Janvier 2015

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  Naturellement



Vendredi 2 janvier 2015


Depuis quelques temps j'ai retrouvé la tonalité "journal", en écrivant avant tout pour moi-même. Il semble que mes aveux d'écriture à destination d'une lectrice particulière aient désamorcé le phénomène. Cela me convient parfaitement...

Néanmoins je suis toujours dans l'idée du "partage", considérant que d'autres peuvent trouver dans ma mise en mots de quoi nourrir leur réflexion. Je raconte donc mes petites histoires, laissant ceux qu'elles inspirent s'en saisir à leur guise. Dernièrement je suis revenu sur "l'histoire sans fin", avec une envie de continuer le processus d'émancipation. Je me doute bien, évidemment, que cette histoire n'est que peu transposable, ne serait-ce que par la durée exceptionnellement longue du renoncement. Je pense néanmoins que tout processus de perte présente des analogies, qu'il s'agisse d'une rupture sentimentale, de l'abandon d'un projet, d'une incapacité physique soudaine ou de la disparition d'un proche.

La particularité de ma démarche vient peut-être du fait que je ne cherche pas à en sortir au plus vite : je laisse le temps transformer ma pensée. J'observe l'évolution, je cherche à en tirer avantage, j'en tire des enseignements. Cela n'apparaît sans doute pas clairement dans la façon que j'ai de présenter les choses. Ainsi une fidèle lectrice m'a étonné en me faisant part de sa perception : « ton histoire d'amour pour laquelle tu as tant de difficultés à te détacher ».

D'abord le terme "histoire d'amour", s'il est juste, est cependant incomplet. Il s'agit à mes yeux de bien davantage et cela explique largement, il me semble, la durée du processus. Mais là n'est pas mon propos. C'est sur l'idée de « difficulté à [me] détacher » que j'ai été surpris. Parce que je peux le dire clairement : je ne cherche pas à m'en détacher. Au contraire, je laisse le processus se dérouler "naturellement". Cela prendra le temps nécessaire et rien ne presse.

Mais ma lectrice précise sa pensée : « L'important est de savoir ce que tu veux: t'ouvrir à de nouvelles relations ou rester prisonnier d'une relation qui n'est plus. ». Là encore je me sens au clair : si je reste relativement ouvert à l'idée de la rencontre [la "relation" c'est encore autre chose...], je ne la cherche pas, aussi étonnant que cela puisse paraître. Mon "emprisonnement" [tout relatif...] ne me pose donc aucun problème. Mieux : il me permets de l'observer.

Reste à savoir si mon manque d'appétit relationnel ne résulte pas d'une captation dans la "relation qui n'est plus"...




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Chant du cygne




Samedi 3 janvier 2015
Publié le 30 janvier 2015

 

Je ne relis que rarement mes textes, une fois publiés. Si je le faisais je découvrirais peut-être que je me répète abondamment. J'en serais gêné, ayant pour ambition autre chose que des bla-bla insipides. Certes mon processus d'évolution est lent et les rabachages inévitables, mais point trop n'en faut.

M'enfin, si on me lit encore c'est qu'il y a matière à… penser ?

J'ai retrouvé un "détachement" par rapport à ma p'tite histoire sentimentale. Finalement ça fluctue pas mal ce truc. Généralement c'est assez lointain, en toile de fond, et puis, sans que je ne détecte toujours l'élément déclencheur, il y a de soudaines poussées de pensées. N'imaginez surtout pas que j'en vienne à rêver stupidement de choses impossibles. Non, rien de ça. J'ai beau avoir écrit que j'étais encore "amoureux" [glups ! pourquoi j'ai écrit ça, moi ?], ça n'a rien à voir avec ce qu'on pourrait imaginer de l'amoureux transi. Cette image-là me fait horreur, alors j'espère que vous ne me la plaquez pas sur le dos, hein ? [v'la que je recommence à m'adresser au lecteur... pfff].

Donc quand je pense à tout ça, et bien c'est de façon fort calme, tout à fait sereine. Tout au plus y a t-il dans mon esprit une rebellion résignée : que c'est bête de n'avoir pas su rester solidaires ! Vous en conviendrez, c'est d'un sentimentalisme des plus modérés. Enfin... modéré dans sa manifestation puisque, je ne le cache plus, [mais l'ai-je un jour caché ?] cela reste fort et potentiellement profond. Euh... profond mais dépotentialisé puisque sans réciprocité exprimée. Vous comprenez ? Pfff, c'est un peu compliqué de trouver des termes simples pour quelque chose qui ne l'est pas.


