Septembre 2004
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Ecrire face au silence




Nn Mercredi 1 septembre


Vous êtes un certain nombre à me lire. A suivre mon cheminement tortueux vers un état de sérénité souhaité. J'ignore si c'est par addiction, habitude, ou par réel intérêt, mais le fait est que vous êtes là. Je sais que mes écrits aident, parfois durablement. J'ai toujours écrit dans cet esprit de partage, de témoignage, et sans doute plus encore depuis que je vis une aventure hors du commun. Puisque je passe par les mots pour me comprendre, autant les partager avec ceux que ça peut intéresser.

Pourtant il m'arrive, à certaines périodes charnière, de m'interroger sur la portée de ce journal. C'est le cas en ce moment, bien sûr. 


J'ai vécu un épisode intense de ma vie, dans une confusion de douleur et de bonheur. Un peu comme une naissance. J'étais plein d'espoir, de rêve, d'audace. Mais je me rends compte que je ne suis pas encore vraiment capable de prendre mon envol tout seul. J'ai trop peur de me lancer. Cette peur qui me limite risque aussi de briser mes rêves.

J'écris volontiers dans ce journal, tant que j'espère. Au contraire chaque période de doute trop durable me plonge dans le silence, ou la rétention de textes. Pourtant, je sais aussi que c'est par l'écriture que je sors de mes doutes, que mes certitudes s'affirment. Alors il est probable que parfois j'aie peur d'aller plus loin dans les mots... J'ai peur de ce que je peux découvrir et préfère ne pas approfondir immédiatement. Pas devant témoins, parce que je ne pourrai plus reculer ensuite sans me dédire. Prudent à l'excès?

Ce que je ressens actuellement me perturbe. Je perçois très bien ce que je ne veux pas voir. Ça suinte de partout. Ne pas l'écrire retarde une prise de conscience trop franche. Ne pas le mettre en ligne me protège de l'évidence, de vos regards, pensées et commentaires.

Une fois de plus, je suis tiraillé entre raison et audace. Et j'ai peur, franchement peur. Je suis allé jusqu'au plus loin de ce qui m'a été permis sans tout bouleverser. Jusqu'à l'extrême limite. Et au dernier moment j'ai eu peur, j'ai tout arrêté. Pourtant... je suis actuellement incapable de renoncer à mes rêves. Je sais que c'est dans cette direction que je dois aller si je veux m'épanouir. Je sais, mais j'ai peur de me tromper. Comme à chaque fois que j'ai dû faire un pas de plus, j'ai peur.

Je sais vers où se dirigent mes pensées, je sais où résident mes espoirs, je sais ce qui m'allume, m'attire, me donne un élan de vie... Tout m'y porte, et pourtant je n'ose pas. Manque de courage?


Si maintenant je bloque en écrivant ce journal, c'est parce que je sais que mes mots n'égrenneront qu'un lancinant «attends-moi...» perceptible entre chaque lignes. Or je ne dois pas, tant que je ne peux pas dire «j'ai choisi d'être libre». Et je ne dois pas parce que Charlotte attend de moi que je sois "tout à elle".
J'ai une envie folle de "parler" à nathalie via ce journal, mais ce serait entretenir un espoir dont je dois essayer de me défaire à court terme. Or ce silence durera probablement des mois [inimaginable...]. C'est elle-même qui m'a encouragé à retourner auprès de Charlotte, pensant (ou faisant semblant d'en être sûre?) que sans mon couple je ne serais plus moi-même. Je dois, théoriquement, me consacrer uniquement à ma relation de couple. Sinon, je "tromperai" Charlotte. Mais nathalie est pourtant là, dans mes pensées. Mon avenir sans elle n'est pas mon futur.

J'aurais envie d'écrire ici juste pour dire que je pense à elle, raviver la mémoire, glisser des petits mots, des «je me souviens...», murmurer des codes entre nous dont elle seule comprendrait le sens. Mais parce que je l'aime je dois m'imposer de respecter le silence qu'elle a préféré durable. Je ne dois pas stimuler le souvenir, ne pas empêcher son hibernation. Ça m'est difficile, et cruel...
Le manque crie en moi. La distance n'est rien, comparée au silence.

Il faut que je fasse comme elle: apprendre à capitonner mes émotions pour reprendre le cours de ma vie d'avant, ne plus y penser. Question de temps, je suppose.

Je me demande comment va agir ce silence: galvaniser mon énergie afin de le briser au plus tôt, ou au contraire me priver d'un indispensable appoint?

Je ne dois pas laisser mes pensées aller vers nathalie. Je ne dois plus rêver mais accepter la réalité [je n'y crois pas...]. Je dois me consacrer à mon couple, prendre le temps de réfléchir et tenter de reconstruire sur de nouvelles bases... [mouais, tout ça fait un peu autopersuasion, hein?]. Franchement... c'est dur!



Voila, c'est pour éviter ce genre de déballage pathétique que je me demande si ce journal est une bonne chose... Il va falloir que je change de formule.
Je ne devrais plus y parler de nathalie, mais uniquement de ma relation avec Charlotte. Ne pas me bercer d'illusions. Sortir du rêve impossible...

[impossible?]








Le temps d'agir




Jeudi 2 septembre


Bon, il est temps de prendre des décisions et d'agir. [Non, pas encore pour mon couple...]

D'abord, ce journal:

- Je pense préférable d'éviter l'évocation du manque que je ressens vis à vis de nathalie. Il est permanent et de plus en plus fort, parfois oppressant, cruellement douloureux. Voilà c'est dit, mais inutile de m'apesantir là dessus, ça ne sert à rien. Le temps fera son affaire...

- Je vais m'efforcer de ne parler des développements de ma relation avec Charlotte qu'une fois par semaine, afin d'éviter de ressasser toujours le même genre d'idées. J'ai besoin de m'aérer l'esprit, me réouvrir à d'autres préoccupations. Vivre quoi...


Pour mon moral:

- Comme écrit plus haut, il serait nuisible que je me laisse aller à la mélancolie. Les souvenirs autour de nathalie m'assaillent en permanence, que ce soit par les lieux fréquentés ensemble, les symboles multiples qui nous relient, des idées ou des mots trop évocateurs... De toute façons je dois faire avec, donc les voir comme des instants de bonheur qui demeure plutôt que de tristesse face à ce qui est passé.


Pour ma relation avec nathalie:

- Rien. Juste laisser ma conscience s'imprégner que le silence durera des mois. Calfeutrer les émotions et la sensibilité. Verrouiller les écoutilles de la communication. Ne garder qu'une petite veilleuse, entre souvenir et espérance...


Pour ma relation avec Charlotte:

- Tout. Consacrer mon énergie à reconstruire, du mieux que ma conscience me le permet. Ouvrir mes émotions, profiter du temps présent. Et être sincère dès que quelque chose devient certain, ou important à dire.


[Wow, quel programme! Ce sont des intentions ou des décisions? Des souhaits ou des convictions?]






Grille de programme





Vendredi 3 septembre


C'est le temps de la rentrée. Hier mes enfants ont repris le chemin des études. Mon activité saisonnière manifeste des signes de réactivation et mon temps va être davantage compté.

De façon plus élargie, septembre marque un renouveau, sans doute plus marqué que celui du mois de janvier. La radio, que j'écoute régulièrement, nous propose ses nouvelles "grilles de programme".

Alors je me suis dit que je pourrais m'en inspirer pour "cadrer" un peu le flou de mes pensées nébuleuses et erratiques. Trop de liberté me nuit, il me faut organiser avec un peu plus de méthode mon emploi du temps. Etablir des repères dans la semaine, avec des jours prévus pour telle ou telle activité plutôt que de n'agir que selon l'air du temps. Finalement, la liberté c'est aussi de choisir son propre cadre. Car la réalité impose toujours des limites.

Et pour ce journal ça va être la même chose: nouvelle grille de programme! A trop fonctionner à l'inspiration, à vouloir laisser toute liberté à mes idées pour s'exprimer quand elles viennent, j'ai l'impression de me perdre. Je vais cadrer mon expression.

J'ai mesuré les limites de l'introspection en direct: répétitif, donnant une impression d'immobilisme; long, avec une tendance au rabachage; impudique, à cause de cette lenteur évolutive; insincère, parce que je ne montre de moi que ce que je veux bien. Bref: pas vraiment satisfaisant.


Plutôt que l'auto-analyse en direct, je vais tenter d'introduire du différé sur les sujets les plus sensibles. M'exprimer avec davantage de recul. Donner le résultat de mes réflexions plutôt que réfléchir en écrivant. Cette écriture intuitive et émotionnelle je la poursuivrai, mais seulement pour moi. Et c'est pour éviter ma propension au débordement que je vais me cadrer. Cadrer les idées, cadrer la longueur. En fait, il faudrait que je m'inspire des formats journalistiques. Longueur de texte prédéfinie, sujet choisi, dans une rubrique précise. Avoir "carte blanche" en permanence n'est pas très stimulant pour l'inventivité, finalement.

Puisque je suis actuellement dans une phase d'évaluation de ma relation de couple, ce sera ma base de départ pour cette grille de programme.

J'aborderai le thème de l'évolution de mon couple le... mercredi. Et uniquement ce jour-là. [pourquoi le mercredi? Ben... parce que c'est celui qui me paraissait le plus évident, en milieu de semaine].

Le lundi, à l'issue du week-end et de ses rencontres, je le consacrerai aux relations familiales. Enfants, parents, amis.

Pour le moment, je ne me fixe que ces deux rendez-vous. Je verrai si je sais m'y tenir. Je me laisse libre pour les autres jours et fixerai éventuellement d'autres cadres ultérieurement.

Et nathalie? Tant que la relation est mise en hibernation, que je ne dois donc rien stimuler trop activement, je ne ferai un état des lieux que... les nuits de pleine lune. Cette fréquence me protègera [et vous avec] d'éventuels débordements sentimentaux larmoyants et sirupeux. Mais ces jours-là, je me donnerai carte blanche!

En revanche, comme cette petite flamme qui luit dans les églises... j'instaure le principe d'une minuscule veilleuse, qui sera là chaque jour que j'écrirai. Un lien, un signe. Un sourire dans une larme. Des souvenirs, pour garder l'espoir.

L'espoir...



[Une libellule, hier, égarée derrière la fenêtre de l'internat de ma fille...]








Grand air




Dimanche 5 septembre.


Aujourd'hui, je me suis aéré la tête! Une bonne journée de marche en montagne, activité que nous n'avions plus pratiquée depuis de nombreux mois était prévue. Les enfants devaient nous accompagner, Charlotte et moi, mais finalement nous nous sommes retrouvés seuls. 
Excellente occasion pour discuter. D'abord pendant le trajet en voiture, ensuite durant toute la ballade.

Le temps était superbe, quoique l'atmosphère présentait cette densité des chaudes journées estivales, réduisant notablement la visibilité à très grande distance. Avec amusement j'ai pensé à une récente entrée de Valclair qui citait exactement les montagnes et la vallée que nous surplombions
[que je ne cite pas pour éviter toute "googleisation" intempestive...] et était donc les parages il y a quelques jours...

Ce même Valclair dont la lecture du texte "Grand écart" m'a été tout particulièrement délectable. Les lecteurs attentifs de mon journal comprendront aisément pourquoi, hé hé.

Euh... revenons à cette fort agréable marche en montagne avec Charlotte. Nous avons parlé de notre situation actuelle, d'amour, de dépendance. Echange intéressant pour tous les deux, avec une Charlotte que je ne reconnais pas, ne fuyant plus la conversation. Beaucoup d'écoute mutuelle, sans chercher à persuader l'autre du bien fondé de nos convictions. Vraiment, j'ai beaucoup aimé, et elle aussi. Nous nous découvrons sous un jour nouveau.

Cependant, nous restons toujours dans une situation d'observation (enfin moi, surtout...). Mon rapport avec elle étant actuellement surtout de l'ordre de l'amitié. Mais... je parlerai de tout cela mercredi, jour désormais consacré à l'évolution de la situation du couple.

Du sommet que nous avions grimpé, nous pouvions voir, loin en contrebas, un troupeau de vaches blanches dans les alpages. Je n'ai pu m'empêcher de penser à ma québecoise préférée, qui, peu habituée aux effets de perspective de la montagne, m'avait demandé dans un cas similaire s'il s'agissait de moutons...


Bon... je ne m'étendrai pas davantage sur la multitude de détails de ce genre qui réveillent en quasi-continu des souvenirs... je suis censé ne penser qu'à mon couple. Ooouuups...

Hop, changeons de sujet.
Ah ben c'est fini pour aujourd'hui...





«Je ne crois pas me tromper en me disant qu’une amitié se noue, non exempte de tendresse, que nous aurons plaisir à échanger encore, à nous apprivoiser peut-être un peu plus l’un l’autre. J’ai senti aussi palpiter une pointe de désir, l'envie de poser ma main sur cette peau que j’ai devinée si douce, si digne d’être honorée de caresses.»


Les echos de Valclair - 05/09/2004




[Un petit mouton... Obsession...]






Mauvais rêve




Lundi 6 septembre


Depuis près de six mois, chaque matin, j'entre dans un mauvais rêve en me réveillant. Invariablement le même: celui de cet impossible choix. Il est toujours là. Et il persistera tant que je n'aurais pas tranché.

Je passe alors un moment dans mon lit, les yeux ouverts ou fermés, à refaire l'état des lieux. Penser aux dernières avancées [oui, il y en a quand même...]. Puis démarrer une nouvelle journée en sachant que j'aurais ça dans la tête comme "fond d'écran".



Aujourd'hui, après trois semaines de flottement, j'ai pu vraiment reprendre le travail. Parce que ça devenait nécessaire, et aussi pour retrouver une vie normale, avec les préoccupations du quotidien. Je me suis enfin décidé à transférer mon bureau dans la vieille maison que j'habite, afin de séparer vraiment mon activité professionnelle de la maison familiale (la maison de Charlotte). De cette façon je pourrai être presque totalement autonome en cas de crise éventuelle.

Evidemment, en faisant du tri de papier, les occasions ont été nombreuses de voir surgir inopinément des souvenirs. Une note de restaurant datant de l'an dernier, avec elle [pourquoi je garde des choses comme ça, moi?], des offres promotionnelles de France Télécom pour des appels téléphoniques vers le continent nord-américain [meeerde, c'est duuuur d'en être privé!], des bouts de papier sur lesquels j'avais noté des bribes de phrases, des citations. Et tout cela entraine systématiquement des flots de souvenirs associés que je dois stopper immédiatement. Ce n'est même pas de la tristesse. Son amertume n'a pas le temps d'apparaître dans ma gorge qu'un sentiment de rage s'exprime déjà. Une révolte instantanée et éphémère qui parfois me fait grimacer en serrant les dents d'un grognement bref, ou taper sur quelque chose. Mouais, c'est pas facile d'accepter cette situation!

Bon, ça s'atténuera avec le temps...



A part ça...
Je crois que je commence à aborder le problème de façon différente. Face à un choix qui demeure impossible, il faut que je contourne l'obstacle. Va bien falloir que quelque chose bouge, hein?

