Février 2014

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Émancipé



Samedi 1er février 2014


La vie réelle ne m'a pas laissé beaucoup de temps pour écrire et "revenir" dans ce journal comme je le pensais. Le peu de temps que j'ai consacré au monde virtuel a vite été utilisé dans quelques correspondances ou "conversations" par commentaires interposés sur mon blog ou d'autres. Bon, c'est ainsi : la vie réelle est généralement prioritaire et ça me semble plutôt sain.

Je n'ai pas écrit mais j'ai pensé ! Il y a souvent, à certains moments de la journée, de courts temps où l'esprit est libre de se laisser porter. Ce qui manque c'est le temps long pour écrire ces pensées. Là encore, c'est comme ça : la vie réelle impose son rythme et, pour l'instant, je me plie à cette réalité sans être tenté par des moyens technologiques de recueil immédiat. Si j'ai un bout de papier sous la main il m'arrive de noter quelques mots ( dont je ne sais parfois plus ce qu'ils étaient censés me rappeler...), mais, réfractaire à la connexion permanente, je n'ai pas ces téléphones multifonctions qui remplacent peu à peu le simple téléphone mobile. L'accès au monde numérique c'est devant mon ordinateur, à la maison, et c'est tout ! C'est donc dans mon cerveau que se fait le tri : l'important restera, le reste s'oubliera, ou reviendra plus tard.

L'important ? C'est ce qui me touche, me fait réfléchir. C'est une importance très égocentrée, évidemment. Et ce que je pourrais avoir envie d'en écrire, c'est ce qui m'anime. Ce que j'ai envie de prendre en compte, ce dont j'ai envie de garder trace, ce qui me semble signifiant dans ma propre évolution ou dans mon rapport au monde.

Je consigne une part de ces éléments sur mon blog, lorsque j'ai envie de partager, lorsque j'aimerais avoir des réactions qui me confortent ou me contredisent. Le blog c'est l'espace d'échange. Ici c'est plus personnel et, surtout, sans possibilité d'échange public. J'évoque ce qui ne concerne que moi. Si ça intéresse d'autres personnes tant mieux, mais les éventuels échanges se feront seul à seul. Ici je suis plutôt dans le "don", sans attente de retour. Ici je suis face à moi... bien que sous ces fameux regards que je charge, que je le veuille ou non, de représentations. Bon, j'ai déjà largement developpé tout ça et il est inutile que j'y revienne davantage...

Ce que j'avais envie d'écrire aujourd'hui - et ce long préambule m'a permis de me mettre dans l'ambiance "journal" - c'est à nouveau autour de ma grande histoire amoureuse. Non pour encore ressasser, mais plutôt pour me réjouir de tout ce que cela m'avait permis comme évolution. J'ignore comment les autres parviennent à dépasser le choc d'une rupture quand elle est perçue comme très dommageable mais, pour ma part, le passage par l'écriture a été extrêmement bénéfique. J'en suis arrivé au point où j'ai pu "transcender" la blessure et l'effondrement, sans garder rancune par rapport à la situation où j'ai été projeté. Pour moi c'était essentiel. Je ne voulais pas garder à vie une blessure infectée. Et je crois pouvoir dire que je l'ai totalement assainie. En exprimant ce qui me restait sur le coeur j'ai fini de désinfecter a plaie. Que ce soit "entendu" (lu) par la personne a qui j'avais besoin de le dire a fini par ne plus avoir d'importance : c'est posé, c'est lisible, c'est là. Si elle vient un jour elle saura. C'est une variante des lettres jamais postées, ou des lettres brûlées aussitôt écrites, ou même des lettres adressées à des défunts. Un message écrit pour l'autre... qui ne le lira jamais. Ici c'est *peut-être* jamais... et ça change tout !

