Année 2021

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Pas ce soir




Samedi 13 février 2021

[Mis en ligne le 8 août 2021]


Je ne me livre plus guère à l'introspection approfondie. Je n'en ai plus besoin. Plus le temps. Disons plutôt que j'ai d'autres priorités.

Je sais pourtant que je pourrais aller gratter là où je sais que ce pourrait être utile. Je devrais peut-être écrire « là où ça me ferait du bien ». Car je pense que je pourrais trouver un certain plaisir à raviver de que j'ai laissé s'endormir. Non : ce que j'ai volontairement repoussé jusqu'à ce que je n'y pense plus.

Là, en cet instant, je pourrais donner la parole à cette part de moi qui sait comment faire parler l'autre.

Ah oui ?

Non. Pas ce soir. Pas maintenant.

Dommage...

En ce moment je regarde la série intitulé "En thérapie". Chaque épisode présente une séance d'analyse avec un psy, avec retour régulier des mêmes personnages. C'est captivant et joué avec une grande justesse. Certains instants du récit me ramènent à ma propre thérapie, d'autres me procurent un effet de résonance. Je pense en particulier à des paroles rassurantes sur la valeur personnelle d'une des analysantes. Je pense aussi à la notion de vulnérabilité.

Valeur et vulnérabilité. Avoir de la valeur et être vulnérable. Force et sensibilité. Les deux à la fois. Ou bien... être vulnérable et dévalorisé. Blessure et sensibilité, mauvais coktail.





Indépassable



Vendredi 21 mai 2021
[Mis en ligne le 8 août 2021]


Il a été question à la radio, ces derniers jours, de la relation amoureuse qui exista entre Anne Pingeot et François Mitterand durant 33 ans. Le quarantième anniversaire de l'arrivée au pouvoir de l'homme politique en était probablement le prétexte. J'ai voulu écouter la série d'entretiens qu'Anne Pingeot a donnés sur France-Culture et notamment la lecture des lettres d'amour qu'elle recevait de cet homme public marié à une autre femme. Depuis que je connais cette histoire, je crois que je suis admiratif de la  "double vie" dont elle témoigne.

Je ne me souviens plus de ce que j'en ai pensé lorsque cela a été dévoilé dans la presse mais je ne crois pas avoir ressenti la moindre réprobation. Tout au plus un étonnement. Rien n'aurait pu me laisser imaginer que, quelques années plus tard, j'allais être moi-même pris dans une situation similaire - toutes proportions gardées, cela va de soi.

En écoutant ce soir les propos d'Anne Pingeot et les extraits de lettres lus, ma pensée fit des va-et-vient avec mon propre passé, ravivant le souvenir de la singulière rencontre amoureuse que, jadis, ici je narrai. Le talent, le souffle et l'épaisseur en moins, je retrouvai l'essence de ce qui crée l'inoubliable, l'unique et, peut-être, l'indépassable.






Envole-toi



Lundi 24 mai 2021
[Mis en ligne le 8 août 2021]

J'ai poursuivi ce soir, avec un documentaire, la découverte de la passion amoureuse totalement hors-norme de François Mitterand et Anne Pingeot. Hors-norme parce que cet homme épris n'a jamais renoncé à sa jeune amante qui, pourtant, tenta plusieurs fois de quitter cette relation qui la faisait souffrir. Souffrance de devoir restée cachée, de ne pas pouvoir partager davantage de temps avec celui qu'elle admirait, qui la fascinait, mais dont les fonctions et le destin n'allaient permettre que des parenthèses de liberté.

Fascinant, il l'était, et ses lettres étaient empreintes de tant de ferveur que le quitter était un crève coeur. Mais aussi une aspiration à la liberté.

« Si tu m'aimes, tu dois essayer de me rendre heureuse. Et me rendre heureuse, c'est t'effacer. Si je te fais mal c'est qu'on ne peut se détacher de quelqu'un qui vous tient les poignets qu'en mordant. Essaie de comprendre. Nous luttons chacun pour notre vie et puisque nous ne pouvons lutter ensemble, je te demande de me laisser choisir » [Anne Pingeot, septembre 1971].

Un peu plus loin elle écrit « Rien n'est jamais acquis ».

Ces mots d'Aragon, tronquant la citation complète, je les ai lus à l'identique de la part de celle que j'aimais lorsqu'elle me quitta. Car elle aussi a choisi, mais avec une telle ambivalence que je m'y suis perdu. J'ai tenté de la retenir, maladroitement, tiraillé entre le souhait de la laisser libre, si tel était son choix, et l'intense douleur de ce que je percevais comme une perte infinie. Il nous a fallu des années pour nous quitter, nous désattacher, nous désintégrer. Ce qui m'a fait accepter de la laisser partir ce sont finalement quelques mots clairs, étonnament similaires à ceux d'Anne Pingeot.

Mon inspiratrice voulait être heureuse... et c'était sans moi.
Quand je l'ai enfin compris je l'ai laissée partir.
Ultime acte d'amour. Abnégation, littéralement, guidée par la droiture morale dont j'ai hérité.

François à tout fait pour garder Anne, par qui il trouvait force, joie et courage. Lui a obtenu ce qu'il voulait, mais elle ? Qu'a t-elle gagné et perdu à partager le destin de cet homme hors du commun ?

De mon coté, homme assurément moins admirable, j'ai fait ce que j'ai pu pour que celle que j'aimais n'abandonne pas l'aventure qui m'ouvrait au monde. Je ne pouvais pas beaucoup et je n'ai pas été en capacité d'infléchir une décision qui m'était funeste. Respectant finalement le choix de la rupture, quand il est enfin devenu clair, j'ai accordé à l'aimée ce qu'elle voulait... Va. Envole-toi. Mais j'en suis encore à me demander quelle est l'étendue de ce que j'ai perdu.

Certes, j'ai conquis ma liberté. J'ai trouvé un nouvel équilibre en solitaire. Mais est-ce vraiment ce à quoi j'aspirais ?






Dignité



Samedi 29 mai 2021
[Mis en ligne le 8 août 2021]


L'emploi du mot "abnégation", dans mon précédent texte m'a fait cogiter. D'abord lorsque je l'ai écrit, en pensant à toute la dimension prétentieuse (et quelque peu désuète) qu'il peut revêtir. Ensuite en revenant me titiller : pourquoi avoir employé ce terme... prétentieux.

Lorsque j'hésite sur le sens précis d'un mot, je m'en réfère a sa définition : « Renoncement, sacrifice volontaire, consenti dans un intérêt supérieur et portant sur (une partie de) soi-même ou sur une valeur qui représente généralement un intérêt, une ambition, une satisfaction légitimes, etc. » [source : Cnrtl].