Bon, où voulais-je en venir en commençant cette entrée ?

Ah oui, ça me revient : l'idée d'être "coincé" dans une relation qui n'existe plus, qui ne "vit" plus. Ben oui parce que je vois bien que la mer d'huile sentimentale sur laquelle je flotte depuis pas mal de temps a quelque chose d'un peu anormal.

Ah, ça devient intéressant, il est temps que je vienne te tirer les vers du nez.

Beuark

Donc tu en conviens, la morne plaine te paraît un peu… ennuyeuse, à la longue ?

Je ne sais pas si je le ressens comme ça. C’est plutôt que je vois les années passer et que je me dis que… les chances de…

… de quoi ?


… les chances de… rencontrer… hmpfff, je sais même pas de quoi je veux parler. En fait j’ai l’impression de me plier à une sorte de conditionnement. Comme s’il était « anormal » de ne pas chercher à entrer en relation de proximité affective. Mais en fait je n’en ressens pas le désir. C’est toujours la même chose en fait : disponible mais pas demandeur.

Donc il ne se passe rien.


En effet. Et ça me convient… quoique pas tout à fait.

Ah ?


J’ai l’impression d’être encore en quête de… quelque chose proche de ce que j’ai connu. Envie de retrouver cette vivacité dans l’échange, ce désir… ce désir d’autre. Mais d’autre dans la connivence. Dans la similitude de pensée, dans le même désir de… d’avancer ensemble. Oui c’est ça : j’ai beaucoup aimé avancer ensemble. Comme une entraide, soutenue par un plaisir à avancer ensemble. Ouais, c’était vraiment bien ça !

Et tu ne le retrouves pas ?


Pas au même point. Pas avec la même attirance, pas avec la même connivence.

Ah, tu vois que tu es encore prisonnier : tu cherches à revivre ce que tu as connu.


Ben… oui, parce que c’était bon !

Mais si tu cherches la même chose, tu ne trouveras pas !


Hé hé, mais j’espère bien trouver mieux !

Vraiment ?


Meuh non, je plaisante.

A moitié…

Ouais, à moitié. En fait je « rêve » de trouver une sorte de complicité – oui, je sais, ce terme est éloquent – dans la découverte et la liberté.

Tu rêves d’un idéal.


Ben oui,  c’est bien le minimum, hé hé !

Tu plaisantes avec un sujet sérieux.


Je ne plaisante pas : je cherche… ou du moins j’aimerais trouver… une, ou plusieurs personnes femmes avec qui vivre des moments de rencontre forte, intellectuellement, émotionnellement et sensuellement parlant.

Ouh la, rien que ça ?


Ben, tant qu’a viser l’idéal, autant tout mettre dans le panier.

Mais tout ça tu l’as déjà connu, dispersé dans le temps et dans la pluralité.


Tout à fait. Mais je ne le connais plus vraiment. J’ai mis tout ça en sommeil depuis que je me suis laissé enfermer par une exclusive. C’est la condition de la relation : elle seule, ou bien elle disparaît.

Si tu acceptes, c’est que tu y trouves ton compte.


Partiellement. Mais je n’en parlerai pas ici. Clause de confidentialité.

Dommage ! Tu n’as pas ces scrupules avec l’autre histoire.


Ah mais c’est pas pareil : il n’y a jamais eu de clause de confidentialité.

C’est p’t’êt bien le problème…


C’est sûr. Si c’était à refaire j’agirais autrement. Je passerais tout sous silence. C’était une erreur de vouloir continuer à écrire : on n'évoque pas des affaires privées devant les autres. Et surtout pas ce qui pourrait porter préjudice à une personne identifiée..

Pourtant ta décision de continuer à écrire là dessus a été mûrement réfléchie.

Ouais… mais je pensais que ça pourrait arranger les choses.

Raté.


Complètement. Mais bon… pas sûr que le silence aurait donné de meilleurs résultats. Je ne crois pas que le problème se situait là. Disons que ça n’a certainement pas arrangé la situation.

Pure spéculation.


J’y suis condamné puisque je cherche encore à comprendre.

T’as tort : y’a rien à comprendre. Seulement à accepter.

 

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Enveloppe vide



Mercredi 21 janvier 2015
Publié le 30 janvier 2015

Comme en janvier 2012, je constate que je fais de la rétention de texte. Il n'y a pourtant aucun rapport entre les deux périodes puisque cette fois, si je ne publie pas ce qui est prêt à l'être, ce n'est pas pour empêcher quoi que ce soit. Non, c'est plutôt qu'un grand détachement s'est subitement installé. J'ai l'impression que mes "confidences" des quelques entrées précédentes ont évacué ce qui avait à s'exprimer. Il ne reste plus qu'une enveloppe vide.

