Février 2004
Dernière mise à jour - Accueil - Premier jour - Archives - Message



Crise d'adolescence tardive






Jeudi 5 février


A moins de deux semaines de mon séjour chez nathalie, je suis en train de régler tout ce qui pourrait encore me poser problème afin que je vive pleinement, avec elle, ce moment privilégié et totalement inédit. Car partager le quotidien des jours et des nuits d'une autre femme ne m'est jamais arrivé (hormis nos deux petits jours et demi de vacances du mois de septembre).
Décider d'y aller est une chose, mais y être totalement prêt en est une autre. Car il y a dans cette aventure bien des éléments qui sont mis en jeu, autant dans ma relation avec nathalie que dans ma relation avec Charlotte... et même bien au delà.

Mais je sais que lorsque verrai sa silhouette venue m'attendre à l'aéroport, je serai prêt. Je fais ce qu'il faut pour cela, comme je l'avais fait pour notre première rencontre.

Alors, poursuivant ma plongée dans les arcanes des conditionnements de ma pensée , je vais tenter d'analyser ce qui fait que je ne me sens pas encore vraiment "libre".


D'abord, il y a un point important: une grande part des choix que je fais s'opère presque "malgré moi". Il y a une force, un élan, une détermination, qui me dépassent. Je me sens souvent entraîné dans mes actions, ou dans les mots que j'énonce, par une voix intérieure à laquelle je ne saurais résister. Malgré ma peur, j'avance. Non sans quelques sueurs froides parfois, lorsque ma "raison" [surmoi] se rend compte de la merde dans laquelle je risque de me foutre après mon retrour [ça, c'est ma "raison" qui le dit hein, c'est pas moi...].


Une des clés de compréhension m'est apparue clairement ces derniers jours, juste après que j'ai assimilé le fait que je devais cesser de me culpabiliser pour ce que j'entreprenais. Et le mot-clé est: enfant.
J'ai, à de nombreuses reprises, fait référence à cet enfant intérieur, craintif, qui freinait mes audaces. Je ne soupçonnais pas qu'il avait autant d'importance et qu'en fait toute ma démarche était un affranchissement de ce reliquat anachronique d'enfance .

[oh la la, ça va être hyper complexe à décortiquer].



Le gentil garçon bien sage

J'ai tout d'un coup pris conscience que j'avais un comportement "suicidaire", en "tirant sur la corde" jusqu'à sentir sa limite de rupture. C'est ce qui se passe avec Charlotte, d'une part, puisque j'en arrive à compromettre notre vie de couple au point que la séparation semble être la seule issue. C'est aussi ce qui se passe avec mon travail puisque je l'ai largement délaissé ces derniers mois, notamment pour consacrer beaucoup de temps à cet autre "travail" qu'est celui de mon évolution personnelle. Et ce, alors que simultanément je suis obligé d' acquérir rapidement une autonomie financière suite à cette séparation.

Qu'est-ce qui a pu me conduire à ce comportement "irresponsable", moi qui ai toujours été très [trop!] sage, mesuré, pondéré, réfléchi?
Et bien justement: une révolte contre ce coté trop "raisonneur" qui inhibe ma personnalité. Je m'étouffe à rechercher toujours comment anticiper l'imprévu et l'éventuelle insécurité qui en résulterait. Je ressens un besoin de me mettre en danger, de prendre des risques, de perdre ma sécurité pour y gagner en liberté. J'ai donc volontairement choisi une voie qui suscite mes peurs, qui bouleverse mes repères, qui fragilise ma sécurité affective et matérielle [il y a un lien entre les deux, j'y reviendrai plus loin].

J'ai surtout eu envie de vivre librement mes désirs, mes choix de vie. J'ai décidé d'être moi-même, c'est à dire rompre avec ce que j'étais en apparence... et qui me rendait "autre" que moi.
La rupture que je vis actuellement, ce n'est pas avec Charlotte qu'elle se produit, mais avec celui que j'étais. Et ça va même plus loin: c'est avec mon éducation, avec mes parents, et plus spécifiquement ma mère, que je romp. C'est de cette part d'enfance qui bride mes audaces dont j'ai besoin de m'affranchir.

Car ce garçon bien sage et bien poli que j'ai trés longtemps été (et que je reste encore...) n'avait qu'un objectif: être apprécié inconditionnellement par sa mère. Ben oui, il ne me restait qu'elle, vu les rapports que j'avais avec un père dévalorisant. Il fallait donc que je fasse bien tout ce qu'il fallait pour plaire à ma mère, (et aussi à mon père, j'en ai déjà parlé). J'avais donc soigneusement enregistré tout ce qu'elle me disait, y compris les sornettes d'inspiration catho, et en étais devenu un ardent défenseur. Y'avait du bon, c'est certain, mais aussi un paquet de bêtises. Moi j'avais tout pris en bloc. Il m'a fallu atteindre l'âge de 30 ans pour mettre sérieusement en doute les bienfaits de cette religion dans laquelle j'avais été baigné [eh, messe tous les dimanches jusque vers mes 18 ans, quand même...]. Et depuis l'éloignement n'a fait que s'accentuer, jusqu'au rejet actuel, plutôt hargneux, de tout un tas de saloperies pseudo-morales et de préceptes à la con qui ont empoisonné mon existence.



Une vision morale de l'amour

Je croyais ainsi m'être débarassé de ce qui m'avait pollué l'esprit. C'était faire preuve de naïveté... En fait je n'avais rejeté qu'une part, la plus visible, sans me rendre compte que j'étais infecté de façon bien plus sournoise. Et en particulier du coté moralo-religieux qui accompagne l'idée d'amour, notamment dans sa dimension sexuelle...
Par exemple, je me suis bien sagement marié avec une bien sage et gentille jeune fille qui ne pouvait que plaire à mes parents [et surtout à ma mère...]. Et j'ai bien sagement attendu que nous soyons légalement et religieusement unis pour "consommer" le mariage [putain, mais je rêve!!! c'est moi qui étais comme ça??]. J'ai fait tout bien comme il faut, sans une once de révolte... pour faire bien plaisir à ma môman, qui ne pouvait que m'apprécier en retour [bon, cironstance atténuante: j'en avais pas conscience à l'époque...]. Cette jeune fille avec qui je me mariais était la première que je "fréquentais", tout comme avaient fait mes parents entre eux...

Mon expérience des relations amoureuses était donc nulle (je ne compte pas les amours idéalisés non réciproques), tout comme mon expérience sexuelle, et l'idée même de séduction m'était étrangère. Et le pire... c'est que j'étais très fier de ça [on ne rit pas!]. J'étais heureux de m'être ainsi préservé pour la seule et l'unique, l'amour de ma vie... puisqu'il était évident que notre union ne pouvait durer que toute la vie [au minimum...], comme il se doit. Il ne fallait alors pas me parler de divorce, ni même de concubinage, je n'y voyais que peur de l'engagement et renoncement facile [putaaainnn, graaave le meeeec!]. Faut dire que dans la quinzaine de couples qui constituent ma famille élargie, il y a zéro divorces, et zéro séparation! Les lois de la statistique ne s'y appliquent pas.



Le couple plutôt que l'amour

J'ai appris peu à peu à prendre mon indépendance d'esprit par rapport à ce milieu familial *légèrement* puritain... mais je sais qu'il en reste des traces tenaces. Par exemple, si jamais je ne m'étais vraiment posé de questions sur mon couple... ben... c'est parce que l'essentiel était que le couple fonctionne bien. Le couple... mais sans parler là d'amour. L'amour conjugal, oui, mais l'état amoureux... ben... on fait comme s'il était encore là. De le voir se manifester dans chaque attention ou geste de tendresse semble être suffisamment éloquent. Et de fait, c'est bien une forme d'amour, à n'en pas douter.

Donc, je ne me suis jamais posé de questions à ce sujet: j'aimais Charlotte, sans chercher à connaître la vraie nature de cet amour.

Maintenant je sais qu'il était à la fois celui d'une mère/amie/amante (par ordre d'importance?). Et... justement c'est ce coté "mère" qui porte en germe tout son poison. C'est ce coté "mère" qui à fait que je suis resté un peu "enfant" avec Charlotte, qui a pris le relais dès que nous nous sommes mariés [pourquoi n'ai-je jamais eu à me préoccuper de la lessive, dès l'origine?]. Et cette attitude s'est renforcée avec les années, depuis que nos enfants sont nés.

C'est vachement important ça. Absolument essentiel. Charlotte a pris un rôle de mère avec moi... et je l'ai laissée faire. Et l'effet pervers, c'est que plus j'ai eu tendance à m'éloigner de ma mère (la vraie) en agissant à ma guise... plus Charlotte à pallié à mes défaillances... ce qui renforçait mon envie d'en faire encore moins. Tout cela de façon parfaitement inconsciente pour nous deux, évidemment.