C'est bien avec ce sens que je l'ai employé. Sans aller jusqu'à l'idée dérangeante de "sacrifice", il a bien celle de renoncement. Renoncement à la satisfaction personnelle d'un désir, d'une envie, d'une aspiration. Comme on l'entends parfois, j'ai "pris sur moi" en consentant à cesser toute tentative de restauration d'un lien rompu. Dit comme ça, on pourrait penser qu'il suffit d'une décision irrévocable posée un jour une bonne fois pour toutes. En fait il en va tout autrement : la décision doit être continuellement prolongée. Il ne s'agit pas du renoncement à un acte limité dans le temps, définitivement passé et irréversible, mais d'un renoncement reconduit jour après jour, mois après mois, année après année. C'est en cela que l'abnégation a un sens particulier : il s'agit d'un engagement durable.

En l'occurrence un engagement à répondre à une demande émise sans limitation de durée. En substance : "laisse-moi partir, laisse-moi passer à autre chose, laisse-moi tranquille". À l'opposé de ce que je souhaitais : "parlons de ce qui s'est passé, essayons de comprendre nos besoins respectifs afin de retrouver l'entente qui nous a liés".

En acceptant cette divergence de cheminement j'ai consenti à renoncer à ce qui, en fonction de ma configuration intellectuelle, morale et sensible, était "vital". C'est en ce sens que je confie parfois que je suis "mort". Ou du moins que quelque chose en moi est "mort" depuis que j'ai accepté de ne plus m'épuiser à courir après cette "vie" qui m'appelait. Certes, avec le temps j'ai investi d'autres champs, d'autres motivations, mais tout un pan de mon élan existentiel s'est figé, retenu par les fils tenaces du non-dit et non-élucidé. Comme si une partie de moi était resté engluée dans une toile d'araignée.

Je suis comme dissocié, entre cette pensée restée en suspens et mon être présent qui a continué à vivre, à s'intéresser à autre chose en recouvrant le non-élucidé des multiples couches de l'oubli volontaire. Cette dissimulation fonctionne bien, à la condition que je ne cherche pas à soulever les couvertures et que ne regarde pas dans leur direction quand je sens qu'un morceau dépasse. Il y a quelque chose d'ectoplasmique dans cette situation : tout est là mais je ne m'en approche pas. Ce fut toute une discipline à apprendre : ne pas regarder, ne pas toucher, ne pas soulever... alors qu'au début je n'avais d'yeux que pour cette énigme, que je voulais absolument comprendre et dépasser.

Passent les années, restent les souvenirs et la poussière qui les recouvre.

Aujourd'hui je peux écrire sur ce fatras qui gît dans mon grenier mental. Je suis en capacité d'observer ce tas de couvertures sans m'en approcher, sans soulever la moindre poussière. C'est là, dans la pénombre, statique.

Autant j'ai pu ressentir des remords à avoir trop écrit sur ce que je traversais, autant je ressens maintenant une sorte de fierté à cotoyer cette présence fantômatique sans lui accorder d'attention. Ainsi, en respectant le pacte de la disparition volontaire je retrouve une silencieuse dignité.





Désactivé



Dimanche 11 juillet 2021
[Mis en ligne le 8 août 2021]


De temps en temps je me demande, fugacement, pourquoi je n'écris plus. Auparavant je passais des heures à pianoter sur mon clavier, regrettant de ne pouvoir y consacrer autant de temps que je le souhaitais. Les pensées agitaient mon esprit et la mise en mot représentait un exutoire propice à la compréhension. Ainsi, plus j'écrivais et plus je pensais, et réciproquement.

Désormais ce mécanisme s'est désactivé.







En veille



Vendredi 30 juillet 2021
[Mis en ligne le 8 août 2021]


Aujourd'hui j'ai remis en place le formulaire d'abonnement aux mises à jour, qui ne fonctionnait plus depuis longtemps. Il n'y a évidemment plus aucun abonné de la liste d'origine. Par ailleurs j'ignore totalement si qui que ce soit a lu mes écrits depuis mes périodes de grand silence.

Pourquoi proposer de nouveau une possibilité d'abonnement, alors que j'écris si peu et laisse passer des mois avant de publier en rafale ? Que signifie ce rétablissement d'une fonction qui me semblait devenue inutile ? L'acte n'est pas dénué d'un sens qui, à cet instant, m'échappe.

Je sais que ce journal garde pour moi une importance particulière. J'aurai pu le clore, en le déconnectant d'internet ou le laissant définitivement figé, éteint. Mais non, je le garde "en veille", susceptible d'être réactivé si le besoin s'en faisait sentir. C'est dans ma nature d'éviter les actes irréversibles. Je laisse ouverts les possibles.

Il n'est pas exclu qu'un jour je reprenne le fil de l'écriture. Il est même probable que j'y revienne...

C'est comme si j'attendais le bon moment.







Sédimentation



Samedi 7 août 2021
[Mis en ligne le 8 août 2021]


Allez, cette fois je me lance ! Un peu. Je verrai bien ce qu'il en sortira. Faut dire que j'ai été aiguillonné par un coup du sort, totalement imprévu : en rangeant de la paperasse je suis tombé sur une pochette marquée "Incrédule" [Un nom qui évoquera sûrement quelque chose à quiconque a lu les débuts de ce journal]. Petite surprise pour moi parce que ce qui concerne ce... sujet [on va dire ça comme ça] est classé ailleurs, soigneusement rangé et expressement maintenu fermé. Pas question de remuer tout ça !

Bon, mais là cette pochette égarée m'a fait un clin d'oeil et la curiosité m'a poussé à l'ouvrir. M'y attendaient une petite épaisseur de feuillets imprimés. D'abord des extraits de son journal, période fin 1999 ; ensuite nos premiers échanges, datés de juillet 2000.

Que dire et que penser de ce que suscite en moi la relecture (rapide) des origines de cette histoire/aventure/expérience [aucun de ces termes inadéquats ne me convient] ? D'abord que je "connais" bien cette période initiale, plusieurs fois relue lorsque j'ai eu besoin de comprendre ce qui avait pu mener au désastre. Tout cela est bien intégré dans le récit, désormais figé, que je pourrais en faire. Seuls les détails d'époque apportent quelques précisions sorties de ma mémoire. Par exemple la citation d'un paragraphe de Proust, sur le silence relationnel, est assez surprenante à lire a posteriori.

Et puis ?

Que dire ?

Rien ! Je sens à l'instant une chape de mutisme couvrir toutes les pensées qui pourraient se développer. Les pistes se ferment aussitôt entrevues, comme autant de portes se verrouillant sous mes yeux. J'ai clairement senti le flux jubilatoire de l'écriture se tarir dès la fin de mon deuxième paragraphe. Le « je me lance » initial a vu toute son énergie potentielle absorbée par les freins serrés : ne pas aller plus loin.

