Mai 2015

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  Terne



Dimanche 3 mai 2015


Je me trouve actuellement dans la situation un peu désagréable de l'écriture contrariée : je ressens une aspiration à écrire mais sans qu'aucun mot ne vienne. Je ne sais même pas comment commencer. En fait je n'ai rien à écrire ! Et pourtant je pressens que l'écriture pourrait me permettre de décoincer quelque chose...

Il y a quelques mois je me souviens avoir écrit que j'étais heureux. Que mon existence me satisfaisait. C'était vrai. Or aujourd'hui, sans que rien de significatif ne soit advenu depuis, je ne suis plus dans cet état. De fait, voila plusieurs  semaines... mois... que je sens que mon état intérieur a perdu de son éclat. Ma vie est devenue... terne. Je ne m'explique pas ce changement sans raison apparente. Il m'arrive même d'être à la limite de l'ennui. Et le sentiment de solitude apparaît parfois... sans que je ne veuille rien y changer !

C'est curieux : je n'ai pas envie de changer, alors que ce que je vis manque vraiment de saveur. Ma vie actuelle est très calme. Mais elle est aussi, et c'est un peu inquiétant, sans désirs.

Au début, c'est à dire l'automne dernier, je pensais que c'était un état transitoire. Je l'attribuais à l'achèvement de ce qui m'a tellement fait cogiter et évoluer, des années durant, tant que quelque espérance me portait encore. L
orsque celle-ci a dû s'éteindre, il ne m'a pas paru étonnant que s'installe un moment de flottement, le temps que ma vie s'oriente vers de nouvelles aspirations. Mais... six mois plus tard, je ne peux que constater que rien n'a pris le relais. Assez bizarrement je n'ai plus de projets d'avenir. Plus d'objectif.

Oh, bien sûr, j'ai quelques vagues projets de voyage, mais ils ne se concrérisent pas vraiment, faute d'énergie à leur insuffler. Je reporte à plus tard. Or la vie passe et je me rends bien compte qu'il est idiot que je "gaspille" ce temps à ne rien entreprendre, à ne rien projeter. C'est comme si j'étais en panne. Le moteur de mes désirs ne fonctionne plus. Parfois j'ai l'impression qu'il se ranime mais ça ne dure pas. Du coup ma vie à quelque chose de morne...

J'ai bien en tête tout ce que j'ai appris de l'existence : être acteur de son destin, jouir de chaque instant, saisir les opportunités, partager ses joies... mais ça ne fonctionne pas vraiment. Sans désir, sans "en-vie", il n'y a pas le carburant nécessaire. J'en viens presque à craindre un repli que je ne saurais contrecarrer.

Et si mon optimisme, dont j'ai toujours pensé qu'il était une force me protégeant de la déprime, était plus fragile que je le croyais ? Tout d'un coup je me sens vulnérable...



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Puissant



Vendredi 8 mai 2015


« L'écriture est une bohémienne qui campe chez moi à intervalles réguliers, qui part sans me prévenir. C'est son droit. C'est le droit élémentaire de ceux que j'aime de me quitter sans aucune explication, sans raisonner leur départ, sans prétendre l'adoucir par des raisons qui seront toujours fausses.

Ceux que j'aime, je ne leur demande rien.

Ceux que j'aime, je ne leur demande que d'être libres de moi et de ne jamais me rendre compte de ce qu'ils font
ou de ce qu'ils ne font pas, et, bien sûr, de ne jamais exiger une telle chose de moi.

L'amour ne va qu'avec la liberté. La liberté ne va qu'avec l'amour. »

Christian Bobin, dans "L'épuisement"



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À coup de mots et de silences





Vendredi 22 mai 2015


Les mois passent et les souvenirs s'effacent. Quand ai-je "renoncé" ? Je ne sais plus. L'automne dernier, je crois. Peu importe : imperceptiblement j'ai fini par "lâcher" et "accepter" le mouvement d'éloignement. Des guillemets encadrent encore les termes rétifs, parce que je sens bien que ce n'est pas encore vraiment irréversible. C'est en cours. Je suis en train de renoncer. Le présent s'étire : je renonce... et cela me prend des mois, des années. Chaque jour mieux domptée l'acceptation rebelle cesse peu à peu de se cabrer.

