Août 2014

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  Fantôme





Samedi 2 Août 2014


Bien que je le nomme ainsi, ceci n'est pas un journal : ce serait plutôt une tribune. Une lettre publique adressée a divers destinataires plus ou moins identifiés, dont il y a d'autant plus de probabilités que vous fassiez partie que nous avons correspondu récemment, que nous nous sommes rencontrés un jour, que vous avez suivi le fil de l'histoire... et que je sais que vous me lisez plus ou moins régulièrement. Lorsque je suis dans l'écriture j'ai conscience de vos regards potentiels et cela influe notablement sur ce que je raconte. Par contre je ne pense pas à ceux d'entre-vous qui ne se sont jamais manifestés, puisque j'en ignore tout, et laisserais à cet égard le fil se dérouler sans y penser, sans interférence. Si je voulais vraiment écrire "librement", il faudrait que je retourne vers l'anonymat total, sans possibilité de contact. N'ayant pas encore fait ce choix c'est donc principalement à ceux que je "connais" que je m'adresse, ainsi qu'à moi-même... sous l'ensemble de vos regards, que j'imagine plus que je ne perçois. Vous représentez "le regard de l'autre", auquel je reste [trop] sensible. En imaginant cette somme de regards j'évalue la validité de mes pensées au moment de les mettre en mots. Ainsi je m'observe, autant que faire se peut, de l'extérieur. C'est toute la différence avec un journal, dans lequel l'altérité manque, qui prive le diariste des autres points de vue. Une tribune propose un point de vue circonstancié alors qu'un journal, dans mon esprit, ne se soucie pas d'objectivité : il est autocentré. Il est pour soi.

Bon, je ne me leurre pas : ce que j'écris ici est bien sûr "pour moi", mais en faisant un léger détour par la conscience de l'autre, la conscience de "vous". Ainsi, en allongeant l'itinéraire de moi à moi je ralentis ma pensée directe en m'ouvrant à des voix intérieures plus ténues. En quelque sorte j'établis un dialogue avec différentes instances du moi. Et c'est, je crois, ce qui me fait "avancer".

Ça n'avance pas vite ?
Et alors ?

Ce long préambule m'a semblé nécessaire pour expliquer que ce qui s'élabore en ce moment, dans les soubresauts et embardées de ce journal-lettre-tribune, fait partie du processus de s(r)éparation entamé il y a des années. Si j'évoque publiquement et sans retenue avec quelle force un lien hors du commun demeure en moi c'est pour mieux constater qu'aucune réponse ne vient plus depuis longtemps. J'observe donc, depuis le détour que je fais par vos regards, l'artifice d'une construction mentale : je me vois, seul, dans le décor en carton-pâte de mon imagination. La "présence" que je sens à côté de moi n'est que l'extrapolation intériorisée d'une réalité qui n'existe plus. Autrement dit : un fantasme [un fantôme ?].

Un fantasme, certes,  mais qui me porte vers... ce que j'ai envie d'être. Qui me porte vers un "meilleur de moi", même si cela me fait parfois frôler, non pas le pire, mais des aspects dont j'ai un peu honte. D'ailleurs je me garderais bien d'évoquer tout cela hors d'ici...

Mais pourquoi continuer à le faire ici ? Pourquoi exposer des éléments si personnels ? Je l'ignore précisément mais je ne peux m'empêcher de penser que cela provient du lien étrange qui relie ce journal et la rencontre qu'il a vu naître [ou qui l'a fait naître...]. Parce qu'il y a toujours, évidemment, l'hypothèse du regard de celle que j'aurais voulu convaincre, destinatrice fantôme de cette interminable... euh... plaidoirie ?

Plaidoirie ? Ah non, pas seulement ! C'est avant tout une réhabilitation à mes propres yeux et un travail sur ma conscience. Et si je reconnais volontiers que j'aurais bien aimé que celui-ci ravive l'intérêt de la complice d'antan, j'ai compris que ce ne pouvait pas être un objectif. D'ailleurs on ne force pas l'intérêt de l'autre...


Un indice : proportionnellement j'ai infiniment moins évoqué ma séparation d'avec Charlotte que celle d'avec N. Pourtant l'impact du changement a été plus significatif avec Charlotte, me faisant passer d'une vie de couple au long cours à celle, solitaire, du divorcé. Mais je suppose que le temps laissé au dialogue, d'une part, et la libre expression, d'autre part, ont permis à la déliaison de se faire sans heurts majeurs. D'ailleurs, si aujourd'hui il m'arrive encore de déplorer notre incapacité à poursuivre le dialogue "comme avant", l'affectation que j'en ressens ne me pose pas vraiment question. Certes je ressens un pincement, une tristesse, voire une douleur lorsque nous nous cotoyons sans rien nous dire, mais c'est assez logique. Cela dit, je l'avoue, je ne cherche pas trop à approfondir ces ressentis puisque j'ai choisi d'accepter l'éloignement.

