Janvier 2006

Dernière mise à jour:vendredi 3 février 2006 - Accueil - Premier jour - Archives - Message



L'année du moi



Mercredi 4 janvier


Je n'ai jamais été adepte des résolutions de début d'année. A moins de prendre un engagement solennel à l'occasion de cette date symbolique, la simple énonciation de souhaits me semble parfaitement vaine. Une illusion de plus laissant croire que les choses pourraient changer simplement parce que j'en aurais eu envie un premier jour de l'année.

Si je prends une ferme résolution pour l'année à venir, ce ne sera que celle de continuer à avancer...

Pour le reste... je me contenterai d'axer ma vigilance sur certains points: être particulièrement attentif à ma part émotionnelle, c'est à dire mes ressentis et désirs, et à leur expression. Poursuivre aussi mes tentatives de rencontre de l'altérité, de préférence dans le face à face plutôt que par l'écrit.

Voila. Je préfère des intentions à des résolutions que je ne tiendrai pas (avec sentiment d'échec en prime). Pour tout vous dire je suis allé faire un tour sur ce que j'écrivais il y a un an. Juste pour voir, comme ça... Eh bien figurez-vous que j'y ai trouvé ce que j'aurais été tenté d'écrire maintenant ! Déduction: un an ne suffisent pas pour mesurer certains changements.

En fait la différence se situe dans la profondeur d'intégration. Il y a un an c'était plus superficiel que maintenant. Mais sinon, dans les grandes lignes, ça reste valable. Ce n'est pas un signe de stagnation. J'y vois plutôt un ancrage et une pérennité des idées.


Bon... il y a quand même quelque chose d'important qui semble changer actuellement, là, maintenant, et que je vais bien me garder de contrarier: mon "moi" semble enfin prendre sa place. C'est à dire que mon mode de pensée pourrait bien être en train d'accomplir la révolution préparée de longue date [waooow ! Enfin ?].

Penser à moi avant de penser aux autres.
Agir pour moi plutôt que pour me conformer à ce que j'imagine qu'on attend de moi.

Tout ça n'est pas une nouveauté dans mes mots... mais l'est radicalement dans ma façon de le vivre. Bigre, un peu inquiétant...
Ça n'a pas l'air comme ça, mais ce sont tous mes repères qui s'effacent d'un coup sans que je n'aie vraiment identifié et testé les nouvelles balises mises en place théoriquement. Je me vois entrer dans un nouveau territoire, comme si je ne le connaissais que d'après photos ou cartes topographiques: sa réalité et son immensité inconnue m'apparaissent tout à coup. Et j'y entre seul, parce que c'est mon territoire rien qu'à moi [na !].

Je me sais "seul" dans toute la part affective (amour) qui m'avait donné une apparence de stabilité depuis toujours. Seul avec moi-même... Seul à devoir prendre soin de moi. Mais finalement, qui mieux que moi pouvait m'apporter ce dont j'ai besoin ?
Je me sépare de mon épouse rassurante, je n'ai plus mon amoureuse encourageante, et je m'éloigne de l'amour de mes parents repères. Ces personnes sont pourtant toujours présentes dans ma vie relationnelle, mais c'est mon rapport à elles qui a changé. Je sors de toutes ces dépendances en ne cherchant plus à leur plaire. De la même façon je continue à sortir de la dépendance du regard d'autrui, y compris par le biais de ce journal [qui va probablement changer...]. D'avoir récemment pris conscience de ces dépendances archaïques à rapidement changé ma perception des choses.

Je deviens moi.

Je ne sais pas bien comment tout cela va évoluer, mais quelque chose est passé. J'ai l'impression que tous mes liens vont tendre vers une ressemblance aux relations d'amitié que j'ai établies peu à peu: indépendantes. Parfois très proches et avec des confidences soutenues, parfois plus distantes parce que c'est comme ça...
Je ne me force pas si je sens que le coeur n'y est pas. Et j'en assume les éventuelles conséquences...