Ce qui s'est passé pour moi, grâce à ce journal en ligne, c'est d'avoir pu aller au bout de ma démarche. C'est d'avoir eu la *certitude* [cette fois j'assume le mot] d'avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour obtenir ce à quoi je tenais. Le petit miracle-bonus, inattendu, c'est qu'en allant jusqu'au bout du bout je me suis délesté de la culpabilité de n'avoir pas tout tenté. Je n'ai plus à m'en vouloir de n'avoir pas fait assez, ou trop : j'ai fait tout ce que j'ai pu, avec les moyens dont je disposais, ma conscience du moment, et en m'efforçant de respecter les injonctions de ma partenaire [je laisse tomber le "ex" qui, finalement, n'a aucun sens : on reste partenaires jusque dans les suites d'une rupture]. Ce que je suis en train d'intégrer, ces jours-ci, c'est que cette rupture invraisemblament compliquée m'a donné une force incroyable. Elle m'a donné de l'assurance. Peut-être parce que ma partenaire, par ses attitudes, est définitivement descendue du piédestal sur lequel je l'avais placée autrefois. Elle n'était qu'elle-même, une simple femme plus originale que la moyenne, avec de nombreuses qualités que j'appréciais, mais au moins autant de faiblesses qui me mettaient en difficulté. À l'évidence je l'avais surestimée, la croyant bien plus "forte" qu'elle n'était. Toute la responsabilité de cette erreur d'interprétation me revient : jamais elle n'a triché volontairement. Comme moi elle s'est présentée sous un jour "idéal" (idéal de soi), et comme moi sa réalité était différente de l'idéal. Je ME suis trompé [je l'avais déjà écrit, il y a longtemps...]. Mais selon un principe analogue à celui des vases communiquants, en voyant cette femme redevenir "normale", cela a rehaussé d'autant mon estime personnelle. Ainsi je n'étais plus celui qui a fait des erreurs, qui n'a rien compris, qui n'a pas su faire, mais plus simplement quelqu'un qui a été dépassé par un jeu de dupes. Longtemps j'ai tergiversé à la recherche de nos responsabilités individuelles, cherchant qui, à tel moment de notre parcours, avait commis telle erreur. Au final, et de façon tout à fait logique, j'en suis arrivé à la conclusion que nous avions tous les deux fait des erreurs, en proportions équivalentes. Et nous avons tous les deux fait au mieux pour aller vers des solutions de reliance, au début, ou de rupture ensuite. Notre grosse difficulté a résidé dans le décalage considérable qui a existé entre nos décisions de renoncement. Cela étant probablement dû à des natures différentes face à l'adversité, mais je n'en suis même pas sûr.

Il m'a fallu neuf ans pour renoncer.

Renoncer à quoi ? Renoncer à lutter contre ce qui ne m'appartient pas. Renoncer à être celui qui met de l'énergie pour reconcilier deux personnes qui avaient un énorme potentiel affinitaire. Nous l'avions étreint pleinement durant quelques mois et je crois pouvoir affirmer que c'était, dans nos vies respectives, extraordinaire. Nous l'avions écrit publiquement chacun de notre côté [traces que j'ai souvent relues, lorsque j'en venais à douter de mes ressentis passés...]  et c'était vrai à ce moment-là. Plus de dix ans plus tard, et maintenant fort d'une expérience diversifiée dans les rencontres, je garde la même assurance pour affirmer que cette rencontre là... était vraiment hors du commun. Était-elle viable à long terme ? ça c'est autre chose... La réalité nous a montré que nous n'y sommes pas parvenus avec nos moyens de l'époque. Étonnamment j'accepte désormais cette idée sans aucune réticence. Je ne lutte plus.

Soulagement.

Cette expérience reste pour moi très forte, magnifique, détonante. J'en sors considérablement renforcé, avec une lucidité relationnelle vraiment rassérénante. Je sais maintenant ce que je veux et ce qui ne me convient pas; cela me donne une assurance qui m'étonne. Je crois qu'en matière relationnelle j'ai acquis [mais rien ne l'est jamais...] cette "liberté" à laquelle j'aspirais sans vraiment savoir auparavant en quoi elle consistait. Il y a longtemps que j'écris que je n'ai plus besin de personne en particulier, mais aujourd'hui je peux dire que je n'ai plus besoin d'Elle. Je m'en suis émancipé.

Loin de moi, cependant, l'idée que cette femme n'aurait plus d'importance pour moi ou qu'elle serait devenue insignifiante : elle garde une importance prééminente. Je ne renie absolument rien de ce que j'ai vécu, partagé, découvert, exploré avec elle et l'expérience reste extraordinaire et fascinante. Je garde toute l'estime que j'ai eu pour cette personnalité très attachante, drôle, enjouée, curieuse, inventive et demeurerai éternellement reconnaissant envers tout ce qu'elle m'a offert d'elle, appris, donné. Mais je n'ai plus besoin d'elle : c'est maintenant en moi, indissolublement lié avec mon expérience, et même mon être. Elle est en moi, notre partage est en moi, tout comme l'est notre rupture. Elle fait partie de ma vie passée, présente, future, même si je n'ai plus aucun contact direct avec elle. Et je suis certain qu'il en est de même de son côté...

