Octobre 2004
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Nulle part




Vendredi 1 octobre


Il y a une bonne dizaine d'années je faisais régulièrement de la haute montagne. Chaque année nous partions avec des amis pour quelques jours de randonnée. J'aimais beaucoup cette ambiance d'isolement, de paysage démesurément grandioses. Il y avait une impression de se sortir du monde et en voir des aspects peu connus par la plupart des gens. Sans doute aussi une certaine fierté à passer là où tant de gens n'iront jamais. Le sentiment de vivre un privilège.

Habituellement nous avions des objectifs à la hauteur de nos possibilités. C'est à dire sans grande difficulté technique, mais nécessitant quand même prudence et équipements de sécurité. Je dois dire que la peur était parfois grisante. Flirter avec le risque potentiel, avec les dangers de la montagne, tout en étant suffisamment sûr de soi.

La dernière année nous avions prévu l'ascension du Mont Viso, point culminant de l'Italie. Deux jours de marche d'approche, puis une nuit en refuge, et lever a 4h du matin pour monter à la lueur des lampes frontales. Je n'oublierai jamais le premier éclat rouge du soleil se levant sur l'immense plaine du Pô, avec l'arc alpin qui s'étendait à perte de vue. Vision féérique dont je fus le seul témoin ce jour là, ayant seulement eu la patience d'attendre les quelques minutes nécessaires tandis que le reste du groupe avait préféré passer le col vers l'autre versant. Oui franchement, ce genre de moment confine à l'extase.

Nous avions continué l'ascension, d'heure en heure, avec les parois ensoleillées qui émergeaient peu à peu de l'ombre. La fraicheur du petit matin faisait apprécier le moment où on pénetrait dans la douceur ensoleillée. La lumière était superbe, les conditions idéales. Nous n'allions pas très vite, ralentis par nos épouses. Le seul célibataire du groupe était parti devant. Malheureusement, ce jour là, nous avons pris une mauvaise voie. Elle était devenue de plus en plus raide, nous menant vers des éboulis instables. J'étais avec un de mes amis, en tête, et nos femmes restaient loin derrière, inquiètes. Toujours il y avait eu cette différence entre nous. Les hommes plutôt audacieux, les femmes plutôt craintives. Tellement que parfois la plus froussarde communiquait sa peur aux autres et qu'il devenait difficile de progresser. Nous devions régulièrement montrer que le chemin était sûr, les encourager, patienter...
Mais cette fois-là, nous nous étions bel et bien égarés. Il avait fallu faire demi-tour. Il était un peu tard, mais nous étions prêts à entreprendre l'ascension par la bonne voie. Sauf que ce jour là ce sont les femmes qui ont gagné. Notre erreur semblait leur avoir donné un avantage: nous n'étions pas infaillibles. L'une d'elle décida qu'elle ne monterait pas. Nous avons eu beau essayer de la raisonner, de lui dire que nous avions largement le temps, que la journée était splendide et que du sommet le panorama serait grandiose sur toutes les Alpes. Rien à faire, elle ne bougerait pas. Charlotte, pas vraiment rassurée, l'imita aussitôt. Je regardai mon ami, interrogatif mais prêt à monter quand même. Cela nous arrivait fréquemment de finir seuls jusqu'au sommet.

Mon ami hésitait. Il ne voulait pas laisser sa femme, qui semblait tout à la fois énervée et effrayée, et peut-être nous en voulait. Alors il a renoncé à monter pour rester avec elle. Et comme il était hors de question que je monte seul... je suis aussi resté avec Charlotte. Seul le célibataire du groupe est arrivé au sommet, rajoutant à notre frustration quand il nous a raconté.

Ce renoncement a eu un goût amer pour nous. Ce sommet nous fascinait depuis longtemps, nous avions préparé cette expédition de longue date, et nous devions renoncer... par amour pour nos conjointes inquiètes.
Durant des années plus tard nous nous sommes dit que nous ferions cette ascension un jour. Nous ne l'avons jamais faite. Nous n'avons d'ailleurs plus jamais fait de haute montagne. C'était la fin d'une aventure. Pourquoi? Je ne sais pas bien. Mais sans doute parce que nous n'avions plus envie de nous retrouver face à ce genre de déconvenue. Et comme nous avions surtout envie de vivre ça ensemble, que c'était devenu impossible, alors nous avons abandonné.



Si je raconte cette histoire, c'est parce que l'image de l'alpiniste m'est souvent venue en tête durant "l'aventure" de ma relation avec nathalie. Je la considérais comme mon guide sur une paroi difficile de mon chemin de vie. Elle avait une certaine avance sur moi, elle était plus aguerrie, et j'essayais de suivre ses traces. Notre lien était comme une corde d'assurance. Parfois je n'arrivais pas à franchir des passages difficiles et j'ai dû trouver ma propre voie. Alors elle m'attendait, m'encourageait, tout en me laissant me débrouiller seul. Je m'accrochais, je voulais réussir, même si parfois c'était difficile. J'avais confiance en elle, j'y croyais!
Mais j'étais aussi accroché à Charlotte par une autre corde relationnelle. Ma progression était toujours ralentie, contrariée, parce qu'elle ne parvenait pas à me suivre. J'essayais à mon tour de lui servir de guide, de lui décrire ce que je découvrais. En fait, elle n'avait pas envie d'escalader la même paroi que moi... J'étais donc tiraillé entre la corde qui me reliait à nathalie et celle qui me reliait à Charlotte. La progression devenait de plus en plus difficile. Quand Charlotte à dit «je ne monte plus», j'ai eu peur de laisser tomber ma compagne, la perdre, et ai donc cessé mon ascension.

Je me trouve maintenant au milieu de ma course, et chacune de mes compagnes de route s'est déterminée. L'une n'ira pas plus loin sur cette voie, l'autre poursuit son chemin. Elle sait qu'il est difficile pour moi et que de lâcher Charlotte me met en grand désarroi. Et moi j'hésite encore, sentant nathalie continuer sans moi. L'aventure est encore possible et m'attire toujours autant. Il n'est pas trop tard pour reprendre l'ascension, mais chaque jour qui passe va nous éloigner. De son côté Charlotte fait le maximum pour que je revienne vers elle.

Mais ne veux ni renoncer à l'ascension, ni redescendre. Je suis suspendu, ni en haut ni en bas. Nulle part.




[Son vertige devant les paysages de montagne...]






Aveu de faiblesse





Lundi 4 octobre


Après un bon mois et demi de tentatives d'acceptation de l'inconcevable, ça va mieux depuis quelques jours. J'ai repris ma pleine activité professionnelle (un peu par obligation) et j'ai retrouvé une bonne motivation. Voire même un certain plaisir à fréquenter mes clients et collègues. Il n'empêche que mes pensées restent très absorbées par les suites de mon aventure suspendue [hum... est-ce que ce mot convient encore?].

En fait, pour parvenir à ce relatif détachement, il m'aura fallu un passage à l'acte. Un aveu de faiblesse en l'occurence, puisque j'ai écrit à nathalie. Ben oui... je n'en pouvais plus de ne rien savoir de celle avec qui j'ai partagé tant de choses depuis quatre ans. Rien. Pas un mot, pas un signe, pas le moindre élément. J'ai craqué. Je lui ai demandé de ses nouvelles. Simplement humain, avec des limites dans la résistance à la douleur. Car selon moi on ne force pas l'oubli par le silence, bien au contraire!

Ce qui est surprenant c'est que dès le lendemain, sans réponse de sa part, je comprenais que c'était une démarche vaine... mais pas inutile. Son silence ne m'apprenait rien... mais me permettait de passer un cap dans l'acceptation.

Depuis ces quelques jours, je m'étais donc mis à penser selon cette réalité [maintes fois répétée, je le reconnais]: nathalie ne souhaite plus correspondre d'aucune façon avec moi. Ni même répondre à mes inquiétudes. Bon, très bien. Après tout, c'était certainement la meilleure chose à faire. Je suis un grand garçon et dois me débrouiller seul. Finalement ça reportait à très loin toute éventuelle reprise de contact. Ça me laissait du temps, beaucoup de temps pour observer vers quoi ma relation de couple allait évoluer.


Mais la réalité était autre. Il y a des hasards bizarres, parfois...
Déjà il y a une vingtaine de jours nathalie m'envoyait par erreur un avis de mise à jour. Cette fois-ci, elle a répondu à mon mail... sur ma boite professionnelle! Pas sur celle de nos ex-échanges depuis plusieurs mois. Or je ne regarde pas celle-ci quotidiennement, et en particulier pas le week-end. Donc, ce n'est que ce lundi soir que je trouve un mail qui a déjà trois jours. Trois jours durant lesquels j'ai pensé selon un certain mode.

Je ne l'attendais plus. J'avais construit ma réalité différemment.


Inquiet (pressentiment), je me suis senti le coeur battant et j'ai commencé à lire... puis j'ai cessé. Trop froid pour moi. J'y suis revenu, puis ai stoppé. Heureux de savoir où elle en était, je n'aimais pas ce qu'elle me disait tout autour et qui ressemblait beaucoup trop à quelque chose de définitif [je hais ce qui coupe l'avenir...]. Je trouvais son ton un peu dur, comme agacé [ouais, d'accord, j'avais pas respecté son souhait...]. Je ne reconnaissais pas celle avec qui j'avais pu avoir tant de complicité, manifestement de plus en plus distante désormais. Alors pendant un moment j'ai fait l'autruche. Je ne me sentais pas capable d'aller jusqu'au bout. Pas immédiatement. Trop peur. Je craignais de sombrer à nouveau. Je n'y suis revenu que quelques heures plus tard, fort opportunément endurci et préparé par les quelques jours précédents, et finalement c'était moins pire que ce que j'avais craint. Tous les verrous n'étaient pas encore fermés. Quelques éclaircissements demeuraient possibles, elle me l'a amicalement proposé.

Ce qui est certain c'est qu'elle ne rêve plus.
Elle a probablement raison...



De mon coté, seul, je travaille fort pour être à l'écoute de ce qui est vraiment en moi. Je réfléchis beaucoup pour dégager de leur gangue de raison mes aspirations profondes, mes désirs etouffés, mes rêves refoulés. Car mes rêves me porteraient volontiers loin...
Et c'est peut-être un tort.

Car il est évident que je ne suis pas prêt à vivre mes rêves actuellement, et je ne peux que comprendre que je ne dois pas en faire peser l'incertitude sur qui que ce soit. La réalisation d'un rêve reste une aventure personnelle et de le voir partagé durablement tient parfois du miracle. Il me faut bien accepter les conséquences de ma lenteur.




«Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité
Antoine de Saint-Exupéry


«Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve.»
Antoine de Saint-Exupery, communiqué par P.L.




[Je crois préférable de cesser là mes réminiscences solitaires...]





Sept semaines et demi



Mercredi 6 octobre


Sept semaines et demi. C'est le temps qu'il m'aura fallu pour enfin tourner la dernière page. Sept semaines et demi de refus, d'obstination contre la réalité des faits, d'inacceptation de l'évidence. Et puis en quelques jours le mécanisme s'enclenche, et la vaine résistance cède. J'ai senti venir de plus en plus souvent ce «c'est fini». Je le niais, me rebellais, résistais, mais par paliers je renonçais. Je cédais du terrain devant l'inéluctable. Toujours avec une immense tristesse, un désespoir dans le lâcher prise.

J'ai cru longtemps, j'ai espéré, mais je me suis senti de plus en plus seul. Elle avait décroché bien avant moi, avec raison. Parfois je crois que je lui en ai voulu... Aveugle sur ma propre part de responsabilité, la tentation d'incarner des co-responsables m'a fait parfois basculer vers cette facilité. Ainsi j'en ai voulu à Charlotte de m'avoir "empêché" de suivre mes aspirations, et j'en ai voulu à nathalie d'avoir "abandonné" notre liaison... or elle n'ont fait que me manifester, chacune à leur façon, leur amour. L'une en m'attendant, l'autre en me libérant [et inversement auparavant...]. En détresse, en souffrance, mes émotions ont dominé ma raison et m'ont rendu injuste avec elles. La seule personne à qui je pourrais en vouloir, c'est cette part de moi qui a trop besoin d'être aimée et rassurée. Cet assoiffé d'amour qui n'a pas su se décider entre deux sources et aurait bien pu perdre les deux.

