Mars 2004
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Parenthèse partiellement refermée





Lundi 1 mars


Et bien voila, la parenthèse québecoise s'est partiellement refermée. Je ne suis plus là bas et je réintègre mon ancienne vie. Quelque chose a changé pourtant, que je ne saurais définir vraiment. C'est un peu comme si une nouvelle vie commençait. Oh, pas du tout un changement brutal et radical, plutôt la poursuite d'un mouvement lent, mais avec un basculement, un changement de versant.



Je n'ai pas écrit dans ce journal lorsque j'étais chez nathalie. J'y ai pensé plusieurs fois, mais je n'avais aucune envie de m'isoler dans une bulle de pensée alors que nous étions ensemble. Et puis dire quoi? Que j'étais heureux, serein, détendu, apaisé, souriant? En un mot: heureux.



J'ai passé ces neuf jours dans une grande paix intérieure, une harmonie très rarement troublée par mes habituels questionnements. Tout juste un ou deux moments de léger malaise dus au réveil inopiné de fragilités tenaces, mais très vite perçus par ma compagne et immédiatement désamorcés. D'ailleurs, je m'étonne d'avoir pu vivre autant de jours sans questionnements, alors que dans ma vie "normale" je ne cesse de m'en poser.

Je me suis trouvé peu bavard, alors que j'imaginais que nous allions parler sans cesse. Cette fois encore la mise en présence aura fait que les sens auront été privilégiés. La présence est un langage. Nos regards ont parlé, nos gestes aussi, tout comme nos silences.

J'ai vécu avec elle. Je l'ai vue vivre, rire, se mouvoir, s'endormir et se réveiller. Marcher, courir, manger, parler, téléphoner, s'habiller. Je l'ai observée heureuse, gaie, épanouie, drôle, mais aussi parfois triste, déçue, désemparée à cause d'aléas extérieurs. J'ai senti une part de l'infinité de détails du quotidien qui font sa vie. Et ces détails infimes ont quelque chose d'essentiel dans la connaissance de l'autre.
J'ai vu son espace de vie, son logement et la décoration inventive qui définit un peu plus sa personnalité. J'ai entendu ses musiques, je l'ai vue conduire, parler aux gens, j'ai rencontré quelques uns de ses amis, sa famille. Et de tous mes sens j'ai observé, écouté, senti, goûté, touché, perçu. Je me suis imprégné des singularités de son existence.

Et j'ai aimé ça. Beaucoup. Il y a quelque chose de fascinant à découvrir les facettes inconnues d'une personne que l'on croît déja bien connaître.


Durant quelques jours je me suis vu un peu effarouché par cette femme avec qui je me sens pourtant intime, mais essentiellement par la pensée. La mise en présence à pour moi quelque chose d'impressionnant. L'aisance de nathalie, son beau rire franc, ses mots sussurés, sa gestuelle, son regard qui me trouble délicieusement... tout cela dans ce lieu de vie, le sien, que je ne connaissais pas... me rendait un peu muet. Il y avait un coté "rêve éveillé" de constater qu'une telle femme puisse aimer celui que je suis.

Au fil du temps ma gêne initiale s'est heureusement estompée... Il se pourrait bien que nos loooongs moments d'échange, de partage de flux amoureux divers, y aient été pour quelque chose.



Dans une appréciation moins personnelle, j'ai gravé dans ma mémoire de nombreux détails.
Des québécois, je garde une impression de convivialité et de contacts chaleureux. J'ai trouvé très accueillants ceux que j'ai rencontré, ou même cotoyé seulement quelques instants. Peut-être est-ce ce qui m'a aidé à mieux comprendre l'aisance de nathalie. Car le mot "intimidé" n'a manifestement pas la même échelle de mesure entre nos deux pays...

Je me souviens en particulier d'une soirée amicale qui s'est terminée de façon assez colorée dans un cabaret de la rue Ste Catherine. De mes yeux de campagard naïf je découvrais certains milieux que je ne connais que par le cinéma. Une autre soirée chaleureuse et intime aura été passée en longue discussion en compagnie d'une diariste, amie commune, que j'avais rencontrée à Paris l'an dernier.


Pour la première fois je n'ai pas regardé un lieu étranger comme tel, mais comme étant le cadre de vie de quelqu'un que j'aime. J'ai découvert son quartier que nous avons arpenté en tous sens pour promener la touffe de poils qui dissimule son chien. Attentif à chaque détail, je me suis familiarisé avec ce pays de neige et de froid.