Je ne peux qu'espérer qu'elle ait fait, ou qu'elle fasse, un chemin équivalent au mien. Et qu'elle trouve la même réjouissante paix que moi. Mais ça, ça lui appartient...


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Anachronisme


Lundi 10 février 2014


En achevant ma rétrospective, le mois dernier, j'ai songé à inscrire cette phrase terminale : voilà, c'est fini. Je pensais que la saga pouvait être déclarée terminée, du moins dans sa narration. Peut-être voulais-je m'en persuader ? J'ai immédiatement senti qu'une telle affirmation aurait été légèrement présomptueuse : ce n'est pas parce qu'une partie de quelque chose est finie que l'ensemble l'est. Et cette histoire à épisodes moins que toute autre...

Au risque de susciter votre lassitude, je crains donc de n'avoir pas fini d'évoquer les conséquences sur mon existence d'un silence que, longtemps, j'ai vigoureusement refusé. Après tout, c'est peut-être la destinée de ce journal que de suivre ce fil conducteur ?

À propos de silence dans une relation j'entendais dimanche dernier sur France Culture une émission sur l'amour, le désir, les sentiments. Une phrase, qui m'a fait tordre le nez, disait que pour une femme la pire chose qu'elle pouvait entendre en amour, c'était « je n'ai plus rien à te dire ». Je passe sur le stéréotype éculé du féminin avide de parole, heureusement immédiatement mis à l'index par un des invités masculins, pour m'arrêter sur ce « plus rien à se dire ». Je n'ai pu m'empêcher de penser au mutisme obstiné qui m'a tant fait cogiter et, un bref instant, me suis demandé s'il avait pu se produire ce genre de choses à mon égard. Plus rien à me dire ? Aucun souvenir d'une phrase similaire, ou de quelque chose qui aurait pu le laisser penser, ne m'est revenu en tête. Il y a eu refus de dialogue mais pas tarissement de la parole. Le premier cas,
par son intentionalité et la retenue qu'il sous-entend, interroge bien sûr davantage que le second, toujours envisageable.

Mais peu importe, je ne suis plus dans ces considérations qu'aucune réponse n'éclaircira. Non, ce que je voulais évoquer aujourd'hui provient d'un curieux hasard : la semaine dernière j'ai eu la surprise de constater, sur le site d'une amie blogueuse, que la liste des sites récemment mis à jour plaçait le nom de mon blog côte à côte avec celui... de ma chère québecoise. L'anachronisme de cette proximité m'a fait sourire. Mais, plus important, l'actualisation montrait que ledit blog était réactivé après environ un an de sommeil. Coïncidence ? Peut-être. Mais ne pouvait-il pas y avoir un rapport avec ma récente reprise d'écriture ? N'ayant pas voulu cliquer sur le lien, je n'en savais rien. Sans connaître le contenu de cette mise à jour, j'ignorais donc totalement s'il "répondait" de quelque façon que ce soit à ce que j'ai écrit ces dernières semaines.

Pourquoi ai-je refusé de lire ? C'est là que le décorticage présente quelque intérêt...

Je n'ai pas voulu lire parce qu'à l'époque post-rupture où j'étais demandeur de dialogue, trop souvent je n'avais pour me sustenter qu'une écriture parcimonieuse et assez hermétique dont j'avais eu pour consigne de ne surtout pas chercher à l'interpréter... bien que d'évidentes ambiguités m'apparussent. Mon amie avait voulu conserver son espace de liberté expressive, ce que je comprenais parfaitement, mais se livrait ainsi à un "jeu" un peu bizarre, sachant que je la lirais avidement
[quoique je pouvais m'en abstenir...]. Ce contexte absurde d'un faux-silence mais vrai non-dit n'a évidemment pas été étranger à mes errements tous azimuts pour tenter de comprendre l'énigme de son effacement.

