Mai 2014

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  Touché




Jeudi 8 mai 2014

Un micro-évènement vient de perturber la placidité de ma steppe sentimentale. Je ne m'y attendais pas, aucun élément annonciateur ne le laissant présager. Et pour cause : c'est une inconnue qui l'a provoqué. Tout a commencé en ce premier jour du mois, fête du muguet, lorsqu'une lectrice venant de découvrir mes écrits m'a fait part de ses impressions, après avoir "reconnu" en moi une sorte de jumeau de l'homme qu'elle aime.

Elle m'a d'abord écrit un mail, puis une deuxième dans la foulée.
Lundi, alors que mon délai de réactivité habituel ne m'avait pas encore permis de lui répondre, un troisième mail arriva. Cette fois elle me titillait, me demandant si je ne me sentais pas « prédateur » dans ma façon d'être en relation, me questionnant sur la démarche « égocentrique et nombriliste » de mon écriture, pointant sur « le choix de la facilité à ne pas prendre de risques ». Généralement je ne perds pas trop de temps à me justifier quand ça démarre comme ça mais, là, je dois dire que son histoire, son désarroi de femme amoureuse d'un homme qui ne l'est pas (seulement "ami"), m'a touché. Évidentes résonances avec ma propre histoire, actuelle et passée. J'ai eu envie de l'aider dans sa démarche de compréhension, en lui faisant part de ma propre expérience dans les deux postures inversées. Et puis, je l'avoue... quelque chose en elle m'a plu. Sa franchise, sa recherche, son envie de comprendre, sa lucidité. Son intérêt pour mes écrits, aussi. Je l'ai sentie "proche". Alors, sans plus attendre, je me suis lancé : un mail d'une page, comme je n'en écris plus guère. J'ai écrit avec conviction et fluidité, inspiré par son histoire, sa difficulté, notre similitude et une sympathie particulière. Oui, j'étais tout simplement touché par ce qu'elle me disait d'elle et de son présent relationnel. Je l'ai immédiatement appréciée, cette inconnue.

Sauf qu'aussitôt après réception de mon mail elle m'avisa qu'elle préférait ne pas aller plus loin avec moi ! Elle mettait en évidence une ressemblance apparente avec l'autre homme, avec possible transposition, et pressentait quelques risques à entreprendre une correspondance avec moi. Bigre ! Arrêter, déjà ? J'aurais pu en prendre acte et cesser là, mais j'ai voulu... euh... j'ai voulu quoi, en fait ? Je crois que j'ai ressenti le désir, moi, d'aller plus loin. Plus loin parce que son arrêt, vraiment inattendu, ravivait des souvenirs un peu glauques. Héé, c'est quoi ça ? On me sollicite puis on me ferme la porte ? J'avais envie d'aller plus loin en moi-même, aussi, puisque les similitudes avaient remis en mouvement certaines réflexions sur les rapports affectifs tourmentés. Plus loin "avec" elle, enfin, parce que j'avais été touché et qu'elle me laissait en plan au moment même où je sentais se ranimer... je ne sais quoi. Et là je me demande, maintenant, si ce n'est pas cet arrêt qui aurait donné une intensité supplémentaire à l'attraction. Comme si la fermeture du dialogue me galvanisait !?  Quoi qu'il en soit, à un moment donné, j'ai senti ce "fluide" particulier qui se met à circuler lorsque je rencontre une personnalité qui me plaît et m'attire. C'est assez rare, finalement. C'est même très rare.

Non : ce qui est rare c'est que ça dure.

Mais je n'ai pas réfléchi à tout ça, sur le moment. Reprenant des éléments du mail au terme duquel elle disait vouloir en rester là pour se protéger, j'en ai écrit un second. Forcément la tournure de l'échange à peine ébauché avait un peu changé. Sans remettre en question l'achèvement souhaité j'ai tenté d'apporter des éléments de compréhension basés sur mon propre parcours. Mais j'ai manifestement été maladroit puisque, en retour, j'ai eu droit à des remarques assez acerbes, moquant mon attitude "accompagnante" et m'accusant d'égoïsme face à ma façon de vivre les relations. Ah ben merde ! Et comme l'identification était toujours là, il y a aussi eu des accusations équivalentes envers l'autre homme, qui ne répond pas à ses attentes en matière d'investissement sentimental. Alors j'ai écrit un troisième message, tentant d'expliquer longuement que cette vision des choses, reportant systématiquement sur l'autre la responsabilité de la souffrance ressentie, était une impasse. Évoquant ma propre histoire, vécue depuis les deux postures, j'ai tenté d'en appeller à sa prise de conscience quant à sa responsabilité personnelle dans ce qui lui arrive. Pour moi c'est la seule voie de salut. Mais mon courrier a semble t-il été perçu comme un prêche ! Avec comme sanction la décision d'en rester là pour de bon.

Ok ! Je n'irai donc pas plus loin.

La fermeture au dialogue et les accusations inappropriées m'ont blessé. J'ai trouvé ça injuste. Plus profondément j'ai été déçu : mon expression a loupé son but. Plus profondément encore ma déception provient du fait que je n'ai pas réussi à maintenir un dialogue... qui me plaisait.
Un ultime échange de mail nous permis de clore "proprement" ce matin, chacun reconnaissant avoir blessé l'autre sans l'avoir voulu. Trop de sensibilités de part et d'autre.

Tout ça en seulement... trois jours !
Bon, l'épisode aura été bien trop bref pour qu'il m'affecte vraiment et je m'en remettrai sans difficulté. Il n'empêche que je peux tirer quelques enseignements de cette mésaventure aussi brève que dérisoire. D'abord que rien de ce qui peut m'animer n'est mort. Il suffit que je rencontre une personne capable de raviver mon énergie pour que ça démarre au quart de tour. Un argument que je pourrai resservir à celles qui croient que mon système de protection bride mes élans. Non : si je reste "en sommeil" c'est que je ne trouve pas en face de moi les étincelles qui peuvent réveiller ma vitalité. Je le savais, mais ça me fait du bien de le voir confirmer...

