Novembre 2016

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Autoprotection





Samedi 5 novembre 2016


Le hasard des clics m'a conduit sur le billet d'une blogueuse revenant sur les temps anciens. Elle y évoquait un épisode auquel j'avais jadis participé, n'imaginant sans doute pas que je pourrais la lire après autant d'années. J'ai hésité à me manifester sur ce site plutôt discret, puis l'ai fait par souci d'honnêteté. Je n'avais pas envie de profiter de l'invisibilité... et pensais utile que ladite blogueuse sache que si moi je la lisais, d'autres pouvaient le faire. D'autres dont elle aurait peut-être préféré qu'ils ne le fassent pas...

Quelques heures plus tard le billet en question était expurgé de tout son contenu "sensible". Visiblement mon intervention a déclenché une prise de conscience.

Il est certain qu'avant de s'exprimer sur des sujets potentiellement dommageables il vaut mieux mesurer la portée de ce que l'on dévoile. Est-on prêt à "assumer" ses dires face à d'éventuelles critiques, jugements et intérprétations ? Est-on prêt à déclencher des courroux, à blesser ou être blessé ? Si on ne l'est pas, abstenons-nous. C'est ainsi que la tonalité de mes écrits s'est peu à peu transformée, s'ajustant à mes capacités à endurer l'exposition intime. L'intimité profonde ne s'y exprime plus guère. J'ai pensé, un temps, que c'était regrettable. Ce n'est sans doute pas le cas. D'une part j'ai appris à intérioriser les pensées qu'autrefois j'exprimais, d'autre part le "travail" de dévoilement-conscientisation a porté ses fruits. Autrement dit : si je ne m'exprime plus beaucoup c'est parce que je l'ai beaucoup fait auparavant ! Je ne suis pas dans la retenue : le barrage à cédé depuis longtemps. Les réflexions s'écoulent librement, avec fluidité, sans délai. Il n'y a plus de blocages majeurs.


Blocages ?
Il y a quelques jours, ma mère, qui perd assez rapidement ses capacités physiques (maladie de Parkinson), ma raconté que son neurologue attribuait cette dégénérescence à des causes psychologiques. C'est parce qu'elle n'aurait pas réglé certains problèmes que son corps réagirait ainsi. C'est du moins ainsi qu'elle m'a présenté la chose. J'ai immédiatement pensé aux conversations que nous avions, il y a une douzaine d'années, lorsque moi-même étais en pleine thérapie analytique. Elle était un peu intriguée, se montrant à la fois suspicieuse et intéressée. Tantôt admirative face à ce que j'avais entrepris, tantôt dubitative face à ces "psys" qui feraient apparaître plus de problèmes qu'ils n'en résoudraient. Pour résoudre cette ambivalence elle avait conclu que, de toutes façons, pour elle il était trop tard pour entreprendre ce genre de travail. J'avais tenté de lui faire entendre qu'il n'était jamais trop tard, mais sans succès. Je n'ai pas insisté. Sauf qu'
il y a deux ou trois ans elle s'y est finalement mise... mais sans vraiment adhérer à la démarche, me semble t-il. Elle cherchait à dire ce qui conviendrait à la psychologue, comme s'il y avait une sorte de parcours balisé. Aller fouiller au fond du tréfond, dire ses vraies souffrances, c'était pas trop son truc. Je crois qu'elle avait peur de ce qui pourrait en sortir...

Et voilà que son neurologue lui dit que cette retenue pouvait être une des causes de sa maladie ! Je me suis abstenu de lui rappeler nos conversations passées mais je pense qu'elle les avait en mémoire.

Mes parents vieillissent et leur autonomie s'amenuise. La dégradation est assez rapide, laissant de plus en plus clairement entrevoir des solutions d'aide à mettre en place. Ils se soutiennent l'un l'autre autant qu'ils s'épuisent à se supporter. Ces deux-là n'ont jamais sû régler leur dynamique bancale de couple. Lorsque je vais les voir, pas une seule fois je n'ai pu éviter de sentir leur jeu de culpabilisation insidieuse. L'un bourreau fragile, affectivement dépendant, l'autre victime consentante. Une solidarité... malsaine.