L'intérêt que j'ai trouvé dans la trés récente "réapparition" de mon amie Libellule c'est que, sans pouvoir deviner le contenu, j'ai senti que cliquer par curiosité
aurait été une très mauvaise idée : il y avait un risque que je lise quelque chose qui aurait atteint la force et l'optimisme qui ont enfin repris le dessus en moi. J'ai en effet compris, en voyant réapparaitre son nom, à quel point l'importance que j'avais pu accorder à ses mots m'était devenue nocive dès lors qu'elle avait décidé de mettre un terme à notre relation "suspendue". Presque à chaque fois que j'avais tenté de résister, que je m'étais opposé à son renoncement, que j'étais revenu vers elle pour lui proposer une reprise du dialogue ou une rencontre... elle avait réussi à abattre mon enthousiasme et saper mes initiatives. Seules les siennes avaient pu permettre des reprises. Que de fois, porté par un élan optimiste et carrrément naïf, je me suis heurté à un "non" plus ou moins aimablement formulé ! La masse compacte de son refus venait alors à bout de ma détermination, trop peu ancrée dans le socle de mes hésitantes certitudes. Je crois que j'avais encore l'optimisme fragile, doutant trop de moi. Face à une telle fermeture je ne faisais pas le poids.

Aujourd'hui j'ai appris à me préserver des pessimistes de tout poil, des casseurs d'espoirs, des briseurs d'utopies, des flingueurs de rêves. Je les fuis. Pourquoi chercher à les convaincre de ce en quoi je crois ? Chacun ses choix de vie.

Voila pourquoi je n'ai pas voulu lire sa mise à jour, dont le seul titre me portait déjà vers des suppositions hasardeuses...


Pendant une semaine les noms de nos blogs se sont donc cotoyés, quelque part dans l'immensité du net... Je n'y ai plus vraiment pensé, ayant bien d'autres préoccupations sur le plan professionnel. Et puis, hier, une conversation impromptue avec Charlotte, avec qui je n'ai plus que des contacts d'ordre parental, a sans doute changé quelque chose dans ma perception de la rupture. Il s'est rétablit une confiance suffisante pour que je puisse lui parler, dans une tonalité sensible, de la distance considérable qui s'est installée entre nous en termes d'expression personnelle et affective. Et elle m'a entendu...

Contrairement à ce qui s'est passé avec Libellule, je n'avais pas opposé de résistance lorsque Charlotte avait eu besoin de prendre ses distances avec moi. Je l'avais laissée faire... tout en restreignant progressivement mes élans vers elle. Profondément affecté cependant, je me suis "blindé" en mettant en sommeil tout le système relationnel et affectif à son égard. C'est assez curieux, d'ailleurs, de pouvoir rester à la fois proche et "neutre", voire distant, avec une personne encore aimée. Avec Charlotte ça s'est fait sans heurts, avec Libellule il aura fallu des années d'entredéchirements verbaux violents et finalement très destructeurs. De l'une à l'autre, deux réactions fort différentes de ma part, sans doute liées au champ des possibles : je sentais que Charlotte resterait accessible durablement, ne serait-ce que par l'intermédiaire de nos enfants, alors que Libellule avait rapidement fermé les perspectives qu'elle m'avait initialement proposées. De revirements en volte-face, de retours inopinés en fermetures définitives, elle m'a poussé au désespoir,
littéralement : renoncer à tout espoir. Il m'a fallu du temps pour apprendre à en faire un art de vivre. Et puis la grande différence entre les deux ruptures c'est que la seconde était parasitée par nos modes d'expression indirecte, via nos journaux publics.

Tout ça pour dire que, suite au dénouement apparemment favorable dans ma relation à Charlotte, je me suis senti hier en capacité de lire la mise à jour de Libellule. Fort heureusement cette dernière ne faisait aucunement référence à mes récents textes ni a rien de ce qui nous concerne
[ouf !]. Mes craintes étaient donc infondées et je suis heureux de les voir dissipées. Je le suis d'autant plus que j'ai eu l'impression de retrouver celle que j'avais connue il y a très longtemps, et appréciée, sur une thématique qui lui reste chère. J'ai même souri en la lisant. Un sourire complice, oserais-je dire. Et franchement, après tant d'années... c'était doux.




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Perséver(r)ance



Samedi 15 février 2014

J'ai eu cette semaine un éclair de lucidité par rapport à ce journal : qu'est-ce qui me pousse à me dévoiler ainsi, sous un jour assez peu glorieux ? Raconter mes états d'âme d'amoureux éconduit, près de dix ans après le premier point d'arrêt, n'est-ce pas totalement pathétique, voire carrément pitoyable ?

