qu'on ne peut pas lutter contre un modèle culturel qui nous sert de référence fondamentale.

Vais-je donc devoir rentrer dans le rang? Réintégrer le troupeau? Renoncer à cette envie de changer les choses? Eteindre ma capacité de rebellion et mes élans de vie?

Saurai-je optimiser un éventuel renoncement? En tirer d'avantage de positif que de négatif? Inventer une nouvelle façon d'évoluer avec Charlotte? Lui transmettre les forces que nathalie aura révélées en moi? Et finalement, saurons-nous grâce à cette rencontre former un couple plus épanoui?



Nous allons prendre le temps de réfléchir, maintenant. Peut-être peut-on considérer que ce temps de réflexion aurait dû avoir lieu avant ma première rencontre avec nathalie, qui a été décisive pour la suite de notre relation? C'est possible...
A l'époque... je crois que je ne voulais pas prendre le risque d'arrêter. Je "sentais" que je devais poursuivre avec nathalie. C'est à ce moment là que j'aurais dû avoir la sagesse d'attendre, de différer notre rencontre, le temps de réfléchir plus en profondeur à ce que cela impliquait avec Charlotte. Peut-être aurions-nous alors opté pour une séparation si je ne pouvais renoncer? Les choses auraient été alors plus claires, plus conformes au contrat d'engagement, alors rompu...
Mais rompre le contrat alors que je n'avais même pas rencontré nathalie, cela avait-il un sens?

Oui, s'il y a bien un moment où j'aurais pû prendre davantage de temps, c'est sans doute celui là. C'est le seul qui marque une limite assez précise. Mais Charlotte ne s'est pas opposée radicalement et cela a fait que je me suis senti relativement libre de poursuivre. Généreuse, et ayant peut-être peur de me perdre, elle m'a laissé suivre mon chemin...

Et puis... aurions-nous pu imaginer que cette rencontre serait à ce point extraodinaire?



Non, j'ai beau chercher le moment où j'aurais commis une erreur... je n'en trouve pas. Si maintenant on peut considérer que, globalement, je me suis mis en tort (a posteriori, c'est toujours facile à dire), il me semble impossible de déterminer un moment précis où je pouvais changer quelque chose lorsque je le vivais au présent. Il est important pour moi de le savoir.







Le temps du choix





Samedi 21 août


J'ai écrit le texte précédent hier matin. Je l'ai ensuite laissé "reposer" toute la journée, puis ai fini par le mettre en ligne après quelques modifications. J'en étais plutôt satisfait. Or ce matin je me suis réveillé brusquement en y pensant, avec une impression de malaise.

Je me suis dit qu'il était une superbe auto-justification!
Comme si je voulais absolument me disculper d'une faute que j'aurais commise. Il faut dire que je ressens une désapprobation notable, et à la longue cela finit sans doute par jouer sur mes cordes sensibles. Je ne cherche pas à nier mon entière responsabilité dans le chemin que je prends [et vu le temps que je passe à y réfléchir, il serait gonflé de prétendre le contraire...], mais il m'est difficile de m'entendre dire, de façon plus ou moins franche, que j'ai "tort".

Il y a peut-être une faille dans mon raisonnement, mais je ne la trouve pas. Je vois bien qu'au final il y a une souffrance que j'impose, mais je ne sais pas comment j'aurais pu l'éviter.

«Egoïsme, narcissisme, ne penser qu'a soi, ce n'est pas aimer que de faire souffrir ceux qu'on aime...» Tous ces mots tournent dans ma tête. Je me demande parfois si je n'en suis pas venu à m'aveugler avec mon raisonnement poussé jusqu'au bout et mon "irréprochabilité". C'est vrai, j'ai réponse à tout! Depuis le temps que j'affronte des contradicteurs, je crois que j'ai eu droit à tous les arguments. Cela m'a poussé à aller toujours plus loin en moi, afin de savoir ce que je pensais vraiment, et j'ai toujours trouvé une "justification" à mes agissements. Mais une justification sincère, de "bonnes raisons" d'agir comme je le fais.

Peut-on pourtant fractionner une action et en distinguer chacun des actes qui ont été posés? Ne doit-on pas rester dans une vision globale? C'est cette globalité que voient les gens, et sur laquelle ils me jugent. Mais pour juger, ne doit-on pas au contraire entrer dans les détails?

Parfois je finis par me demander si mon raisonnement n'en devient pas "fou", ou paralogique: ça ressemble à un enchaînement logique, cohérent, mais par une série de glissements il y aurait distorsion de la réalité. Mon père m'a dit que je ferais un bon avocat... et Charlotte se sent parfois "manipulée".
Pourtant, je me sens vraiment sincère (mais un fou ne se ressent-il pas ainsi?). J'essaie vraiment d'aller au fond des choses, régulièrement ébranlé par des contradictions nouvelles, et parfaitement conscient du problème de souffrance que je déclenche. En fait, j'aurais plutôt l'impression d'être extra-lucide (je veux dire: avec une vision approfondie du problème), quoique n'oubliant pas qu'il s'agit de ma seule vision. Je vois peut-être loin... mais seulement depuis ma perception des choses. Toutefois j'essaie, autant que possible, de me mettre à la place de Charlotte, mais cela n'est qu'une transposition de ma façon de penser, étant dans l'incapacité de ressentir à sa place.