Comme pour N. le personnage fantasmé de Charlotte existe, en la personne de ce qu'elle était autrefois. Sauf qu'à son égard le réel empêche qu'il ne se développe trop longtemps. Par exemple, si je laisse le temps passer sans contacts, mon imaginaire me porte vers un rêve de réconciliation... auquel la rencontre suivante met un point d'arrêt. Car Charlotte, elle aussi, imagine en moi un personnage, dont je devine qu'il est peu attirant : dans ses yeux je vois qu'elle assombrit celui que je suis, et en lequel je ne me reconnais pas. Ce que je vois c'est que Charlotte ne m'accorde plus sa confiance, ou du moins pas suffisamment pour que je me sente "accueilli" dans sa sphère. Je n'essaie donc plus de m'en approcher. Nous en restons à des rapports distants, quoique courtois et sans animosité. La blessure ayant été profonde des deux côtés, la cicatrice reste trop sensible pour y toucher...

De cela je ne parle pas, ni n'écris à ce sujet. Le travail se fait en solo et en silence, tout en intériorité. Il est probablement moins élaboré et moins abouti que celui que j'ai fait ici par rapport à N.

Car avec N. la situation a été inverse : une rupture brutale du dialogue, avec effondrement de la confiance comme conséquence et déconnexion de la réalité de l'autre. L'imaginaire a donc pris une place croissante et j'ai rapidement vu se ternir et s'assombrir mon reflet dans son regard. J'y ai même vu le pire. La communication indirecte, restée possible, s'est révélée être désastreuse sur le plan de la réconciliation. D'autant plus que le silence s'est renforcé.

Par contre, à défaut de sauver la situation, continuer mon expression ici m'a permis d'explorer dans les moindres détails nombre de question restées en suspens. Le travail effectué à été éclairant. Et si je n'ai pas résolu toutes les énigmes qui se sont dressées devant moi, du moins ai-je pu abandonner nombre de fausses pistes et changer ma perception des relations affectives, donc ma façon de les vivre. Je crois pouvoir dire que je me connais bien, maintenant.

J'en suis arrivé à la conclusion que si j'avais eu davantage confiance en moi et mes ressentis profonds je me serais exprimé avec une détermination plus affirmée. Un dialogue sous ces auspices aurait probablement laissé émerger tout autre chose qu'une confrontation de personnages fantasmés, embellis ou assombris au gré des névroses de chacun.

Oui, voila l'implacable conclusion sur laquelle je retombe systématiquement : j'ai manqué de confiance en moi.

C'est pourquoi aujourd'hui je n'offre de moi qu'à hauteur de ce dont je me crois capable. Évidemment, ça peut paraître peu...

« Àtoidevoirsiçateva »


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Vieille histoire



Lundi 4 août 2014


J'aime bien quand les choses s'emboitent avec une logique qui m'échappe. C'est ce qui s'est passé avec mon texte précédent, qui a trouvé un prolongement inattendu par le biais de plusieurs conversations étonamment coïncidentes.

La première, samedi soir, à l'occasion d'une fête entre amis : ma soeur est venue vers moi, seule à seul, et m'a questionné sur une vieille histoire dont j'ai parlé au tout début de mon journal. Il s'agissait de la première fille dont j'avais été très amoureux à mon adolescence et qui, en m'ayant rapidement "oublié", m'avait offert mes premières amères désillusions. N'ayant jamais vraiment surmonté ce désintérêt j'avais recontacté,  vingt ans plus tard, celle que j'appelais Laura pour mettre au clair ce qui me hantait et "actualiser" sa réalité afin de mettre un terme à des questions sans réponse.

Ma soeur m'a demandé quelle avait été la suite de ma tentative de recontact : l'avais-je revue, finalement, cette Laura ? Non. Après avoir obtenu d'elle un échange téléphonique, ce qui était déjà bien, j'avais eu le mauvais goût d'y revenir pour demander un peu plus. Une fermeture plutôt rude m'avait été opposée, me plongeant dans le désarroi de l'incompréhension. De quoi avait-elle eu peur ? Qu'avait-elle imaginé ? Où avais-je fait une erreur ? Les questions allaient s'accumuler d'autant plus qu'aucune réponse ne me serait jamais apportée. Résultat : quatre ans d'introspection pour enfin surmonter cette situation de rejet et accepter l'impasse. Au final j'en étais sorti en croyant qu'avoir "tourné la page" allait me permettre de donner à Charlotte toute sa place dans mes pensées. Je me leurrais : la place occupée par Laura était devenue vacante mais ne s'est pas libérée au profit de Charlotte. Une dizaine d'années plus tard c'est à une autre que j'allais accorder cette place...

« Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur comme un destin », aurait dit Jung. Je n'y ai pas échappé.