Sans me livrer à une prospective débridée, les temps à venir pourraient bien être ceux de l'écoute et de l'affirmation du moi. Je ne sais pas si ce sera ma tendance pour 2006, mais il se pourrait bien que ce soit l'année du moi...







Des années de travail



Samedi 7 janvier


Je crois avoir souvent écrit ici que j'allais bien, après l'importante tourmente qui m'a fait perdre l'équilibre. Peut-être était-ce une façon de me convaincre que tout allait bien en profitant d'un état temporaire, finalement anéanti quelques temps plus tard et dont mes écrits étaient témoin. Assurément il y avait davantage une volonté d'en être sorti qu'une réalité.

De temps en temps des confidentes m'en font la remarque, lisant probablement dans mes écrits contradictoires cette instabilité. Mais ce qui a pu être vrai il y a encore quelques semaines est devenu différent. Et je le sens comme quelque chose de durable, qui s'est vraiment installé en moi.

Cette sérénité que je désirais retrouver après l'énorme avancée de ces dernières années semble bien prendre place. Et là je l'écris en toute conscience.

Je me sens bien. Vraiment bien.

A tel point que je trouve presque incongrus certains de mes comportements, encore marqués par des habitudes de ce que je ne suis plus. Ainsi, au moment même ou sur mon carnet j'écris que je ne cesserai pas d'écrire en ligne... je me demande d'où me vient cette certitude. Qu'est-ce qui me dit que lorsque j'aurais trouvé ma place, que je vivrai plus au centre de moi-même, j'aurais encore besoin de ce mode de communication ?

A quoi sert cette projection, si ce n'est à me rassurer (écrire maintient des liens dont j'estime avoir "besoin"). C'est encore une vieille habitude, en contradiction avec ce que j'intègre toujours plus profondément: c'est au présent que je vis. Mes récents écrits sur le moi temporel correspondent à cette prise de conscience.

Je n'ai "besoin" de personne en particulier, mais de tout le monde en général. Ma façon de vivre les liens est en profonde mutation. Je ne cherche plus à ce qu'ils durent. Si c'est le cas, c'est parce que ce sera un désir conjoint. Et dans le cas inverse... inéluctablement le lien s'atténuera, voire disparaîtra. J'ai compris qu'il ne servait à rien de "donner" lorsque c'était pour maintenir une réciprocité souhaitée. Et c'est précisément ainsi que se développent des amitiés toutes simples dans leur fonctionnement, sans chichis ni complications. Je suis moi-même et la seule chose que j'attende de l'autre c'est qu'il en soit de même.

J'ai vraiment l'impression d'avoir atteint un niveau de "détachement" qui me permet de ne plus craindre la disparition (= sentiment d'abandon). Et même s'il peut encore exister des relents de ce mode de fonctionnement, je sais en toute certitude qu'ils sont condamnés à disparaître. J'ai évolué, profondément. Des années de travail pour cela, sous vos regards.

Je ressens une profonde paix intérieure.
Et c'est très bon...






Filins




Mardi 10 janvier


La paix que je sens entrer en moi correspond à un état d'élévation de conscience de ce que je suis. Je me relie à moi-même. Ou plutôt: je relie des parts de moi qui étaient dissociées. J'entre en contact avec mon essence (non, ça n'explose pas...).

Ce que c'est apaisant...
Bon, ce n'est pas un état permanent de béatitude, hein ! Plutôt comme une réduction du bruit de fond, un éloignement des turpitudes.


Je subodore une nouvelle façon d'être-soi, qui permet une ouverture, alors qu'elle est concentration sur soi... non: attention à soi. Pas dans le sens de l'ego nombriliste, mais celui du moi interne, du moi-énergie, du moi-vital, du moi rayonnant (ou tout autre terme à votre convenance). Une conscience, qui s'est manifestée avec acuité en certaines circonstances bien spécifiques, mais qui de façon plus enveloppante se renouvelle avec une fréquence toujours accrue. Ça me nourrit de l'intérieur.