[Ouais ouais, je sais, on appelle ça de la masturbation intellectuelle. Alors hop, je décroche, et je me contente de placer ces réflexions en attente dans un coin de mon cerveau.]


* * *



Dans la jounée, conduisant ma fille à une centaine de kilomètres, je me suis trouvé être relativement proche du domicile de mon frère et j'ai décidé de lui faire une visite impromptue. C'est la première fois que je le fais. Je n'avais pas discuté avec lui et ma belle soeur depuis huit mois, alors que nous nous sommes croisés à quelques occasions. Mais je perçevais une gêne (à tort ou à raison...) et je savais qu'ils désapprouvaient mon comportement. Soit ma conduite, soit la façon d'en gérer les conséquences. J'ai eu quelques craintes, puis je me suis dit que je devais les affronter [les craintes, pas mon frangin et sa femme...]. Agir, saisir l'opportunité.

Finalement la rencontre s'est bien déroulée, et nous sommes revenus à plusieurs reprises sur "le" sujet au cours de la conversation. Ce qui nous différencie principalement, c'est le temps de réflexion. Ils sont tous les deux assez rapides dans leurs décisions, préférant agir et prendre en compte les éventuelles erreurs d'appréciation comme autant d'expériences, assumant alors la part de regrets de s'être trompés. Je fonctionne tout à fait différemment, préférant prendre tout le temps nécessaire à la réflexion et agir ensuite, sans aucun regrets. Je pense que les deux méthodes ont leurs avantages. Le temps du choix étant celui de l'incertitude, donc de l'inconfort, on peut fort bien considérer que le réduire présente des avantages.

J'ai la thèse inverse, celle qui correspond à ma personnalité: le temps du choix crée, certes, une certaine dose de difficultés et de souffrance, mais c'est aussi de cette souffrance engendrée que naît la connaissance de soi. Prendre le temps du choix, c'est prendre celui de la connaissance de soi. Car dans l'analyse de l'indécision apparait le déchirement interne entre le coeur et la raison. Cette pesée des pour et des contres, intenable sur le long terme, permet durant tout le temps de l'évaluation un sondage en profondeur. J'apprends beaucoup de moi lorsque je suis dans l'incertitude intellectuelle et dans l'obligation de trouver une solution [ce qui n'est pas un avantage lorsque je suis indécis pour des actes pratiques...].

Mon objectif dans la vie étant d'avancer vers un meilleur de moi-même, je trouve que ce temps donné au choix, à cette écoute du doute, est très fécond. Je passe par l'inconfort de l'incertitude pour parvenir à une sérénité éclairée. Pour ne plus souffrir de ma part obscure, je passe par le désagrément d'une mise en lumière en pleine face. Comme un auto-interrogatoire de police [j'te ferai parler mon gaillard!].

En fait, dans la situation actuelle, il ne s'agit pas de "ne pas choisir", mais de "ne pas choisir maintenant". Ne pas choisir tant que le choix n'est pas indispensable. Tout en ayant conscience que l'incertitude entetient l'immobilisme...

Ainsi, je suis resté dans le non-choix tant que cette solution pouvait exister, tant qu'aucune exigence absolue ne m'y contraignait. J'ai bien conscience ainsi d'avoir "tiré sur la corde", imposé mon rythme... mais l'imposition d'une exigence absolue est du même ordre. Confrontation de personnalités et de leurs exigences respectives.

C'est pour cette raison que les ultimatums de Charlotte sont toujours déterminants: ils me contraignent à agir. C'est bénéfique pour faire bouger une situation, mais pas forcément avec la sérénité nécessaire. Dans l'urgence je trouve des solutions... qui évitent le pire. Ou qui évitent de m'enfermer dans un choix trop restrictif. C'est ce qui a fait que j'ai admis cet hiver la séparation conjugale, incapable de renoncer à l'esprit d'ouverture que je vivais avec nathalie. Je voulais voir ce qu'il était possible de vivre avec nathalie, tout en renonçant à une part de ma relation maritale. Mais les nouvelles données (séparation plus marquée que ce qui était en cours, avec éloignement géographique) font que je dois inverser les options afin de ne pas déclencher une réaction très engageante. Voir si je peux retrouver une vie épanouissante avec Charlotte, en renonçant à tout ou partie de ce que je vivais avec nathalie. Je ne suis pas encore capable [ben non...] de savoir quel mode de relation je choisis [par obligation] et j'opte donc pour la prolongation du temps de réflexion auprès de Charlotte en suspendant la pression du point de blocage. Temps de réflexion qui nécessitera d'aller plus en profondeur qu'auparavant afin d'avancer dans cette situation insatisfaisante et de répondre ainsi au besoin d'éclaircissement de Charlotte.


Reste à négocier avec elle les conditions de notre tentative de rapprochement. Ce sera dans quelques jours...