Si bien que je ne leur rends pas aussi souvent visite qu'ils aimeraient. Je me tiens un peu à distance de cette ambiance subtilement délétère, qu'aggrave encore le climat de plainte face à la vieillesse (la leur et celle de leurs amis), la perte de facultés, les traitements médicamenteux et examens médicaux divers. Je n'ai aucun plaisir à entendre cette litanie. Heureusement, nous arrivons quand même à avoir des conversations plus ouvertes. Comme je ne renchéris pas sur les aspects pessimistes, embrayant rapidement sur le monde extérieur, le plaisir à vivre, la sérénité de mon existence, nous parvenons à sortir du marasme qu'ils semblent se complaire à entretenir à deux. Je vois même, lorsque je les quitte, leur plaisir au temps passé ensemble. Ils m'en remercient avec une sincérité touchante. De mon côté il ne faut pas que ces moments partagés, fussent-ils accueillants, durent trop. Je n'ai pas la capacité de resister longtemps au pessimisme d'autrui, je le sais. Cela m'atteint, m'épuise, me mine.


Parfois je m'interroge par rapport à cette distance à l'égard de mes parents. Elle s'accroît. Je sais qu'ils aimeraient me voir plus souvent (ainsi que mes frère et soeurs, et que leurs petits-enfants) mais je ne ressens pas le même attrait. Je n'ai plus envie de me trouver confronté à des gens qui n'ont pas réglé leurs problèmes existentiels et les diffusent autour d'eux. Et surtout pas mes parents, malgré tout ce que je leur dois
[mais "doit"-on quelque chose à ses parents ?]. Car je porte encore les séquelles des problèmes qu'ils n'ont jamais réglé pour eux et au travers desquels j'ai dû trouver mon propre chemin. Je sais que leur génération n'était pas vraiment orientée "psy", surtout mon père, mais je n'ai pas envie d'en faire encore les frais aujourd'hui. D'un autre côté, si moi-même j'ai pu entreprendre une démarche d'auto-acceptation je le leur dois bien : ils m'ont forcément transmis quelque chose qui m'a conduit à me prendre en mains. Me voilà donc tiraillé entre la préservation de mon équilibre et une redevabilité filiale... que je n'ai pas envie d'accorder sans conditions. Je prends sur moi de ne plus évoquer le passé douloureux, qui les culpabilisait, ni revenir sur tout ce que j'ai dû surmonter des traumatismes anciens, à jamais actifs, mais je les laisse régir tous les deux leur vie et leurs difficultés de couple vieillissant, aussi longtemps qu'il sera possible.

Ma gratitude envers les parents bienveillants qu'ils ont cherché à être ne saurait effacer le ressentiment
[la déception ? la colère ?] envers les adultes un peu lâches qu'ils ont été. Incapables de régler suffisamment leurs problèmes personnels, puis de couple, ils s'en sont accomodés vaille que vaille, sans vraiment mesurer ce qu'ils imposaient ainsi à leurs enfants. J'ai de l'indulgence envers les parents qu'ils ont été, faisant de leur mieux, mais nettement moins pour les individus qui ont transmis, sans en prendre vraiment la mesure, les conséquences de leurs névroses. Devenu adulte à mon tour, père puis grand-père, mari puis homme autonome, j'ai du mal à accepter l'inertie dont ils ont fait preuve en matière d'introspection active et de dynamique de couple. Ces adultes-là, s'ils n'étaient pas mes parents, ne seraient pas des personnes que j'aurais plaisir à côtoyer. En tout cas pas en couple [m'apparaît là l'origine probable de ma remise en question du couple comme facteur d'épanouissement].

C'est raide ce que j'écris là...


Bon. Avec ce texte je suis passé de la libre expression de soi à l'autoprotection. Le lien n'est pas flagrant mais il est pourtant assez direct : être à l'écoute de soi, en conscience, en vue d'une action réparatrice-protectrice. Envers soi et pour autrui.