Hum... je me rends compte que ce n'est pas facile à expliquer. Les mots me manquent ou me trahissent par leur platitude. Quoi qu'il en soit, je sais, avec une conviction profonde, que c'est dans cette direction que je dois aller. Tout ce que j'ai vécu ces dernières années m'y conduit avec une insondable évidence. Je ne sais même pas vers quoi je vais, sauf que c'est emminemment vivant. Je sais que c'est la direction que j'ai à suivre, sans crainte. Je sais aussi que lorsque je suis en mouvement je vis. La stabilité ne m'intéresse que tant que j'avance. En équilibre, mais pas immobile.

La paix à laquelle j'aspire est celle du pélerin, qui trouve le sens de sa quête dans ses pas.

Non non, je ne suis pas sous l'effet de substances hallucinogènes. Je n'ai pas davantage rencontré quelque gourou illuminé. C'est juste un état de conscience qui prend lentement sa place, et peut-être un peu plus précisément maintenant, me donnant les mots pour en parler. Et cela parce que j'ai eu dans mon parcours de vie quelques "flashes" d'éveil et que j'ai su les entendre (sans capter le sens qu'ils avaient). Lentement ils se relient, tendant de minces filins entre eux. Liens que j'observe et suis, qui guident peu à peu l'errance de ma construction.

Je vous assure que ça m'apporte une grande sérénité...

Il ne me reste qu'à l'incorporer à ma vie active, celle qui me relie aux autres et à toute la différence de l'altérité qui fait la réalité du moi.






Émancipation




Lundi 23 janvier


Ma graphomanie légendaire ne serait-elle pas en train de se tarir ?
Je ne ressens plus le besoin de confier autant mes états d'âme. Peut-être parce que je suis moins dans les questionnements. Peut-être parce que j'ai compris que ce compte-rendu avait quelque chose d'infantile, en attente de regards encourageants. Peut-être parce que je suis désormais davantage dans une intégration profonde que dans une narration superficielle.

Ou peut-être, tout simplement, parce que je me sens aller suffisamment bien.

Je crois être parvenu à un certain niveau de confiance en moi, qui fait que je puise dans mes ressources propres, sans ressentir ce besoin d'être conforté par des regards. Et puis je crois avoir maintenant suffisamment de rapports de confiance diversifiés pour enrichir mes réflexions. Ne plus dépendre d'un nombre réduit de relations chargées de projections m'a ouvert à d'autres formes de pensée. A commencer par la mienne, plus authentique dans cette diversité d'échos.



Dans ma vie il y a pas mal de choses qui changent. Une réorientation professionnelle, partielle mais néanmoins radicale, est en train de prendre forme. Après avoir beaucoup écrit sur l'importance de l'écoute de l'autre, j'ai envie de la mettre en pratique concrètement. Plutôt que de rester dans les mots écrits, je m'oriente vers la mise en actes. Aller vers les autres, essayer de leur apporter l'aide dont ils peuvent avoir besoin. Tendre la main pour aider à se prendre en main. Accompagner. Je vais me former à cela d'ici peu. Ce qui signifie aussi que j'aurai parfois beaucoup moins de temps libre pour écrire... Mais en aurais-je encore besoin ?

Si j'écris, là, maintenant, c'est davantage par souci d'un suivi que par besoin d'épanchement. J'ai envie de témoigner de ce à quoi j'ai pu parvenir, après toutes ces réflexions élaborées depuis des années d'écriture. Message d'espoir. Envie de dire qu'en me prenant en main j'ai pu sortir de situations de souffrance dont je n'avais même pas conscience. L'introspection a bien eu les effets escomptés.

Ce journal, les rencontres que j'ai faites depuis que je vais sur internet, ces années d'échanges et réflexions soutenues, auront été d'incontestables éléments déclencheurs. Tant dans ma façon de me réapproprier ma vie que dans mes rapports à autrui, qui me mènent à cette tentative de réorientation professionnelle.