Equilibre





Dimanche 22 août


Ces jours de solitude, loin de chacune des femmes que j'aime, sont finalement assez bénéfiques pour rétablir un équilibre. Le mode de contact est le même (téléphone), en nette amélioration du coté de Charlotte. Avec nathalie, nous restons modérés en fréquence (mais longues conversations) et... je dois bien dire que des contacts plus fréquents me manquent. Mais je résiste héroïquement!

Oui... avec Charlotte il y a aussi un manque, mais il n'est pas du même ordre. Et puis je sais qu'elle sera de retour dans quelques jours.

Mes réflexions se poursuivent donc dans une relative solitude et désormais sans pression. Je profite ainsi de mes derniers jours d'une incertitude devenue apaisée avant le sérieux état des lieux que nous allons devoir faire avec Charlotte. Car c'est évidemment en préparation de cette mise à plat que mes réflexions se sont orientées. Je sens bien que les choses se précisent quant à ce qui s'affirme en moi depuis pas mal de temps.

Il est certain que nous ne sommes plus les mêmes, et je me demande ce qui va ressortir de tout ça.



[mis en ligne le 1 septembre]






En attente




Lundi 23 août


Hier j'ai envoyé un tout petit courriel a nathalie, qui va s'absenter plusieurs jours. C'était très frustrant pour moi de ne m'exprimer qu'en quelques phrases. J'en avais tant à lui dire... Mais je me suis efforcé de rester stoïque, fidèle à l'accord que nous avons pris... et qui est parfois bien difficile à tenir.

Cette situation d'attente de précision des exigences de Charlotte est pénible à vivre [quoique permettant aussi une réflexion "libre"]. Et les jours qui passent me montrent que l'absence de contact avec nathalie risque d'être bien douloureuse à mettre en place. Il y a de ma part ce besoin de savoir comment elle va, quelle est son humeur, comment se passent ses journées. Ouais... et puis aussi, certainement, ce besoin de sentir (et lui confirmer) que notre lien reste bien vivant.

Mais bon, je vois bien que tout contact, et d'autant plus qu'ils se sont raréfiés, contient une charge émotionnelle ravivée par l'expression du manque. Que je sache que tous les deux on se manque produit une délicieuse et rassurante souffrance, accroissant encore le désir de rentrer en contact.

Raisonnablement, le mieux serait que l'on suspende tout contact, et voir ce que ça donne. Je ne sais pas si à la longue l'absence devient plus tolérable, ou au contraire plus cruelle. Ce que je constate c'est qu'actuellement nathalie est "avec moi" en permanence. Je la "vois" partout. Non seulement chez moi, alors qu'elle n'y a laissé son empreinte que quelques heures, mais aussi lorsque je me déplace et revois les paysages qu'elle commentait. Ou encore lorsque les larmes m'envahissent en entendant s'exprimer avec le même accent une québecoise qui a quelque ressemblance avec elle. Qu'elle me manque ma québecoise...





J'envisage l'avenir avec quelque inquiétude. Les difficultés annoncées, les décisions lourdes de conséquences, c'est pour bientôt. La confrontation de nos exigences, avec Charlotte, risque d'aboutir à une impasse. Le problème, tel que je me connais, c'est que je risque de ne pas transiger sur certaines choses essentielles à mes yeux. Pas de problème pour faire des concessions et des efforts, à condition que je ne renie pas une part de moi. Et puis je suis désormais trop lucide sur moi-même et ma foutue sincérité m'empêchera de prendre tout engagement dont je ne suis pas certain.
D'un autre coté, si nous ne pouvons poursuivre notre route ensemble... ben ça va être compliqué, matériellement parlant. Gros problèmes financiers en perspective, pour moi. Et puis bien sûr, cette solitude à venir qui ne m'enchante guère. L'impression d'un gros gâchis aussi, vis à vis de notre cellule familiale, ce que j'aurais vraiment voulu éviter. Mais bon, pour moi la cause est entendue: je ne quitterai pas le chemin de l'accomplissement personnel.

Sauf que ce matin une émission à la radio a eu un drôle d'écho en moi. Tout d'un coup je me suis dit que mes frasques avaient peut-être assez duré. Qu'il fallait peut-être, maintenant, que je reprenne les rênes, que je retrouve la conscience de ma responsabilité de père et de mon engagement d'époux.
Oui... jusqu'où peut-on s'écouter? Ne faut-il pas dire "stop" à un moment donné? Agir plutôt que réfléchir? Agir parce que j'ai réfléchi.

Gnnnn, je les connais bien ces pensées: j'ai été bercé avec. «Sois raisonnable, pense à l'avenir!». C'est aussi le genre de propos que j'entends souvent. Et forcément j'en viens parfois à me demander si je ne fais pas fausse route. Si je ne dois pas revenir dans la réalité des choses et de mes responsabilités. Cesser de lutter contre quelque chose qui me dépasse et que je ne pourrai changer. Tout comme le mouvement de mai 68 a apporté une formidable bouffée d'air dans la société, a ouvert les esprits, changé les mentalités... mais a dû se résigner à rentrer dans l'ordre des choses une fois que la fête était finie.

La fête est-elle finie? Ma petite révolution personnelle doit-elle s'arrêter là? Dois-je désormais devenir "raisonnable" (raisonné)?