Ironie : les extraits imprimés lus tout à l'heure contiennent le texte fondateur, vantant, par « l'extraordinaire liberté de la désinvolture », une libération confidentielle qui, pour moi, passait par l'écriture. Ces quelques phrases ont eu, jadis, un rôle de Sésame, avant de se retrouver intégralement retournées par je ne sais quelle malédiction. Du moins pour cette histoire-là.

J'ignore encore, à ce jour, si je parviendrai à m'extraire vivant du souvenir dormant de cette stupéfiante et indescriptible rencontre autrement que par l'observation, silencieuse et distante, du dépot sédimentaire qui recouvre peu à peu les restes de son pitoyable naufrage.

Il se pourrait bien [j'en suis quasi certain] que le tarissement de mon écriture, tout comme celui de mes correspondances - voire de mes amitiés - dépende de cette résolution inachevée.

Euh... et j'écris tout ça juste parce que j'ai retrouvé une pochette et quelques feuilles ?






Qui je suis



Dimanche 8 août 2021


Ce texte sera t-il celui que j'estime suffisamment significatif pour débloquer les ébauches dont, depuis le début de l'année, je diffère la publication ?

Hier soir, après avoir écrit ici, je suis retourné lire le contenu de la pochette marquée "Incrédule". Une série de mails, datés de l'automne 2002, constituent sans doute le coeur de la correspondance qui nous a étroitement liés. Les échanges, fort plaisants, sont centrés sur nos besoins respectifs, représentations et attentes en matière de relations affectives. Je crois que c'est durant cette période de découverte réciproque que nous avons construit, de façon approfondie, le lien si particulier qui nous rapprocha. Au point d'investir à ce moment-là d'autres moyens d'échange que l'écriture.


C'est du moins ce que j'ai retrouvé en lisant nos courriels, dont la date d'impression est de deux ans postérieure : 23 août 2004. Par curiosité je suis allé relire, cette fois dans ce journal, ce que j'écrivais autour de ce jour-là, c'est à dire peu de temps après notre ultime rencontre. J'ai replongé dans cette période d'intense réflexion, encore ouverte à tous les possibles, durant laquelle j'étais censé éclaircir mes choix d'homme marié. Il était attendu que je détermine l'orientation que je voulais donner à ma vie : retrouver la conjugalité... ou m'en émanciper ? Je pense qu'en imprimant ces échanges pour mieux les relire j'avais voulu retrouver les fondements de ce qui m'avait rendu cette relation tellement importante.

Poursuivant ma re(re-re-re-re)lecture j'ai redécouvert de très longs textes, émotionellement engagés, dans lesquels j'assistais, dévasté et incrédule, dépassé et impuissant, à un délitement relationnel alors même que je luttais d'arrache-pied pour le faire perdurer. Ma lutte intérieure, entre des craintes issues de l'enfance et des aspirations à m'en libérer, était épuisante. L'homme en devenir avait bien des difficultés à compter sur ses assises, encore mal assurées.

Cette période fut extrêmement douloureuse à vivre [j'ai tendance à l'oublier] mais assurément nécessaire pour savoir ce que je voulais. J'envisageais toutes les possibilités, dessinant peu à peu les objectifs que je voulais suivre et qui, de ce fait, induisaient des impasses auxquelles je devais renoncer.

Seize ans plus tard, où en suis-je ?

Je pourrais dire que cela ne me préoccupe plus. Que je n'y pense plus guère. Que ma vie est autre, désormais. Tout cela est vrai... et pourtant !


Depuis quelques semaines je vois un "coach". Je n'avais jamais eu recours à ce genre d'accompagnement, me sentant suffisamment bien dans ma vie, dans mes choix, pour me débrouiller seul. D'ailleurs il y a maintenant des années que je ne me pose plus vraiment de questions sur ma vie affective [sauf pour constater, de temps en temps, qu'elle est de très faible intensité]. Non, la raison qui m'a poussé à entreprendre ce nouveau travail sur moi-même est d'une autre nature : je voudrais être convainquant. Trop souvent, dans le contexte de mes engagements politiques locaux, je me suis senti manquer d'assurance face à des contradicteurs. Or mes préoccupations environnementales me conduisent, de plus en plus ouvertement, à prendre position de façon résolue. Y compris face à des élus ayant des responsabilités significatives, parfois dotés d'une aisance oratoire, d'une assurance apparente et d'un pouvoir que je n'ai pas.

Si je m'accomode bien d'être qui je suis dans la vie privée et professionnelle, j'estime que la cause environnementale qui me tient à coeur nécessite que je la défende avec davantage de force et d'assurance. Or je constate mes limites [stress et ses conséquences] et ressens un manque d'assurance persuasive.

Le travail "coaché" consiste à... parler de moi : pourquoi je suis là, les objectifs que je vise, les limites que je perçois et les moyens dont je dispose. Autrement dit : faire l'inventaire de mes forces et faiblesses, mais aussi de mes aspirations, de mes valeurs, de mes convictions.

D'une certaine façon je réévalue qui je suis, exercice que je n'ai plus fait depuis pas mal de temps, par défaut de nécessité. Ce faisant je reprends appui sur le travail effectué antérieurement. Je crois pouvoir dire que je me connais "assez bien", après des années de thérapie et d'écriture analytique. Je peux donc passer rapidement sur les grands axes, décrire dans le détail quelques ramifications largement explorées. Pas de grandes découvertes, donc, mais des éléments qui font saillie. Je retrouve aussi mes fondamentaux : les valeurs sur lesquelles je m'appuie, ce qui compte pour moi, ce que je n'aime pas, me stresse ou me contrarie. L'exercice diffère de la thérapie, dans le sens qu'il ne m'est pas demandé d'analyser l'origine de telle ou telle difficulté, mais d'en prendre acte. J'ai l'impression qu'il s'agit plutôt de faire émerger mes points forts. Non sans surprise je découvre que j'en ai quand même pas mal ! Empathie [voire "hyperempathie" dixit la coach...], ouverture aux autres, esprit de justice, force de conviction... Pour chaque notion évoquée peut se développer un échange visant à la préciser. Dialogue utile permettant d'affiner l'autoportrait qui s'esquisse. J'aime bien.

Lors de la dernière séance, il y a deux jours, la personne qui m'accompagne m'a demandé de dessiner un arbre : tronc, branches, racines, feuilles et sol. Ensuite je devais nommer ce qui constituait mes racines. Spontanément le terme de "famille" m'est venu, que j'ai immédiatement scindé en père/mère/fratrie et prolongé dans les profondeurs historiques [il se trouve, par coïncidence, que je suis dans une période de lecture d'écrits familiaux]. J'ai nommé aussi un élément qui fonde mon existence : le rapport à la nature. D'autres élements, encore, comme la notion de transmission ou mon besoin de solitude. Là encore, à chaque fois j'apportais des précisions qui m'éclairaient en me permettant d'établir des liens.