Ensuite je constate que je demeure sensible aux mêmes choses qu'auparavant, même si le fait de connaître ces sensibilités me permet d'adapter mes attitudes. Sensible aux personnes qui vibrent aux mêmes préoccupations que les miennes, aux personnes "en recherche". Mais sensible aussi à toute forme d'agressivité... qui peut rapidement déclencher la mienne en retour. Il aura suffi que cette femme "m'attaque" sur ma façon de vivre les relations, me reproche de ne pas protéger l'autre de lui-même, et disqualifie ma façon de rester à l'écoute pour que j'entre dans un système défensif. J'ai bien tenté de m'exprimer de façon équilibrée mais apparemment je n'y suis pas parvenu.

Là où j'ai évolué, en revanche, c'est que j'accepte de me désengager rapidement d'une situation dès qu'elle vire au règlement de comptes. S'il commence à y avoir davantage de critiques négatives que d'appréciations positives, il est temps que je me replie (peut-être pas encore assez vite...). Je n'ai plus aucune envie d'entrer dans des zones de conflit, et encore moins d'y demeurer. Si ne prédominent pas le respect, la bienveillance, et une relative douceur des propos (ce qui n'empêche pas qu'ils puissent être fermes si nécessaire), je préfère me mettre à l'écart. Je ne cherche plus à maintenir le contact pour tenter de clarifier et apaiser, depuis que j'ai admis que cette démarche hasardeuse pouvait faire empirer une situation délicate. C'est donc sans aucun regret que j'ai laissé partir celle qui, le temps d'un éclair, m'aura rappellé que je guette encore, malgré moi, une âme soeur...

Qui aurait cru qu'une inconnue puisse, en trois jours, m'amener de nouveau dans ce registre de pensée ?




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Microcosmique



Samedi 10 mai 2014


Qu'est-ce qui me fait écrire [et publier !] un billet comme le précédent ? Pourquoi raconter dans le détail des faits aussi anecdotiques qu'un téléscopage dont la brièveté dans mon existence ne laissera pas plus de trace qu'un souffle d'air ? Peut-être parce que cette pseudo "rencontre" a représenté, en condensé sur trois jours, ce qui peut se produire sur un temps plus long... Ou alors, plus probablement, parce qu'elle présente quelques ressemblances avec l'autre histoire, celle dont je ne parle plus. Une attirance, des blessures, la fin. En un raccourci express : aussitôt né, la mort ! Une étincelle...

Le plus étrange c'est que je suis capable de consacrer un temps incroyable à décrire un évènement infime, lui donnant ainsi une importance textuelle totalement démesurée par rapport à son impact sur moi. Ou comment faire d'un évènement microsopique un simili cataclysme interplénataire. C'est TF1 qui débarque chez Microcosmos : coup de projecteur et envoyé spécial sur un univers réduit à quelques mètres carrés. Disproportion dans l'échelle d'observation. Bah oui c'est ça l'introspection : analyser le monde en le réduisant à mon ego sensible.

Passionnant...
:o/

Pourquoi me suis-je arrêté sur un fait aussi insignifiant, objectivement parlant ? Parce que subjectivement, cette mini-mésaventure, cette poussière d'aléa, a une importance : symbolique. Reproduction d'un schéma relationnel auquel je suis sensible. Inutile de revenir dessus, mon journal ne parle que de ça : l'attente (la quête ? la recherche ? le désir ? l'espérance ?) de l'Amie. Avec une majuscule au début et le "e" du féminin à la fin (voire avec un "s" derrière le "e"...). L'Amie, c'est la une personne en qui je pourrais avoir confiance et avec qui je me sentirais en phase. En harmonie. Toute la difficulté de la recherche découle du "et" central...

Des personnes en qui j'ai confiance, j'en connais. Mais celles avec qui je me sens vraiment en phase... euh... je me demande si ça existe. Non, c'est pas ça : je me demande si ça existe durablement. C'est toujours dans la durée que ça finit par coincer : vient un moment où l'attirance initiale se heurte aux limites de la concordance des idées. Ou à celles des attentes, des représentations, des sensibilités, des rythmes de vie. Peu importe : ça finit toujours par coincer quelque part. En tout cas jusque là ça a toujours fini comme ça [sauf quand la relation esr restée suffisamment distante, "détachée", sans trop d'affects...].

Bon, y'a pas de quoi en faire une histoire, hein. Ça ne m'empêche pas de vivre.

Et pourtant... pourtant j'ai l'impression de ne parler que de ça, d'une façon ou d'une autre. Comme si j'étais obsédé par cette hypothétique, mais souhaitée, rencontre de l'Amie. Sauf que je ne me sens absolument pas tourmenté par ça. J'y pense parce que j'en ai le temps. C'est important, certes, voire essentiel, mais pas vital. Hors de mes écrits ça ne me préoccupe guère. De vagues pensées de temps en temps, régulièrement réveillées par la conscience du temps qui passe.

Et ce journal pour principal témoin.



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L'ami(e)



Dimanche 11 mai 2014


Ce n'est certainement pas un hasard si j'ai bloqué, il y a trois jours, sur le bref télescopage avec Miss Étincelle. Cette étoile filante a fort opportunément réveillé l'observateur assoupi, lui rappelant sa quête d'amitié...

C'est quoi l'amitié dont je parle ? Ma définition de l'ami(e) est la suivante : une personne en qui j'ai confiance et avec qui je me sens bien. J'ajouterais volontiers, mais c'est déjà trop m'avancer : une personne que j'aime rencontrer et que j'aurais envie de revoir. Mais là, attention : en me projetant ainsi vers un avenir souhaité, j'induis une attente. Je cherche à orienter les choses. Or l'amitié ne devrait rien attendre, si ce n'est la confiance sans laquelle elle ne peut exister. Il serait donc préférable que je m'en tienne à ma première définition, sans faire intervenir la notion de durée. Seulement au présent. Ainsi je pourrais avoir comme ami(e) une personne rencontrée dans une soirée, dans un train, ou le temps d'une conversation impromptue ? Euh... non, là ce serait un peu court. Il faut quand même que ça dure un peu. Alors, notion de durée quand même. Mais quelle durée ?

Ma définition interne associe automatiquement à l'amitié l'idée de longue durée. L'amie(e) ce serait une personne en qui je peux avoir confiance durablement. Sauf que cette idée de longue durée, ce désir d'avenir, pervertit ma définition première de l'amitié. Il vaudrait donc mieux que je m'en tienne au constat de durée, sans projection vers l'avenir : l'ami(e) est une personne en qui j'ai confiance depuis... un certain temps.