Ce que j'abordais avec intérêt il y a encore peu de temps est devenu lointain. Très lointain. Mes pensées sont ailleurs...


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Solidarité




Vendredi 23 janvier 2015
Publié le 30 janvier 2015

Je ne sais pas si dans cinq ou dix ans on se souviendra immédiatement de ce qui s'est passé le 7 janvier 2015. Je ne suis pas sûr que notre soit-disant "11 septembre français" sera resté dans les mémoires avec la même précision que l'effondrement des deux tours jumelles. Peu importe.

Je n'ai pas évoqué tout ce que j'ai ressenti autour de ce récent évènement, bien que je m'en sois un peu ouvert sur mon Carnet, mais il m'est apparu quelque chose que j'ignorais avoir en moi : le sentiment d'appartenance. Bizarrement, en observant des signes de solidarité venus du monde entier, je me suis senti français. Je me suis senti, en tant qu'heureux habitant de ce pays privilégié, porteur d'une certaine conception de la liberté. En être fier ? Non, parce que je n'y suis pour rien. Mais il y avait... comme une atteinte profonde. En fait, en prenant conscience de l'importance accordée à cette atteinte à la liberté, j'ai aussi senti à quel point "la France", et donc moi en tant que citoyen, avions été meurtris par cette attaque. Cela m'a ému. Vraiment, je ne soupçonnais pas ce sentiment d'appartenance.

Bon, ce ne sont pas des sujets que j'aborde ici, habituellement. Si je le fais c'est que tout cela a eu des effets sur ma vie plus personnelle, individuelle, égocentrée... Brutalement, alors que j'étais encore dans le processus relativement lent de "décrochage" relationnel dont ce journal se fait l'écho intermittent, toutes mes pensées se sont focalisées sur l'atteinte aux libertés. Le reste est devenu secondaire. Je n'ai plus du tout pensé à ce que je narre ici depuis des années. Enfin si, justement, j'y ai pensé au moment où je prenais conscience de cette "solidarité mondiale"
[terme aussi pompeux que faux, mais on s'en fout] : des tas de gens étrangers se sentaient suffisamment touchés pour manifester leur solidarité... rendant d'autant plus flagrant le silence d'une certaine étrangère jadis proche en mon coeur. Il était certain qu'elle n'allait pas se manifester à cette occasion mais, justement, savoir que rien ne viendrait de sa part a eu un effet de déclic. J'ai pris conscience que des signes de solidarité et d'empathie de sa part m'avaient amèrement manqué lorsqu'elle a pris ses distances.

Ce n'est pas allé plus loin : seulement quelques instants de pensée. Et après plus rien. C'est comme si ce constat avait fait s'effondrer je ne sais quelle image devenue fragile.



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Écrire sur rien




Lundi 26 janvier 2015
Publié le 30 janvier 2015

Voila plusieurs jours que je pense à ce que je pourrais écrire ici. Rien ne vient. Non : rien vient. Rien est là, qui prend toute la place. Mais comment écrire sur rien ?

Ce rien là c'est le contraire du trop qui souvent m'a conduit à m'épancher. Ce rien est donc important. Il est un espace blanc dans mon récit : je n'ai rien à écrire parce que ma pensée est atone. Je voudrais écrire des pages blanches pour marquer l'absence de pensées.















Je me sens... libre libéré.


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Amoureux




Vendredi 30 janvier 2015


Bon, je voudrais bien publier les textes en suspens avant que janvier ne se termine...

C'est bizarre ces fluctuations dans l'écriture, tantôt fréquente et abondante, tantôt retenue sans raison apparente. Qu'est-ce que cela traduit de mon état intérieur ? Serait-ce le résultat de la fonction libératrice de l'écriture ? Car j'ai bloqué net alors que je me sentais parti pour un gros chapitre de délivrance dont j'ignorais la teneur.