La bizarre relation conjugale mère-fils

L'homme que j'étais, hyper-travailleur et perfectionniste (donc un "bon fils" irréprochable) a appris à écouter ses désirs. Ce faisant j'ai trouvé qu'il pouvait y avoir d'autres épanouissements que le travail et la tyrannie du besoin de perfection [pour être irréprochable, donc "aimable"...]. Je me suis relâché... et finalement tout marchait aussi bien. Alors j'ai lâché, lâché... et profité de plus en plus. Et ça marchait encore! Sauf qu'en fait c'est Charlotte qui a pris de plus en plus de choses en main. Ça lui convenait très bien, car elle avait de son coté besoin de se sentir autonome, responsable, active. Elle ne voulait pas dépendre financièrement de moi et aimait assumer un rôle de "chef de famille".
Je dois quand même préciser, après discussion avec Charlotte, qu'elle pense avoir investi ce champ car elle y était libre. Effectivement, je ne suis jamais intervenu dans cette sphère, la protégeant ainsi de toute remarque ou critique, ce qui n'était pas le cas ailleurs, hélas [mea culpa...].

Problème: en prenant tout en charge... elle m'infantilisait. Et moi je me laissais faire. Finalement, c'était bien confortable d'être choyé par cette parfaite mère de famille. Je me contentais de faire le minimum syndical. De toutes façons, je n'avais même pas à en faire beaucoup puisque tout était déjà fait. Pas le temps de voir que c'est sale par terre: ça ne l'est pas. Ou du moins, le temps que je me dise «tiens, faudrait que je le fasse bientôt»... ben c'est déjà fait.

Très confortable... mais culpabilisant [vouais, suis pas aveugle quand même...]. Donc inconfortable. Et puis source de tensions.

En fait, je crois que je suis peu à peu entré dans une forme de résistance passive inconsciente. Je montrais à ma "mère" (réincarnée en Charlotte), que je n'avais plus envie d'être un garçon bien sage. Je ne veux pas qu'on m'aime pour ça, mais pour ce que je suis vraiment. Et comme ça passait toujours... ben j'ai continué à en faire de moins en moins. Je l'aide [terme significatif de ma non implication!] dans une part des tâches quotidiennes, mais j'ai laissé complètement tomber tout ce qui était aménagement de la maison (non terminée après des années de travail soutenu). Je fais le minimum pour que ça passe sans trop de heurts. Et Charlotte, en bonne "mère", s'est acharnée à me prendre pour un enfant, ce qui l'irrite et ne fait que renforcer ma non-implication, voire ma fuite.
Trop facile pour moi...

Sans compter que ce rôle de "mère", toujours occupée, n'était pas du tout celui que je voulais voir jouer par Charlotte. Je lui proposais de prendre du temps, ayant envie de le passer avec elle... mais elle avait souvent quelque chose à faire. C'est comme si elle voulait me montrer qu'elle était occupée... alors que justement je voulais lui montrer que ce n'était pas l'essentiel de faire du ménage.

Bref... nous fonctionnons en plein selon le modèle "traditionnel" du couple: madame se tape tout le boulot ingrat [mais pourquoi se l'attribue t-elle?], et bosse deux fois plus, et... moi... ben ça m'énerve de la voir consacrer autant d'énergie à des tâches qui, à mon sens, n'en demandent pas tant. Seulement, en tant que "maitresse de maison", elle se sent responsable de tout ça, craignant des regards extérieurs. Alors que moi je me fous de voir de la poussière dans les coins.
[hum... avec tout ça, j'ai peur d'agacer quelque peu d'éventuelles épouses/mères de famille qui me liraient...].



Collusion mère/épouse

Moi je veux une femme, et pas une mère. Charlotte veut un homme, pas un enfant. Sauf que... on se débrouille, je ne sais comment, pour avoir exactement l'inverse de nos souhaits.

Donc... et bien cette "mère" ne me séduit pas du tout! Mais alors pas du tout du tout! Par contre... elle est très gentille... comme "mère", je ne peux pas le nier. Très attentionnée, attentive, dévouée... Et une mère, c'est quand même rassurant, agréable, confortable.

Voila pourquoi j'en arrive à ce paradoxe de ne plus être amoureux de Charlotte tout en ayant peur de l'insécurité affective qui résulterait de sa perte. Charlotte qui, de son coté, fait "tout" ce qu'elle estime nécessaire pour moi... sans que ce soit ce que j'aimerai d'elle.

J'en suis arrivé au point où je supporte mal son protectionnisme à mon égard. Il y a un sursaut en moi, une révolte devant cette femme qui est toujours prévenante... comme si elle était ma mère!

Or ma mère, la vraie, est précisément celle dont je cherche à me détacher. Il y a collusion entre la vraie mère et cette mère par procuration qu'est devenue Charlotte.

Et si je veux me détacher de ma mère... c'est parce que je veux être libre d'être moi-même. Je ne veux plus avoir peur de lui déplaire. Je veux oser exister par moi-même, et non plus comme un garçon bien sage. Je veux qu'elle m'accepte tel que je suis.

Bon, tout cela est en cours de puis longtemps [ah ben ouais, quand même!], parfois largement surmonté, mais il se trouve que j'en suis rendu à l'étape la plus difficile du processus de détachement: l'amour... et l'idée de sexualité qui s'y rattache. J'ai envie de vivre l'amour librement, selon mes désirs, et non plus selon ce qui serait "bien". J'ai envie de vivre l'amour amoureux, et non plus l'amour conjugal, beaucoup trop lié à cette relation "mère/fils" (épouse/mari) qui existe apparemment dans de nombreux couples.

J'ai besoin de prendre mon autonomie d'avec cette Charlotte-mère, qui m'étouffe.



Amour et sexualité

Et... ce n'est certainement pas un hasard si j'ai été attiré, puis séduit, par nathalie, une femme qui n'est pas mère... Une femme qui revendique une certaine liberté dans sa façon d'aimer, très éloignée de ce qu'à pu vouloir me faire passer ma mère. Une femme qui sait ce qu'elle veut et ne cherche pas à plaire en niant sa personnalité. J'ai trouvé en nathalie un guide vers une forme d'amour épanouissant qui était en moi mais qui n'avait pu se révéler jusque là.

Et en particulier... la dimension physique, donc sexuelle. Grand tabou familial, auréolé de respect et de mystère, mélange ambigu des notions de "pêché" et d'absolu. J'ai plusieurs fois évoqué ici cette liaison bizarre entre amour-sentiment et amour-physique, qui fait que le second ne serait beau que si le premier est là. Mais que le premier ne pourrait exister que dans la fidélité à un amour unique et éternel. Autrement dit: la sexualité n'est belle que dans le mariage (ou union stable assimilée). Même si ledit mariage évolue vers cette relation conjugale dont j'ai parlé, plus ou moins "mère/fils", largement amputée de sa dimension amoureuse. Relation vaguement incestueuse donc...

Est-ce alors tellement étonnant que cette sexualité conjugale soit assez peu émoustillante?

Plus généralement, est-ce vraiment étonnant que tant d'hommes (et de plus en plus de femmes) aient envie d'aller voir ailleurs si ça ne peut pas être un peu plus grisant avec un soupçon de séduction et de féminité?

Ce qui est certain, c'est que ce besoin aura été suffisamment fort chez moi pour que mes convictions héritées, pourtant solides, soient remises en question, puis volent en éclat les unes après les autres.



Amour, sexe, et argent

Autre chose plus surprenante et qu'il faudrait que j'approfondisse: il semble qu'il y a un lien assez fort entre sexualité et argent, en termes de psychanalyse. Et... je me demandais si le tabou sur la sexualité, et l'embargo sur toute manifestation physique de contact de la part de mes parents (surtout mon père)... n'aurait pas été compensés par un amour "monétaire". Je veux dire par là que l'impossibilité de transmettre de l'amour via les mots ou les gestes, aurait pu être compensée par l'argent.

Ce qui, en annexe, expliquerait mon gros problème avec les manifestations d'amour onéreuses que sont les cadeaux. Je suis très mal à l'aise avec les cadeaux rituels, et d'autant plus qu'ils ont une valeur monétaire. Je rejette l'idée de montrer mon affection de cette façon tout autant que je redoute cette possibilité "d'acheter" mon affection.