C'est en ce sens que j'ai entrepris, dès que j'en ai pris conscience, mon travail de "réparation". Pour ne pas "contaminer" mes enfants avec les problématiques dont mon enfance était chargée.






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Évitement




Dimanche 13 novembre 2016


Un an après les attentats de Paris, de nombreux articles, émissions et reportages ont été consacrés aux rescapés et aux traces laissées par cette violente tragédie. Les séquelles psychologiques sont évidemment considérables et plusieurs personnes disent ne toujours pas pouvoir en parler. D'autres, sans doute plus résilientes, sont parvenues à surmonter leur douleur (la perte d'un ou plusieurs proches) et même... à extraire de l'atrocité vécue certains aspects "positifs" quant au regard qu'elles portent désormais sur l'existence. Comme si la vie leur était devenue encore plus précieuse.

Un mot a retenu mon attention : évitement. Traumatisées, certaines personnes établissent des stratégies d'évitement de façon à ne pas être confrontées à des souvenirs trop douloureux. Ça me parle...

Dans un tout autre registre
[quoique...] j'ai récemment lu, sur des blogs, les témoignages de plusieurs personnes ayant perdu, récemment ou pas, un proche. Il était question de l'intériorisation de la "présence" de ces disparus qui, au delà de la douleur de l'absence et du manque, apportait quelque chose que je qualifierai de bénéfique. De réconfortant. De chaleureux. Une sorte de douceur à penser à l'être cher qui n'est plus là...

Perte, traumatisme, résilience, évitement. Chacun de ces thèmes est venu me toucher à un niveau assez profond et ensemble ils ont ravivé, mais sans douleur aucune, un processus actif que je maintiens habituellement à bas bruit [par évitement ?].



À chaque fois c'est pareil : dès qu'il est question de perte d'un être cher me revient à l'esprit l'éloignement en amitié que j'ai si péniblement vécu. Ma pensée a donc immédiatement bifurqué vers ma propre expérience "traumatique" 
[c'est la définion même du traumatisme que de se raviver inopinément] et je me suis rendu compte que j'étais moi aussi dans des stratégies d'évitement. Je me préserve habituellement de tout ce qui pourrait raviver trop fortement pensées et émotions complexes à gérer de par leur contradiction. Non que je refuserais de m'y trouver confronté mais parce que voulant choisir, autant que possible, dans quelle conditions je peux y faire face pour en extraire l'essence bénéfique.

Mon "traumatisme"
[puis-je décemment utiliser ce mot ?], quoique infiniment moindre que celui ressenti dans le cas de mort violente d'un proche ou, pire encore, par le témoin ou la victime directe d'une fusillade mortelle, est complexe dans son genre parce qu'il concerne à la fois la perte [ce qui peut être relativement simple à assimiler, en soi] et le non-sens de celle-ci [qui rend la première infiniment plus difficile à accepter]. La perte d'un proche n'est pas forcément traumatique, pour peu qu'elle réponde à une certaine "logique". Le vieillissement prépare ainsi à la mort, même si cela n'atténue pas la douleur et le chagrin. La maladie soudaine, et plus encore l'accident, l'attentat, parce qu'ils frappent par surprise et laissent entrevoir a des possibilités d'évitement [si seulement on avait su...], ajoutent à la perte un potentiel traumatique puissant.

Quel est le rapport avec ce que j'ai vécu ? L'effet de surprise, probablement. Auquel s'est longtemps ajouté l'incertitude quant à la réalité de la perte et, plus perturbant encore, son éventuelle réversibilité. Pendant des mois, des années, j'ignorais quelle allait être l'issue d'une situation devenue extrêmement instable et fragile, tout en comprenant que mes actions avaient, sans que je sache comment, un impact direct sur celle-ci. C'est un peu comme si j'avais à conduire un engin en terrain miné sans disposer de visibilité ni de renseignements d'aucune sorte. J'avançais à l'aveugle... et constatais les dégats une fois qu'ils étaient commis. Et sans qu'aucune réparation ne soit possible, faute d'acceptation. La sensation d'être responsable d'une catastrophe théoriquement évitable, en n'ayant pas su manoeuvrer, s'ajoute donc à l'empreinte traumatique. Il m'aura fallu un temps considérable pour assumer ma part de responsabilité à sa juste mesure. Ni trop, ni trop peu.