Peut-être m'étais-je libéré de ce qui motivait inconsciemment mon désir de délivrance ? À moins que m'ait échappé quelque chose qui, ce faisant, invalidait le mécanisme de délivrance ? Je n'en sais rien... Ce que je sais c'est que d'avoir clairement exprimé que j'étais « encore amoureux » n'a pas été anodin. Je me suis demandé comment j'avais pu laisser passer cet aveu [qui n'a rien de coupable]. Si le terme m'est venu c'est qu'il avait été évoqué quelques temps plus tôt dans une conversation avec Artémis, qui sent bien qu'une certaine place reste occupée dans mon esprit. Je ne m'en cache pas d'ailleurs, quoique j'évite d'aborder ce sujet qui la fragilise toujours un peu. Mais il suffit que, à son invitation la plupart du temps, j'évoque quoi que ce soit en rapport avec ce passé amoureux pour que se manifeste malgré moi, dans mon enthousiasme, dans mon regard, dans ma voix... quelque chose qui trahit la force du lien qui demeure. J'ai l'impression de rester relativement neutre et modéré mais Artémis perçoit ce qui m'échappe.

Artémis constate que je reste "attaché" à une autre qu'elle, et de façon nettement plus intense, malgré le passage du temps. J'ai beau lui répéter que cette relation du passé n'a aucun avenir connu, qu'il n'y a aucun contact et que tout porte à croire qu'elle est définitivement entrée en sommeil [certes, je ne dis pas "morte"...], Artémis perçoit toute la valeur que j'accorde à ce vécu d'autrefois. Elle espérait sans doute qu'avec le temps je m'en détacherais. Il y a un peu plus d'un mois nous avons eu une énième discussion par laquelle Artémis cherchait à établir la place que je lui accorde dans ma vie. Sujet toujours un peu délicat puisque nous savons que nous ne sommes pas dans une implication affective équivalente. Il a fini par émerger que, même si la place que j'accorde encore à la relation lointaine se libérait par je ne sais quelle action magique, cela ne changerait rien à la place que j'accorde à Artémis. Autrement dit : ce n'est pas le souvenir d'une autre qui limite mon investissement sentimental. Tout cela avait déjà été exprimé à plusieurs reprises et sous diverses formes depuis les années antérieures mais, cette fois, il semble qu'elle l'ait entendu avec davantage d'impact. Probablement parce que depuis quelques mois elle accepte de voir l'impasse de ses désirs et envisage que nous soyons peut-être parvenus au bout de ce que nous pouvions partager dans ces conditions. Il lui aura fallu tout ce temps pour accepter que je ne changerai pas sur ce plan-là...

Résultat : la dernière fois que nous nous sommes vus j'ai perçu qu'Artémis était plus distante. Je n'ai pas cherché à contrer ce mouvement de recul, essayant de m'ajuster à son ambivalence. Nous en avons parlé et elle a clairement évoqué la fin de notre relation qui, quoique insatisfaisante sentimentalement, reste très importante pour elle. Elle a choisi l'éloignement à effet immédiat, ce qui l'oblige aussi à assumer une solitude qui l'effraie.

Pour ma part je n'ai pas encore vraiment réfléchi à sa décision, qui pourrait bien n'être que provisoire. Pour le moment je m'adapte, en restant disponible si besoin. Mais je connais ma sensibilité à toute notion de rejet et mes mouvements rétractiles pourraient être trés rapides si j'en venais à me sentir indésirable. Avec elle j'y suis prêt depuis l'origine puisque cette question avait été clairement évoquée. Cela avait même représenté un gros défi pour moi d'entrer en relation de proximité tout en sachant que cela pourrait s'arrêter assez radicalement.



Hormis la conversation précisant la prégnance du lien avec mon amie lointaine, rien ne semble relier les deux dynamiques relationnelles. Si concomitamment il y un certain mouvement de part et d'autre, les deux me paraissent totalement disjoints. Par contre c'est bien autour du « être encore amoureux » que les deux situations se sont cristallisées.

Que penser de la persistance du sentiment quand il n'est plus nourri en retour ? J'avoue que cela m'interroge... Un mois après avoir écrit mon aveu amoureux je sens que quelque chose s'est précisé puisque, depuis, je me suis "décroché" de cette relation en état d'hibernation. Je n'y ai plus pensé, au moment de l'endormissement, que sous la forme d'une absence d'effet. Extrêmement brèves, mes pensées  étaient "froides". Elles se bornaient à constater un très grand éloignement affectif. Comme si les choses avaient repris leur juste place, après tant d'années de silence.

Ce "rien" m'a surpris. Je n'ai pas su quoi en dire, bien qu'il me semblât important de marquer son irruption. Mais j'ai eu beau y penser... "rien" (ne) venait à mon esprit. J'ai même pensé à écrire ces mots chaque jour : Rien. Pour rendre ce rien visible.