Faisons un détour par le dico. Le Larousse définit ainsi l'ami(e) : « personne avec qui on est lié par une affection réciproque ».
Il n'y est pas question de confiance, ni de durée, bien qu'implictement ces deux éléments fassent partie du "lien d'affection réciproque". En fait ça reste assez vague...

Résumons : si je m'en tiens à une définition qui n'inclut pas la durée, alors j'ai eu des centaines d'ami(e)s au cours de mon existence. Maintenant si je regarde le présent en incluant la notion de durée... euh... le nombre actuel d'ami(e)s se réduit à... je ne saurai même pas le dire. Que penser des ami(e)s qui ont disparu de mon champ relationnel ? Puis-je encore les considérer ainsi ? Et surtout, puis-je considérer comme ami(e) les "liens d'affection réciproque" actuels sachant que rien de me garantit que cela durera ?

Oui, j'ai quelques difficultés à situer l'amitié. J'en ai une vision trop restrictive...

Plutôt que de chercher l'improbable sens universel qu'aurait le terme "ami", je vais en rester à ce qu'il représente pour moi. Observer comment je l'ai intériorisé.
D'aussi loin que je me souvienne ma mère avait fait la distinction entre "ami" et "copain", le premier étant situé à un niveau plus élevé de confiance et d'affection. Les copains étaient plus ou moins interchangeables, pas les amis. L'amitié, en somme, m'a été décrite comme quelque chose de rare et précieux. Quelque chose de sérieux, de solide, de fiable. Autrement dit : on ne devient pas amis en un jour, aussi sympathique et confiante que soit la rencontre ! L'amitié ne peut s'installer que... par la durée. Ainsi la notion de durée serait, dans mon esprit, conditionnelle de l'amitié. Pas d'amitié sans durée ! Mais une durée se jauge en regardant le passé. Or moi je pense aussi à l'avenir ! C'est là que je fais erreur. L'amitié dure tant que la confiance réciproque dure. Elle peut cesser dès que la confiance, socle sacré de l'amitié, est atteinte.

La confiance ? Quel est mon rapport à la confiance, dans les "liens d'affection réciproque" ? Et qu'est-ce qui fait que j'attache autant d'importance à la confiance ?

Réfléchir au présent sans regarder comment il s'est construit n'aurait pas de sens. Alors hop, rembobinage arrière. Rétrospective, une fois de plus. Cette fois sous l'angle des personnes avec qui j'ai connu la confiance, avec qui je me suis senti bien. Je dirais même "en sécurité".

Holala, ça remonte loin ! Direct aux origines.

Je suis probablement né, comme tout les bébés, avec une "confiance" vitale envers ma mère. Elle a duré longtemps. Les premières atteintes dont je me souvienne ne sont apparues que vers l'âge de dix ans. Sans gravité. Ce n'est que bien plus tard, à l'âge adulte, que j'ai peu à peu compris que le rapport de ma mère au monde, insidieusement, avait fortement influencé le mien. Il se peut que ma gestion de la confiance en ait été contaminée.

Avec mon père les premières blessure de confiance sont venues beaucoup trop tôt pour que je m'en souvienne. Il me semble que la peur a toujours été là. Très loin dans ma mémoire il y a le souvenir de terreurs... et en même temps d'une certaine tendresse, joviale et occasionnelle. Une relation a double face qui, je crois, m'a profondément marqué : confiance et méfiance confondues. Douleur et douceur entremêlées. Je ne savais jamais à quel moment il allait basculer dans l'agression. Je crois que j'en garderai définitivement un comportement méfiant face à l'imprévisibilité de l'autre. Et je suis prompt à l'auto-défense...

Mon frère, mon "ami" depuis sa naissance. Le premier alter ego avec qui j'ai appris à partager l'amour parental (et la violence paternelle). Mon camarade de jeu naturel. Une sorte d'évidence. Des disputes enfantines sans gravité, aussitôt suivies de réconciliations. Mais... une blessure redoutable dans la confiance : le jour où, entrant dans l'adolescence, je me suis confié à lui en tant qu'ami. C'était probablement la première fois que j'entrais dans un registre pré-adulte, abordant le thème de l'attirance vers le féminin. Lui, trop jeune, ou par jalousie, ou quoi que ce soit d'autre provenant de sa propre évolution, m'a "trahi" en dévoilant mes premières confidences. Il l'a fait par deux fois, en ma présence, malgré ma supplication qu'il cesse. J'ai déjà évoqué plusieurs fois cet épisode résolument marquant.

Trahison du frère, mais aussi de l'ami que je voyais en lui. Déterminante dans mon parcours affectif, relationnel, amical. Après le père, c'était le second représentant du genre masculin dont j'apprenais à me méfier.

Les copains. J'en ai eu très tôt, comme la plupart des enfants. Je me liais facilement aux autres pour jouer. Les premiers copains privilégiés, je les ai eu vers six ans. Des copains de classe, des voisins. Je m'associais volontiers aux garçons, en petits groupes, ne me tenant à l'écart que des bagarreurs et autres leaders autoproclamés (certains sont précoces...). En déménageant j'ai perdu ces copains, pré-amis. J'ai alors neuf ans. Arrivée dans une école de campagne, mixte. Je découvre les filles, bien qu'ayant deux jeunes soeurs. Les filles c'est un autre univers, d'autres rapports sociaux. Je me sens bien dans la mixité. Premières attirance proto-amoureuses.

A dix ans un "nouveau" arrive dans ma classe. Nous devenons très rapidement amis inséparables, tout en étant intégrés dans le groupe des garçons. Jusque là je me suis toujours senti "normal", sans avoir même conscience de cette notion. J'étais un garçon, tout simplement, sans questionnement identitaire.

Brusque tournant en entrant dans l'adolescence : transplantation dans un collège de banlieue, avec des rapports humains beaucoup moins bucoliques que ceux d'une petite école de campagne. Le monde des garçons apparaît comme plus violent, plus "viril", hostile. Des bandes de petites brutes créent un climat d'insécurité aléatoire. Je n'aime pas du tout ça. Je perds pied, scolairement. Je décroche. Je sombre. Le système scolaire n'est pas fait pour les traînards et je décroche tellement qu'on m'oriente vers une classe pour enfants en difficultés. Une déchéance qui me vaut d'être ostracisé par ceux que je prenais pour des amis : le monde des enfants est impitoyable envers les "différents". Mon meilleur ami, celui avec qui j'étais inséparable, s'allie à un autre de mes copains et les deux me rejettent. Troisième blessure de confiance. Encore de la part du genre masculin. De cette époque date mon rejet du masculin... donc d'une part de moi encore à peine émergente.