Là où je retrouve des effets bénéfiques à la perte, comme dans les deux contextes décrits en préambule , c'est que le travail de conscientisation autour du choc traumatique m'a permis d'explorer des aspects de l'existence qui, sans cela, me seraient probablement resté insoupçonnés. En observant ce qui était touché en moi, en étant régulièrement confronté à des situations dont je contrôle plus ou moins l'irruption dans mes pensées, j'ai pu extraire ce qui faisait sens. J'ai décrypté une part de ce qui m'anime, me touche, me relie aux autres.

Je connais mieux ce qui m'importe.




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Traumatisé ?




Vendredi 18 novembre 2016


La rédaction de mon entrée précédente n'a pas été simple. Je ne me suis pas senti très à l'aise d'établir des analogies entre un traumatisme post-attentat et le traumatisme ordinaire d'une rupture sentimentale
[mais ne s'agissait-il que de cela ?]. Pourtant, en y réfléchissant bien, et en ayant bien conscience de la relativité des deux types d'épreuves, je crois qu'utiliser le terme de "traumatisme" a son importance. Car il y a bien eu choc psychologique, caractérisé par une empreinte profonde et des effets durables.

En cherchant la définition du traumatisme je suis tombé sur ceci :

« La définition du traumatisme émotionnel a radicalement changé au cours de ces dernières années. Jusqu'à récemment, on parlait de traumatisme chez les hommes après les guerres. Puis on a élargit la définition aux femmes et aux enfants victimes de violence.
Aujourd'hui, la définition s'est encore élargie, à cause des recherches en neuro-psychologie.
On peut parler de traumatisme émotionnel aujourd'hui après la survenue d'événements beaucoup plus courants : un accident de voiture, une rupture de relation, une expérience humiliante, une maladie potentiellement mortelle ou invalidante, une perte d'emploi ....

Les événements traumatisants peuvent avoir des répercussions émotionnelles graves sur certaines personnes, même si l'événement n'a pas de conséquences physiques.
En fait, aujourd'hui,
peu importe sa source, car ce qui importe est le ressenti subjectif de l'événement.

Cependant, le traumatisme a trois éléments communs :
1. l'événement est inattendu
2. la personne n'était pas préparée à le vivre
3. la personne ne pouvait rien faire pour l'empêcher de se produire.
Ce n'est donc pas la cause qui détermine si quelque chose est traumatisant, mais la façon dont la personne va vivre l'événement.
On ne peut pas prévoir comment une personne va réagir à un événement potentiellement traumatisant. »


[Extrait de cette page.]

On voit que la définition s'étend aux traumatismes émotionnels "courants", tout en insistant sur la subjectivité du ressenti.

Un autre site aborde les psychotraumatismes beaucoup plus graves, intensément violents et psychiquement destructeurs. Ils sont définis ainsi : « ensemble des troubles psychiques immédiats, post-immédiats puis chroniques se développant chez une personne après un événement traumatique ayant menacé son intégrité physique et/ou psychique ». Cette définition relativise évidemment les traumatismes ordinaires...

Il y est question d'intégrité psychique menacée. La recherche sur le net d'une définition de ces termes m'a systématiquement conduit vers la description d'actes de réelle violence, physique ou psychologique (violence conjugale, harcèlement...). Incontestablement cela ne correspond pas à la situation que j'ai vécue. Alors je suis tenté de réunir les deux approches, celle du traumatisme "ordinaire" et celle du "grave", en imaginant la notion de « ressenti subjectif de l'évènement pouvant atteindre l'intégrité psychique ». La question de la subjectivité me semble être primordiale dans mon affaire : d'autres l'auraient vécu différemment.