Si je ne peux (veux) pas choisir, je peux chercher les raisons de cette impossibilité. Par exemple: pourquoi est-ce que je ne veux pas?

Tout simple: par peur. Oui, maintenant j'ai compris que ce sont nos peurs qui nous immobilisent. Solution: analyser cette peur, la décomposer, la disséquer, en fractionner chaque élément.

Mes principales peurs, dans la situation que je vis, je les ai identifiées.
Peur de perdre, qui vient d'une peur viscérale de l'abandon (besoin de sécurité)
Peur d'abandonner aussi, de trahir la confiance qui m'a été donnée, et qui ferait que je ne serais plus aimé, donc... "abandonné", encore.
Peur de l'inconnu, de me retrouver "seul", comme un enfant perdu...

Peur... de grandir en fait. Peur de lâcher la sécurité. Peur de ne pas savoir me débrouiller seul, donc dépendance vis à vis d'autrui.
Dépendance... voila l'idée à travailler! Car comment se sentir libre en étant dépendant de quelqu'un ou quelque chose?

Rien de bien original, évidemment. Je ne fais que découvrir par l'expérience ce que tout psychologue apprend probablement en première année d'études. Mais rien ne vaut le rôle du cobaye pour bien comprendre...




[Ce restaurant, un soir de cet été, qui dominait la ville s'illuminant...]





Interférences




Jeudi 9 septembre


Il y a un an, c'était demain qu'allait avoir lieu un des moments les plus déterminants de mon existence. En relisant ce que j'écrivais alors, je ressens au constat de la situation actuelle un mélange de lassitude, de dépit, de frustration, de rage sourde. Et toujours cette bizarre impression de haut le coeur.

Ce que je vis en ce moment pourrait être insupportable. Ça n'est que ponctuellement et répétitivement oppressant. Ce manque permanent, ce silence total... je ne pensais pas pouvoir les accepter. Pourtant je garde le moral, et j'en suis même assez surpris. Je crois qu'il y a une anesthésie des émotions, parce que l'espoir est là, très fort, très présent.
Et puis le coté "défi" me stimule. Je dois résister sans vaciller, pour tous un tas de bonnes raisons. Pour l'équilibre de tous, il me faut rester solide. Et je le suis.

Charlotte compte sur ma disponibilité et nathalie m'a donné les moyens de l'être. Elle a choisi simultanément de se préserver en préférant le silence total et je ne peux que respecter sa décision. De penser à elle m'aide à tenir, à rester solide comme elle apprécierait que je sois. A moi, enfin, je prouve que je peux très bien tenir sans contact avec elle.


Bon... que je puisse me passer de contacts est une chose. Que nathalie ne soit plus dans mes pensées en est une autre. A tel point que je me demande quelle est ma réelle disponibilité envers Charlotte. Bien que j'ai choisi de privilégier l'évaluation de cette relation, il est évident que je ne m'y investis pas autant que si j'étais vraiment "seul". Il m'est absolument impossible de faire abstraction de l'existence de nathalie.

D'ailleurs... c'est surtout parce que je ne veux pas renoncer à nathalie que j'ai pu reprendre une vie normale. Je me dis que ce temps de privation sera utile.




Ce qui m'aide à garder le moral, c'est aussi cette proximité retrouvée avec Charlotte. Après des mois souvent douloureux, nous vivons actuellement en très bonne entente. C'est assez surprenant. Savoir que je ne corresponds plus avec nathalie aura radicalement changé l'attitude de Charlotte. Elle vient désormais volontiers vers moi, m'invite presque à chaque repas (à moins que je ne l'invite de mon côté). Au départ je la mettais en garde face à ce rapprochement, lui rappelant que je ne savais pas ce qu'il adviendrait par la suite. Mais elle a estimé, avec raison, que cela brisait ses espoirs. Donc maintenant, d'un commun accord, nous vivons chaque moment ensemble au présent: heureux maintenant, sans anticiper l'avenir.

On pourrait presque dire que tout va bien...

Je reste pourtant inquiet (elle aussi d'ailleurs). Nous savons que rien n'est réglé pour l'avenir. Ma relation avec nathalie n'est, pour moi, que suspendue. L'accord qui existe avec Charlotte ne tient que tant qu'elle ne me demande pas une décision définitive.

Et puis... il n'y a pas que ça.

Tout va bien avec Charlotte... presque comme avant. Car si elle est déterminée à tout faire pour que notre couple retrouve un nouveau souffle (j'admire sa capacité à surmonter la blessure narcissique...), je ne peux que constater que quelque chose a changé entre nous. Bien qu'elle soit devenue plus démonstrative, je n'ai plus le même regard sur elle. C'est comme si ce dont j'avais pris conscience ces derniers mois était devenu tangible: le coté amoureux désirant (attirance, séduction...) semble s'être fortement atténué. C'est assez gênant...

Je pense beaucoup plus à nathalie dans la privation que lorsque nous pouvions nous contacter. Autrefois j'étais absorbé par la gestion d'une situation compliquée, maintenant j'ai la tête remplie de l'absence... Chaque geste de tendresse retrouvé avec Charlotte me fait penser au manque de ceux que j'ai pu, ou pourrais avoir avec nathalie. Je dois avouer qu'il m'est difficile de ne pas en ressentir une frustration, ce qui n'était pas le cas lorsque nathalie était "présente" à distance. La séparation géographique durait longtemps, mais le contact régulier permettait une communication qui compensait en partie le manque.


Il y a encore un autre effet: en apprenant avec Charlotte à libérer au sein de notre couple une certaine forme de communication plus intuitive, émotionnelle, spontanée, je découvre tout un pan qui était resté inhibé. Fort bien, si tout cela se libère... oui... sauf que là encore je pense aux effets de cette inhibition dans ma relation avec nathalie! Trop tourmenté par les effets de cette double relation mal vécue par Charlotte, pressentant qu'il faudrait bien que je "choisisse" un jour, j'étais (sans le vouloir) en évaluation permanente des deux relations. Donc perdant de ma spontanéité proportionnellement à la façon dont la situation se complexifiait. Je me demande même si, dans certaines situations d'intimité, je n'étais pas moins spontané qu'auparavant.

J'ai l'impression que, dans ma relation avec nathalie, la pression exercée par ce choix impossible a joué un rôle handicapant. Moins spontané face aux conséquence prévisibles, je devenais moins attirant, donc plus inquiet et encore moins spontané ni audacieux, donc encore moins attirant. Cercle vicieux qui nous a demandé pas mal de temps d'ajustement, et qui n'était pas terminé.

Je crois que c'est un peu tout ça qui se réveille maintenant, au moment ou j'évalue ma relation avec Charlotte. Les deux relations interfèrent entre elles bien plus que je ne le pensais...




[auparavant, je trouvais que deux jours sans contact c'était long...]





Résister




Vendredi 10 septembre


Extrait de conversation avec les gens qui prennent de mes nouvelles et sont au courant de nos difficultés de couple:
- Alors, comment ça va? Comment ça se passe?
- Ça va bien! Ça se passe plutôt bien.

Hop, tout le monde est rassuré. Je veux que ça se passe bien alors ça se passe bien. Pour un peu... je m'y laisserais presque prendre. Ce qui va bien, c'est ma relation avec Charlotte: bonne entente. Et il me semble que c'est ce qui peut rassurer notre entourage. C'est aussi ce qui rassure Charlotte... et moi. Tout va bien!

Ensuite, j'aborde parfois l'incertitude de la situation, le status quo... mais avec toujours cet optimisme qui me fait espérer une solution qui satisfera tout le monde.

Je ne parle que de la moitié de moi. J'occulte presque entièrement l'autre. Celle que j'ai anesthésiée. Là, si je répondais honnêtement sur cette autre moitié, ce serait:
- Non, ça va pas. C'est difficile, je suis assailli de questions. J'ai une très grande peur face à l'avenir. Je me sens dans une impasse avec Charlotte, et je "sens" que mon avenir passe par autre chose. Mais ma frousse me bloque. J'ai peeeuuur! Et surtout pour des questions matérielles. Argent, maison, vieillesse, solitude... Tout ce qui est "rassurant" et qui serait remis en question si je m'écoutais vraiment.

Je ne m'aime pas comme ça. Je me sens froussard, minable, lâche.



Hier je me disais solide, mais c'est davantage une volonté qu'une réalité. Je veux être fort. J'ai envie d'imaginer le regard de nathalie sur moi, fière de me voir résister, qu'elle me donne le courage de poursuivre sans "craquer". Pour elle, pour nous, je dois tenir, jouer le jeu jusqu'au bout.

En faisant cela, je me montre encore attentif à son regard
[me lit-elle?], mais d'un autre coté je vois ma capacité de résistance, ma volonté d'y parvenir. Je ne romprai pas ce silence total que... qu'elle a choisi pour moi, pour elle. Je trouve que c'est très difficile à vivre, de plus en plus [et insupportable de l'imaginer sur un long terme]. Mais je résisterai, parce que je l'aime et veux respecter ses désirs.
Aujourd'hui, alors que j'avais bien tenu le coup jusqu'à présent, j'ai plongé. J'ai trouvé que c'était vraiment très très difficile de ne plus rien savoir d'elle. De ne plus construire notre relation, à laquelle je crois toujours. De ne pas pouvoir nous entraider alors que nous vivons quelque chose de particulièrement éprouvant.

Pourquoi précisément aujourd'hui ? Probablement à cause de la date anniversaire. Des souvenirs plus précis me sont revenus, selon les heures de la journée. Nos regards, nos mots, nos silences, nos gestes... Et je me disais que c'était vraiment trop bête d'en être arrivé là un an plus tard. Je ne parviens pas à accepter la situation actuelle.

C'est nathalie qui a décidé de ce silence à durée indéfinie. Autant afin de se protéger, je crois, que pour me donner les moyens de me déterminer librement. Abasourdi, confiant en sa sagesse, son expérience, je n'ai même plus cherché à négocier. Je ne m'attendais pas à une coupure de contact aussi rapide. Je n'avais pas anticipé.
Je regrette maintenant que cette décision ait été prise si subitement. J'aurais eu besoin d'une prise de distance plus progressive. Le temps de "sentir" ce qui se passait, de savoir comment elle vivait les choses et comment elles venaient en moi. Et surtout, d'adoucir les modalités qu'elle a exigées avant une éventuelle reprise de contact. Cette femme est folle! il va me falloir une force immense que je ne suis pas certain d'avoir. Je ne sais pas si elle s'est rendue compte du piège dans lequel elle m'a (nous a...) enfermé. Je n'aurais pas du accepter ces conditions. Mais je savais que nathalie a horreur des adieux difficiles. J'ai voulu lui épargner cette épreuve, peut-être en n'écoutant pas assez mon intuition. Je n'ai pas osé insister...

J'avais perdu confiance dans mon optimisme, mon légendaire idéalisme.


Je me doute bien de ce qu'elle a voulu éviter... je sais bien qu'elle ne veut pas souffrir en amour et se protègera avant tout. Peut-être au prix d'un certain défaitisme... Elle semblait tellement convaincue que «on ne se reverra jamais» que je me suis presque laissé convaincre. Je sais pourtant qu'elle est plus pessimiste que la réalité. Elle me disait bien, au début de l'an dernier, qu'elle savait qu'on ne se rencontrerait jamais... Finalement son réalisme un peu pessimiste et mon idéalisme un peu optimiste se complètent bien.

Bon, mais elle m'a bien dit ses désirs, et je suis maintenant le seul à pouvoir me déterminer en conscience. Le sevrage est très brutal, mais je suis un adulte, censé être autonome...
Cette épreuve ne m'apportera que du bon. Et si nous en sortons vainqueurs nous réunira encore plus fortement
[j'en rêve...].



Il n'empêche que c'est difficile actuellement. Parce que j'ai perdu l'amie en même temps que l'amour et, d'une certaine façon, je... me sens... "abandonné". Je me retrouve seul dans un moment crucial de mon existence. J'aurais besoin d'elle en ce moment pour me donner du courage dans la poursuite de mon chemin vers un "nous", aussi fou soit-il. J'aurais envie aussi de savoir comment elle vit tout ça, quel est son moral
. Je me sens seul à porter la responsabilité de la relation. Seul à décider de "notre" avenir, amoureux ou amitié... et c'est à moi de choisir cette éventuelle orientation, définitivement, sans même savoir si elle m'y suivra (elle m'a dit ne pas savoir si elle voudrait poursuivre une "simple" amitié...). C'est une pression énorme qui m'oblige à prendre beaucoup de temps de réflexion pour ne pas me tromper. Sans rien savoir de ce qu'elle vit, c'est très difficile...

Parfois j'ai peur. Peur qu'avec le temps qui passe et le silence qui dure, notre lien finisse par perdre de sa force. Ou que mes doutes reviennent m'envahir, que je me dise que tout cela n'était qu'un rêve impossible. C'est peut-être de moi que j'ai peur. Peur de cèder devant la facilité, la simplicité, la continuation... Que je me résigne face à l'adversité si je ne la sens pas là à mes côtés. Pourtant, je sais bien qu'elle est là...



* * *



Alors que j'écrivais ce qui précède, Charlotte m'a téléphoné ce matin [ben oui, je pensais à nathalie et Charlotte pense à moi...]. Elle avait envie de me parler... Et surtout envie de partager avec moi ses découvertes de la veille: elle est allée se promener avec une de ses collègues de travail, qui lui a raconté avoir une relation amoureuse avec l'homme dont Charlotte était (est encore?) amoureuse il y a quelques années.

Bon, rien d'extraordinaire là dedans. Sauf que Charlotte et sa collègue étaient enchantées d'avoir pu échanger leur points de vue au sujet de cet homme, dont elles percevaient toutes deux un coté séducteur. Un homme pas forcément aussi fiable que ce qu'elles imaginaient, laissant facilement se débrouiller les personnes qui font appel à lui dans des moments de faiblesse.

Charlotte était toute excitée de me faire partager ses impressions et la suite de compréhensions que cela avait engendré. Elle s'est en effet rendue compte que cet homme l'avait influencée, voici quelques années. Lui même très ouvert aux autres, volontiers bavard, entourés d'amis, avait charmé Charlotte, frustrée avec le mari renfermé que j'étais. Elle avait alors eu la même méthode que cet homme avait avec elle: me pousser à m'ouvrir aux autres. Elle l'avait fait de telle façon que je m'étais retrouvé en situation d'échec, incapable de lui plaire de ce côté-là. Comparé à cet homme séducteur et séduisant, je ne faisais évidemment pas le poids... Il semble que Charlotte m'en ait alors un peu voulu. Et effectivement je me souviens que c'est à cette période que j'ai commencé à me sentir mal face à son regard, dont j'ai probablement perçu le coté moins aimant. Avant, je ne me posais pas trop ce genre de questions.

D'ici à dire que c'est ce qui m'a poussé à élargir mes relations, et à me trouver ainsi confronté à mon potentiel de séduction, il n'y a qu'un pas...
Une fois de plus Charlotte s'est dit qu'elle avait «tout raté» avec moi. J'ai tenté de la rassurer, tout en étant content de cette explication. Finalement, ce n'est peut-être pas moi qui aura été le premier à être "infidèle" à notre couple...

