Janvier 2005

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Malaise




Mardi 4 janvier


Difficile de faire abstraction de ce qui s'est passé en Asie du sud-est. Même en étant complètement déconnecté de l'actualité depuis des mois, il m'arrive d'entendre des bribes de ce qui se passe dans le monde. Alors, face à un évènement d'une telle importance, je me suis posté de temps en temps devant les infos télévisées.

Je regarde et je reste pantois devant les images et ces fragments de vie qu'on nous fait partager durant quelques secondes. C'est tellement de malheur que c'en est inimaginable. Même lorsque, comme dans mon cas, on vit dans un secteur qui a été ravagé il y a quelques années par des eaux torrentielles. J'extrapole à partir de ce mini-cataclysme et de ses conséquences, mais cela dépasse l'entendement...

Je crois que ce qui crée mon malaise c'est d'imaginer dans quelle détresse psycho-affective se trouvent tant de gens. Perdre des proches, souvent plusieurs, perdre tout son cadre de vie, tous ses repères, c'est se retrouver en situation de vulnérabilité extrême. Redevenir comme un enfant fragile. Un humain à nu.
Il y a une sentiment d'empathie dans une vaine solidarité de l'âme mêlé à celui d'avoir la chance de voir ça de loin. Une réflexion, aussi, sur la préciosité de la vie.

Et une relativisation de ce qui est important.






«La vraie souffrance détruit tout, interdisant même la seule idée qu'avoir mal de la douleur des autres est déjà une souffrance

Regards solitaires
- 30/12/2004






Transition



Jeudi 6 janvier


Wooow, du changement?
Ben oui. Légères modifications pour un nouveau départ. Il s'est passé suffisamment d'évènements ces derniers temps pour marquer l'inflexion en modifiant les couleurs de ma vie racontée. Cela fait deux ans déjà que ce journal avait revêtu un habit bleu et gris. J'ai eu envie d'un zeste de fantaisie, alors j'ai gardé le bleu, parce qu'il a pour moi une valeur symbolique, et je l'ai mélangé au vert, couleur de l'espérance, du renouveau, de l'optimisme. Et puis le vert c'est aussi la couleur de mes yeux.
Du bleu et du vert, ni bleu, ni vert. Entre les deux, indéfinissable comme une nuance qui échapperait aux catégories. J'aime les entre-deux...

La période est traditionnellement propice aux bilans et résolutions. Je le prévoyais pour le changement d'année mais j'ai un peu tardé à le faire parce que la mort, et la souffrance qui l'accompagne, m'ont touché de plus ou moins près. Cependant, le moins que puissent faire les vivants est de continuer à vivre... Ma façon de compatir ("souffrir avec") m'a d'ailleurs permis de confirmer ce que je suis en train de comprendre de mon mode de fonctionnement. Il y a en ces occasions, je crois, un rappel évident de la perte d'une certaine sécurité, la peur de l'isolement affectif et la résurgence d'une forme de vulnérabilité directement issues de l'enfance.

Et c'est précisément la prise de conscience de cette part de fragilité enfantine qui aura été le point marquant de ma vie en cette année 2004. Je vois là l'explication de base à la plupart de mes tracas existentiels.

2004 aura été pour moi une année de transition et d'affirmation. Probablement le tournant majeur de mon existence. Une année à la fois intense et immobile puisque le mouvement aura été dans la tête bien plus que dans les réalisations concrètes. Mais l'évolution est profonde et tout le reste peut maintenant suivre. Je crois que je suis prêt...

Il y a précisément un an je choisissais à contre-coeur d'accepter la séparation de mon couple conjugal. Un an plus tard, même si malgré quelques péripéties celle-ci n'est toujours pas effective dans les faits, elle l'est dans les pensées. Nous sommes virtuellement séparés, tout en ayant préservé (voire augmenté) notre confiance réciproque. Et cela parce que plusieurs choses ont fondamentalement changé dans mon mode de pensée. La plus importante étant que je ne suis plus dans l'acceptation passive et résignée, mais dans la décision volontaire: j'ai choisi de prendre mon autonomie afin de vivre selon mes aspirations, ayant compris que je ne pouvais les faire peser directement sur Charlotte. J'ai donc décidé de renoncer au confort d'une relation de couple. Choix que j'estime courageux (même s'il demande du temps) et qui risque de me placer en position de précarité durant quelques temps, complexifiant une existence dont le ronronnement avait pu être aussi pesant que rassurant. Mais bon... on n'obtient rien sans quelques sacrifices. Au delà de la séparation du couple, c'est évidemment une nécessité plus profonde qui se réalise: émancipation, décision de prendre mes responsabilités, de m'assumer. Bref, prise de maturité en sortant d'une part d'infantilité affective. C'est certainement le point le plus important que j'aurais assimilé cette année.

Cette transition aura été particulièrement éprouvante par l'incertitude due à un choix qui me paraissait initialement "impossible" entre deux amours différents et que je pensais complémentaires. L'indécision, dans un tel cas de conscience, est particulièrement pénible à vivre. Cependant, le flou de la situation m'a contraint à descendre encore plus profondément en moi que je ne l'avais jamais fait. Et finalement à me heurter violemment à mes limites en touchant à mes failles et fragilités primitives. Celles que je protégeais par peur de m'y trouver confronté. J'ai (affectivement) souffert comme jamais, tant en ne sachant pas aimer qu'en craignant d'avoir perdu définitivement celle qui m'aidait à trouver mon chemin. Le choc aura été terrible, mais vraiment salutaire. La remise en question qui a suivi m'a, je crois, ouvert à une nouvelle façon de vivre mon existence. J'en suis très heureux et finalement ne regrette rien de ce par quoi je suis passé. C'est encore récent, mais je sais que mon mode de réflexion s'est infléchi. La meilleure preuve étant que je ne souffre plus [sauf du manque, mais c'est autre chose].

Transition aussi pour cette relation avec nathalie dont le coté "extraordinaire" est une absolue conviction depuis des années, mais que j'ai du accepter de suspendre, le temps de "grandir" un peu de mon côté. C'était nécessaire pour que je sorte de tout un mode de fonctionnement empreint d'immaturité affective. Il m'a fallu être confronté à l'oppressante angoisse de le perdre pour comprendre que ce lien avait bien quelque chose d'indissoluble, quel qu'en soit l'avenir. Il y a là une certaine similarité avec la mutation du lien qui existe entre Charlotte et moi: il évolue sans perte de confiance.

Transition, enfin, parce que la dépendance du regard des autres se mue en confiance en ma propre perception de moi-même. En quittant la précarité de la «réassurance dépendant du regard de l'autre», je passe progressivement à la «maturité autonome». Je découvre une confiance en moi qui faisait tant défaut, une force intime qui commence à s'affirmer. Cette façon de penser n'est encore qu'embryonnaire et fragile mais ne pourra que continuer à se développer. Je le sais, je le sens. Même (et surtout) avec les gens que j'aime j'ai compris que je ne pouvais qu'être moi-même, sous peine de me perdre... et de les perdre. C'est une évidence, mais il fallait qu'elle passe du cérébral à l'émotionnel. Du cerveau au coeur.

J'ai admis aussi que je devais accepter ce qui m'arrive, ne plus refuser ce qui est fait, ou ce qui doit se faire, lorsque je ne peux rien y changer. Dire oui aux aléas de la vie, oui aux décisions d'autrui, oui à mes propres limites ou à celles de l'autre. Oui aussi à mes élans, à ma détermination, même si les apparences peuvent laisser croire que c'est sans issue. Oui à mes faiblesses, oui à mes doutes, dès lors qu'ils se manifestent sans que je puisse les maîtriser. Oui au temps d'acceptation et d'évolution, dont on ne peut faire l'économie. Oui à mon instinct, à mon intuition du moment, sans chercher à trop anticiper les conséquences éventuelles.


Tout ce que j'énonce s'est essentiellement produit autour d'une relation amoureuse déterminante mais influe bien évidemment sur toutes mes autres relations et mon rapport au monde. 






Pour cette année 2005, je prends un certain nombre de résolutions, dont ce journal-confident sera le témoin.
D'abord je vais continuer à agir dans le sens de mes aspirations. A mon rythme, en respectant le temps de maturation des idées, mais sans laisser l'immobilisme (la crainte) figer mes élans. Donc en continuant à affronter mes peurs. Je vais aussi poursuivre l'écoute de mes intuitions et convictions, et affirmer ma personnalité sans craindre de me différencier.
Ensuite, je vais m'efforcer d'être positif [aaah, ça c'est nouveau!]. C'est à dire observer ce qui va bien, le vivre, et l'exprimer. Orienter mes décisions et mes choix dans un sens d'ouverture. Ne plus ni me dévaloriser, ni me lamenter, ni maltraiter les relations que je vis.