Côté vie affective, mes rapports avec Charlotte ne cessent de se simplifier, avec une acceptation mutuelle qui frise l'idéal... Nous voila devenus excellents amis, connaissant les sujets qui nous relient et ceux qui nous divisent. Le processus de séparation continue, apparemment sans souffrances d'aucun côté, bien qu'une petite inquiétude face à l'inconnu demeure. C'est une belle complicité que nous avons su maintenir, et j'en suis heureux. Ça en vallait la peine... Nous sommes prêts pour l'étape suivante: la vie en solo. Nous y sommes presque, dans les faits, hormis la proximité géographique et une solidarité financière.

Je continue à reconnaître en mon for intérieur mes incompétences passées, mes lacunes et faiblesses. Et Charlotte fait de même. Nous parlons de temps en temps de ces remises en question personnelles et c'est comme si nous regardions alors deux être immatures qui n'existent plus. Charlotte est rayonnante, a pris beaucoup d'assurance, sait s'affirmer, aussi bien face à moi que sa famille ou son entourage professionnel. Et moi j'ai appris à l'écouter... J'ai retrouvé beaucoup d'estime pour elle. Sa capacité à "grandir", à se prendre en charge, à se remettre en question, à se "positionner" fait plaisir à voir. Notre entourage semble presque surpris de la voir autant en forme, et même entreprenante (elle s'investit fortement dans une formation universitaire).

Je me sens infiniment mieux, et maintenant quasiment "normal" dans mes rapports à autrui. Certes encore un peu réservé, mais capable de prendre la parole dès qu'un sujet m'intéresse. Capable de prendre des initiatives et d'exprimer des désirs. Capable d'aller au devant des rencontres. Je me sens "exister" parce que je crois en moi.

C'est presque une nouvelle vie qui s'annonce, et c'est assez réjouissant. Chaque jour je me sens différent de la veille, plus riche, plus serein, plus solide.


Tout va pour le mieux, donc...
C'est presque idéal.


Presque ? Ben oui... il reste toujours un... comment dire ? Un creux. Après l'amputation amoureuse et la perte de complicité, j'ai appris à vivre sans cette part manquante. Je reste irrigué par tout ce que cela m'a apporté, et c'est considérable. Je n'oublie pas.
J'ai [à peu près] accepté l'espacement des échanges et l'absence de toute expression sentimentale. Ouais bon... de toutes façons c'était ça ou plus rien. Alors comme j'y tiens et que, dans le fond, même si tout a changé rien n'est vraiment différent pour moi, je n'ai pas lâché ce qui restait accessible. Le contact est maintenu de façon amicale, agréable, quoique encore sobre et distanciée. Amitié simple.
Je me garderai bien d'extrapoler sur l'avenir. Seul le présent compte, n'est-ce pas ? Et ce présent, maintenant, me convient.

Je crois que cet arrêt amoureux était probablement une chance... Oui oui, une "chance"[je me le dis à posteriori, hein...]. Un passage obligé pour acquérir une part de maturité affective qui me faisait défaut. Sans être passé par l'épreuve de la séparation je n'aurais pas pu comprendre pourquoi j'en avais peur. Je n'aurais pas pu sentir ce qui était si fortement touché dans mes fragilités. Je ne m'en serais pas libéré. Je ne me serais pas trouvé...

Si je me sens devenir plus solide, c'est grâce à ce passage dans les tréfonds glauques de mes angoisses existentielles. Je ne suis devenu ce que je suis qu'en ayant "perdu" ce en quoi j'avais tellement crû. Alors oui, comme le dit Cyrulnik, la souffrance peut être une chance de sortir plus fort que si on ne l'avait pas vécue.