Autre chose, qui est venu dans la foulée: Charlotte avait été assez attirée par mon frère avant que nous soyons ensemble. Il la fascinait par sa volubilité, son charisme, son humour, son audace. Mon frère sait attirer les regards sur lui, au point même de mobiliser toute l'attention en groupe. Pourtant, c'est moi qu'elle à choisi, le timide, le discret. Le plus sensible des deux aussi, elle avait forcément perçu au travers de l'humour corrosif de mon frangin les risques pour sa propre sensibilité.

Mais... peut-être a t-elle eu l'impression de choisir le moins brillant des deux. Celui qu'on ne remarque pas. Impression renforcée par l'image de "raté" que j'avais de moi-même, ainsi que par le regard de mes parents (ma mère surtout), toujours prompts à raconter les exploits d'un des fils, et la tranquille exemplarité de l'autre... Un aventurier casse-cou face à un casanier calme et raisonnable.

Bref, Charlotte à choisi le "gentil". La sécurité, la douceur, la tranquillité [mouais... c'est ce qu'on croyait, hé hé], mais peut-être avec une pointe de regrets. Et de fait je n'avais pas senti en elle, à nos débuts, ce regard qui pouvait me rendre "beau" et me donner confiance en moi. Je n'avais pas vu briller dans ses yeux cette étincelle. Elle avait eu, juste avant, une courte relation avec un garçon de notre âge qui l'avait un peu initiée aux plaisirs d'une sexualité naissante. De mon côté, totalement inhibé et rempli d'une morale chaste, je n'avais guère été entreprenant. Bref... pas vraiment le mec viril quoi.

Pas étonnant qu'avec tout ça nous soyons un peu mal partis... On se retrouve avec ce passé sur les bras à l'occasion de cette fameuse "crise de la quarantaine" et les questionnements de mi-vie qui apparaissent à ce moment là.


* * *




Message personnel:
Un immense merci aux lecteurs et lectrices qui se manifestent en ce moment, parfois dans des messages très approfondis et touchants de sollicitude que je lis avec attention. Votre soutien, vos témoignages, vos avis me sont précieux. Ils m'aident à y voir clair et à mieux sentir ce qu'il y a vraiment au fond de moi. Votre vision extérieure est parfois plus acérée que la mienne... A la lecture de certaines de vos phrases, de certains passages, je ressens un renouveau de courage pour poursuivre mon chemin.


Un merci tout particulier aux personnes qui vivent une situation similaire, par le regard éclairé qu'ils m'apportent.

L'histoire qui nous lie, nathalie et moi, est née de nos journaux respectifs. Elle se poursuit, indirectement désormais, à travers ce mode d'expression et de relation...




[la première nuit dans tes bras, peau à peau...]







NON !!!




Samedi 11 septembre


Comme pour répondre à mes attentes et à ma soudaine perte d'optimisme, le ciel, le destin, ou n'importe quoi d'autre, à entendu mon envie de savoir où en était nathalie. Comment elle vivait tout ça. C'est par une lectrice, indirectement, que j'ai eu hier soir les premières nouvelles de nathalie depuis l'hibernation de notre relation. Lisant nos deux journaux en parallèle, celle-ci m'a spontanément évoqué ce que vivait nathalie. Je ne sais pas pourquoi, mais ça m'a redonné de l'espoir de savoir que c'était difficile pour elle aussi. Espoir qu'elle "craque" un jour prochain, et me recontacte...

Tout cela se produit au moment précis où je me rendais compte que je ne pourrai sans doute pas renoncer à nathalie comme me le demande Charlotte [ce que je n'avais pas évoqué dans ce journal, mais en privé, préférant attendre que l'idée se précise]. J'en étais là hier soir, avec cette volonté de résister quand même, afin de respecter la demande de nathalie. On peut d'ailleurs se demander où se situent mes propres demandes entre ces deux femmes que je tente de satisfaire en me déchirant l'âme...

Et puis ce matin, ouvrant mon ordinateur, je reçois un avis de mise à jour de nathalie, invitation explicite à que je lise son texte du jour. Stupeur, joie et inquiétude mêlées.

Je me précipite et j'ai un choc en voyant la photo de sa silhouette, ses longs cheveux. C'est bien elle, qui me manque tant. J'ai commencé à lire... sans pouvoir continuer. Ça me faisait trop mal de la savoir si mal de son côté, trop de bien de retrouver ses pensées.



J'ai finalement repris ma lecture, et là ce fût terrible: je vois qu'elle veut tourner la page. Elle n'y croit plus. Elle se dit que ce que nous avons voulu vivre était trop fou pour nous, que nous n'étions pas assez forts pour cela.
Alors je me suis jeté sur mon lit, désespéré, à la place même où je la "revois" chaque soir, me souvenant de son unique nuit chez moi. Et les pleurs de rage et d'impuissance, éteints depuis une dizaine de jours, sont revenus en force. Pas de la tristesse, mais du refus le plus absolu. Un NON! Un cri étouffé..
J'avais une envie folle de l'appeler, lui écrire, de lui dire de continuer à y croire, que de mon côté je travaille fort pour retrouver la liberté d'être à laquelle j'aspire...
Mais ça m'est interdit par notre "accord" [mais pourquoi donc ai-je dit oui???]: je ne pourrais l'appeller, un jour, que si ma liberté intérieure est acquise. Dois-je respecter cette demande énoncée à la hâte [mais avec détermination...], sans que je sache si elle se rendait bien compte à quoi elle nous engageait?

Peut-être que c'est moi le plus fou des deux, qui ai toujours voulu faire tenir notre lien alors qu'elle m'a proposé plusieurs fois de tout arrêter en voyant mes difficultés à tout gérer. Moi aussi j'y ai pensé parfois, parce que je ne savais pas aimer comme elle le souhaitait. Mais j'ai toujours voulu garder confiance en nous. Ce n'étaient pourtant que des mots... la mise en pratique par les actes est bien plus difficile à concevoir. Il faut du temps, une infinie patience. 

C'est moi qui ai poussé à ce que notre mise en hibernation ne soit pas immédiatement définitive, parce que j'avais peur de cette détermination que je sentais si forte chez nathalie, aguerrie aux ruptures. C'est elle qui m'a laissé cette fenêtre disponible, comme un espoir qui me/nous permet de tenir.



Alors maintenant dois-je laisser nathalie tourner cette page, comme elle semble souhaiter le faire définitivement? Dois-je respecter son désir affiché? Ou bien est-ce une forme d'appel qu'elle me lance, en me prévenant de sa décision?
M'aurait-elle signalé sa mise à jour si elle avait vraiment pris une décision irrévocable? Est-ce une ultime bouteille jetée dans le bleu de l'Atlantique, à laquelle elle espère secrètement que je réponde par un signe?

Qui dois-je respecter, et aimer? Elle, en obéissant à sa demande antérieure, ou moi en n'acceptant pas qu'elle tourne une page qu'elle m'avait dit laisser entr'ouverte? Où est la sagesse, où est le bon chemin?

Si je l'aime, je la laisse partir en respectant sa décision? Ou bien est-ce que je lui montre que je tiens à elle, et qu'il ne faut pas renoncer si vite? Dois-je l'épargner, ne pas stimuler une souffrance qu'elle veut faire disparaître?

Je fais quoi?
Dois-je encore résister et rester fidèle à un engagement qu'elle semble ne pas pouvoir supporter?

J'ai pas envie de laisser tomber. J'ai pas envie de baisser les bras. J'ai pas envie de renoncer. Je veux me battre contre... contre la fatalité. C'est peut-être perdu d'avance, je devrais me résigner, accepter l'impossibilité. Devenir un grand garçon en cessant de rêver et de faire des caprices d'enfant.



Je crois que, dans le doute, c'est moi que je dois aimer. C'est à moi que je dois faire du bien, en espérant que ça ne lui fasse pas de mal. C'est aussi pour cette relation à laquelle je tiens que je dois me battre. Et tant pis pour les "accords" passés dans l'urgence, qui ne me satisfont pas. Là, maintenant, il y a une urgence du présent, et des décisions à prendre. Avant qu'elle ne ferme toute sensibilité, qu'elle se barricade dans une forteresse de silence. Là, je ne tergiverse pas, j'agis.

Je préfère tout tenter, quitte à lui déplaire. Je ne me satisfais pas d'un renoncement auquel je ne suis pas prêt. C'est mon côté opiniâtre qui se réveille, en n'abandonnant pas tant que je ne suis pas convaincu que c'est nécessaire.

Ma force n'est pas dans le renoncement, mais dans la persévérance. Je ne peux pas avoir de force pour quelque chose auquel je ne crois pas. Je ne peux pas baisser les bras face à quelque chose auquel je crois.


Je crois encore et toujours en ce "nous", contre les apparences de l'impossibilité. Je ne cesserai d'y croire que si elle me laisse seul et sans aucun espoir [et encore...]. Il me faudra un vrai refus de sa part pour que je sache à quoi m'en tenir. Pour moi notre relation, notre "couple", existent toujours. Je ne me résignerai pas à y renoncer sans être convaincu que c'est la seule issue possible.





[Ce cri de guerre que nous avions, face à l'adversité: «nous vaincrons!»...]





Oui...





Lundi 13 septembre


Oui... j'accepte. J'accepte de renoncer. J'accepte désormais cette évidence, pleinement.

Que de changements et revirements, en quelques jours... Derniers spasmes, derniers sursauts. C'est terminé, il n'y en aura plus. La dernière page est tournée.

Depuis un mois je m'accrochais à je ne sais quel espoir. C'était trop difficile de renoncer dans les premiers jours. Alors je m'étais réfugié dans cette espérance, dont je sentais bien qu'elle était folle. Je m'étais vu couler et ce fut un reflexe de survie que de tenter de croire encore à l'impossible. J'ai rapidement compris que nathalie ne me suivrait pas, pourtant je sentais que quelque chose palpitait encore, je sentais qu'elle était encore là. Lorsque nous avons décidé de couper tout contact je me suis efforcé d'accepter cette décision. Mais vraiment à contre-coeur, sans me rendre compte de ce que ça allait signifier. Vertigineux silence infini des derniers instants avant de raccrocher une ultime fois le téléphone...

J'étais décidé à tenir, je m'efforçais de penser à autre chose, d'agir, je me persuadais que j'étais fort... Je me focalisais sur l'évaluation de ma relation de couple, comme si c'était le plus urgent, comme si je devais rapidement mettre à jour ce que je pressens.
Et puis d'un coup tout se précipite, je sombre, trop de souvenirs qui m'assaillent à l'occasion de l'anniversaire de notre première rencontre. Je me noie dans cette multitudes de fragments de mémoire, le manque devient terrible, envahissant, obsédant. Je voulais pourtant résister, j'y étais déterminé (ou essayais de m'en convaincre...). Mais, hasard des circonstances ("destin", pourrait-on dire), un oubli de nathalie fait que je reçois par erreur son avis de mise à jour. Je lis et je craque... j'attendais tellement d'avoir de ses nouvelles!

Alors, sans hésiter bien longtemps je lui écris, je désobéis aux ordres. Après tout, je n'avais plus rien à perdre...
Toujours rêveur je lui dis de ne pas perdre espoir, qu'il faut être patients, que si on baisse les bras il ne se passera plus rien.

A peine le message envoyé, je me doutais de ce qui en découlerait: la fin de l'espérance (peut-être souhaitais-je en finir avec cette douloureuse agonie?). Et je ne m'étais pas trompé.
nathalie m'a répondu avec les mots exacts que j'avais besoin d'entendre. Jusqu'au bout elle aura su agir comme il le fallait, dignement et avec courage. Personne n'aurait pu me faire changer d'avis comme elle, afin que je renonce. Elle m'a bien reprécisé sa vision des choses, a clarifié ce qui était resté ambigu à mes yeux, et je l'ai comprise: il ne faut plus avoir aucun espoir. Elle n'acceptera plus une double relation qui créait trop de souffrance pour tous.

J'ai cédé devant l'évidence. Sans tristesse. Résigné parce qu'il n'y avait plus rien à faire. J'étais seul à espérer, la relation n'existait donc plus.

En fait... je crois que je le sentais depuis un mois. Depuis qu'elle m'avait poussé à retourner vers Charlotte. Ce jour là, épuisé par tant de complications, comprenant la montagne de difficultés que j'aurais à gravir pour une séparation à laquelle je n'étais pas [pas encore?] prêt, j'avais accepté sans broncher ce qu'elle m'énonçait: nous devions cesser. J'étais vidé de toute énergie après des mois de lutte et je crois que je ne me rendais pas bien compte des implications de cette résignation. Ça paraissait surréaliste: nathalie était encore là, si proche, à mes côtés pour trois jours...



Peu après que j'ai reçu ce courriel, samedi soir, Charlotte est venue chez moi. J'étais encore dans l'hébétude, avalant calmement la réalité d'un mois d'espoir vain. Ma pensée allait à reculons dans le temps, pour atteindre le point de départ, lorsque nathalie avait énoncé ce qui allait advenir. Car c'est la que commence le deuil. Ce qui a paru vivant depuis n'étaient que les spasmes qui précèdent la mort...

Avec Charlotte, nous avons discuté de l'état de notre couple et de notre sexualité, et peu à peu des vagues d'émotion m'ont envahi. J'ai pleuré longtemps dans ses bras, incapable d'arrrêter ce flot continu. En fait je parlais de ma difficulté pathologique à entendre mes désirs, à les exprimer, et de ma frustration sexuelle qui existe depuis toujours. Discussion à double portée parce que Charlotte ignorait que je pensais aussi à ma sexualité avec nathalie, révélatrice de bien des blocages... Et je songeais à tout ce que, à peine ébauché, je ne vivrai plus.

Le lendemain, hier, je suis parti pour raisons professionnelles. Seul dans mon véhicule, mes pensées étaient concentrées sur cette fin de relation qui, progressivement, intégrait les couches profondes de mon cerveau. Les souvenirs de ce qui disparaissait étaient omniprésents et inéluctablement j'ai fini par sangloter ma peine. D'autant plus que j'étais sur une route parcourue il y a si peu de temps avec nathalie à mes côtés... Tant de souvenirs me relient à elle, où que je me trouve.

Larmes de chagrin, de perte, de relachement. Il y a un certain apaisement à laisser sortir toute cette émotion, à la longue trop éprouvante à retenir. C'est fou la diversité des pleurs qui peuvent exister! Je ne pensais pas qu'ils pouvaient être aussi variés. Un ajout de plus à mon expérience [voyons les points positifs, hein?]. Ah oui, je peux aussi m'enorgueillir désormais de connaître le chagrin d'amour et les joies de la rupture, ce qui manquait à mon éventail dans la connaissance amoureuse. Choueeeettte! J'en apprends des choses...

Ouais... ben ça fait mal... De quoi vacciner de se laisser aller à aimer!
[on te l'avait bien dit qu'il y aurait de la souffrance...]