Dans ce journal, par exemple, (mais aussi avec mes partenaires) j'ai trop souvent pointé les dysfonctionnements de mes relations, cherché à me justifier, et raconté le détail de mes états d'âme... pas toujours reluisants. Je crois préférable de ne plus me livrer à un compte-rendu exhaustif des péripéties de mes relations. Et notamment de ce qui se passe avec ma complice d'outre-altlantique. Cette façon de faire était finalement plutôt enfantine...
Je crois qu'à force d'exprimer mes incompréhensions et mes révoltes j'ai partiellement "sali" ce à quoi je tenais le plus [l'était temps que je m'en rende compte...]. Je ne veux plus donner tant d'importance à des moments de confusion alors que c'est tout autre chose qui fait la beauté et la solidité de ces liens. Trop souvent, mal dans ma tête, j'ai mis en évidence ma souffrance alors que celle-ci ne venait que d'un manque de confiance en moi. Ni nathalie, ni Charlotte n'ont jamais été les "méchantes" par qui je souffrais. Nul ne m'obligeait à le ressentir ainsi... hormis cet "enfant intérieur" désemparé et envahissant.

En période de trouble ma part enfantine à trop souvent voulu "communiquer" avec nathalie via ce journal. C'était finalement plutôt malsain. La sincérité ce n'est pas tout dire (et surtout pas de façon détournée), mais dire ce qui est important et qui nourrit la relation. Et puis ça m'obligeait à passer beaucoup, beaucoup trop de temps à me relire, corriger, affiner, afin qu'elle perçoive ce que je ressentais sans trop de déformations, excès ou minoration. Exercice périlleux qui me laissait souvent peu satisfait du résultat. Le journal intime en ligne est un outil d'expression de soi qui montre ses limites en de telles circonstances... J'ai voulu m'en servir comme palliatif à un déficit de communication et c'était une erreur.

Je crois aussi être parvenu au terme des supposés bienfaits d'une analyse publique en continu. J'ai probablement fait le tour des éléments qui orientent ma façon de penser et d'agir et maintenant il s'agit de poursuivre un travail d'assemblage, de remplissage des trous. J'ai bien assez de matière à réflexion dans le contenu de ces centaines de pages. Leur relecture pourrait m'aider à approfondir, confirmer, ou relier certains points. Passer du temps à cela pourrait être plus profitable que de redécouvrir sans cesse ce qui est déjà écrit depuis longtemps. Je ressens depuis pas mal de temps le désir de me réouvrir à d'autres sujets de préoccupation, d'élargir ma réflexion après un long épisode monomaniaque.

Bref, il m'apparaît que j'ai passé beaucoup de temps a écrire et sans doute pas assez à vivre. A réfléchir indéfiniment plutôt qu'agir afin que les choses avancent. C'était ce qui convenait alors, passage nécessaire, mais j'ai maintenant envie de changer.
Je n'ai pas encore trouvé la formule qui me conviendra, mais je m'oriente vers une réduction drastique de la narration de mes tergiversations amoureuses dans ce qu'elles ont de plus personnel. Maintenant les choix sont faits, ne reste qu'à les mettre en place dans la mesure de ce que chacun décidera.


Et puis... j'aimerais vraiment pouvoir trouver un ton plus léger, réjouissant. Et si je pouvais même laisser paraître un peu d'humour, ce serait encore mieux.

Voila donc le sens de mes résolutions pour 2005, autant pour ma vie que pour ce journal qui en est le reflet anticipé.


Je souhaite à tous une très belle année riche de découvertes et baignée de sérénité.




Large sourire en voyant que les Carnets du petit jour avaient viré au bleu pendant que je virais au bleu-vert...






Inventer sa vie




Vendredi 7 janvier


Changer de vie, c'est en inventer une nouvelle. C'est peut-être l'occasion d'oser ce qu'on n'a jamais tenté. En ce moment je cherche activement un travail d'appoint et j'explore les possibilités qui me sont offertes. Dans mon secteur d'activité je ne trouve rien, surtout parce que ma disponibilité temporelle est très variable. Alors je regarde ce qui reste dans mon domaine de compétences, c'est à dire pas grand chose puisque mes diplômes et mon savoir-faire ne me sont d'aucune utilité. Restent tous les emplois de courte durée qui ne demandent pas d'aptitudes particulières: manutentionnaire, livreur...
Ce genre de travail ne me rebute pas, mais j'avoue que je préfererai quelque chose d'un peu plus substantiel du coté de l'intellect. Sans même parler du salaire qui est évidemment au minimum légal. Alors je lorgne aussi vers des opportunités plus surprenantes et anecdotiques, comme enquêteur ou figurant occasionnel pour le cinéma. Pourquoi pas?

Mais l'occasion est tentante d'aller faire un tour vers d'autres possibilités nettement plus attirantes et auxquelles je songe depuis quelques années. Je pense en particulier à l'écriture et toutes les formes sous laquelle elle peut se décliner. Je navigue sur le net à l'affût de pistes, un peu exalté... mais bon... ce n'est pas de ce côté-là que je trouverai des sources de revenu immédiates. Or j'ai besoin d'argent. Il n'empêche que j'entrebaille une porte qui, sans cette nécessité de m'ouvrir à la nouveauté, serait restée probablement longtemps fermée



Inventer, c'est aussi ce que nous faisons coté conjugal. Il y a quelques jours il y avait à la télé une émission sur les couples qui choisissent de rester ensemble malgré les difficultés. Franchement, ce n'était pas enthousiasmant de voir ces duos cohabitants, incapables de vivre l'un sans l'autre, mais s'engueulant à longueur de temps, ou bien se cotoyant dans une indifférence amère. La plupart n'osaient pas franchir le pas de la séparation, mais pas davantage celui de la restauration active. Entre deux options, ils ne choisissaient rien. Le seul couple qui paraissait vraiment heureux était atypique: ils n'étaient plus amoureux mais restaient amis très proches, vivant dans le même logement en partageant l'essentiel de leur vie... sans toutefois dormir dans le même lit. Solution peut-être transitoire, ils en avaient conscience, mais qui leur convenait pour le moment. Ils avaient trouvé quelque chose de bien à eux, hors des schémas classiques.
Avec Charlotte, depuis que nous sommes tombés d'accord sur l'évolution de notre relation, nous vivons aussi quelque chose d'un peu "hors normes", qui surprend donc notre entourage. Cette séparation avec le sourire, alors qu'une entente évidente nous réunit, laisse parfois perplexe. Ça ne rentre pas dans les cases habituelles. Mais nous ne cherchons plus à l'expliquer. Finalement, ça ne regarde que nous...

Cette prise d'autonomie, avant même d'être effective, a déjà des conséquences directes montrant bien que dans nos têtes tout un travail s'est fait: Charlotte se renseigne pour partir en mission humanitaire dans un des pays touchés par le tsunami. De mon coté j'y avais pensé aussi mais là encore je n'ai aucune compétences pour cela. Alors il n'y a pas eu une seconde d'hésitation de ma part pour la soutenir dans cette initiative. Il y a quelques années je n'aurais pas eu cette réaction, songeant certainement à un temps de séparation et de prise en charge familiale qui m'aurait inquiété. Et Charlotte n'aurait même pas envisagé ce genre de possibilité.



De même, lorsque je pense à la reprise de ma relation singulière avec nathalie, que je souhaite le plus tôt possible, je sais qu'il me faudra trouver une façon suffisamment satisfaisante de partager quelque chose avec elle entre deux continents... Tout reste à inventer, tant pour la répartition du temps d'un côté et de l'autre, que des possibilités financières, des aménagements familiaux, ou de l'évolution dans le temps. Les possibilités sont ouvertes pour vivre les choses sans aucun modèle de référence. Et c'est loin de me décourager.



D'ailleurs, je me demande si toutes ces opportunités d'inventer ma vie ne sont pas le sel même de mon existence. Auparavant assez conformiste par éducation ou souci de ne pas me distinguer, j'ai bien l'impression que je me suis ainsi privé de trouver mon propre chemin. Celui qui oblige à se différentier sans faire attention au regard de ceux qui pourraient ne pas le comprendre.

Je crois que c'est ce que ma partenaire québecoise aura évéillé en moi.






J'ai envie de te dire...

... que je pense à toi. Que de partager ta vie, avec ses enthousiasmes ou ses tristesses, me manque...










Question de liberté




Samedi 8 janvier


J'ai souvent écrit que, en matière relationnelle, je devais apprendre à agir en écoutant mes aspirations, mes élans, mes désirs, quitte à ne pas les partager avec l'autre s'ils étaient incompatibles avec les siens. En fait, il s'agit tout simplement de garder sa liberté de mouvement et de pensée.

Mais je n'avais pas saisi que le corollaire de cette capacité à pouvoir faire des choses l'un sans l'autre ouvrait à la liberté de pouvoir faire des choses l'un avec l'autre par choix plein et entier. Le plaisir naît des désirs pleinement vécus individuellement, et plus encore s'ils sont partagés en communion. A condition qu'il y ait un vrai désir de le faire, et non pas une habitude ou une tentation de faire plaisir.

La capacité de dire non rend les oui beaucoup plus vrais.