Mais là où je voulais en venir, c'est que cet argent qui n'a jamais fait défaut chez mes parents (ce qui ne signifie pas qu'il y en avait a profusion...) a pu contribuer à me garder dans un état d'esprit "enfant". Parce que je n'ai jamais eu peur de ne plus avoir d'argent. Il y a toujours eu cette sécurité financière, juste ce qu'il fallait sans excès, qui nous permettait de passer des vacances variées et ne manquer de rien.
Mais si l'argent n'a jamais fait défaut lorsque j'étais enfant... il n'a jamais manqué plus tard, alors même que j'avais quitté le domicile parental. Ça, c'est moins logique...
Dès le mariage, mes parents nous ont prêté un appartement dont ils disposaient, puis nous ont proposé ultérieurement d'habiter dans une maison qui leur appartenait. Puis enfin nous ont offert une importante somme d'argent suite à la vente d'un terrain. Et finalement nous on fait une avance sur héritage, qui a largement contribué à l'achat de la maison dans laquelle nous vivons actuellement.
Tout cela est parti d'une très louable intention, à n'en pas douter, et je ne peux qu'être reconnaissant de cette aisance qui m'a été offerte. Mais... qui m'a maintenu en dehors de certaines réalités. J'ai eu trop de chance. Ma vie a été trop facile. Du moins, sans difficultés matérielles. Je suis passé du domicile parental à des domiciles fournis par mes parents. Il n'y a pas eu de rupture nette, de prise d'autonomie radicale.
Cela n'a pas contribué à me faire devenir "adulte". D'une certaine façon, plus ou moins involontairement, mes parents m'ont maintenu dans un statut enfantin. Ils ont presque "acheté" ma fidélité envers eux... sous la forme d'affection qu'ils donnaient: par l'argent. J'ai, en quelque sorte, contracté une "dette" envers eux, qui a longtemps fait que je suis resté le "bon fils" bien obéissant.
C'était facile... et je suis resté dans cette facilité.



Le droit au plaisir

Si je relie de façon un peu hasardeuse argent et sexualité, c'est que les deux ont un rapport avec le plaisir. L'argent peut permettre l'accès au plaisir, tout comme la sexualité.

Et comme l'amour de mes parents était transmis via l'argent... que cet argent/amour m'a maintenu dans un état d'enfance-dépendance... que pour cette raison je n'ai pas osé leur déplaire en m'émancipant... et que l'amour sexuel était pour eux l'objet d'un certain tabou... et bien je ne serais qu'a moitié étonné que cela ait des répercussions complexes et multiples sur ma crainte d'aller vers des sources de plaisir!

D'un autre coté, j'ai toujours eu un rapport problématique avec l'argent. Je ne l'aime pas, je n'en veux pas [bien obligé pourtant...], je déteste tout ce qui est lié au pouvoir de l'argent. Et... j'en gagne fort peu. Je n'aime pas non plus le dépenser, surtout pour des plaisirs éphémères et/ou immatériels [comme la sexualité?]. Je refuse les plaisirs "faciles", ceux que l'argent permet d'obtenir... ou ceux de la sexualité de plaisir.
Mes parents n'avaient pas de sexualité perceptible, en banissaient le coté plaisir, mais nous comblaient avec l'argent. Faut-il que je m'étonne de refuser l'argent, "faux amour", tout en refusant aussi la sexualité "vrai amour" mais admise seulement dans le cadre autorisé?

Je ne sais pas ce qu'il en est exactement, mais je vois là une possible explication à de forts blocages liés au plaisir.
Pourtant, je ne rejette pas tout plaisir, puisque j'apprécie énormément ceux qui naissent de l'échange intellectuel ou sentimental, ainsi que les plaisir "simples", qui dont sans rapport direct avec l'argent (plaisirs "contemplatifs").

C'est compliqué, hein?
Très très chiant.



Alors maintenant, je ne tiens plus dans ce rôle faussé. Je ne m'y reconnais plus, je n'y suis plus moi-même. Et je fais, fort tardivement, ma révolte d'ado bien mûr. Ces *quelques* années de maturité supplémentaires font probablement que mon regard porte plus loin, et que la vague de fond est à la fois plus lente et plus forte. Là où d'autres ont fini par rentrer dans un certain conformisme, je poursuis mes réflexions et essaie de les mettre en pratique. Notamment en remettant en cause la vision traditionnelle du couple, de l'amour, et de la fidélité.

Et c'est bien parce que je considère que les choses ont été "trop faciles" dans ma vie que j'ai envie de me mettre un peu en danger [ouais... un peu...] en remettant dans la balance mon couple et la sécurité matérielle qui allait avec. Même si ça me fait peur.



Tout ça pour dire [oui, venons-en au fait, quand même...] qu'en décidant d'aller passer quelques jours avec nathalie, j'accomplis bien plus que me donner le droit de suivre mes envies. Je quitte surtout une certaine forme d'aliénation issue de la sécurité affective et matérielle qui me retenait prisonnier. Ma liberté passe par le renoncement à la sécurité.

C'est aussi un affranchissement conscient des tabous liés au coté physique de l'amour. Car, je me rends bien compte que c'est devenu, entre nathalie et moi, un élément essentiel de notre relation. Je sais désormais que j'ai manqué de cette dimension, et je compte bien m'autoriser à y avoir accès. Maintenant...




[écrit et modifié du 2 au 5 février]






Acteur de ma vie





Samedi 7 février


Une fois mis en ligne mon texte précédent, je me suis dit que je pouvais donner l'impression de me placer toujours en "victime". Mhoui... c'est fort probable...

Mais justement, je ne veux plus me sentir ainsi "passif". Ça fait aussi partie du processus d'émancipation: devenir acteur, en évitant de subir ce qui ne me convient pas. En me donnant aussi les moyens d'obtenir ce que je souhaite.

Certes, mes parents ont joué un rôle fondamental dans ce que je suis aujourd'hui, comme pour tout le monde. Mais j'aurais pu réagir bien différemment. Avec la même éducation mon frère est, par exemple, très différent. Rien que sur la question de l'argent, que j'ai longuement évoquée, il a un comportement inverse: il aime l'argent, montrer qu'il en a, et en dépense beaucoup dans des apparences (grosses bagnoles). Quoique, avec l'âge, il semble se rendre compte que tout cela ne lui convient pas vraiment...

Bref, ce que je suis ne vient pas seulement de mon éducation, mais aussi de la nature de la pâte dont je suis fait. Et si je constate à quel point j'ai été marqué, c'est d'une part parce que je prends le temps de m'auto-analyser pour le comprendre, et d'autre part parce que la sensibilité fait sans aucun doute partie de moi. D'autres se seraient rebellés bien plus jeunes, ou auraient été moins "éponge"...


Je n'ai donc plus envie de me sentir "victime" des autres, mais prendre conscience que je peut maîtriser ce que je ressens. Être acteur de mon bien-être. La souffrance est une perception subjective sur laquelle ont peut agir, dans une certaine mesure. Et cela passe par la relativisation des évènements et surtout de l'importance donnée à autrui. Si j'avais moins tendance à me dévaloriser, je survaloriserais probablement moins ceux qui peuvent me nuire. D'ailleurs, je suis engagé sur cette voie depuis quelques temps déjà, et en partie grâce aux déboires que j'ai eu en divers lieux de cette cyber-vie.

Être acteur de mon bien-être, c'est aussi être me choisir la vie que je veux vivre. C'est bien évidemment ce que je fais actuellement en me donnant les moyens de partager avec nathalie un amour dont je sens toute la potentialité, malgré les complications que cela peut entraîner.





«Depuis, j'ai compris que je suis libre. Et que la culpabilité est un choix, et bien souvent un choix de lâche. "j'ai fait souffrir Untel, je culpabilise.". La culpabilité ne sert qu'à s'empêcher de se mépriser soi même : "j'ai fait souffrir, certes, mais j'ai mal aussi. je suis donc quelqu'un de bien (qui souffre), et pas un salaud qui aime blesser les autres". Mais il y a un autre choix. Accepter d'être faillible, accepter d'être maladroit, accepter d'avoir blessé sans le faire exprès, sans s'en rendre compte, accepter d'être humain. Se pardonner sans oublier, réflechir, comprendre et apprendre de ses bêtises.»

Immediate Purple lifestyle (04/02/2004)



Cette réflexion d'Ultraorange sur la culpabilité m'a sensibilisé à quelque chose que je n'avais pas vraiment soupçonné, moi qui me sens souvent "coupable". Et c'est en expliquant à Charlotte que je me sentais simultanément heureux de suivre mon chemin et... triste... non... malheureux de la faire soufrir que j'ai compris que ce que j'appelle "culpabilité" n'est pas le mot adéquat. Non, je ne me sens pas "coupable" de ce que je fais, car il n'y a aucune idée de faute. Au contraire, je sais que je vais vers quelque chose de "bon". Il n'empêche que je suis malheureux que mon bonheur se fasse au prix de notre séparation. Ça me fait mal de savoir que Charlotte souffre de la situation.

Et ce n'est pas du tout la même chose que de m'en sentir coupable. Car il n'est pas en mon pouvoir de stopper sa souffrance... sauf en créant la mienne dans une idée de sacrifice. Ce qui serait bien évidemment une énorme erreur.