Depuis tout ça, ben j'accepte peu à peu cette idée: c'est fini.
C'est bizarre ce vide. Ce pan de vie qui disparaît. Il faut maintenant tout mettre au passé, ranger les souvenirs. Tous les "possibles" s'éteignent les uns après les autres. Même si je le savais depuis un mois et m'y étais préparé à l'idée, c'est souvent douloureux. Les larmes viennent pour un détail, se tarissent, reviennent. Le deuil se fera avec le temps qui va passer.

Mais la vie continue et nathalie m'a transmis ses encouragements pour que je sois heureux.
Déjà, depuis cette renonciation, les déclenchements du mécanisme complexe qui m'anime se sont mis en mouvement. Il y a des compréhénsions qui se font, des évidences qui apparaissent. Et aussi des regrets de n'avoir pas su profiter assez du présent...
Il se pourrait bien que j'ai pas mal de choses à analyser dans les tous prochains jours.




[Un pique-nique au bord d'une rivière, sur une plage de galets...]





Mauvais roman






Mardi 14 septembre


J'avais programmé d'écrire sur certains sujets les lundi et mercredi. Pour le moment je dois bien avouer que je ne m'y suis pas tenu... L'actualité amoureuse a repris toute la place, comme d'habitude.

On dirait un adolescent qui raconte ses déboires. Un mauvais roman à l'eau de rose, fait de départs et d'espoirs, d'amour impossible et de gros chagrins. Le pire c'est que ça ne fera même pas pleurer. Mauvais roman, j'vous dit...

«C'est un beau romaaaan, c'est uuune belle histoire...». C'est nathalie qui avait fredonné cette chanson, à la fin de notre première rencontre. Elle avait ajouté dans un murmure qu'elle n'avait pas envie que ça se termine comme dans la chanson.

Et en février, dans son pays de neige, elle m'avait fait écouter ses "tounes" (chansons) préférées. Je me souviens de Lili Fatale, un air qui finissait par «Et l'amour est parfait si on sait quand se quitter». Nos regards s'étaient alors croisés, avec un sourire triste et une moue qui semblait dire «beuh... on n'a rien entendu!».

Comme si... comme si on savait depuis longtemps que notre histoire ne pourrait peut-être pas durer. D'ailleurs, si on avait si peu parlé d'avenir, je crois que c'est parce qu'on sentait bien qu'il ne fallait rien miser dessus. Vivre au présent, prendre ce que l'on peut.

Je sais maintenant que je n'y suis pas toujours parvenu, et je le regrette. J'aimais le présent, mais l'avenir m'inquiétait. Tout était si compliqué...
Mes maudites peurs ont beaucoup envahi notre relation. Beaucoup trop. Ma peur des conséquences de mon élan vers nathalie m'empêchait de me laisser aller librement. Peur d'être un jour abandonné par Charlotte, qui entraînait une crainte d'oser écouter mes désirs envers nathalie. Je crois que ces peurs ont souvent handicapé notre relation.

En fait, je n'avais pas la carrure suffisante pour vivre mes désirs face à la peur. Il faut être très fort intérieurement, et sûr de soi, pour y parvenir. J'ai lutté, me suis battu contre ces peurs, contre cette part enfantine qui a besoin de trop d'assurance. Avec nathalie j'avançais, peu à peu, même si de nouveaux obstacles (en moi) se dressaient toujours derrière ceux que je venais de franchir. A l'évidence je m'épuisais, les limites de ma capacité réelle à changer contredisaient mes pensées. Je savais comment agir, mais n'y parvenais pas. nathalie a eu beaucoup de patience, et je ne suis pas sûr qu'elle ait été récompensée à la hauteur de ce qu'elle pouvait espérer...

J'ai fait au mieux de ce qui m'était possible, mais je m'en suis voulu souvent, en constatant mon incapacité à faire ce que je me croyais capable de vivre. Mes actes trahissaient ma volonté, mes silences trahissaient mes pensées, mes retenues trahissaient mes désirs. Je n'ai pas assez osé...
Je n'ai pas assez vécu intensément avec nathalie.

Tout était en moi pourtant, je savais ce que j'avais envie de vivre, mais une part de moi m'en empêchait. Cette part enfantine, ce petit garçon qui n'ose pas, qui a peur. Peur de déplaire, de se faire gronder, de mal faire...

J'en veux à cette part de moi, trop fragile, trop timide. Et pourtant, je dois bien l'accepter telle quelle. J'espère au moins que cette expérience de vie m'aura été utile pour intégrer cette prise de conscience.

Mais ne soyons pas pessimiste: j'ai quand même réussi beaucoup de choses qui m'auraient parues irréalisables quelques années plus tôt. Je suis fier de mes avancées, fier d'avoir pu vivre une si belle histoire, heureux de tout ce que j'ai partagé avec nathalie, découvert de moi, et même de mon couple. Certes "ça aurait pu être mieux", mais la réalité de ce que je suis imposait ses limites. Il est certain que je n'ai jamais eu aucun regret.


Sauf que... le seul regret que je peux avoir (mais en est-ce vraiment un ?), c'est d'avoir eu accès à une certaine lucidité sur moi même, et sur certaines choses de la vie. Maintenant, que je sais ces choses possibles alors que je n'en soupçonnais que l'existence, ma vie à venir va devoir en tenir compte. Et ce journal devrait m'aider à faire ressortir tout ça.
Ma psy m'avait dit un jour: «vous devez choisir entre l'enfant et l'adulte». Depuis des mois l'adulte essayait d'avancer, mais l'enfant intérieur le freinait. Il fallait du temps. Davantage de temps. Le sentiment d'urgence, la crainte que tout doive cesser un jour, me faisaient pousser les machines au maximum. Trop d'énergie consacrée à faire cohabiter deux relations qu'une certaine réalité rendait inconciliables.

Désormais, j'ai le temps...
Sans nathalie je vais reprendre mon chemin exploratoire, et je verrai où il me mène. Peut-être vers celui que j'avais suivi avec elle, et qui m'attire toujours autant. Peut-être vers quelque chose de plus calme, qui évite de trop bousculer mes fragilités... Wait and see...




[Etendus côte à côte dans son canapé, dans la jungle de son salon, écoutant de la musique...]






Désir et peur




Mercredi 15 septembre


Ah, c'est ma journée "évaluation de la relation de couple" [je m'efforce de suivre mes engagements...].

Lundi, rendez-vous chez la thérapeute de couple, que nous avions déjà vue deux fois euh... je sais plus quand. Au printemps peut-être? [c'est tout juste si je sais en quelle saison nous sommes en ce moment...].

Nous y sommes allés bras dessus, bras dessous [façon de parler...], plutôt en forme. Un peu en avance, nous avons déambulé dans les rues sous un magnifique soleil matinal. Un parfum de vacances régnait encore. Bon... le fait de revenir pour la première fois dans cette ville depuis que je l'avais faite visiter à nathalie m'a fait un drôle d'effet. Je repassais aux même endroits, au bras de mon épouse... Pfff, ça faisait mal de penser à nathalie [la blessure de l'absence]. Nous sommes même allés juste à coté d'une fontaine avec un grand jet d'eau, sur une des places principales. Précisément au même endroit qu'avec nathalie... Comment voulez-vous que je l'oublie? [d'ailleurs, je n'ai absolument aucune intention de l'oublier]. Dans une rue piétonne Charlotte m'a montré, sur un présentoir, une carte postale où il était question de «distance» et de «pensées». Vous savez, ce genre de belles phrases sur une jolie photo. Schploufff, les larmes, comme ça, en pleine rue. Ah j'avais l'air malin à pleurer comme un veau...

Boooon , mais je parle de mon couple là, n'est-ce pas? Allons, un peu de rigueur que diable!
Donc, la séance psy:

Elle nous a demandé ce que nous désirions en venant la voir. Pour Charlotte, redémarrer notre couple. Pour moi, voir sous quelle forme il peut exister [amour ou amitié]. La psy n'a pas semblé relever la nuance...
Par quelques questions elle a tenté de cerner notre problème (je trouve qu'elle cherche un peu à nous faire rentrer dans des cases préétablies...). Et toujours avec sa tendance féministe et ses petits sourires entendus quand elle parle "des hommes" sur le ton du cliché. Bon, mais je suis patient et j'attends encore avant de me faire une opinion sur son impartialité. Je lui ai quand même fait une petite remarque à ce sujet.

Charlotte a énoncé ses griefs: elle a souvent eu l'impression que je ne faisais pas beaucoup d'efforts pour elle, que je n'étais pas attentif à ses désirs. C'est en partie vrai: je ne réponds pas forcément à ses désirs, mais je crois y être attentif. Ce point là me semble a approfondir.
A l'évidence Charlotte a fait bien davantage matériellement pour moi... sans que cet aspect soit celui dont j'avais le plus besoin.

J'ai alors parlé de mon problème actuel, déjà évoqué auparavant avec Charlotte: si je me suis ouvert hors du couple, c'est parce qu'il me manquait quelque chose (ce manque expliquant probablement ma difficulté à répondre à ses désirs, et réciproquement). Or ma relation parallèle m'a apporté cette part manquante [et bien plus...], mais maintenant qu'elle n'est plus possible, le manque est de nouveau là. Encore plus visible, mieux cerné, béant. 
Il était difficile d'être très précis en présence de Charlotte, je voulais éviter de la blesser, mais nous étions là pour aller au fond des choses. J'ai donc parlé de ce manque de désir sexuel depuis que nous nous sommes "retrouvés". Et puisqu'il fallait aller plus loin, j'ai aussi parlé de la perte du sentiment amoureux. Rien de nouveau, sauf que ma perception s'est précisée et renforcée.

Ce qui m'étonne... c'est que la psy n'a pas vraiment cherché à aller plus loin, alors que ça me semble quand même hyper important pour l'avenir de notre couple. Que je dise que j'ai un rapport d'amitié, de très fort attachement, mais plus vraiment amoureux... je crois qu'il y a des fils à tirer là. Faut démêler tout ça! C'est pas rien quand même.

Pourquoi moi je ne suis pas allé plus loin? Pourquoi j'ai pas dit à la psy que c'était vachement important? Bonnes questions... Ben... parce que j'ai peur de creuser. J'ai peur des conséquences. Peur que cela implique à terme une séparation. Ben oui, j'ai la frousse! Peur des réactions de Charlotte, peur de me retrouver seul (elle a d'ailleurs la même peur).
Bon, vous qui me lisez depuis longtemps vous le savez tout ça. Mais pour moi il est important que ça commence à sortir "en vrai", avec des mots dits en face à face. C'est pas facile d'en parler très franchement parce que je vois bien que ça inquiète beaucoup Charlotte. Mais puisque nous avons décidé de tout nous dire désormais, et bien... je tourne moins longtemps autour du pot. Je pose des mots précis, sans les relier directement. Je les apprivoise, les montre, mais sans les associer tous ensemble. Pas de précipitation, je connais le pouvoir des mots...
En fait, j'essaie de me protéger des conséquences d'une tempête. Je pense préférable de la contourner, même si ce sera plus long de parvenir à destination. C'est ma façon de naviguer. Je suis un marin au coeur fragile, qui résiste mal aux déferlantes.



Donc c'est ça mon gros problème: manque de désir amoureux, et absence de désir sexuel. Ce dernier étant un symptôme récent, mais ressenti depuis bien longtemps sans que je n'ose le penser. Avouez que c'est un peu bizarre comme situation conjugale (même si ça semble assez fréquent...).

A l'évidence cela est apparu par le jeu des différences: mon désir envers nathalie est [je laisse au présent!] une réalité que je ressens indubitablement. Mon état amoureux est une évidence, mon attirance intellectuelle aussi, et bien évidemment le désir physique est indéniable. Un désir que je ne me souviens plus avoir ressenti vis à vis de Charlotte depuis nos premiers émois amoureux. C'est si loin...

Et je ne parle pas du principal: la découverte du plaisir [ouais, ça j'ai quand même pas osé le dire à la psy devant Charlotte...]. Pas le simple plaisir sexuel d'une étreinte, mais celui de l'alliance des sens, des esprits, de sentiments dans un même élan de désir. Maintenant je sais que ça existe, et j'ai envie de retrouver le déferlement d'émotions que j'ai pu ressentir... si rarement.

Question que je me pose: est-ce que cet état est dû à l'état amoureux ou bien à une réelle alchimie des esprits et des corps? Ephémère ou durable? Evidemment la réponse ne peut être connue que par l'expérience vécue au fil du temps...
Je ne peux pourtant que constater que le... désir de vivre ça avec Charlotte n'est pas là. Je.. hum... il y a même un certain coté... oups... répulsion. Euh... je dis les choses comme je les ressens, hein. Même si c'est pas du tout "gentil".

A ce sujet, je me permets une petite digression anecdotique: Charlotte souhaitait s'acheter de la lingerie pendant que nous étions en ville. Je me suis senti un peu mal à l'aise et lui en ai fait part: en ce moment tout ce qui concerne la séduction est très embrouillé en moi, alors je la laisserais choisir sans m'impliquer. Puis bon... elle hésitait, et je sentais bien qu'elle avait besoin de mon avis. Je sais bien que c'est moi qu'elle veut séduire... Alors je lui ai montré un peu ce que je préférais, parmi ce qui lui plaisait.

Je... j'ai toujours eu des difficultés à me pencher sur ce genre choses avec elle. Parce que quoi que puisse porter Charlotte comme sous-vêtements... ben ça ne me séduisait pas vraiment. Grave, non? Et comment lui dire sans être cruellement blessant? Sans atteindre quelque chose de fragile dans son identité de femme? Être hypocrite et lui dire que ça me plaît? Boaf...
Auparavant, je croyais que c'était dû à un blocage dans ma tête vis à vis de la séduction et de la sexualité. Mouais... il semble bien que non. Il y a certes une question de physionomie, mais aussi de désir amoureux.. Ou bien d'alliance des deux, je ne sais pas...
Parce que si nathalie m'avait demandé de choisir avec elle quelque chose, j'aurais sans doute été un peu intimidé de jouer dans la cour de la séduction et du désir, mais j'aurais eu grand plaisir à l'imaginer dans... n'importe quel vêtement! Autrement dit (mais on s'en doutait), l'emballage ne change pas grand chose à la marchandise [rhooo, qu'est-ce que je suis trivial!]. Il y a quelque chose en chacun de nous qui fait que certaines silhouettes, certains visages, certains regards, ont un effet incontrôlable sur le désir. Certaines beautés féminines me laissent froid, d'autres visages moins parfaits m'illuminent. C'est comme ça, et la volonté n'y peut rien.
Et si Charlotte me séduit toujours par son visage, autrefois par son regard, il y a longtemps que ce n'est plus le cas par sa silhouette. Les années passant, trois maternités et vingt-cinq kilos plus tard, c'est même devenu problématique. Mais je sais aussi que des hommes disent ressentir davantage de désir pour une femme parfois moins "belle" que la leur. Le désir est assez mystérieux...
Je crois surtout que le désir est déjà "dans la tête", si l'amour est là. Et il m'est difficile (culpabilité) de voir Charlotte maintenant faire des efforts pour me séduire en vain.