Je crois que, très naïvement, j'ouvre là les portes de la compréhension de ce qu'est vraiment la liberté relationnelle. Et celle-ci, tout naturellement, induit la confiance parce que cette forme de liberté n'existe pas sans sincérité.

Je m'interroge toutefois: où se situe alors la gentillesse, l'attention, le désir de faire plaisir à l'autre? Car cette capacité à s'ouvrir au désir de l'autre est quand même l'un des fondements d'une relation, si on aspire à ce qu'elle soit autre chose que la mise en commun de deux égoïsmes. J'aime croire en cette forme de don de soi pour le plaisir de l'autre.

Trouver le juste équilibre entre égoïsme et altruisme, donné ou reçu, est probablement le plus grand défi relationnel.



Mes yeux verts...








Ecouter la voie




Dimanche 9 janvier


Le genre de truc qu'on entend régulièrement «quand dans un couple l'un des deux fait une analyse, bien souvent ce couple éclate». Je ne sais pas si des statistiques ont été faites à ce sujet, ni dans quelles proportions cela se vérifie, mais je constate qu'il y a alors deux types de réactions. Soit celle d'accepter qu'une évolution personnelle puisse mener à une séparation, soit de se méfier de l'analyse, ou toute autre forme de réflexion approfondie sur soi. C'est tout juste si ce n'est pas l'analyse elle même (ou le psy) qui est accusée d'avoir occasionné la séparation! Pour les adeptes de ce mode de pensée, il est évident que l'introspection est subversive et qu'il convient de s'en méfier. Plutôt conserver le status quo, même insatisfaisant, que de risquer de tout chambouler. Ben voyons...

Sur "J'en rêve encore...", Alain écrivait il y a quelques jours, en parlant de ce qu'il avait transmis à sa fille: «lui faire découvrir et expérimenter les bienfaits de cette "petite voix" que l'on peut appeler: conscience, droiture, guide intérieur,... Lui faire confiance et lui apprendre comment décider en accord avec cette réalité centrale en elle, est l'une des clés de la réussite de sa vie est probablement la clé du bonheur. Je dis bien du bonheur, pas de la satisfaction, pas des plaisirs et surtout pas une voie de facilité, mais un chemin de réel accomplissement de son humanité personnelle.». Evidemment cette vision des choses me plaît, puisque depuis quelques temps c'est cette voix intérieure que j'ai appris à écouter, et à suivre.

Je crois que j'ai toujours entendu cette petite voix, mais que je ne l'ai pas toujours écoutée. Autrefois, je ne savais pas quelle en était l'importance pour bien vivre. Elle m'a guidé de plus en plus précisément, souvent en opposition du chemin tracé par d'autres que je pensais devoir suivre. C'est évidemment cette voix qui s'est manifestée en thérapie et que la psy a mise en évidence. La petite voix a même fini par devenir un cri dont il m'a été impossible de ne pas écouter le sens. C'est tout mon corps qui en tressaillait et l'exprimait en émotions indiscutables. Jamais je n'avais senti un appel aussi crucialement vital. A ce moment là j'ai compris que mon seul devoir était de la suivre. Et j'ai bien fait.








Mais parfois il est moins évident de discerner une petite voix. Que celle-ci semble être en opposition avec la première et il devient alors très confusant de trouver son chemin. Certes, l'une des voix est très forte, mais que faire de celle, tout aussi intérieure et juste, qui dit «ça aussi c'est vital», ou encore «attention, danger!». On ne peut pas avoir une double, voire une triple intuition contraire. L'intuition est par définition unique, indiscutable. Alors il faut affiner, détailler, et mieux comprendre le sens caché de cette apparente dissonnance. Observer que plusieurs voix/voies ne se trouvent pas forcément dans le même plan, qu'il y a comme un relief, une distance, une singularité qui permet que chaque sonorité ait sa place dans une polyphonie. Pour apprendre cela, il n'y a rien de mieux que la patience, et le temps. Et une réflexion soutenue, contrairement au trop courant «arrête de te prendre la tête avec tes questions...». C'est toute la différence qui existe entre le profane qui "entend de la musique" et le mélomane qui cherche à capter simultanément les nuances apportées par chaque instrument et l'harmonie que cela compose.

A l'évidence je n'ai pas toujours su donner la place nécessaire à des petites voix que je pensais un temps "secondaires". Ou bien que je ne voulais pas écouter parce que je craignais qu'elles ne ternissent le solo tonitruant que j'avais décidé de suivre. Sans me rendre compte qu'il m'assourdissait en étouffant le reste.

En prenant du recul, en jouant sur la balance des sons, je peux mieux entendre des voix que j'avais négligé. Je fais moi-même le mixage, comme il me convient. J'équilibre ainsi mon harmonie intérieure. Je retrouve mon centre.

Ce chemin vers le bonheur ne se fait pourtant pas sans douleur.







Force d'inertie




Lundi 10 janvier


Il faisait aussi beau qu'aujourd'hui, quoique bien plus froid (la douceur ensoleillée des 15° devant la maison est tout à fait inhabituelle pour la saison). C'était il y a exactement deux ans hier. Je me souviens de Paris avec ses fontaines aux bassins gelés, de l'air vif qui piquait les narines. Juste après avoir mangé dans un restaurant avec mon amie Annie, j'étais allé au Trocadéro surplombant le classique paysage de la Tour Eiffel. La température n'était pas propice aux touristes et j'étais seul sur le parvis, accoudé au parapet, les yeux fermés pour me réchauffer au soleil. J'étais resté un moment devant cet espace grandiose de ville et de ciel, tellement différent de celui de ma campagne. Puis j'avais parcouru toute la longueur du champ de mars jusqu'à retrouver la rue et sa circulation. Un peu plus tard j'entrais dans un café pour rencontrer la rayonnante Lou, accompagnée par N. Il y avait aussi Emmanuelle, que je ne connaissais pas encore. Et nous avions finalement accueilli Eva, à la chevelure léonine. Nous étions tous un peu intimidés, ne nous connaissant que par nos écrits et des correspondances privées par courriel. Je garde un souvenir très précieux et vivace de cette rencontre entre diaristes à l'occasion du passage d'une Montréalaise en France (non, il ne s'agissait pas de "ma" québecoise...).

Ce jour là des photos avaient été prises, et l'une d'elle était parvenu jusque chez, précisément, "ma" québecoise... qui n'y était apparemment pas restée indifférente [mes yeux verts?]. D'autant moins que nous étions tous deux en pleine mutation relationnelle, passant de plus en plus distinctement de l'amitié sur fond de subtile séduction à une attirance sentimentale qui se déclarait infiniment prudemment. La magie du téléphone était passée par là...

Deux ans plus tard, nous sommes séparés. C'est à la fois logique et absurde. Ça veut dire quoi "séparé", alors qu'elle accompagne mon quotidien de pensées, qu'elle est magnifiquement entrée dans ma vie depuis quatre ans, qu'elle est "en moi". Peut-on se séparer d'une part de soi aussi révélatrice?

Avec étonnement je découvre que l'amour peut disposer de ressources à très longue durée. Même avec un apport d'énergie minimal, s'il y en a eu suffisamment d'emmagasinée par une communion authentiquement confiante et respectueuse, il y a comme une force d'inertie. Finirait-elle par s'épuiser un jour? J'en doute...



Je me demande même si... une nouvelle forme d'énergie ne pourrait pas naître de l'absence. Libre de tout ce temps, seul avec soi mais "accompagné" par une présence muette, invisible, impalpable, c'est comme si le lien pouvait s'épurer et confiner à l'essentiel. Au fil des mois de cette "suspension" je suis passé par toute sorte d'états, et pas des plus joyeux. J'ai même vu ressortir de moi des cotés assez noirs, plutôt moches. Et puis finalement tout s'est éclairci et c'est comme si une mue avait opéré. Une sorte d'amour neuf, épuré.

Non non, pas une idéalisation ethérée. Quelque chose qui se nourrit de souvenirs et du sens imperceptible de toute une infinité de détails constituant une trame indechirable. Une force puisée dans le temps et la qualité de ce qui a été construit. Une confiance qui dépasse les aléas. Une énergie autonome qui n'a plus besoin de l'autre en permanence pour exister [euh... mais quand même de temps en temps, hein...]. Et s'effacent peu à peu les souffrances et les incompréhensions (en fait: les souffrances dues aux incompréhensions...). C'est une lucidité nouvelle qui devient éblouissante.

Tout comme la mort emporte avec elle les mauvais souvenirs, la séparation tue les doutes, assainit l'esprit, et éveille à une nouvelle conscience. Ce n'est pas un hasard si je me replonge régulièrement dans les échanges que j'avais avec ma complice il y a quelques années. Nous n'étions alors "que" amis et je retrouve là une virginité dans notre relation, une confiance qui n'était pas encore entachée par l'apparition de nos névroses amoureuses respectives. Nous nous dévoilions de la façon la plus intime qui soit et je puise dans cette manne des explications tardives à ce qui a pu se passer ensuite. C'est comme si tout était écrit d'avance, prédit, mais que nous l'avions peu à peu oublié en étant emportés dans un tourbillon de complications. Nous n'avons pas vraiment pris conscience que nous ravivions tous les deux nos plus grandes craintes, reproduisant malgré nous les scénarios qui respectivement nous hantaient. Combien de fois faut-il faire les mêmes erreurs avant de savoir les déjouer? La force de résistance de l'inconscient est colossale...