Par contre, quoique ce "rien" ait pris place il ne s'applique qu'au présent. Je veux dire par là qu'il n'invalide pas le passé, ni n'en atténue le souvenir, ni l'importance, ni l'intensité. C'est comme s'il y avait - enfin ! - eu scission entre le passé et le présent. J'imagine une matière genre chewing-gum, étirée, étirée jusqu'a devenir un fil extrêmement fin; étirée jusqu'à ce qu'elle se rompe et se rétracte mollement. Deux domaines de pensée sont devenus disjoints. D'un côté le présent, assimilable à "rien"; de l'autre le passé, riche de tout ce qui a été partagé et ressenti. Le présent reste habité par ce passé "vivant" dans mes seules pensées. La femme avec qui j'ai vécu une réalité belle et partagée ne correspond plus à celle qui existe au présent dans une autre réalité, sans aucun contact avec la mienne.

Sur ce point, d'ailleurs, j'ai envie de préciser une chose : je ne crois plus qu'elle me lise. Après avoir écrit, il y a quelques mois, que j'avais la quasi-certitude qu'elle posait encore son regard sur mes pages, j'ai réalisé que ce n'était certainement pas le cas. Après tout il est fort possible qu'une autre personne de sa ville de résidence me lise. Cela m'arrangeait d'imaginer que c'était elle, parce que ça me permettait d'exprimer par la voie détournée de ce "journal-lettre" tout ce que j'avais envie qu'elle sache. Mais maintenant que c'est fait... tout cela n'a plus d'importance.

Je ne lui en veux plus, à cette amie d'autrefois, d'avoir choisi la fuite. J'avais vu en elle un "alter ego", tandis qu'elle a vécu avec moi, quelques temps, « ce dont elle n'osait plus rêver ». Nous n'avons pas su faire durer cet état de grâce, ni le transformer. Il suffisait peut-être de presque rien... mais nous avons échoué. Je persiste à croire qu'il aurait pu en être autrement si nous l'avions vraiment voulu tous les deux. Ce n'était apparemment pas le cas...


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L'hypothèse




Samedi 31 janvier 2015


S'il y a bien quelque chose que je dois
à l'énigme qui m'a plongé dans la perplexité dix années durant, c'est d'avoir appris à discerner la notion de responsabilité de celle de culpabilité. Je pense que cette distinction est au coeur de ce qui a mis fin à notre belle complicité.

Mais le travail avait commencé bien avant la fin, dès le tout premier accroc dans notre entente jusque-là idéale. Il est survenu avant même que nous nous rencontrions physiquement. Depuis ce jour j'ai cherché à comprendre ce qui avait pu se passer mais ne disposais alors pas de suffisamment d'éléments. A
u fil des ans et des épisodes de divergences, ils se sont accumulés jusqu'à former une convergence d'indices.

Je pourrais résumer les choses ainsi : le sentiment de culpabilité fait partie de mon ADN. J'ai en moi, prêt à surgir, le souci de ne pas blesser l'autre associé à celui de bien faire. C'est une exigence qui m'est chevillée au corps. Elle oriente mes pensées et actions. Ce sentiment de culpabilité à fleur de peau pourrait faire de ma vie un enfer si je ne disposais pas, en même temps, des moyens de prendre du recul et penser en termes de responsabilité. Certes je veux "bien" faire... mais je ne saurais satisfaire en permanence les intérêts divers du monde qui m'entoure. En outre je ne peux me soumettre aux désidératas d'autrui sans penser à mon propre équilibre. Je dois donc, comme tout un chacun, décider et choisir en prenant mes responsabilités.

Mais décider, acte responsable et engageant, n'ôte pas chez moi ce souci de bien faire. Or en optant pour une voie
je renonce, par nécessité, à une autre. Ce qui, inévitablement, vient me titiller du côté de la culpabilité : j'abandonne un éventail de possibilités, je ne répondrai pas aux objectifs vers lesquelles elles ouvraient, je créerai de l'insatisfaction. Voila pourquoi le temps de l'indécision fait partie de mon processus de décision, avec les inconvénients et avantages qui en découlent. Ma force c'est le temps de réflexion que je m'accorde, pesant aussi longuement que nécessaire le pour et le contre; ma faiblesse c'est une difficulté à trancher rapidement et, surtout, définitivement.

Pour moi chaque élément nouveau peut remettre en question les décisions antérieurement prises. Je crois être assez malléable et souple. D'autres diraient inconstant, voire inconsistant. Le terme qui revient le plus souvent c'est "conciliant". Je pourrais ajouter que je suis un conciliateur, essayant de dégager un consensus lorsqu'au sein d'un groupe les avis divergent. J'ai probablement des talents de médiateur. Cette façon d'être plaît à certains, qui louent mes qualités, et déplaît à d'autres, qui préfèrent des choix radicaux.