Des liens... J'ai évoqué l'amitié et son indispensable corollaire, la confiance. Élement fondateur dans mon parcours de vie, j'ai identifié de longue date la confiance comme étant centrale dans mon rapport aux autres. Lien direct avec mon père autoritaire et cassant, lien direct avec des amitiés trahies... et une amitié transatlantique ayant fait naufrage. Lien aussi avec la raison principale qui m'a fait entreprendre la démarche : renforcer ma confiance en moi. Or il m'apparaît peu à peu que j'ai désormais confiance en ce que je suis. Ce qui pose problème c'est lorsque je suis face à autrui sans savoir si je peux accorder confiance. Sans savoir si l'interlocuteur en est digne (ou en sachant que ce n'est pas le cas). Ma nature profonde est de faire confiance a priori, mais moult blessures m'ont appris à être prudent. Je reste sensible au jugement d'autrui, au dénigrement, à l'exclusion.

Tout cela je le sais. Ce que je ne sais pas encore c'est comment rester droit, garder confiance en mes ressources lorsque l'autre "attaque" qui je suis ou ce que je dis. D'où l'importance de conforter mes assises en passant en revue mes forces. Elles sont là, je les identifie plus ou moins, d'autres les reconnaissent. Reste à savoir ce qui fait que, lorsque je suis "attaqué", je les oublie ?


* * *

Trop fort !
En bifurquant sur le « où en suis-je aujourd'hui » j'ai pu distraire mon impulsion première [refoulée] : écrire [peut-être] sur l'incertitude [indécidable ?] dans laquelle je demeure depuis... seize ans. Car à l'évidence je n'ai toujours pas "tranché"... et ne le ferai peut-être jamais. Ce sont d'ailleurs des éléments qui sont apparus sur mon dessin d'arbre, au niveau du substrat dans lequel sont ancrées mes racines : persévérance et fidélité. Je sais par ailleurs que je m'accomode assez bien de l'indécidable, qui reste pour moi un fil de réflexion aussi longtemps que je ne le romps pas. Il semble bien que je ne suis pas un homme de rupture(s).






Sans limite de durée




Dimanche 15 Août 2021
[Mis en ligne le 10 décembre 2021]

L'écriture a pour moi un effet stimulant : dès que je m'y laisse aller, j'ai envie d'y revenir. Tout se joue donc dans ce "laisser y aller". Laisser y entrer serait plus juste.

Car, la plupart du temps, je ne me laisse pas y entrer. Souvent faute de temps, mais aussi par retenue. Ou plutôt par autocensure. Je m'empêche d'y entrer. Je m'empêche d'écrire en suivant ce qui me stimulerait... et dont j'estime préférable [pour quoi ? pour qui ?] de ne pas y entrer.

La  méthode est efficace : en empêchant l'envie d'advenir, elle finit par disparaître. Par s'éteindre. J'éteins "l'en-vie". Et peut-être est-ce parce que je pressens que cette "en-vie" joue avec quelque chose de "mort". Et que, peut-être, il y aurait là quelque chose de névrotique.

Soyons clair : mon aspiration a écrire ici [et seulement ici] me relie indubitablement à quelque chose qui, de fait, n'est plus. Mais qui, intérieurement, est toujours présent. À la fois passé et présent, à la fois mort et vivant.
Je viens d'écouter une émission sur France culture, intitulée "L'amour en deuil". Il y était question de deuil "vrai", à savoir la perte d'un être cher. Or le deuil que je porte, ce deuil avec lequel je vis, est celui de la perte d'une personne... vivante [du moins jusque-là...]. Les effets de la perte sont cependant assez proches puisque de fait, je ne peux pas plus interagir avec cette personne vivante que si elle était vraiment morte.

Ça, c'est ce que je me dis. Ou plus exactement c'est le pacte que je respecte : pour la paix de chacun, je n'entre pas en contact avec celle qui a voulu que je disparaisse de sa vie. Non, ce n'est pas vraiment cela. Quelque chose de plus subtil : qui m'a demandé de ne pas chercher à la recontacter. Explicitement formulé. Et là, en l'écrivant, me revient en tête l'abomination [ressentie] d'une telle demande. Car elle me fait porter la charge d'y répondre au détriment de mes propres désirs. En quelque sorte je dois faire preuve d'abnégation - littéralement, la négation de soi. Et ce, sans limitation de durée. C'est à dire jusqu'à la mort. D'où le lien que j'établis entre cette perte sans mort et le deuil de la mort véritable.

La question qui se pose est plurielle : d'une part, pourquoi ai-je accepté cela lorsqu'elle me l'a demandé ; d'autre part qu'est-ce qui fait que je continue à l'accepter ?

Tentons de répondre à la seconde, dont l'actualité dure depuis un nombre d'années conséquent. Qu'est-ce qui fait que je prolonge indéfiniment l'engagement moral de ne pas contacter celle qui me l'a demandé ? La réponse est contenue dans la question : l'engagement est sans limite de durée, donc rien ne justifie d'y déroger. Il me suffit de me rappeler cet engagement. Autrement dit : rien de mon côté, ne me permet de l'abolir. Et puis il y a la réalité des faits : que pourrais-je bien dire pour justifier que je brise l'engagement ? Et pour dire quoi ? Et pour aboutir à quoi ?

Non, les choses sont claires : la paix est à ce prix. La sienne... et finalement la mienne, tant la simple éventualité de rompre le pacte me place face au vertige du "quoi dire ?". Autant une fréquence d'échanges peut conduire à une fluidité relationnelle, autant leur interruption longue rend hasardeuse la reprise de contact. Et davantage encore lorsque l'interruption - pour ne pas dire la fin - résulte de graves incompréhensions.

En toute logique, il n'y a aucune raison pour que je tente une reprise de contact. Le mieux est donc... de ne rien faire et de rester en paix. Il m'est plus confortable de faire durer le status quo que d'y mettre un terme.

Car une autre option aurait pu être de prendre définitivement acte de la rupture de contact. Sans possibilité de retour en arrière. Comme une "vraie" mort, en quelque sorte. Simple question de perception. Il aurait fallu que, dans mon mental, cette possibilité de rupture définitive existe. Il semble que ce ne soit pas le cas. Je crois l'avoir déjà évoqué : penser dans l'incertitude semble être une de mes caractéristiques. L'indécidable et l'oscillation permanente qu'elle entretient a pour moi quelque chose de vibrant, de "vivant".