Entrant dans l'adolescence je rétablis de nouvelles amitiés, clandestines, dans un registre de confidences, de bienveillance, de douceur. Je crois que, confusément, je ressens une certaine gêne face à ces rapports homosexualisés ("homogenrés" serait plus approprié). Avec une question inconsciente mais troublante : jusqu'où peut-on se rapprocher affectivement d'un garçon ? Pas le temps de m'apesantir : le féminin m'attire sans ambiguité. Sauf qu'à cette époque l'effondrement de mon auto-estime est déjà considérable. Après m'être vu exclu, abandonné, rejeté, je me sens moins que rien. Et mon père a accentué sa pression en ce sens, devant mes piètres résultats scolaires. Bref : je suis une merde ! Je ne vaux rien. Au mieux, je me sens insignifiant. Alors s'approcher des filles dans cet état d'esprit...

Mais Cupidon me sauve : je remonte à la surface grâce au charme d'une jolie fille... qui se trouve aussi être une des meilleures de la classe.
Elle, la brillante, et moi, le discret. Miracle, nous devenons amis ! Souvent ensemble, mais jamais tous les deux seuls, dans un groupe de copains-amis à géométrie variable, je reviens progressivement à la lumière de la vie. Je retrouve un peu d'estime, et une place dans un groupe. Renaissance ! Certes je reste assez timide, un peu effacé, plutôt discret, mais je me sens de nouveau apprécié. On ne dira jamais assez l'importance de la "reconnaissance" sociale. Deux années durant, je serai de plus en plus ébloui par cette fille, amie-copine dont je suis secrètement amoureux. Hélas, cette "amitié" ne survivra pas à l'entrée au lycée. La belle se détournera de moi très vite. Nous n'avions pas investi ce lien de la même façon. J'attendais beaucoup d'elle, j'avais besoin d'elle, alors que cette exclusivité sentimentale n'était pas réciproque. J'ai vécu cette distanciation affective comme une nouvelle trahison. Du côté féminin, cette fois. Qui plus est : dans le registre tout neuf de l'amour.

Voilà, tout était posé : une série de blessures dues à une confiance surinvestie. Chacune de mes relations affectives ultérieures aura été teintée par ces quelques scènes originelles, à la fois dérisoires et puissantes.




D'amitiés, ensuite, je n'en ai nouées que très peu, et sans y trouver l'évidence que j'espérais. Il y a manqué la connivence, le plaisir à être ensemble au delà des circonstances. Je crois que j'attendais davantage que ce que j'y trouvais. Est-ce parce que je craignais que ça ne dure pas ? Non, je ne crois pas. Cette conscience ne m'est venue que très tard. Plutôt une question d'affinités, de ressemblances et de différences. De confiance en moi aussi : quelle valeur, quelle importance avais-je pour l'autre ?
[et quelle importance avaient-ils pour moi ?]. Parfois j'ai essayé de maintenir des liens lorsque l'éloignement géographique s'imposait... mais sans insister. S'il n'y avait pas de répondant je laissais filer. Je ne me suis jamais accroché.

Il y a quand même eu deux cas particuliers. Charlotte, dont je suis tombé amoureux et avec qui je suis devenu ami, confondant allègrement les deux. Elle était mon amie-soeur-amante-amoureuse. Elle était tout ! Que demander de mieux ? Là je la tenais, ma durée ! J'étais sûr que ça durerait. Sans aucun doute. Enfin je l'avais trouvée, cette fameuse confiance ! Il ne manquait qu'un élément, qui n'a rien à voir avec l'amitié : le désir. Et puis aussi cette alchimie particulière, si rare, qui exalte l'esprit. Mais pour ce qui est d'être bien avec l'autre, oui, globalement c'était le cas. Même si la vie à deux demandait pas mal d'efforts réciproques.

La suite ? elle est décortiquée dans les premières années de ce journal. D'autres rencontres, une nouvelle amie, et tout s'est remis en mouvement...

La nouvelle amitié, amoureuse, représente le second cas particulier. Il est inutile que j'y revienne, évidemment : ce journal en est imbibé à saturation. Avec cette rencontre et son évolution j'ai été amené à tout revisiter de mon rapport à l'autre ! Visiblement ce n'est pas encore terminé...

Ce qui relie ces deux cas particuliers, outre la conjonction amour-amitié, c'est que j'avais cru (espéré ?) avoir trouvé une "garantie de durée". Cette fameuse durée dont l'attente pervertit l'amitié. Je ne savais pas encore que seul le présent compte. Que la confiance se vit dans l'instant mais peut s'effondrer dans l'instant suivant. Pour un mot, une phrase maladroite, une blessure involontaire, un tempo différent. Que la durée ne se juge qu'en regardant le chemin parcouru, jamais en se projetant vers l'avenir. Et que si la durée passée renforce chaque jour la solidité de l'amitié, elle n'immunise jamais contre sa destruction. L'amitié, la confiance, restent des domaines hautement sensibles et peuvent voler en éclat si elles sont trop sollicitées.

À quelques variables près il y aura eu dans ma vie relationnelle pas mal de répétitions... jusqu'à ce que je comprenne que, décidément, ça ne pouvait pas continuer ainsi. Voilà pourquoi mes amitiés d'aujourd'hui restent plutôt modestes, à faible fréquence de rencontre, avec une affectivité modérée : je préfère les voir durer dans une certaine parcimonie que prendre le risque de les voir exploser dans l'intensité. Et si je les sens s'effilocher, je ne résiste pas longtemps. Je laisse aller...

Il n'empêche que, tout au fond de moi, je sens que je *rêve* encore de rencontrer de nouveau "l'âme soeur", l'Amie majeure et majuscule, celle avec qui la confiance sera telle que je n'aurai plus à m'inquiéter de la durée.