Le temps passe et je ne veux plus être retenu par la tentation, de plus en plus anachronique, de réparer une confiance dévastée. Sans cesse repoussé l'objectif est devenu hors de portée. Une réalité à laquelle il a fallu que je m'adapte afin que ma vie redevienne heureuse. Il n'empêche qu'elle reste perpétuellement teintée par le désastre infini que représente encore, pour moi, une aussi tragique perte de confiance.

Il n'y aura donc pas de retrouvailles. Pas de reprise de contact, pas de retour de dialogue, et a fortiori pas le rétablissement tant espéré de la confiance qui nous rendit complices.

Non, il n'y aura pas cela. Et il me faut vivre sans.

Certains jours je n'y pense pas une seconde. Puis-je considérer cela comme un progrès ? Comme une "guérison" ? Je n'en suis pas sûr. Le processus d'effacement est à l'œuvre, certes, mais il ne se passe jamais longtemps sans que les pensées émergent de nouveau. Régulièrement se ravivent des élans... aussitôt interrompus par le réel. Soubressauts qui s'achèvent dans des "Quel dommage !". Parfois c'est plutôt "Quelle erreur !" ou "Quel gâchis...". Constats de défaite autant que signes de résignation : il n'y a plus de révolte. Je suis vaincu. J'ai déposé les armes. Je ne lutte plus.

C'est ça l'acceptation : ne plus chercher à aller contre ce qui est plus fort que soi. Je n'ai pas le pouvoir de changer ce qui est advenu. Je ne l'ai même plus par les mots que je laisse encore fuiter ici. Le calme est revenu sur le champ de bataille. Lorsque je le contemple, perplexe, je vois les traces laissées par la violence de l'affrontement. Le choc des mots durs résonne encore dans mon esprit. Que de blessures infligées de part et d'autre ! Que de douleur ressentie...

Je ne pensais pas qu'à coup de mots et de silences on pouvait se faire aussi mal.


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Le temps des parenthèses



Samedi 30 mai 2015


Hier soir, un peu fatigué par ma journée, j'allume la télé et m'affale sur le canapé. Le hasard veut que débute un film sur Arte: "Le train de 7h39". L'annonce capte mon attention...

C'est l'histoire d'une rencontre tout à fait fortuite, dans le train qui emmène sur leurs lieux de travail respectifs un homme d'âge mûr et une jeunette sur le point de se marier. Le premier contact est tendu et engendre une dispute à cause d'une place assise. Le lendemain ces deux-là se croisent de nouveau et, à partir des excuses de l'homme, amorcent un dialogue sur le fait que les gens ne se parlent pas alors que, chaque matin, ils prennent le même train. Jour après jour la sympathie s'installe et ces deux-là se rapprochent, se confient, s'attirent. Leur trajet du matin, routinier auparavant, devient un moment attendu. Ils ont plaisir à se retrouver, à discuter, à rire ensemble. Ils se plaisent, c'est de plus en plus évident. L'homme est marié et tient à sa vie de famille. Il aime sa femme. Quant à la jeune fille, elle est fiancée à un homme un brin méthodique, qui ne cesse de lui parler de leur prochain mariage...

À l'occasion d'une grève des transports les deux confidents, bloqués loin de chez eux, décident, non sans hésitations, de dormir dans le même hôtel. Il ne reste qu'une seule chambre, qu'ils acceptent parce que les lits sont séparés. On sent bien que le désir est là, mais aussi la retenue face à des limites fragiles. Quelques détours plus tard, histoire de s'apprivoiser, la proximité physique fait le reste...