Si ma soeur m'a ramené sur cette vieille histoire, éteinte en moi, c'est parce qu'elle revu récemment, après trente ans sans contact, son premier amour. Des retrouvailles très sobres, auquelles j'ai assisté lors d'un anniversaire parmi nombre de personnes qui ne s'étaient pas revues depuis une ou deux décennies. Connaissant la situation et l'importance qu'avait longtemps gardé cet homme pour ma soeur j'observai discrètement l'attitude des deux anciens amoureux, qui paraissaient très détachés. Presque indifférents. J'en fus étonné. À aucun moment ils ne se retrouvèrent en tête à tête et, à la fin de la soirée, les au-revoirs furent brefs. Ce que j'ignorais c'est qu'à l'instant du dernier contact ma soeur prit conscience qu'elle n'aurait probablement pas d'autre occasion, avant longtemps, de revoir cet homme. Résultat : depuis un mois elle vit, selon ses propres termes « un enfer ». Quelque chose s'est réactivé et la fait douloureusement gamberger, alors qu'elle pensait avoir réglé cette histoire depuis bien longtemps. J'ai vu ma soeur bouleversée, dépassée par ses émotions, ne pouvant retenir ses larmes. En même temps elle me faisait part de son analyse, très rationnelle : « je ne comprends pas ; je sais pourtant que ce n'est plus le même homme mais c'est plus fort que moi : j'ai besoin de le revoir pour constater qu'il n'est plus le même ». Tiens tiens... voilà une situation qui m'est familière ! Décidément, il doit y avoir un atavisme familial dans le besoin de réalité pour s'opposer à un imaginaire fécond...

Face à son désarroi je lui ai alors confié que passer par le rationnel était, à mon avis, une mauvaise piste car c'est l'émotionnel qui réagissait si fort. Le mieux à faire était d'être attentif à ces émotions qui, la submergeant, indiquent quelque chose. Mais quelque chose d'autre que ce qu'elle croit : ce qu'elle cherche ce n'est pas du côté de cet homme qu'elle le trouvera, mais en elle-même. Cette "crise" indique que quelque chose de réprimé en elle s'exprime et a besoin d'être entendu. Elle ne sait pas ce que c'est mais ses émotions montrent la piste à suivre.



Un peu plus tard je me suis dit que les paroles que j'avais énoncées à ma soeur, je pouvais avantageusement  me les répéter à moi-même : ce qui s'exprime dans ma recherche de confrontation au réel auprès de N., après l'avoir tenté en vain auprès de Laura, n'est que l'émergence parasite d'une autre recherche, plus enfouie. J'ignore de quoi il s'agit précisément mais j'en ai une petite idée et la quête de sens qui se dessine en ce moment sur ces  pages pourrait bien s'ouvrir sur une nouvelle piste d'exploration.

D'ailleurs j'ai pu la prolonger hier, au cours d'une enrichissante conversation avec Artémis. Cette dernière, une fois de plus, cherchait à savoir quelle est ma perception du lien que j'ai avec elle. Plus clairement, elle cherche à savoir si je "l'aime". Comme d'habitude nous avons fait, en bonne intelligence, le constat de nos approches différentes sur ce thème pour finir sur des questions autour de mes relations amoureuses passées. Artémis ne parvient pas à comprendre ce qui, de mon côté, empêche à l'état amoureux d'émerger. Elle sait que je l'ai vécu autrefois avec ravissement et que j'en connais donc la valeur. Difficile d'expliquer les choses autrement que par : c'était différent. Et puis à quoi bon chercher si c'est pour mettre en évidence ce que je ne trouve pas chez Artémis ? Je préfère lui dire ce que j'apprécie chez elle... même si ça ne répond pas à son attente. J'ai quand même hasardé quelques explications : peut-être que les deux femmes de qui j'ai été amoureux, en me "révélant" une part qui m'était alors inaccessible, en devenaient hautement attirantes ? Peut-être les voyais-je alors comme "idéales" grâce à tout ce que je trouvais en elles ? Assurément elles étaient proches de mon idéal...

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, fort de mes désillusions, je me méfie de l'idéalisation comme de la peste. Hors du réel je la traque, je la piste, je l'observe. J'en limite, autant que faire se peut, les possibilités d'extension. De toutes façons, n'étant pas dans une attente amoureuse, je peux fort bien me passer de vivre cet état extatique, tout bienfaisant qu'il puisse être. Je verrai bien si un jour une nouvelle personne a la capacité de le déclencher. D'ici là je reste relativement "ouvert" à d'autres rencontres, ce qu'Artémis ne comprend pas non plus puisque nos moments de partage l'enchantent.

En écrivant ces mots je pense que des personnes ne manqueront pas de se dire que j'abuse d'Artémis, que je me sers d'elle, voire que je la manipule...

Mais en quelques années Artémis à beaucoup évolué dans sa perception de mon approche relationnelle. Bien qu'elle reste fondamentalement exclusive elle s'est ouverte, au fil de nos interminables conversation et de ses multiples lectures, aux thèses qui sont devenues miennes. Nombre de ses peurs se sont estompées et elle n'est plus aussi radicalement hostile à la liberté relationnelle que je revendique. Mieux : je la vois heureuse, alors que je l'ai connue sombre et déprimée.
J'aime notre façon de pouvoir aborder librement les sujets les plus complexes. Je ne me sens pas jugé, ni "obligé" de répondre à ses demandes. Du coup nous pouvons aller en profondeur dans l'exploration de nos âmes. Artémis a donc a voulu aller plus loin, hier, avec des questions précises. Grâce à celles-ci il m'est apparu quelque chose, qui découle directement de mes réflexions actuelles et de la conversation de la veille avec ma soeur : la place de l'amoureuse est encore prise. Qu'elle soit laissée vacante actuellement ne change rien : cette place très particulière ne peut être occupée que par une personne avec qui certaines affinités bien spéciales se sont développées. Autrement dit : s'il manque certains critères essentiels je ne peux entrer dans l'état amoureux. Même si je me sens proche d'une femme, en qui j'ai en confiance et avec qui je partage longues conversations et moments intimes depuis des années, ça ne suffira pas. Par contre ma façon de voir les relations laisse d'autres possibilités, plus ou moins durables, de relations "secondaires". Voire ternaires dans le cas de rencontres sporadiques ou incertaines. Mais entre chaque type de relation il semble y avoir une barrière relativement étanche, indépendamment de la durée.