Je n'ai pas visité Montréal en touriste, mais comme si cette ville allait devenir un tout petit peu la mienne, faire partie de ma vie. Une ville à part. J'ai observé en cherchant à "apprendre" cette ville, pensant que j'y reviendrai. Curieuse impression.

Je me souviens de quelques rues typiques de cette ville, parfois agrémentées de toitures fantaisistes comme sur la très vivante rue St Denis (où j'ai mangé une vraie de vraie poutine!), ou bien d'escaliers extérieurs assez inhabituels. L'architecture en général diffère largement de celle que l'on a en France et m'a semblé d'inspiration anglo-saxonne. Ce qui contraste avec cette francophonie revendiquée fièrement, toujours surprenante au premier abord de ce coté de l'Atlantique.

Mais ce ne sont là que des bribes, des fragments, et je ne chercherai pas à en garder la trace écrite. Je me fie à ma mémoire pour conserver une ambiance générale et quelques morceaux significatifs. Le tri se fera tout seul.




Escaliers extérieurs

A Montréal, une des rues d'un beau quartier





Les neuf jours sont passés bien vite, même si nous leur avons donné tout le temps de s'étirer sans contrainte. Je crois que chaque instant aura été vécu en toute conscience de cette présence partagée avec tout ce qu'elle a encore d'exceptionnel.

D'ailleurs, en quelques phrases nous avons réglé l'inconnu en ce qui concerne notre avenir: vivons le présent. Pour l'avenir, on verra bien...



[Mis en ligne le 4 mars]





Un jour après l'autre





Mercredi 3 mars


Il se pourrait que j'écrive beaucoup moins qu'à l'accoutumée, dans les semaines à venir. Beaucoup de travail en perspective. Non seulement pour des raisons professionnelles (j'ai pris un retard considérable ces derniers mois, avec tout ce temps passé en réflexions), mais surtout parce que ma vie va changer. Je dois devenir financièrement autonome, et je commence à chercher un appartement qui mettra notre couple plus en conformité avec notre statut actuel.

Nous avons, Charlotte et moi, besoin de marquer cette séparation. Elle parce qu'elle n'accepte pas ma double vie, et moi parce que je n'ai pas envie de vivre le climat pesant devenu trop fréquent. J'ai aussi besoin de liberté, pouvoir me coucher quand je veux sans me sentir coupable de l'attente de Charlotte.

Et puis... si je veux accueillir nathalie pour un séjour dans quelques mois, il est indispensable que j'ai mon lieu de vie personnel.



Finalement tout cela se fait peu à peu, de façon assez évidente. L'idée d'une séparation me paraissait insupportable au départ, puis elle prend sa place dans mon esprit.

Charlotte reste assez distante physiquement. A mon retour elle a été glaciale, m'adressant à peine la parole et s'absentant alors que je venais de rentrer. Depuis, l'ambiance se détend peu à peu. Je reste volontairement distant, afin de ne pas forcer ses limites, et la laisse choisir la proximité qui lui convient. Nos contacts sont devenus ceux qui sont habituellement attribués aux relations d'amitié. Ni elle ni moi ne désirons aller plus loin. Je ne pensais pas que cela se passerait comme ça. Je ne me vois pas avoir un contact plus proche après ce que j'ai vécu auprès de nathalie.

Mais le plus important, c'est qu'après deux jours assez tristes et maussades, j'ai décidé de ne pas me laisser entraîner vers cette pente. Ce que j'ai vécu avec nathalie était infiniment agréable et m'a donné de l'entrain. Pas question de perdre tout ce potentiel positif. Alors j'ai décidé de garder mon sourire et ma belle humeur, quelle que soit l'évolution de ma situation de couple. D'ailleurs ça tombe bien puisque Charlotte ne veut pas non plus rester dans un état de déprime.

Donc... on s'adapte à ce nouveau style de cohabitation.

Maintenant les choses sont claires quant à la place que je donne à ma relation avec nathalie. Elles le seront encore plus lorsque je vivrai indépendamment de Charlotte.



Pour le moment je vis plutôt bien mon éloignement avec nathalie. Nous nous sommes retrouvés sur chat, non sans une certaine frustration après avoir pu être si proches à chaque instant. Mais je crois qu'on savait très bien tous les deux à quoi nous en tenir. On fait ça "comme des grands", bien conscients de notre situation bien particulière [et nous ne sommes pas seuls dans ce cas... petite pensée clin d'oeil].