La question se pose surtout parce que Charlotte ne me suit pas...
La question est de savoir si je continue seul ou avec elle.



Les semaines à venir vont être décisives. Je ne suis pas certain que nous puissions éviter ce que je redoute depuis des mois. Sauf en reniant mon processus évolutif... ou du moins en acceptant que cela ne reste qu'expérience temporaire.

Toute cette réflexion se fait "hors nathalie", en ne pensant qu'à ce qui peut exister entre Charlotte et moi. Pourtant, c'est bien parce que nathalie est dans ma vie que la situation est devenue ingérable. Sinon... ben on aurait continué tranquillement la route conjugale et euh... ben mes frustrations auraient sans doute trouvé une autre façon d'être compensées [quoique probablement similaire...]. Mais toute supposition autour de la "disparition" de nathalie serait absurde: ce qui s'est passé est une réalité, tant pour Charlotte que pour moi. L'oubli est impossible. Je sais désormais tout ce qui me manquerait d'elle, et Charlotte le sait aussi. Je sais aussi ce qui créait mes frustrations dans le couple, Charlotte sait ce qu'il en est pour elle, et c'est tout ça qu'il va falloir observer attentivement.




[mis en ligne le 1 septembre]





Regards en arrière




Mardi 24 août


Lorsque je suis un peu perdu devant la direction à suivre, il m'arrive de regarder en arrière pour voir par où je suis passé. Il y a quelques jours, un peu par hasard, en brassant des dossiers j'avais retrouvé d'anciens mails échangés avec les premières femmes avec qui s'était développée une relation de séduction à distance. Et bizarrement, je me suis intéressé aux derniers échanges... ceux qui concrétisaient la fin de la relation. Pour l'une j'avais agi de manière très nette et déterminée, question de survie (elle me faisait souffrir et détruisait méthodiquement ce qui nous avait liés). Pour l'autre de façon la plus "accompagnante" possible, avec beaucoup de sincérité et de douceur (une proximité croissante avec elle m'avait fait peur).

Ben ouais, j'ai lu ces morceaux de mon passé récent au moment où la question d'interrompre ma relation avec nathalie se pose. Et je me disais que, alors que sur le moment j'avais vécu très intensément les émotions de la rupture, je m'en étais finalement très bien remis. Le coté passionnel qui avait pu exister s'est totalement éteint. Quelques années plus tard, je ne garde que des souvenirs, sans douleur aucune.

Alors... est-ce que si je cessais avec nathalie cela se passerait ainsi?

Difficile d'être affirmatif. Oui, certainement que le temps qui passe érode les émotions. Oui... probablement. Et pourtant, je sens au fond de moi que ce serait très différent.

D'abord parce que si j'ai cessé ces relations, c'était de mon plein gré et en toute conscience: c'était la meilleure chose à faire pour moi. Ensuite parce que, même s'il y avait des "élans amoureux" qui stimulaient la séduction, il n'y a pas vraiment eu d'amour. Et enfin parce que je ne me projetais pas vers l'avenir avec ces relations. Je pensais et vivais au présent, sachant très bien la fragilité du lien... même s'il pouvait être intense. D'une certains façon, je... jouais. Je jouais à la séduction. Jeu pris très sérieux pourtant, et par lequel je n'aurais jamais voulu faire souffrir. Je ne me départirai jamais de la honte que j'ai ressenti en "quittant" Inès, même si je crois avoir fait tout ce qui était possible pour que ça se fasse en douceur. D'ailleurs, nous avons gardé des contacts épisodiques.

Ces relations, je le sais maintenant, étaient des "brouillons", des tentatives, des expériences... qui forgeaient celui que je suis devenu. Je tâtonnais, me hasardais sur des chemins tentants et inconnus, et tout en défrichant je me suis égaré sur des pistes qui n'étaient pas les miennes, ou que je n'étais pas encore prêt à suivre. Chacune de ces relations m'aura fait grandir, aura été plus durable et importante.


Avec nathalie, il en va tout autrement. Notre relation est issue d'une amitié basée sur un apprivoisement lent, une confiance gagnée pas à pas, devenue progressivement très complice. Cela change totalement le contexte. Ce lien d'amitié est là, demeure très fort, et nous relie au delà de l'amour. Et ce lien amoureux est issu de cette connaissance intime de l'autre. C'est parce que nous étions amis, toujours plus proches, que nous nous sommes mutuellement confiés, entraidés, découverts, que nous nous sommes attirés. C'est aussi parce qu'un très subtil jeu de séduction s'était développé entre nous, avec pour moi la "garantie" que l'océan me protégeait de toute évolution... dangereuse.
Et d'ailleurs, c'est bien autour des sujets de la séduction, de la liberté de l'amour et du couple que nous avons eu les échanges les plus passionnés.