Intégrité : « qui n'a connu aucune atteinte », mais aussi « qualité d'une personne intègre ». Deux notions, dont l'une est passive, l'autre active.

Quelles ont pu être les atteintes à mon intégrité psychique ? Je ne vais pas tenter de les énumérer ici mais immédiatement je pense au réveil traumatique d'évènement anciens : un terrain favorable au surgissement prééxistait. L'atteinte avait déjà eu lieu et n'a, en quelque sorte, qu'été réactualisée et amplifiée. Le traumatisme final n'a eu cette ampleur que parce qu'il ravivait un traumatisme ancien... au moment-même où je croyais avoir enfin trouvé la voie de sa résolution. C'est là que la question d'honnêteté - intégrité - révèle son double sens : j'avais pris la précaution d'évoquer ce traumatisme prééxistant avant de m'engager pleinement dans une relation de haute confiance qui tenait de la quête du Graal. Ce faisant je pensais, naïvement, avoir "garanti" que je ne risquais pas de me trouver de nouveau dans la situation traumatique redoutée. Je savais que l'enjeu était énorme. Rassuré, en confiance, j'ai franchi le pas...

Je crois qu'il se situe vraiment là mon traumatisme : au niveau de la confiance accordée. Ce que j'ai "perdu", en voyant sa dépositaire se retirer, c'est la confiance absolue en autrui. Et dans tout ce qui peut découler de cette notion...
Une perte inattendue et soudaine, que je n'étais absolument pas prêt à vivre et que je n'ai pas su empêcher d'advenir ni de perdurer. Exactement les trois éléments qui caractérisent le traumatisme émotionnel "banal".

Je suis traumatisé (mais je vais très bien en dehors de ce traumatisme).

Traumatisé conscient, donc évitant les situations pouvant réactualiser le traumatisme : la confiance que j'accorde est mesurée, rétractable, réversible. Relative plutôt qu'absolue. J'ai une vigilance de sioux dans les domaines auquels je me sais sensible ; une prudence dans les confidences, afin de ne rien attendre en termes de réciprocité. Mon autonomie relationelle fait que j'ai trouvé un équilibre dans une fréquente solitude. Et je suis prompt à envisager le décrochage d'une relation dès que je la sens insatisfaisante.

Il reste cependant quelques caractéristiques non maitrisables du traumatisme : une sensibilité particulière à certaines situations relationnelles, le surgissement fréquent de souvenirs et réminiscences, la perpétuation d'un "contact" avec divers évènements heureux ou malheureux. La "présence" qu'induit l'absence durable...

Mais je m'y suis habitué. C'est devenu mon environnement, mon existence.
Ma doulceur de vivre...


(un peu plus tard)

J'ai d'abord écrit douceur, puis en me relisant j'ai trouvé que cette douceur post-traumatique avair un côté maso. Disons que pour éviter la douleur j'ai opté pour la douceur. Mélange des deux, donc. Doulceur... mot-valise "inventé" en juillet 2004 lors de la première grande secousse. Celle qui, par sa violence, aurait dû me mettre la puce à l'oreille...

Oui, je me suis habitué à cette existence plutôt solitaire. Je me suis "habitué" à l'absence (si tant est qu'on puisse s'y habituer...). En cela je me retrouve parfaitement dans les mots de ceux qui évoquent la perte d'êtres chers. Morts ou définitivement éloignés, qu'est-ce que ça change ? L'autre n'est plus là, on ne peut plus lui parler.