Bon, j'espère que ces déclarations ne me vaudront pas, une fois de plus, des mails de réactions outrées de lectrices du type "amour exclusif". Sauf si c'est pour chercher à comprendre :)


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Le ferment de l'altérité




Jeudi 7 août 2014

Envie de repréciser, parce que je le constate souvent - non sans une certaine frustration -, que ce que je livre de moi ici me semble bien plus pauvre et étriqué, égocentré et rabougri, que ce que j'échange dans des conversations de vive-voix ou même par correspondance privée. Il y a alors, grâce au ferment de l'autre, une spontanéité inventive, une créativité de l'inattendu et, oserai-je dire, une inspiration qui fait défaut dans le monologue solitaire.

J'avoue ne pas aimer me retrouver seul devant une page dont je sais par avance qu'elle aura une tonalité un peu trop personnelle, pensant déjà au moment où elle sera exposée à des regards. Mais je sais aussi que c'est parce que j'ai ce temps "face à moi sous d'autres yeux" qu'émergent les amorces de réflexion qui se développeront plus tard. J'ai besoin de l'altérité pour me désengluer de mon égo, mais j'ai aussi besoin d'une solitude ratiocinante pour poser des jalons et avancer. Le souffle qui me porte, je le sens s'animer grâce à la présence de l'autre.

Il fallait que ce soit dit.



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De l'influence des nuages sur l'inspiration du diariste




Dimanche 10 août

Y aurait-il un lien de cause à effet entre la météo et la fréquence de mes écrits ? La question se pose alors que le mois de juillet, aussi nuageux et pluvieux qu'un mois d'octobre, m'a fait retrouver une prolixité dignes des années fastes. Je crois cependant que ce retour correspond plutôt à une échéance qui m'a fait hâter le rythme. Les dates anniversaires me servent de repère et je me suis mis en tête de franchir une nouvelle étape pour les dix ans qui se sont écoulés depuis l'ultime contact réel avec N. En m'annonçant ce jour-là qu'elle « savait qu'on ne se reverrait jamais » elle a non seulement activé, sans le savoir, une colère qui allait enfler dans le silence, mais a surtout laissé champ libre à l'imaginaire qui allait me porter durant toutes ces années...

Mais finalement... n'était-ce pas la meilleure façon de me laisser en explorer l'étendue ? Aurais-je eu accès à ce qui était en moi si je n'avais pas eu une latitude illimitée ?



J'ai plusieurs fois mentionné le terme "idéalisation" ces derniers temps, et je ne voudrais pas qu'il soit compris dans un sens trop éloigné de celui que je lui donne. L'idéalisation dont je parle n'est pas une quête éperdue de perfection, par nature inatteignable. Non, je n'en suis plus là : à vingt ans, déjà, je l'avais compris et y avais renoncé [trop tôt ?]. L'idéalisation dont je parle actuellement serait plutôt une tendance à percevoir l'autre sous les traits d'une personne aimable [terme qui reste à définir]. Et euh...

Que veux-tu dire par "aimable" ?

Ah oui, tu fais bien de venir à mon secours, je sens que je vais en avoir besoin pour clarifier certaines choses. Aimable, donc, ça veut dire : pas dur, pas agressif, pas impatient, pas autoritaire.

Je ne te demande pas ce que ce n'est pas, mais ce que c'est.

Ben... le contraire : doux, calme, patient, à l'écoute...

Et bienveillant, gentil, attentionné...

Euh...

Ah oui, je vois... on appelle ça une mère

Ah ben non, c'est pas ça ! C'est pas une mère que je cherche, c'est juste que j'ai pas envie de me farcir les débordements émotionnels et pertes de contrôle de l'autre. J'ai pas envie que l'autre tente de règler sur moi ses propres difficultés à vivre la contrariété. Je crois que j'ai assez supporté, depuis mon enfance, les crises de mal-être de mes proches [mon cher père...]. Ouais, c'est ça : j'ai plus envie de devoir encaisser !

Ouh la ! Une réaction saine sur le fond, mais un peu vive sur la forme...

C'est vrai. Il apparaît donc que ça me révolte encore :) Ce qui est sûr c'est qu'aujourd'hui il m'importe que les partages aient lieu hors de tout contexte hostile. Ces conditions je les trouve avec des personnes qui ont envie de cheminer et qui ont... l'humilité nécessaire pour cela.

L'humilité ?