Bref, tout ça pour dire qu'avec nathalie je ressens un désir et des sentiments qui n'existent plus avec Charlotte. C'est peut-être triste, mais c'est une réalité.

[Pourquoi es-tu resté, alors?]

Parce que le désir n'est pas tout dans la vie, et qu'on ne peut pas se laisser guider par ça. Ni par les sentiments. Et puis je me dis que, peut-être, ça peut revenir... que je dois bien tenter le coup, m'en donner les moyens...

[Tu parles avec ta raison, là, pas avec tes émotions...]



Ça c'est le truc important que m'a dit la psy, aiguillée par Charlotte: je dois davantage exprimer mes émotions. Charlotte trouve que j'ai un discours trop théorique, intellectuel, coupé du coeur. Elle ne me suit pas là dedans, alors qu'elle aime quand je parle avec mes émotions. Elle préfère savoir que j'ai peur, ou, comme hier soir, que je lui avoue être très mal depuis que c'est fini [j'ai tendance à l'oublier à l'heure ou j'écris...] avec nathalie.

Il y a certainement du vrai là dedans: je me coupe de mes émotions [bon, dans ce journal j'essaie quand même de les faire sortir de moi, au milieu de mes explications sans fin...]. nathalie me disait aussi que je tournais autour du pot quand j'avais quelque chose de délicat à dire. Je sais bien qu'il y a à creuser dans cette direction.


Peurs, émotions retenues, fragilité enfantine... je sais que tout est lié.
Sexualité, désir, confiance en soi... là encore c'est lié.
Expression des émotions, expression du désir, expression de l'amour...

C'est autour de ça que je dois travailler. D'ailleurs, j'ai pris rendez-vous chez ma psy, pour reprendre ma thérapie. Il me faut maintenant descendre plus en profondeur qu'auparavant. Il y a beaucoup de choses à sortir.

Savoir vraiment ce que je veux au fond de moi, et comprendre l'origine des peurs qui m'ont contraint à interrompre ce chemin qui m'attire tant.




[Belle nuit étoilée ce soir, comme lorsque nous regardions les étoiles filantes, cet été...]





La chance de la peur




Jeudi 16 septembre


J'ai repensé au mot "répulsion", quand même très fort, que j'ai employé au sujet du désir envers Charlotte. Ça m'a travaillé...
Comment peut-on ressentir de la répulsion, même partielle, envers quelqu'un pour qui on ressent un fort attachement?

Je crois avoir trouvé: ce que je ne peux plus partager avec Charlotte est exactement la part dont le renoncement à ma relation avec nathalie me prive. C'est à dire le côté le plus intime d'une relation amoureuse: l'alliance des sentiments et du désir. C'est comme si je ne pouvais plus avoir cette part amoureuse envers Charlotte, parce que mon coeur est pris par une autre. Ce qui me manquait, que j'ai "investi" avec nathalie, n'est plus disponible. Ou ne peut plus l'être parce que je ne l'ai plus avec nathalie. Car je crois que je n'aurais pas ressenti ce blocage si j'avais pu poursuivre ma relation parallèle...

Est-ce une "vengeance" de l'inconscient? Quelque chose du genre: «puisque tu ne m'as pas laissé libre de vivre mes désirs, alors personne d'autre ne l'aura»... je ne sais pas.
Ou bien est-ce simplement que j'ai construit quelques chose avec nathalie et que maintenant que tout est arrêté, je n'ai plus envie de le construire avec quelqu'un d'autre? Ou encore que j'ai compris que le désir n'existait plus depuis longtemps, et que c'est un peu "par habitude" que j'avais auparavant une relation d'intimité avec Charlotte?

Ce qui est certain, c'est que cette relation suspendue, hibernée, achevée,[naaaan!] a, pour le moment, totalement envahi mes pensée, mes désirs, mes émotions. Ma vie quoi... Je ne pense qu'à ça, je ne réfléchis qu'en fonction de ça, pense à mon avenir qu'avec ça quelque part. C'est peut-être très con, mais c'est comme ça. Et même si j'en souffre, je n'ai pour le moment pas envie de me sortir de ça. Oui, je sais que, comme dirait un psy, je "choisis" de souffrir. Après tout, je pourrai tourner la page...
Ce n'est pas la souffrance qui est un choix, c'est celui de penser à nathalie. Le choix de ne rien oublier. Penser à ce que je vivais avec elle et à tous ces possibles... qui deviendraient impossibles. Je crois que c'est ça le plus terrible: perdre ce désir de vivre quelque chose avec elle. Renoncer à ce chemin de découverte. Ce que nous avions patiemment construit depuis des années me donnait un très grand espoir d'épanouissement... à deux. Je crois que c'est ce qui m'aura donné l'énergie nécessaire pour affronter les difficultés à le vivre. C'était dur, il y avait même de la souffrance parce que je ne savais pas aimer librement, spontanément, en confiance, mais ça vallait vraiment la peine de se battre pour vaincre ces résistances au bonheur. Tout cela n'était qu'une question de peurs à affronter, pour s'approcher de la liberté d'être soi.

Je n'ai pas pu aller au bout, précisément à cause de certaines peurs, et j'ai perdu ma liberté de rêver. Souvent je me dis que j'ai peut-être fait une monumentale connerie en "renonçant" si ça devait devenir définitif, et que c'est le genre de choses qu'on peut regretter toute une vie. Et c'est ça qui est le plus difficile à vivre en ce moment. La tentation de dire à Charlotte «je veux vivre libre» est bien là. Souvent...

Je ne parviens pas à faire comme si nathalie n'était plus dans le paysage. Je ne parviens pas à faire le deuil de notre relation. Je ne peux qu'accepter d'entrer dans un long silence. Parce que je me garde une petite lueur d'espoir au loin, je peux tenir. Ce n'est pas tant le manque de nathalie qui m'est insupportable que l'absence de perspective pour la retrouver. Ne pas savoir si, un jour, on pourra poursuivre. Si je perds cet espoir, maintenant, je coule.

Hier, pour une raison bien précise liée à ça, j'allais mieux. J'avais retrouvé de l'entrain, parce que la lueur d'espoir lointain avait eu un éclat un peu plus vif. Et puis au fil de la journée je me suis rendu compte comme tout cela serait loin, de toutes façons. Alors j'ai de nouveau sombré.

Car même si je parle de "deuil", à l'évidence c'est bien différent. Rien n'est "mort" dans cette relation. Au contraire, elle est bien vivante. Je ne peux pas faire le deuil de quelque chose qui peut, et veut vivre. Pas question de se résigner devant la réalité d'une abscence définitive: cette absence est un choix, pas une réalité. Seule la distance demeure une réalité.


Ce qui ne transparait pas dans ce journal, ce sont ces moments de total abattement, de désespoir, de rage, qui me donnent envie de tout quitter. Ces crises de larmes, ce déchirement intérieur, cette incapacité à savoir comment agir et retrouver l'envie de vivre. Je suis une épave, je ne fais plus rien, incapable de me concentrer. Je commence quinze choses à la recherche d'une qui me motiverait, mais j'abandonne tout. Voila, c'est ça: je n'ai plus goût à la vie.

Pas de tendance suicidaire, mais un immense vide qui envahit tout. Je sais que c'est absurde de ne voir que ce qui manque alors que je devrais regarder ce que j'ai: tout, ou presque, pour être heureux.

Je suis pathétique à faire état de cette déchéance morale...
Mais au moins, pendant que j'écris, je ne pense pas.


Il faudrait que je lutte contre cette tendance à garder un lien avec nathalie. Ne plus regarder de photos. Ne pas céder à la tentation de relire d'anciens messages trouvés dans mes affaires.

Il faudrait même que je me coupe d'internet. De ce journal qui me permet de garder un lien indirect. Rendre à cette relation toute la "virtualité" qui est la sienne à cause de cette incroyable distance. Tout comme la webcam et la fenêtre de tchat sont éteints depuis plus d'un mois, il me faudrait éteindre ce journal. Me couper du monde du diarisme, avec ces liens qui pointent vers le journal de nathalie sur nombre de journaux que je lis.

Après tout, lorsque j'étais avec elle, internet ne pas absolument pas manqué...


Oui, c'est ce qu'il faudrait que je fasse si je voulais vraiment oublier nathalie.
C'est pour ça que je ne le ferai pas...










Je ne le ferai pas parce que quelque chose résiste en moi. Je me dis que la chance de ma vie est peut-être là. Non pas en nathalie, mais en moi. Ma chance, ce serait d'oser affronter ce qui me fait le plus peur. Ma chance est d'avoir cette peur là, devant moi, et seule ma volonté, ma foi en moi, qui peuvent me permettre de la dépasser.

Ai-je foi en moi? Ai-je confiance en moi? Suis-je capable de prendre ma vie en main, seul? Ai-je le désir de me sentir libre de vivre ma vie? Que suis-je prêt à perdre pour acquérir cette liberté?

N'ai-je pas la chance inouïe de me savoir accompagné dans cette démarche d'émancipation? Si je suis bien seul à pouvoir faire le grand saut, je ne suis pas seul sur le stade. Il y a du monde pour m'encourager. Il y a du monde qui croit en moi, à commencer par nathalie, et même Charlotte. Et peut-être que même moi je commence à croire en moi...

La peur est là, oui, c'est certain, mais je sens en moi cette force qui résiste et qui veut affronter cette peur. Je ne veux pas me laisser dominer par ma peur. Je ne serai pas libre tant que j'aurai peur.

J'ai souvent dit que je n'avais pas à choisir entre Charlotte et nathalie, mais entre Charlotte et moi. Entre son bien-être et le mien. C'est un paradoxe amoureux qui veut que l'on souhaite que l'autre soit heureux en lui laissant sa liberté. Je peux laisser toute liberté à Charlotte de choisir la vie qu'elle se souhaite... avec ou sans moi. Mais je ne peux pas renoncer à moi pour elle.

Car cette tristesse qui m'envahit est autant due au manque de nathalie qu'à la perte des possibilités de vivre quelque chose avec elle. Cette relation vivante, désirante, surprenante, originale, attentive. Cette complicité de pensée [quand mes peurs ne la compliquaient pas...], cette volonté de surmonter les difficultés, cet anticonformisme.... Alors je peux bien me passer de contacts avec elle, si nécessaire, mais ne peux imaginer de ne plus en avoir.



Rien que l'idée d'oser affronter mes peurs me redonne du courage et remonte mon moral. Je ne m'aime pas en fataliste, en déprimé, en froussard qui renonce. Il en va de l'estime de moi de sortir vainqueur de cette epreuve, quelle qu'en soit l'issue.

J'ai envie d'être fier de moi.




[Nos échanges passionnés et curieux sur notre façon de vivre l'amour, il y a trois ans...]





Ne rien se promettre




Vendredi 17 septembre


Orly


Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu'eux deux
La pluie les a soudés
Semble-t-il l'un à l'autre
Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu'eux deux
Et je les sais qui parlent
Il doit lui dire : je t'aime
Elle doit lui dire : je t'aime
Je crois qu'ils sont en train
De ne rien se promettre
C'est deux-là sont trop maigres
Pour être malhonnêtes

Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu'eux deux
Et brusquement ils pleurent
Ils pleurent à gros bouillons
Tout entourés qu'ils sont
D'adipeux en sueur
Et de bouffeurs d'espoir
Qui les montrent du nez
Mais ces deux déchirés
Superbes de chagrin
Abandonnent aux chiens
L'exploit de les juger

Mais la vie ne fait pas de cadeau !
Et nom de dieu !
C'est triste Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud

Et maintenant ils pleurent
Je veux dire tous les deux
Tout à l'heure c'était lui
Lorsque je disais il
Tout encastrés qu'ils sont
Ils n'entendent plus rien
Que les sanglots de l'autre
Et puis infiniment
Comme deux corps qui prient
Infiniment lentement ces deux corps
Se séparent et en se séparant
Ces deux corps se déchirent
Et je vous jure qu'ils crient
Et puis ils se reprennent
Redeviennent un seul
Redeviennent le feu
Et puis se redéchirent
Se tiennent par les yeux
Et puis en reculant
Comme la mer se retire
Ils consomment l'adieu
Ils bavent quelques mots
Agitent une vague main
Et brusquement ils fuient
Fuient sans se retourner
Et puis il disparaît
Bouffé par l'escalier

La vie ne fait pas de cadeau !
Et nom de dieu !
C'est triste Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud

Et puis il disparaît
Bouffé par l'escalier
Et elle elle reste là
Cœur en croix bouche ouverte
Sans un cri sans un mot
Elle connaît sa mort
Elle vient de la croiser
Voilà qu'elle se retourne
Et se retourne encore
Ses bras vont jusqu'à terre
Ça y est elle a mille ans
La porte est refermée
La voilà sans lumière
Elle tourne sur elle-même
Et déjà elle sait
Qu'elle tournera toujours
Elle a perdu des hommes
Mais là elle perd l'amour
L'amour le lui a dit
Revoilà l'inutile
Elle vivra ses projets
Qui ne feront qu'attendre
La revoilà fragile
Avant que d'être à vendre
Je suis là je le suis
Je n'ose rien pour elle
Que la foule grignote
Comme un quelconque fruit

Jacques Brel

[un immense merci pour ce texte, C.]




[Notre dernier regard, dans l'instant d'un sourire sans larmes, il était beau...]






Trancher





Samedi 18 septembre


Lu au hasard de mes pérégrinations diaristiques: «Je passais en revue les diaristes que je lis, enfin je triche souvent, je lis en diagonale, surtout ceux qui sont écorchés et torturés, ceux de qui je ne sais rien, à part du gros boulet qu'ils portent dans la tête ou dans le coeur. Je préfère prendre des nouvelles de leurs chats, de leurs plantes, plus que de leurs névroses (...) Non, je ne veux pas assister au spectacle d'un seul qui tourne en rond, ou d'une seule qui piétine. Il me semble que je m'abaisserai ainsi à regarder des films de série B, par flemme, et pire encore, par habitude».

Je crois en effet qu'en lisant des journaux personnels, dits intimes, il y a un risque non négligeable d'avoir une vision de l'intimité de l'auteur. Et l'intime, c'est pas forcément du bonheur. Parfois ça fait mal et ça devient prépondérant dans une vie. Oui, parfois on tourne en rond, perdu, ne sachant plus où aller.

Ailleurs on me dit: «Décide-toi», «tranche», «choisis», «définitivement». Faut que ça saigne! Qu'il semble donc insupportable le temps de la décision... Décider, n'importe quoi, mais décider. L'important c'est la prise de décision, et tant pis si je me trompe. Pardi, vu de loin ça paraît si simple!

Oui, ça fait souffrir de ne pas savoir. Oui, amputer fait mal un bon coup et après on peut passer à autre chose. Oui, oui, oui...

Mais moi je sais pas trancher. Ou j'ai pas le courage. Peut-être que je n'aime pas assez, ou trop, ou mal. Je ne suis pas un boucher, je m'efforce de faire de la chirurgie. Si je tranche, ça va saigner de partout, faire une hémorragie. J'ai trop peur de faire mal et de mal faire. J'ai jamais appris, j'ai jamais eu à le faire. Et surtout je risque de me tromper...