À l'instant où cette pensée m'est venue en tête je marchais dans la rue, comme un homme "normal", adulte, censé, réfléchi. Je venais de quitter mon bureau, là où ma fonction de responsable m'oblige à avoir un raisonnement rigoureux, un esprit d'organisation méthodique, une autorité affirmée, une énergie communicative, un enthousiasme encourageant. Et moi... je pensais à ce que je montre comme puérilité dans mon journal...

Puérilité ? Non, certes pas. Mais je reconnais que parfois je me sens parcouru par un frisson teinté de honte. Oui, j'ai un peu honte et je n'aurais pas du tout envie que ce que j'écris ici soit su dans mon entourage. J'imagine que ce serait incompréhensible.

D'un autre côté je suis plutôt fier : j'ai osé aller jusqu'au bout de mes convictions, osé regarder les choses en face, osé creuser jusque dans les arcanes de mes sensibilités, de mes blessures enfouies, osé me montrer à nu et me regarder ainsi. Alors... honte ou fierté ? Puérilité ou lucidité ? Je crois que je vais garder les seconds termes. Et plutôt que de parler de honte, l'évoquer sous l'angle de la gêne. Oui, ça me gêne de me montrer ainsi : faillible, marqué par le doute, persévérant jusqu'à l'obstination. Et en même temps je crois qu'en avoir la lucidité me montre une certaine force intérieure : oui, je suis habité par tout cela et c'est ce qui fait une partie de ma singularité. Je suis capable d'aller jusqu'au bout de ce à quoi je tiens, y compris en m'exposant, en me vulnérabilisant, mais aussi en remettant constamment en question le bien-fondé de ma démarche. Et si en avançant ainsi je ne sais pas exactement ce que je veux... je sais que je veux quelque chose et ne lâche pas cette quête. On peut appeller ça persévérance, obstination, acharnement, selon qu'on le voie sous un angle plutôt positif ou négatif... mais à partir de quel point passe t-on de l'action "positive" à l'action "négative" ? À partir de quel point la poursuite d'un objectif devient-elle déraisonnable ? Après tout... ce n'est qu'a posteriori que l'on peut savoir si la lutte était utile ou vaine. En allant "jusqu'au bout" j'ai pu acquérir une certitude : j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. En ayant persévéré dans mon errance
[perséverrance ?], je peux être fier de moi, fier de n'avoir pas baissé les bras, fier de m'être acharné à obtenir ce que je croyais "bon" pour... la vie. Pas seulement bon pour moi, mais aussi au delà de moi : bon pour une certaine vision des rapports entre les êtres. Je n'ai pas agi parce que JE voulais obtenir quelque chose, mais parce ce que ce quelque chose pouvait émerger en partie à travers mon action.

Ce "quelque chose" je ne saurai certainement pas le nommer, mais je sens qu'il est lié à la notion de confiance. La confiance en tant que lien entre les êtres. La confiance que j'avais en une capacité commune de dépasser des sensibilités personnelles. La confiance que j'avais dans la remise en question de soi. La confiance que j'avais dans cette force qui peut (pouvait/aurait pu) maintenir une cohésion entre des êtres qui s'attirent pour des raisons qui les dépassent. Et là je ne parle pas de "nous", ces deux êtres dont il est question depuis le premier jour de ce journal mais, d'une façon beaucoup plus large, de tous ceux qui un jour, pour quelque raison que ce soit et dans quelque registre que ce soit, se sont "reconnus" comme étant désormais(1) indissociables.

J'ai, depuis que cela m'est arrivé, cette croyance chevilléee au corps que certaines rencontres sont dotées de potentialités extraordinaires. Et, ayant eu cette chance d'y avoir accédé, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour qu'elle puisse exister à la hauteur dont je la sentais capable. Tout... bien que mon incapacité personnelle à faire face à un moment donné de mon parcours ait infléchi la dynamique prometteuse.