Je suis le seul responsable de ce que je fais de ma vie, et donc de ce renoncement.



Hier j'ai longuement pu discuter avec nathalie. J'avais hésité un moment avant d'accepter sa proposition amicale, craignant d'entendre sa voix, de la retrouver si proche. Et puis je me suis dit que je ne devais plus fuir, mais affronter cette réalité, entendre ses mots de fin directement. 
Elle n'a pas eu besoin de les prononcer à nouveau. Avant même de téléphoner je savais que ce serait notre ultime contact et c'est bien dans cet esprit que je lui ai parlé. Parce que cette fois c'est moi qui le décidais pour moi, et pour elle, pleinement convaincu que c'était la seule chose à faire. Je n'étais plus dans une vague acceptation, mais en accord avec elle. J'ai reconnu ma faiblesse et mon incapacité à renoncer jusqu'à ces derniers jours. Et tout a changé grâce au hasard d'un faux silence opportunément glissé entre nous.

Jusqu'au bout nathalie aura accepté de m'accompagner dans le renoncement. Je sais qu'elle a souffert à chaque fois de "repousser" cet amoureux qui ne parvenait pas à admettre la réalité qui s'impose. Et hier encore je me suis senti penaud de réveiller en elle des émotions qu'elle était parvenue à enfouir...


Oui, c'est fini. Ce qui avait commencé comme une histoire un peu extraordinaire s'arrête là. Je clos cet épisode de ma vie, ce roman intime décrit en public au jour le jour. Il n'y a, hélas, plus de place pour partager quelque chose avec nathalie tant que je serai marié [il n'y en a jamais vraiment eu, d'ailleurs...]. Tant que je ne serai pas libéré de mes dépendances diverses, en fait. Il n'y a plus de place non plus pour les rêves un peu fous d'une autre vie, parce que je ne peux pas vraiment évaluer mon couple si celle qui motivait ces rêves reste toujours dans ma tête. Je dois me donner du temps afin de poursuivre une réflexion approfondie qui nécessite la plus grande sérénité.

C'est seul que je vais continuer le processus que nathalie aura accompagné durant quatre ans, et je verrai où il me mène. Pour le moment je reste dans ce "nulle part", à mi-pente. Il faudra bien que je trouve à nouveau un chemin. Les questions affluent en masse depuis que j'ai accepté la situation, et il va bien falloir que je trouve les réponses.
En attendant je demeure a demi-séparé de Charlotte, dans ma vieille maison, même si nous passons pas mal de temps en commun. Pour l'heure je n'ai pas projeté de revenir vivre en permanence sous le même toit qu'elle. Ce ne peut que m'être salutaire de renforcer l'autonomie affective et relationnelle que j'ai commencé à acquérir pendant six mois de séparation. Au moins, que tout ce qui s'est passé serve à ça...

Ma relation avec nathalie est donc éteinte, parce que la vie doit continuer pour elle comme pour moi. Je veux vivre désormais avec tous les souvenirs de ce que nous avons partagé comme étant quelque chose de beau. Je veux sourire en pensant à ce "nous" éphémère, et non plus pleurer de sa disparition [ça ne sera pas toujours facile...].

Et peut-être [parce que je reste un incurable rêveur...], s'il doit en être ainsi, si les hasards font qu'un jour il redevient possible que nous nous "reconnaissions" comme ce fût le cas il y a quatre ans... alors ce que nous avons dû éteindre pourrait avoir une nouvelle chance. Pour le moment j'ai envie de garder cette possibilité, devenue maintenant très lointaine. La différence avec mes premières semaines de deuil, c'est que désormais je sais que plus rien ne sera possible avant très très longtemps. Peut-être jamais. Et que le silence doit donc se faire.



Je remercie celles et ceux qui m'ont fait part de leurs observations tout au long de cette aventure, et particulièrement depuis ces dernières semaines [désolé de n'avoir pas encore pu répondre aux longs mails que j'ai reçu...]. Je pense aussi à celles qui m'ont raconté la similarité de leur histoire au destin différent, qui m'ont encouragé à écouter mes élans et mes désirs, mes rêves. Mais pour moi le temps n'était pas venu de me lancer seul, de quitter tout ce que j'ai construit, imaginé, projeté, réalisé depuis des années. Je ne suis pas assez solide, pas assez autonome pour cela actuellement.

Y tendre va être mon travail pour les mois à venir...






Serpillière



Jeudi 7 octobre


Maintenant que j'ai enfin pu tourner la dernière page, je trouve une forme d'apaisement. Il n'y a plus de questions autour d'actions engageantes. J'ai céssé de me dire «et si...?» avec des idées folles et irréalisables. Je ne m'endors plus ni ne m'éveille avec ce cauchemar de l'indécision. Ben oui... parce que jusque très récemment je me disais que je pourrais encore revenir sur les décisions que j'avais plus ou moins accepté de prendre. Tentation absurde dont je surveillais un éventuel écho qui me serait parvenu depuis l'autre côté de l'océan. Sans doute est-ce ce qui me rendait aussi attentif et inquiet face au silence? Certains des derniers mots que j'avais pu lire, absolus et laconiques, me semblaient être comme un appel alors que le silence paraissait signifier le contraire, ainsi que tout ce qu'elle m'avait dit très clairement, sans ambiguité et sans appel. J'ai tergiversé, entre obéissance et désirs, et mes faibles tentatives sont restées lettre morte. C'était certainement la meilleure chose qui pouvait se faire. C'est en tous cas ce qui s'est fait.



Ce matin j'avais une séance psy, et j'ai donc raconté ce nouvel état d'acceptation. Du coup... je n'avais plus grand chose à dire. Mouais... méfiance: en général ce sont ces séances-là qui sont les plus révélatrices. 

J'ai commencé par dire que beaucoup de question se posaient maintenant et que je devais analyser les "pourquoi". Pourquoi ai-je renoncé à poursuivre alors que depuis plus d'un an j'énonçais à longeur de pages ce que je désirais? Pourquoi abandonner au dernier moment? Pourquoi renoncer à un rêve qui était si puissant? Bien sûr, j'ai déjà des éléments de réponse, qui se préciseront.
De toute la séance, la psy n'a rien dit. Sauf une phrase: «pourquoi utilisez-vous le mot "rêve"?». Euuuh... bonne question. Quand je parle de rêves, je parle bien sur de rêves à vivre, dans le sens des citations de St Exupéry. En fait je n'ai pas pu répondre distinctement parce que j'étais déjà transformé en fontaine depuis que j'avais abordé le sujet. Vouais, séance lacrymogène, pratiquement du début à la fin. Tsss... sortez les mouchoirs et la serpillière!
Oh, ce n'était pas seulement parce que je parlais de ce qui ne serait plus [ce qui a, je dois le dire, un effet humidifiant certain...], mais surtout parce que je faisais le constat qu'une fois de plus c'était la raison qui l'avait emporté. Certes le défi était de taille, et même bien trop gros pour moi. Mais bon... je m'étais parfois tellement approché du bonheur, je m'étais tellement senti vivant, j'avais tellement touché du doigt un état heureux et libre... que le renoncement à tout ça me plonge dans une infinie tristesse [je dois faire attention de ne pas me laisser aller à y penser].
C'est un peu bête à dire mais... revenir vers mon couple ne m'enthousiasme pas. Je sais que de tout ce vécu je suis devenu plus riche, bien sûr, mais le souffle de la liberté me manque. Liberté d'être moi-même.

En même temps je sais bien que cette liberté n'était que virtuelle [dans le vrai sens du terme]. Je ne la vivais pas souvent, parce que des peurs me retenaient. Mais il y avait tous ces "possibles" qui étaient à ma portée et dépendaient de ma volonté d'évolution personnelle. C'était pour moi une formidable motivation, même si ça restait difficile.

Bon... peut-être que reviendra une motivation pour introduire dans le couple ce que j'ai acquis de cette expérience. Mouais, va falloir que je sois un peu plus convaincu.



Depuis que j'ai commencé à parler à des proches de ce que je vivais avec nathalie, j'avais remarqué à quel point je devenais "vivant", volubile, réjoui. Tout comme lorsque, plus récemment, je parlais de ce que j'aurais aimé choisir. Inversement parler du renoncement rendait palpable un choix terne. Mes interlocuteurs le remarquaient et souvent m'encourageaient à suivre la voie de mon coeur.

C'est un peu tout ça que j'ai dit à la psy [hum... entre mes profondes inspirations pour retrouver une voix audible]. Un ras le bol de mon côté "raisonnable, pondéré et réfléchi". Une incapacité à suivre mes émotions, une inaptitude à entendre la spontanéité qui est en moi. Je m'éteins moi-même, alors que j'aspire à vivre de façon plus épanouissante. Ma raison [ma peur?] tue mes envies.

J'ai évoqué aussi mon besoin de réassurance constante, ce qui n'était pas possible avec nathalie. Et c'est probablement là une des raisons majeures de mon renoncement. Nous étions dans un cercle vicieux, entre ma dépendance et son besoin de liberté. Mon attirance excessive avait parfois un effet repoussant. Nous étions comme deux aimants qui auraient eu des polarités inversées en certains domaines et la même polarité dans d'autres. Qu'est-ce que j'ai pu l'aimer, cette fille! Mais qu'est-ce que c'était difficile aussi, parfois! Je n'étais pas prêt, pas suffisamment autonome, trop peu sûr de moi.

Et peut être que ce qui m'aura fait renoncer était une sorte d'instinct de survie?





«Pourquoi ce terrible sentiment à l'idée qu'elle puisse être morte et que cela me concernerait ? La réponse est pourtant simple, elle tient à ce que je crois profondément, que je répétais souvent à mes stagiaires : toute relation est noué pour l'éternité. Toutes ces personnes avec lesquelles j'ai fait un bout de chemin plus ou moins long résident en moi pour toujours, que je pense à elles, que j'en ai conscience ou non. Avec chacune d'elle il y eut un échange, j'ai donné, et j'ai reçu. Ainsi, parcelle de vie par parcelle de vie s'est construite mon identité.
(...)
C'est pour cela que je ne chercherai pas à obtenir des nouvelles d'Éliane, (puisqu'elle s'appelait Éliane), car nos chemins se sont décroisés pour que chacun puisse poursuivre plus loin son propre destin. D'ailleurs, que pourrions-nous bien nous dire, si ce n'est évoquer des souvenirs lointains et balbutier quelques mots sans lendemain.»



J'en rêve encore
- 06/10/2004







Seul à seul




Mardi 12 octobre


Pendant quatre jours je me suis retrouvé avec moi-même. Seul, sans Charlotte ni les enfants, sans internet. Et jeudi je pars à nouveau seul, pendant cinq jours. Ça me fait beaucoup de bien. Oh, il ne s'agit pas de retraites méditatives, mais simplement d'exercer mon activité professionnelle. La route et longue pour traverser la France, ainsi que les soirées solitaires dans une chambre d'hôtel, et j'ai donc tout mon temps pour cogiter.

J'ai essayé de vivre le temps présent, de ne pas faire que réfléchir aux suites de mes dernières décisions. Ça a plus ou moins bien marché. J'ai regardé le paysage qui défilait, été disponible avec mes clients, discuté avec mes collègues. Un peu d'air nouveau dans ma tête. Ce qui est certain, c'est que j'ai retrouvé de l'entrain, et même parfois de la bonne humeur. Il n'empêche que bien souvent je ressens cette douleur intense qui me perfore lorsque je songe à ce qui n'est plus. C'est un mal soudain, qui tord le ventre et tire les larmes, qui aspire de l'intérieur à en donner le vertige.

Car si j'ai bien fini par accepter de rendre sa liberté à nathalie en respectant ses souhaits de silence. Si j'ai bien écrit «c'est fini» parce que notre relation était devenue impossible actuellement [permettez-moi de tenir à l'emploi de ce mot]... ben... euh... c'est pas pour autant que j'ai cessé mes réflexions. Bien au contraire, d'avoir décidé d'accéder à sa demande en pleine conscience m'a ouvert à des domaines qui restaient bloqués. Toute décision, tout choix, entraine ses conséquences. Davantage de lucidité en est une. J'ai mieux mesuré la réalité de la perte, sans faux-semblants.