A posteriori, il y a quelque chose de réjouissant à comprendre son propre fonctionnement dans une dynamique relationnelle. Regarder en arrière les enchaînements qui ont conduit à des glissements, puis des erreurs, afin d'en éviter la réitération dans le futur. Se nourrir des enseignements du passé pour préparer l'avenir d'un présent plus harmonieux.

Mieux connaître mes failles et faiblesse me procure une foi en moi plutôt inhabituelle, nouvelle, que je sens particulièrement solide. C'est fou ce que j'ai pu retrouver la pêche, ces derniers temps...







Sans espoir




Mardi 11 janvier


Bon, ouais, ok... j'avais dit que je ne parlerai pas trop de mes relations sentimentales et j'y reviens systématiquement. Faut croire que je ne suis pas encore tout à fait mûr pour passer véritablement à autre chose.

Certes, je pourrai évoquer la vision fugitive et picturale de rais de lumière filtrant à travers les arbres dans la brume vaporeuse d'un matin d'hiver... Ou bien parler de mes travaux de bûcheronnage dans la forêt devenue claire, parmi les hêtres au longs troncs lisses et gris sur un tapis de feuilles couleur caramel... Ou encore me décharger d'émotions assez amères et d'une tristesse certaine... Ah non, pas ça: je veux être positif! Yeah!







Alors, comme d'habitude, je vais rester dans le sujet de préoccupation du moment. Vous m'en voudrez pas, hein? Faut dire que... ça évolue tellement vite en ce moment que ce que j'écrivais il y a peu est parfois dépassé. Je ne sais pas bien ce qui s'est passé en quelques semaines, ou même jours, mais le fait est que quelque chose à changé. Je suis redevenu serein et confiant, malgré des signes extérieurs, parfois, que j'aurais auparavant interprété avec inquiétude ou desespoir. Là non, c'est plutôt du genre à me rendre plus fort. Bizarre, non?
Enfin... quand je me dis fort... ça n'empêche pas que je passe parfois par des moments un peu tourmentés. Des trucs qui passent mal et provoquent quelques remous. Mais bon...

En fait, ça bouge un peu en coulisses, des deux côtés. Oh... quand je dis que ça bouge, il n'y a rien de fondamentalement nouveau. Juste des détails signifiants. Des petites briques qui se posent jour après jour et construisent un nouvel assemblage. Parfois c'est doux, parfois ça l'est beaucoup moins, mais l'essentiel est que les choses soient en mouvement. Ce qui est certain c'est que l'authenticité de chacun est croissante.

Je crois que j'ai aussi acquis une certaine sagesse. Je ne réagis plus aussi impulsivement dans l'émotion. Lorsque quelque chose me fait peur, ou que je me sens en mode de pensée régressive, je laisse passer du temps. Confiant. Je sais que c'est un état transitoire. Une manifestation désordonnée du subconscient qui s'affolle face à de nouveaux repères. Je le laisse s'agiter, le p'ti pépère, et je reprends le contrôle ultérieurement, le moment venu. Car le moment favorable revient toujours, c'est une certitude. Suffit d'être patient...

Peut-être que ça s'apparente à de l'espoir?









L'espoir c'est un concept vachement important pour vivre. Une sacrée bonne invention! Je pense même que c'est un des principaux moteurs de l'existence pour accéder à un mieux-être (ou un moindre mal-être, en certaines circonstances dramatiques).

Pourtant... j'avais cité un jour un penseur un peu particulier qui prônait de vivre sans espoir pour être heureux. Bigre, en voila une idée surprenante! Ça m'a titillé depuis un moment et finalement j'ai trouvé ce postulat plutôt intéressant.

Espérer c'est attendre quelque chose de meilleur. «Etat d'attente confiante» dit le dictionnaire. Attente confiante... Bon... ce qui est un peu sujet à caution, c'est cette idée d'attente. Attendre, c'est passif. Attendre, c'est parfois être en manque de quelque chose qui nous soulagera d'un état insatisfaisant. Pas toujours, mais souvent. Être en manque et rester passif... euh... vu comme ça, on peut comprendre que la clé du bonheur ne se trouve probablement pas dans cette attitude fataliste. Le contraire de l'attente, c'est l'action: agir pour combler un manque. Ah oui, là ça semble nettement plus enthousiasmant.

Je pense que c'est cette idée d'attente qui donne à l'espoir des effets pervers. Si je disais «j'espère que je vais garder des liens forts malgré la séparation»... je confie mes désirs au bon vouloir du destin. Inch' Allah... Si je dis «je veux garder...», je me place dans une position entreprenante, active, plus efficace. Je fais ce qui me semble nécessaire pour garder ce lien. Bon, le résultat n'est pas garanti pour autant parce que je ne maîtrise pas tout, mais au moins je peux tenter d'agir sur ce qui est en mon pouvoir. C'est bien le minimum que je puisse faire.

Mais la partie "confiante" optimise la part passive de "l'attente". Faire confiance à ce qui se fera en acceptant l'idée que ce sera la meilleure chose possible, même si ça n'est pas évident à première vue. De toutes façons... pour bien des choses on ne peut rien changer, alors à quoi bon s'inquiéter? Autant rester confiant dans les hasards de la vie et des circonstances, ça apaise le coeur et permet de garder le sourire. Et agir, bien sûr...


Ainsi, pour tout ce sur quoi il est impossible d'agir, on pourrait s'en remettre à l'espoir. Parce que là, c'est sûr, c'est le hasard qui manipule tout. Ainsi, je peux dire «j'espère que les conditions qui m'échappent seront favorables pour vivre ce à quoi j'aspire ». Ce genre d'espoir lié à ce que je ne maîtrise pas est certes un moteur de la vie: la perspective du bonheur, c'est déjà du bonheur. Mouais... sauf lorsque le bonheur attendu se révèle être impossible. Ce peut alors être une immense déception. D'où, je pense, cette idée que le bonheur se vit sans espoir. Au présent plutôt qu'en se projetant sur un hypothétique avenir attendu.

Il n'empêche que l'espoir fait vivre...
Mais pas forcément vivre heureux.

Il faut donc savoir agir à fond [pourquoi donc ai-je failli écrire "désespérément"...] pour accéder au bonheur que l'on désire, mais accepter de s'en remettre aux hasards de l'existence à chaque seconde pour la part non maitrisable. Dire "oui" à tout ce qui arrive, le bon comme le mauvais. Et ainsi ne pas concevoir même l'idée de manque. Ne prendre que ce qui est accessible, ou ce qu'on s'est donné les moyens de rendre à sa portée.

Mouais... a réfléchir.







La rage de poursuivre




Jeudi 13 janvier


Elle est venue de loin cette colère muette qui m'a envahi depuis trois jours. Elle a grondé en moi face à l'injustice que j'ai ressenti. Elle s'est libérée après avoir cristallisé en elle des mois de colères étouffées.
Colère! Grande colère! Et peut-être contre moi avant tout, d'avoir laissé se développer les ingrédients d'un malaise diffus, destructeur par sa longévité.
Je me suis oublié, je ne me suis pas écouté, je ne me suis pas dit. Et je l'ai souvent payé cher...

Je suis de nature généreuse en ce qui concerne les sentiments, la tendresse, l'attention. Quand j'aime, je donne volontiers beaucoup... si toutefois j'ose m'y laisser aller [cette précision est capitale!]. Et puis je ressens ce qu'on appelle "empathie". C'est à dire que je perçois avec une émotion vibrante ce que ressent l'autre. Sa joie m'émeut et me bouleverse, sa tristesse me chagrine et me peine. Si je perçois un mal-être, il se diffuse en moi, capte mes pensées et je suis mal du mal-être de l'autre. J'ai une envie très forte d'offrir mon aide et mon soutien. C'est pour moi une manifestation de l'amour, un don d'attention, d'écoute, de présence.

Alors j'agis, souvent avec empressement, spontanément, généreusement... mais il se peut que je n'apporte pas la réponse adéquate, ou que je me trompe dans ma perception des choses. Il en résulte des réactions inverses à ce que je voulais. Et là... ben ça peut faire très mal. Tout pris dans l'émotion et le désir de bien faire, je suis finalement dans un état de grande vulnérabilité. Parce que je me met à nu en toute confiance. J'offre ma présence exubérante dans un élan joyeux... qui peut être brutalement brisé.

Devenu penaud et blessé, je disparais. Je me renferme, je me cache en solitaire. Et je suis triste, à la fois honteux de mon erreur et fier d'avoir été sincère.