_______________



Ah, un petit truc que je voulais préciser, puisqu'on me pose régulièrement la question: j'écris Charlotte et nathalie. Pourquoi cette différence majusculaire? Et bien parce que... nathalie est la seule dont le prénom s'écrive de cette façon. Il ne faut y voir aucun sens inavoué, et surtout pas que l'une mériterait une majuscule et l'autre pas...





«Tu as eu peur - peur de faire des mauvais choix, peur de prendre des mauvaises voies, peur de gâcher ton temps et tes chances. Mais tu as quand même avancé. Tu ne savais pas où tu allais, mais tu y allais.»

Regards solitaires (04/02/2004)













«Et si je disparaissais?»




Dimanche 8 février


«Et si je disparaissais?». C'est la question que nathalie m'a posée hier, lorsque j'évoquais une nouvelle fois à quel point il m'est difficile de concilier mes deux vies du fait du mal-être de Charlotte. Car si aimer c'est souhaiter le bonheur de l'autre, faire son malheur devient un non-sens absurde. Faire comprendre à Charlotte que je tiens à elle tout en choisissant d'aller vivre neuf jours avec nathalie nécessite un dialogue constant. Sa crainte d'être abandonnée laisse très vite remonter ses inquiétudes.

«Et si je disparaissais?» proposition de s'effacer un peu surprenante, comme pour me pousser à confirmer ma détermination. Marque de respect envers ma conscience, sérieusement écartelée ces derniers temps entre deux amours de différente nature. C'est une question analogue de ma psy qui m'avait fait comprendre l'importance de cette relation, au mois de juin dernier. Mais hier, je n'ai pas ressenti cette même émotion m'envahir. Peut-être parce qu'il m'est souvent arrivé de m'interroger sur cette relation et que j'ai ainsi amadoué cette idée? Elle ne me fait plus tressaillir.
Je sais que si nathalie émet cette proposition, c'est parce qu'elle souhaite me voir heureux, et pas tiraillé dans tous les sens.

Dans la même discussion, nathalie m'a demandé si j'avais déjà pensé à renoncer à mon voyage.
Oui, cette idée m'a traversé l'esprit quelque fois, lorsque je me suis senti perdu sous les difficultés, notamment financières, qui m'attendent vraissemblablement. Lorsque les choses deviennent tellement compliquées à gérer, que je mesure la douleur que j'inflige à Charlotte, que la peur de l'incertitude m'envahit... il m'est arrivé de me dire que je pourrais tout arrêter... et que la vie redeviendrait "simple" (illusion...).
Même si, dans les instants qui suivent, je réalise que ce serait un renoncement absurde, une fuite pathétique. Le reniement de toute ma démarche d'écoute intérieure.

J'ai été surpris que nathalie envisage que je puisse me désister au dernier moment. Oh, je ne le prends pas comme une marque de défiance, mais comme une prise en compte de mon combat intérieur. Elle sait à quel point le défi est gigantesque.


Je ne m'imagine pas renoncer pour plusieurs raisons. D'abord il y cette force intérieure qui me guide, presque "malgré moi" (malgré mon surmoi) et se démène pour que mes désirs prennent le dessus. Il y a aussi le fait que je ne pourrais renoncer que si je sentais l'obstacle trop insurmontable, risquant de me disloquer à vouloir le franchir coûte que coûte. Dans un tel cas, je crois que j'aurais la sagesse de mesurer mes limites et de renoncer avec lucidité.
Mais si je renonçais simplement parce que j'ai peur, trahissant ainsi mes propres paroles, alors j'aurais terriblement honte de moi. Et là, je détruirais ma propre estime, que je construis patiemment depuis des années.
Sans même parler de l'infâmie que je commettrais envers nathalie, et des souffrances inutiles infligées à Charlotte...

Cet acte est effectivement "géant", sans doute un des plus déterminants dans ma vie. Le plus délibérément engageant, le plus mûrement réfléchi. Et pourtant, je pense que je ne mesure même pas toutes les conséquences qui en découleront à l'avenir.

D'ailleurs, personne ne les connaît. C'est le fil des évènements, et le temps qui passe, qui indiqueront la voie. Charlotte ne sait pas quelles seront ses réactions à mon retour, et j'ignore tout des miennes. Par exemple, j'ai reçu un mail d'une lectrice qui vit une situation apparemment très semblable à la mienne et qui, à l'occasion d'un voyage qu'elle a fait vers son complice québecois rencontré sur internet... a décidé de se séparer de son mari avant même de revenir en France! Compte tenu de ce qui s'est passé entre nathalie et moi pendant deux jours et demi de découverte je... je me dis que le champ des possibles sur une période d'approfondissement de neuf jours est très vaste. C'est probablement ces éventualités inconnues, et l'engagement que je prends en les rendant possibles par ce voyage, qui fait que... ben je prends une énorme responsabilité en continuant le processus.

Et... comme le ressent nathalie, jusqu'au dernier instant je sais que je peux éventuellement stopper le compte à rebours. Je comprends qu'elle préfère garder une marge de sécurité en ne considérant rien comme aquis tant que je ne serai pas dans ses bras.
Là, vraiment, nous pourrons nous laisser aller tous les deux.

Mais je crois me souvenir qu'elle avait gardé la même marge lorsque j'étais allé la rejoindre en cette fin d'été. Et j'étais bien au rendez-vous...

Je sais qu'elle me fait confiance et que ne rien considérer comme acquis est pour elle une façon de se protéger de désillusions imaginables. Je crois que c'est une bonne façon de faire, et que même dans les décisions les plus "certaines" il demeure une part d'incertitude qui les rend encore plus fortes au moment de l'accomplissement.







Plus que deux mains...

... plus que deux mains avant que l'on ne se retrouve. Dix doigts pour autant de jours avant que nos mains se touchent, que nos bras s'enlacent. Dix jours à égrenner dans le compte à rebours. 
Je le trouve parfois lent mais que ne le voudrais pas plus rapide. Parce que c'est le temps qui m'est imparti pour être prêt à accueillir ce moment comme nous le souhaitons..








Neuf




Lundi 9 février


A neuf jours du départ pour neuf jours, le curseur peur/envie s'affolle et va dans les excès. Il oscille sans cesse et ne se stabilise sur rien. J'ai peur et envie simultanément, alternativement, opposément.

L'envie, je la connais puisque voila des mois qu'elle est là, et que j'ai travaillé pour la faire passer du désir à la concrétisation.

Mais la peur...

Peur de quoi?

Arrrhhh, mais de plein de choses!

Mais encore?

Peur de l'impermanence, de l'absence de visibilité. Peur de faire souffrir, de décevoir, de blesser. De ne pas pouvoir tenir tous les "engagements" et "promesses"...

Oh laaa, du calme, une chose à la fois

J'ai peur des changements qui peuvent survenir pendant ou après ce voyage, sans que je puisse savoir de quelle nature ils seront . Peur de l'inconnu, de l'inattendu, de choix qu'il faudrait faire éventuellement. Peur de l'incertitude et de l'aventure.

C'est toujours aussi vague... précise un peu.

Bon... en fait... j'ai peur de mon inconscient. J'ai peur de découvrir certaines motivations profondes qui m'auront poussé vers cette démarche d'émancipation. J'ai peur de, tout d'un coup, me rendre compte que... j'agirais très égoïstement. Que... hum... que je... puisse "utiliser" ces femmes qui m'aiment. Que je me construise avec leur aide, puis... ne sache leur rendre autant qu'elles m'ont donné. C'est ce qui se passe en ce moment avec Charlotte... et...

Et?

Et... parfois j'ai peur que ce soit la même chose avec nathalie. Qu'une fois arrivé au bout du défi que je me suis lancé, je ne puisse lui apporter autant que ce qu'elle m'aura donné. Pour être plus clair... j'ai peur de découvrir que les motivations de mon voyage soient devenues davantage importantes dans la démarche que dans le résultat. Que la démarche en elle-même ait surpassé le but initial du voyage.

C'est idiot ce que tu dis... Ce n'est pas parce que le processus de libération est très important que le but en deviendrait moindre. Ce sont deux choses en parallèle, mais l'une ne se fait pas au détriment de l'autre.

Mouais... p'têt' ben...

Tu es actuellement focalisé sur la démarche, et elle prend effectivement énormément de place. Tu en "oublies" donc le but principal...

Oui... et c'est vraiment agaçant. Mais j'ai toujours ce besoin de décortiquer le pourquoi de mes agissements.

Hmmm, une façon de te déculpabiliser sans doute?

Oui, car en trouvant une explication, je justifie ainsi ma démarche.

Et pourquoi ce besoin de se justifier?

Parce que... parce que suivre ses désirs n'est pas une motivation saine...

Quoi? Mais qu'est-ce qui est "sain" et qui ne l'est pas?

Et bien... par exemple... je sais que... il existe dans mes motivations celle de... pfff...

Celle du désir physique, c'est ça?

Hmpfffoui...

Et alors?

Et ben c'est pas bien de...

