Année 2019

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Arborescence




Samedi 20 juillet 2019

Mis en ligne le 14 juillet 2020

Durant une dizaine d'années j'ai abondamment écrit dans ce journal. Il m'arrivait d'y consacrer plusieurs heures quotidiennement. L'écriture m'était alors nécessaire. Elle était une façon de me comprendre, de trouver du sens, d'analyser mes pensées, réactions, émotions, dans des va-et-vient reliant passé et présent

Je me savais lu et, dans le secret des correspondances, existaient des interactions avec quelques lectrices et lecteurs, devenus confidents implicites par la représentation que j'avais de ces relations à distance. Ces échanges ont enrichi ma réflexion et permis à la fois de mieux me connaître et de réaliser avec quelle diversité de subjectivités ma façon d'être et de me dire pouvait être perçue. C'est notamment grâce à une remarque de N. que j'ai commencé à réaliser que mon mode de pensée était peut-être un peu particulier. « Tu as une pensée en arborescence », m'avait-elle écrit un jour. Je n'avais jamais entendu parler de ce mode de pensée mais l'image mentale des ramifications infinies m'y a
instantanément fait porter attention. Oui, effectivement, ce mode de réflexion qui m'était naturel était peut-être sensiblement différent de celui d'autres personnes, à la pensée plus directe.

Avec le temps j'ai appris que ce mode de pensée non linéaire, explorant chaque possibilité, pouvait me rattacher à divers "diagnostics"... dans lesquels je n'ai jamais voulu me reconnaître trop précisément, par souci de ne pas m'identifier à je ne sais quelles caractéristiques trop étroites. Peut-être ai-je quelques similitudes avec ceux qui se reconnaissent comme "Zèbres", ou se considèrent comme à "Haut potentiel", mais je rechigne fortement à m'auto-attribuer ce genre de qualificatif, qui semble parfois flirter avec une forme de valorisation narcissique. Il se pourrait tout aussi bien que j'aie ce qu'on appelle des « traits autistiques ». Faute de vrais tests de confirmation je n'en saurai rien. Quoi qu'il en soit, je ne peux que constater que ma pensée et mon mode de relation aux autres présentent quelques singularités. Et ce n'est probablement pas un hasard s'il m'a toujours été difficile d'entrer en contact spontanément et, plus encore, d'établir simplement une relation. Pour moi c'est toujours un peu compliqué. Pas un hasard non plus si les personnes avec qui je me lie présentent généralement, elles aussi, quelques singularités et modes de pensée atypiques. En fait... je m'ennuie vite dans des échanges sans surprise.

Aujourd'hui, à un âge qui commence à être un peu avancé, je constate que j'ai totalement accepté d'être un peu "à part". J'ai écarté l'idée de devenir réellement sociable (pro-actif), me contentant d'être aisément socialisable (passif). J'ai trouvé une façon d'être avec les autres, d'avoir une "place", par une présence discrète, à la fois attentive et silencieuse. Je suis là, m'exprimant peu, mais sentant que ma parole et mes silences sont écoutés et pris en compte.

Affectivement je constate que mon autonomie est devenue très grande, pour ne pas dire totale. Presque trop grande pour qui aimerait me voir manifester un peu plus de signes d'attachement. On a pu me trouver indifférent, distant, presque trop détaché... Cela m'a désolé lorsque je l'ai appris et j'ai tenté d'être rassurant. Je suis davantage dans la réponse que dans la sollicitation de signes d'affection. Quelques traumatismes ont sans doute laissé de profondes traces...

Écriture tarie, pensées en arborescence, détachement affectif... où veux-je en venir ? Et bien au fait que le travail de détachement affectif a certainement libéré mon esprit de bien des tourments, dont l'absence explique désormais l'inutilité de l'écriture. Ma vie est devenue extrêmement calme et paisible, comme en témoignent les rares textes que j'ai laissé ici depuis deux ou trois ans. Les seuls troubles, très peu fréquents, viennent... des personnes qui attendent de moi davantage que ce que je peux offrir. Pour ma part je ne sollicite... rien ! Je me nourris de ce que la vie me propose et que je peux grapiller à ma guise sans déranger personne.

Certes, tout cela est moins vibrant que ce que j'ai connu et aimé dans des périodes plus exaltantes, mais je crois que le bien-être modeste me convient pour le moment. Il m'aurait certainement manqué quelque chose d'essentiel si je n'avais pas pu vivre l'intensité quand elle s'est présentée mais je n'attends pas de la revivre. Si toutefois cela advient un jour... je me laisserai porter par l'état d'esprit du moment. Il n'est pas exclu que je connaisse de nouveau des moments enthousiasmants... même si les rares regains d'intérêt qui ont pu pointer ici ou là n'ont pas pris plus de consistance que d'éphémères feux-follets.

Bref : tout cela ne me préoccupe plus guère... et ne justifie donc en rien l'écriture de ce billet !