La colère a des avantages: elle brasse violemment les émotions, fait ressurgir des évènements passés, réveille de vieilles douleurs. Ce matin, ruminant dans mon lit, un assemblage d'idées s'est fait d'un coup et m'a subitement éclairé. J'ai compris bien des choses et, une fois de plus, des éléments du puzzle se sont reliés, expliquant tant d'incompréhensions passées. Quelques pièces manquantes me sont soudainement apparues.

Depuis je vais mieux. La colère se transforme en esprit d'analyse et rassemble les idées éparpillées. Je comprends enfin tant d'élements qui restaient mystérieux. Et finalement, c'est plutôt réjouissant.

Ma révolte finira par s'éteindre et m'aura donné des forces nouvelles pour aller un peu plus loin vers mon moi authentique. J'oserai davantage exprimer ce qui est ma nature profonde, tant dans mes limites que dans mes élans et désirs. Et surtout, je crois que j'aurais fait un très grand pas pour continuer sur le chemin du croire en soi.




Je ne cacherai pas que la succession de moments d'enthousiasme (avancer en me sentant "fort") et de gamelles que je me prends (parce que j'ai surestimé lesdites forces) est épuisante. Grandir, c'est vraiment pas une sinécure quand on s'y prend tard. Il y a une conjonction de démoralisation à se voir régresser et d'acharnement à se redresser pour repartir. Avec cette rage d'y parvenir, même si on a des larmes dans les yeux tellement c'est difficile de toujours recommencer.

Je crois que cette année 2005 ne sera pas facile. Gros bouleversements en perspective. Mais je sais que ce qui en sortira en vaut la peine, alors... je garde mon optimisme.







Une goutte de trop




Vendredi 14 janvier


Il ne faut pas que je me leurre sur la précarité de mon moral retrouvé. Il ne tient que par... l'espoir [et oui...] de parvenir à ce que je désire. Tout cela est finalement bien fragile, et la succession rapide de déconvenues aura tout mis par terre. Une de plus et plouf, j'ai replongé.

C'est une ébauche de début de possibilité de chance qui, en disparaissant, m'a fait m'effondrer de nouveau [tu sais bien qu'il ne faut pas espérer...]. A force de chercher des emplois, je suis tombé hier soir sur une annonce (hélas ancienne) qui proposait exactement ce qu'il me fallait. Très alléché par cette opportunité inespérée, j'avais prévu de téléphoner dès ce matin pour savoir si elle était encore valable. Mais dans ce délai, cette nuit... ben je n'ai pas pu m'empêcher de cogiter. Cette hypothétique possibilité simplifiait tout: poste intéressant et tout à fait dans mes compétences, qui m'obligeait à cesser mon activité rapidement (tant mieux...) et à déménager (séparation, enfin). Tout devenait "idéal". Je n'ai pas voulu espérer dans le vide, vu le peu de chances de réalisation de l'opportunité, mais bon... ça faisait quand même du bien d'imaginer que toute cette situation complexe pourrait se débloquer et me libérer.

Et puis ce matin... ben non, l'offre était déjà pourvue. Et en plus il y avait eu énormément de candidatures. Bon, pas de regrets à avoir, donc. Ouais... sauf que ces quelques heures d'insomnie m'ont fait entrevoir, malgré moi, ce que je souhaite vraiment. Et que devoir déjà me résoudre à perdre cette infime et fugitive possibilité a fait lâcher mes résistances, déjà fort sollicitées de plusieurs côtés à la fois ces derniers jours.

Le bon côté, c'est que je me suis rendu compte que certains aspects de mon métier me motivaient encore beaucoup. Je ne savais plus vers quoi me tourner pour retrouver cette motivation et voila que ce hasard m'indique un chemin. Bonne chose, donc.

Par contre ben... pffff... c'est vraiment très difficile de sentir que tout file entre les doigts. Je ne sais plus à quoi me raccrocher. Pas d'argent, un avenir sans visibilité, et mes deux compagnes de vie qui estompent leur présence. L'absence installée de désir envers mon épouse commence à avoir des conséquences et le principe de la vie commune devient de plus en plus déphasé.

Bref... y'a des jours ou il est difficile de garder le moral.
Heureusement que j'ai décrété que cette année serait placée sous le signe de l'optimisme. Va y en avoir besoin...



Et puis.. et puis... il faudra bien un jour que j'arrête avec ces jérémiades qui me donnent la nausée. Je vous trouve patients, vous les lecteurs réguliers qui suivent ces états d'âme pas toujours bien réjouissants.
C'était mieux quand je racontais mon bonheur avec des étoiles dans les yeux, non? Bah... ça reviendra bien un jour...







Nouveau départ




Dimanche 16 janvier


Bonne nouvelle: ma baisse de moral aura été aussi profonde qu'éphémère. J'ai plongé encore un peu plus bas en me sentant complètement et durablement coincé pour des raisons financières de plus en plus angoissantes. Pas de séparation possible pendant encore... des mois? En a suivi un bon coup de déprime lacrymale [tiens, ça faisait longtemps...] en comprenant que je devais lâcher prise encore davantage vis à vis de l'interruption de ma relation transatlantique, qui va s'allonger d'autant. 
De plus, j'ai admis que ce sera selon des règles du jeu que je n'avais manifestement pas encore bien intégrées. Comme un oiseau dans une cage de verre, je me cognais trop souvent contre des barrières invisibles en croyant que les passages existaient encore. Cette fois je crois que j'ai enfin compris à partir de quel point elle avait tiré un trait. Sentiments en mode "off", expression amoureuse au niveau zéro. Et amitié en position de survie minimale, c'est à dire distante et rare. Nous ne sommes plus, du moins en apparence, que de lointains amis. C'est rude, exigeant... mais c'est comme ça. A prendre ou à laisser.

Je ne laisse pas. Parce que j'y crois et que j'y tiens. Enormément. Mais il est temps [cinq mois, déjà...] que je tourne la page et cesse mes gesticulations désordonnées dans ce vide relationnel. Je ne veux plus être seul à rêver à voix haute, dans le rôle absurde et pathétique [qui a dit "ridicule"?] de l'amoureux transi. Ce que je ne suis pas. Tenir à une relation dont je sens toute la valeur et les possibilités, m'accrocher pour qu'elle résiste aux difficultés qui se présentent, ce n'est pas "m'accrocher" à quelqu'un. Trop souvent j'ai endossé [par habitude?] une image négative de moi alors qu'au contraire je faisais preuve de determination et de persévérance. Sans cette persévérance la relation n'aurait pas tenu, on le savait tous les deux. Alors non, je n'étais pas "dépendant", j'étais seulement inquiet et attentif [certes trop...] face à une forme de distance pas toujours facile à comprendre. Et je n'ai pas fait tant d'"erreurs" que ça: je faisais au mieux de ce que je pouvais, dans une situation fort complexe, en essayant de m'adapter à une situation changeante. Je me trouvais dans la position délicate d'un funambule: manifester ma présence, mon intérêt, mes sentiments sans que ce soit trop, ni trop peu. Trouver un subtil dosage changeant au gré des humeurs fluctuantes et des sensibilités du caractére de ma partenaire. Être à la fois à l'écoute et entreprenant, respectueux et audacieux. Et surtout, ne pas douter de moi même lorsque je ne percevais pas d'écho à l'expression parfois pataude de mes désirs [c'était ça le plus difficile]. Bref, comme elle l'a admis en souriant: il faut s'accrocher pour aimer nathalie (s'accrocher pour l'aimer, mais surtout ne pas s'accrocher à elle...). Il faut le vouloir, être fort, et à la hauteur. Je ne l'étais pas toujours, mais je crois avoir quand même relevé un sacré défi.
De son coté je crois sentir qu'elle a aussi fait pas mal de compromis par rapport à ses exigences en matière relationnelle. D'autres que moi n'auraient certainement pas eu droit à cette mansuétude. Elle ne me cachait pas que pour elle aussi c'était difficile. 
Qu'on ne s'y trompe pourtant pas: si j'évoque des difficultés à vivre cette relation avec ma complice, cela n'en diminue absolument pas la valeur à mes yeux. Bien au contraire je pense que ce long cheminement côte à côte parmi nos névroses respectives nous a reliés autant qu'il complexifiait notre belle relation. Et nous avons tenu autant que la situation le permettait.

D'ailleurs... ce n'est pas par hasard si cette relation est aussi extra-ordinaire à mes yeux. C'est bien parce que j'ai été séduit par sa façon de vivre les relations, que je trouve très "saine", que j'ai été autant attiré par elle. Simplement, je ne savais pas que ça demandait un tel niveau d'exigence, de confiance en soi, et de... courage.


Tout ça pour dire que la phase de neutralisation actuelle est certainement une très bonne chose pour la qualité ultérieure de ce qui pourrait exister entre nous, si les aléas de la vie le permettent (je crois toujours à cet avenir possible). Je ne retire pas le mérite à mon ex-complice d'avoir opté pour une solution radicale, même si la transition a pu être... ouch... *difficile* à vivre faute de précisions suffisantes.