Mais c'est pas vrai?! Encore coincé là dedans? C'est donc ça qui te dérange tant que ça? Tu ne veux pas t'avouer que tu as envie de baiser avec...

Chhhhht!!!

Hé hé, bingo...

Grmblll...

T'es vraiment con toi... Tu le sais bien que c'est quelque chose qui fait partie, ô combien, des sentiments qui peuvent lier un homme et une femme. Tu sais très bien que vous partagez ce désir. Et au nom de quoi ce ne serait "pas sain" de vouloir vivre votre relation aussi dans cette dimension? Hmmm?

Ben...

T'as peur qu'on puisse penser que c'est surtout ça qui te motive dans cette relation parallèle? C'est ça?

...

Mais si des gens pensent ça... mais tu t'en fous! T'en a rien à foutre des gens, ça ne les regarde pas! C'est quand même bien normal d'avoir envie, trèèès envie, de partager une intimité physique. Tu sais très bien que ça donne une dimension que tu ne soupçonnais même pas...

Ouais mais bon... gmblll... suis marié....

Rho la la! Mais t'es grave comme mec! Ça fait des mois que tu réfléchis à tout ça, que tu analyses et décortique. Tu es depuis longtemps convaincu que ce genre de principes est un carcan qui fige les situations, sclérose des couples, inhibe le désir... et tu reviens encore dessus? Mais assume un peu merde! Assume tes désirs!

Glllp...

T'es vraiment très coincé sur ce genre de choses...

Voui... [hochement de tête]

Alors répète après moi: j'ai envie de voir nathalie parce que je l'aime.

Euh... j'aienviedevoirnathalieparcequejelaime.

Plus fort!

J'ai envie de voir nathalie parce que je l'aime.

Bien. Maintenant: j'ai envie de voir nathalie et j'aimerai beaucoup faire l'amour avec elle.

Hé oh, ça va pas non?

Répète, je te dis!

Heuh... ben... c'est à dire... y'a quand même des sentiments, c'est pas juste pour...

Mais tu l'as déjà dit que tu l'aimais, bougre d'andouille!

Ah oui...

Alors?  J'attends... [tape du pied]

Euh... j'aienviedefairelamouravecnathalie...
Oh non non, j'efface que que j'ai dit!!!

Trop tard, hyek hyek hyek, c'est enregistré!

Rholala, mais tout le monde va le voir... mais c'est pas possible ça...

Si si, justement, c'est possible! C'est même très bien. C'est fait pour.

Arhhhh...

Tu ne te sens pas mieux maintenant? Comme soulagé d'un grands poids?

Euh.... voui... c'est vrai.

Boooon, alors c'est très bien. On va tâcher de lever les points de malaise qui restent dans les jours qui viennent. Pour qu'il ne reste rien au moment ou tu verras nathalie, et que tu puisses te jeter dans ses bras comme vous l'espérez tous les deux, après tant de mois de manque.

Ah oui, ça j'aimerai vraiment y parvenir...

Et... au passage... tu vois que l'envie dont tu parlais au début ne t'es pas si familière que ça. Du moins pas dans toutes ses composantes...

Beuh... grrr... et gnagnagna... pffff... [haussement d'épaules]

Hé hé hé...






Fuite





Mardi 10 février


Je viens de relire ce que j'ai écrit hier et... hum... heureusement que je l'ai mis en ligne immédiatement, sinon je crois bien que je n'aurais pas pu ultérieurement. Bon, mais enfin maintenant c'est dit.

Une fois de plus je constate à quel point ce journal public m'aide à verbaliser ce que je me cache. Mettre des mots sur des idées obscures, c'est leur donner la chance d'apparaître, puis de prendre la place qui leur revient au grand jour.

Ta lala tsoum... qu'est-ce qui se passe ici? T'as repris ton écriture?

Oh nooonnn, pas toi...

Hé hé, je sais pas, mais... j'ai l'impression au contraire que ma présence est souhaitable en ce moment...

Pfff, encore pour me soutirer des aveux?

Parfaitement! Hier t'avais pas fini d'éclaircir tes idées *obscures* (hé l'aut'...). Souviens-toi, cette idée de promesses et d'engagements. Ça voulait dire quoi? Précise un peu, pour voir...

Euh... ben je me rends compte que j'ai tendance à "rassurer" chacune des deux femmes, en leur disant «t'inquiète pas, on va bien trouver quelque chose, un moyen de faire que tout ça se passe au mieux pour tout le monde», alors que... ben je n'ai pas le pouvoir de maîtriser les choses.

Ah oui... ce serait plus des déclarations d'intentions que de véritables engagements...

Ben oui... comment pourrais-je m'engager, alors que moi même je ne sais pas ce qu'il y a au fond de moi et qu'en plus ça évolue.

Et tu ne sais pas non plus comment chacune d'elle peut évoluer.

Ben oui, alors ça fait beaucoup d'incertitudes.

Mais tu ne fais aucune promesses pourtant.

Ah non, surtout pas de promesses puisque je ne maîtrise rien!

Ben alors, où est le problème?

Justement... ce qui me pose problème c'est que... je cherche tellement à concilier tout que j'ai parfois l'impression de foncer dans un mur. Un jour tout ça va me pêter à la figure. L'une ou l'autre en aura marre et décidera à ma place, puisque je ne peux le faire.

Tu sais très bien qui décidera en premier...

Oui, je crois...

Et pourtant tu continues.

Oui, parce que... c'est... mon destin. Je sais que je dois continuer, sans pouvoir l'expliquer vraiment rationnellement.

Alors c'est quoi le rapport avec les engagements, puisque pour le moment tu sais vers quoi tu t'orientes?

Et bien... disons que j'ai parfois peur de laisser croire que mon orientation soit définitive. 

Tu veux dire qu'elle pourrait changer?

Je veux dire que mon orientation n'est valable qu'au présent. J'ignore tout, absolument tout, de ce qu'il pourra en être à l'avenir.

Oui, c'est normal...

Et... c'est cette incertitude totale qui me dérange. Parce qu'en parlant au présent, je crains parfois que mes mots soient pris comme des "engagements" pour le futur.

Ah oui... je vois... ce serait fâcheux.

Charlotte, en particulier, se raccroche très vite à l'espoir que je renonce à ma relation avec nathalie. Dès que nous nous retrouvons proches, avec un bon dialogue, donc détendus et heureux... elle imagine que je "reviens" vers elle.

Ouille, c'est pas bon ça!

C'est à ces moments là que je me sens mal à l'aise, et que j'ai l'impression qu'il y a une illusion qui se crée. Dès que j'en prends conscience, je rappelle à Charlotte que rien n'est changé... et forcément, ça atteint sa bonne humeur. J'ai donc parfois l'impression de "tromper" Charlotte en continuant à rester très proche d'elle dans les circonstances actuelles.

Ben oui, mais si tu te sens proche, pourquoi changerais-tu?

Pour ne pas entretenir l'illusion. D'ailleurs hier on en a parlé tous les deux, avec cette même impression. Charlotte m'a dit qu'il ne fallait pas qu'elle se fie à ce que je montrais, qui semblait plus aimant que la réalité.

Hum... un peu dur ça, non?

Charlotte est parfois un peu perdue et ne peut s'empêcher de chercher à mesurer la souffrance, ou les sentiments, ou encore l'attachement. Or ce sont des élements non-mesurables, incomparables puisque totalement subjectifs.

Et avec nathalie, qu'est-ce qui se passe?

Et bien... j'ai parfois la même impression: en étant proche je... pourrais donner l'impression que j'ai définitivement choisi mon chemin. Or j'ignore tout de mes réactions futures. Elles sont totalement imprévisibles en l'état actuel de ma conscience. Ma sincérité n'est valable qu'au présent, je ne peux pas m'engager au delà de l'instant, et du futur immédiat.

Mais nathalie le sait bien tout ça, vous en avez bien parlé, il y a longtemps.

Oui oui, bien sûr... je crois qu'elle est très lucide sur ce sujet. N'empêche que... ben je ne suis parfois pas très à l'aise. Devant l'ampleur du changement en cours, je touche en moi à des éléments tellement fondateurs que j'ignore comment le réassemblage se fera.

T'en as bien une petite idée, non?

Oui, j'ai une idée, mais ça me fait peur. C'est tellement inconnu, tellement... inattendu. Tellement... pas commun comme façon de s'aimer...

Vous parvenez pourtant bien à fonctionner comme ça...

Oui oui... mais, est-ce tenable sur le long terme?

Hé hé, ben pour ça tu verras bien.

Oui, mais si je perds...

Si tu perds quoi? Ta vie actuelle? Et alors, n'est-ce pas déjà largement entamé? Tu ne crois pas que tu as déjà sérieusement infléchi le cours de votre couple?

Oui oui, petit à petit les choses se tracent d'elles mêmes...