J'ai relu quelques-uns de nos vieux messages hier, encore "par hasard" en voulant en faire des copies de sauvegarde (ça fait longtemps que je me dis que j'aurais dû le faire...). Et je me suis rendu compte à quel point nous avions tous les deux fait un travail extraordinaire de construction et d'élaboration de nos concepts. Je crois que c'est à ce moment là, donc en 2002, que se sont concrétisées les idées que je défends maintenant.
Cette complicité dans l'écoute et le "travail" a créé quelque chose de très fort. Mon avancée a été prodigieuse [à défaut d'être fulgurante...]. Et c'est ce lien qu'il me semble désormais impossible de rompre. Amour, séduction, amitié, complicité... tout est interconnecté. Et vraiment... je ne vois pas comment je pourrai y renoncer.

Non seulement pour moi, égoïstement, en fonction du bien immense que cette relation m'apporte, mais aussi parce que... "abandonner" notre relation serait véritablement une trahison à l'égard de nathalie. Et ça... je ne me le pardonnerai jamais. Ce serait pour moi une sorte de crime à l'encontre de l'amitié et de la confiance reçue.

Les jours passent, et toutes les éventualités me traversent la tête. Mais cette idée de renoncement ne trouve pas de prise durable.

On peut peut-être cesser une belle histoire d'amour lorsqu'on la sait sans issue, afin de se préserver de trop de souffrance à venir. Mais on ne peut cesser une complicité, tuer une amitié sans tuer une part de soi. Je ne souhaite pas cesser notre précieuse relation.



Et Charlotte?
La situation est différente, car elle ne trouve plus son compte dans la relation que j'ai avec elle. Et elle ne souhaite plus la poursuivre avec moi sur le mode actuel. Nous sommes en désaccord, alors que je me sens en accord avec nathalie. Elle m'encourage à aller vers moi-même. Les deux modes relationnels sont difficiles, mais d'un coté les deux partenaires y consentent, dans l'autre il ne semble pas y avoir de convergence de points de vue.

Est-ce que je "trahis" ma relation avec Charlotte? Non, ce n'est pas ma vision des choses. Une évolution n'est pas une trahison. Je ne peux que regretter de la faire souffrir, ou si notre couple devait se disloquer, mais je n'aurais pas ce poids sur la conscience d'une "trahison". Car je n'ai jamais souhaité cesser cette relation avec elle. J'aurais fait ce que je pouvais, en fonction de ce que je suis, même si ça n'aura pas été suffisant.



[mis en ligne le 1 septembre]





Pourquoi?





Mercredi 25 août.


J'essaie de distraire mes pensées en m'activant de façon pas trop prenante. J'ai donc entrepris des travaux dans la maison de Charlotte en profitant de son absence. Je termine sa (notre...) chambre, qui était restée telle quelle depuis notre déménagement. C'est à dire sans peinture, avec les murs bruts marqués des traces d'enduit aux joints des plaques de plâtre. Mouais... c'était pas vraiment un petit nid d'amour...

Alors hop, je me suis dit que ça lui ferait une bonne surprise quand elle rentrerait de vacances de trouver une chambre enfin terminée. Finalement, après lui en avoir voulu d'avoir quelque peu saboté la fin de nos vacances, j'ai retrouvé l'envie de lui être agréable. De faire des pas dans sa direction, de lui montrer ma bonne volonté.

Bon, même si je sais que ça ne changera pas grand chose à la situation. Tant pis, j'avais envie de faire quelque chose pour elle. Après tout, je suis toujours en bonnes disposition et prêt à retrouver ce qui nous reliait auparavant. Pour moi notre lien est toujours là.

Je verrai bien dans quel état d'esprit elle sera à son retour, demain soir...



Coté réflexions, je sens que ça oeuvre en coulisses. Pas dans le sens qu'elle souhaiterait. J'ai beau tourner dans tous les sens, tout me ramène vers la direction que j'ai prise depuis longtemps. 
Hier, j'ai plongé dans mes archives. Journal intime papier, année 1999. Celle où j'ai commencé à me poser beaucoup de questions autour de mon désir de séduction. Le manque m'apparaissait, je pressentais qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Une frustration qui devenait flagrante. C'était juste avant que je fasse mes premières rencontres féminines sur internet, au cours de l'été de cette année là.
Alors je suis remonté plus loin: 1994. Il y a dix ans. Et déjà je mentionnais les premières interrogations à ce sujet, tout en étant sans cesse recadré par mes valeurs morales, qui me faisaient "accepter" ma situation matrimoniale par de belles phrases fatalistes.

Ben oui, c'est ancien ce manque. Je crois que j'ai commencé à mettre des mots là dessus à cette période là, un an après le début de mon introspection en psychothérapie qui me faisait prendre conscience de mon manque de confiance en moi. Mais en fait, je sais que depuis bien plus longtemps je me suis interrogé sur l'intensité de mes sentiments... Je crois que j'ai toujours senti que "quelque chose" manquait. Sans comparatif, il m'était pourtant difficile d'estimer la validité de ces impressions...
Et puis Charlotte n'aimait pas lorsque je commençais à évoquer ce que je constatais, alors je la préservais et gardais ça pour moi. Je n'ai pu que cheminer seul, donc lentement, et j'ai trouvé mon chemin... en solitaire. Il a été entamé il y a des années, avant même que je songe à m'ouvrir à d'autres relations. Tout se déroule selon un processus d'émancipation, d'écoute de mes aspirations profondes. Et rien n'indique que je vais cesser cette évolution vers moi-même...