Maintenant, il ne reste plus qu'a garder précieusement les merveilleux souvenirs et mettre en veille les désirs dans un coin de ma tête. Et à vivre avec cette absence de communication.

Wooow, comme c'est romantiiiique [je crois qu'elle y est insensible...].

Allez hop, je quitte l'épisode sentimental.




Avant les sentiments, il y a l'argent. Ben ouais... ça fait mal aux yeux, hein? Les sentiments passent après l'argent! Sans argent, pas de liberté. Sans liberté, pas de place pour l'amour. Pas à mon âge, en tant que père de famille en charge de trois enfants qui poursuivent des études. C'est le moment de la vie où il en faut le plus. Meeerde!

Jusqu'à maintenant le complément de revenus que j'apportais permettait de garantir un train de vie plutôt sobre, mais suffisant. Dans le cadre d'une séparation ça ne passe plus. De plus, il y a plusieurs années que mon travail ne me motive plus, que j'ai envie de changer. Problème: je ne trouvais rien qui me motivais dans mes domaines de compétences. C'était le ras le bol général face à un métier pénible physiquement, très peu gratifiant financièrement, demandant une présence constante, soumis à de nombreux aléas imprévisibles, occupant nombre de mes week-ends...
Alors je réfléchissais depuis des années à un changement de cap, tout en travaillant avec un entrain déclinant [pas étonnant que je dispose de tant de temps pour écrire et réfléchir...]. En fait, ma principale préoccupation était devenue mon épanouissement personnel. Non non, ce n'est pas qu'un acte égoïste et nombriliste puisque depuis ces dernières années j'ai énormément évolué en m'ouvrant aux autres. Je m'exprime plus volontiers, fais passer mes idées, ose aller au devant des autres. Et notamment je crois être devenu un père apprécié par ses enfants pour son écoute, sa fantaisie (ouais, ça transparait pas forcément ici...) et son... ouverture d'esprit (voui, j'ose le dire). Nos enfants sont d'ailleurs relativement anticonformistes, savent avoir un regard critique sans dénigrer, semblent bien dans leur peau, ouverts aux autres, épanouis, et cela me réjouit.

Ces derniers temps, confronté à la recherche de travail complémentaire, je me suis rendu compte que ce n'était pas si facile de trouver des p'tits boulots d'appoint. Et puis bon... pas vraiment enthousiasmant de travailler sans qualifications dans des tâches vraiment subalternes payées au salaire minimum. Peut-être que finalement j'ai une certaine estime de moi-même... Et puis perdre cette liberté d'organisation à laquelle j'ai goûté depuis douze ans, c'est pas évident non plus. Gros sacrifice en perspective. Mais bon... de l'autre coté, il faut absolument que je trouve quelque chose.

Alors, il est où, le compromis?

C'est là que la fugitive opportunité d'il y a quelques jours a servi de déclic. Il s'agissait, entre autres, d'un travail pédagogique. Transmettre un savoir. Cette idée m'était bien passée par la tête de temps en temps, mais ne m'enthousiasmait pas. Je ne cherchais pas dans la bonne direction, ne voyant que la formation classique, à destination d'élèves plus ou moins motivés (plutôt moins que plus...).

C'est là que, par le biais de collègues formateurs, a émergé une idée. Ils ont immédiatement pensé à mes compétences et à la somme de mes connaissances accumulées depuis l'âge de quinze ans. Pour eux ma place était tout à fait dans la transmission de mes savoirs à un public averti. D'autres professionnels, en l'occurence. Et bien, bizarrement... ils m'ont quasiment convaincu. Il est vrai que je commence à être (un tout petit peu) reconnu, et que ma spécificité au sein de ma profession est relativement rare. Il y a longtemps que j'envisage d'écrire des articles (voire des bouquins) mais, faute de motivation, j'avais reporté ça à très très loin. Je pensais aussi à proposer des stages grand public, mais là encore, je doutais de moi, de l'intérêt de mes savoirs...

Alors je ne sais pas ce qui s'est passé durant ces quelques années de désinvestissement professionnel, mais je crois que mon "épanouissement personnel", m'a donné maintenant suffisamment de confiance en moi pour envisager ce genre de choses assez sereinement. De plus, ce genre d'activité me laisserait une liberté d'organisation, n'empêcherait pas les voyages, voir même d'exercer cette profession à l'étranger... Ce qui peut toujours être utile selon l'avenir qui se dessinera.

Bon... ce n'est qu'une piste, mais elle a l'avantage de réveiller une motivation endormie, faute d'ouverture. Car si une part de mon métier ne me passionne plus du tout, une autre n'est qu'en sommeil. Ma passion originelle, celle qui m'avait amené à cette profession, n'est pas très loin. Bien que largement désinvestie elle reste très vivace, je le sens.


Bref, il a fallu une fois de plus que je touche le fond pour rebondir.

Et comme le hasard se manifeste toujours quand on s'y attend le moins, hier je reçois d'un journal professionnel une interview précisément axée sur les spécificités de mon métier "à part" au sein de la profession, les difficultés à l'exercer, la transmission de mon savoir-faire... Alors ça tombe vraiment à pic pour faire un bilan et évoquer ce désir de reconversion.






Tout à fait dans la veine de ce que je développe aujourd'hui, je vous suggère de lire l'excellent texte des Carnets du petit jour: "Et maintenant". Ce n'est pas la première fois que je constate une certaine ressemblance dans nos façons d'appréhender l'existence, ou dans nos parcours de vie, mais celui-ci me touche particulièrement à plusieurs titres....









Passer à autre chose




Lundi 17 janvier


J'ai pris mon temps pour écrire mon texte précédent. Je l'ai bien relu, soupesé, allégé, précisé... Une fois mis en ligne j'ai pourtant ressenti un vague malaise, qui s'est accentué durant la nuit. Comme à chaque fois que j'évoque ma vision personnelle, ma perception de la relation que j'ai entretenu avec ma complice. C'est subjectif, forcément. Potentiellement injuste. Je n'aime pas ça. Je ne veux pas trahir l'esprit général de ce qui se passe entre nous.
J'essaie de présenter les choses avec circonspection, souhaitant équilibrer les "responsabilités" de chacun, car je ne voudrais surtout pas paraître accabler ma partenaire, ni passer pour une improbable "victime". Mais je surdimentionne forcément mon ressenti et il est évident qu'elle en a probablement une vision assez différente.

Me voila donc devant une problématique qui n'est pas nouvelle: comment exprimer mes réflexions librement dès lors qu'elles sont lues à la fois par la personne concernée et par un lectorat qui la connaît plus ou moins?
Je n'avais pas ces problèmes de conscience lorsque j'évoquais en détail mes difficultés relationnelles avec mon épouse. Pourtant, dans ce cas aussi ma vision des choses était très subjective. Sauf que Charlotte est inconnue de tous, qu'elle ne me lit pas, ni ne s'exprime publiquement. Le journal remplissait alors parfaitement son rôle d'exutoire en me permettant de sortir de moi ce qui me pesait. On peut d'ailleurs s'interroger sur cette autorisation que se donne le diariste de parler de son entourage. Nombre d'entre nous s'y refusent. Mais chacun a son type de journal et, pour ma part, je ne serais pas allé aussi loin dans l'analyse si je n'avais pas évoqué toute la problématique de ma relation conjugale. Tout comme je pense pouvoir mieux comprendre les dysfonctionnements de ma relation avec nathalie, notamment pour la part qui me revient.
Il m'est arrivé d'écrire sur des pages que je garde pour moi mes instants de découragement, d'incompréhension, ou de colère. Généralement cela servait à désamorcer ces moments d'excès. Mais là où j'ai le plus avancé, c'est lorsque j'ai eu cette écriture publique mesurée, qui cherche la précision et une relative équité.

Alors? Que privilégier? L'avancée grâce à la compréhension, ou le respect de la vie privée? Car en évoquant nos difficultés plus ou moins pudiquement, je dévoile quand même toute la part privée que nathalie n'évoque pas dans son écriture. Et qu'elle ne souhaite peut-être pas voir évoquée...

J'ai le souci de rester assez près de la réalité, donc après m'être extasié des moments de bonheur que je vivais avec elle... j'évoque assez naturellement des épisodes nettement moins réjouissants. Pourtant, c'est bien la réalité de ce que nous vivons. Peut-être que la douleur demande davantage de pudeur? Ou bien que j'aurais dû rester un peu moins démonstratif lorsque l'émerveillement était à son comble?

Pourquoi ai-je raconté depuis le début le déroulement de cette relation bien spéciale? Je ne sais pas... J'étais heureux, j'avais envie de communiquer ce bonheur, transmettre des raisons d'espérer. Et puis bon, pour moi c'était tellement fantastique! Une telle histoire méritait d'être racontée, parce que je la trouvais très belle.