Ben voila! Et c'est exactement ta façon de faire: laisser aux choses le temps de se faire toutes seules. Avancer au feeling, en s'ajustant constamment aux évolutions de la situation.

Ben voui... c'est ce qui me semble le plus judicieux, qui évite les décisions hâtives, qui limite les risques d'erreur...

Ben alors, de quoi te plains-tu?

Euh... je sais plus.

Pfff, c'était bien la peine de faire autant d'histoires! Tu vas bien voir que finalement les problèmes ne sont que dans ta tête.






[- Six -] Être moi





Jeudi 12 février


A six jours de mon départ [oh my god!], il se passe bien des choses dans ma tête. Le processus de mise en disponibilité sentimentale est bien plus profond que ce que j'avais cru initialement.

En effet, c'est bien joli de se dire «je veux aller voir nathalie l'esprit libre de toute pensée culpabilisante», mais ça n'est pas aussi simple. Pour ne pas ressentir ce genre de choses, il m'a fallu réfléchir beaucoup à ma relation avec Charlotte. Pourquoi je me sentais coupable de la faire souffrir? Pourquoi ça me fait mal? Qu'est-ce que je risquais de détruire de notre lien, et y étais-je prêt?

Alors les réponses sont venues toutes seules, peu à peu.

Parfois je me rapprochais d'elle, parfois je nous constatais vraiment différents. C'était très troublant, autant pour elle que pour moi. Nous sommes redevenus extrêmement proches, mais savons aussi ce qui nous sépare, désormais. Nous devenons lucides sur nous-mêmes.
En fait, tout ce que j'avais écrit ici depuis des mois est devenu quelque chose de vivant. Non plus des idées apparues par fulgurances, non plus des concepts intellectuels, mais de vraies émotions vécues de l'intérieur. C'est le passage de la théorie à la réalité. Il ne se fait pas sans douleur...

Ce qui est tragique... c'est que nous n'avons pas la même vision des choses. Charlotte verrait volontiers notre prise de conscience comme la base d'un nouveau départ... alors que je la perçois comme une analyse de nos différences et ressemblances. Je vois tout ce qui nous unit... et nous sépare.

Il est devenu évident que pour moi Charlotte est bien plus qu'une amie... mais que je n'en suis plus amoureux. En fait, rien n'a changé entre nous, seuls les mots et leur sens précis ont modifié notre rapport. C'est ce qui fait que j'ai tant de difficultés à m'éloigner de Charlotte, puisque elle est toujours la femme que j'aime... sans en être amoureux. Je m'étais très bien fait à cette relation d'amitié conjugale intime.
Cette forme d'amour recèle pourtant bien des pièges. Elle cumule les inconvénients de l'état amoureux sans en offrir les avantages. Cela avait créé entre nous une co-depéndance bizarre, faite de concessions et de renoncements, mais sans que le plaisir amoureux ne rende ces "dons" à l'autre aussi légers qu'un baiser. Cela avait induit un drôle de rapport de pouvoir, fait d'infimes rancoeurs qui suintaient très souvent sans même que nous les percevions. C'était là depuis tellement longtemps que ça faisait partie de notre paysage. A tour de rôle, selon la position dominante de l'un ou l'autre dans un domaine de prédilection, nous "imposions" nos prérogatives. L'harmonie ne fonctionnait que dans nos points communs, finalement assez rares.

En fait, la grande découverte de ces derniers mois, c'est que nous ne respections pas la personnalité de l'autre. Nous avons cherché à le faire correspondre à ce que nous attendions de lui, et qu'il renonce à ce que nous n'appréciions pas. Lutte invisible et insidieuse, qui a fini par prendre la place de l'amour.

Et pourtant, nous avons quand même pu fonctionner relativement correctement. Au point que pour notre entourage nous passons pour un couple heureux. Ce qui est assez vrai... si on n'approfondit pas trop ce que signifie le mot "couple".

Nous avons pu fonctionner ainsi parce que nous le voulions. Nous désirions que notre couple soit épanoui, et que l'autre soit heureux... dans l'espace relationnel où il pouvait l'être. Alors on a fait beaucoup d'efforts, on a appris à décrypter comment fonctionnait l'autre, à savoir comment lui être le plus agréable possible. On s'est efforcé de séréniser nos rapports, en acceptant au mieux nos différences, en nous donnant de la liberté. On a maintenu un dialogue constant, en le croyant authentiquement sincère.
On a fait beaucoup, beaucoup, pour que ça se passe bien. Et ça a marché. Ça donnait l'impression que ça marchait.

Sauf que... toute cette énergie consacrée à huiler la mécanique du couple n'était pas employée à vivre le couple. Tout ce temps passé à trouver des moyens de bien partager cette vie n'était pas du temps de partage de bonheur à être ensemble.
Oh oui, bien sûr, nous avons eu beaucoup de moments de bonheur tranquille. Des moments de repos tout simples, en prenant un café sous l'arbre de la terrasse, a s'endormir dans les bras l'un de l'autre, à se donner la main dans la rue.
Mais il y a eu tellement de moments difficiles, d'incompréhensions, d'ambiance lourdes, de longs silences...

Peut-être est-ce "normal", et fréquent dans une relation au long cours... Peut-être pas... Je crois que pour moi il n'y a pas eu assez de ces moments doux, et trop de ces moments pénibles.

Ce sont sans doute ces heures où tout allait bien qui ont maintenu l'illusion et l'espoir. Je m'accrochais à ça, me souvenant de nos débuts où ce n'était presque que ça, et j'espérais inconsciemment qu'un jour ça reviendrait... Mes les années ont passé sans que rien ne change fondamentalement. A part qu'on savait mieux ou mettre de l'huile pour éviter que ça coince. On savait mieux faire fonctionner la machine conjugale, mais ça restait une machinerie lourde et complexe.




Voila donc le constat que j'ai fait depuis quelques mois, sans doute inconsciemment préparé depuis plusieurs années.
Et ces dernières semaines, alors que nous sommes allés très loin dans ce regard introspectif à deux, j'ai pu mieux saisir cette complexité de notre relation. J'ai découvert autant les meilleurs cotés de Charlotte, qui me plaisent beaucoup, que toute cette incroyable interpénétration de nos personnalités marquées au fer par leur enfance. Nous avons alterné les moments de grande complicité et ceux de nos irréductibles blocages. Les joies de la compréhension et les impasses de nos souffrances indéffectibles.

Beaucoup, beaucoup de réflexions, dans tous les sens. Situation troublante de rapprochement/éloignement, de bonheurs fugitifs qui ravivent le doute, d'abattement qui tuent l'espoir.

De tous ces sentiments contradictoires j'ai pu appréhender vraiment la nature de l'amour que j'ai pour Charlotte. Il est indicible. Aucun mot de la langue française n'est associable à ce concept. Charlotte est bien davantage qu'une amie, et pourtant elle n'est pas un amour amoureux. L'attachement qui nous relie est multiforme, très fort... mais sans l'éclat amoureux. Mélange d'amitié, de relation frère-soeur, mère-fils, le tout sur fond d'intimité partagée et de rivalité, de domination alternée... Un drôle de bric-à-brac.

Et tout cela, je n'en aurais jamais pris conscience sans la relation que j'ai développée avec nathalie. Car c'est avec elle que j'ai découvert cette notion fondamentale, immense, de respect de soi et de respect de l'autre. C'est aussi avec elle que j'ai découvert à quel point cela s'associait à la sincérité et à la confiance. C'est enfin avec elle que j'ai découvert qu'on pouvait avoir des modes de fonctionnement amoureux qui étaient plus ou moins compatibles. Et que... ça fonctionne bien plus aisément, avec fluidité et légèreté, lorsque cette compatibilité existe. 
C'était sans doute évident, mais je ne l'avais jamais vécu auparavant...

Fort de ces constats successifs, renforcés, , remis en balance,
puis confortés à nouveau... je n'ai pu que me rallier à l'évidence.

Alors hier soir, une fois de plus, nous avons eu une conversation avec Charlotte, d'où sont sortis des mots que je n'aurais jamais cru pouvoir prononcer un jour.
Avec sincérité, j'ai répété ce que je sais au plus profond de moi mais ai du mal à accepter. J'ai dit des mots qui font forcément très mal, parce qu'ils sont l'expression d'une cruelle vérité.

Tour à tour nous avons pleuré, selon le temps qu'il faut à chacun pour que les mots entrent dans les profondeurs du cerveau. Moi en énonçant ce que je sais, Charlotte quelques heures plus tard.

Beaucoup de tristesse, mais aussi beaucoup de respect entre nous. Une écoute attentive, une compassion, rarement des mots qui blessent (parfois ils sortent, signe qu'un point sensible a été touché).

Et puis des décisions qui se précisent sur le coté pratique de la séparation physique à venir...
Le temps est un précieux allié. En évitant toute précipitation, nous trouvons peu à peu ce qui nous est acceptable à tous les deux, en écoutant les désirs de l'autre, en prenant en compte ses souffrances ou peurs.