Mais ce n'est qu'un rêve :)


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Amitié imaginaire



Vendredi 16 mai


Ces derniers jours je me suis dit que la publication de mes états d'âme sous leur aspect le plus névrotique n'était peut-être pas la démarche la plus judicieuse qui soit. Je m'expose parfois un peu trop, ici, et avec une certaine faiblesse
[à moins qu'il s'agisse d'une lucide honnêteté ?]. Lorsque je songe avec un peu de recul à ce que je livre de moi, je sens que la gêne n'est pas loin. Or celle-ci n'existe que parce que j'imagine le regard d'un lectorat... dont je pourrais fort bien tenter de faire abstraction. Sauf que, précisément, ça m'est impossible : le lecteur est là et je le sais. J'en viens à me demander si ma persévérance dans la publication n'aurait pas pour objectif inconscient de me confronter encore et encore au regard d'autrui. Un moyen de m'aguerrir et d'aller ainsi vers une insouciance accrue à cet égard ?

Objectivement je sais très bien que l'importance que j'accorde à ces regards extérieurs est hypertrophiée : le lecteur n'accorde pas à mes écrits plus d'intérêt qu'ils n'en ont. C'est bien moi qui imagine le lecteur attentif à mes états d'âme. Ainsi, par un étonnant retournement de perspective, en craignant d'être "insignifiant" j'accorderais à mon ego une place prépondérante. Ah ! si je pouvais débarrasser mes écrits de mon ego ! J'écris pour être lu, certes, et ce regard imaginé a une fonction, mais jusqu'où suis-je prêt à payer le prix de la gêne ? Est-ce que je ne m'y blesse pas, parfois ? L'écriture analytico-rétrospective m'est-elle encore nécessaire, comme cela a pu être le cas il y a quelques années ? Qu'est-ce qu'elle m'apporte ? Qu'est-ce que je "cherche" en publiant une part choisie de mon intériorité ? Les réponses sont très floues, combinant sans aucun doute différentes motivations, pas forcément convergeantes.

La réponse globale m'importerait peu si ma pratique n'avait pas un inconvénient notoire : elle est un bien vorace dévoreur de temps. Est-ce que les bénéfices que je suis supposé en retirer valent ce sacrifice ? Oui, si j'en juge les effets sur le long terme. Non, si je songe au temps "perdu" à chaque fois que j'entre dans l'écriture reflexive. J'en suis même venu à me demander si cette façon de faire n'entretenait pas des cogitations infinies qui, sans la mise en mots, seraient emportées dans le flot du quotidien. Reste à savoir ce qui est préférable...

L'idée d'arrêter un jour m'est (re)venue : j
usqu'à quand vais-je ainsi poursuivre le décorticage de mes émotions affectives ? Ne serait-il pas salvateur que je prenne la ferme décision de quitter le monde chronophage du relationnel numérique ? Car c'est bien de cela dont il s'agit : l'écriture est pour moi un moyen d'être en relation, autant avec l'autre imaginé, plus ou moins en lien avec la réalité, qu'avec moi-même. Par ce mode relationnel je ressens des émotions, je "rencontre" [!] d'intéressantes personnes, j'apprends beaucoup. Il n'empêche : ce monde-là entre en concurrence directe avec le monde sensoriel et kinésthésique. Et lorsque je me vois un peu trop "absorbé" par le monde numérique connecté, au détriment de celui des sensations du corps, ça me dérange.



J'ai superficiellement évoqué ces questionnements avec Artémis, qui sait le lien que j'entretiens entre écriture et lectorat. Un lien qui la fascine un peu, bien qu'elle ne le comprenne pas vraiment. Elle s'est toujours étonnée du fait que je puisse me sentir en relation avec des inconnus, et leur dévoiler mon intériorité. Elle s'en dit incapable, ne pouvant s'ouvrir que dans l'intimité et une totale confiance, qu'elle n'accorde qu'à une seule personne à la fois. Mais là, après m'avoir écouté, elle m'a dit qu'elle déplorait de ne pas avoir la capacité d'écrire. Elle pensait qu'elle irait peut-être mieux si, comme moi, elle pouvait exprimer ce qui la tourmente. Alors je me suis dit qu'écrire avait des vertus dont il ne faudrait pas que je me coupe...

Une des raisons évoquées par Artémis, pour expliquer qu'elle ne pourrait pas écrire sur internet, est qu'elle aurait besoin de sentir qu'elle contrôle ce qu'elle donne d'elle. Cela m'a imédiatement fait penser à ces quelques personnes qui m'ont dit, en me rencontrant, que j'étais « dans le contrôle ». J'en avais été un peu vexé, parce qu'au contraire j'avais l'impression d'être au plus près de ce qui m'était possible *à ce moment-là* avec *ces personnes-là*. Mais peut-être suis-je dans le contrôle lorsque je ne me sens pas vraiment en confiance ? Car je me sais capable de beaucoup de confidences lorsque je me sens écouté et accepté, sans jugement ni critique...



Dernière chose, en rapport avec les confidences, qui m'est venue en tête après avoir écrit mon billet précédent sur l'amitié : et si l'écriture remplissait la fonction de "confident" que peut avoir un ami ? Et si mon penchant naturel vers l'écriture intimiste avait fait que, finalement... j'avais appris depuis fort longtemps à me passer, en partie, d'ami ?
La seule période durant laquelle j'ai cessé durablement (8 ans) d'écrire est celle qui a suivi mon mariage : j'avais trouvé une amie en celle que j'avais épousée. Ce n'est que très progressivement que j'ai repris l'écriture, ensuite, en abordant des sujets assez distants de mon ego. Il me semble que j'y privilégiais une observation du monde. Je n'ai réinvesti l'écriture confidentielle que lorsqu'il s'est agi d'aborder des thématiques sur lesquelles Charlotte bloquait : en la matière, elle ne pouvait pas être "amie". Plus tard mes premières expérience d'échange par internet, sous forme de dialogues écrits, ont mis en place l'écriture relationnelle, toujours sur le ton des confidences. Et lorsque j'ai commencé à publier mon journal en ligne, la fonction "ami" s'est intensifiée avec le début des échanges avec le lectorat.

Il semble donc que,
sans stratégie consciente, je me sois débrouillé pour ne pas ressentir le manque d'ami. Tout au moins pour certaines parts de ce qui fait l'amitié. Assurément il en manque d'autres...