Tout ce temps de réflexion n'est que la marque de ma peur d'avancer. Un besoin de bien vérifier que je ne fais pas fausse route, que ce chemin si différent de ce qu'on m'a appris est bien le mien. Je progresse lentement, hésite sans cesse, comme si je vérifiais à chaque pas la direction avec la boussole de mon intuition. Normalement c'est indiqué "route barrée", mais moi je sais bien que c'est ma direction, alors je doute entre mon intuition et ma raison.



Ce qui est amusant, c'est que je crois que c'est un peu grâce à mon père que j'en suis là. C'est lui qui m'a appris ce goût du questionnement, cette curiosité sur l'inconnu. Ce "pourquoi?" que l'on devrait toujours se poser face à ce qu'on ne comprend pas. Lui l'appliquait à la technique, à la science: comment ça marche? pourquoi ?
Il semble que j'ai pris cette capacité de questionnement, et que je l'ai alliée à ma sensibilité, à mon émotivité. Ensuite je l'ai élargie à mes comportements, puis à ceux de la société. Pourquoi est-ce que j'agis ainsi? Pourquoi est-ce que je ressens ça? D'où viennent mes comportements? Qui me les a enseignés? Quelle est la validité de cet enseignement? Quelle est la légitimité de ce qui nous semble évident?

Assez bizarrement, je crois que c'est par l'intermédiaire d'un forum sur lequel je m'étais fait fortement malmener que j'aurais compris à quel point j'énonçais des "évidences" sans m'être posé la question de leur légitimité. Je répétais tout bêtement ce que le "bon sens commun" me dictait. Aux "pourquoi?" que l'on m'opposait, je répondais des "ben parce que tout le monde sait que c'est comme ça!" Funeste erreur. Je me suis fait rentrer dans le lard sans aucun ménagement. Il m'a fallu du temps pour comprendre que je parlais sans assez réfléchir, et surtout sans avoir étayé cette réflexion. Je parlais avec les idées des autres, mais les idées les plus communes. Je parlais surtout de ce que je ne connaissais pas assez.

Depuis, je préfère me taire lorsque je n'ai pas assez de connaissances. En revanche je m'exprime lorsque je sais, avec beaucoup plus d'assurance. Et je laisse les gens énoncer des lieux communs sur les sujets que je commence à bien maîtriser.

C'est le cas pour ce qui est du couple, de l'amour, de l'adultère, à travers leur représentation sociale. Je constate que pour ces sujets, malgré la libération des idées, certains concepts restent très ancrés dans une vision traditionnelle.



[mis en ligne le 1 septembre]





Hibernation




Lundi 30 août


Voila c'est fait: le contact est coupé avec nathalie. Nous mettons notre relation en hibernation et celle-ci ne pourra être levée que lorsque je saurai exactement ce que nous pouvons vivre ensemble.

Puisque j'ai fait le choix de maintenant privilégier l'évaluation de ma relation avec Charlotte, afin de voir ce qui est possible ou pas dans notre couple, nathalie fait le choix de geler notre relation telle quelle, afin de la préserver intacte. Avec une lointaine "date limite de décongélation", après quoi il ne sera plus possible de la ranimer.

Depuis quelques jours je sentais bien qu'une suspension était nécessaire, mon esprit devant être libre pour me consacrer à l'écoute attentive de ce que je désire vivre avec Charlotte. C'était d'ailleurs la condition sine qua non exigée par Charlotte. Elle ne pouvait envisager que je garde des contacts, même épisodiques, avec nathalie. Notre tentative de reconstruction de couple ne pouvait se faire que si nous n'étions «que deux». Condition non négociable, selon Charlotte.

C'était assez inimaginable pour moi de ne plus du tout correspondre avec nathalie...

A plusieurs reprises j'ai senti que nous ne trouverions aucun accord possible et la séparation semblait à nouveau inéluctable. J'étais assez desespéré. Charlotte a donc accepté de transiger en proposant un contrat: engagement d'un an, renégociable à l'issue de cette période. Elle s'engageait à s'investir entièrement dans la relation à condition que je n'ai aucun contact avec nathalie pendant cette durée.

Ça me semblait tellement long... Alors j'ai demandé un délai de réflexion d'une quinzaine de jours.
Je voulais en parler avec nathalie, savoir comment elle percevait la situation de son côté, puisque je n'imaginais pas de décider seul quelque chose qui nous concernait tous les deux. Je pensais que nous allions avoir une sorte de négociation entre les attentes des trois protagonistes.

Il n'en a rien été puisque nathalie a tout à fait compris la position de Charlotte. Et elle-même ne désirait pas que notre amour s'affadisse avec une distanciation accrue. La situation était déjà difficile à vivre auparavant et une réduction de contacts ne pouvait que nuire, ou rendre banal ce qui était beau.

En fait, je ne m'attendais pas à une telle réaction, aussi immédiate, même si elle ne m'a pas vraiment surpris de sa part. Je sais bien que nathalie n'aime pas les situations floues, et encore moins la dilution des sentiments. Elle m'en avait déjà parlé avant son départ: elle préfère garder notre amour intact avec tout son côté merveilleux plutôt que de le sentir s'étioler à cause de difficultés qui le rendraient impossible à vivre.