Autrement dit je suis quelqu'un de plutôt nuancé. Ce qui n'exclut pas que je puisse avoir des avis un peu tranchés, par méconnaissance ou par crainte, tant que je ne trouve pas en face de moi le point de vue adverse qui me permettra de m'ouvrir à une autre façon de penser. C'est pourquoi j'aime la controverse, qui m'enrichit l'esprit en élargissant mon point de vue.

C'est en partie sur cette base de pensée que j'ai "rencontré" celle avec qui j'allais vivre une étonnante exploration relationnelle. En elle j'avais trouvé une personne en recherche, non dogmatique, en questionnement et avec des idées originales. Nos échanges épistolaires furent longtemps d'une incroyable richesse, empreints d'une réelle curiosité et d'un parfait respect. Nos parcours avaient été fort différents, sentimentalement parlant, et nous avions beaucoup à apprendre l'un de l'autre dans ce domaine. De plus nous nous retrouvions dans un souci du mot juste, de la précision dans l'expression et de l'importance des nuances dans les propos.

Tout cela nous permis d'établir une "complicité" dont je crois pouvoir dire que nous étions heureux et fiers. Nous nous sentions solidaires dans ce monde parfois difficile à comprendre. Nous nous réjouissions de cette chance que nous avions eu de nous rencontrer. À tel point que nous en sommes venus à le faire publiquement sur nos sites respectifs.

Qu'est-ce qui à fait que cette « merveilleuse » complicité, issue d'une lente approche,
finisse éparpillée au pied d'une falaise d'incompréhensions ?

Je pressens depuis des années, et avec une conviction croissante, que le rapport que chacun de nous entretenait avec la notion de culpabilité y est pour beaucoup. C'est peut-être même le principal, voire l'unique point d'achoppement.

J'en viens donc à émettre l'hypothèse que ma complice d'autrefois refusait de sentir en elle le sentiment de culpabilité. Je ne dis pas qu'elle ne l'éprouvait pas, mais je pense qu'elle refusait fermement de l'éprouver.

Qu'est-ce qui me permet d'émettre cette hypothèse ? J'ai mentionné plus haut le tout premier accroc, déjà plusieurs fois évoqué dans ces pages au fil des ans. L'évènement peut paraître insignifiant, pourtant il m'a profondément marqué. Il a incontestablement orienté notre rapport qui, de complices, est devenu biaisé sous la forme d'une relation de maître à élève.

L'évènement s'est produit à l'époque où notre relation, d'amicalo-complice devenait amicalo-amoureuse. À ce moment là je hasardais un [pas de mot existant]
pour la qualifier, ne sachant comment nommer ce sentiment fort et jusque-là inconnu. Nous avions déjà eu quelques échanges tentant de préciser cet inconnu puisque je ne savais plus comment me situer dans une grande proximité affective qui ne serait pas "amoureuse", selon des schémas de pensée simplistes. Il m'avait même fallu tenter de requalifier la relation en "amitié" puisque, dans mes représentations, le terme "amoureux" impliquait une fréquence élevée de contacts ainsi que je ne sais quelles attentions spécifiques. Représentations immatures, je l'ai assez vite compris. Mais ma tentative de revenir au terme "amitié" n'avait pas convenu à ma complice, en qui elle voyait le signe d'un recul de ma part. J'avais donc dû la rassurer en retour en admettant qu'elle aussi accordait une grande importance à ce qui nous liait. Bref, les représentations qui s'associent aux mots nous avaient donné du fil à retordre.

Peu de temps après je lui avais fait part, à l'occasion d'un déplacement, de ma tristesse de n'avoir pas eu de ses nouvelles. C'est là qu'elle eût une phrase que j'ai mémorisée ainsi : « si tu as des attentes (à mon égard), ça ne marchera pas entre nous ». Sans pouvoir affirmer que c'est exactement ce qu'elle a dit, c'est le souvenir que j'ai intériorisé. Pour moi cette phrase indiquait deux choses : 1- n'attends pas de moi que me plie à tes besoins ; 2- tes besoins t'appartiennent et assumes-en la responsabilité. D'un côté je trouvais cela très sain et ne pouvais que me rallier à ce point de vue éclairé; de l'autre je trouvais cela "dur" puisque toute la responsabilité m'en incombait. Or si je demandais c'est aussi qu'il ne m'était pas donné ! J'aurais eu besoin de sentir que ma demande était entendue, qu'elle était importante... quitte à ce que nous voyions ensemble comment concilier nos besoins respectifs. Mais je n'ai pas senti cette ouverture : c'était à moi, et seulement à moi, de faire des efforts. Alors, ai-je trop endossé de responsabilités du fait de ma culpabilité prompte à se manifester ? Ou bien, effectivement, ai-je perçu là le premier signe d'un refus de responsabilité personnelle dans une affaire impliquant deux protagonistes ? Plutôt que de constater ensemble une divergence, j'ai senti qu'était pointé sur moi une défaillance et qu'il me revenait, seul, d'y remédier.