Plus haut je me suis demandé ce que je
cherchais en publiant une part choisie de mon intériorité. Une réponse possible m'est venue en cherchant un titre à ce billet disparate : et si, tout simplement, je cherchais une sorte d'ami imaginaire ? Une amitié immédiatement disponible, sous forme d'une "écoute" silencieuse et bienveillante. Une sorte d'ami(e) que je pourrais solliciter à volonté. La pluralité des regards me permet d'imaginer sans peine qu'il y aura toujours quelqu'un pour me lire et, si ce n'est me comprendre, au moins m'entendre. Il me suffit d'écrire pour qu'apparaisse dans mon imaginaire un ami fidèle. Aussi sûrement que si je frottais la lampe d'Aladin apparaît l'ami génie, l'imaginé.



Comme lui ?


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Subtils équilibres



Mardi 20 mai


Durant toutes ces années de confidences écrites j'ai parfois été confronté aux projections, inévitables, de la part de lecteurs et lectrices qui ne comprennent pas nécessairement ma façon de fonctionner. J'ai dû apprendre à faire la part des choses : me saisir de ce qui pouvait me porter plus loin, laisser de côté ce qui cherchait à m'orienter vers une direction qui ne me correspondait pas. Finalement ces apports ont été aidants, me permettant de sentir quelles étaient mes réactions profondes. Ce n'est alors pas la raison qui parle, mais le corps, les ressentis. Au final c'est à ce genre d'intuition que j'accorde ma confiance et c'est par elle que je me détermine.

Sans rapport avec ce qui précède, mes récents billets autour de l'amitié ont suscité quelques mails comme je les aime : un peu longs et avec une implication personnelle. J'apprécie ces contacts, et d'autant plus qu'ils sont restés rares depuis que j'ai ravivé ce journal en septembre dernier.
Un lecteur de longue date m'a ainsi donné ses impressions. Il me voit comme "un loup solitaire"
[pourquoi pas ?], qui chercherait plus une oreille bienveillante et silencieuse qu'une véritable amitié fondée sur l'échange. Ah, là, cette perception m'a surpris. Je ne m'y reconnais pas. Évidemment je ne peux exclure que, de temps en temps, la fonction "écoute" de l'amitié puisse m'être agréable. Cela dit, elle ne saurait me suffire ni me nourrir. Pour le reste c'est bien un désir de partage approfondi, sensible et enrichissant, qui m'anime. Dans le face à face je n'aime pas le monologue. Contrairement à ce que ma façon d'écrire pourrait laisser croire ici, je n'ai pas pour habitude de parler longuement. Il faut généralement me questionner pour que je me lance, prêt à cesser dès que je redoute de lasser.

Pour en revenir à l'amitié, qui m'inspire en ce moment, il y a quelque chose que j'ai passé sous silence dans mes écrits
[et le temps est peut-être venu d'être plus explicite sur ce point...] : mes réflexions autour de ce thème font référence à ce que j'ai connu et qui, en son temps, m'a enchanté. Ce que j'appelle de mes vœux n'est donc pas un idéal inatteignable. Je garde le souvenir, solidement implanté, d'une qualité d'échange que j'ai eu le plaisir de partager dans une relation riche en découvertes, en résonances, en différences stimulantes. Je demeure "habité" par cette expérience forte et l'empreinte du bonheur étonné qu'elle a laissée en moi. Reste à savoir si je dois la considérer comme relation d'amitié... ou comme une relation vraiment "à part". Ce point de sémantique a son importance, parce que si je qualifie d'amitié cette relation, qui est devenue en quelque sorte mon référentiel, j'induis un gros inconvénient : la barre est haute ! Tellement haute que je n'ai pas, jusque-là, retrouvé la somme d'ingrédients nécessaires à l'alchimie si particulière à laquelle j'ai goûté.

Est-ce à dire que l'expérience n'est pas reproductible ? Ce serait avoir une bien piètre confiance dans les opportunités que la vie peut offrir ! Je veux dire par là que, bien que je puisse effectivement considérer que la chance d'avoir vécu une telle rencontre était, en soi, un cadeau de la vie, je n'ai pas l'intention qu'elle reste unique ! Je souhaite clairement vivre de nouveau ce genre d'affinités réciproquement attractives... s'il s'en présente. Pourtant il est peu probable que j'entreprenne quoi que ce soit : ce n'est pas dans mes habitudes de "forcer" les choses
. Pendant plusieurs années j'ai évoqué ici mon repli, pensant que cette attitude était dûe à une atteinte très profonde après une rupture incomprise. Maintenant, passé le temps du travail de deuil et de reconstruction, je ne pense pas que la blessure explique tout. Ne serait-ce que parce qu'avant d'avoir connu cette expérience j'étais globalement dans le même état d'esprit : peu entreprenant et, pour tout dire, un peu incrédule quant au chances de succès de mes démarches. Étonné, même, de pouvoir plaire. La grande différence c'est qu'avant je ne savais pas que la qualité relationnelle que j'ai connue pouvait exister. Maintenant je sais aussi qu'elle peut cesser...

Pas question, pour autant, de me priver de nouvelles expériences. Non sans une certaine prudence, bien sûr. Prudence que l'on me reproche un peu, parfois, imaginant sans doute qu'elle équivaut à une fermeture excessive. Mais, non, ça ne fonctionne pas comme ça ! La prudence n'empêche ni d'avancer ni de faire des rencontres. Ni même de revivre des expériences fortes. La prudence consiste seulement à mesurer les risques que l'on prend.



L
e fait que n'ait existé qu'une seule fois dans ma vie une relation à haut niveau d'affinités m'a bien sûr posé question : est-ce qu'une prudence excessive m'aurait rendu difficilement "approchable" ? Ou bien est-ce parce que je n'ai pas rencontré les affinités suffisantes pour m'engager dans une grande amitié ? Je privilégie la seconde option car, avant comme après, il m'est plusieurs fois arrivé d'être "prêt" à entrer dans une relation de partage approfondi. Si ça n'a pas abouti c'est parce que la mayonnaise n'a pas pris, pour diverses raisons [dont ma retenue n'est peut-être pas la moindre, je le concède]. Mais ce n'est pas parce que j'aurais été "fermé". La valeur de l'amitié, dès lors que je lui accorde une certaine exigence qualitative, vient aussi de là : elle ne s'installe pas facilement. Et s'il est vrai que je me situe parfois dans une certaine réserve, en observateur attentif... c'est qu'intuitivement je sens que c'est l'attitude la plus prudente à avoir dans le contexte donné. Je ne me libère que si je me sens en confiance [il faudrait que j'analyse ce que je mets derrière ce terme...]. Cela vaut pour les personnes, mais aussi pour les situations : il arrive que ce soit en moi [mes capacités, mes ressources, ma disponibilité] que je n'aie pas confiance.