Oui, la capacité de remettre en question leurs idées, voire leurs certitudes, de reconnaître leurs erreurs, de n'être pas persuadées d'avoir raison parce que ça les fragiliserait trop de changer d'avis.

Tu penses à qui, là ?

À toutes ces personnes que j'ai cotoyé de près ou de loin et par qui je me suis laissé imposer une vision des choses... par ignorance, naïveté, faiblesse, ou par peur de je ne sais quoi. Peur de les fâcher, de les blesser, de les perdre...

Hmm... je vois...

Je pense aussi à toutes ces personnes à qui j'ai accordé une confiance excessive, en croyant que nous étions sur la même longueur d'onde en termes d'ouverture et de respect.

Oh là, je t'arrête tout de suite :
Primo, tu sais bien que tu n'as pas toujours été à la hauteur en termes de respect et d'ouverture !
Deuxio,
si tu as accordé une confiance excessive... tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même !
Tertio, tu n'as pas à attendre des autres qu'ils s'adaptent à toi.

Oui, je sais... et j'ai un peu honte de tout ça. Non, c'est plus fort : je m'en veux ! Beaucoup [mais je me pardonne aussi...]. J'aurais voulu "réparer" mes erreurs dès que je m'en suis rendu compte, mais ça n'a pas toujours été possible, hélas. Le point positif, quand même, c'est qu'en voyant les conséquences j'ai pris conscience des changements à opérer. Un patient travail de reconstruction me permet de croire aujourd'hui que j'ai assez radicalement changé sur ces points-là. J'en ai terminé avec les affrontements et les disputes ! Je n'entretiens plus ce genre de conflits.

Mais c'est normal de se disputer, ça fait partie de la vie...

Conneries ! Ce qui est normal c'est le désaccord, les différences de point de vue, pas de faire pression sur l'autre lorsque sa façon d'être ou de penser nous déplaît.

Tu es bien intransigeant !

Disons que je sais ce que je ne veux plus vivre :)
Quand une personne veut imposer à une autre sa façon de voir les choses... elle n'est plus dans une relation égalitaire. Les différences ça se discute, ça s'écoute, ça donne l'occasion de préciser les choses, autant pour l'autre qu'en soi. Mais si on commence à s'attaquer... on entre dans le conflit et la violence. Dialoguer dans ces conditions ne m'intéresse absolument pas.

N'idéalises pas trop les relations humaines : chacun fait ce qu'il peut...

Je sais...

Mais justement, revenons un peu sur l'idéalisation. Tu parlais de percevoir l'autre sous les traits d'une personne aimable... mais à quel genre d'autre fais-tu allusion ?


Quand je dis "l'autre", je veux parler de "l'autre qui me plaît". Ou, plus simplement, "l'autre que j'aime" [au sens large]. En effet, lorsque mon imaginaire n'est pas bridé il me conduit spontanément à voir en l'autre qui me plaît une "belle personne" [selon des critères très personnels...]. Inversement, lorsque l'attitude de cet autre [au féminin, en général] me déplaît j'imagine rapidement des scénarios noirs, issus de mes craintes : indifférence, rejet, froideur.

C'est, je pense, ce qui fait que j'avais besoin d'un dialogue soutenu, autrefois, afin d'être "rassuré". J'avais besoin de contacts relativement fréquents pour sentir que je comptais pour "l'autre que j'aime". Sans cela mes doutes pouvaient reprendre le dessus et me miner peu à peu. Je ne me rendais pas compte que ce besoin, dont j'attendais qu'il soit comblé, pouvait exercer une pression sur l'autre. Une pression qui pouvait déclencher des réactions défensives en retour... et me plonger dans un douloureux mal-être [ben oui, parce que j'aime bien qu'on m'aime...].

Il m'a fallu apprendre à devenir un peu plus autonome.

Aujourd'hui je constate que, bien que je n'aie pas acquis une confiance immodérée en moi, je n'ai plus besoin d'être rassuré sur l'intérêt que l'autre me porte. Certes j'ai encore besoin de me sentir apprécié... mais pas qu'on me le signifie souvent. Si je ne ressens pas cet intérêt, si j'en doute... je m'adapte. Cela ne me place plus dans l'attente qu'il me soit manifesté de l'attention. Autrement dit : je ne dépends plus vraiment de l'autre, ni de ses envies. Je m'ajuste à ce qui en émane, exprimant moi-même un peu plus mon intérêt ou prenant un léger recul pour être à la bonne distance. C'est une autonomie que j'ai conquise par la douleur, mais dont je perçois jour après jour les bienfaits en matière de liberté.

Je reste bien sûr sensible à tout ce qui émane des gens que j'aime et ressens donc douleurs et douceurs, mais je parviens la plupart du temps à gérer cela en moi, sans l'extérioriser. Les seuls moments où je me vois contraint au repli sont ceux de fermeture manifeste de l'autre, ou d'hostilité caractérisée, voire de violence verbale, aussi subtile soit-elle. J'ai beau savoir que ce sont des signes de mal-être ou de peur, ma capacité à les endurer sans vaciller atteint très vite ses limites. Mais ce sont, et je m'en réjouis autant que je m'en étonne, des situations que je ne connais pratiquement plus...