Certes, il me faut encore du temps pour continuer à absorber tout cela et en saisir la substance. Mais je suis serein: j'y parviendrai. Parce que mon "moi" reconstruit va maintenant bien. Et si ma vie amoureuse reste en suspens, elle est aussi tendue vers un après, quoique j'en ignore encore l'orientation. Il y a une aspiration vers une évolution de pleine maturité et de pleine conscience. Une volonté agissante de me libérer de mes vieux démons. Un mouvement continu vers une solidité intérieure. Je sais qu'il en sort quelque chose de fort.
Depuis bien longtemps je sais intimement, viscéralement, qu'avec toi j'avais quelque chose de grand à découvrir de l'existence. Je pensais à la lumière, il y avait aussi l'ombre. Lorsque je suis parti à l'aventure, tu étais avec moi... mais c'est finalement en solo que j'ai dû poursuivre. Et c'est probablement mieux. Parce que c'est une aventure personnelle, intérieure, et que personne ne pouvait m'en montrer le chemin unique. Je ne pouvais faire ma trace, et apprendre, que seul face à moi-même. Il fallait que je souffre, que je trébuche, que je tombe. Puis que je me relève seul. Indispensable. Je suis heureux d'avoir appris l'autonomie. Émancipation.

Je poursuis dans le sens que j'ai choisi: celui de l'ouverture, de la rencontre, de la confiance, dans la liberté des élans de vie. Le sens de la vie, tout simplement.






Trois ans plus tard




Vendredi 27 janvier


Wow, ça me fait tout drôle: elle va se marier ! Une diariste qui se marie... Voila plus de cinq ans que je lis sa vie de célibataire, puis de colocataire, puis d'amoureuse, devenue cohabitante... Elle a changé de métier, elle a aussi changé de rythme d'écriture, devenant de plus en plus evanescente parmi les écrivants en ligne.
Je pensais à elle ces derniers temps, me demandant ce qu'elle devenait dans son silence, et voila une réponse.


Je ne l'ai rencontrée qu'une seule fois, il y a trois ans. Quelques heures en compagnie d'autres noms de l'écriture en ligne. Je m'en souviens très bien, et d'autant plus que j'avais insisté auprès d'elle pour qu'elle revienne sur sa décision d'annuler sa participation. J'avais eu peur de mon audace, à la fois d'exprimer ainsi le désir de sa présence, et de la petite folie qui consistait à faire le déplacement spécialement pour cette rencontre de groupe. 
Je revois sa silhouette intimidée dans son manteau bleu marine, entrant dans le café où nous étions réunis. Oui, je voyais enfin son visage alors que, comme tant d'autres (dont moi), elle ne le montre pas sur son site. Ces rencontres me sont importantes puisqu'elles mettent en contact la réalité physique d'une personne avec l'immatérialité de ses pensées écrites. J'aime cette mise en présence de l'autre. Le regard, la voix, les gestes, la petite gêne à se trouver soudain en présence d'un(e) inconnu(e) dont on sait déjà tant de choses... et pourtant si peu.


Elle se marie...
Décision qu'elle décrit comme mûrement réfléchie, acceptée, mais dont elle ne cache pas ce qu'elle comporte de compromis avec des convictions antérieures. Me viennent à l'esprit les conversations que nous avons avec Charlotte, vingt-cinq ans plus tard, sur les raisons d'origine familiale et sociale qui nous avaient poussés à nous marier.

Elle se marie, je me sépare. Elle était célibataire, je le suis devenu. Et je crois que, tout comme moi, elle n'aurait pas du tout imaginé ça il y a seulement trois ans. Comme la vie peut changer en quelques années ! Comme ce qui paraît être évidences et certitudes peut se révéler caduc en peu de temps !

Alors, est-ce que ce que je vis maintenant sera très différent dans trois ans ?
La profonde mutation qui a opéré dans ma vie sera plus affirmée, et je serai probablement sorti des questionnements existentiels intenses. Écrirais-je encore ? Ou bien, comme d'autres, le besoin de mettre en mot sera t'il émoussé ? L'écriture intime ne correspond-elle pas à des périodes de grande réflexion, cessant lorsqu'une certaine stabilité a pris place ?
Je ressens bien que je ne suis plus dans le "besoin" d'écrire, puisque j'ai maintenant trouvé le sens vers lequel je souhaite infléchir mon existence. Je suis davantage dans un désir de communication que de recherche intérieure.