Alors renoncer à un tel "appel" m'a été, vous le comprendrez, extrêmement difficile, long, douloureux. Donc oui, il m'a fallu une dizaine d'années pour renoncer à entreprendre des actions réconciliatrices. Ma persévérance n'était pas de la puérilité mais, au contraire, une très grande confiance en la capacité des êtres à se surpasser. Même si, évidemment, il y a aussi eu des signes d'immaturité dans certaines de mes actions et réactions. Mais il m'a fallu en passer par là pour toucher du doigt mes limites, mes failles, mes peurs. À leur contact m'ont été révélées mes forces. Voila aussi pourquoi la lutte a duré aussi longtemps : je découvrais une nouvelle conscience qui relançait continuellement mon envie de reprendre la route ensemble. Je me sentais fort de nouvelles potentialités et croyais qu'elle me permettraient, cette fois, d'insuffler l'énergie nécessaire à la reprise du mouvement. Las ! Il me restait tellement à découvrir de moi et à entendre de l'autre. C'est ce qui a fait s'éterniser la reconquête : je pensais à chaque fois redémarrer de plus haut... et me voyais ramené tout en bas, comme si le premier échec avait marqué un point d'arrêt indépassable. Plus je me suis hissé haut dans la conscience, plus l'écart constaté entre nos deux perceptions devenait énorme. Jusqu'à ce que je me rende à l'évidence : il n'était plus en mon pouvoir de lui faire prendre conscience que je n'étais plus le même. Il est là le renoncement, et seulement là. Mais certainement pas dans ma croyance que notre rencontre était hors du commun et qu'en faire autre chose que ce fiasco était à notre portée.


(1) L'emploi du mot "désormais", qui entend figer dans le temps une perception du présent, n'est-il pas le signe d'une faille majeure dans mon raisonnement ?



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Ouvrir la vie



Dimanche 23 février 2014


Aéroport de Francfort, en zone de transit. Je viens d'atterrir et me dirige vers le hall où, dans quelques heures, je prendrai un autre vol. Derrière les baies vitrées les avions arrivent ou décollent, peints aux couleurs des compagnies aériennes dont le seul nom transporte vers le rêve. Je marche dans les larges galeries de circulation bordées de boutiques, croisant des milliers de citoyens du monde arrivant ou partant vers les destinations lointaines affichées sur les écrans. Tant de langues inconnues, de couleurs de peau, de vêtements d'autres cultures. Je regarde ça en spectateur ébahi, avec le sentiment fulgurant d'une liberté incroyablement accessible. Pour la première fois de ma vie d'adulte je suis à la fois seul et loin des miens. Et toutes les potentialités du monde m'apparaissent. Dans un mélange d'appréhension et d'excitation devant l'inconnu, je suis grisé, fébrile, enchanté. À cet instant je sais déjà que je n'oublierai pas cette sensation qui m'ouvre de nouveaux horizons. Je griffonne alors quelques lignes sur un carnet, en me disant que les retranscrirai sur mon journal...

Quelques heures plus tard, après avoir survolé l'océan englacé, puis le blanc Labrador, je découvre le pays de neige où je vais résider quelques temps. Atterrissage, formalités d'entrée sur le territoire Canadien. L'agent de contrôle, une jeune femme en uniforme, regarde mon passeport et me demande si je connais quelqu'un dans ce pays, ainsi que les raisons de mon voyage. Troublé par l'émotion qui m'envahit je balbutie que je viens rencontrer une amie et que je vais résider chez elle. Elle a un léger sourire, donne un coup de tampon, et le passeport est validé.

Le temps de récupérer mon sac sur le tapis convoyeur et me voila libre. J'avance vers la porte de sortie, la franchis, et me retrouve face à tous ces visages inconnus qui scrutent la personne attendue. Moi je cherche le seul visage connu qui m'attende. Et elle est là, "ma grande", dans un long manteau noir. Ou bleu-marine, je ne sais plus. Avec le temps certains détails s'estompent...

Je n'ai pas particulièrement le culte du souvenir mais je ne refuse pas qu'ils s'invitent et prennent leurs aises. De ce séjour hivernal à Montréal, en février 2004, je conserve des milliers de fragments rendus étincelants par la nuit qui les a entourés ensuite. Des images, des sons, des odeurs, des ambiances. Son accueil.
La longue banderole dans le salon-jungle, où il était écrit en grand, sur autant de pages que la phrase a de lettres, "BIENVENUE PIERRE". La morsure du froid sec, la neige qui crisse sous les pieds, l'emmitouflage avant chaque sortie. Une soirée au restaurant à sushis. La douceur de ses baisers. Une promenade vers la croix du Mont-Royal. La préparation du café du matin, en posture de cigogne. La table aux perles de verre. La confiture sur le beurre de pinottes. Encore ses baisers. Les achats alimentaires chez IGA. Le petit cadre de bois avec des fragments de moi. La musique de Lili Fatale. Les moments si doux d'un farniente prolongé, lovés l’un contre l’autre...