Il y a aussi cette impression bizarre que quelque chose m'a échappé à un moment crucial. Lorsque Charlotte m'a donné son "ultime ultimatum", je me suis trouvé désemparé et vidé de toute combativité. Ce qui a suivi a été décidé presque sans moi. Dans les minutes qui ont suivi l'appel (si ma mémoire est fidèle) nathalie me disait ce que nous allions faire. Ce que j'allais faire. Et une fois partis sur cette piste, qui a eu dès le départ un coté définitif, j'ai laissé passivement s'enchainer l'irréversibilité du processus. Au début je pensais devoir faire face à l'urgence, et puis de jour en jour les choses se sont installées sans que je ne sache comment les changer.
Je sais que j'ai écouté mes peurs, notamment pour le coté matériel des choses, mais surtout en ce qui concerne les menaces de Charlotte de tout couper entre nous. Je me suis protégé. J'ai pris soin de moi et sur le moment c'était sans doute tout ce que je pouvais faire. Mais c'était du court terme. Je n'ai pas su voir loin, je ne pensais pas que les choses s'engageraient de façon aussi définitive. Il me fallait du temps. Je ne m'attendais pas à ce que nathalie "s'efface" et juge préférable, à son tour, de tout couper malgré mon opposition [même si je comprends à quel point il était important que je sois seul à me déterminer]. Rapidement je me suis retrouvé de plus en plus désorienté devant une nathalie evanescente. Elle semblait tellement convaincue de ce qu'il fallait faire, résignée, pessimiste comme je ne la connaissais pas. Déjà repliée en elle-même, je la sentais de moins en moins "avec moi", je ne comprenais plus. En fait elle a simplement été plus clairvoyante que moi. Elle parlait à ma place et je ne corrigeais même pas... Je n'osais plus affirmer quoi que ce soit, même si bien des choses qu'elle prenaient pour impossibles ne l'étaient pas tant que ça à mes yeux.
Mais bon... je me suis dit que j'avais fait mon temps avec mes interminables hésitations. C'était maintenant à elle de se déterminer et se sauvegarder.

De l'autre côté je suis me laissé aspirer par de veilles habitudes face à Charlotte qui, elle, était très présente. La voyant en souffrance, j'essayais d'apaiser sa douleur. Je suis un "gentil" et il m'est très pénible de voir quelqu'un qui est mal, surtout si c'est à cause de moi. Dans ce cas là, je m'oublie. J'ai donc tout fait pour apaiser Charlotte (sans pour autant tricher) et je me suis trouvé pris dans l'ancien système de culpabilité: celui de la faire souffrir si j'osais m'écouter. En fait quand je la vois beaucoup j'ai l'impression de la tromper (en n'étant pas dans le même registre sentimental qu'elle), mais je sais aussi que ma présence lui fait du bien. Très attentif à ce qu'elle ressent, j'en perds ma capacité à m'entendre vraiment. Il n'y a que seul que j'y parviens. Seul face à ce journal, seul face à moi-même.

Voila pourquoi j'ai tenu à poursuivre notre séparation d'habitat. Et à plusieurs reprises je me suis dit que je devais la marquer plus fermement encore... sauf que je cède généralement lorsqu'elle exprime ses souhaits que je partage davantage de temps avec elle.

Je suis trop gentil... et je m'y perds. Trop présent, trop attentionné, trop disponible. Cherchant trop à ne pas déplaire. J'avais évidemment le même problème avec nathalie...


Si je m'écoute quand je suis seul, les choses sont bien différentes. Alors qui dois-je écouter? Celui que je suis face aux autres, ou celui que je suis en solitaire? Penser se fait seul, et c'est face aux autres qu'est l'action. Suis-je ce que je pense ou ce que je fais?

Par exemple, durant ces quelques jours j'ai lu. Bouquins sur le couple, pour savoir où j'en suis avec Charlotte. Et bien devinez à quel couple je pensais en lisant les chapitres? A celui que je formais avec nathalie! Car c'est celui qui m'attire le plus. Mes pensées sont donc encore très largement "avec elle" [ben oui, c'est comme ça...].
J'ai aussi lu un livre qui encourage à oser affronter nos peurs. Et là, je savais très clairement ce que je voulais. J'ai écrit des tas de notes manuscrites qui montrent bien dans quel sens vont mes pensées: une séparation, seule façon de vivre en accord avec moi-même, de façon autonome. Je suis arrivé chez moi avec cette idée bien ancrée dans la tête. Puis je suis allé voir Charlotte qui, je le savais, m'attendait. Nous avons pris le repas avec notre dernier fils, et elle a fini par me dire qu'elle me trouvait "absent". J'ai confirmé, lui expliquant que je réfléchissais beaucoup en ce moment et que j'étais un peu perdu. Je lui ai parlé de ce désir de prendre de l'autonomie, de ce sentiment amoureux qui n'était plus là, de cette volonté de ne pas la "tromper" en ayant une proximité qui pouvait entretenir une certaine ambiguité... Bref, je lui ai clairement dit où j'en étais. Mais de la voir triste, de sentir s'effondrer en elle ses rêves.... ben ça me perturbe totalement. Je ne parviens plus à savoir où j'en suis lorsque je la sens mal. Je suis depuis un quart de siècle avec elle "en moi", et même si le sentiment amoureux et le désir ne sont plus là, mon attachement reste très fort et me rend incapable de m'écouter moi-même.

Seul, je m'oriente vers une séparation, et avec elle j'agis dans le sens inverse. Je n'ai pas le courage de maintenir le cap en imaginant la faire souffrir.

Alors je m'oublie...
Et ce n'est pas bon.



Tout ce que j'ai écrit là l'aurait été sur un ton différent si je n'avais pas revu Charlotte entretemps. J'étais d'humeur joyeuse et positive, à l'écoute de moi-même, franchement orienté vers une évolution de notre relation du côté de la grande amitié. Je... oui, au loin, très loin, je pensais à toutes les possibilités et libertés que cela pourrait me donner lorsque cela serait effectif.

Et puis patatras, je retrouve un ton plutôt défaitiste, parce que je constate ma passivité.
Je me déteste en passif!





Acteur de ma vie




Mercredi 13 octobre


Je lisais un texte d'Alain sur la perte du désir de vivre. C'est triste, mais j'ai l'impression que c'est un virage de ce genre que j'ai raté récemment.

Ça me fait mal de le constater. Très mal. Je me vois comme celui qui n'a pas osé vivre ses désirs. Je ressens parfois un profond dégoût de moi-même, une nausée, comme si je voyais s'éloigner un train raté de justesse pour quelque voyage unique. Je me retrouve comme un con sur un quai vide. Et je sais que j'ai bien mérité cette situation. On m'avait souvent prévenu de ce qui risquait de se passer, mais j'ai voulu persister à ne pas choisir. Funeste erreur...

Et pourtant, jusqu'à aujourd'hui je suis encore resté dans la passivité du non-choix. Incapable de renoncer à celle qui m'a tant apporté, qui m'ouvrait les portes de la liberté, du courage d'être soi, du désir de vivre. Non, vraiment, ça ne rentre pas dans ma caboche. Impossible d'accepter l'idée que l'on ne se retrouve pas un jour. Je reste accroché à cette idée de "suspension" en attendant que... je sois prêt à poursuivre le chemin. Ne me dites pas que c'est absurde, ne me dites pas que c'est trop tard, je ne veux pas entendre des choses pareilles! J'en ai marre de pleurer, et le temps fera ce qu'il a à faire, si nécessaire. Elle reste un grand amour, celle avec qui j'aurais conjugué sentiments, émotions, désir. Celle avec qui j'aurais goûté à ma propre liberté captive. Celle avec qui j'ai vécu une part de mon rêve, et avec qui j'aurais tant aimé le poursuivre... si seulement je n'avais pas été si craintif.

Je me hais de porter en moi cette insécurité affective qui m'a bouffé tant d'années de ma vie, et a maintenant rendue muette cette extraordinaire complicité. Même si j'avais déjà largement contribué à l'altérer au fil des mois, parce que je doutais trop de moi, de mes forces, de mes choix. J'ai voulu faire le grand, mais ai été incapable de m'émanciper de mes attaches affectives. Incapable d'oser m'écouter et agir en conséquence, d'oser me laisser aller totalement.

Je n'y étais pas prêt, et je m'en veux terriblement. Vis à vis d'elle, de moi, de nous. C'est une impression de gâchis qui m'envahit, me laisse parfois apathique, engourdi par une immense tristesse. Je ne suis alors pas beau à voir et Charlotte s'en inquiète lorsqu'elle en est témoin (ce qui est rare puisque je garde ça pour mes moments de solitude). Parfois, le sentiment d'impuissance face à mes vieux démons est tel que me traversent des envies de disparition.


Bon, heureusement que cet état n'est pas permanent. En fait il ressurgit à chaque fois que j'intègre un peu plus profondément la perte de celle que j'aime. Ensuite il y a un moment de palier dans l'acceptation qui me permet de retrouver... euh... je ne sais quel espoir d'avenir et l'optimisme qui l'accompagne. Jusqu'à ce qu'il tombe à son tour, terrassé par la réalité du temps qui passe sans que rien ne puisse changer. Voila près de deux mois que ça dure.

Charlotte est patiente, mais manifeste aussi ses limites. Ce que je lui dis est difficile à entendre, tout comme de savoir que nathalie compte encore autant pour moi (pourtant, je n'en parle pas...). Alors il faut maintenant que j'agisse et choisisse une voie. Soit de désinvestir le couple et donc me retrouver seul, soit de m'engager vraiment dans la restauration de ce couple en m'investissant à fond. Et bien figurez-vous que je ne sais toujours pas me déterminer [nooon, sans blaaaague?]. Me lancer dans un quotidien solitaire me fait évidemment un peu peur (quoique bien moins qu'auparavant), mais c'est surtout l'éloignement de Charlotte-amie qui m'inquiète beaucoup. Il m'est pénible de m'imaginer me passer de ma compagne de vie sans savoir jusqu'à quel point ce serait effectif. Charlotte a toujours eu un ton "menaçant" à ce sujet. Et puis bon... seul actuellement ça irait, mais s'installer durablement dans une telle situation...
Dans l'autre option, investir à fond le couple m'est devenu difficile. Il y a quelque chose d'assez complexe qui s'est mis en place, qui lie le désir évaporé, la fidélité à nathalie [on ne rigole pas!], et une forme de distance due à une tournure d'esprit qui s'accorde mal avec la mienne. Bref, Charlotte reste mon amie intime, mais l'amour désirant reste en panne. D'ailleurs j'hésite régulièrement entre me replier chez moi ou être présent chez Charlotte.
Pourtant... il va bien falloir que je décide quelque chose. Sinon c'est elle aussi que je vais finir par perdre!

Et bien vous voyez, c'est ce genre de situation qui me plongeait généralement dans la plus perplexe morosité. Parce que, sachant que je me dirigeais vers le mur, j'étais incapable de choisir de quel coté tourner le volant! Débile, non?
Alors s'il y a bien une chose sur laquelle je dois tirer des enseignements, ce sera sur les conséquences calamiteuses de mon indécision. Je ne veux plus laisser les autres prendre la place vacante de l'acteur que je n'ose pas être. Je ne veux plus être spectateur du film de ma vie. Il y a déjà bien assez d'éléments incontrôlables pour que je ne cède pas ma part de décision.


Je vais donc, pendant mes cinq jours d'isolement, éclaircir tout ce qui reste dans l'indécision. Et décider dans quel sens j'agirai désormais.






«Auparavant, le Désir me sortait du lit. Le Désir de vivre, le Désir de ma vie et de celle des autres. Aujourd'hui j'ai l'impression que ce désir là, après s'être ensommeillé à sombré dans le coma. Je me dis parfois qu'il est temps de passer à une réanimation active avant qu'il ne soit trop tard. Mais en réalité, ce sont des mots et je n'ai aucun courage en ce sens. Je me laisse couler dans une vie qui, vue de l'extérieur, apparaît agréable, sereine, et de fait pour une grande part elle l'est. C'est bien là le piège. Je suis globalement satisfait de la vie que je mène, mais mon degré d'exigence de satisfaction est passé en niveau bas. »


J'en rêve encore
- 08/10/2004








Continuer




Lundi 18 octobre


Pourquoi ce soudain parfum de nostalgie après seulement quelques dizaines de minutes passées dans la maison de Charlotte? Je suis revenu de mon séjour solitaire plutôt en forme, avec une détermination à reprendre mon chemin de libération, et il aura suffi de revoir quelques éléments de ce qui constituait un "nous" pour sentir cette mélancolie teinter mes pensées. Chaque objet de notre mobilier, chaque parcelle de notre maison est constitutive de ce nous.