De toutes façons, en amitié comme en amour, je ne crois pas qu'on décide : l'élan est là... ou pas. On ne peut forcer l'amitié, pas plus qu'on ne peut l'empêcher. C'est une question d'envie, de curiosité, de période favorable... et de réciprocité !
Il demeure toujours une part aléatoire et les opportunités ne sont pas permanentes. Seul le temps long, qui laisse s'exprimer patience et persévérance, peut parfois prolonger les ouvertures. Ce n'est pas dans la précipitation que peut se construire le type d'amitié auquel j'aspire. Là comme ailleurs, pour moi le temps importe peu : c'est l'objectif qui compte. J'accepte pourtant volontiers "l'amitié" conjoncturelle, instantanée, éphémère, mais elle est d'une toute autre nature... même s'il arrive qu'elle dure. Le simple fait qu'elle soit pensée comme pouvant s'arrêter du jour au lendemain, parce que sans aucun engagement, met d'emblée une limite [laquelle ?]. Et c'est peut-être ce qui fait qu'il me soit si difficile de trouver ce que je cherche : un engagement "libre". C'est à dire une liberté d'aller et venir, une relation souple, élastique, mais fiable : pouvoir compter sur la fidélité de l'autre sans craindre son attachement. Je crois que c'est ce que je mets à l'épreuve dans chaque rencontre : puis-je compter sur ta présence comme je crois que tu peux compter sur la mienne ? En contrepartie, puis-je avoir confiance dans ton autonomie comme je crois que tu peux avoir confiance en la mienne ? Saurons-nous trouver le juste équilibre entre distance et proximité : deux êtres en autonomie, mais capables de s'entraider... sans trop se demander.

Subtil équilibre, d'une précision millimétrique. Il en faut parfois très peu pour que tout bascule. Je ne le sais que trop...



À propos d'autonomie, dimanche j'ai marché dans la campagne. Seul. Il faisait très beau, les champs étaient couverts de fleurs, les premiers foins séchaient au soleil. Au loin, derrière la succession des collines, les montagnes encore enneigées étincellaient. Paysage magnifique que j'ai pu admirer à loisir. Si j'avais été accompagné le moment aurait eu une autre dimension. Il y aurait eu du partage et certainement un long temps de conversation. Aurait-ce été mieux ? Pas forcément. Différent, assurément.

Je me suis souvenu des personnes avec qui j'avais fait le même parcours, il y a quelques années. Il m'est aussi revenu en mémoire les nombreuses promenades effectuées en amicale compagnie, en divers lieux. Moments de plaisir, toujours, parfois tout simples, d'autres fois plus pétillants. Ces moments ne sont donc pas éclairés de la même lumière selon les personnes avec qui j'étais. Pourquoi ? Qu'est-ce qui différencie les sensations alors que le contexte était similaire ? Une des différence majeures m'apparait quand je songe aux souvenirs les plus doux : c'était plus fort lorsque je me sentais "en harmonie", en résonance. Au même niveau d'intense plaisir
[du moins en avais-je l'impression]. Je suppose que la sensation de concordance peut générer un plaisir supplémentaire, mais ça n'explique pas tout : j'ai aussi ressenti un équilibre dans des relations plus neutres. Alors quoi ? D'où provient-elle, cette intensité qui fait la différence ? Qu'est-ce qui l'engendre ? Peut-être l'impression d'être au coeur de cette alchimie si particulière qui ne se vit qu'en de rares circonstances ? La sensation de vivre un moment précieux ? Mais n'est-ce pas aussi parce que la coïncidence des désirs est là ? N'étais-je pas systématiquement au delà de la stricte amitié [i.e. sans aucun désir attractif] lorsque j'ai ressenti cela ?

Ouais, en fait, ce dont je rêve encore c'est d'une sorte de connivence désirante ! C'est d'attirance réciproque
[mais pas que...]. Rien de nouveau, en somme...


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Points communs



Samedi 24 mai 2014


J'aurais eu pas mal de précisions à apporter à mon billet, venues après coup. Je pense notamment à ces limites que je ne pose pas entre amitié et désir. Ce continuum entretien un certain flou, forcément, et il se pourrait qu'il restreigne le champ des concordances. Mais il semble que ma pensée est ainsi faite, alors que d'autres parviennent à séparer nettement les choses...

Et puis ce lien que j'établis entre amitié et désir n'est pas systématique : j'ai eu des amies que je ne désirais pas. Ou du moins avec qui il n'était clairement pas question de séduction. Des amitiés affectives, intellectuelles, parfois tendres mais sans désir.

Mais laissons ça de côté pour le moment. J'y reviendrai forcément.

Il se trouve qu'au moment où j'approfondis cette thématique j'ai eu à expliquer, ailleurs, que je ne saurais être aussi présent et attentif qu'il serait souhaité. En d'autres termes : je ne réponds pas aux attentes d'une personne (qui se trouve être une femme...). Elle sent que je ne manifeste pas l'entrain qu'elle aurait désiré. J'appelle ça "non-réciprocité" : la hauteur des désirs ne coïncide pas. Cela crée une frustration du côté de la personne qui voudrait davantage.

Ce n'est pas la première fois que me trouve à la place du frustrateur. Alors que faire ? Habituellement je prends des précautions pour signifier ce qu'il en est dès que je perçois le décalage. Je pense le faire en douceur, sans laisser croire autre chose. Mais il arrive que le message ne soit pas compris. Je dois alors le répéter en étant un peu plus précis, tout en évitant d'être blessant. Mais ce n'est pas forcément mieux entendu. Et comme je ne manifeste toujours pas d'entrain... cela peut inquiéter, à la longue. Sans vouloir absolument réduire l'inquiétude, puisqu'elle est justifiée, je peux continuer à discuter ainsi longtemps, avec l'idée d'être le plus clair possible. J'y trouve aussi mon compte : il y a autour des attentes affectives d'autrui quantités de choses à comprendre des miennes. Pour moi ces échanges sont humainement enrichissants.