J'aime beaucoup le rapport que nous construisons en lieu et place de celui que nous quittons. Nous serons peut être de bien meilleurs amis qu'époux...



Bon... entre cette séparation qui se transforme en amitié et ma relation avec nathalie qui voit se dessiner un nouvel espace d'existence... ça fait beaucoup de choses à gérer, hein?

Je crois que je ne pouvais pas faire l'économie de cette clarification de ma relation avec Charlotte avant d'aller partager la vie de nathalie. Même si ce n'est que pour quelques jours. Ce sera beaucoup plus sain pour tout le monde.

Finalement, le choix entre l'une et l'autre des relations se fait doucement. En étant simplement à l'écoute de ce qui est en moi, sans brusquerie, sans décisions hâtives. Aller trop vite, alors que je n'étais pas encore prêt à désinvestir ma relation avec Charlotte c'était aller droit vers une catastrophe. Trop tiraillé entre l'une et l'autre j'aurais "explosé". La force des sentiments et la puissance qu'ils ont font qu'on ne les manie pas à la légère. Je suis persuadé d'avoir fait au mieux de ce qui m'était possible.

En prenant le temps qu'il m'était nécessaire, j'ai été en accord avec moi-même. J'ai manifesté ma personnalité propre, à la fois à l'écoute des personnes concernées et de moi-même. Sans doute est-ce un des premiers actes fondateurs de ce que je désire être désormais: être moi.








[- Cinq -] Inversion






Vendredi 13 février


Mon amie Inès m'a téléphoné aujourd'hui, et nous avons parlé de ce que je vis, assez similaire à ce qu'elle a vécu il y a quelques années. Elle me citait les propos d'un de ses amis, lorsqu'elle doutait parfois de la pertinence de ses choix après s'être lancée sur son chemin de découverte: «Ah mais c'est déjà trop tard, tu es cuite!». Et effectivement elle n'a pas interrompu son parcours et a fini par divorcer quelques mois plus tard. On ne revient pas en arrière sur le chemin de la connaissance.

Je crois que c'est la même chose pour moi, lorsque je ressens cette voix intérieure qui toujours me pousse vers l'avant. Même si parfois je me dis «et si... j'avais pu faire autrement, et si j'avais pu éviter de faire souffrir Charlotte, et si j'avais anticipé, et si... et si...». Réflexions inutiles qui ne font que confirmer l'inéluctabilité de ce qui se passe. Il ne pouvait pas en être autrement, jamais je n'ai eu vraiment le choix... sauf celui de renoncer à mes aspirations profondes. Les déterministes diraient «c'était écrit», ou «c'est le destin». Je pense plutôt à des opportunités qui se présentent, et que l'on choisit de suivre ou pas.

Cependant je ne le cache pas: c'est très très difficile de faire souffrir quelqu'un qu'on aime. Quelles qu'en soient les raisons, même les plus justifiées. C'est un déchirement. Et il faut vraiment croire en soi pour continuer à écouter sa propre voix intérieure.


____________




Je pensais que ce journal s'orienterait doucement vers cet acte un peu fou qu'est mon voyage vers nathalie. Je me disais qu'au fil des jours sa place deviendrait prépondérante dans mes écrits... Je voyais déjà le lent crescendo de mes désirs éclater dans ce journal...

J'aurais voulu donner toute la place à cet évènement exceptionnel dans ma vie...

Mais ça ne marche pas comme ça. Je n'écris pas une fiction que je pourrais orienter à ma guise. C'est ce que je vis qui est retranscrit ici, pas forcément ce que j'aurais eu envie de vivre. Alors non, il n'y aura sans doute pas les jolis mots et les grandes envolées sentimentales... Parce ce qu'aller vers nathalie, c'est aussi (et beaucoup...) réajuster mon histoire avec Charlotte. On ne passe pas d'une histoire à une autre en un claquement de doigt et sans états d'âme. En tous cas ce n'est pas mon cas.



Je pense que ce qui marquera la rupture entre les deux vies se fera dans l'avion. La prise de distance ne sera pas que géographique, mais aussi symbolique. C'est la première fois que je serai séparé aussi longtemps de Charlotte. C'est la première fois que nous serons aussi loin l'un de l'autre... précisément à 5900 km. Drôle d'inversion des distances entre mes deux amours...

Le "travail" que je fais actuellement me prépare sans doute à cet acte qui n'a vraiment rien d'anodin. La rencontre que j'ai faite en septembre aura été comme une préparation à ce grand passage. Cette fois c'est plus lointain, plus durable, plus impliquant. Ce ne sera certainement plus le même homme qui reviendra chez lui.



______________





Bon... réflexion faite, il ne faut quand même pas que je me culpabilise pour ce qui se passe avec Charlotte. C'est très difficile pour elle, évidemment, que je suive un chemin qui ne lui convient pas. Mais elle a choisi d'en suivre un autre. Tous les deux nous sommes fidèles à nous-mêmes, et je ne suis pas davantage responsable de sa souffrance qu'elle ne l'est de la mienne. C'est comme ça, et on n'y peut rien.

Il n'y a pas d'autre choix, de toutes façons. J'ai envie de vivre quelque chose de vital pour moi, et elle a envie de se protéger parce que c'est vital pour elle. Tous les deux nous agissons en pensant à nous, sans sacrifice envers l'autre. Et c'est finalement la meilleure des choses que nous puissions faire.

Hop, dehors la culpabilité! [tsss, mais par où elle était entrée celle là encore?]







[- Quatre -] Attente





Samedi 14 février


A l'occasion d'une conversation au téléphone, j'ai quand même fini par dire à ma mère dans quelle situation je me trouvais. Ben oui, puisque je disparais pendant plusieurs jours, Charlotte aurait pu avoir à inventer des histoires pour justifier cet absence et je voulais lui épargner ça.
Alors j'ai tout raconté, de la grosse remise en question de notre vie de couple jusqu'à la connaissance de nathalie et à mon voyage imminent. Et ben... faut croire que je me faisais un peu des idées, ou alors que j'avais bien préparé le terrain depuis un moment, mais ma mère n'a pas du tout réagi comme je le craignais. Au contraire, elle semblait presque soulagée parce qu'elle trouvait enfin une explication à mon comportement. Elle m'a écouté sans aucun jugement, longuement, sans m'interrompre. Et elle a même fini en me remerciant de la confiance que je lui faisais.
Bon... elle a aussi dit qu'elle dormirait mal cette nuit et qu'elle prierait pour nous... Prier pour quoi, lui ai-je demandé? Pour vous donner du courage à tous les deux, a t-elle répondu. Okay, alors j'accepte ce genre de prière, ça ne nuira pas même si je doute légèrement de la moindre efficacité...

Apparemment ma mère "sentait" depuis un moment que quelque chose se passait, mais elle n'avait pas du tout imaginé que j'ai pu rencontrer une autre femme.
Elle m'a dit qu'elle-même avait, au cours de sa vie, soigneusement évité toute situation qui aurait pu la mettre dans ce genre de problématique. Elle préférait ne pas avoir à se poser de questions trop complexes à résoudre.



__________



A part ça... au moment où j'écris il reste environ 90 heures avant que je sois de nouveau en contact avec nathalie. Ça reste un peu abstrait, irréel, incroyable...
Durant de courts instants je prends parfois conscience de ce que cela signifie, mais c'est comme si ça restait très cérébral. Je ne parviens pas à le vivre de l'intérieur, comme une certitude.

J'ai vraiment besoin de retrouver cette présence entre nous. C'est long cinq mois... et encore davantage quand on voit l'échéance s'approcher.

Curieusement... j'ai l'impression qu'il n'y a plus que ça qui compte entre nous. Nos derniers dialogues m'ont semblé trahir cette attente. Comme si actuellement nos échanges distants perdaient de leur importance, dans l'attente de tête à tête que nous pressentons comme infiniment plus riches.







[- Trois -] Impatience





Dimanche 15 février


Journée mitigée. La matinée aura été assez éprouvante, avec une discussion difficile. Les sentiments sont soumis à des épreuves assez pénibles, entre Charlotte et moi.

Aimer, c'est quoi? Comment ça se manifeste? Qu'est-ce que ça implique? Comment le vit-on chacun? Autant de question que nous ne nous étions jamais vraiment posées et qui ressurgissent au moment ou cet amour est dans une passe délicate.

Les derniers jours voient la tension s'exacerber, avec l'imminence de mon départ. C'est maintenant que l'abstraction prend corps, devient palpable. Et cela ira croissant jusqu'à mon départ. Ensuite Charlotte vivra dans la tourmente des pensées noires, je le sais...
De mon coté "j'oublierai" cette situation difficile, parce que vivrai autre chose. Je vivrai ce que j'ai choisi de vivre et pour lequel je me bats depuis des mois. Depuis quelques jours je suis prêt, même si, tant que je suis immergé dans le bain du quotidien avec Charlotte, il est impossible de faire abstraction de ce qu'elle ressent.