Pourtant Charlotte était absente. La maison était vide et absolument silencieuse. Peut-être était-ce la cause de ma brusque morosité? Ou plus sûrement parce qu'il y a une part de tristesse à réaliser à quel point ce "nous" n'en finit pas de se dissoudre. Quelle que soit la justification d'une distanciation, il y a forcément une part de tristesse. L'ambivalence de ce qui me lie à Charlotte était mise là en évidence: d'une certaine façon je préférais qu'elle ne soit pas là, afin de favoriser un retour en douceur après mes réflexions de ces derniers jours. D'un autre côté j'aurais eu envie de la revoir pour parler un peu. Aussi d'avoir le plaisir de me sentir attendu, accueilli. Reliquats d'un comportement de co-dépendance...


En fait je m'attendais un peu à ce genre de réaction de ma part. Je savais que la mise en présence de Charlotte perturberait ma détermination. Même absente, la simple trace de son esprit suffit pour m'influencer. Et mes peurs assoupies se réveillent parfois brutalement: que deviendra ma vie si je vais au bout de mes idées? Entre le désir de m'écouter vraiment et le passage à l'acte, il y a un abîme. Oser dire les mots qui engagent (ou dégagent, en l'occurrence) et me retrouver face à un vide à la place d'un avenir prévu depuis des décennies est assez inquiétant. Ce n'est que par fulgurances que cette réalité de l'isolement me traverse l'esprit et je ressens alors une forme d'angoisse. Assurément celle-ci retient mes audaces. Idem pour tout ce qui m'est parvenu de nathalie depuis la fin de nos vacances ensemble et n'a fait que refroidir toujours plus fort mes élans vélléitaires vers elle. J'ai bien entendu tous ses «impossible» et ses encouragements à «renouer avec Charlotte». Cette voix de la raison que je ne connais que trop bien et dont j'ai toutes les peines du monde à me sortir. Là encore, la peur de me retrouver face à un espace déserté entretient une peur vertigineuse.

Pourtant, j'ai quand même décidé de poursuivre mon chemin. J'ai décidé de ne plus laisser mes peurs régenter ma vie. Je m'en veux trop de ce qui s'est passé récemment. Alors je continue d'avancer, comme je l'avais commencé depuis des années. Je reprends la route. L'appel de la liberté n'est pas mort.

Après deux mois de tempête intérieure qui m'ont disloqué, anéanti, fait toucher le fond de mes fragilités, j'ai décidé de regonfler mes voiles. Je ne veux pas rentrer au port, revenir à ma vie d'avant. La peur est là, mais c'est son affrontement qui est l'aventure. C'est la conquète de ma propre audace que je veux poursuivre. Comme un marin solitaire, j'ai envie de retrouver la haute mer et les destinations lointaines, quelles que soient les vagues que je devrais affronter. J'en ai le désir et la ténacité [l'inconscience?]. J'irai à mon rythme, à ma lenteur.

J'ai voulu avancer en étant accompagné de près, en double, et ce fût mon erreur. Déchiré entre deux rythmes d'avancement, je n'ai pas su trouver le mien. Je n'ai pas su oser l'affirmer. Je crois que j'ai voulu aller trop vite alors que je n'étais pas assez aguerri. Je n'avais pas suffisamment confiance en mes compétences ni en mes forces. Mais l'expérience vient de la pratique et ce qui s'est passé ne peut que m'être bénéfique. Désormais je ne veux plus suivre une cadence qui n'est pas la mienne. Je veux prendre le temps qui m'est nécessaire. Je crois que le non-choix que je revendiquais n'était qu'un état transitoire. Il me fallait du temps pour entendre vraiment ce qu'il y avait au fond de moi. Trop de temps pour mes compagnes, qui supportaient mal le flou de mon incertitude ou mon manque d'assurance. Ce que je comprends, évidemment.

Chacune a tranché, avec détermination, et c'est ce qu'il fallait. Leur concordance dans un "tout ou rien" final m'aura laissé pantois mais aura eu le mérite de m'obliger à me déterminer, quoiqu'en complexifiant les données. Je prends mon autonomie par rapport à chacune d'elle. Pour Charlotte en restant volontairement à distance de trop d'affectivité (qui perturbe ma pensée propre), pour nathalie en ayant fini par accepter de rompre tout contact. Mais d'avoir accepté de faire le deuil de cette relation au présent n'entame en rien mes désirs de la faire revivre dans un avenir plus ou moins lointain. C'est peut-être un tort, une illusion à laquelle je m'accroche en vain, une folie que je ne vis qu'en solitaire, mais c'est la seule façon pour moi de poursuivre actuellement ma route. Je suis guidé par ma volonté de parvenir à retrouver ce qui me permettait de me surpasser.

J'ai maintenant compris que mon acceptation de suspendre notre relation n'était qu'un temps indispensable pour me retrouver. Ne voulant pas d'une rupture violente avec Charlotte, je n'avais pas d'autre issue que de temporiser, réduire les tensions. Le processus d'éloignement était pourtant enclenché depuis près d'un an, avec son premier ultimatum. Il s'est affermi ensuite lorsque j'ai dû vivre seul et sentir une certaine mise à distance qui a brisé quelque chose dans la confiance que j'avais en notre couple. Je ne peux que constater que notre lien s'est modifié en profondeur. A la fois plus sincère et plus détaché. La confiance et le respect sont bien meilleurs, mais l'autonomie que nous avons prise chacun est grandissante. C'est un peu comme si notre part d'amitié se renforçait, alors que la part amoureuse s'étiole (de mon côté). La proximité qui peut exister entre les deux sentiments lorsqu'on partage beaucoup de temps et de vieilles habitudes de couple crée une certaine ambiguité, mais certains signes ne trompent pas.

D'ailleurs, Charlotte qui est ébranlée par tout ce que je lui dis depuis des mois, se pose elle aussi beaucoup de questions sur ce qui la lie encore à moi. Elle voit bien toute l'importance que nathalie avait prise dans ma vie et à quel point la privation de cette relation a changé mon regard sur notre couple. A l'évidence je ne suis plus le même. Ce que j'avais investi avec nathalie ne se reporte pas sur le couple. Il y a un manque, une blessure qui reste ouverte. Et si je suis parvenu à ne plus souffrir de chaque pensée vers elle, il demeure qu'elle est "en moi" au quotidien. Et même la nuit puisqu'elle accompagne mes rêves, parfois de façon infiniment douce... avant que le réveil ne me ramène à une réalité moins exaltante. Tous mes désirs vont vers elle, et pas vers Charlotte. C'est un constat, et je ne vois pas comment je pourrai en modifier le sens.










Petit garçon bien sage





Mardi 19 octobre


Je devais avoir cinq ou six ans, et mon frère un an de moins. Une scène précise reste dans ma mémoire et s'affirme au fil des ans: mon frèrôt, mon alter ego, avait fait je ne sais quelle bêtise insignifiante, comme il en faisait tous les jours, et comme bien souvent il avait reçu une grosse fessée. Cette fois-ci, pourtant, la bêtise avait été un peu plus importante, ou alors simplement mon père était un peu plus énervé que d'habitude. Mon petit frère, en plus de la fessée, avait été enfermé dans le noir d'un placard à balais. Vu le temps qui s'est écoulé depuis, les souvenirs ne sont que fragmentaires. Il me semble qu'il y avait des cris de colère associés au coups (ceux de mon père) et des pleurs affolés (ceux de mon frère). Je ne sais pas pourquoi je me souviens précisément de cette scène, avec des images visuelles intactes, mais je crois que c'est ce jour-là que j'ai compris qu'il fallait que je sois un petit garçon bien sage si je ne voulais pas subir le même genre de châtiment. Je pense que mes yeux d'enfant ont vu avec terreur ce placard sombre, l'injustice de la colère, et la peur viscérale qui pouvait s'y attacher. Au plus loin de ma mémoire, c'est la première scène marquante de peur.

Il y en a eu bien d'autres ensuite, dues aux colères de mon père et à ses redoutablees fessées. Ma mère, suite à un accord entre eux de ne jamais se contredire devant nous, était complice par son silence. Elle semblait soutenir mon père et nous apprenait à courber l'échine pour que tout se passe bien. Ainsi j'ai appris à «marcher droit», à ne pas sortir des limites imparties, à être toujours bien sage pour ne pas risquer l'ire paternelle. Mon frère, lui, a pris l'option inverse. Plutôt provocateur, volontiers casse-cou, il a choisi au contraire de se faire remarquer par ses extravagances.

Je mesure maintenant à quel point cette peur initiale, conjuguée à ma personnalité, aura influencé ma vie. J'ai eu des difficultés avec tout ce qui ressemblait à de l'autorité paternelle: professeurs froids, hiérarchie, pouvoir, contraintes. Au contraire j'ai privilégié ce qui avait le coté maternel rassurant: professeurs encourageants, amour fusionnel, douceur.

Mais j'ai aussi fait taire la part d'enfant audacieux et libre qui était en moi, j'ai épousé la forme du moule, me me suis fondu dans la masse, suis devenu le plus lisse possible. J'ai opté pour le raisonnement, la réflexion, la mesure, le compromis, le consensus, l'approbation. Toutes mes émotions devaient être fondées, étayées, justifiées. Justifiées...

Résultat: je me trouve à mi-vie dans un sentiment d'inexistance, d'insignifiance. Toute ma vie est régie par mes peurs. Peur de déplaire, peur de la colère, peur de l'abandon. Tous les ingrédients de la scène primitive du placard à balais...

Je sais désormais que c'est dans ces peurs que prend la source de mon mal-être. Je sais que pour vivre comme je le désire, je dois affronter ces peurs qui me contraignent dans des limites trop exiguës. J'avais entrepris une démarche d'émancipation depuis des années, qui se concrétisait depuis plusieurs mois. Je me sentais enfin vivre. Mais la peur s'est insinuée et à miné ma tentative de libération, puis à fini par gagner une manche. J'ai reculé. Ce mouvement aura porté un coup bien plus fort que ce que j'avais imaginé. Déjà inquiet face à la menace de perte, une succession d'incompréhensions en ont renforcé les effets. Oui, j'étais inquiet, mais je ne désirais pas pour autant restaurer mon couple à tout prix, pas plus que je ne refusais le divorce ou de vivre seul. J'avais juste besoin de me situer, parer à l'urgence, comprendre et apprivoiser les peurs associées à ces changements. Mais d'autres peurs sont venues lorsque j'ai cru sentir se dissoudre ce qui m'avait fait tenir jusque là. Peur sur peur qui ne m'ont pas permis de reprendre mon souffle. Et j'ai coulé.

Avec un avantage: toucher le fond m'aura permis de donner l'impulsion nécessaire pour remonter.







Apprendre




Mercredi 20 octobre


Vous savez quoi? Je suis un irresponsable! Non pas que j'agisse sans réfléchir [ouarf, elle est bien bonne celle là...], mais parce que j'ai le détestable travers de reporter sur d'autres ma propre part de responsabilité dans ce qui m'arrive. Je me débrouille toujours [inconsciemment] pour considérer que c'est parce que l'un ou l'autre a fait quelque chose que j'ai été conduit à réagir en conséquence, malgré mes désirs. Non non, ça ne marche pas comme ça: c'est bien moi qui suis redevable de ce que je vis ou ressens. Personne ne m'oblige à réagir comme je le fais. Je ne suis pas victime de quiconque. Je me dois d'assumer ma part de responsabilité sans m'en défausser.

Si je me suis trouvé empêtré dans la douleur de la perte, c'est bien parce que je ne m'étais pas déterminé suffisamment clairement auparavant. D'une certaine façon j'ai "choisi" (par passivité) ce dont j'ai souffert. Si j'ai perdu celle que j'aime, c'est bien parce que je ne me suis pas engagé assez loin avec elle. La peur des conséquences lourdes est probablement une raison valable, mais c'est bien moi qui ai accepté de la laisser me dominer. J'aurais très bien pû me lancer, oser la folle aventure d'une nouvelle vie plutôt que de craindre je ne sais quelle catastrophe affective. J'ai choisi de me protéger, de ne pas tout déstabiliser, alors j'assume!