Mais je dois bien dire que je ne sais pas si la perspective de moins me poser de questions m'enchante ou m'attriste... Il me semble que si je cessais d'être en recherche, je serais devenu vieux. J'ai beau affirmer que je me sens en paix... je ne tiens pas à cesser d'avancer. Ce qui revient à lutter contre la tentation de l'immobilisme, non ? J'ai beau aspirer à la sérénité, je ne suis pas sûr de vouloir trouver une position confortable dans laquelle ma pensée pourrait s'endormir.
Le choix qui s'est imposé à moi de m'orienter vers une vie moins sécurisante ne doit certainement rien au hasard.





Savoir écouter




Samedi 28 janvier


Depuis quelques temps j'écris souvent que je me sens être en paix. Ne serait-ce que parce que je sais que je vais vers un état de bien être croissant, cette seule perspective, en elle-même, est déjà rassurante. En fait la formulation « je suis en paix » est imprécise. Je ne suis pas en permanence en paix, mais de plus en plus. Je vais vers une paix intérieure. C'est un mouvement, une évolution.

Mais cette paix se travaille. Elle n'est pas spontanée. Diverses inquiétudes la menacent par intermittence, bien qu'en nette diminution. Il y a un travail de raisonnement pour que ces craintes n'accrochent pas trop, sous peine de réveiller subitement des questions existentielles non élucidées. C'est d'ailleurs ce genre de réveil qui stimule ma pensée, afin d'apporter des réponses apaisantes. La plupart du temps il n'y a pas urgence à résoudre la problématique et je peux réfléchir en sourdine sans que cela ne me perturbe. D'autres fois il y a des réveils en sursaut face à une situation inattendue, et il me faut alors parer au plus pressé. Il se peut que je réagisse par l'abattement, ou bien l'agressivité, la négation, l'évitement. Autant de comportements significatifs d'un état de dépassement par les évènements.

Ceci dit, même si je me sens aller vers la sérénité, même si les lourds tourments se sont apaisés... cela n'empêche pas que je ressente un manque. Pas un jour sans que j'y pense. Ce n'est pas inconciliable: je peux être à la fois en paix et en manque. Si je connais le sens de mon manque, il n'est pas inquiétant. Bien que le manque puisse aussi être une forme d'inquiétude, je le reconnais...

Ce qui me manque, c'est évidemment la complicité que j'avais avec ma partenaire. Ce lien de confiance et de confidences, ces cadeaux qu'elle me faisait en m'exprimant ses inquiétudes, ses questionnements profonds, ses enthousiasmes ou ses angoisses existentielles. Cette part émotionnelle que nous pouvions partager, sans équivalence, et qui m'était tellement précieuse.



Bon. Je connais les raisons de notre éloignement sentimental. J'y ai une large part de responsabilité. Non seulement en ayant momentanément perdu la foi qui portait notre relation, mais surtout en ayant contribué antérieurement à l'effritement de la confiance mutuelle. Par des attitudes inadéquates, je n'ai pas su maintenir la complicité initiale. Je n'en étais alors pas capable, tout chargé d'angoisses personnelles irrésolues, réactivées en cascade. J'ai été dépassé par les évènements et par l'ampleur des complications additionnées. Dépassé par mon incapacité à m'écouter, et surtout à écouter "l'autre". En l'occurence toi, nathalie.

[Je crois préférable d'utiliser la formulation directe, lassé de ce double langage qui tente illusoirement de faire "comme si" tu ne me lisais pas. Je me méfie de ces tentatives d'influence déguisées. Marre de ces appels sur fond de culpabilisation. Fatigué de réfléchir à la portée cachée du sens de mes mots. Usé de tricher avec moi-même. J'ai envie de dire ce que je ressens librement, et clairement. Pas de façon ambiguë. Place au "je", et stop au "tu" camouflé. Soit je dis, soit je tais. Ça aussi c'est de la franchise...]