Ce faisant, est-ce que cela n'opère pas au détriment d'une autre façon d'être vivant ? En acceptant la mort, ne s'ouvre t-on pas à la vie, au changement ? Sans doute. Mais peut-être sais-je accepter des morts partielles, fragmentaires, sans avoir besoin de morts totales. Quelque chose de ce qui a existé est mort, mais une part reste vivante en moi. Probablement aussi en l'autre, quand il s'agit d'une relation. Peut-être ai-je la capacité de discerner entre le vivant et le mort, entre ce qui demeure et ce qui n'est plus.

Il se peut aussi que je me leurre, trompé par un imaginaire laissé trop longtemps sans confrontation à celui de l'autre.





Je ne sais pas



Vendredi 20 août 2021
[Mis en ligne le 10 décembre 2021]

Tu as laissé volontairement ton texte précédent en attente de publication. Sais-tu pourquoi ?

J'en ai quelque idée, oui. Il soulève ce coin du voile, ce "bout de couverture" sur ce que j'ai patiemment mis à l'écart depuis pas mal d'années. Il vient titiller un sujet sensible, que précisément j'évite de toucher. Depuis des années je me dis « pas touche ! », parce que je sais que si j'ouvre la boite de Pandore vont très rapidement s'en échapper des feu follets qui pourraient bien rallumer réflexions et questionnements.

De quel genre ?

Du genre : que s'est-il passé ?
...

Tu hésites à poursuivre. Tu hésites, à cet instant même, à ouvrir la boite rien qu'en l'évoquant.

Absolument. Je me suis parfaitement conditionné : pas touche !

Qu'est-ce que tu risques à y toucher ? Il faudra bien qu'un jour tu éclaircisse le mystère. C'est la seule façon de te libérer de cette zone obscure. Aurais-tu peur de quelque chose ?

Je ne sais pas si j'ai peur... ou pas envie. Je crois que je me suis bien accommodé de ce "trou noir", dont je ne m'approche plus. C'est une zone d'attraction de laquelle je reste au large.

Je te vois hésiter, réfléchir...

Ai-je plus à gagner qu'à perdre en ouvrant la boite ? C'est ce qui me fait hésiter. Le status quo est plutôt confortable. Au contraire commencer à regarder du côté du "trou noir" ne peut que réveiller la force gravitationnelle de laquelle je me suis éloigné. Donc oui, j'ai peur de ce phénomène d'attraction. J'ai peur de perdre le contrôle sur ce que je dis et montre de moi. J'ai peur de me fragiliser.

Précisément : tu es là au coeur de ta démarche d'écriture. « Je ne refoule plus, je mets à vif ». Tu sais bien que la peur est limitante et que la liberté consiste à lui faire face. Souviens-toi de cette injonction que tu avais prise pour défi : ose !

Ok. J'ose me lancer... et je verrai bien ce qu'il en sort. Ça risque d'être long. En vrac, la première chose qui me vient c'est de la honte. Je porte la peine d'avoir mal compris, mal évalué, mal agi. Je m'en veux. Oui, je m'en veux d'avoir défavorablement contribué au naufrage qui... j'ose le dire... me hante. Quoi que soit devenue ma vie depuis cet effondrement intérieur, je garde la trace - oserais-je dire la présence - de ce... je ne sais comment le nommer. Des mots me viennent : rencontre, aventure, fulgurance. Je cherche les mots justes tout en essayant de rester dans le jeté-spontané.

Peut-être est-ce aussi cette difficulté à nommer les choses qui m'a peu à peu conduit au silence diaristique ? Tout était devenu tellement compliqué quand est venu le temps des incompréhensions. Le langage n'opérait plus, quelque chose se produisait dans... l'absence. Et peut-être est-ce moi, et moi seul, qui m'égarais dans l'imaginaire des suppositions. Je ne sais pas. Il y a tant de choses que je ne sais pas, tant de chose que je n'ai pas comprises.

Tu t'en veux ?

Je m'en veux de n'avoir pas saisi avec suffisamment de finesse, de recul, de stabilité, ce qui se jouait dès les premiers signes de divergence. Ils me... déstabilisaient. Quelque chose m'échappait. Encore une question de contrôle de la situation, en fait. Ou plutôt de souplesse face à l'imprévu. Oui, c'est cela : j'étais raide.

Manque de confiance ?

Manque de confiance en moi, donc manque de confiance en l'autre.

Tout ça tu le sais maintenant. Ce n'est donc pas de ce côté qu'il faut chercher. Revenons à la honte : sur quoi porte t-elle maintenant ?

Elle porte sur le fait que je sois encoooooore dans une histoire officiellement terminée depuis fort longtemps. Non, disons plutôt que cette histoire est encore en moi. Forcément, puisque je l'ai laissée dans un coin, faute d'avoir pu la "traiter". D'un autre côté, comme je le laissais entendre dans mon précédent texte, je l'ai laissée dans un coin sans vouloir m'en débarasser. J'aurais pu enclencher un processus mental de mise à distance définitive, par un mécanisme de rejet, voire de haine. Tuer l'histoire, en quelque sorte. Or j'ai parfaitement conscience de l'avoir laissée vivre. J'ai choisi de la laisser vivre en moi. Pour tout un tas de raisons, déjà esquissées : j'avais "besoin" qu'il en soit ainsi. Parce que c'est dans ma nature de "laisser la chance", c'est dans ma nature de croire en la fidélité (la confiance), c'est dans ma nature de... rêver, peut-être.

J'ai préféré croire qu'un retour (de "quelque chose", imprécis) était possible. Un retour de la confiance, probablement, et de tous les possibles qu'elle recèle. Il m'importait que cette "espérance" demeure. Je crois que mon équilibre intérieur en avait besoin. Ma recontruction aussi. Tuer volontairement cette espérance m'aurait anéanti. Ce n'aurait pas été moi.

D'un autre côté j'ai assez rapidement admis que cette espérance était vaine. Qu'elle n'était qu'une illusion. Au fil du temps, de moins en moins de signes pouvaient entretenir l'illusion. C'est donc en toute conscience que j'ai continué à maintenir un fil dans la nuit, dans le vide. Même lorsque les derniers échos se sont tus.

Ça n'a pas toujours été facile et le doute m'a souvent assailli. La honte aussi : fallait-il être bête pour persister dans ce vide ! J'ai eu honte de montrer mes illusions. Mes écrits - et surtout mes silences - mes différés de publication, retracent ma gêne.

Et puis à la longue je me suis plus ou moins accomodé du non-dit. J'ai aussi pu constater combien il stérilisait ma réflexion. J'en suis arrivé à n'avoir plus rien à écrire dans le registre de l'intériorité. J'ai ainsi pu investir d'autres sphères d'intérêt.