Alors il n'y aurait plus d'idéalisation ?

Et bien si, il peut y en avoir lorsque j'ai encore des attentes. Et c'est là que ma propension à imaginer l'autre sous son meilleur jour peut me jouer des tours auxquels la réalité peut mettre abruptement un terme. Parce que "j'oublie" que l'autre peut vivre les chose très différemment de moi dans l'absence. J'ai tendance à croire qu'il y a un cheminement, une volonté d'écoute, de conciliation, d'apaisement et que forcément, viendra le jour où le dialogue pourra reprendre sur des bases assainies. C'est ça mon idéalisation : que l'autre ait la même envie que moi de retrouver ce qui nous a fait nous apprécier pendant un certain temps.

Mais chacun change et évolue et ce qui a rapproché deux personnes un jour n'était parfois qu'une coïncidence, une synchronicité.

Peut-être...
Je me dis aussi que tout cela est une question de croyances : si on imagine qu'une relation qui se complexifie a un moment donné indique sa fin prochaine, on réagit autrement que si on croit que ce n'est qu'une crise qui demande à se résoudre.

Oui, mais tout le monde n'a pas envie de dépasser une crise. On peut très bien imaginer qu'une crise marque la fin du parcours commun.

Probablement. J'ai encore beaucoup à apprendre du mode de pensée des autres...



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L'anniversaire outrepassé




Vendredi 22 août 2014


Aéroport de Genève, il y a une quinzaine de jours. Je raccompagne mon fils pour son dernier trajet vers Beyrouth, ville dans laquelle il a vécu pendant plus de deux ans. Il achève un bref aller-retour pour le mariage de sa cousine, nous ayant fait le plaisir de retrouvailles anticipées avant son retour définitif en France, prévu le 21 août, c'est à dire hier. Le moyen de transport qu'il a choisi pour revenir en France m'inquiète un peu : la moto. Assurément une belle aventure, puisqu'il a prévu trois semaines de trajet et de détours, mais pas sans risques. Mesurant au moment de son départ combien nos vies sont précaires je veux garder le contact avec lui le plus longtemps possible. Jusqu'à son entrée dans la zone internationale je l'accompagne, puis le suis du regard tandis qu'il attend son tour pour passer à travers le filtre des contrôles de sécurité. De temps en temps il se retourne et me sourit. Après qu'il soit passé de l'autre coté nous échangeons un dernier regard, un dernier signe de la main... puis il disparait, masqué par les portiques, dans le couloir que je devine bordé de luxueuses boutiques Duty free. Inexorable éloignement des corps. Encore proches mais déjà séparés. Chacun retrouve son univers, sa solitude.

Cette scène, c'est la reproduction de l'ultime contact visuel que j'eus avec N., il y a dix ans, à l'aéroport de Lyon. Un dernier échange de regards, un signe de la main... et puis elle disparut. Jamais je ne l'ai revue.

Dix ans...

L'approche de la date anniversaire avait, bien avant de constater la similitude des scènes d'adieu, réactivé ma réflexion et mis en mouvement certains éléments de mon histoire. Je pense notamment à des aspects peu développés dans ce journal ou sciemment omis mais sur lesquels j'ai toujours pensé qu'il me serait nécessaire de revenir un jour. Ce dixième anniversaire pouvait être une occasion de dévoiler ce que j'avais volontairement maintenu sous silence et, ainsi, me libérer d'une certaine culpabilité. Peut-être cela allait-il pouvoir agir sur mon cheminement ?

Le mois de l'anniversaire approchait mais quel jour était-ce, exactement ? En soi la précision de la date n'avait pas d'importance et c'est pourquoi je ne l'avais pas mémorisée. C'est ce qui s'est déroulé avant et surtout après qui a profondément marqué mon esprit, ma vie, jusqu'au temps présent.

Les archives de mon journal allaient me révéler que cette date, le 14 août 2004, était plus précoce que ce que je croyais. Bien qu'il ne me restât que peu de temps, je n'ai rien hâté : tout cela n'avait guère d'importance. En me laissant aller à relire quelques pages de mon journal, d'août à octobre 2004, j'y ai retrouvé mes émotions du moment. Celles que j'avais transcrites, sachant qu'elles seraient lues, mais aussi une "vérité" cachée que j'ai gardée en moi toutes ces années. Une vérité sensiblement différente du message que je voulais faire passer à ce moment-là. Car ce que je racontais alors n'était pas écrit pour moi, mais pour donner une certaine image de moi. En particulier envers N. qui allait, je le savais, continuer à me lire. Aussitôt après avoir accepté la « suspension » de la relation, j'ai joué un rôle : celui du détachement. Je voulais afficher clairement ma capacité à surmonter la blessure. Je voulais montrer que j'étais à la hauteur. Cela n'a pas duré longtemps puisque dès les premiers jours je laissais paraître mes doutes quant à la viabilité de cet éloignement plus ou moins librement consenti. N. avait choisi le sabordage et je crois que je lui en voulais confusément... tout en reconnaissant que ce choix me donnait la bouffée d'oxygène dont j'avais besoin. À ce moment là j'étais dépassé par l'incroyable complexité du réel et j'avais besoin de temps pour traiter les problèmes un à un. Sauf qu'en acceptant la désolidarisation temporaire avec N. je ne mesurais pas les dimensions de la béance qui s'ouvrait, laissant le vide happer tout ce qui avait été "nous".