Oui, je sais, en attendant la douleur est là et je ne l'abrège pas, désemparé devant elle. Et la vie se fige. Ce n'est pas la douleur que je vois, mais la mort de ce qu'il faut amputer. Cet avenir à tuer. J'ai déjà bien des difficultés à imaginer le mien, alors je ne me sens pas le droit de décider pour celles que j'aime.

Serait-ce un geste d'amour que de couper tout espoir avec un «c'est définitivement fini»?
Cette "libération" du lien serait-elle un ultime cadeau ou une trahison? Si je savais, et si j'étais persuadé que c'est indispensable, alors je trancherai. Mais je ne sais pas...

Peut-être parce que je n'ai pas envie de ne plus aimer?


Trancher, décider...
Depuis que je raconte ce que je vis, ici ou ailleurs, j'ai eu des dizaines de témoignages d'amours parallèles impossibles. Avec de la souffrance avant, beaucoup de temps pour décider, et une autre souffrance après. Durant des années parfois. Il y a une délivrance en décidant, certes, mais souvent avec de l'amertume. Une blessure secrète.

J'ai eu toutes la variations possibles, entre celui ou celle qui renonce à son conjoint, ou bien à son autre amour. Parfois avec des regrets durables, parfois sans aucun regrets. Dévinitivement, ou bien avec des accomodements. Il n'y a pas de règle en la matière, chaque histoire est singulière. Mais moi, ce que je ne veux surtout pas, ce sont les remords et le ressenti d'une trahison.

Alors j'ai envie de dire... si ça vous fait mal, si ça réveille en vous vos propres peurs ou fragilités, ne regardez pas.




[Un avion haut dans le ciel, et je pense à nos voyages l'un vers l'autre...]





Tête en l'air




Lundi 20 septembre


Ce dimanche nous avions prévu de faire une marche en montagne, avec les enfants. D'après nos souvenirs, cela faisait deux ans que cela ne s'était pas produit, depuis nos vacances dans les Dolomites, au nord de l'Italie.

Le paysage était superbe, la pluie ayant fait reverdir les prairies. Les colchiques annonciateurs de l'automne étaient nombreux. En moins de deux heures nous étions au sommet modeste que nous convoitions, après quelques passages rocheux abrupts susceptibles de donner le vertige. Nous avons longuement admiré le panorama et je n'ai pu résister à la tentation de nommer un a un les sommets proches ou les massifs éloignés, tradition demandée par les enfants.

Le retour s'est fait en dévalant des éboulis, puis en coupant à travers la forêt avec quelques haltes pour cueillir les champignons que nous connaissions dans la profusion de formes et de couleurs qui parsemait la couche d'humus.

Agréable promenade, donc, avec de bons moments de rigolade. Tout allait bien...

Sauf que j'étais plutôt silencieux, ne répondant qu'aux sollicitations, heureusement nombreuses, de la part des enfants. Cette bande de compères s'entend bien pour nous taquiner, Charlotte et moi, ou pour raconter des "bêtises".

Tout en étant bien présent avec eux, m'efforçant de profiter pleinement du cadre montagnard, je ne parvenais pas à détacher durablement mes pensées. Comme tous les jours une infinité de fragments de vie me reliaient inlassablement à nathalie. Je pensais à tout ce que j'aurais voulu lui montrer de ma belle région, ce que j'aurais souhaité faire avec elle, et puis à tout ce que je ne pourrai plus faire, ni dire, ni toucher, ni vivre...

Rien à faire, elle est en moi, et y reste.

Je crains que mon apathie commence à peser sur mon entourage. Charlotte est venue chez moi pour me parler, le soir. Elle sentait bien cet air absent dont elle connaît les raisons. Alors elle m'a proposé de sortir tout ça de moi. J'ai un peu résisté, lui expliquant que je m'efforcais de ne pas lui parler de ce qui ne concerne que moi et peut la blesser inutilement. Elle a insisté, et je lui ai fait part des préoccupations principales qui absorbaient mes pensées.

J'aurais pas dû... Elle n'a pas la capacité d'entendre ce que je ressens, mes questionnements, mes doutes, mes hésitations. C'est trop lourd pour elle, je dois garder ça en moi. Le résultat c'est qu'elle s'est dévalorisée, remise en question parce qu'elle sent bien que je ne retrouve pas vraiment goût à la vie...

Et moi je m'interroge: combien de temps va t-il me falloir?




[Nous deux, au bord (pas trop près!) de cette impressionnante falaise qui dominait la vallée...]






Les mots des autres




Mardi 21 septembre


Je ne cherche même plus à décrire le flux et reflux de mes pensées contradictoires. Ça ne sert à rien puisqu'entre espoir et tristesse ça change tout le temps. J'avais commencé, puis en voyant que j'écrivais encore des pages pour relater la vanité de mes tergiversations, j'ai arrêté. A quoi bon?

Alors je laisse la parole à d'autres...



La solidarité [humour noir...] entre diaristes:

«Je renonce à une tendresse rieuse, à une peau blanche, un corps joyeux, à un sourire copain avec la quadrichromie. Je perd quelqu'un qui se préoccupait de ma gueule, d'une manière qui me faisait du bien. Dire que j'en ai besoin, c'est un euphémisme. Ce qu'elle me donnait, c'était de l'amour.»

Narcissite du chat fou 06/09/04




La sagesse:

Il n'y a qu'une route vers le bonheur c'est de renoncer aux choses qui ne dépendent pas de notre volonté

Epictète




Son corollaire:

«La Liberté, ce n'est pas de pouvoir ce que l'on veut, mais de vouloir ce que l'on peut».

Jean-Paul Sartre




L'interrogation pertinente:

«Je me demande si dans certains cas rester dans les limites du raisonnable n'est pas le poison le plus subtil qui soit pour asphyxier les êtres.»

Sans prétention 20/09/2004




Le couteau remué dans la plaie:

«Ce qui est le pire, au fond, ce n'est pas de renoncer à un être. On finit toujours par trouver des raisons. C'est de renoncer à ce qu'il représente dans une vie».

Hélène Ouvrard, dans "'L'herbe et le varech"




A méditer longuement:

«Celui qui vit dans la crainte ne sera jamais libre».

Horace




[Sa précision dans le choix des mots, afin d'éviter tout négativisme...]





Continuer à chercher





Mercredi 22 septembre


Ça ne va pas du tout !
Je ne parle pas là de mon moral, mais de la situation. Quoique c'est justement parce qu'il ne va pas du tout que la situation ne peut plus durer. En fait c'est bien simple: je ne vis plus, je survis. Je ne suis que questionnement et doutes, hésitations sans fin, peurs contraires et élans retenus. C'est pas possible de continuer comme ça, il faut que quelque chose change.

Mais quoi ?

J'essaie, avec Charlotte, de retrouver un esprit de couple, une dynamique commune, mais ça ne fonctionne que partiellement. Oh, ça tient bien quelques jours, durant lesquels nous nous entendons très bien, mais inévitablement finissent par réapparaître des divergences que j'estime profondes. Pas grand chose en fait, juste un mode de fonctionnement différent. Et surtout... surtout... une volonté différente d'aller au devant de nos peurs et limites.

C'est dèjà difficile pour moi d'affronter mes peurs, mais il semble que ce le soit encore davantage pour Charlotte. Et nos peurs mutuelles s'entretiennent, se dynamisent et se renforcent. Toute cette démarche trèèèèès lente de prise d'autonomie, qui se prépare depuis des années et que je relate dans ce journal, reste dans les intentions. Je formule les choses, mais ne parviens que doucement à les faire évoluer. Je ne trouve pas chez Charlotte cette compagne avec qui je pourrais cheminer. Trop souvent, par ses propres peurs sollicitées, elle casse mes élans, me ramène à la "réalité" (sa réalité, une certaine réalité...) à coup de «c'est comme ça, on ne peut rien y changer». Un fatalisme qui souvent casse mon idéalisme. Or je suis idéaliste, et moi seul peut prendre conscience de la réalité de mes limites. Je ne dois pas laisser qui que ce soit casser mes rêves au non de ses limites.

Alors, même si j'ai par ailleurs beaucoup de complicités avec elle, ce point essentiel de non-concordance devient majeur. Trop souvent, vraiment trop, je me sens étouffer avec elle, manquer d'air et d'espace. J'ai envie de sentir le vent du large, quitter les eaux calmes du port. Je suis comme un marin qui n'oserait pas partir à l'aventure parce que sa coéquipière ne peut le suivre. En fait je suis plutôt un enfant qui, ayant peur de quitter sa mère, ne parvient pas à s'épanouir seul. Un enfant qui essaie de correspondre aux désirs de sa mère parce qu'il a peur qu'elle ne lui retire l'amour dont il a besoin.

En ce moment je mesure bien cette trinité du lien construit avec Charlotte: l'amie, la mère, l'amour (amante). Tout ce qui me relie à l'amie reste très fort, et n'a jamais fluctué. Ce qui me relie à la mère devient de plus en plus insupportable. Je me déteste en "petit garçon" qui n'ose pas s'affirmer, qui reste dépendant et craintif vis à vis de cette figure maternelle. Je ne veux plus de ça. Malheureusement c'est là dessus que se focalisent toutes mes difficultés. Evidemment...
Les premiers mots de Charlotte, à chaque fois qu'elle a compris que je pourrais m'émanciper d'elle, auront été: «Si tu continues je te quitte» (sentiment d'abandon), «je n'aurais pas assez d'argent pour la famille» (privation de nourriture), «on divorcera» (menace de perdre le foyer). Tout cela joue sur mes peurs profondes et réveille le petit enfant que je suis toujours sous mes 43 ans. Alors oui, ces peurs me dominent encore fortemement, et me retiennent "prisonnier". Je sais bien que c'est moi qui n'ose pas... Je sais aussi que les réactions de Charlotte correspondent à des peurs inverses. Et elle même se sent "responsable" de moi financièrement, donc aussi "prisonnière".

En fait, je crois que le principal frein pour moi, actuellement, c'est l'argent. Et toute une philosophie de vie qui va avec [ou plutôt sans...]. Si j'étais capable d'assumer ma part dans les revenus du foyer, je crois que j'agirais autrement. Là, je me sens étranglé, d'autant plus que mon activité est en difficulté en ce moment. Et puis tout est tellement lié entre ma profession et notre lieu de vie. C'est près de quinze ans d'investissements en passion, travail, liberté acquise... et argent, qui sont ainsi mis dans la balance. Mais je me rends compte que ça commence à peser bien trop lourd dans notre relation. La peur de tout perdre, et peut-être surtout ma liberté de travailleur indépendant, faussent les données quant à mon évaluation de la relation de couple. La liberté à laquelle je tiens professionnellement limite fortement ma liberté à vivre selon mes aspirations. Il faut peut-être que je choisisse la liberté à laquelle je tiens le plus [oh nooooon, pas encore un choix cornélien, pitiééé !!!].


Indirectement, c'est donc mon choix déjà ancien de vivre [chichement] d'une passion, de façon autonome, qui entrave ma prise d'autonomie affective actuelle.

Et ce qui coince, c'est que cette figure maternelle que je place en Charlotte (affection, nourriture, confort...) lui donne un pouvoir castrateur de par sa possessivité (exclusivité). Ce qui contrarie très fortement mon attirance vers ce qui restait d'amour-amoureux. Seule la part "amie" reste librement consentie de ma part. Quant à la part "amante"... sans élans amoureux, ça reste quelque chose d'essentiellement physique, que je préfère éviter.

Je n'accable évidemment pas Charlotte en exprimant ce que je ressens, et je sais très bien que de son côté la perception est toute autre, avec des ressentis qui lui son propres en fonction de ses peurs et fragilités. Mais le constat est là: je ne parviens pas à me "rapprocher" d'elle dans la dimension amoureuse.
Et ce qui n'arrange rien c'est que le sujet étant délicat, il y est difficile de l'aborder sans raviver les tensions.


Souvent je me demande ce qu'il en serait si ma relation avec nathalie était définitivement et irrémédiablement coupée (hypothèse difficilement imaginable actuellement tant elle me plongerait dans un état de tristesse sans fond). Il me semble que, une fois le plus fort de ma peine passée, je me... résignerais à retrouver une relation la plus agréable possible. Ma "vie d'avant" comme le dit nathalie. Oui, cette vie d'avant avec tout ce que j'aime... mais aussi ces insatisfactions profondes qui m'ont mené hors du couple. Certes, les bénéfices de cette crise de couple et de mon ouverture avec nathalie sont certains et il y aurait une amélioration.
Cependant... est-ce que ce mode relationnel me convient, amoureusement parlant? Est-ce que je me sens motivé, enthousiaste, pour entreprendre de poursuivre mon existence avec cette impression d'éteindre quelque chose de vivant en moi, qui ne commençait qu'à se révéler? Est-ce que j'imagine de finir ma vie dans ces conditions?

Est-ce que je peux imaginer, vraiment, de supprimer cette relation tellement enrichissante, tellement... tellement... unique que je vis [oui, je laisse au présent !!!] avec nathalie?.

Non, quatre fois non!
Alors je continue à chercher...



[En buvant mon café, tout à l'heure, je pensais à elle, mimant le flamand rose...]





Au présent





Vendredi 24 septembre


J'essaie de ne pas me laisser aller, de garder de la force et du courage, mais je ne peux pas cacher la torture que je vis en ce moment. Le silence avec nathalie m'étant imposé, autant de sa part désormais, que de celle Charlotte, je vis un cauchemar éveillé. Lacéré de désirs contradictoires, déchiré entre le respect de mes envies et celui de leur souhait commun, je reconduis jour après jour ma résistance fragile. Car c'est particulièrement insupportable que de ne plus devoir communiquer, ne plus rien savoir de celle que j'aime. Et je coule un peu plus chaque jour qui passe. Quiconque n'a pas vécu ce genre de chose ne pourra en soupçonner la cruauté.

Ooooh, je sais, il se passe des choses infiniment plus horribles dans le monde... Tout cela n'est que subjectif. Les sentiments n'ont que le poids qu'on veut bien leur donner et j'ai bien conscience que c'est moi qui me mets dans cette situation d'intense souffrance en restant dans l'indécision. Il me suffirait [oui, c'est tellement simple dans les mots...] de choisir définitivement une seule de ces deux relations et je serais enfin libre de m'y lancer à fond. Oui, laisser tomber ce rêve, retrouver sagement ma "vie d'avant". 
Tout m'y pousse: la raison, la logique, la distance, la simplicité. Charlotte aussi, évidemment, et même nathalie qui préfère lâcher prise pour ne pas souffrir, visiblement plus réaliste que moi.

Et me taraude, lancinante, cette chanson qu'elle ma laissée [et que je ne devrais plus écouter...], aussi belle et amère qu'un testament prémonitoire.