Je le sais maintenant: je n'étais pas prêt. Ce que j'ai découvert avec toi de la vie était immense, et allait bien au delà d'une "simple" relation amoureuse. Bouleversement existentiel trop grand pour moi, qui étais immature sur bien des sujets. Je n'ai pas pu suivre. Je n'en avais ni la liberté, ni les compétences (aller vers l'autre demande des compétences...). Je n'avais pas assez de vécu, pas assez de savoir. Pas assez d'ouverture. Pas assez de contact avec moi-même, cette part émotive dont j'ai trop longtemps été coupé.

Ce travail de connaissance personnelle, cette "exploration intime", c'est largement avec toi que je m'y suis livré. Sous ton regard et tes encouragements bénéfiques. Mais j'ai voulu aller trop vite, me surpasser, pressé que j'étais de vivre ce que je touchais du doigt. Erreur fatale, on le sait. Mais erreur instructive, ô combien.

Devant mon incapacité à tout gérer de front, devant mon hébétude hésitante, tu as un jour choisi de te préserver. Et peut-être de me préserver, aussi...
Il fallait bien décider quelque chose. Tu as d'abord choisi de suspendre, puis de couper les liens: tu m'as demandé qu'on s'oublie. Complètement défait par cette perspective, j'ai tenté de résister, maladroitement. J'ai ressenti que tu m'abandonnais au milieu du gué. Tu m'as encouragé à faire demi-tour, à revenir à ma "vie d'avant". J'en ai été anéanti. Détresse absolue, que j'ai criée, hurlée, rabachée ici même durant des mois. « Non, ne me lâche pas ! Attends, laisse-moi le temps ! ». Il ne me restait que ce moyen d'expression indirecte pour clamer toute mon incompréhension et, je ne le cachais pas, mon amertume. Je savais que tu "l'entendais", même si tu n'y réagissais que rarement.

Maintenant je crois que tu as bien fait de ne pas répondre à mes gesticulations. C'est par la souffrance née de ce que je ressentais comme un abandon que j'ai pu accéder au plus profond de mes angoisses existentielles. Angoisse de la perte. Angoisse de la solitude et de la mort. Ce fût le second point d'inflexion déterminant de mon existence, après celui qu'avait été ta rencontre. Nouvelle façon de voir la vie, terrain vierge entièrement à défricher. Avec un leitmotiv qui est apparu, lancinant, évident: être à l'écoute des ressentis. Les miens, les tiens, et au delà, ceux d'autrui dans le sens le plus élargi. Apprendre à écouter, sans faire de projections, sans chercher à réparer ni à me substituer. Et apprendre à exprimer avec le coeur davantage qu'avec le raisonnement. Nouveau projet de vie.



Peu à peu je me suis efforcé de comprendre le choix que tu avais fait. Je le respecte. Après avoir été triste, révolté, compréhensif, déçu, amer, parfois même résigné, j'ai progressivement fini par en accepter les répercussions. Le manque demeure, mais il est différent. Il me pince souvent le coeur, mais je sais que cette coupure dans le lien affectif a des effets très positifs. J'aurai appris à ne plus attendre, à trouver en moi mes propres ressources. Tu m'a contraint à la voie de l'autonomie. C'est la meilleure chose que je pouvais découvrir...

Je me sens riche de moi-même et sais que je peux vivre sans ta présence. Sans te parler, sans te voir, sans tes mots... Et si je le peux sans toi, je le peux sans n'importe qui. Jamais plus je n'investirais une relation de cette façon, et c'est tant mieux.


Le plus difficile aura été de savoir dans quel sens je devais agir. A la fois lâcher prise, pour accepter la perte, mais ne pas renoncer. Continuer à lutter, mais sans m'acharner. Dire que j'étais toujours là, mais sans m'imposer. Vouloir continuer à construire, mais sans forcer. Respecter tes limites, respecter mes élans de vie.
Souvent je ne savais pas si je devais me manifester, ou au contraire respecter ton désir de distance. Mais j'ai bien fini par comprendre que parmi toutes les motivations, il y en avait une qui dominait: le besoin d'être rassuré. Besoin de garder espoir. Je ne t'ai rien demandé de précis à ce sujet, et tu ne m'as rien dit. Ça me va. Tu n'as jamais complètement coupé l'espoir, même si parfois... il semblait ne plus y en avoir aucun. Plusieurs fois il a été question de tout arrêter...
Avec le temps j'ai appris à vivre "seul", c'est à dire sans ressentir ce besoin de réassurance. De plus en plus autonome, en ayant élargi mon cercle d'amitiés et d'échanges, j'ai beaucoup appris avec les autres, et investi ces liens d'une autre façon.