D'une toute autre nature est ce qui, très profondément, me préoccupe et
m'a fait reprendre le clavier aujourd'hui. D'ailleurs je reviens vers le support originel de mon écriture en ligne, plutôt que sur ses dérivés successifs ouverts aux commentaires, parce que je le sens le plus approprié. Le plus "intime" et confidentiel. Une forme de retour aux fondamentaux.

Ce qui me préoccupe et m'inquiète de façon sourde, tenace, croissante, n'est rien moins que la fin de la parenthèse enchantée que les générations récentes ont eu la chance (?) de connaître. Il y a là quelque chose d'indicible. Je n'ai pas les mots pour exprimer l'effroi qui, je le sens, s'est insinué en moi sans que je ne lui laisse le loisir d'affleurer. Comme des milliers d'autres "conscients" je vois passer les jours et les années sans qu'il ne se passe rien à la hauteur de ce qui serait nécessaire. Et j'assiste, impuissant comme tant d'autres, au naufrage en cours du Titanic sur lequel nous sommes tous, riches et pauvres, divertis par l'orchestre rassurant des chantres de la croissance et du progrès. « Ne vous inquiétez pas, braves consommateurs, tout va très bien, nous maîtrisons la situation. La science et la technologie vont trouver quelque chose pour que tout continue, comme l'humanité a toujours su le faire jusque-là ! ». Jusque-là, oui...
Sauf que cette fois il n'y a rien qui s'annonce pour nous sauver de notre folie et de notre démesure. Nous fonçons droit vers un déclin qui sera d'autant plus tragique qu'il tardera à advenir. Le mythe du progrès continu est en train de vaciller. Pour beaucoup il est déjà mort mais pour une majorité d'humains il est encore le modèle enviable auquel ils aspirent. Et ils se précipitent vers lui, espérant un salut qui ne viendra plus. L'idée même de progrès est périmée, dépassée. Nous sommes en sursis. Nos modes de vie et notre insouciance sont en sursis.

Comment vivre sereinement avec cette idée ? Comment vivaient ceux qui sentaient, en 1936, que ce qui se tramait allait conduire à un naufrage politique et une catastrophe humaine ? Nous en sommes là : à savoir qu'il faudrait tout mettre en oeuvre pour éviter le pire... mais en continuant à croire qu'il n'arrivera pas.

C'est vertigineux. L'indifférence et l'immobilisme de mes contemporains me font suffoquer. Et ma pauvre pensée en arborescence est à la peine, qui n'en finit pas d'explorer toutes les "solutions" qui se révèlent être des impasses. Non, il n'y a pas d'autre issue qu'une préparation à des temps de grande sobriété, voire d'austérité, s'accompagnant de la perte de nombre d'éléments qui font le confort, la sécurité et l'insouciance de nos vies.

Pour l'heure, j'essaie de rester fidèle au "Carpe diem"... mais les sombres nuages qui se sont amoncelés et enflent me rappellent sans cesse que ce qui est bon aujourd'hui ne le sera pas toujours.


PS : après avoir relu ce que j'écrivais ici durant l'été 2017, la similitude avec le texte ci-dessus est flagrante. Il m'apparaît une étonnante stagnation. La seule différence étant que deux ans plus tard j'ose écrire un peu plus clairement ce que j'ébauchais alors avec prudence...


 

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Ininspiration



Lundi 5 août 2019

Mis en ligne le 14 juillet 2020

Le désir d'écrire est là. L'inspiration n'y est pas.
Je me sens comme un peintre devant sa toile, pinceau en main... n'ayant aucune idée de ce qu'il pourraît tracer. Pas même une ébauche. Je ne sais même pas si c'est une confusion d'idées mêlées ou leur absence qui m'empêche de m'épancher.

Mais peut-être est-ce l'acte d'écrire, et le lien imaginaire qu'il entretient, qui motive cette tentative ?

J'ai, je crois, besoin de... relier mes idées. Et pas que mes idées. Mes émotions, perceptions, sensations. Besoin de renouer avec un forme de transparence avec moi-même, qui semblait se féconder par l'écriture. En n'écrivant plus, en ne me reliant plus à moi-même par l'entremise du lecteur imaginaire, il me semble que je perds ma substance. Comme si vivre seulement le présent privait d'une forme de réflexion nécessitant un temps de recul. Du moins lorsque ce présent ne se vit pas avec une intensité manifeste.

Or ma vie, essentiellement solitaire n'est pas particulièrement propice à l'intensité. Je vis pleinement le présent... mais souvent dans un grand calme (en particulier durant la période estivale !). Je l'ai choisi. Et je réitère ce choix jour après jour, en restant volontairement à l'écart d'activités conviviales (dont la complexité ne m'attire pas). Seuls mes engagements associatifs, professionnels et municipaux me poussent à participer à la vie sociale. Davantage que je le souhaiterais, d'ailleurs. Il m'en coûte. La famille, dans un autre registre, parvient à m'extraire avec bonheur d'une solitude qui m'est confortable et reposante. Quant au registre plus confidentiel... il se vit dans une exclusivité de fait, en un équilibre à peu près pas vraiment satisfaisant. Une instabilité qui dure, contre toute attente, quoique demeurant en perpétuelle précarité. Virtuellement, je reste célibataire.