Bon... faut dire aussi que mon coté hyper-réfléchi ne m'aide pas vraiment à prendre des décisions qui engagent d'autres que moi. Si j'avais répondu à l'ultimatum de Charlotte par un «ok, alors on se quitte», j'aurais dû faire face à bien des problèmes. Je n'ai pas ce genre d'insouciance, cet optimisme forcené qui me ferait dire «je trouverai bien une solution à toutes les complications à venir». Non, je passe d'abord par l'évaluation des risques... et ceux-ci réveillent toutes mes peurs. Belle connerie qui me fait passer à côté des chances!

[je repense aux mots de Lou cet hiver, à Montréal, qui notait la distinction entre le «prendre le risque» des français, et le «tenter la chance» des québecois...]


Et puis... je crois que de toutes façons il était indispensable que je temporise. Je ne me voyais pas passer d'une relation à une autre par un tour de passe-passe. J'aurais été trop mal, trop culpabilisé de laisser tomber Charlotte pour vivre mes désirs avec nathalie. A la limite, ç'aurait été assez abject. J'aurais vraiment manqué de respect envers celle avec qui j'ai vécu si longtemps. Quant à la question de savoir si j'ai manqué de respect envers l'amour que j'avais pour nathalie, se pose t'elle? J'ai laissé faire [passivité qui ne retire rien de ma part de responsabilité...]. D'ailleurs... je me demande ce qui se serait passé si j'avais mesuré la portée de ce qui s'engageait à ce moment-là...

Mais les questions sont inutiles, seul le présent compte désormais.

Ah si, quand même, une question importante: pourquoi ai-je accepté de "suspendre" (c'était le terme que nous employions à ce moment là...) la relation alors que j'avais décidé de suivre un chemin d'émancipation?

Depuis le temps que j'y pense, je crois avoir trouvé. En fait il y avait un tel fond d'inquiétude face à l'enjeu de cette double relation, et au choix qu'il faudrait fatalement faire, que cela empoisonnait peu à peu ma relation avec nathalie. J'étais devenu très attentif à tout ce qui pouvait me rassurer, me conforter dans l'idée que cette relation était toujours aussi vivante et prometteuse qu'au départ. Savoir si nathalie était bien "là", avec moi. Solidaire de cette aventure audacieuse (pour moi). Or cette attitude n'était pas ouverte, dynamique, entreprenante. Pas assez... confiante. Il y avait comme un attentisme, une frilosité, et tout cela n'oeuvrait pas dans le sens de ma spontanéité et de ma liberté d'être, de l'épanouissement recherché. Je sais que j'en devenais moins attirant. Donc nathalie était moins démonstrative et enthousiaste, et moi encore plus attentif et inquiet. Le cercle vicieux s'enclenchait régulièrement et il fallait toute la vigilance de nathalie et euh... une certaine diplomatie de ma part, pour le désamorcer.

Quand j'y pense, avec le recul, c'était vraiment nul ce comportement timoré. Pfff, quand je vois à quoi ça nous a mené... C'est très con.
Et je m'amuse presque [rire jaune] de voir à quel point mes petites attentes étaient puériles lorsque je m'inquiétais de ne pas avoir de signes de sa part pendant un ou deux jours. Peuh... maintenant les semaines passent et ça ne m'empêche pas de continuer à avoir confiance en elle, et mon amour ne diminue pas, même s'il est radicalement modifié du fait de l'absence d'échange.


Mouais... l'auto-flagellation n'apporte rien. C'est vrai que c'était vachement compliqué à vivre un amour à 6000 km de distance. Alors la distance + un gars doutant de lui + la souffrance d'une épouse = beaucoup de raisons pour qu'on ne tienne pas le coup indéfiniment. Il fallait que des choses changent. Et la seule chose sur laquelle je pouvais agir, c'était le gars.

J'ai fait ce que j'ai pu mais mes doutes ont gagné et je suis donc largement responsable de cet abandon de la relation. Quoique... une relation existe à deux, et les responsabilités sont toujours co-partagées. Bah... peut-être qu'un certain fatalisme que je perçevais chez nathalie n'a rien arrangé? Il nous fallait une sacrée dose d'optimisme pour que ça marche. Et puis j'ai été trop présent, attendant la réciprocité, et cela avait pour effet direct de la faire fuir, elle me le disait bien. Peut-être qu'à vouloir rester absolument libre d'elle-même elle a fini par me faire peur? Plus je m'accrochais, plus elle s'éloignait. Tiens... comme maintenant peut-être?


Je me souviens comme parfois il m'était difficile de vivre cette relation, parce que je la voulais trop complice, trop reliée. Je vivais dans l'attente de nos moments ensembles, mais nathalie avait une autre vie, des états d'âme variables, un moral aléatoire, des emplois du temps élastiques. Peut-être avait-elle compris bien avant moi que notre distance ne permettait pas d'analogie avec une vie de couple tel que je la connais? Bref, je demandais trop et n'ai pas su vraiment m'adapter à son autonomie. Je n'ai pas su l'aimer telle qu'elle était, parce que j'avais encore trop besoin de signes rassurants de sa part. Comportement enfantin dont je mesure toujours mieux les effets dévastateurs. Ouais ouais... je le sentais bien tout ça, mais on ne se corrige pas en quelques mois. Pas moi, en tous cas. Pourtant, malgré mes difficultés j'y tenais, car il y avait bien d'autres côtés que j'appréciais énormément. Ça en vallait la peine. Il aurait fallu davantage de temps...

Le plus navrant c'est que c'est précisément par sa liberté amoureuse, son autonomie affective, qu'elle m'a séduite durant notre première année d'échanges. J'ignorais que c'est par cette différence que notre relation finirait par se désagréger. Je ne pensais pas qu'il me faudrait autant de temps pour savoir vivre ce que je pense, pourtant en accord avec elle sur le principe.

Bon, il semble que seule l'expérience fait véritablement comprendre les choses...


Ah oui, un truc important aussi: dans les moments de souffrance, c'est toujours notre part enfantine qui ressort. La moins belle, la plus fragile, la plus insécure. Et en cherchant à se rassurer on en devient souvent égocentriste, comme un enfant capricieux et exigeant. C'est à ces moments là que l'on reporte sur les autres notre ressentiment. Je dis "on", mais c'est bien sûr à mon attitude que je pense

Boaf... je sais bien que je suis injuste lorsque je souffre. Je l'ai forcément été ces derniers temps, parce que j'étais trop mal de sentir s'effondrer ce en quoi j'avais cru si fort. Alors je n'ai pas montré de moi le meilleur côté, j'en suis conscient [vouais, il est pas bien beau l'Idéaliste quand il est mal...]. Peut-être qu'il aurait été préférable [pour mon image?] que je me réfugie dans le silence? Pourtant c'est aussi ça la réalité des choses: de la souffrance qui entraîne des réactions désordonnées, une gesticulation de noyé s'accrochant à tout ce qu'il peut et qui maudit le monde du sort qui lui arrive. Une protection de soi qui se retourne parfois contre les autres, même ceux qu'on aime. Surtout ceux qu'on aime...
J'ai ronchonné contre la fatalité, contre Charlotte, ou même nathalie... Pfff, ça n'a fait que trahir ma propre incapacité à assumer les conséquences de mes actes. En laissant les choses se faire, je "choisissais" de les laisser se faire contre ma volonté. Tiens, ça m'apprendra!

Ça me montre surtout que je suis loin d'être autonome. Ce n'est pas en cherchant hors de moi que je me trouverai, que je me connaîtrai. C'est à une introspection que je dois me livrer, pas une extrospection déresponsabilisante. Allez, il est temps que je grandisse un peu!

Hmmm, voila bien un des aspects positifs que je pourrai retirer de toute cette histoire. Il est temps que j'en tire des enseignements.






L'éveil au désir




Jeudi 21 octobre


Je crois avoir compris quelque chose de bien important. Ou du moins ai-je assemblé suffisamment de pièces du puzzle pour voir apparaître un des éléments primordiaux de ma quête. Il tient en un mot. Un seul mot.

Désir.

Depuis des années j'ai tourné autour de ce mot dans ce journal, je l'ai souvent employé, mais je n'avais pas totalement intégré de quelle façon il agissait. Le désir, c'est une grande part de ce qui manquait dans mon couple, c'est ce qui m'a fait partir à sa recherche avant même que je l'identifie, c'est ce que j'ai trouvé... et ne veux pas perdre. C'est aussi partiellement ce par quoi s'est complexifiée ma relation avec nathalie.
 

Retrospective:
Au début, lorsque j'avais eu mes premières discussions intimes avec des femmes, puis une ébauche de relation fondée sur une attirance réciproque, je pensais qu'il s'agissait seulement d'une tentative de réassurance sur ma capacité de séduction. Il y avait du désir, une attirance, mais pas d'amour. Rien de menaçant pour mon couple, en fait. J'en étais certain. Je maîtrisais la situation. Quelques années plus tard, avec la complicité de nathalie, j'ai arpenté les variations autour du mot "aimer", conjonction d'amour et d'amitié. Je disais aimer deux femmes, mais «différemment». Cette différence était le désir, et le sentiment amoureux qui peut en naître.

Avec nathalie, comme suite naturelle de ce que j'ai perçu comme une extraordinaire complicité-amitié-attirance, j'ai découvert l'intensité du désir conjoint et du plaisir partagés dans l'amour. Ce fut une révélation. J'ai été submergé par cette vague. Une joie intense, inimaginée, un bonheur absolu [il n'y a pas d'autre mot] qui a bouleversé mes certitudes. Ma perception de l'amour s'est alors ouverte vers un vaste territoire à explorer. Depuis, je suis hanté par le souvenir tenace de ces moments fugitifs... que j'ai envie de retrouver.

Je ne sais pas encore bien comment le désir amoureux, physique, sexuel, interagit avec une dimension plus vaste du désir (se retrouver, faire des choses ensemble, avoir des projets...), mais je pressens que la frustration du désir amoureux peut largement influer sur le "désir de vivre" au sens large.

D'ailleurs, maintenant que je sais ce qu'est le désir, je ne peux que me rendre à l'évidence: Une part essentielle (sensualité/sexualité) n'existe plus à l'égard de Charlotte. Depuis très longtemps. En fait cette part de désir n'a existé que quelques jours, semaines ou mois... peu importe: à peine entrevu il n'a fait que s'estomper sans que je ne me rende compte de rien. Si je dis aimer Charlotte "d'amitié profonde", si j'ai eu tant de mal à comprendre quelle était cette forme d'attachement, c'est parce que je n'avais pas distingué cette composante qu'est le désir. Désir sexuel-amoureux. Comment aurais-je pu me rendre compte qu'il avait disparu puisque j'ignorais ce que c'était? Je le pressentais pourtant, et c'est ce qui m'a attiré hors du couple. La citation de Jung «Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur comme un destin.» trouve là toute sa justification...

Aimer d'amour et aimer d'amitié forte (ou intime) se différencient donc par l'idée de désir. C'est tout simple en fait. Comment ai-je pu être aveuglé aussi longtemps et ne pas intégrer cette différence? Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir lu un peu partout. Mais le déclic ne s'était pas fait.

Alors, si depuis bientôt deux mois je partage beaucoup de temps avec Charlotte et me sens plutôt bien avec elle, quelque chose semble cependant éteint: le désir. Je ne la désire pas physiquement, je ne peux plus l'embrasser, ni la toucher se façon sensuelle. Même les gestes de tendresse conjugale ne peuvent durer trop longtemps sans que je sente une gêne, et le besoin de m'y soustraire. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai trop d'images et de sensations de ces échanges avec nathalie qui prennent la place, mais il est certain que mes désirs sont toujours envers elle. Et je ne crois pas que ça changera de sitôt. En deux mois il n'y a eu aucune évolution, si ce n'est vers un éloignement de ce genre de situation. Je ne fuis pas Charlotte, je constate juste que le désir n'est pas là. Mon désir a été éveillé par nathalie, investi avec elle, et malgré son absence il demeure orienté vers elle. C'est comme ça.