L'est-elle moins? Assurément pas, pour tout ce qui s'est passé. Mais bon, depuis pas mal de temps il faut avouer qu'elle a été quelque peu bousculée par la réalité. La belle image s'est patinée, a subi les frottements de la vie, quelques déchirures. Pour moi ce n'est pas un problème. Je ne trouve pas l'image moins belle, je la trouve plus réelle, plus marquée par la vie, plus ancrée dans la réalité. Je l'aime beaucoup cette image, parce que son fond, ce qu'elle représente, reste "magique" à mes yeux. Quoi qu'il se passe, quoi qu'elle devienne, je sais depuis très très longtemps qu'elle restera toujours une merveilleuse image. Parce que je sais que j'ai vécu avec nathalie quelques uns des rares plus beaux moments de mon existence. Et qu'ils m'ont permis de toucher, ou même surpasser mes rêves les plus fous. Même si... depuis... ils m'ont permis d'oser rêver encore un peu plus loin.

Et tout ça, il fallait que je l'écrive quelque part.



Mais maintenant? Est-il utile à quelqu'un d'autre qu'à moi que je fasse part de mes difficultés à accepter cette "suspension" lorsque ses conséquences m'inquiètent? En cherchant à comprendre et expliquer toute la part qui m'échappe en restant à l'état de questions, ne fais-je pas de l'interprétation abusive? Ne dois-je pas accepter l'idée que cette suspension relationnelle implique aussi une suspension des émotions, et surtout une suspension de l'écriture publique...

Je ne peux taire les souvenirs, parce qu'ils sont sans cesse ravivés dans ma vie quotidienne. Je ne peux éteindre les désirs, parce que c'est ce qui me fait "avancer" au lieu de renoncer et tirer un trait définitif (le faudrait-il?). Mais je peux éteindre les mots du présent, parce qu'il n'a plus de place pour cette relation. Je peux dire ma souffrance, mon manque, mais je ne dois plus parler de ce qui nous lie. La communication entre nous n'existe que par intermittences, reste rare. Mes mots doivent le devenir tout autant.

Peut-être ai-je, en restant très "présent", cherché à montrer que je n'oubliais pas, que je ne laissais pas tomber? Autant pour les lecteurs que pour nathalie. Ne plus en parler, c'était pour moi comme "passer à autre chose", nier ce passé. Et pourtant, tant qu'il n'y a rien de possible, n'est-ce pas la seule chose à faire? Passer à autre chose...



* * *




Même jour, quelques heures plus tard. Quand le "hasard" (synchronicité) indique ce qui doit être suivi...
Ma question, énoncée juste au dessus, a trouvé sa réponse.


J'avais un rendez-vous pris de longue date pour une séance d'acuponcture (première expérience), à cause d'une grande fatigue générale, d'un manque d'enthousiasme, et d'une alternance de périodes de déprime. Il y a peu, ayant retrouvé un solide moral, je me disais que ça n'était plus forcément justifié, mais bon, j'ai maintenu. Et puis le "down" récent à finalement bien fait les choses: ce rendez-vous tombait très bien.

Le médecin, fort jolie femme, m'a posé des questions pour savoir sur quel champ elle devait agir. J'ai tout expliqué brièvement: double séparation éprouvante, manque de dynamisme, perte de motivation au travail... Un peu plus tard, alors qu'elle commençait à piquer ses aiguilles, elle m'a demandé comment je qualifierais mon état général «en colère? triste?...»«Triste» ai-je immédiatement répondu, sans hésitation, avec des larmes qui me venaient aux yeux.

Triste... alors que mon objectif était d'être plus heureux. Tout ça, ces années de travail sur soi pour en arriver à être triste... Oh, je sais bien que ce n'est qu'un état transitoire, et je ne doute pas que je saurai retrouver un appétit de vivre, un jour. Question de patience.

Et puis elle m'a laissé me détendre, avec mes aiguilles piquées de la tête à la pointe des orteils. Revenue plus tard, elle me demande comment je me sens, et ajoute «il ne faut pas cogiter, juste vous laisser aller». Ne pas cogiter... Ces seuls mots ont eu un effet immédiat. Ben oui, c'est ça: je cogite tout le temps. Je ne fais que penser, analyser. Ma vie n'est plus que ça. Pas étonnant que je sois vidé de toute énergie!

Alors je me suis laissé aller, en limite d'endormissement. Etat flottant. J'ai laissé défiler les idées les plus diverses, sans m'y arrêter. Une fois les aiguilles retirées, un peu plus tard, je me sentais déjà différent. Elle m'a dit qu'elle m'avait «mis du vent dans ma tête». La prise de conscience du fait que je réfléchissais trop (c'était flagrant, me direz vous...), et qu'il fallait que je cesse, m'est apparue comme une évidence. Je me suis senti entrer dans une certaine sérénité. Elle m'a de nouveau écouté et encouragé à reprendre pied dans la vie, à m'ouvrir à d'autres choses, m'accorder du temps de détente, voir du monde. Et interrompre un peu la machine à réfléchir. Oui, c'est vrai: tellement préoccupé par ma situation, cherchant à aller le plus rapidement possible pour en sortir, je me suis fait aspirer par mes pensées. Chaque réflexion permet d'aller plus loin, mais fait jaillir de nouvelles questions dans un manège incessant. C'est sans fin. C'est trop. Beaucoup trop.

Sorti étonnamment calme de cette séance, me sentant apaisé au plus profond de mon être, comme je ne l'avais plus été depuis des mois, une grande lassitude m'a finalement envahi dans la journée, avec une émotivité que je sens à fleur de peau. Mais ce calme un peu triste ne m'a pas quitté...



J'ai bien évidemment compris que ce journal, qui m'a beaucoup aidé, était devenu depuis longtemps bien trop lourd. Bien trop prenant. Le remède deviendrait presque pire que le mal. Mes réflexions m'engloutissent, me noient, paralysent mon existence.

J'ai besoin de retrouver une paix intérieure. Seul.







Je suis nomade et sans appui dans l'existence
je n'ai pas accepté de rentrer dans la danse
j'ai dessiné des cibles inaccessibles
et leurs ombres reviennent toutes les nuits


Oublie tout, oublie
le monde finira par se faire
oublie tout, oublie
les voix finiront par se taire
les voix finiront par se taire

(...)

Juste hausser les épaules
franchir la porte avec désinvolture
laisser faire le temps qui passe
laisser la place à des millions d'années
où tout serait plus facile

Oublie tout, oublie
le jour finira par se faire
oublie tout, oublie
les voix finiront par se taire
les voix finiront par se taire

Oublie tout (Daran)






Porte de sortie




Jeudi 27 janvier


Bon, et puis? Qu'est-ce qui se passe pendant que je n'écris plus?

Abstinence d'écriture. Volontaire au début, puis qui s'est rapidement muée en soulagement confortable. J'ai sorti de mes préoccupations ce fatras indigeste d'explications-justifications-interprétations qui ne menaient à rien, si ce n'est à me maintenir dans le trouble. Refusant de cogiter, je n'ai plus rien eu à écrire. Envie de retrouver une intimité, une vie personnelle, une solitarité plus propice à l'émergence de sentiments nouveaux.. ou au retour de sentiments enfouis.

Je crois que, durant les derniers mois, j'ai trop souvent écrit, dit, pensé... des bêtises [mais pas que ça!]. Estomaqué, disloqué, éparpillé, j'ai eu des réactions émotionnelles disproportionnées et chaotiques. En exagérant les faits, mon errance a parfois donné un sens à ce qui n'en avait pas et j'ai perdu celui des réalités. L'inquiétude envers autrui renforce ma peur d'avancer, désoriente ma boussole intuitive. Égaré, je ne comprends plus. La peur est un bien mauvais guide. Cependant... elle indique aussi des fragilités et ce peut être un avantage que de s'en rendre compte, pour peu qu'on sache prendre le recul nécessaire pour les solidifier.

En allant au bout d'un certain nombre de mes peurs, j'ai vu qu'elles étaient vaines. Produit de mon imagination, dans le sens du pire de ce que je redoutais, elles tendent à concrétiser l'illusion en réalité. Plus j'ai de craintes, plus mes actes créent les conditions nécessaires à ce qu'elles se réalisent vraiment. J'ai souvent foncé tout droit vers ce que je redoutais... Absurde!

Finalement, c'est une sorte de chance qui m'a contraint à affronter quelques grandes craintes héritées de mon histoire. Non sans maladresse, non sans quelque violence, non sans l'injustice que génère la colère. Si j'ai pu regretter les conséquences de cette libération, je suis en revanche satisfait de l'avoir fait. Je me sens désormais à la place que je n'avais pas osé prendre. A ma place. Et c'est particulièrement apaisant de s'y sentir bien. Je suis fier de cette victoire contre moi-même. J'ai passé une étape importante. Peut-être suis-je même devenu un peu plus adulte?