Tu parles de la honte des tes comportements passés, de celle d'avoir continué à espérer, de celle de montrer tes illusion... y en a t-il d'autres ?

Je ne crois pas. Mais...

Mais ?

Mais il demeure en moi une tergiversation à bas bruit qui pourrait peut-être, un jour, me faire prendre le risque d'une honte supplémentaire. Or je ne suis pas particulièrement avide de cette sensation. D'où le report sine die de la décision. Disons que je me laisse une possibilité, sans jamais prendre la décision d'y donner suite ou pas.

Et qui consisterait en quoi ?

...

Ose !

La dévoiler pourrait bien influer sur mon hésitation, mais oui, j'ose : je me suis toujours réservé la possibilité d'écrire une lettre.


* * *


Attends ! Permets-moi de m'immiscer. C'est quoi cette histoire de honte ! Bien au contraire, j'y vois des motifs de fierté ! Continuer à croire alors que tout converge pour conduire au découragement, je trouve que là est le courage. Aller jusqu'au bout et même au delà, ce peut aussi être un acte admirable.

Oui, on peut le voir de deux façons : pitoyable et admirable. J'ai peut-être tort de me dévaloriser dans cette persévérance.

Tu as totalement tort : tu persistes avec les moyens dont tu disposes. Tu as ramé à contre-courant, tu as cherché à t'adapter à la situation, tu as lancé moult signes de ralliement. Tu restes donc digne de confiance. Le reste ne t'appartenait pas.

C'est vrai, et j'ai fait tous les efforts et le travail nécessaire pour accepter l'infructuosité de mes actions.

Tu as tenu là où la plupart auraient abandonné. Il fallait que ce soit dit.


* * *

Ecrire une lettre, disais-tu ?


[à suivre]





Oublier



Dimanche 31 octobre 2021
[Mis en ligne le 10 décembre 2021]

La suite annoncée en fin de mon billet précédent n'est pas venue. Dans les heures qui ont suivi je me suis rendu compte de la niaise absurdité d'avoir eu simplement l'idée d'une démarche vouée à l'échec. Ridicule et pathétique. Stop. J'ai prestement refermé la fenêtre que, par un mélange d'idéalisme et de naïveté, je venais d'ouvrir.

« Pas touche ! ». Laisser les choses telles qu'elles sont. Rêver peut être délétère.

J'ai tout remis sous la couverture. Ne plus y penser. Oublier.

C'est un étonnant mécanisme que l'oubli volontaire : parvenir à reléguer dans un coin sombre de la mémoire ce que l'on ne veut pas voir. Et presque "oublier" que cela existe. Faux oubli, bien sûr, puisque réactivable par inadvertance ou par volonté. Très différent de l'oubli involontaire, qui parfois ne laisse nulle trace. Comme si la chose n'avait jamais existé.


* * *

Même jour, plus tard. Après avoir vu le film "Ad astra". Ambivalence d'un fils par rapport à son père, déclaré mort depuis seize ans ; finalement vivant mais sans s'être jamais manifesté. Je t'aime et je t'en veux, les deux entremêlés. Tu m'as tant appris... et tu m'as tant pris en disparaissant. La douleur a été telle que le fils s'est coupé de ses émotions, s'est coupé des autres et même de la vie amoureuse.

Et moi, de quoi me suis-je coupé pour anesthésier préventivement toute douleur ?

Un jour il serait bon que j'écoute vraiment ce que j'ai à me dire.



Et volontairement je ne mets pas ce texte en ligne, le temps d'en oublier la charge.






Apprivoiser la perte



Vendredi 10 décembre 2021


Généralement, avant d'écrire, je relis l'entrée précédente. Comme pour relier deux temps d'écriture, rétablir un contact avec mon état d'esprit antérieurement transcrit. Et puisque depuis quelques temps je publie plusieurs entrées d'un coup, c'est l'ensemble que je relis. À partir de cette base, plus ou moins inspirante, j'articule les pensées flottantes m'ayant conduit à reprendre le clavier.

Aujourd'hui je ne le fais pas. J'attaque directement l'écrit sans me relire, sachant fort bien que j'ai laissé un texte en suspens, dont je ne me souviens plus de la teneur. Tout ce que je sais, c'est que cela tourne autour d'un indicible fort ancien, contourné consciemment avec persistance. J'essaie de trouver un avantage à rester dans cette forme d'écriture évitante. En ne parlant pas précisément d'un sujet "caché", cela me permet de le maintenir en pensée active sans le figer dans une élaboration textuelle. Ainsi, j'évite, au moins partiellement, l'autoconstruction narrative autoréférencée. Car poser des mots et les relier c'est aussi construire un récit, une "légende personnelle". Chaque ligne de mots permet de construire la suivante en rajoutant une "épaisseur" au tracé premier, ce qui présente l'inconvénient insidieux de guider des axes de pensée, d'induire des ornières desquelles il pourrait être ensuite difficile de sortir. Je pense cependant être suffisamment prudent et hésitant dans l'élaboration textuelle de mes réflexions complexes, mesurant constamment le poids et le sens des mots, pour ne pas trop craindre l'enfermement univoque. Une situation qui n'a probablement jamais existé ici puisqu'il m'arrive de dédoubler mon écriture quand l'intensité du dialogue intérieur le nécessite.

En fait je crois que l'écrit remplit la fonction de conscientisation que je lui accorde tant que je suis le seul concerné. Il en va tout autrement dans le cas contraire et c'est ce à quoi j'ai été confronté, autrefois, quand j'ai cru pouvoir continuer à explorer publiquement mes pensées alors qu'elles impliquaient autrui. L'essai de "transparence" se révéla être une erreur monumentale aux conséquences désastreuses. Ma démarche d'écriture en fut bien évidemment affectée, me conduisant à une prudence de sioux... et à moult évitements.

Ce autour de quoi j'ai dû me reconstruire présentait de vastes incertitudes, qu'il m'a bien fallu accepter. Certes je ne parvenais pas à trouver le sens de ce qui était advenu, mais il me fallait faire avec. Avec un avantage insoupçonné : en rester à des hypothèses explicatives, tout inconfortable que ce puisse être, m'a permis de demeurer dans une nébuleuse probablement plus féconde à long terme, et psychiquement plus écononomique, que d'échafauder des murs instables nécessitant de multiples déconstructions-reconstructions. En laissant mes pensées explorer les possibles sans ligne directrice sûre, je les ai laissées se developper dans une sorte de constellation de pistes ouvrant à de multiples éventualités entrecroisées. De sorte qu'aujourd'hui, plus de quinze ans après la catastrophe, le besoin de comprendre a perdu presque toute la charge dont il était porteur. Cette charge, initialement émotionnelle, intellectuelle, philosophique et éthique, s'est estompée jusqu'à devenir diaphane, évanescente, impalpable. Pour autant elle n'est pas rien, bien au contraire : je pourrais presque dire que cet éther est devenu trésor. Comme un noyau de conscience auprès duquel je puise une force. Une sorte de certitude dans l'incertitude.