Une des choses qui me surprend le plus dans cette relation distante, c'est la progressive distorsion du facteur temps. Je ne le compte plus comme auparavant. Il y a comme une dissociation du temps "normal" et du temps "avec nathalie". Le temps passé en commun, par son intensité, compte bien davantage. Et le temps de séparation donne une autre échelle, puisqu'il se compte en mois. Mais le secret, pour tenir, c'est de ne pas compter. Ce serait trop déprimant. Alors je crois qu'on a appris à fonctionner au jour le jour. Un présent qui se vit, un avenir flou composé de souhaits, et sans échelle de mesure entre les deux. Rien de considéré comme certain ou attendu. Probablement quelque chose d'assez proche du fameux carpe diem, et qui s'est instauré tout seul.


Un jour après l'autre, tout simplement.




Pays d'hiver

Une rue dans la ville de nathalie.
Il parait qu'il faisait chaud à ce moment-là...




[Mis en ligne le 4 mars]








Pas à pas




Samedi 6 mars


Depuis ce jour de juillet 2000 où j'ai découvert les écrits de nathalie sur internet, j'ai fait des petits pas vers elle. Le premier aura été de lui écrire un long message. Elle aura fait un pas vers moi en me répondant de la même façon. Petits pas dont nous n'avions pas imaginé la portée...

Depuis, pas à pas, nous nous sommes rapprochés, toujours plus près. Succession de pas l'un vers l'autre, l'un avec l'autre.

C'est ainsi que s'est construite notre relation. Doucement, patiemment, et... prudemment. C'est ce qui nous a permis de faire aussi, de temps en temps, des pas de géant. De grandes enjambées vers l'avant, comme lors de nos rencontres.



Je ne savais pas qu'une relation peut aussi se défaire sur le même mode. Car il semble que chacun des pas que j'ai fait vers nathalie aura fait faire un pas en arrière avec Charlotte. Mois après mois notre relation se distancie dans le domaine sentimental, même si nous sommes longtemps restés très proches.

Le premier pas de géant que j'ai fait vers nathalie aura marqué quelque chose de difficile à vivre pour Charlotte. La seconde enjambée, ce séjour de neuf jours au Québec, semble avoir fait reculer Charlotte dans une mesure semblable. Et jour après jour, pas après pas, il semble que l'éloignement est toujours plus inéluctable. Chacune de nos discussion, pourtant sans animosité, me fait constater à quel point nous sommes différents. C'est à se demander comment nous avons pu vivre aussi longtemps ensemble dans une apparente harmonie.

Ainsi, l'amour pourrait se défaire tout comme il s'est noué. Même sans fracas ni rupture immédiate il semble que, de petits pas en petits pas à reculons, on puisse en arriver à se désengager d'une relation qui semblait être essentielle. Charlotte était "toute ma vie", je vivais et respirais avec elle, nous étions soudés, liés, malgré les difficultés. Avec, pour moi, la volonté farouche de faire tenir ce couple auquel je tenais. Il m'a été longtemps inimaginable qu'un jour nous puissions vivre l'un sans l'autre.

A tel point que j'ai mené toute une réflexion autour de l'amour en parallèle, du polyamour, de la polyfidélité. J'y ai cru, sincèrement. Je pensais qu'on pouvait tenter quelque chose dans cette direction. Du moins voir ce que ça donnait...
J'ai vu, et bien plus tôt que je ne pensais: Charlotte ne pouvait le concevoir. Elle aura pourtant été très patiente et aura, je crois, tenté le coup. Je lui en suis reconnaissant. Je pense qu'elle sera allée au bout de ses limites, et sans doute même au delà. Elle tenait à moi et se sera accrochée jusqu'au dernier espoir de me voir renoncer. Mais il apparaît que mes grands pas en avant vers nathalie auront été trop douloureux pour Charlotte. Le dernier, en particulier, semble avoir marqué un tournant: Charlotte n'y croit plus, n'espère plus. Alors elle se désinvestit, marque la distance, se protège.



Ça me rend très triste de la sentir ainsi s'éloigner affectivement de moi, même si, bien sûr, je sais que j'ai joué le premier acte en investissant un amour en parallèle. Je dois en assumer les conséquences, dont le deuxième acte qu'elle joue en marquant une distance. C'était prévisible, je n'en ignorais rien.