Je sais désormais que ce qui existait auparavant dans mon couple n'était qu'une illusion de désir. De façon un peu cruelle, je peux dire que je n'ai jamais ressenti un tel désir, ni un pareil plaisir, qu'avec nathalie [ce que je n'ai évidemment pas dit à Charlotte, la sincérité ayant ses limites...].

Tout ce qui est amoureux et désirant envers Charlotte semble s'effacer, mais en revanche je me rapproche d'elle en "amitié" (j'utilise ce terme faute de mieux). Je crois que je ne m'étais pas senti aussi proche d'elle depuis très longtemps, en confiance, a l'écoute et écouté. Peut-être parce que je ne suis plus dans une dynamique amoureuse?
Car c'est aussi ça qui dessine: je n'ai plus d'élan vers elle ni vers la poursuite de notre relation dans sa dimension "amoureuse". Je n'ai plus de projets lointains avec elle, car je ne sais pas vers quoi nous allons. Elle me disait récemment que si je devais revenir à la maison, ce qu'elle souhaite, il me faudrait quand même la reconquérir parce qu'elle gardait une blessure de ce qui s'est passé. Mais pour moi, cette reconquète n'a pas lieu d'être! Je ne saurais quoi reconquérir puisque je n'ai rien abandonné et ne souhaite rien de plus proche entre nous. Mon attachement est resté intact tout au long de ces mois. Mon "amour" (illusion...) serait certainement resté si je n'avais pas senti cet "abandon" du couple de sa part au plus fort de la crise [je comprends évidemment qu'elle ait ressenti initialement un abandon de ma part, même si je ne le vivais pas ainsi]. Ce point de divergence reste très sensible et nous évitons le sujet autant que possible.

Ainsi, jour après jour apparaît l'évidence. Et pas seulement dans les mots ou les idées, mais dans les actes, dans les ressentis. A force de décortiquer l'amour, j'ai fini par voir de quoi il était constitué. Ce qui est authentique et ce qui n'était qu'illusion.


C'est par le constat des différences de ce que je vivais avec nathalie que j'ai pu comprendre. C'est aussi après la suspension de notre relation que j'ai mieux saisi ce qu'elle m'apportait, et que je ne retrouvais pas dans mon couple. Mes désirs absents ont été révélés avec une autre que Charlotte. Voila pourquoi j'aimais de façon "unique", incarné par deux femmes entre lesquelles je ne pouvais alors pas choisir.


Et maintenant, après m'être empêtré dans mes fragilités et mes peurs, je vis avec mon "amie" alors que je n'ai plus de contact avec celle qui fût (et reste) mon amour...
La vie est parfois bizarre et absurdement compliquée.






Histoires de couples




Samedi 23 octobre


En déplacement durant les deniers week-end, je n'avais pas revu nos deux plus grand enfants depuis trois semaines. Davantage que lorsque je m'étais rendu au Québec cet hiver pour partager la vie de nathalie...

Nous nous sommes donc retrouvés à cinq, la cellule familiale au complet, pour notre premier repas ensemble depuis un mois. Ce genre de retrouvailles s'espace, avec la prise d'autonomie progressive de chacun. D'ici très peu d'années la maison ne se remplira que les fins de semaine, de moins en moins souvent. Auoaravant je pensais que nous nous retrouverions tous les deux seuls, avec Charlotte, non sans une certaine satisfaction. Notre avenir familial et conjugal semblait tracé et je ne m'inquiétais pas de la perspective de cette solitude à deux. Finalement, ne serait-ce pas une liberté retrouvée? Parents trois ans après nous être mariés, nous n'avions eu que peu de temps pour vivre la découverte du couple.
Entre l'omniprésence demandée par de jeunes enfants et leur émancipation qui rend de la liberté au parents, finalement tout va très très vite. Quelques années dans une vie. Nos enfants sont grands, et dans peu d'années n'auront plus besoin de nous.

Evidemment... cet avenir d'un couple vieillissant de concert est maintenant devenu nébuleux. Nous vivons donc au présent, au jour le jour, tant notre union peut évoluer différemment de ce qui était prévu. Anticiper l'avenir est bien un leurre, et tout peut basculer en peu de temps.




Ma fille avait emprunté le film "Sur la route de Madison". Je ne sais pas pourquoi cette idée lui est venue, mais ce n'est assurément pas un hasard. Charlotte a immédiatement dit qu'elle ne le regarderait pas, et de mon coté je suis resté assez dubitatif. Puis finalement nous nous sommes laissés aller à la curiosité («je regarde juste un petit peu...»), et avons été absorbés.
J'avais vu ce film mythique il y a quelques années. Il m'avait touché. Je me souvenais bien de cette histoire d'un homme de passage, sans attaches, et de l'attirance qui opérait avec une femme mariée vivant dans la tranquillité d'une routine. Je me rappelais surtout de ce coté "impossible" de suivre un amour en quittant toute une vie, mari, enfants, maison... Un beau film tout en sensualité et désir feutré, romantique et troublant.
Hier, je ne l'ai pas du tout revu de cette façon. Ce n'était plus un film. C'était mon vécu et ses émotions restituées. On perçoit différemment quelque chose selon qu'on sait ou pas. Et je ne peux m'empêcher de penser au refus de laisser remonter les souvenirs de ceux qui ont vécu des atrocités, des drames humains. De l'extérieur on peut parfois se demander à quoi rime cette amnésie volontaire, mais lorsqu'on l'a vécu intensément la perception est toute autre. Il devient difficile de prendre le recul nécessaire. Je n'irai pas plus loin dans la comparaison puisque ce que j'ai vécu n'a rien d'un drame et réveille simultanément des souvenirs de pur bonheur.

A la fin du film ma fille m'a posé des questions, percevant très bien les similitudes avec ce que j'ai vécu. Elle m'a dit qu'en entendant les phrases de l'homme, elle avait l'impressions que c'étaient les miennes. Je crois qu'elle a très bien compris la nature de ce qui me liait à nathalie et la cruauté du choix torturant qui devait être fait. Je sens mes deux aînés compatissants, très respectueux de cet amour. Et sans vouloir m'avancer... il me semble qu'ils seraient presque fiers de me voir suivre mes aspirations. A quelques remarques de leur part, hors présence de Charlotte, je les sens presque... admiratifs de cette démarche de liberté de soi. Je dois dire que je suis heureux de les savoir ainsi conscients de la nécessité d'oser être soi.

Charlotte n'a pas pu regarder jusqu'au bout, car c'est nathalie et moi qu'elle imaginait dans toutes les scènes d'intimité, de désir, de rapprochement. Je comprends son malaise...
C'est son identité profonde de femme qu'elle remet en question en constatant qu'elle n'a pas su éveiller autant de désir chez moi (la discrétion que je garde autour de ce que j'ai partagé avec nathalie est certainement éloquente). Sa remise en question sur le rôle d'épouse parfaite et de mère attentive, qu'elle a endossé depuis des années, est douloureuse et touchante. J'ai tenté de la rassurer au mieux, lui expliquant avec douceur que ce que j'ai vécu est mon histoire personnelle, et qu'elle ne doit pas se culpabiliser ou se dévaloriser. Je sais que tout ce qui s'est passé est très difficile à vivre et j'admire sa force de rester debout face à un tel choc. Je crois qu'il est des plus déstabilisants qui soient, excepté la mort d'un proche. Mais ma compassion n'a pas à me faire agir par pitié...


Quant à moi, tout au long du film, je retrouvais des analogies avec les instants que nous avions partagé avec nathalie. Je revivais ce désir d'aller vers elle. D'aller vers son être, vers son essence, vers ce qui d'elle était unique à mes yeux. Je songeais à nos moments où se percevait avec la plus absolue certitude ce désir d'aller l'un vers l'autre. Ce mouvement intérieur de l'être qui induit l'élan naturel du rapprochement intime.

Je revoyais aussi mes questions, mes doutes, mes peurs absurdes...
Je le sais maintenant: nathalie avait beaucoup d'avance sur moi. Elle avait compris bien davantage de choses sur l'amour, sur sa façon d'aimer, sur ce qui anéantissait le désir de rapprochement. Et moi je l'écoutais, je tentais de m'imprégner de ce qu'elle disait et qui me semblait correspondre à ma vision de l'amour, mais je n'étais pas encore prêt pour le vivre. Aimer n'est pas facile, demande un investissement constant, et surtout de ne pas douter de soi. J'avais trop besoin d'être régulièrement rassuré pour ne pas me laisser happer par ces doutes.
Je crois que de douter trop de moi a fait aussi que je n'ai pas suffisamment osé dire ce qu'était aimer pour moi. J'avais une expérience, celle de l'amour au long cours, et j'aurais pu avoir davantage confiance en ce que j'en savais pour lui en faire part.

Pourtant, je ne veux pas avoir de regrets. J'ai fait ce que j'ai pu, le plus sincèrement et honnêtement qu'il m'était possible. Je ne pouvais pas faire mieux jusque là.

La fin du film (l'épouse décide de ne pas suivre l'homme grâce à qui elle à vécu un éblouissement de... quatre jours seulement) m'a ramené à ce moment du choix décisif, dont j'écris parfois qu'il m'a "échappé". Il me faudra encore un peu de temps pour décrypter ce qui s'est passé à cet instant crucial, mais les éléments s'assemblent peu à peu. Une phrase m'a toutefois particulièrement marqué, énoncée lorsque l'homme demande à la femme si elle désire poursuivre cet amour avec lui, pour qui «ce genre de certitude ne peut venir qu'une seule fois dans toute votre vie».

J'ai ce genre de certitude vis à vis de ce qui nous liait. Et nous lie toujours, je veux le croire. «Nous ne serons plus jamais des être distincts» disait l'homme, «nous sommes liés» avions nous écrit avec nathalie. Ces mots là, et bien d'autres, je ne les oublie pas.


Lentement me revient avec force cette confiance profonde que la déchirure de la perte et la peur de l'abandon ont parfois fait vaciller. Et ça aussi, je veux le comprendre et le dépasser.





«C'est un mécanisme difficile que « la bonne » décision. Certes, des décisions de toutes natures nous en prenons à chaque instant... Mais voilà... Sont-elles toujours judicieuses ! ?
(...)

Il n'y a pas 1000 chemins possibles mais un seul : retrouver en soi son ÉLAN VITAL et lui faire confiance. C'est sans doute le plus difficile, mais à partir de là tout coule de source. C'est difficile car, soit l'élan vital n'est pas éveillé ou pire ne l'a jamais été ; soit il existe, même ténu, mais les peurs symboliques l'entravent en permanence.»



J'en rêve encore
- 22/10/2004






Juste une pensée





Lundi 25 octobre


Hier j'ai fait un petit tour du côté de mes archives pour voir où j'en étais il y a un an. Surprenant! J'écrivais le même genre de chose qu'actuellement, constatant la disparition de mon amour pour Charlotte, alors que celui envers nathalie me portait. Je commençais à me dire que la séparation serait peut-être au bout de tout ça. Je parlais aussi beaucoup d'élan amoureux, n'ayant pas encore compris cette notion de désir qui faisait toute la différence entre les deux relations.

Ouais... un an! Un an pour assimiler, intégrer, absorber ces idées qui ne faisaient alors qu'apparaître. C'est là que je constate à quel point ce journal m'aide à avancer [fort lentement, je le concède...]. Ecrire une idée est la première étape qui concrétise une prise de conscience. Elle est alors là, déposée comme une graine en attente. Il faut ensuite un loooong processus de maturation pour que celle-ci devienne évidence. Savoir quelque chose n'est pas le vivre de l'intérieur. Il faut encore que les choses passent du cerveau au "coeur". Du mental à l'émotionnel, du concept au ressenti profond. C'est en tous cas ainsi que je fonctionne.

Ce n'est pas la première fois que je constate ce décalage entre le moment de la découverte et celui de sa mise en application. Régulièrement des lectures retrospectives me surprennent par la clairvoyance qui apparaissait bien avant que je n'intègre vraiment les choses. Depuis combien de temps sais-je que je ne suis plus amoureux de Charlotte? Or ce n'est que maintenant que j'agis de façon conforme à cet état d'esprit en prenant une certaine distance physique. C'est maintenant que je me comporte en ami intime davantage qu'en amour-illusion. Inexorablement un mouvement de réajustement opère, presque malgré moi. Comme si quelque chose me guidait sans que je ne puisse l'éviter.