Je sais qu'elle a raison. C'est très dur à vivre, mais c'est la plus belle solution. Honnêtement, je ne crois pas que j'aurais eu son courage. Sa force de caractère m'impressionne. Force qui préserve sa sensibilité, palpable, que je connais et veux épargner.

Alors maintenant ça va être difficile...
A mon tour d'être fort, et de résister à la tentation: aucun contact. Elle n'est plus là. Inaccessible, même par son journal, qu'elle m'a demandé de ne plus lire. Je ne peux plus compter sur sa solidité et son aide pour m'aider à avancer. Je ne peux compter que sur moi, nourri de ce qu'elle m'a transmis. Je dois désormais avancer "seul".

Ce qui m'est particulièrement pénible, c'est que je suis privé de l'amie en même temps que de l'amour. La confidente, la complice, le soutien, le guide... celle qui m'aidait à aller vers moi-même depuis quatre ans. C'est un grand vide qui s'ouvre. Celui que j'avais déjà senti il y a deux semaines, mais m'étais efforcé d'occulter en retrouvant un espoir insensé.

Ouais... j'ai beaucoup pleuré ce matin, commençant à réaliser la dimension de ce vide. Larmes de profonde tristesse, mais aussi de révolte contre une fatalité que je n'accepte pas.

Et pourtant, Charlotte est là, nos enfants sont là aussi. Mais Charlotte ne peut pas remplir le vide laissé par nathalie. Je n'ai pourtant pas à me plaindre de ma situation, puisque de son côté nathalie n'a même pas cette compagnie quotidienne que mon épouse m'offre.

Je crois que je m'en veux de la laisser "seule", alors que c'est moi qui toujours insistais pour que nous poursuivions malgré les difficultés annoncées. J'ai passé une grande partie de la journée prostré, avec une curieuse impression de haut-le-coeur, comme une envie de vomir.
Avec elle je rêvais, y croyais, et cela me donnait une très grande force. A deux, on était forts...

Je dois maintenant trouver la force qui est en moi.



[mis en ligne le 1 septembre]





La meilleure chose qui pouvait m'arriver





Mardi 31 août


Hier, ça n'allait vraiment pas fort. Visage fermé et air abattu, je n'étais pas très gai pour mon entourage. Charlotte était mal, sachant les raisons de mon mutisme, et je me suis efforcé de la déculpabiliser: elle n'y est pour rien. En exprimant son impossibilité d'aller au delà de ses limites, elle n'a fait qu'écouter ses attentes profondes. Que mon lien avec nathalie me manque n'est qu'une conséquence de ces limites. J'ai donc remonté le moral de Charlotte qui l'avait perdu en constatant ma déprime. Ouf... c'est compliqué ça.

Elle se sentait impuissante tout en me rappellant qu'elle était là, et m'aime. Mais son amour, même s'il est réconfortant et rassurant, adoucissant ma peine, ne peut rien contre le vide que je ressens.


Ces derniers jours, nous sommes redevenus très proches. Nos échanges se font avec beaucoup de respect, de sincérité, et une vraie volonté d'avancer. Nous vivons comme une lune de miel: des moments apaisés, débarassés des tensions de ces derniers mois. Et je dois dire que ça me fait beaucoup de bien. J'étais absolument épuisé à tenter de concilier l'inconciliable. J'étais très affecté par la souffrance de Charlotte, autant que par le rejet qu'elle manifestait à mon égard. Nous retrouvons donc une situation qui, en apparence, nous rend la complicité d'autrefois.

Je dis bien "en apparence", car je sais que rien n'est réglé. Seule la souffrance de Charlotte a disparue, et la mienne à son égard simultanément. Mais lorsque je sens Charlotte redevenir heureuse, se mettant à espérer que "tout est fini", je suis bien obligé de lui rappeler régulièrement que la réflexion ne fait que commencer. Ou du moins... une autre réflexion: suis-je prêt à poursuivre ma route avec elle? J'ai tout arrêté pour évaluer notre couple, non pas pour repartir illico après cette péripétie qui a ébranlé notre couple au point de déclencher une crise profonde. C'est un évènement majeur, qui aboutira soit à un renforcement, soit à un éloignement.

La clarification est indispensable. Ce que je souhaite surtout, c'est que nous parvenions ensemble à une solution qui nous paraîtra comme la plus évidente, la plus naturelle. Qu'elle soit dans la continuité ou dans la séparation.

Ce qui est ressorti dès à présent, c'est que nous tenons tous les deux très fortement à notre couple. C'est ce qui nous réunit: un souhait commun de le voir durer. Sauf que nous ne voyons pas les choses de la même façon et qu'elle sont inconciliable en l'état. Un mur nous sépare toujours. 