J'en prends conscience à propos de la mort à l'approche de mes parents. Je la vois arriver sans inquiétude, sans appréhension. En cela je diffère de mes soeurs, visiblement affectées par cette perspective. Je crois avoir apprivoisé la perte. La disparition, la fin, la mort de toute chose et de tout être m'est devenue familière. Je crois être dans une pleine acceptation du passage du temps et de l'impermanence qui l'accompagne.

À quoi cela est-il dû ? Comment se fait-il que je reste serein face à ce qui angoisse tant de gens ?

J'y vois au moins trois explications :

La première serait l'âge, et la maturité qui vient avec. Je me sens suffisamment solide pour regarder la finitude en face. Ma vie est accomplie, celle de mes parents l'est bien davantage. Je n'ai plus besoin d'eux et le déclin existentiel qu'ils vivent actuellement ne me semble pas particulièrement heureux. Leur mort est donc "logique". Quant aux liens relationnels, ils ne cessent de s'amenuiser avec ma mère et n'ont jamais été à la hauteur de ce dont j'aurais eu besoin avec mon père.

La seconde serait la répétition de deuils, donc de pertes, auxquelles j'étais à l'origine tellement sensible qu'elles affectaient tout mon rapport au monde, ou aux autres. Je ne me suis remis de ces pertes successives qu'en désinvestissant des pans entiers du relationnel : frère, ami(s), amie(s), amour(s)... La répétition de chocs a été tellement dévastatrice que j'ai finalement accepté de renoncer aux liens générateurs de co-dépendance, en optant pour l'autonomie affective et le non-attachement. Vu de l'extérieur et au présent cela peut paraître peu stimulant, voire triste. Vu sur le long terme, je me demande si être débarassé de l'angoisse de perte ne présente pas un sacré avantage existentiel.

La troisième, peut-être la plus significative en termes d'intensité et d'étendue, pourrait bien être la perte des conditions d'habitabilité terrestre. Je ne vois pas ce qui pourrait être perçu comme plus grave, plus angoissant, plus psychiquement destructurant. Cette question me "travaille" depuis maintenant plusieurs années. Elle est profondément perturbante. Comme tout cela n'opère qu'à bas bruit, presque imperceptiblement, je crois que l'adaptation émotionnelle et intellectuelle parviennent à suivre. Il n'y a pas de "choc" (pas encore...), seulement une intuition, un pressentiment fondé sur des données difficilement contestables mais cependant largement occultées. C'est un phénomène assez bizarre, en fait. Gravissime pour une grande part de l'humanité mais encore largement invisibilisé, minimisé, nié. Quoi qu'il en soit je sais et la perspective du déclin qui s'annonce me force à en accepter l'éventualité. Qu'elle soit proche ou lointaine n'y change pas grand chose : la perte de nature (biodiversité) est déjà là et ne fait que croitre, dans une destruction effrenée, moralement suicidaire.





Rupture(s)



Dimanche 12 décembre 2021

Je dépose ici ce texte, trouvé par hasard en cherchant autre chose, pour sa résonance avec le thème abordé précédemment. Un thème qui reste en réflexion latente après m'avoir fait beaucoup gamberger autrefois.



Claire Marin : « L’épreuve de la rupture peut nous disloquer jusqu’à la folie »

Contre les invitations permanentes à « rebondir » après une maladie, un deuil ou un chagrin d’amour, la philosophe rappelle, dans un entretien au « Monde », à quel point les ruptures sont des blessures qui modifient en profondeur notre identité.

Entretien paru dans le journal Le Monde, le 30 mars 2019 - 7 minutes de lecture

Philosophe et professeure en classe préparatoire, Claire Marin publie Rupture(s) (Editions de l’Observatoire, 160 p., 16 €), une réflexion philosophique sur l’épreuve de la séparation, de la naissance à la rupture amoureuse. A rebours des discours qui veulent rendre l’échec positif à tout prix, elle explique pourquoi notre époque est autant façonnée par l’expérience de la perte.




En quel sens vivons-nous une « époque de la rupture », qui semble s’étendre de la catastrophe écologique à la disruption politique, en passant par la séparation amoureuse ?




En ce qu’elle s’expérimente désormais, comme vous venez de le dire, sur tous les plans de l’existence. Il y a peu de domaines stables, solides, sur lesquels nous pouvons compter avec certitude. Comme si plus rien, ni les relations, ni les engagements professionnels, amoureux, idéologiques, n’était fait pour durer. Et le théâtre de ces ruptures démultipliées, le monde au sens politique ou écologique, menace de s’effondrer. L’idée même de durée semble d’une autre époque. On valorise la flexibilité, l’adaptation, l’innovation, et on regarde les parcours continus comme s’il s’agissait d’existences paresseuses ou trop prudentes. On est bien loin de l’idée de persévérance. Nous sommes devenus tellement impatients et si facilement insatisfaits !
Or la durée, la continuité sont nécessaires aux relations qui construisent et qui réparent : l’éducation, le soin et tout ce qui permet à un enfant ou à un être fragilisé d’élaborer ou de restaurer une confiance en lui-même, en ses facultés, nécessitent un temps continu et irréductible. On ne peut plus continuer à fragmenter et à accélérer sans cesse nos vies. Il y a des relations fondatrices qui ne supportent pas la discontinuité et la multiplication des ruptures. On sait la souffrance des enfants placés et déplacés d’une famille d’accueil à l’autre, celle des exilés chassés par les conflits ou la misère. Il y a des liens primordiaux qui doivent être préservés. Comment s’orienter dans l’existence sans repères fondamentaux ?

L’ère des ruptures s’accompagne souvent d’un discours sur « l’adaptation », fait de « pédagogie » ou d’incitation à « positiver ». Quel regard portez-vous sur le discours relatif aux « vertus de l’échec » ou à la « résilience » en vogue aujourd’hui ?

Si un échec est facile à dépasser, c’est peut-être qu’au fond, il n’est pas vécu comme tel, mais plutôt comme une libération, il nous révèle que ce désir de réussir n’était pas vraiment le nôtre, il venait peut-être d’ailleurs, d’une projection familiale ou de normes sociales. Je crois que les véritables échecs laissent au contraire des traces profondes, et ces blessures fragilisent au point que l’on s’enlise parfois dans l’échec comme s’il était devenu notre nouvelle définition. Il arrive que l’on reste hanté toute sa vie par un chagrin d’amour ou un concours raté et que l’on y voit la matrice même d’une vie en demi-teinte, d’une vie par défaut, passée pour ainsi dire à côté de soi-même.