Et pourtant il y a des différences. D'abord quand l'autre est vivant (ou supposé l'être...) cela supprime une partie du chagrin. Tant mieux, s'il/elle vit ! Et peu importe si je ne suis plus convié à cette existence ni que je n'en sache plus rien. Par contre, en ce qui me concerne, au vu d'un désenchevêtrement complexe et filandreux, je me suis toujours demandé si la "perte" allait rester définitive. Cette incertitude, aussi ténues qu'aient pu être les chances qu'il en soit autrement, m'a toujours habité. Je n'ai pas eu la "chance" (!?!) de savoir la mort passée. Je n'ai pas eu la "chance" de l'irréversibilité certaine. C'est très ambivalent tout ça : être heureux de savoir (ou supposer) l'autre en vie et en même temps vivre le manque
[puis-je le dire ainsi ?] de cette présence vivante.

J'ai l'art de me maintenir dans des situations d'entre deux...





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Sans attentes ni exigences




Samedi 19 novembre 2016


Cela m'a fait du bien d'évoquer un peu ce qu'habituellement j'évite. De toutes façons je sais qu'un jour tout finira pas s'évacuer, d'une façon ou d'une autre. Je n'ai pas envie, au moment de mon ultime soupir, d'avoir des regrets. Tout devra avoir été assaini auparavant pour que je disparaisse l'esprit totalement en paix.

D'ici là... je laisse mon esprit cheminer à son rythme. J'accueille les pensées qui se présentent et leur laisse le temps de trouver leur place dans le puzzle qui, lentement, se parachève. Pièce après pièce il constitue une nouvelle réalité. Quand j'y songe, ou au cours de conversations, je réalise le considérable chemin parcouru pendant toutes ces années. Dans ce que les autres me renvoient de moi j'ai le plaisir de voir un homme plutôt serein et apprécié. Discret, certes, mais bénéficiant de sympathie. Ces retours positifs contribuent à restaurer l'image très dégradée qui m'est apparue au moment de mes difficultés amoureuses passées.

Parfois je me dis que si "Elle" me voyait aujourd'hui elle constaterait à quel point je me suis transformé. En même temps ces pensées s'arrêtent net : tant d'années se sont écoulées qu'elle aussi a très probablement changé. Si bien que nous ne nous retrouverions certainement pas
[elle se sent, l'autopersuasion, non ?]. Nos affinités d'autrefois se sont vraisemblablement dissoutes. Les retrouvailles tant espérées sont devenues un mythe inatteignable [enfonçons bien le clou !]. J'essaie de m'en convaincre [on voit ça], et peu à peu ça s'imprime [laborieusement...].


« La cryogénie des sentiments ça n'existe pas », avait-elle écrit au moment de son départ. Je ne sais pas si elle le voulait ainsi. Je me demande si les miens finiront par se lyophyliser. À force de temps et d'aridité, peut-être ?

Et puis de quels sentiments était-il question ? L'amitié est-elle un sentiment ? N'est-ce pas plutôt un lien ? Un lien libre...

Hier une amie m'a écrit que ce qu'elle aimait avec moi c'est que je n'avais ni attentes ni exigences. Qu'il suffisait qu'elle me fasse un signe pour qu'on se retrouve comme si on s'était vus la veille. Cela m'a beaucoup touché parce que correspondant à ma représentation de l'amitié. C'est ce sur quoi j'ai travaillé depuis que j'ai admis ma part de responsabilité dans la perte : j'avais trop d'attentes, trop d'exigences. C'était trop pesant. Étouffant, même. Aujourd'hui je ne peux que comprendre la réaction de mon amie d'autrefois... qui n'avait sans doute pas ma patience. Car, par une étonnante mais opportune inversion des rôles, voilà des années que je suis confronté aux attentes d'une autre amie. Des années de patience, à voir ressurgir chez elle difficultés, manques et douleurs. À subir régulièrement des récriminations. Mais peu à peu j'ai vu décroitre tout cela, à force de réassurance, quoique sans concessions sur l'essentiel : je ne cèderai à aucune exigence. C'est à l'autre (à chacun, en fait) de faire le chemin vers son équilibre personnel. Ce chemin que moi aussi j'ai dû parcourir pour aller vers la fameuse "autonomie" qui m'avait fasciné chez mon amie d'autrefois.

Je suis heureux d'avoir atteint cette liberté.











  Mois de décembre 2016