Ce qui m'inquiète, c'est que la part de notre relation que constituait l'amitié puisse aussi disparaître avec l'amour. De mon coté les choses se sont éclaircies ces derniers mois, lorsque j'ai pris conscience que j'entretenais essentiellement un rapport d'amitié intime avec elle. Mais pour Charlotte il semble qu'elle reste dans un sentiment amoureux, ou perçu comme tel, et qu'elle y associe un certain nombre de comportements. Puisqu'elle me voit désinvestir l'amour (en fait: vivre plus en accord avec les sentiments que j'ai pour elle), elle se désinvestit aussi. Mais de façon apparemment plus ample que ce que je croyais. J'ai l'impression qu'elle désinvestit l'amour et l'amitié. Sans doute par souffrance, ça je peux le comprendre...

Me voila donc face à quelque chose que j'avais mal mesuré: mon amie-amour est blessée de voir que mon sentiment d'amour-amoureux n'est plus là (même si c'est le cas depuis très longtemps). Elle ne veut plus d'un rapport qui ressemblerait trop à ce qu'on appelle "amour", puisqu'elle sait désormais que ça n'en est pas au sens strict. Et ce lien que nous avions, auquel je m'étais adapté, voila qu'elle en modifie la nature. Nos gestes de tendresse, notre affection, sont désormais ceux de l'amitié. Si je comprends bien que quelque chose risquait de changer, je ne pensais pas que ce serait aussi significatif. Ou pas aussi rapide. Mais je me sais naïf...

Je vois donc, jour après jour, se distendre notre lien. Par les gestes, les mots, les idées. Pas à pas nous nous éloignons, nous nous différencions. Et je me sens parfois loin de cette femme que j'ai cotoyé au quotidien pendant vingt et un ans. Tout d'un coup nos différents modes de fonctionnement deviennent flagrants.

Je perçois d'autant mieux pourquoi je m'entends si bien avec nathalie, avec qui nous semblons avoir un mode de fonctionnement similaire, fait de sensibilité et de respect de l'autre, d'écoute attentive, de désir de contact... et d'un je ne sais quoi qui fait que nous "connectons" adéquatement. Ce qui, apparemment, n'était plus le cas entre Charlotte et moi (mais... l'avait-ce été un jour?).
Il est certain que ce que j'ai appris avec Charlotte m'aide aussi à construire cette nouvelle relation sur des bases plus saines...


* * *



Bon... ce journal reste essentiellement celui de mes tergiversations problématiques. Je suis beaucoup moins prolixe sur ce qui concerne ma relation heureuse avec nathalie qu'en ce qui concerne ma séparation douloureuse d'avec Charlotte.

J'aurais préféré me focaliser sur les "beaux" cotés des choses, approfondir les aspects agréables de cette relation à contacts épisodiques, mais il semble que je suis encore fortement soumis aux difficultés du deuil de ma relation avec Charlotte. Quitter une relation tout en en construisant une autre n'est pas aussi facile que je le pensais autrefois. Dans les films ça paraît tout simple de passer des bras d'une personne qu'on n'aime plus à ceux de quelqu'un qu'on aime. Dans ma réalité, çe ne se fait pas aussi aisément.

Même si j'ai pris soin de bien compartimenter mes deux vies, elles se mélangent quand même un peu. Ne serait-ce que mon subconscient prend un malin plaisir à me faire rêver que je dors avec l'une alors que c'est l'autre qui est à mes côtés... C'est à la fois frustrant et culpabilisant (de ressentir cette frustration...).


Ceci dit, cette compartimentation est suffisamment efficace pour que mes échanges avec nathalie ne soient pas parasités par le coté triste de mon autre vie. Cette première semaine d'absence s'est finalement bien déroulée, et nos discussions ont un ton détendu. Nous sommes sereins, emplis de ce temps de vie partagé.

Je me sens bien dans cette relation, malgré la distance. C'est comme si cette particularité était désormais intégrée. Cela fait partie de notre lien, et en constitue même la nature.













Détails infimes






Dimanche 7 mars


Une des surprises du temps passé à vivre avec nathalie aura été l'importance accordée aux détails de sa réalité. Je me rends compte que, bien plus que je ne le croyais, j'ai été attentif à chaque élément qui me permettait d'en savoir un peu plus sur elle. Pourtant, bien que scrutant tout ce qui passait à ma portée, je me sentais vraiment détendu.