«Et j'ai le mal d'aimer
Depuis des jours que je ne cesse de compter
Je dois enfin t'oublier
Ne plus y penser
Je dois te laisser tomber
Ne plus rien espérer
...
Je dois enfin t'oublier
Et retrouver ma liberté
Ne plus rien espérer...»

["Tomber", par Lili fatale]



Tout va dans le sens de l'oubli. Je sais, je sais, je sais...
Mais pas mes sentiments, ni mes émotions, ni mes rêves.

Je sais aussi que je ne veux pas cesser de croire a un avenir pour ma relation avec nathalie, aussi lointain soit-il. Je n'y parviens pas. Ça résiste toujours en moi, le deuil ne se fait pas. Alors j'examine les conséquences de ce... choix [car oui, c'en est bien un!] sur ma relation avec Charlotte. Et non pas l'inverse.
Ma relation avec Charlotte j'y tiens, mais pas forcément en intégralité. Pas forcément sous la forme conjugale classique. J'ai l'impression qu'une amitié privilégiée serait peut-être plus conforme à ce qui est. Reste le problème des conséquences matérielles et financières (beuarkkk!), qui n'est quand même pas rien.

Certes, je pourrais aussi envisager de faire évoluer ma relation avec nathalie vers une simple amitié. Mais ça ne fonctionne pas comme ça, sur commande. Il faudrait auparavant laisser s'éteindre les sentiments [c'est mal parti pour ça...], avec le risque de les voir se raviver au premier contact, même s'il devait être dans longtemps. Je crains donc que de ne plus vouloir de sentiments, chose probablement impossible, implique pour elle la fin totale de notre relation. Elle n'a guère été rassurante sur ce point.

Cette fin est, je crois, ce qui m'inquiète le plus. C'est un tort, car je n'ai aucun pouvoir là-dessus. Je ne peux que rester confiant dans l'av... [Et si tu cessais de te projeter sans cesse vers l'avenir? La peur du futur ne naît-elle pas d'une projection de peurs passées?]

Alors vivre au présent, simplement, en gardant confiance. En agissant au mieux pour que rien ne devienne impossible.



«La source de la peur est dans l'avenir, et qui est libéré de l'avenir n'a rien à craindre.»

Milan Kundera





[Pour me faire du bien je savoure, en pensant à elle, ce "beurre de peanut" qu'elle m'a apporté...]






Tenir jour après jour






Samedi 25 septembre


Après avoir plongé très très bas, j'ai pu remonter à la surface aujourd'hui. J'ai même pu travailler efficacement, après des jours de néant. Je me demande ce que j'ai pu faire de toutes ces journée, hormis le temps passé avec Charlotte et notre dernier fils... A part écrire, lire et relire, réfléchir [et surtout tourner en rond...]. Ah si, quand même, un ciné mercredi pour me changer les idées! Le dernier film d'Agnès Jaoui, qui m'a fait m'interroger sur les petites facilités et compromissions de ma vie.


Je disais donc que j'avais retrouvé un certain tonus, une nuit après que nous ayons longuement discuté avec Charlotte. Elle avait bien vu ma triste mine reprendre le dessus, mais j'évitais de me confier parce que je sais que pour elle ces échanges continus autour de notre fonctionnement de couple lui sont lourds. Mais cette fois c'est elle qui a voulu me parler. En discutant avec une amie, elle avait compris des élements nouveaux: elle s'est rendue compte que le "maternage", cette ambiance rassurante qu'elle créait autour de moi, était une façon de me garder auprès d'elle. En étant attentive à tous mes désirs, elle se rendait "indispensable", elle me rendait "attaché", dépendant affectivement. Peut-être est-ce mon allusion à une certaine possessivité qui l'a orientée vers cette piste?
Ainsi donc, ce serait bien la confirmation que nous sommes co-responsables de cette relation faussée "mère-fils". Elle m'a avoué avoir honte de comprendre ça, et j'ai dû la rassurer pour ne pas la laisser s'auto-dénigrer. Voila donc encore un des effets indirects de mon ouverture hors-couple.

Charlotte m'a ensuite proposé de lui dire ce qui me rendait si mal, et de "sortir mes émotions", comme m'a invité à le faire la psy de couple. J'ai hésité un moment, sachant que Charlotte n'est pas toujours assez solide pour m'entendre. Mais moyennant quelques précautions et mises en garde, j'ai pu m'exprimer. Je ne me suis pas étendu sur la peine que je vis, quoique je n'ai pas caché qu'il m'était particulièrement difficile de tenir le coup, mais plutôt sur le profond malaise que la situation engendre. Parce que j'ai été tellement ravagé par cette histoire qu'il m'a été impossible de reprendre pied dans ma vie professionelle. Sans obligations, sans motivation, il ne se passait rien. Ma liberté est un piège duquel je n'ai pas pu pas sortir seul. Motivation au niveau zéro, ce qui signifie que je n'ai rien fait. Quasiment rien. Moins que le minimum. Parce que je n'ai rien eu à quoi me raccrocher, rien qui m'a limité, rien qui m'aurait obligé, rien qui n'a pu m'attirer. J'ai été envahi par mes pensées: l'incertitude, le manque, la souffrance, les souvenirs, la frustration, l'inquiétude.

Quand je dis que je coule, la métaphore est assez proche de la réalité. J'ai perdu pied moralement et, plus grave, j'ai laissé mon activité professionnelle couler avec moi. J'ai reporté, laissé en attente, et accumulé un retard considérable. C'est comme si je sabordais le navire, sachant qu'il faudrait sans doute que je l'abandonne dans quelques mois. Pas assez rentable, et ce d'autant moins que j'ai perdu toute motivation.

C'est triste, hein? A trop vouloir me "trouver", "exister", être heureux, j'étais en train de me perdre [ou bien de perdre celui que je ne peux être?]. Je me suis retrouvé profondément malheureux, ayant rendu malheureuses deux femmes tour à tour. Lamentable!

Et ce qui peut me rendre heureux, me redonner immédiatement le sourire, une joie rayonnante, un bonheur irradiant... semble impossible à mettre en place. Ou du moins très compliqué, pour tes tas de raisons, dont la souffrance infligée n'est pas la moindre. C'est mon rêve... mais il est très compliqué à réaliser. Compliqué parce que je n'ai pas l'autonomie nécessaire. Parce que je ne suis actuellement pas capable de vivre en tant qu'adulte responsable de lui. C'est pitoyable, je me fais honte.




Bon...



Tout ça ne menait pas à grand chose. Il fallait que ce constat devienne productif. Il semble que le simple fait d'avoir annoncé clairement à Charlotte la misère morale dans laquelle je me trouvais m'ait redonné des forces. Ben oui, j'ai quand même un peu de dignité, et je n'aime pas me voir comme ça. Encore moins le montrer...

Voila pourquoi ce matin je me suis mis au travail tout de suite, efficacement. J'ai juste eu quelques éclats de tristesse, comme à chaque fois que je pense à nathalie, à ce "nous" désormais déserté. Mais je me suis efforcé de les percevoir comme quelques pépites de souvenirs, avec un sourire dans la tête.

J'ai décidé de lâcher prise sur le temps, sur le sentiment d'urgence, une nouvelle fois [oui, car je rechute régulièrement...]. Il me faut me consacrer au présent. L'avenir viendra a son heure. Et puis... bon, j'ai une petite technique pour tenir jour après jour: en me fixant des échéances courtes, c'est plus facile de résister. Je me donne des raisons de croire en quelque chose qui me délivrerait de mes tourments et cette seule pespective m'aide à tenir jusqu'au lendemain. Je reporte ainsi de jour en jour cette délivrance suspendue. Je tiens à respecter la demande de nathalie, aussi longtemps que je le puis, même si je réfléchis pas mal là dessus depuis quelques temps....

Pour me donner du courage je pense à elle qui, de son côté, vit probablement les choses aussi douloureusement. Je sais qu'elle tient, qu'elle résiste, qu'elle a eu la folle audace de s'imposer le silence. Je me fie à ses décisions, que je crois inspirées par l'expérience, moi qui suis tellement novice, inexpérimenté dans la souffrance amoureuse.
Je pense aussi qu'elle est "seule", même entourée par ses proches, et qu'elle n'a pas la chance que j'ai d'avoir souvent le soutien affectif de Charlotte. Alors ça m'aide à tenir, à résister, jour après jour. Pour nathalie. Pour Charlotte. Pour moi aussi, peut-être, même si je ne m'en rends pas bien compte.

Pourtant... que j'aimerais pouvoir échanger avec elle nos impressions, être à son écoute. Partager nos peines en ces moments si difficiles. Savoir ce qu'elle vit. Mais peut-être que la pensée, la confiance, et tous les mots déjà dits sont suffisants pour que notre force s'en souvienne... [ouais, on va dire ça, c'est très romanesque...]

Ce qui m'est le plus pénible à accepter [vraie inquiétude, là] c'est que ce silence qui s'étire puisse nous éloigner peu à peu. Le "nous" se dissipe, remplacé par deux évolutions distinctes, deux perceptions de l'autre qui ne se confrontent plus à sa réalité. Deux vies qui reprennent leur indépendance.
Je garde cependant confiance en ce qui arrivera, et je m'emploie à ce que cela corresponde au plus près de mes désirs.

Et puis... n'est-ce pas une façon d'éprouver la vitalité de ce qui nous lie? Epreuve de vérité dans le temps.




[Juste à côté de ma fenêtre, un carillon chinois sur le mur blanc...]





Treize lunes





Mardi 28 septembre


Pleine lune, ce soir. Comme cette nuit de fin d'été, quand nous marchions serrés l'un contre l'autre sur une plage de la Méditerrannée. J'étais émerveillé de pouvoir la regarder, la toucher, sentir son corps. Elle était là.
La lune venait d'émerger des flots. Si ronde, si blonde, si belle, juste pour nous deux, seuls sur le sable.

Toute la nuit cette lune avait éclairé notre lit, à travers le voilage que le vent soulevait. A contre-lune j'avais longuement regardé dormir celle qui était dans mes bras.

Depuis, je n'ai plus jamais observé la lune comme avant. Chaque pleine lune me ramène irrésistiblement vers ce moment avec elle. Souvenir doux-amer.

Il aurait pu être un peu plus amer ce soir. Car si il y a deux lunes nous nous retrouvions pour la regarder à nouveau côte à côte, il y a une lune j'entendais sa voix pour la dernière fois. Et nos ultimes silences résonnent encore dans ma tête.

Alors, parce que je continue à y croire, je me suis rendu cette lune plus douce, ce soir...
Car seul le présent compte.








Parce que j'y tiens





Mercredi 29 septembre


Voila des jours que je réfléchis autour d'un courrier à lui écrire, que je tergiverse, hésite, reporte...

Il y a d'un côté ce qu'elle m'a précisé très clairement, par écrit, il y a deux semaines: pas de contact. C'est son souhait et je dois le respecter.
D'un autre coté il a ce que je ressens, mes désirs, et je dois, dans une certaine mesure, les respecter. Nos désirs sont donc contraires.

Lequel dois-je écouter? Le sien, parce que je l'aime, ou le mien, pour que je m'aime?

Ou, autrement dit, dois-je renoncer à mes désirs pour répondre aux siens?
Vaste débat sur ce qu'est l'amour...

Si j'ai bien compris, elle a choisi que nous nous libérions l'un de l'autre. Elle me pousse à «être heureux» sans elle, tout en se préservant au mieux de sa souffrance.

Ce qui ne me convient pas là dedans, c'est que j'ai l'impression de l'avoir laissée décider pour nous deux. J'ai accepté presque sans broncher parce que j'ai fait confiance à son "expérience", et parce qu'elle avait l'air de très bien savoir ce qu'elle voulait ou ne voulait pas. Et puis bon, c'était la voix de la logique, hein... Initialement je n'ai pas trop contesté, mais les jours passent, et les semaines, et je comprends peu à peu que ce que j'ai accepté c'étaient ses souhaits, pas les miens. C'était la sauvegarde de son équilibre, pas du mien. J'ai suivi ce qu'elle avait convenu pour nous, non pas ce que "nous" aurions convenu. Nuance! Bref, je ne me suis pas écouté.

Pas bon du tout, ça...

Alors voila ce que je me suis dit: puisqu'elle souhaite le silence, je ne veux pas m'imposer et le rompre. Mais je ne veux pas non plus m'imposer de me taire, puisque ce serait nier ce que je suis.

Je vais donc m'exprimer, lui écrire de temps en temps... et elle pourra ne pas me lire. Je choisis la parole, et elle peux choisir le silence. Ainsi je me respecte et elle peut se respecter. Après tout, si elle ne lit pas, elle ne saura rien de moi...

Ce silence illimité ne me convient pas. Pour moi il est contraire à ce que je suis, à la démarche de découverte que nous avions, et à l'expression de soi. Il est contraire aussi à ce lien que j'ai établi avec elle et ne veux pas rompre. Je n'accepte pas de couper brutalement quatre ans de partage de nos ressentis. S'imposer un silence de très longue durée risque fort d'aboutir à un silence définitif.
Je me vois mal lui écrire subitement dans deux ou trois ans pour prendre de ses nouvelles. Ou surgir du néant pour lui dire que j'ai divorcé...

Selon moi, choisir le silence c'est laisser s'éteindre ce qui nous a liés. Ce n'est pas ce que je souhaite.

D'autre part, m'imposer ce silence c'est aussi me placer dans la position assez détestable de celui qui "laisse tomber" l'autre. Même si ce silence n'est pas mon choix, en l'acceptant j'en deviens complice. Et ce n'est pas ce genre de complicité que je veux avoir avec elle. Voila pourquoi, tout en ne voulant pas envahir sa vie, je peux quand même être "présent", et lui montrer que je ne lâche pas, que je tiens toujours autant à elle, et à notre lien. Libre à elle d'en faire ce qu'elle en veut, mais au moins je reste fidèle à elle, à nous, à moi.

Sinon, ce qui va se passer, au fil de ces semaines d'éloignement, c'est que je vais finir par lui en vouloir de m'avoir imposé ce silence contre-nature, tout comme j'en veux à Charlotte [même si je comprends leurs positions, je ne suis pas obligé de les partager]. Et je m'en veux de n'avoir pas plus résisté quand elle l'établissait pour nous deux. Ça me semblait tellement inimaginable, ça dépassait mon entendement. J'ai dit oui... parce qu'elle me le demandait. Un oui hébété, encore assommé par cette accélération brutale (mais néanmoins prévisible...) des évènements. Et j'ai encore fini par dire oui il y a deux semaines, convaincu par ses arguments "logiques". Mais ça n'a pas duré bien longtemps, et ça s'est de nouveau révolté en moi. Je regrette ce oui, je le retire.

Maintenant c'est: non, je ne suis pas d'accord pour un silence indéfini!

Ce qui ne signifie évidemment pas que je souhaiterais reprendre maintenant des contacts comme auparavant, pour toutes les raisons que l'on sait. Il est normal que règne une certaine abstinence. Mais le silence total, non. Pas de ma part, en tous cas. J'ai besoin de pouvoir garder ce contact, de temps en temps, même s'il reste unilatéral.