Je ne veux pas occulter le fait que ma façon d'exprimer la tristesse initiale ait pu être perçue comme un reproche, suscitant une réaction "défensive" face à une tentative inconsciente de culpabilisation. Je n'ai toutefois pas le souvenir d'avoir eu cette intention. Je voulais seulement faire part de ma difficulté et d'un souhait que soit pris en compte mon inquiétude, mon doute. En fait j'avais seulement besoin d'être rassuré... mais il se peut que ce besoin-là ait été perçu à son tour comme attentatoire à une liberté.

Broutilles que tout cela, pourrait-on penser... Certes, factuellement tout cela est dérisoire. Et pourtant à compter de ce jour j'ai senti qui était "le maître", qui tenait les rênes de la relation. J'ai aussi perçu, intuitivement, que quelque chose n'avait pas été juste dans cette situation. Je crois que j'ai capté tout à fait inconsciemment ce rapport particulier à un refus de se sentir "coupable" (responsable)... alors même qu'il n'y avait pas d'autre responsabilité que celle d'avoir infimement blessé l'autre. Ce jour-là j'ai "entendu" implicitement : ta sensibilité t'appartient et n'attends pas de moi que j'en tienne compte. La première partie de la phrase est saine, la seconde indique une façon particulière de concevoir la relation. Et, pour tout dire, une façon à laquelle je ne souscris pas.

Tout cela est resté plus ou moins dans le non-dit, quoique j'ai plusieurs fois fait des "appels du pied" dans mon journal en revenant sur ce fait précis. Sauf que, autre particularité que j'allais découvrir au fil du temps : avec cette amie on ne reviendrait jamais sur un conflit resté irrésolu. Ce qui n'était pas éclairci sur-le-champ était classé comme sans suite.

Cela je l'ai compris lors de notre second accroc significatif, quelques mois plus tard. Là ce fut un véritable choc, encore une fois à propos de façons divergentes de concevoir une relation d'amitié. Alors que j'exprimais une nouvelle fois mon inquiétude de me sentir un peu "oublié" (ça, c'est ma névrose personnelle), j'avais eu comme réponse péremptoire
[perception, puisque c'était par conversation écrite sur msn] : « de quel droit tu me demandes ça ? ». Abasourdi et terrorisé devant cette colère soudaine, j'avais argué que c'était au nom de l'amitié. Il s'en était suivi un échange assez "violent" dans ses termes [perception personnelle, là encore], qui m'avait sidéré, effrayé, et très profondément atteint. Jamais je n'aurais imaginé que ma demande ait pu susciter une telle réaction. Visiblement ma complice avait été elle aussi très atteinte par ce que j'attendais d'elle, qui semblait attenter à sa liberté. J'avais insisté pour que nous tentions d'arranger au plus tôt ce qui, à mon sens, ne pouvait être qu'un énorme malentendu mais cela n'avait pas vraiment eu les effets escomptés. Résultat : elle se réfugia dans le silence durant plusieurs jours. Une coupure du contact direct qui n'empêcha pas une expression publique plus ou moins pudique sur nos sites respectifs. Cet évènement, auquel je n'avais rien compris sur le moment, m'avait effondré. J'avais l'impression d'avoir brisé sans le vouloir un rêve merveilleux. Comme un enfant, j'en avais longuement sangloté toutes les larmes de mon corps. Une réaction qui m'a surpris mais montré à quel point quelque chose de profond avait été touché. Je me sentais "accusé" par celle que j'aimais de porter atteinte à notre relation, sans qu'elle ne me laisse la possibilité de m'expliquer. Certes j'avais exprimé une demande, mais était-elle à ce point inentendable ? Est-ce qu'un ami-amoureux devait s'interdire d'exprimer sa tristesse et son manque de l'autre ? Etais-je à ce point fautif ? Seul responsable de ce qui arrivait ?