J'ai trouvé que ce film rendait très bien la suite des enchainements qui font l'évidence d'un rapprochement, mais aussi les inombrables questions que cela pose quand on n'est pas "libre". Sans qu'aucun des deux ne le cherche au départ, ils découvrent ensemble une fantaisie que la vie ne leur apportait plus sans même qu'ils s'en soient rendu compte. Ils rient et ils rêvent, parvenant à dépasser les limites que la réalité de leur situation leur oppose. Ils osent laisser s'exprimer leur liberté d'être. "Nous ne faisons rien de mal", se rassurent-ils, tout en constatant qu'ils commencent à mentir à leurs conjoints. Et leur complicité grandit, leur amitié aussi. On comprend que l'amour s'immisce...

Et puis l'épouse découvre la situation et, évidemment, réagit très mal. Idem pour le fiancé, qui devient violent. Leur blessure narcissique s'exprime avec force et la parenthèse de bonheur éclate dans la douleur. L'homme est sommé de quitter son foyer, la jeune femme décide de quitter son fiancé trop prévisible et un peu niais. L'équilibre est rompu. On sent que cela a des répercussions fortes sur la relation.

Meurtris, les deux audacieux déchus décident de se retrouver le temps d'un week-end. Ils sont dans un paysage de bout du monde, face à l'océan. Les falaises blanches opposent la dureté de leur ligne de rupture au libre mouvement des vagues. Des questions se posent : que faire ? La jeune femme comprend que ce qu'ils vivaient ensemble ne pouvait exister que dans les intervalles de temps que leur laissait leur vie antérieure. C'était du temps présent, de l'insouciance. Des parenthèses. L'avenir n'en faisait pas partie, pas plus que le partage du quotidien.

Leur histoire commune s'achèvera là.


Les similitudes avec ma propre histoire ne pouvaient que réactiver mes souvenirs. Même genre de rapprochement "évident", même impression de « ne rien faire de mal », même désir de laisser couler en soi ce flux de vie. Même bonheur ressenti dans un partage exaltant et régénérant. Rapprochement, confidences, amitié croissante teintée de désir...

Même genre de réaction de la part de l'épouse blessée, qui se sent humiliée : fermeture, rejet, mots coupants...

Même type de phrases de la part de celle qui n'envisage pas de poursuivre hors du contexte de départ : « même si on s'aime ce n'est plus possible ».

La fin diffère, cependant. Dans le film l'homme revient chez lui : il a accepté que s'achève le temps des parenthèses.

Pas moi. Je n'ai pas su (ou pas voulu ?) entendre "la voix de la raison". Non, pas cette fois ! Pas avec elle ! Pas venant d'elle ! Dans mon histoire, dans mon imaginaire, il ne s'agissait pas d'une parenthèse. Je ne l'avais pas du tout envisagé ainsi... et c'est sans doute l'erreur majeure que j'ai faite. Sans qu'il s'agisse de ma part d'un engagement vers l'avenir, il y avait quand même dans mon esprit l'idée d'un présent continu. Durable. Je pensais, naïvement, que les parenthèses allaient être reproductibles à l'infini avec elle. J'avais accordé à cette Rencontre la priorité sans même la savoir. La vie - l'en-vie - passait par ce chemin-là. C'est pour poursuivre cet élan, viscéral, que je n'ai pu accéder à la demande de mon épouse de ne jamais revoir celle dont j'avais été si proche. Ni même de couper tout contact pendant un an.




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La fin ?


[sans date] mai 2015


Comment aurais-je traversé l'épreuve si je n'avais pas disposé de ce singulier espace d'expression ?

Quoi qu'il en soit la traversée arrive à son terme et ravive une tentation : mettre un terme à l'expérience.
Depuis longtemps je l'envisage mais j'hésite encore [hésiter, mon passe-temps favori...]. Ce journal est tellement associé à ce à quoi il me faut renoncer que, symboliquement, ce pourrait être une bonne chose que d'écrire le mot ultime :

 - FIN -


Supprimer le dernier point de contact, aussi réduit soit-il. Réduire à néant les potentialités de ce moyen de "communication". Ainsi la rupture serait totalement consommée.

Cela me conduirait-il vers une nouvelle dynamique ? Peut-être... mais j'en doute un peu.

D'un autre côté ce journal a conservé sa fonction première : témoigner, partager, proposer des pensées en résonance. Dès lors, pourquoi cesser maintenant ?



 








Mois de juin 2015