Comme je crois la connaître, ce n'est pas elle qui agirait pour me recontacter un jour. Elle serait capable de ne jamais plus m'écrire (tout en ruminant sa peine d'avoir été, une fois de plus, lachée par quelqu'un à qui elle avait donné sa confiance). C'est donc à moi de le faire, puisque j'y tiens. De toutes façons, même en faisant semblant d'accepter ce silence [ai-je vraiment fait illusion ?], je savais que je ne le tiendrais pas. La question était seulement de savoir jusqu'à quand je résisterais. Je voulais le faire pour elle, pour lui montrer que je serais à la hauteur, fort et capable de répondre à sa demande. Je ne le suis pas parce que ce n'est pas moi. Je ne place pas mes forces dans ce genre de choses. Je suis un optimiste et je mets ma force dans la persévérance vers ce en quoi je crois. Alors j'ai tenu un certain temps, mais il devient inutile de laisser durer. Je crois même que ce serait nuisible.

Certes notre relation amoureuse est devenue actuellement "impossible" (ou du moins son expression...). Parce que je n'ai pas l'autonomie suffisante en divers domaines. C'est pour moi une honte et j'ai bien du mal à retrouver une estime de moi-même après ce blocage évolutif et ses conséquences sur nous, et sur elle. Pour autant, je n'ai pas du tout envie que l'ensemble de notre relation disparaisse à cause de ça. Ma remise en question reste profonde et mon envie d'autonomisation plus que jamais vivante. J'ai maintenant un énorme travail à faire là dessus. Et... il est important pour moi qu'elle soit "là", quelque part. Pas trop loin. Pas perdue.

Je ne lui demande pas le «soutien de son amitié», qu'elle m'a dit ne pas pouvoir me donner actuellement, car je comprends sa peine (et probablement sa déception). Et puis je ne peux faire ma démarche que seul. Mais j'ai besoin de croire que notre lien si particulier demeure. Et j'ai envie aussi de lui assurer que je reste "là", avec tous les sentiments que j'ai pour elle.

Je peux comprendre que de son coté elle puisse préférer le silence afin de ne pas se sentir avoir une part de responsabilité ("voleuse de mari") si un jour je devais divorcer. Car, même si je ne le souhaite pas (par peur de la solitude), il se pourrait bien que nous en arrivions un jour à ça. Ce que j'ai découvert avec elle, qu'elle soit encore dans ma vie ou pas, demeure dans mes pensées et dans les acquis de mes connaissances. Ce qui m'a séduit chez elle reste très présent, et me manque. Elle emplit mes souvenirs et je ne veux pas que ça ne reste que des souvenirs. «Être heureux», comme elle me l'a souhaité, ne sera probablement pas possible si elle devait disparaître de mon existence.

Avec le temps qui passe, je suis passé par toutes sortes d'émotions. Vient maintenant le temps d'une certaine acceptation, qu'elle a très bien décrite: la tristesse devient moins présente, ou se manifeste moins souvent. Je pourrais fort bien me résigner. Me dire «après tout c'était une belle histoire et nous l'avons vécue le temps qu'il était possible». Oui, je pourrais prendre le chemin facile (et triste) de l'oubli. Facile et lâche, en abandonnant à la fois ma démarche et elle, qui m'a tant apporté. J'ai pas envie.

Ce serait d'autant plus facile que son silence qui s'installe me fait revenir en mémoire des périodes parfois difficiles entre nous. C'est vrai, parfois j'en ai bavé. Parfois je lui en ai même voulu d'être si "absente", ou lorsque je ne sentais plus cette fameuse "démonstrativité amoureuse". Je me souviens de ces soirées où je déprimais de l'attendre en vain, ces jours où j'étais triste de ne pas avoir la moindre nouvelle d'elle [hé hé, je vois que je n'en meurs pas...]. Je me souviens de nos discussions compliquées lorsque mes attentes allaient à l'encontre de sa liberté. Je n'oublie pas davantage mes moments de doutes, lorsque je ne retrouvais plus en elle celle que j'avais connue auparavant. Et je sais que pour elle c'était difficile aussi de me sentir autant "demandeur". J'avais même oublié qu'au moins de juin, déjà, elle disait que nous étions «peut-être au bout de ce qui était possible entre nous».

Je n'occulte pas tout ça, mais ça n'était pas suffisant pour me faire renoncer. Parce que j'ai toujours cru qu'entre elle et moi il y avait "quelque chose" d'extraordinaire qui pouvait exister. Je le crois encore.

D'ailleurs... je suis persuadé que ce sont toutes ces incompréhensions, dues à la distance qui nous sépare et à ma "non-autonomie", qui m'ont fait "accepter" sans trop de résistance ce gel de notre relation. Et même cet été, je voyais bien que c'était pas toujours évident entre nous, en face à face. A cause de mes doutes, de mon besoin de réassurance, face à son besoin de se sentir libre et aimée telle qu'elle est. J'étais trop peu sûr de moi, n'osant pas être moi-même, et cela jouait sur le regard qu'elle portait sur moi. J'en étais inquiet, donc osant encore moins.

Franchement, je le regrette énormément maintenant. Je n'ai pas su vivre l'instant présent avec elle aussi intensément que je l'aurais pu. Je n'ai pas su être un peu foufou, je n'ai pas assez su l'entraîner avec moi, ni dans le rire, ni dans la sexualité, ni même dans la découverte du voyage. Je crois que, plus que la distance, plus que l'ultimatum de Charlotte, c'est mon manque d'estime de moi qui aura causé la situation actuelle. Je me posais trop de questions pour avoir l'esprit suffisamment libre. Je cherchais trop souvent à sentir son regard aimant sur moi... Je cherchais trop à correspondre à ses désirs, alors que son désir c'était que je sois moi-même! J'étais... ben oui, j'étais trop dépendant d'elle. Sa hantise! Je n'ai pas su éviter cette ornière, malgré notre vigilance à tous les deux devant ce redoutable danger. Vouais... encore petit garçon, affectivement parlant. Pas capable de vivre ce qu'il désire. Petit garçon qui avait peur...

Bon, les regrets sont inutiles, mais ils me permettent de mieux prendre conscience des conséquences désastreuses de mon manque de confiance en moi.

Alors justement: c'est aussi pour ça que je lui "désobéis" à nouveau. Parce que... ben je n'ai pas à "obéir" à qui que ce soit, même pas à elle. Parce que j'ai envie de m'écouter et d'avoir confiance en ce que je ressens. J'ai envie d'exprimer mes désirs, sans peur. Et mon désir, c'est de garder le contact avec elle. Et mon objectif c'est, toujours, de pouvoir la revoir un jour. Ce n'est pas en baissant les bras que j'y parviendrai...

Oui, je sais, tout ça montre bien que je "rêve" encore... C'est plus fort que moi, ce désir de poursuivre qui revient tout le temps. Peut-être qu'elle s'efforcera de me ramener à une certaine réalité, une fois de plus. Alors j'acquiescerai, une fois de plus, me résignerai un temps, et puis le désir renaîtra probablement...

Parce que j'y tiens.



Finalement, au lieu de lui écrire tout ça, je l'aurai consigné ici. Et c'est quelque chose d'infiniment plus sobre que je lui envoie...




[Elle me manque...]






De bas et hauts





Jeudi 30 septembre
00h30


Je me demande jusqu'à quand je vais relater le désastre relationnel que j'ai créé. De plus en plus j'ai l'impression de raconter quelque chose devenu malsain. Ça me gêne de montrer vers quoi nous allons. J'ai souvent honte. A la fois de ce que je fais vivre à celles que j'aime et du fait de le déballer ici sans assez de pudeur. Je me sens tellement infantile avec mes émois amoureux, mes mièvres nostalgies, mes éructations sentimentales...

Ouais, vraiment, parfois j'ai honte de mes écrits. Je ne m'en aperçois souvent qu'après, une fois publié, avec des bouffées de gêne en songeant que des dizaines de personnes vont le lire.

Et puis j'ai honte de constater (et montrer) que mes mots ne restent que des idées, sans passage à l'acte. Ces derniers jours il m'est arrivé de relire un peu ce que j'écrivais il y a quelques mois. Peuh! De grandes envolées, oui, mais quand il a fallu agir vraiment, je me suis débiné! J'ai hoooonte, vous pouvez pas savoir comme j'ai honte. Je pensais qu'écrire devant vous, témoins de mes "engagements", me donnerait un peu plus de force. Et finalement vos regards qui savent me renvoient l'image de ce que je suis: incapable d'oser suivre mes désirs.

Bon... tout ça ne veut pas dire que je ne travaille pas énormément pour sortir de ce... merdier dans lequel je me suis enlisé. Les discussions au sein de mon couple sont très fréquentes, et sans faux-semblant. Pas un jour sans que l'idée du divorce ne revienne planer. Sans agressivité, sans acrimonie, mais comme une sérieuse possibilité.




«Le journal intime, je crois, comme l’écrit Alain, que c’est d’abord un dialogue de soi à soi. C’est ça qui fait sa force, son intérêt pour celui qui l’écrit. Mais c’est un dialogue parfois piégé, il est assez fréquent qu’on tourne en rond, qu’on passe et repasse dix fois sur le même nœud sans réaliser justement que c’est un nœud, qu’il y aurait là peut-être quelquechose à gratter. Le journal alors peut assez facilement être un alibi à une parole qu’on n’ose pas ou qu’on ne parvient pas à mettre en jeu avec d’autres, que ce soit avec des proches ou avec un analyste.»


Les echos de Valclair - 30/09/2004




22h00

[Mouais... j'écris encore de l'intime. Mais je songe sérieusement à une nouvelle formule, qui me permettrait de mettre ce déballage un peu à l'écart. Idée à suivre...]


Insomnie la nuit passée, chose rarissime chez moi. Je pensais à nathalie, avec une impression de "trop tard". Comme si je l'avais finalement définitivement perdue, parce que j'ai trop attendu, trop hésité. Je l'imaginais déjà refermée en elle, inaccessible à jamais. C'est comme si subitement je prenais conscience du vide de mes illusions et de la fragilité de mes espoirs creux. Alors, après quelques jours secs, je me suis noyé de nouveau dans des heures de larmes. Je me détestais d'avoir laissé partir celle qui m'a fait vivre tant de bonheurs et de découvertes. Je me haïssais d'être aussi... con.

Même ambiance le matin, avant ma séance psy [nouveau cycle qui commence...]. Grosse déprime, avec cette sensation de lucidité: c'est fini, inutile d'espérer.

Et puis bon... est-ce de lui relater les développements de ces derniers mois qui a fait revenir un espoir décidément increvable? Je ne sais pas bien. Je me suis senti reprendre un très grand sourire en parlant de tout ce que j'imaginais parfois, comme possibilités avec nathalie. Oui oui, j'y crois encore! Et j'ai craqué une nouvelle fois en parlant de tout ce que m'apportait cette relation que je n'ai plus. Par contre, pas la moindre émotion en parlant de divorce... Seulement l'expression des peurs que cela réveille. En les énumérant, la psy m'a quand même dit qu'avoir peur de perdre simultanément ma conjointe, mon lieu de vie, mon métier, voire de quitter mon pays, c'était plutôt normal. C'est une grande partie de ce qui constitue mon socle de stabilité. Reste à savoir si je perdrais autant de choses que ça...



En sortant de la séance je suis passé dans une librairie où j'ai trouvé un bouquin qui invite à faire son bilan de couple. Très intéressant par les questions qu'il pose et qui permettent de mettre en lumière ce qu'il en est de "l'esprit du couple". J'ai compris quelque chose qui me semble important: chacun de partenaires ne perçoit pas nécessairement la relation de la même façon. Pour l'un, il se peut que le plus important dans la relation, ce soit le conjoint. Alors que pour l'autre ce peut être le couple. Ou autrement dit: aimer d'abord son conjoint, ou aimer d'abord la relation que l'on a avec lui. Dans ce second cas une évolution de la relation est possible, tant que demeure le lien. Alors que dans le premier cas, toute évolution du conjoint devient menace de perte. La relation intime est fermée, restrictive, exclusive. Je ne le juge pas, puisque ce n'est pas un choix que de penser de cette façon, et moi-même n'en suis pas exempt.

Je crois que nous en sommes là avec Charlotte. Dans le constat de cette différence de perception de notre couple. Je suis prêt à rechercher un mode relationnel qui nous convienne au mieux, alors qu'elle semble rester sur une image assez traditionnelle du couple: partager le même logement, le même lit, avec exclusivité intime. Surtout ce dernier point d'ailleurs...
De mon coté j'envisage toute possibilité qui nous permette de maintenir notre relation de confiance... même si cela doit passer par des vies plus ou moins séparées. Je crois que la stabilité affective que je recherche n'a pas besoin du quotidien, ni du même lit. Ce que je redoute, c'est qu'elle me retire en même temps que son amour cette solidarité affective que nous avons encore. Avec un mode de fonctionnement en tout ou rien, si elle ne m'a pas uniquement pour elle, alors ça risque d'être "rien".

En fait... je crois que ce que j'aime, c'est la relation. Charlotte ne m'a pas vraiment manqué pendant un mois sans se voir: même au coeur de la crise je savais que la relation demeurait [ben oui, puisque j'avais cédé à son ultimatum]. De même, nos six mois d'abstinence sexuelle presque totale ne m'ont pas particulièrement dérangé.

Il en est tout autrement avec nathalie. Son absence m'est très cruelle, le manque et la sensation de vide sont permanents. Mes pensées vont toujours vers elle. Et si je peux tenir, je crois que c'est parce que nous avons toujours fonctionné dans l'absence physique de l'autre. Même si nous avions maintenu le contact, de toutes façons nous serions chacun de notre coté d'océan en ce moment. Mais ce silence me fait parfois perdre la raison...

Et même douter de mes convictions.



Sur ce point, je crois que si j'ai fini par m'épuiser et lâcher prise c'est parce que, d'une certaine façon, il m'avait déjà fallu pendant des mois de l'optimisme pour trois. La situation était difficile, compliquée à vivre, mais j'y tenais et m'accrochais (et elles aussi, bien sûr). Je tentais de rassurer chacune de mes partenaires sur l'avenir, qui paraissait sans issue. Je disais, confiant, «mais si, on va y arriver!», et j'y croyais vraiment. Plus d'une fois elles m'ont dit que ça ne marcherait pas. L'une menaçante, parce qu'en souffrance, l'autre en cherchant à m'éviter de souffrir.
Alors quand Charlotte a menacé de tout abandonner dans un délais court, j'ai perdu pied. Tout d'un coup je ne me suis plus senti capable de poursuivre. A sa grande surprise d'ailleurs, car elle pensait vraiment que je poursuivrai sans elle.
Je constate maintenant que, bien qu'ayant en partie cédé du terrain, je persiste à avoir cet optimisme un peu fou, cette persévérance illogique, ce courage absurde. Rien à faire, même si parfois je perd tout espoir, renaît toujours cette volonté de parvenir à mes fins. Incapacité à voir la réalité en face, ou suite dans les idées afin d'aller vers ce destin qui est le mien?




[Un bol en terre, bleu...]








Mois d'octobre 2004