Je l'accompagne au mieux, ne sachant pas toujours si c'est une aide ou un handicap. Parfois je me dis que l'absence serait peut-être préférable...
Nous verrons à mon retour comment notre vie s'organisera, afin d'éviter cette présence permanente.



Dans l'après-midi je me suis mis à bricoler dans la chambre de ma fille. On a même bien rigolé tous les deux, alors que je faisais l'andouille. Ça m'a fait du bien de penser un peu à autre chose et d'avoir ce moment avec elle.

J'ai aussi commencé à préparer mes bagages, façon de me mettre un peu dans le bain. Je ressens un mélange de fébrilité languissante et d'excitation inquiète

J'attends avec impatience l'écoulement des 65 heures qui restent...







Aujourd'hui et demain





Mardi 17 février
8h30


Hum... ça devient difficile de figer par écrit ce qui se passe en ce moment. Y'a comme un léger stress, là, vous voyez... Et dans ce genre de moments j'ai tendance à perdre ma capacité à réfléchir posément.

Hier [c'est déjà si loin...] j'avais une séance psy. Je me suis contenté de récapituler la situation, sans découverte particulière. Ce n'est qu'une fois le bla-bla terminé que je me suis rendu compte que ça m'avait fait beaucoup de bien de clarifier à nouveau les choses. Subitement je me sentais plus léger, comme rassuré par l'évidence que les choses se déroulaient comme il le fallait.
C'est souvent le constat qui s'impose: je fais ce qu'il y a de mieux à faire. Je ne vois pas comment les choses pourraient se dérouler autrement. Après avoir tourné et retourné les idées en tous sens, je crois qu'il n'y avait pas vraiment d'autre choix possible. C'est ce que j'appelle le choix "optimum".

J'étais donc d'humeur joyeuse, largement libéré de mes pensées régressives et/ou culpabilisantes. Et avec une trèèèèès grande envie de faire ce voyage un p'tit peu fou. Il y a tellement de mois que je le désirais sans oser y croire, et il a fallu une telle montagne de réflexions pour y parvenir...



Dans la soirée, avec Charlotte, nous sommes allés voir des amis de très longue date, qui ont suivi notre relation depuis l'origine, et même avant. Nous voulions les informer de ce qui se passe entre nous. Ce sont les premiers que nous avons conjointement mis dans la confidence.
Ils se doutaient un peu qu'il y avait un problème, mais n'en soupçonnaient sans doute pas l'importance. Quand le sujet est venu dans la conversation, il y a eu un moment de blanc, puisque nous ne savions pas comment nous lancer. Alors Charlotte est allée droit au but: «nous allons nous séparer». Oh la tête des amis! Ahuris. J'aurais préféré une entrée en matière plus douce, mais bon... Charlotte à tout de suite continué en disant que j'avais «rencontré une autre femme». Boooon, tout était dit sans détour, voire avec une certaine brutalité. Il m'a fallu faire avec et expliquer les choses un peu plus en détail, pour dire dans quel contexte tout cela s'était produit. On a passé au moins deux heures à décrire toute la complexité de la situation, et répondre à chaque argument qui était avancé.

Nos amis ne parvenaient pas à comprendre qu'on en arrive là, surtout avec le dialogue et l'entente apparente qui existent dans notre couple. Et inévitablement ils cherchaient des solutions pour que nous restions ensemble, oubliant à chaque fois que c'est parce que j'avais une autre relation que nous avions ce dialogue conjugal très poussé...
Chaque argument trouvant une réponse [faut croire que j'ai quand même pas mal réfléchi à la question, hé hé hé...], je voyais notre amie se figer pendant un temps, cherchant la faille apparente dans le raisonnement. Elle croyait en trouvait toujours, puis invariablement constatait que c'était une impasse. Je voyais sa moue marquant simultanément un signe d'impuissance et de réflexion intense.

Forcément, puisque les choses avaient été présentées abruptement, les premières réactions étaient stupéfaites et sans doute légèrement suspicieuses. Dans le genre «euh t'as perdu la tête? c'est juste une crise, réveille-toi». Surtout que dès que le mot "internet" à été prononcé tout le cortège des «mais c'est pas la réalité!» a fait sa parade traditionnelle. J'ai aussi eu droit au sempiternel «tu peux pas avoir le beurre et l'argent du beurre». Mais bon, peu à peu l'écoute attentive et le non-jugement ont permis que je me détende. J'ai peu à peu perdu ma relative nervosité initiale et pu parler de façon moins automatique (j'avais un peu l'impression de ressortir un discours appris par coeur, mais pas vraiment énoncé du fond de moi). Je crois que finalement c'est lorsque j'ai eu ce langage du coeur que j'ai été le plus convainquant.

Nos amis se sont dit à la fois touchés de notre confiance, admiratifs pour notre dialogue de couple, et attristés par cette séparation qui approche.


Bon... ce matin c'est sûr que ça me retravaille un peu. On a beaucoup parlé de ce qu'était "aimer", de ce que signifiait penser à soi et à l'autre... de ces relations de couple par lesquelles on se co-construit... Ouais ouais, de quoi réveiller mes pensées... cette crainte d'être trop égoïste...
Et hop, je dois relancer à nouveau un petit coup de réflexions pour constater qu'à l'évidence il n'y a rien d'autre à faire que ce que je fais.


Il faut bien agir, et je fais le mieux de ce qu'il y a à faire en ce moment. La seule chose qui me permette d'avancer et de comprendre ce qu'il y a au fond de moi. J'en suis absolument convaincu.


Ah oui, j'oubliais: au réveil, ce matin, Charlotte a eu cette parole un peu aigre: «Tu te rends compte que c'est peut-être la dernière nuit qu'on a passé ensemble?». Bloup...

C'est pas facile du tout pour elle, et je ne peux que la trouver extraordinaire de "tenir" aussi bien face à ce que nous vivons. Je mesure à quel point elle tient à moi et m'aime...
Mais... ce genre de paroles me met face à la réalité de notre séparation que je ne parviens que difficilement à admettre. Et me rappelle la fissure de nos différences.



Dans quelques heures je mettrai toutes ces pensées entre parenthèse. J'irai libre vers nathalie, parce que c'est ce dont nous avons envie tous les deux. Elle m'attend, avec sa simplicité existentielle.
Tout s'est mis en place depuis longtemps pour cela, et c'est une étape déterminante qui, seule, permettra de concrétiser cet immense "travail" d'affirmation de moi et d'écoute de mes désirs.
Nul ne sait ce qui en résultera pour chacune des trois personnes concernées. Il se pourrait que des changements importants apparaissent à l'issue de ces dix jours, ou dans les temps qui suivront.

Mais... je reste confiant dans les potentialités de l'avenir, quel qu'il soit.


Nous verrons bien.



__________




19h20


La fébrilité augmente. J'ai passé une bonne partie de la journée à régler les derniers détails professionnels, ce qui m'a occupé l'esprit. Un peu...

Mais le compte à rebours final égrène ses heures. Moins d'un tour de cadran avant que je ne m'envole. Pour moi ce sera demain à l'aube, alors que pour nathalie c'est aujourd'hui, ce soir, à l'heure où elle commencera sa nuit. Et demain... et bien nous serons enfin ensemble, le même jour.

C'est assez hallucinant de se dire ça [enfin... pour nous, évidemment...]. Tant de temps séparés, et bientôt nous pourrons à nouveau nous toucher, nous respirer, nous blottir l'un contre l'autre. Hmmm... je crois que je ne m'en rends pas vraiment compte...


Tout à l'heure nous avons eu un dernier dialogue téléphonique, pour convenir des petits détails pratiques. Et je crois que nous étions tous les deux des incrédules à ce moment là [hi hi..], incapables de croire à ce que nous savons pourtant vrai. Ça paraît tellement extraordinaire. Nous avons eu un mal fou à raccrocher, alors que cette "séparation" sera bien courte et très largement compensée par la suite à venir. Je crois que nous nous sentions dèjà très proches.


D'ailleurs, il se passe des mécanismes cérébraux bizarres: tous les deux nous retrouvons précisément des détails physiques de l'autre, alors que nous les avions visuellement oubliés avec le temps. Là, ça revient très clairement, comme par anticipation. Comme si le cerveau avait des ressources cachées qui se réactivent avec la perspective de cette si prochaine rencontre.

Bon... mais je ne vais pas me lancer dans ce genre d'analyse, c'est anecdotique. Je vais vivre ces dernières heures avec ma petite famille, avant de me lancer pour de bon vers cette aventure.





[Il se peut que j'écrive sur ce journal durant mon séjour chez nathalie, mais sans aucune certitude...]





Mois de mars 2004