Sauf qu'en continuant le dialogue je laisse perdurer la situation de décalage. En ne coupant pas court, en ne rompant pas le dialogue, en n'optant pas pour le silence, je prends le risque d'entretenir l'illusion. Jusqu'au jour où, suite à une énième inquiétude, j'en viens à être plus ferme. J'en viens à ne plus chercher à ménager l'autre et dire ma réalité sans enrobage adoucissant. Vient un moment où ma différence d'investissement affectif percute l'autre. Ça fait mal, forcément...

J'ai eu plusieurs fois à faire face à cette situation gênante, parfois en me voyant reprocher une froideur. En moi ces femmes reconnaissaient un comportement dont elles avaient souffert, avec l'impression d'être "manipulées" par l'homme dont elles attendaient autre chose. Difficile de poursuivre dès lors que cette suspicion apparaît... Lorsque le dialogue est malgré tout possible, je le poursuis afin que chacun chemine dans la compréhension de ce qui est en jeu. Après tout, entre la personne qui souffre d'attachement et celui qui a cheminé pour ne plus en souffrir, il y a nécessairement des points communs.


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Confiance prudente




Dimanche 25 mai 2014


Depuis longtemps j'écris ici en me référant au passé. La fonction introspective du journal, supposé être récit du présent, se fait voler la place par la rétrospection. Un mode narratif qui, j'en suis certain, est un bon indicateur de ce qui n'est pas "passé". Ce fameux « passé qui ne passe pas ». Une partie de mon passé reste d'actualité dans mon présent.

Nommer ce qui a été bien intégré dans mon parcours de vie, je n'en ai pas besoin : cela ne me trouble pas, ne me pèse pas, ne m'inquiète pas. Mais l'insuffisamment verbalisé, lui, reste en suspens. Instable et en attente d'éclaircissement. L'illustre Boileau disait que « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément »
. Me fiant à cette maxime [que mon père me citait souvent] je peux en déduire que si je reviens inlassablement sur certains sujets, pourtant déjà profondément labourés, alors c'est qu'ils ne sont pas encore suffisamment éclaircis. Pas entièrement compris.

Le même auteur écrivait :
« Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »

Je ne peux que me reconnaître dans ce processus de polissage par l'écriture : dans ce journal je reviens régulièrement sur des situation incomprises, ou pas totalement acceptées.
Certaines m'accompagnent en continu, orientant mes réflexions et mes choix de vie. D'autres, parfois fort anciennes, se rappellent de temps en temps à mon souvenir, dès que je suis confronté à une situation présentant des similitudes.

Mais toujours la question de la confiance est au coeur.

Je connais bien, dans mon parcours, les étapes qui ont joué un rôle dans mon rapport à la confiance. Pourtant j'y reviens régulièrement. Je sais avoir été profondément atteint par des attitudes qui m'ont rendu extrêmement prudent... mais le savoir ne change pas grand chose. Tout au long de ma vie j'ai fait des tentatives pour m'ouvrir vers l'autre. Le problème c'est que j'avais tellement intégré, antérieurement, que j'étais sans grande valeur pour l'autre, remplaçable, oubliable, que je me suis rarement "accroché". Je parle là d'un passé lointain, mais qui a laissé des traces : chaque échec a renforcé ma vigilance. Impossible, donc, de vivre un présent insouciant sur ce point puisque les souvenirs du passé sont totalement présents en moi. Cela dit, ma vigilance ne s'éveille que face à des situations que je perçois comme risquées et je ne me sens pas avoir une attitude méfiante a priori. Tout au plus suis-je un peu discret, peu démonstratif, mais bien présent et plutôt souriant. Généralement je sens qu'on apprécie ma présence
[je dis ça pour les personnes qui me considèreraient comme froid et égocentriste...]. Cette perception tend donc à démontrer que je garde, spontanément, une ouverture et une confiance... teintée de prudence. Ma confiance ne se restreint que face au "danger", réel ou supposé, que je perçois. L'attitude de l'autre est donc prépondérante, en tant qu'élément déclencheur. Me revient la sensibilité au déclenchement... Tout cela fait que je peux me laisser aller avec certaines personnes, que je ne connais qu'à peine, et garder une relative distance avec d'autres que je connais depuis longtemps. La différence se joue dans le respect que je ressens de la part de l'autre. La moindre trace d'agressivité me bloque. C'est comme ça. Je ne peux qu'en tenir compte et "prendre sur moi" pour ne pas me replier trop rapidement. Mais le mouvement de repli sera tout aussi spontané que la confiance a pu l'être initialement.

Cette "agressivité" peut être assez subtile et faire partie d'une attitude générale face à la vie. Il y a des gens pour qui la vie est peut-être un combat, une compétition, un monde dans lequel il faut se faire sa place au détriment de l'autre. Dans ce cas il est probable que je ne puisse accorder qu'une confiance limitée, puisque je me sentirais comme un rival en puissance. Mais bien plus souvent l'agressivité est un mécanisme défensif :  on attaque parce qu'on ne se sent pas respecté dans son intégrité, ou dans son territoire, ou dans ses représentations. Ou encore parce qu'on constate que nos "besoins" pourraient ne pas être satisfaits. Les motifs d'agressivité sont fort nombreux, en fait. Mais autant l'agressivité peut-être saine et utile lorsqu'il s'agit de construire quelque chose, autant elle peut être destructrice quand elle entend défendre, dans un système relationnel, un territoire personnel. A ce moment là on n'est plus dans le "ensemble" qu'implique la relation, mais dans le chacun pour soi. Et ça... j'aime pas ! Ce n'est même pas que je n'aime pas : c'est contraire à mes valeurs fondamentales. Le repli, l'enfermement, sont des mécanismes de peur.

Donc oui, quand je me replie... c'est que j'ai peur de quelque chose qui vient de l'autre. Et c'est bien pour ça que je suis prudent : dès que je me sens "menacé" je préfère éviter d'entrer en mode défensif, qui pourrait me rendre agressif en retour. Et voilà pourquoi je ne peux me sentir en confiance avec des personnes qui se situent dans un registre défensif, offensif ou agressif. Autrement dit, je peux m'entendre avec des personnes qui ont suffisamment confiance en elles pour ne pas avoir besoin d'en passer par l'agressivité au premier signe de dissonance.



NB: merci aux personnes qui, ces derniers temps, me font part de ce que mes écrits leur évoque. Même si c'est pour me dire que je suis insupportable de prétention et d'égoïsme... J'y trouve matière à réflexion et introspection, qui me permettent de préciser ma pensée et aller plus loin.











Suite : Juin 2014