Dix ans plus tard je pourrais en écrire des pages, de ces éclats dispersés. Je pourrais les relier entre eux, en faire un récit détaillé… mais... l'essentiel n'est-il pas ailleurs que dans les mots ? Tout est en moi, précieusement gardé. À quoi bon transcrire ce que ma mémoire conserve intact ?
Pour quel partage ?

Alors si j'ai eu envie d’écrire quelque peu à l'occasion du dixième anniversaire de ce séjour Montréalais c'est parce qu'il s'y est joué, pour moi, davantage qu'une rencontre magique : c'est aussi là-bas que j'ai réalisé combien la liberté que je m'étais octroyée était irréversible. En traversant l'Atlantique pour rejoindre celle avec qui je partageais tant d'affinités, je me suis ouvert la vie. Ces trois mots, qui pourraient paraître un brin grandiloquents, ont pourtant un sens considérable. Je suis sûr que là-bas quelque chose s'est consolidé en moi. Mieux que ça : c'est ma part d'homme entier, avec sa part masculine jusque-là mal assumée, voire refoulée, qui a enfin pu émerger dans ma conscience. En osant récidiver après une première rencontre déterminante, je franchissais là une étape supplémentaire hautement symbolique. Parce que cette fois c'est moi qui avais été à l'initiative du voyage et l'avais entrepris. C'est moi qui avais eu l'audace d'aller au bout d'une envie qui impliquait, au vu de la distance, que j'agisse ouvertement. Un voyage aussi lointain, sans annonce préalable,
alerterait forcément toute ma famille. En quelque sorte je faisais mon "coming out" d'homme déterminé assumant ses convictions. J'affichais ma couleur et ma différence. Je me montrais vivant.

La dimension du désir était cruciale, quoiqu’elle le soit à un niveau plus sentimental et sensuel que purement sexuel. Le désir premier était celui de l'action et de l'affirmation identitaire, non seulement en tant qu'homme, mais surtout en tant qu'individu désirant : j’avais envie de passer du temps avec elle, de vivre *quelque chose* à ses côtés, de poursuivre notre découverte commune. D'ailleurs je me souviens distinctement avoir pensé là-bas, à un moment où j'étais seul, à quel point j'étais heureux et transporté d'être ainsi accueilli *chez une femme* (avec le sens de "dans l'espace intime d'une femme") pour partager des moments de plaisir à être ensemble. Le terme *une femme* m'avait étonné parce qu'à ce moment-là c'était avec cette femme et seulement elle que j'avais envie de vivre cela. Je crois que déjà je savais qu'il pourrait y en avoir d'autres qu'elle…

Quoi qu'il en soit, l'idée forte était là : cette liberté de mouvement, je n'y renoncerai plus. Et de fait je n'y ai pas renoncé au moment du choix décisif, six mois plus tard, allant jusqu'à laisser Charlotte s'éloigner. Le prix de mon choix était élevé : outre la blessure que j’infligeais à Charlotte, c’est aussi une énorme partie de ce qui me liait à elle que je perdais. Depuis, en aucune façon je ne me suis lié au point de perdre ma liberté de mouvement. Même si j'ai pu faire provisoirement des concessions pour éviter de blesser...

Avec dix ans de recul, je crois maintenant pouvoir dire qu'avec ce premier voyage au Québec j'ai franchi d'un seul coup plusieurs passages initiatiques sans en avoir vraiment conscience. J'y ai gagné une assurance et une confiance en moi qui, sans cela, n’auraient probablement pas émergé avant longtemps, voire jamais. Car croire en soi demande de traverser certaines épreuves. L’image que j’ai de moi aujourd’hui avait besoin d’en passer par là pour exister.




PS : Après avoir écrit ce qui précède j'ai eu envie de relire ce que j'avais écrit au moment de ce séjour initiatique. Très surpris par sa profusion, j'ai retrouvé l'incroyable travail d'introspection analytique qui m'avait préparé à effectuer ce voyage "vers la vie".

C'est ici : Février 2004

Quant au séjour lui-même, un texte relate
ici de quelle façon je l'avais "enregistré" mentalement et finalement fort peu décrit. Ma mémoire sensorielle a donc capté et engrangé énormément de détails de cette courte période.







Suite : mars 2014