Je deviens actif dans la séparation, en refusant par exemple de revenir vivre chez Charlotte. En évoquant clairement avec elle ce désir qui ne revient pas. En abordant moi-même, sans retenue, le sujet de la séparation définitive. Bon... ce ne sont pas encore des actes matériellement engageants, mais ils coupent dejà certaines alternatives. Je ne cherche pas à éviter ce qui se précise. J'ai aussi décidé de pratiquer la "spontanéité sincère". C'est à dire que je ne retiens pas mes élans vers Charlotte tout en manifestant mes éventuelles limites. Un peu de tendresse lorsque je ressens l'envie de la réconforter, ou parce qu'être dans ses bras me fait du bien, mais pas de gestes intimes. En fait je place mes limites, je marque mon territoire, mon espace de liberté. J'apprends à dire non, posément, en m'écoutant.

J'aurais pu me replier seul chez moi, mais c'était un peu dommage de couper ce qui existe encore. J'aurais pu revenir chez elle, mais ç'aurait été retrouver une situation insatisfaisante. J'ai donc opté, pour le moment, pour une solution médiane qui me convient, lui convient [vous avez remarqué que je préfère toujours les solutions nuancées...] et me semble la meilleure actuellement, afin de préparer l'évolution en douceur de notre relation. Pour le moment ça se passe bien, mais je m'attends à ce que Charlotte puisse manifester de nouveau froidement un besoin de mise à distance. Cette fois j'y suis prêt. Je ne me sentirai plus rejeté. J'essaie toutefois, autant que ce sera possible, de garder entre nous une relation faite de respect, d'écoute, d'attention. Ne pas déclencher de souffrance excessive et les réactions de protection qui les accompagnent. Tout ce que je fais vise clairement à ce que l'évolution de notre relation se passe "bien", mais en étant prêt à négocier les besoins de Charlotte si elle désire une séparation plus radicale que ce que je souhaite.

Il y a cette évidence désormais de ce que je ressens vis à vis de notre couple. Et ça, c'est bien différent de ce que je ressentais l'an dernier [vouais, je vous dit que ça avance quand même...]. La grosse différence est dans l'acceptation des conséquences et l'apparition d'une certaine force intérieure qui me permet de bien mieux maîtriser les évènements que l'an dernier. Je ne subis plus, je choisis et assume.

Il était important pour tous que ce genre de situation se passe hors de la "présence" de nathalie dans ma vie. Finalement, cette suspension aura été une solution saine et sage. Je ne peux que remercier nathalie d'avoir su le comprendre...



... nathalie...

Mouais... c'est vrai qu'elle est loin maintenant... Etait-ce vraiment il y a deux mois et demi que nous étions dans les bras l'un de l'autre? Et combien de temps depuis nos derniers adieux au téléphone?

Faut pas trop que j'y pense. Je ne regarde plus que rarement nos photos de cet été, je ne relis plus ses derniers messages, ni nos échanges plus anciens. J'évite tout ce qui peut ramener à la douleur du manque, préférant laisser éclore le souvenir d'instants heureux, lorsque ma mémoire les ravive. Ça me fait du bien, ça m'aide à rendre ma vie souriante.

Elle est lointaine, mais pourtant totalement en moi. Elle "m'accompagne" en permanence. Elle fait partie de ma vie et je puise dans ce que nous avons partagé la force de continuer mon chemin.

Aujourd'hui, je pense tout particulièrement à elle. J'aurais aimé pouvoir lui transmettre mes pensées pour cette date particulière qu'elle redoutait un peu. J'aurais aimé la taquiner, plaisanter, la faire rire...
Je lui aurais écrit un petit mot, un peu romantique et vaguement cucul, parce que je suis comme ça.

Mais il ne faut pas trop que je pense à elle si je veux rester solide...
Juste une pensée.









Potentiellement




Mercredi 27 octobre


Réveil étrange et désagréable hier matin, suite à une soirée de discussion avec des amis autour de notre situation de couple. Tout d'un coup, je réalisais à quel point je vivais une double vie. Il y a celle qui est réelle, engageante, et celle que je vis "ici", dans cet autre monde que l'on qualifie de virtuel. Finalement, je commence à mieux comprendre le sens de ce mot, qui me dérangeait au début. Ce qui s'y passe est bien réel dans ce qui est ressenti. Les échanges qui s'y développent ont bien cette réalité émotionnelle, les moments partagés ont bien une réalité de convivialité, les idées émises sont réellement des convictions sincères ou des désirs à vivre... mais tout reste dans le domaine de la pensée. Virtuellement réalisable, mais à prouver par les actes. Et il faut avouer que rien n'existe tant qu'on en reste aux intentions...

Depuis quatre ans que j'écris en ligne, je suis allé très loin dans la connaissance de moi. Je sais désormais bien mieux ce qui m'anime, ce qui m'attire. Je sais [partiellement] qui je suis vraiment. Sauf que je constate que ce qu'on est vraiment au fond de soi n'a de sens que si on peut l'être aussi dans la réalité du monde sensoriel. Je sais donc qui je suis vraiment... virtuellement. Potentiellement. Qui je peux être si j'en ai le courage. Je me retrouve face à moi-même, mes propres mots déposés étant le miroir de mes audaces ou de mes peurs. L'image déformée qui en ressort est parfois peu flatteuse...

J'en reviens donc à mes questions d'il y a quelques temps: suis-je ce que j'ai conscience d'être? [c'est pas un sujet de philo, ça?] Qui suis-je vraiment: celui qui pense ou celui qui agit? Pour quelqu'un qui veut être authentique avec soi et les autres, sincère jusqu'au plus loin, la mise en perspective est étourdissante. Voila un nouveau défi qui s'impose à moi. Aller vers les limites de soi, affronter la mise en conformité de ses pensées et de ses actes. Oh la la, pas facile tout ça...

Dans ce journal, ou ailleurs dans le monde d'internet, je me suis exprimé le plus sincèrement possible, en fonction de ce que je pensais. Or la réalité m'a récemment montré que mes peurs étaient suffisamment puissantes pour me freiner dans mes élans les plus forts. Je ne suis donc pas ce que je pensais être. Je me découvre des côtés moins reluisants qui ternissent la confiance en moi que j'essayais d'acquérir. Je ne le regrette d'ailleurs pas, parce que c'est avant tout de la lucidité sur soi. Mais bon... mon estime de moi en a pris un coup. Ça m'a ramènené à un peu plus d'humilité, et c'est très bien. Finalement, c'est aussi une force que de découvrir ses faiblesses.

[Drôle de clin d'oeil que d'en arriver là une fois de plus, car c'est en lisant un constat de ce genre sur le journal de nathalie, il y a très longtemps, que ma vie a pris le tournant qui m'a mené jusque ici...]


J'écris que mon estime de moi en a pris un coup, parce que mes peurs m'ont fait me déterminer alors que j'aurais préféré avoir le courage d'être fidèle à mes désirs de liberté. Parce qu'en... pensant à moi, à ma survie, j'ai... hum... laissé s'interrompre la relation que j'avais avec nathalie. Pendant quelques temps j'en ai eu honte. Pourtant... pourtant... je sais aussi que j'ai agi de la meilleure façon. C'était ce qu'il fallait faire à ce moment là. Tout simplement parce que je n'étais pas prêt à poursuivre le chemin avec elle dans de bonnes conditions. Je n'étais pas libre dans ma tête, pas capable de m'assumer seul. Oui, d'une certaine façon j'ai renoncé à un présent qui n'avait pas assez de place dans la réalité pour qu'un "nous" existe réellement. Il avait une large part de virtuel, de potentiel, dans ce que j'écrivais de mes désirs.

Alors, bien que cette mise à l'épreuve de la réalité m'ait cruellement montré mes limites présentes, je retrouve une estime de moi, plus en rapport avec la réalité de ce que je suis. Je sais mieux ce que je dois travailler pour avoir la capacité de vivre mes rêves. Car le désir de les vivre, aussi fort soit-il, ne suffit pas.

Je ne baisse donc pas les bras. J'ai repris ma route après la tempête. Et je suis surpris par cette force que je découvre en moi. Je pensais que sans la présence directe de nathalie à mes côtés il me manquerait ce soutien qu'elle m'apportait, mais je découvre, comme elle me l'avait dit, que j'ai maintenant intégré suffisamment de ce qu'elle m'a transmis pour poursuivre. Je pense comprendre par moi-même ce qu'elle avait découvert avant moi. Il m'aura fallu passer par l'expérience personnelle, par la réalité des choses, pour intégrer ce que je ne comprenais pas toujours chez elle.

Et bizarrement... je crois que ça me rapproche d'elle.







Je suis trop




Vendredi 29 octobre


Je suis passé voir mes parents il y a quelques jours. Il s'inquiétaient de l'évolution de notre couple, et surtout déprimaient un peu de se sentir vieillir et avoir de moins en moins de contact avec leurs enfants. Je ne leur ai pas dit qu'ils y étaient probablement pour quelque chose, et que nos vies accaparées n'expliquaient pas tout...

Une fois de plus je me suis abondamment exprimé tandis qu'ils m'écoutaient. Je ressens toujours plus d'aisance et de confiance en moi, je ne cherche plus à gommer les aspérités de celui que je me sens être. Je dis ce que je pense, et tant pis si ça surprend ou que je perçois un désaccord. Je ne me laisse plus intimider lorsque c'est le cas. Sans chercher à convaincre, je me borne généralement à témoigner de ce que je vis. 

J'ai quand même réagi résolument lorsque j'ai entendu, une fois de plus, «tu es trop exigeant». Trop... trop-ci, ou trop ça. Combien de fois l'ai-je entendu de la part de personnes qui ne comprennent pas ma démarche? «Tu te poses trop de question», «Tu es trop perfectionniste»... Je n'aime pas ce "trop" qui culpabilise, donne l'impression de mal faire! Je ne choisis pas d'être "trop"! Je suis fabriqué comme ça, c'est ma nature profonde et elle s'impose à moi. Certes, je me pose sans doute plus de questions existentielles qu'une certaine moyenne des gens. Mais "plus" ce n'est pas "trop". Il n'y a pas de norme, ni de hors-norme, seulement des variations, une diversité de comportements et de personnalités.


J'ai aussi ressenti un peu de tristesse à voir ma mère tellement convaincue qu'elle avait fait le bon choix en acceptant son sort vers la quarantaine et s'en dire aujourd'hui sans regrets... Elle ne se rend pas compte que cette résignation est souvent perceptible au fond de son regard et que son entrain semble surfait.

Mes parents font partie de ces gens qui considèrent que le couple passe avant tout et doit rester immuable.



* * *




Remarque étonnante et agréable de Charlotte qui est venue vers moi pour me dire: «je te trouve courageux». Ça m'a ému...
D'autant plus que ce jour là c'était plutôt difficile. Je ressentais un vague à l'âme en pensant à nathalie, à nos échanges passés, notre amitié-complicité qui me manque beaucoup. Si je m'efforce de ne pas laisser revenir des souvenirs précis [sans y parvenir, évidemment...], il reste cette impression de manque, ce vide que le remplissage du temps ne compense pas.

Et puis je me suis rendu compte d'une chose: je n'ai personne avec qui je peux parler de cette absence. Evoquer ma relation de couple, pas de problème. Eventuellement parler de mon "autre relation" parce qu'elle a conditionné le présent, ça passe encore. Mais dire l'absence et la douleur de la perte... ben non, je ne peux pas en parler. Personne de mon entourage ne connaissait nathalie, par contre tout le monde voit le couple conjugal et s'inquiète de son devenir. Mais moi j'aimerais dire ma peine, faire vivre nathalie par mes mots, parler d'elle et de ce que nous vivions. Une fois j'ai pu le faire, récemment, et ça m'a fait très plaisir. Parfois j'évoque aussi avec ma psy ce que je vivais, mais les larmes reviennent instantanément... Seuls mes deux aînés m'en parlent parfois, et me demandent si j'ai des nouvelles d'elle. Ils sont tristes de constater la situation, parce qu'ils avaient beaucoup apprécié cette femme réjouie et si "jeune" dans son attitude, bien différente de notre cercle de connaissance.

Vouais... je suis bien loin de l'oublier ma nathalie...