Loin de se matérialiser selon quelque scénario catastrophe trop redouté, plusieurs de ces peurs se sont finalement éteintes. Peut-être parce que je n'avais plus rien à perdre à les affronter...
En prenant le temps de retrouver une pensée solitaire, j'ai pu comprendre que la peur mange la vie, et qu'elle peut faire tout perdre. En précipitant les choses elle peut briser l'essentiel. Je ne veux plus risquer pareil danger.




Débarrassé de ces inutiles frayeurs dévoreuses d'énergie et de temps, j'ai pu me consacrer à ce qui est maintenant prioritaire: l'évolution de mon parcours de vie et ma nécessaire prise d'autonomie financière. Alors je travaille beaucoup, fais des recherches et des démarches pour négocier le tournant de mon activité professionnelle. Je défriche, et un avenir encore flou prend forme peu à peu. Ou du moins... paraît un peu moins être une impasse.

En parallèle (parce que tout est lié) l'évolution de la conjugalité de mon couple se poursuit doucement. Avec, maintenant que la réconciliation et la confiance ont pu reprendre toute leur place, la mise en oeuvre de la nécessaire prise de distance. Nous nous sommes rapprochés pour mieux nous éloigner, dans de bonnes conditions. En respectant les objectifs de chacun. Patiemment, inexorablement, nous cherchons des solutions pour contourner les limites pécuniaires qui nous bloquent...

Il semble que nous avons trouvé une porte de sortie qui nous donnera un peu de temps sans compliquer ce délicat processus de déliaison. Il nous faut faire avec les moyens dont nous disposons, et ce ne sera pas toujours facile. Par exemple, dans la vieille maison où j'ai installé mon bureau, sous le vent glacé qui balaye la neige, il fait... -2° dans la pièce ou je travaille![oui oui, vous pouvez me plaindre]. Pas de chauffage possible en ce moment. Alors j'ai un bonnet sur la tête, mais pas de gants (impossible d'écrire avec...), cinq épaisseurs de vétements, et une couverture sur les jambes. Et puis froiiiid aux pieds, malgré les chaudes chaussures destinées à affronter les hivers québecois.



... les hivers québecois...






Ça vaut la peine




Dimanche 30 janvier


Le processus de défusion, lorsqu'on souhaite désimbriquer deux êtres sans rien casser, demande infiniment de patience, d'écoute, et d'expression sincère de soi. C'est finalement la preuve de l'amour que l'on se porte mutuellement, même si le constat a été fait qu'il n'était pas suffisamment entier pour être pleinement épanouissant.

Bien des couples se seraient sans doute satisfait de la relation conjugale que nous avons avec Charlotte, et je peux comprendre notre entourage qui ne... comprend pas très bien le sens de cette déliaison. Car manifestement nous nous entendons bien, maintenant qu'une certaine forme de complicité est revenue. Oui, comme des amis très proches. Plus proches qu'avant, plus respectueux l'un de l'autre.

En fait, s'il n'était pas question de sexualité et de désir, nous aurions presque pu continuer à cohabiter. Car finalement, c'est bien là le point critique de ce qui nous lie. Ça... et puis l'argent, peut-être. Mais il est souvent dit qu'argent et sexualité sont liés...


Chaque jour je m'étonne de voir comme notre relation se fluidifie. Ce qui se cristallisait autrefois en incompréhensions et heurts se dénoue désormais au cours de discussions globalement sereines. Les incompréhensions ne durent pas, les colères sont fugaces et rapidement désamorcées par l'écoute. Nous savons comment nous fonctionnons, quelles sont nos failles respectives, et nous en tenons compte. J'aime cette forme de relation. Je crois que nous construisons quelque chose de meilleur et de solide. Mais cela n'est possible que parce que nous défusionnons. Que nous acceptons les différences de l'autre, que nous n'attendons plus une correspondance entre certains de nos désirs inconciliables. Il suffit de ne pas attendre que l'autre s'adapte pour que l'adaptation se fasse naturellement.

Etonnant comme ce "lâcher-prise" a des effets positifs...

On pourrait croire qu'à la longue nous pourrions nous retrouver en tant que couple amoureux. Et pourtant, je ne le ressens pas ainsi, ni ne le souhaite. C'est précisément parce que les tensions nées d'une absence de désir se sont résorbées que je me sens libre. Il manquait au lien qui nous unissait cette part à la fois minime et fondamentale: le désir sexuel. Cette attirance n'est qu'une petite partie de tout ce qui fait la relation conjugale, mais elle lui est essentielle. C'est bien ce qui différentie une grande amitié d'une relation amoureuse désirante. Maintenant que les mots ont été clairement exprimés, que les ambiguités ont été levées, que l'acceptation a eu lieu, notre relation s'est simplifiée.


Je ne sais pas encore bien vers quoi nous allons, mais je suis confiant. Depuis ces quelques mois de retrouvailles nous avons pu mieux mesurer ce qui reste solide entre nous et ce à quoi nous devons renoncer. C'est le démêlage de cet écheveau d'intimité, tissé depuis un quart de siècle, qui nous demande du temps. Jusqu'où devons nous reprendre une distance? Quelle part de cette intimité peut encore exister? Jusqu'à quel point devons-nous nous délier?

Les choses se font peu à peu. Par certains gestes qui ne sont plus naturels et qu'on ne peut pas forcer. Par la nécessaire perte d'habitudes, parce qu'elle peuvent donner lieu à des interprétations. Adapter le comportement à un nouveau statut en cours d'acquisition, procéder à des réglages. Tout un travail d'ajustement qui se fait jour après jour. Parfois subtilement, instinctivement. D'autres fois par des choix conjoints, avec des décisions librement consenties.

Ce libre consentement, cet accord qui passe par le dialogue ouvert est, pour nous, la meilleure façon de réussir notre déliaison sans souffrance excessive. Je ne regrette pas d'avoir temporisé, d'avoir cherché à ralentir des décisions hâtivement prises pour réduire une souffrance. Ma lenteur décisionnelle a du bon... même si les actes plus rapides posés par les autres ont aussi du bon. C'est par cet équilibre entre les exigences et limites de chacun que nous parvenons à un compromis, qui est la seule façon de ne frustrer personne. Je ne regrette pas d'avoir tenu bon pour que notre relation évolue en douceur, même si d'un autre côté cela a eu des répercussions particulièrement lourdes et douloureuses (mais peut-être bénéfiques aussi...) sur ma relation amoureuse transatlantique.


Il ne faut pas avoir peur d'affronter des moments difficiles pour parvenir à quelque chose de meilleur, de plus satisfaisant. Craindre ces épreuves empêche d'avancer et de mieux se connaître. Mais il faut bien avoir conscience que vivre ce genre de choses est particulièrement déstabilisant et demande à la fois du temps et un dialogue soutenu.

Je ne sais pas l'avenir qui se construit dans chacune de mes relations, mais j'accepte l'idée que c'est la meilleure chose possible. Parfois j'en ai douté. Par douleur, par peur de perdre ce à quoi je tenais tant ou devant des réactions que je ne comprenais pas, j'ai "mal" réagi. Impulsivement, perdant pied, emporté par des flots d'émotions et d'angoisses, mes vieux démons s'en sont donnés à coeur joie. Je crois que c'est inévitable tant qu'on n'est pas suffisamment sûr de soi, tant qu'on n'a pas affronté ce genre de situation extrême. Et surtout dès que la communication est insuffisante. Il y a alors forcément des retours en arrière, des régressions, parce qu'on perd confiance dans celle que l'autre à en nous.

Ma démarche est un processus de prise de maturité, d'autonomie, de confiance en moi. Il était évident que c'est par ce côté-là que viendraient des complications. Que malgré ma volonté farouche d'y parvenir je serais limité précisément par ce que je n'ai pas encore acquis. Dire «je veux croire en moi» a la logique du non sens puisqu'il faut d'abord croire en soi pour y parvenir!
Mais ce mouvement initial montre déjà qu'on y croit suffisamment pour tenter la démarche et s'y tenir...

Je sais qu'à chaque fois que je régresse c'est une façon de mieux me comprendre et d'aller plus loin. Chaque pas en arrière permet de faire de nouveaux pas vers l'avant. Il ne faut donc pas refuser cette façon d'avancer qui hésite entre limites anciennes et nouveaux territoires. C'est un processus inévitable de l'apprentissage. Et il faut beaucoup de patience et de foi de la part de ceux qui accompagnent cette démarche hésitante...

Normalement, le résultat devrait en valoir la peine.




«J'explore à nouveau l'amour depuis le début pour pouvoir également mesurer le sens de celui que je quitte. Les obstacles que j'avais vus surgir sur mon chemin, je les rencontre à nouveau et je vois ce qui m'en appartient, je peux voir le saboteur en moi, qui se réveille régulièrement et entreprend son travail de sape. D'une relation à l'autre les entraves se retrouvent, mais un sang neuf donne envie de les affronter plus courageusement, bravement. Une folie: cette fois j'y arriverai, cette fois je vais pouvoir observer de plus près où ça ne passe pas. Une nouvelle sève, une audace.»

L'amour conjugué - Florence Ehnuel







Mois de février 2005