Un jour je reviendrai probablement sur ce qui s'est passé durant cette période déterminante qui, d'une façon étonamment rapide, allait voir N. passer le statut de la relation de « suspendue » à celui de « arrêt ». Une subtile variation sémantique qui allaient me plonger dans le plus grand désarroi et déclencher un maëlstrom d'émotions contraires.



J'en étais donc là, ces derniers jours, à me demander ce que j'allais libérer pour le dixième anniversaire d'une "fin" aussi rocambolesque que surréaliste. Les pensées cheminaient tranquillement dans mon esprit, soulevant des questions sur la judiciosité de dévoiler tel ou tel élément. Je sentais que le moment était venu de passer un cap. Dix ans de secret, c'était probablement suffisant. En même temps, il s'était passé tant de choses depuis...

Mais les évènements de ma vie actuelle ne m'ont pas laissé le temps de saisir l'opportunité de la date anniversaire. Le 13 août j'étais avec mes parents, en villégiature dans leur vieille maison du Vercors. Celle-là même où j'avais accueilli N. il y a dix ans ! Coïncidence à laquelle je n'ai pas accordé plus d'importance que ça.

Le 14 août je recevais mon amie S., pas revue depuis... six ans. J'ai rencontré S. sur un forum consacré aux amours plurielles à l'époque où, entré dans cette situation sans l'avoir voulu, j'avais besoin de partager mes interrogations. Par la suite S. devint lectrice de mon journal, puis confidente, et elle connaît donc mon histoire dans ses moindres détails. Ceux que je divulgue dans mes écrits et ceux que je ne dévoile pas. En échangeant de vive-voix pendant plusieurs heures sur nos vies respectives, passées et présentes, il a longuement été question de mon histoire avec N. Une occasion de faire le point avec un autre interlocuteur que moi-même...

La date anniversaire a été évoquée, sur le plan de l'anecdote. Je pense cependant que la conjonction de cette date, de la réflexion menée à cette occasion, et du dialogue approfondi avec S. a changé quelque chose en moi. Bien mieux que la réflexion que j'aurais pu mener en solitaire face à mon journal, le partage d'impression, l'analyse factuelle selon deux angles de vue, semblent avoir libéré quelque chose.

Aussitôt S. partie, au soir du 15 août, je rejoignais A. pour passer deux jours ensemble. Dialogue, de nouveau, autour des dynamiques relationnelles diverses, de l'attachement, de l'amour, de la fidélité de l'esprit et de celle du corps. Et puis deux randonnées en montagne, dans des espaces bien plus propices aux sensations corporelles qu'à la réflexion.

Si bien que lorsque je me suis de nouveau trouvé seul... la date anniversaire était passée ! L'échéance que je m'étais vaguement fixée était dépassée. Outrepassée. Souci de ponctualité un peu idiot puisque quelques semaines plus tôt j'ignorais le jour exact de mon ultime contact visuel avec N. Il n'empêche que "quelque chose" s'est passé dans ma tête et que, depuis,... toute cette histoire me semble fort ancienne. Je n'y ai plus pensé.

C'était quand, déjà ?
Il y a dix ans !
C'est tellement loin...


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Sans ostentation superflue



Samedi 23 août 2014


En me demandant pourquoi mon journal était résolument tourné vers la dimension relationnelle-intime, j'ai subitement réalisé que mes premières lecture de journaux en ligne, du moins ceux avec lesquels j'avais le plus accroché, avaient cette coloration. Un affinité assez logique puisque c'est la tonalité qu'avait mon journal personnel avant que je ne découvre ceux que d'autres publiaient sur le net...

À l'aube du nouveau siècle il y avait le journal de Sophie et ses multiples amants, celui de Mongôlo évoquant Mme BB, celui de Liloo et de son Gaëtan, celui d'Azulah et ses deux hommes... et bien sûr celui de N. qui narrait avec talent ses entichements et déboires sentimentaux. C'est à ce lait que je me suis nourri, le trouvant tout à fait à mon goût.

Tous ces diaristes ont depuis longtemps cessé d'écrire, du moins sous ces identités, et peu à peu cette dimension de l'intimité relationnelle a disparu du net. Il en existe peut-être mais je n'en ai pas revu. Serais-je le seul à écrire encore dans ce registre ?

Quoique... est-ce vraiment dans ce registre que j'écris ?

Il me semble que, bien qu'une histoire relationnelle serve effectivement de support à mes réflexions, c'est autre chose qui s'élabore dans mes pages. Puisque plus rien ne se vit concrètement dans cette histoire-support, je crois que l'intérêt que je trouve dans la démarche réside dans l'évolution de ma pensée face à une impasse avérée. Le refus de toute communication, que j'ai parfois appelé "mur d'incompréhension", n'est aujourd'hui plus un obstacle à dépasser. L'accepter ne représente même plus un défi, puisque je crois l'avoir largement relevé. Mais la trace laissée par ce silence tenace est aujourd'hui un repère précieux. Celui à partir duquel j'ai élaboré une nouvelle façon d'être en relation.