Dès que la situation s'était arrangée j'avais tenté de revenir sur l'ahurissant malentendu mais ma farouche partenaire avait préféré qu'on n'y revienne pas. Quelque chose ne me convenait pas dans ce refus mais, trop heureux de voir se restaurer le dialogue, je n'ai pas insisté. Je ne l'explique qu'ainsi : tenter de comprendre l'engrenage nous aurait forcément conduit à voir les responsabilités de chacun dans ce dérapage. Or, si moi j'y étais prêt, bien sûr, pour apprendre de cet échec, il semble qu'elle ne l'était pas...

Tout cela s'était produit à un moment bien particulier : quelques jours après qu'elle m'ait annoncé qu'elle passerait des vacances en France, destination décidée sans m'en parler
[pour des raisons entendables]. Ainsi, bien plus tôt que je l'imaginais, elle m'offrait la possibilité aussi folle qu'attirante de nous rencontrer physiquement. Je pressentis immédiatement que l'équilibre entre cette relation et ma vie conjugale allait être quelque peu chahuté par cette opportunité très alléchante. Le contexte était donc chargé et nous en avions conclu que la tension, peut-être trop forte, avait pu causer notre dispute. Un de ses amis avait même hasardé qu'il y avait probablement là une tentative inconsciente de sabotage...

Rapidement tout cela a été "oublié" puisque j'ai été happé par un choix crucial : soit profiter de son voyage en France, soit laisser passer cette chance extraordinaire de nous rencontrer. J'ai fait le choix du coeur et il y eut la rencontre, qui m'a enchanté et ébloui. Un acte déterminant, engageant. Souvenir indélébile, riche de promesses.

Envisageait-elle réellement une suite ? J'ai eu l'impression de la suprendre un peu quand je lui ai proposé, six mois plus tard, un voyage chez elle. Ce séjour fut d'une grande douceur, et me permis d'affirmer mes choix.

Les difficultés ont recommencé quand, inquiet, j'ai constaté les conséquences concrètes de cette relation parallèle sur ma vie de couple. Ayant dû quitter le domicile familial j'apprenais la solitude et avais besoin d'être rassuré dans ce moment délicat. La plupart du temps mon amie se montrait présente et attentive mais il est parfois arrivé que mes doutes me soient renvoyés à la figure sans ménagement. J'en suis venu à les taire, pour ne pas susciter l'ire de cette sauvageonne dont je ne reconnaissais plus les qualités d'ouverture. J'en souffrais. Je me sentais un peu abandonné. J'aurais voulu davantage. Alors est venu le temps des jugements et des reproches : « avec toi c'est jamais assez ! », me répétait-elle, puis « tu m'aimes trop ! ». Manifestement j'étouffais ma partenaire avec mes demandes. Choc des névroses avec, de plus en plus clair, ce refus de se sentir responsable de quoi que ce soit dans nos difficultés. Une réaction en partie compréhensible puisque les complexités découlant de ma relation de couple ne pouvaient être résolues que par moi.

Tout ça je ne l'ai pas vraiment compris sur le moment. Égoïstement j'espérais une aide supérieure à ce qui pouvait m'être offert. Et objectivement je n'étais pas vraiment "disponible", tout préoccupé que j'étais par ce qui se déchirait en parallèle dans mon couple...

Mes remarque, probablement teintées d'amertume, semblaient être perçues comme des reproches et refusées illico. J'avais la très désagréable impression que tout était de ma faute. Tendance à la culpabilisation de mon côté, à la refuser du sien : la confrontation ne pouvait qu'être délétère. Je me sentais de moins en moins accepté, pas vraiment entendu, et cela renforçait mes doutes. Je m'affaiblissais. Énormément frustré par ces difficultés à répétition à être dans un dialogue égalitaire et libre, je m'épanchais sur ce journal, sous son regard, espérant toucher une fibre sensible...

Je ne crois pas que mon amie était réellement imperméable au sentiment de culpabilité. Je pense même qu'il s'agissait du contraire. Mais c'est comme si elle avait installé un écran de protection. Je suppose que son conflit intérieur a été trop pénible et que la meilleure façon de le résoudre fut de mettre rapidement un terme à ce qui le rendait trop fort. Sans trop d'explications. En coupant le lien elle a fait disparaître la source d'une insupportable culpabilité.

À ce jour, c'est l'hypothèse qui me parait la plus plausible pour expliquer ce qui, sans cela, ne peut rester pour moi qu'à l'état d'énigme.










Mois de février 2015