Depuis que nous avons lié cette relation amoureuse distante, je ne cesse d'être étonné par tout ce qui passe inaperçu lors d'une rencontre "normale". A quel point il est important d'interconnecter la profondeur du mental et toutes les dimensions du physique.

Avant notre première rencontre je m'attardais sur la soif de mise en action des sens, dont je pressentais toute la richesse à venir. Pour cette seconde mise en contact, j'ai davantage l'impression d'avoir saisi un ensemble de signaux, une globalité, mettant en synergie la perception des sens.



J'aurais beaucoup regardé et écouté, mais surtout "capté" des mouvements, des attitudes. Quelque chose qui s'inscrit à la fois dans les notions de temps, d'espace, et de son. Je revois très précisément des fragments de nos instants partagés, sans que leur enchaînement chronologique ne me soit resté en mémoire. Eléments épars, moments fugaces ou durables. Sourires partagés lors de nos repas aléatoires, moments de parfait bien-être enlacés dans un canapé, temps de silence lorsque nous sortions tour à tour du sommeil avant d'y replonger en étirant le temps du réveil.

Et puis d'autres moments dans l'action, à l'extérieur de chez elle, où j'observais à la fois ce qui constitue sa vie et sa manière de se comporter. Sa façon de conduire, de me guider, de s'adresser aux inconnus, d'être dans son cadre professionnel. Son attention patiente à l'égard de mes envies, conjuguée à des prises de décision efficaces pour me proposer quelque chose qui me conviendrait. Et puis cette alliance de discrétion et de prestance, de timidité et d'audace...

C'est incroyable tout ce qui constitue une personnalité, y compris dans les particularités les plus insignifiantes a priori. Je pourrais citer sur des dizaines de ligne la multitude des détails que j'ai engrangés. Ils se restituent lentement, diffusant leur réalité à distance. Nos conversations, nos échanges de photos ou de mails, ravivent des fragments de cette somme de fragments enregistrés avidement dans ma mémoire.

Je ne pensais pas porter attention avec autant d'intensité à tout ce qui m'était inconnu. Le temps était limité et tous mes capteurs étaient opérationnels. Et dire que nathalie avait craint que je m'ennuie chez elle...



De son coté elle était dans son élément, donc entièrement disponible pour répondre à ma curiosité. Accueillante sans limites elle m'a encouragé vivement à prendre mes aises chez elle. Effectivement, je m'y suis vite senti très bien. Et elle je l'ai trouvée très détendue, visiblement heureuse. Sifflottant le matin, souriant généreusement, riant avec plaisir, toujours prête à combler mes désirs, attentive à mon bien-être. Elle était elle-même, sans aucune retenue apparente, naturelle et spontanée.

Je crois bien que c'est quelque chose qui m'a séduit encore un peu plus, moi qui ait une propension à être gêné d'un rien. Et si je ne savais pas bien comment pourrait se dérouler autant de temps avec quelqu'un dont je ne connaissais qu'imparfaitement le mode de vie, je dois bien dire que j'en ai été totalement satisfait.






Déphasage





Mardi 9 mars


Cette fois, je crois bien avoir trouvé le point majeur de dysfonctionnement entre Charlotte et moi.

J'écrivais récemment que, depuis quelques temps, je constatais régulièrement nos différences et me demandais comment on avait pu vivre aussi longtemps ensemble. Je suppose que c'est parce que nous avions la volonté de poursuivre un chemin commun, et faisions les efforts nécessaires pour cela.

Mais... est-il bon de faire des efforts en amour? Dans quelles proportions? L'amour ne devrait-il pas être un élan spontané, sans idée de sacrifice, de renoncement, de concessions?
Ce qui est certain c'est que nous avons fonctionné en plein dans cet amour laborieux. Notre relation a duré parce que nous faisons ce qu'il fallait pour, sans même en avoir vraiment conscience. Et aussi, quand même, parce qu'il y avait suffisamment de bons moments de plaisir partagé.

A l'évidence je n'étais pas satisfait de cet amour là puisque j'ai ressenti le besoin de discuter avec d'autres femmes. J'avais trouvé comme explication qu'il me manquait une part amoureuse, et que mon subconscient s'était débrouillé pour le combler.

Ouais... ça reste valable. Mais c'est incomplet.


J'avais aussi découvert qu'il me manquait l'expression amoureuse dans notre couple. C'est à dire de se montrer qu'on s'aime et qu'on est bien ensemble, se le dire par des mots (pas nécessairement à coup de "je t'aime"...), des silences complices, des échanges de regards remplis de sens.