Alors oui, je suis courageux d'endurer ma peine en silence. De garder bonne figure et de retrouver bon moral. Je cache ce que je ressens, je garde pour moi ces fragments de vie qui surgissent inopinément dans mes journées. Je les éteins dans un soupir. Et parfois je soupire beaucoup.

Mais ce n'est pas de ce courage là que parlait Charlotte. Plutôt de celui de la démarche d'authenticité, et la persévérance à continuer malgré tout ce qui se passe. Elle voit que je ne renonce pas à "avancer", même si c'est difficile, même s'il m'arrive encore d'en pleurer devant elle, parce que c'est douloureux pour moi de ne pas pouvoir la rendre heureuse.

Courageux, nous le sommes tous les trois. Charlotte, qui tient le coup alors qu'elle voit bien que je ne parviens pas à retrouver une vraie joie de vivre avec elle et qu'une grande incertitude règne dans notre couple. Et nathalie, qui semble parvenir à reprendre une vie normale malgré la déception. Ou du moins qui s'y efforce.






Insatisfaction?




Samedi 30 octobre


Peu de temps pour écrire en ce moment, à cause de mon activité professionnelle. Travail assez épuisant et sommeil réduisant mes soirées. Il y a aussi les moments que je passe avec Charlotte, à discuter longuement de notre couple. Car il s'en passe des choses, en ce moment... Il y a des remises en question très préoccupantes qui vont au delà du seul lien de couple. Je m'efforce de régler les questions dans un certain ordre, mais bien souvent tout est lié et forme un conglomérat un peu effrayant. Le temps n'est pas encore venu d'en parler ici.


Ce matin Charlotte se demandait, une fois de plus, si je n'étais pas un éternel insatisfait. Il est vrai que je peux donner cette impression, pointant souvent sur ce qui me dérange. Ce fût le cas lorsque j'analysais les dysfonctionnements de notre couple. Mon objectif est généralement celui d'une amélioration d'une situation, mais peut-être que je ne donne pas cette impression dans ma façon de l'exprimer.

J'ai été sensible à cette remarque, parce qu'il y a quelques mois c'est nathalie qui me disait parfois «c'est comme si pour toi il n'y avait jamais assez». Ben oui, parce que là aussi j'exprimais certains manques relationnels, ne sachant pas bien comment les résorber.

En fait, je crois que mon "insatisfaction" révèle quelque chose d'autre: la peur du changement. Ou la peur de l'évolution d'une situation. Le mot-clé, c'est "peur". Quel est le rapport entre insatisfaction apparente et peur? C'est tout simple: j'ai peur que la nouveauté soit moins bien que ce que je connais. J'ai peur que l'évolution d'une situation soit moins enthousiasmante que ce que j'ai vécu avant. D'où l'expression de ce qui ressemble à de l'insatisfaction, alors que ce n'est que de l'inquiétude. En fait je manque de confiance dans l'avenir, dans l'inconnu, dans la différence. Je sais ce que j'ai et je crains toujours de le perdre pour moins bien. C'est idiot, j'en suis conscient, mais les peurs sont bien souvent idiotes...

Par contre l'insatisfaction dans mon couple, qui me fait parfois passer pour «trop exigeant», me semble devenue réelle. A l'origine elle venait sans doute d'une peur de l'évolution relationnelle des premiers mois. A ce moment là se sont mis en place des mécanismes dûs à une frustration non exprimée, ou non entendue, qui ont généré cette impression d'insatisfaction durable. Ils ont fait basculer progressivement le sentiment amoureux vers une relation d'amitié. Tout cela est ancien, et maintenant bien installé. Je n'imagine pas que le retour en arrière soit possible. Et il y a une bonne raison à cela: si je rencontrais Charlotte actuellement, je ne crois pas que je tomberais amoureux d'elle...

Avec nathalie s'exprimait parfois une inquiétude, lorsque je constatais l'évolution de nos échanges. Dans ce changement je craignais de sentir les premiers signes d'un moindre investissement, dont j'avais vu les effets sur mon couple au long cours...
Malheureusement ce manque de confiance [qui me domine] agissait directement sur la relation, de façon négative: je paraissais insatisfait et n'en étais que moins attirant. J'avais besoin de réassurances régulières pour retrouver toute ma... satisfaction. Et mon éclat.

D'ailleurs, c'est bien en me souvenant de ce que j'ai vécu avec nathalie que je suis certain de ne pas être un perpétuel insatisfait. Les moments de plénitude que j'ai ressenti avec elle prouvent que je peux être parfaitement satisfait.

Bon... la chose à travailler c'est donc cette peur du changement.


Ouais... ben justement! C'est à cause de ça que tout à coincé. C'est toujours ça qui bloque mes décisions: la peur de me tromper, de perdre ce que j'ai, que j'en sois ou non satisfait. Absurde! Et même maintenant que j'ai décidé d'affronter mes peurs et d'agir, et bien c'est une panique qui se déclenche dès que j'agis. Je sais qu'à partir du moment où j'aurais posé un acte déterminant, énoncé quelque chose d'engageant, et bien très rapidement c'est la position inverse qui deviendra dominante. Parce que j'aurais soudainement peur d'avoir osé exprimer mes désirs. Peur des conséquences prévisibles, peur des changements à venir. Peur de perdre aussi. Peur de l'abandon, évidemment.

Peur, peur, peur... à croire que mes peurs dirigent ma vie!

C'est épuisant. Je passe une énergie considérable dans ces hésitations incessantes entre des peurs contraires. Faut dire que là je me suis attaqué à un sacré morceau, questions peurs... Et plus personne n'est là pour me rassurer. Je ne peux compter que sur moi-même et être attentif à mes désirs et intuitions.

Mouais, c'est certainement pas un hasard si je me trouve devant une telle "épreuve". C'est tout un défi.







Tout dire





Dimanche 31 octobre


Faut-il tout dire? C'est le thème abordé par un magazine que Charlotte a *négligemment* laissé trainer sur la table de la cuisine. Evidemment je me suis jeté dessus, puisque je me questionne régulièrement sur les limites de la sincérité. Nous avons ensuite eu une discussion à ce sujet et il en est ressorti que le problème vient surtout du fait d'imposer à l'autre sa sincérité. De ne pas s'enquérir préventivement de son éventuelle disponibilité, ou capacité, à entendre des choses difficiles. Allusion à mes récents aveux autour de l'absence de désir et d'élan amoureux envers elle.

Il est certain que c'est quelque chose de particulièrement douloureux à accepter, profondément déstabilisant pour l'identité même de la personne qui l'entend. De mon côté, il me semblait préférable d'avoir ce genre de sincérité plutôt que de me montrer fuyant vis à vis de l'intimité, ou de ne pouvoir partager le désir de reconstruire notre couple de façon... euh... traditionnelle. Il me semblait que ça aurait pu être davantage inquiétant pour elle de ne pas en connaître les raisons.

Double erreur: en faisant cela je surprotégeais Charlotte en anticipant ses éventuelles réactions de souffrance, mais je lui imposais aussi une souffrance qu'elle n'était pas prête à entendre. Je n'ai donc pas été assez à son écoute, je n'ai pas respecté son temps de cheminement. Elle se serait bien rendue compte toute seule de cette "distance" que je maintiens entre nous, et aurait pu choisir le moment de m'en parler en me questionnant à ce sujet. Vouais... à vouloir trop bien faire on fait mal.

En creusant un peu plus loin, je pense que mon désir d'éviter de la souffrance à l'autre est aussi une façon de me protéger d'un éventuel rejet... Peur du rejet, une fois de plus. C'est idiot puisque je crée justement ce que je cherche à éviter [soupir].


J'ai alors repensé à ce qui se passait parfois avec nathalie [oui, tout ce qui se passe dans le couple conjugal me ramène à ma relation avec elle, et inversement]. Par... peur [putain, mais elle est partout cette peur!] il m'arrivait de ne pas dire immédiatement à nathalie ce que je ressentais. Je n'étais pas assez à l'écoute de mes émotions, que j'essayais de maîtriser. J'avais la crainte de lui déplaire en lui montrant mes faiblesses (dépendance) et mes... peurs, justement. Alors je gardais ça dans un coin, n'étais pas sincère, et ça finissait par ressortir plus tard. Déformé, amplifié, boursouflé, et finalement sans grand rapport avec la réalité. Elle n'aimait pas ça, et je la comprends. Sauf que je savais qu'elle n'aimait pas... et... ben ça ne faisait qu'accroître ma peur. Complètement con, je sais...

A l'évidence j'ai un problème avec la sincérité. Entre le trop et le pas assez. Et c'est étroitement lié a mes peurs. Je ne sais pas bien discerner ce qui nécessite de la sincérité (pour qui la souhaite) et ce qu'il est préférable de garder pour moi (ou de ne pas imposer à qui ne le souhaite pas).



Allons un peu plus loin...
Ce journal. Pourquoi tiens-je à pousser aussi loin la sincérité et le dévoilement? C'est pas un peu bizarre d'écrire autant sur mon intimité, mes pensées, mes faiblesses? Pourquoi me montrer ainsi, me placer en position de vulnérabilité? Pourquoi cette volonté de sincérité [qui n'est que partielle puisque je choisis les limites de ce que je dévoile de moi]? Après tout je pourrais écrire en privé et ça me permettrait tout autant (ou différemment) de mieux me connaître.

Peut-être est-ce une façon d'apprivoiser ma peur du jugement et du rejet? Une nécessité de me montrer à nu et de voir ce qui se passe? Un moyen de constater que ma sincérité ne dévoile rien de monstrueux et que je suis tout à fait acceptable jusqu'à mes pensées intimes? Je retrouve là cette crainte du rejet, que, d'une certaine façon, j'affronte. Oui, c'est ça: ce journal me permet d'affronter ma peur d'être différent. Ce journal me permet, sous couvert de relatif anonymat, de me sentir accepté par mes semblables.

Mais [il y a toujours des "mais" avec moi...], il est aussi devenu depuis un peu plus d'un an un moyen de communication indirecte. Un outil de sincérité frauduleuse. Je me permettais d'y être sincère en sachant que j'étais lu par ma plus intime complice, tout en n'étant pas totalement sincère en direct. Je me cachais derrière mes mots, la distance, le décalage temporel. Je n'aimais pas ça, mais c'était un moyen pratique de dire sans dire. Pas très courageux en fait... Je distillais mes préoccupations en espérant que ça permettrait d'aborder les choses plus franchement. Et en général ça fonctionnait puisque nathalie me posait des questions. Après tout c'était une façon de lancer des pistes qui, finalement, me permettait d'aller plus loin dans les échanges qui suivaient. Il n'empêche que ce décalage laissait à des interprétations la place de s'insinuer, et qu'il fallait rattraper ça ensuite.

Mouais... le journal intime écrit devant les yeux de la personne aimée n'est pas l'exercice le plus facile, ni même le plus recommandable. L'exercice est aisé et fort agréable lorsque tout va bien, nettement moins lorsque des complications surviennent. J'en ai certainement trop dit dans mon journal et pas assez en "face à face". L'ironie, c'est que maintenant je ne peux plus rien dire en face à face! [meeeerde...] Quelle que soit ma prise de conscience, elle ne passe pas le test de vérité en conditions réelles. Et j'avoue que parfois je peine à écrire en songeant que, de l'autre côté de l'Atlantique, ses yeux lisent probablement mes lignes...
Résister à la tentation de faire passer un message, ne pas chercher à "communiquer", ne surtout pas me laisser aller à de l'interprétation que personne ne pourra corriger. Exercice délicat, un peu masochiste, mais pas inintéressant. Il m'amènera sans doute à une épure, quelque chose de plus personnel. Il me permet surtout de retrouver une réflexion personnelle et de comprendre seul mes erreurs.


Finalement, c'est sans doute ce qu'il peut m'arriver de mieux.




«En écrivant, je vois à quel point je me conçois comme refusant l'ancrage amoureux. Maintenant que je le sais, je devrais faire avec... Alors qu'en même temps, j'ai ressenti souvent, ces derniers temps, un besoin de sécurité. Savoir qu'il y a quelqu'un de fixe, de présent, qui nous soutient, nous réconforte, nous regarde, c'est tentant. Curieux que moi pour qui la notion de confort est si sensible, je ne la traduise pas dans mon comportement affectif.»


Narcissite
- 27/10/2004







Mois de novembre 2004