J'ai découvert beaucoup et il m'est désormais impossible d'oublier ces acquis. Je ne sais pas encore si les manques qui m'ont poussé hors du couple restent d'actualité, et des principes d'ouverture et de liberté sont désormais intégrés dans mon mode de pensée.
Je n'ai pas du tout renoncé à mon chemin, mais j'ai simplement décidé de prendre le temps de faire un état des lieux avant de le poursuivre ou d'en infléchir la direction. Vu les enjeux, je crois que ça vaut le coup...


Il se pourrait pourtant que les choses aillent relativement vite. Déjà je constate qu'avec d'autres interlocuteurs que Charlotte mes doutes restent profonds quant à ma capacité à renoncer à mon chemin. Avec elle, bercé par la sérénité retrouvée, je me dis parfois que nous irons peut-être vers une convivialité de couple "comme avant", que je me servirai de mes avancées comme un tremplin vers un autre mode de pensée, plus adulte, sensé, rationnel. En revanche lorsque je m'entends parler à d'autres, je constate que mon discours ne va pas uniquement dans ce sens...

Le plus surprenant s'est produit hier soir: Charlotte m'a proposé de passer la nuit chez elle, donc dans l'ex-lit conjugal. J'ai longuement réfléchi. Je ressentais une certaine gêne après six mois de vie séparée. Un peu comme si une amie me proposait de partager son lit. Et puis... il y avait comme une "infidélité" vis à vis de nathalie (surtout à cause de la très proche mise en hibernation de notre relation). J'y suis pourtant allé, un peu pour voir si ma gêne allait durer, et aussi afin de reprendre pied dans cette réalité du couple.

Lorsqu'il a été question d'aller un peu plus loin que juste dormir l'un contre l'autre, c'est devenu très complexe dans ma tête. Je suis resté pensif, silencieux, avant d'expliquer à Charlotte ce que je ressentais. Volontiers d'accord pour de la tendresse... mais bloqué vis à vis de tout ce qui pouvait être plus intime. Je n'étais pas prêt à cette intimité avec elle, mais pourtant d'accord pour un rapport sexuel! Je crois que j'étais attiré par un rapport physique (on en avait envie tous les deux), mais dans une dimension un peu égoïste: échange de plaisir, c'est tout. Efficace, sans recherche de sensualité. D'une certaine façon, pour moi c'était "sans sentiment amoureux". Expérience assez troublante. D'autant plus qu'immédiatement ce sont des images mentales de mes rapports avec nathalie qui me sont venues en tête. Charlotte a eu des pensées similaires et n'a pas pu aller plus loin, ce qui finalement m'a tout à fait convenu.

Bref... j'en ai immédiatement déduit que je n'étais plus dans un rapport amoureux avec Charlotte. Ce n'est pas nouveau comme idée, mais je crois que c'est la première fois que je le constate dans les faits. Apparemment il y a eu une évolution en quelques mois. De me sentir trop souvent rejeté a, semble t-il, cassé quelque chose (réparable ou pas, je ne sais pas encore...). L'amour que j'avais pour Charlotte paraît avoir perdu encore davantage de sa composante amoureuse. Même si mon lien d'attachement et d'amitié reste très fort. Intact, et peut-être même renforcé.

J'ai l'impression de ne plus être amoureux de Charlotte. Et pourtant, récemment nous parlions encore avec émotion de nos moments amoureux des débuts. On s'aime, c'est certain, mais sans doute pas de la même façon.

Je ne ressens plus de désir amoureux pour Charlotte...


Alors peut-être que cet esprit de couple auquel je tiens tant devra être trouvé dans une autre dimension que l'amour-amoureux?

Si depuis des années mes sentiments amoureux se sont transfigurés en très grande amitié, c'est peut-être une évolution inéluctable? Au contraire de mon amitié avec nathalie qui s'est métamorphosée en amour...
C'est sans doute cette étroite imbrication des sentiments d'amour et d'amitié qui aura complexifié infiniment mon choix. Parce qu'en renonçant à l'amour, j'ai toujours eu peur de perdre simultanément l'amitié. Or ce genre d'amitié-complicité très forte m'est essentielle. Par mon vécu avec Charlotte, j'ai rendu poreuses les "limites" traditionnelles qui séparent les deux sentiments. Je n'ai plus forcément de frontière vers la tendresse, ni même la sexualité, d'où l'ambiguité apparente.

Et si mes deux relations avaient bien une part d'amitié et une part d'amour, de la tendresse et de la sexualité... je crois que seule l'une des deux est marquée par le désir amoureux. Une seule des deux m'a fait toucher les étoiles. Une seule des deux m'a fait accéder à des dimensions insoupçonnées. Une seule des deux crée une attirance et un véritable manque. Une seule des deux occupe mes pensées et mes rêves...

Tout ça je le sais depuis longtemps, je l'ai bien assez décrit dans ce journal.

Mais j'ai tellement peur de faire mal aux gens qui m'aiment... Et tellement peur de souffrir du rejet consécutif. Tout ça parce que je ne m'aime pas assez.
Bref, je suis toujours au coeur de ma quête d'épanouissement, à la recherche de mon "vrai moi", mais désormais sans le soutien actif de nathalie pour m'encourager à avancer.

Et finalement, c'est certainement la meilleure chose qui pouvait m'arriver.




[mis en ligne le 1 septembre]





Mois de septembre 2004