La tendance contemporaine à la positivité en toutes circonstances me paraît en fait assez violente, parce qu’elle redouble la souffrance de celui qui est piégé dans la difficulté, en le culpabilisant : il ne sait pas « rebondir », « voir les choses du bon côté ». Il serait finalement responsable de sa propre tristesse, comme s’il la cultivait volontairement. C’est une manière de nier la réalité et la profondeur de sa déception. On dévalue l’enjeu que constituait la réussite dans l’existence du sujet, l’importance qu’il accordait à une relation ou à une promotion et on exige de lui qu’il passe à autre chose. La dimension dramatique de certaines ruptures est sous-estimée, sous prétexte qu’elles seraient devenues de plus en plus fréquentes. Mais cela ne signifie pas qu’elles cessent de nous atteindre et de nous déstabiliser profondément.

Pourquoi la rupture amoureuse apparaît-elle comme le paradigme de toutes les ruptures ?

Parce qu’elle touche profondément à notre sentiment d’identité, ravive les vulnérabilités anciennes. Dans la rupture amoureuse, ce n’est pas seulement un être aimé que l’on perd, c’est aussi la personne qu’il voyait en nous et que son amour valorisait. Mais c’est également tout un monde, des lieux, des repères, un langage propre au couple, des amitiés, des familles, et tout un passé, une histoire commune qui disparaissent avec lui. Ce monde est englouti par la séparation amoureuse. On a l’impression d’avoir tout perdu, un peu comme un naufragé. Et de n’être plus personne, au milieu de nulle part. C’est une expérience de désorientation existentielle. Alors on se laisse mourir de chagrin ou on essaie de reprendre autrement le cours de la vie. C’est une mise à l’épreuve intime, qui détruit mais qui sollicite aussi des résistances inattendues, nouvelles. On se surprend, on découvre des ressources inespérées dans ce retour à soi involontaire.

Qu’est-ce que le désamour ?

C’est lorsqu’une altérité s’immisce dans la relation, quand l’être qu’on aimait apparaît sous un jour différent, d’une manière qui le rend de plus en plus étranger. Cette mise à distance tient souvent au fait qu’on a soi-même changé de perspective. On s’est éloigné, souvent sous l’emprise d’un autre désir – passion amoureuse, réussite professionnelle, besoin d’ailleurs. On s’est déjà mentalement détaché du corps commun, de l’unité du couple, pour se projeter dans un autre objet de désir. C’est une distance affective et morale, mais elle se trahit souvent dans des petites hésitations du corps, dans une impatience, comme si déjà une part de nous-même avait déserté cet amour.

Pourquoi y a-t-il, selon vous, un « travail de séparation » comme les psychanalystes parlent d’un « travail du deuil » ?
Se retrouver séparé, c’est-à-dire « à part », quand on a été mélangés, quand on s’est confondu avec l’autre au point de ne plus savoir vraiment ce qui était sien, quand on a vécu et pensé au pluriel, nécessite en effet tout un travail.
Il faut apprivoiser une vie sans alter ego, une vie silencieuse, sans répondant, au moins pendant un petit moment, sans ce double dont la présence rythmait l’existence et lui donnait un sens. Il faut faire le deuil de la vie d’avant et de l’identité que cette relation nous conférait. Il faut transformer l’espace de solitude en espace personnel, se l’approprier et l’habiter. Cela prend du temps d’emménager psychiquement dans une nouvelle vie. Comme dans la maladie, il y a une période de convalescence. Il faut réapprendre à marcher tout seul, trouver son propre pas, quand on l’a longtemps accordé sur quelqu’un d’autre. Il faut inventer une nouvelle chorégraphie en solo, en quelque sorte. Le travail de séparation est tout autant un travail sur la perte qu’un exercice de création.

Quels sont les ressorts de la rupture amicale ?

La rupture amicale est souvent la première que l’on expérimente, et elle est terriblement douloureuse. C’est, dans les enfances préservées, le premier grand chagrin et la découverte du malheur. Tout y est déjà en germe : la mise à l’écart, la dévalorisation, mais aussi l’incompréhension et la confrontation à l’irreprésentable : comment l’amitié peut-elle disparaître ? Comment peut-on cesser d’aimer quelqu’un dont on a été si proche ? Cette découverte de l’inconstance des sentiments est particulièrement troublante. Mais la véritable question est celle de l’injustice : pourquoi est-ce à moi que ça arrive ?

Pourquoi, sans être une vertu, la rupture peut-elle être malgré tout une chance, une occasion de devenir soi ?

La rupture nous laisse souvent dans un dénuement : on ne sait plus qui l’on est, on doute de sa propre valeur, on a perdu ses repères affectifs. Mais ce vide est aussi un espace à peupler, un temps propre, un lieu où peuvent émerger des talents, des qualités, des désirs qui ne pouvaient pas se déployer au sein de l’ancien amour.
Bergson dit que, dans l’enfance, nous sommes riches d’une multiplicité d’identités possibles et que nous abandonnons ces êtres potentiels au fur et à mesure que se précise notre personnalité. Seul l’artiste, d’après lui, réussit à les faire revivre sous la forme de personnages romanesques. Mais on pourrait imaginer que, dans le meilleur des cas, la rupture ressuscite certaines figures du passé auxquelles on avait renoncé, pour composer avec son compagnon, son travail, sa famille. Alors, la rupture – avec ses proches, avec son milieu, avec un ancien amour – fait éclore une part d’identité, dont le caractère essentiel nous apparaît, pour ainsi dire, par accident.

Etre séparé, n’est-ce pas un résumé de la condition humaine ?

Oui, nous faisons sans cesse l’expérience de la perte : la naissance, la maladie, le deuil, mais aussi la trahison, l’abandon, l’exil, la guerre, sont des ruptures qui rythment la vie des hommes. Nous sommes sans cesse séparés, des autres et parfois même éloignés de nous-même. L’épreuve de la rupture peut nous rendre étranger à tout ce qui nous était familier, nous disloquer jusqu’à la folie.
On pourrait dire que la condition humaine est faite de l’expérience des ruptures tout autant que de la capacité à y répondre en créant des manières de les intégrer à l’existence, en inventant des structures qui protègent et réparent ces ruptures, qui soutiennent ceux qui en souffrent et les secondent. Et enfin, en gardant l’espoir que des liens peuvent résister à la tentation de la rupture. On ne peut pas se résoudre à l’idée que toutes les relations humaines soient vouées à l’inconstance ou à la disparition. A une époque où tout paraît éphémère et incertain, les liens durables sont d’autant plus précieux.

Nicolas Truong







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