Mais celui que j'ai eu avec toi reste unique, et irremplaçable.

Ce qui pourrait paraître surprenant, c'est que plus le temps qui passe confirme cette certitude première, plus j'accepte de ne pas m'y "accrocher". Cette confiance qui a existé entre nous n'a de raison d'être que si elle est libre...
Or j'avais tellement peur de la perdre que je cherchais à la garantir. Là encore, erreur fatale.
J'ai longtemps gardé cette peur, dont les traces s'amenuisent. Pourtant tu es toujours là... donc digne de confiance. Peut-être est-ce moi qui manquait trop de confiance en moi ?

Je crois que j'avais besoin d'exister, d'être accepté tel que j'étais. Mais mon regard sur moi-même, teinté de culpabilité, de sentiment de dévalorisation, avait besoin d'être toujours conforté. Ton regard était le miroir dont je croyais avoir toujours besoin, or il ne pouvait être que temporaire. Seul mon regard sur moi-même, et celui de la diversité des autres, peut me rendre autonome. Sortir de la dépendance...

C'est ce qui se passe depuis des mois.



Depuis peu j'ai compris que je devais m'ouvrir à l'écoute. Le temps de la souffrance est passé, celui de la reconstruction est en cours. Reconstruction sur un autre mode, plus solide et plus ouvert à l'altérité. Je me sens novice, mais plein d'entrain et de motivation. J'ai presque tout à apprendre...

Actuellement je suis assez silencieux. C'est un temps qui me permet de me retrouver, de m'écouter, et de faire mienne cette nécessité d'écouter vraiment l'autre. Attitude qui n'est pas du tout innée. Cela nécessite un apprentissage, après un préalable recul sur soi. Il faut se connaître pour aller vers l'autre.

Je m'efforce de respecter un espacement des contacts, désormais compris. Parfois je suis tenté de communiquer avec toi, pour partager mon enthousiasme. D'autres fois c'est aussi pour être rassuré sur la pérénnité de notre lien distendu, ou bien pour continuer à t'assurer de ma présence. Pour dire que, malgré mon silence, je ne lâche pas. Je ne me désinvestis pas. Ta confiance me manque... et pourtant je sais bien que je n'en suis encore pas vraiment digne. A plusieurs reprises je n'ai pas su entendre ce que tu m'exprimais de toi, tout absorbé que j'étais par les peurs que cela éveillait en moi. Je sais qu'à ces moments-là je n'ai pas du tout été à la hauteur. J'ai certainement blessé profondément ta confiance en moi. J'ai introduit de la méfiance... Probablement parce que je me sentais jugé, ou que cela réveillait mes angoisses, ou bien parce que je voulais trop vite apaiser les tiennes. De toutes façons, parce qu'à ces moments là c'est moi que j'écoutais, et pas toi.

C'est un peu difficile d'en faire le constat. Je regrette ces attitudes...
La chance que j'en tire, c'est d'avoir compris que je ne pouvais continuer à interférer dans la confiance qu'on me faisait. Je ne pouvais plus nier (déformer, interpréter) les ressentis de l'autre, quels qu'ils soient. Je veux être digne de confiance. Capable d'entendre la sincérité de l'autre, et capable de l'être moi-même.

Toujours, toujours, j'en reviens à ces notions de sincérité et de confiance. Même si année après année je leur donne un sens différent, moins restrictif et plus ouvert à l'autre.



Quel que soit notre éventuel avenir commun, j'avais juste envie de te dire qu'avec toi s'était révélée cette part de moi.






Mois de février 2006