Récemment j'ai songé à la décennie écoulée depuis mon dernier contact physique avec N. Je ne l'ai pas caché, je me suis parfois senti vaguement honteux d'être ouvertement « encore là dedans » après autant d'années. En même temps je suis convaincu d'avoir fait au mieux, et d'y avoir consacré mon énergie sans compter. Alors finalement je me suis rendu compte qu'au contraire je pouvais être plutot fier de ma persévérance : être encore là dix ans après, à chercher à comprendre, à réfléchir sur mes erreurs passées, à agir pour changer en profondeur. Là où d'autres auraient depuis longtemps « tourné la page », je suis resté... fidèle à la démarche entreprise. J'ai gardé mon cap, bien que j'aie dû faire moult détours pour m'adapter à ce que la vie me proposait.

Dix ans à réfléchir aux raisons d'un échec, afin de ne plus reproduire ce qui y avait conduit. Dix ans à "travailler" sur moi-même pour dépasser les blessures, la colère, la tristesse et constater que cela a porté ses fruits. Cette épreuve fût le prix à payer pour m'émanciper. Le regard que je porte sur les relations a changé. Je suis devenu plus libre en acquérant l'autonomie affective qui me faisait défaut. A tel point qu'aujourd'hui je me vois capable de vivre une relation tout à fait sainement. Sans attentes, sans difficultés, sans douleur. Mieux : je peux accepter celles-ci de la part de l'autre sans crainte d'être débordé ! Je me vois même capable d'accompagner l'autre sur son chemin d'émancipation...

Je suis heureux du chemin parcouru et, oui je l'avoue, j'en suis fier. Sans ostentation superflue.


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Humilité



Dimanche 24 août 2014


J'ai souvent pris en pleine gueule l'affichage de ma prétention. Pour qui me prenais-je à ainsi décrire des comportements sur la seule foi de mes impressions ? Qu'est-ce que je savais de la vérité de l'autre, de son intime conviction, de sa tentative de faire au mieux avec les moyens à sa disposition ?

Rien. J'imaginais et extrapolais une improbable réalité.

Je sais que tant que ne serai pas suffisamment humble je me blesserai sur les reliefs de mon arrogance. Ma paix viendra avec l'acceptation de mon ignorance. C'est le travail auquel je suis convié depuis que j'ai laissé passer ma chance. En quelque sorte je n'ai plus eu qu'à saisir l'autre chance qui m'était offerte : racheter mon âme égarée. Peut-on être fier d'aller vers l'humilité ? Peut-être... car c'est reconnaître qu'il reste du chemin à parcourir.

Je pense souvent à Elle, qui fût mon guide, mon maître. Elle refusait que je la considère ainsi, craignant peut-être que je fasse fausse route. Ce n'est que bien plus tard, c'est à dire récemment, que j'ai compris une chose importante : c'est l'élève qui trouve son maître. C'est l'élève qui reconnaît le maître, que ce dernier accepte ou refuse la posture ainsi donnée.

Par je ne sais quel hasard, à ce moment-là de ma vie, j'ai croisé la route de celle qui disposait d'un savoir dont j'avais soif. Ce qu'elle a partagé avec moi était son expérience, son vécu, son intérprétation, et j'y ai trouvé ce dont j'avais besoin. Le regard qu'elle a porté sur moi m'a donné la confiance nécessaire pour l'approcher de plus près. Magie des rencontres...

Ma pensée d'aujourd'hui est issue d'un héritage qu'elle m'a transmis sans le savoir. Qu'elle l'accepte ou non je garde une part d'Elle en moi, et réciproquement selon toute probabilité. Les relations fortes rendent les êtres poreux. En s'ouvrant mutuellement à l'autre on lui lègue aussi un peu de l'essence de soi. Je suis imprégné d'elle, comme s'il s'agissait d'un parfum. Je reste moi, mais teinté d'Elle et de nous. Cela ne tient pas d'un romantisme niais : c'est ainsi. Je le constate à chaque fois que je discute et que ma pensée développe des idées : c'est un peu de sa pensée qui se diffuse à travers la mienne. Tout ce que j'ai adopté d'Elle, je sais d'où je le tiens. Et si je me le suis "approprié", je sais en reconnaître l'héritage. Sans Elle je ne penserais pas ainsi. Ma pensée à beau avoir évolué depuis, fructifié, s'être autonomisée, je sais d'où elle provient. Et je lui en suis reconnaissant.

Elle n'est évidemment pas la seule à qui je doive une partie de ma pensée, mais elle est sans doute celle qui m'aura transmis le plus d'éléments nouveaux. Je reconnais en moi d'autres enseignements que le sien, mais aucun autre guide ne m'a autant appris. Seuls mes parents, dans leur rôle fondateur bien particulier, m'ont imprégné davantage. Et c'est grâce à elle que j'ai pu voir le monde autrement...








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