[Les trois lignes qui précèdent auront été laborieusement formulées, à mots choisis, et plusieurs fois retouchées. Cette difficulté à écrire simplement m'indique - sans surprise - un malaise certain.]

Par contre, dans ma fausse solitude, je participe - modérément - à des échanges d'idées et de connaissance dans des espaces de socialisation virtuels. Et je lis assidument ce qui s'y échange d'intéressant. À tel point que je me demande si cette sollicitation permanente ne serait pas une des causes de mon manque d'inspiration en écriture... Je ne prends plus le temps de laisser mes réflexions s'élaborer au fil de la dactylographie.




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Sans avenir


Samedi 10 août 2019

Mis en ligne le 14 juillet 2020


Il y a plus de quarante ans
que j'ai commencé à relater mes impressions personnelles. Au début cela correspondait à une nécessité : (m')écrire pour (me) comprendre. Le flux variait en conséquence, s'interrompant parfois longuement. Lorsque je suis entré, un peu par hasard, dans l'écriture en ligne, la dimension du "partage" - ou plutôt de l'échange - s'est ajoutée à ma pratique jusqu'à devenir prépondérante. Mais une troisième motivation se dessinait en filigrane depuis l'origine : garder trace. Il me semblait important (pour qui ? pour quoi ?) de garder trace de mes pensées, difficultés, réflexions. Je ne sais pas bien à qui étaient destinées ces pages mais j'identifie au moins trois destinataires : moi-même (au futur) ; mes enfants, si toutefois ils avaient envie de lire ce qui aurait le parfum du passé... et enfin quiconque pourrait trouver matière à penser dans la banale singularité d'un parcours de vie. Cette idée, très vague au départ, s'est précisée lorsque j'ai découvert l'APA (Association pour l'Autobiographie) en 1997 et eu connaissance de son fonds accessible aux chercheurs. Plus tard encore, lorsque j'ai constaté que le diarisme en ligne était non seulement étudié par des chercheurs, mais faisait en outre l'objet d'archivage officiel par la BNF, j'ai eu l'immodestie de croire que mes écrits pouvaient avoir valeur de témoignage d'une pratique en plein essor. Ce en quoi je me trompais : le diarisme en ligne semble n'avoir été qu'une éphémère pratique, rapidement supplantée par le phénomène des blogs, lui-même dépassé par celui des réseaux sociaux...

Mais tout cela me semble lointain. Non seulement du fait de l'évolution des pratiques, mais aussi parce que, pour moi, la fonction "compréhension de soi" ne passe désormais plus par l'écriture. Probablement parce qu'elle ne m'a plus été nécessaire, après des décennies d'introspection. Et pour ce qui est de "l'échange"... cette soif s'est tarie : je ne ressens plus cette fébrilité qui m'animait en lisant les réflexions d'autrui, ni n'ai moi-même le désir de faire part de mes reflexions. Quant à la conservation temporelle de mes pensées de l'instant... elle me laisse indifférent. Tout cela me semble vain, inutile.

Objectivement je n'ai donc plus aucune raison de maintenir en vie mes divers espaces d'expression. Aucune... si ce n'est de conserver ce qui existe, ainsi que me garder la possibilité d'y revenir si j'en ressentais de nouveu l'envie.

Pourtant... je me demande si cette désaffection est aussi rationnelle que ce que je viens sommairement d'exposer. N'y aurait-il pas aussi une désaffection plus profonde à l'égard de tout ce qui me relie aux autres ? Car je ne peux que constater que je suis aussi dans une désaffection relationnelle : j'ai l'impression d'être devenu insensible à l'expression affective. Un peu comme si je restais "détachable" des liens affectifs. Je ne sais même plus si je m'attache vraiment... Est-ce dû à l'âge, en une sorte d'usure ? Est-ce dû à la perte d'illusions ? Est-ce un retour vers un état qui m'est "naturel" : la liberté du solitaire ?

Encore plus profondément, peut-être : l'impression d'inutilité à vouloir conserver des traces du passé. Pas tant parce que le passé n'est plus, mais parce que l'avenir ne sera pas. Il ne sera pas tel qu'autrefois je l'imaginais. Je ne suis pas du tout sûr que des écrits tout à fait ordinaires puissent être une préoccupation dans le monde de demain.
Il se pourrait que chacun de nous ait bien mieux à faire (se nourrir) que d'explorer un passé qui pourrait bien avoir le goût de l'amertume. Par ailleurs il n'est pas du tout certain que l'informatique et le stockage numérique aient un long avenir devant eux.
 







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