Oui, c'était vrai... mais encore incomplet.


Je crois bien que j'ai découvert ce qui relie tout ça. Quelque chose auquel nous ne pouvons pas grand chose, parce que constitutif de notre nature propre, du fondement de nos personnalités respectives.

Nos émotions ne sont pas en phase.

Ça peut paraître minime, mais je pense que c'est quelque chose de fondamental dans le lien amoureux.


Souvent nous ne sommes pas émus par les mêmes choses, ne vibrons pas aux même sollicitations. Certes nous avons des attraits communs, des idées similaires, des projets allant dans le même sens, une vision du monde assez semblable... mais peut-être pas dans une proportion suffisante. Et surtout... nous ne fonctionnons pas pareil. Nous ne sommes pas cablés de la même façon. Nos échanges ne sont pas fluides.

Par exemple Charlotte agit vite, ce qui me bouscule, alors que je réfléchis loin, ce qui la contrarie. Et tous les deux nous avons eu tendance à attendre de l'autre qu'il adopte un peu notre mode de fonctionnement.


C'est avec mon amie Inès que j'avais découvert le plaisir de partager des émotions en phase, ainsi que le respect de l'autre. C'est avec nathalie que j'aurai découvert, en plus, le bonheur qu'il y a à fonctionner sur le même mode, avec une sensibilité très proche, un partage du ressenti immédiat. Tout cela ne pouvant exister que si une grande confiance existe au préalable. Donc une grande sincérité. Donc un indispensable respect de l'autre et de ses différences.

Différences... tout est là. Dans le rapport entre différences et points communs. Et sans doute dans l'importance du domaine dans lesquelles ces ressemblances/différences existent.

Peut-être que Charlotte et moi avons nous des différences dans des domaines essentiels? Nos ressemblances nous ont lié durant un certain temps, puis la frustration due à certaines différences a pris de l'importance. Et il semble que maintenant les manques sont devenus prépondérants.



Nous avons beau discuter longuement, avec une grande qualité d'écoute, comprenant de mieux en mieux les raisons de l'évolution de notre relation... j'ai beau me sentir mal de voir notre projet de vie en commun s'étioler... rien n'y fait: l'amour s'en va. Je reste très proche de Charlotte, mais je crois que jamais le sentiment amoureux, de ma part, n'a manifesté un regain d'importance.

Tout cela ne se commande pas. Je ne peux que constater, honnêtement, ce qui existe et n'existe plus. Tout comme le mystère des ombres de la nuit disparait avec la lumière de l'aube.





Intime conviction





Mercredi 10 mars


Je me sens dans une situation un peu bizarre en ce moment. Bon, c'est pas totalement nouveau puisque c'est le cas depuis des mois. Mais là c'est... encore un peu plus inhabituel.

Ben oui, parce que dans quelques jours je franchirai une étape supplémentaire dans mon émancipation puisque je vais commencer à m'installer dans un autre domicile. Ça s'est décidé très vite, suite à une extraordinaire opportunité, que je peux qualifier d'idéale: un logement immédiatement disponible, à quelques kilomètres de mon lieu de travail, spacieux, très bien situé... et pour un loyer minime. J'ai vraiment une chance inouïe.
Ne reste plus qu'à organiser le transfert, qui durera un certain temps puisque mon bureau est dans ma... euh... future ex-maison. Il me faut donc aussi aménager un bureau, hors de la maison mais juste à coté puisque c'est là qu'est mon lieu de travail [Si vous ne comprenez pas, c'est pas grave...].

Élément essentiel à installer en priorité dans mon nouveau logement: une ligne téléphonique/internet pour que je puisse correspondre avec nathalie [ben oui hein... sinon c'est pas la peine]. Et acheter un nouvel ordinateur puisqu'il m'en faut aussi un à mon bureau. Tsss, faut avoir des sous pour changer de vie...

Bref, mis à part le délai nécessaire pour régler ces détails pratiques, j'aurai bientôt un "chez moi". Ça ne m'est jamais arrivé de vivre seul. Pour le moment je suis plutôt enthousiaste. Peut-être vais-je me sentir un peu seul dans quelques temps?

La transition se fera sans doute en douceur puisque pendant quelques semaines encore je travaillerai dans mon "ex-domicile". Je vivrai alors la situation surréaliste de dormir ailleurs, puis venir travailler dans mon ex-maison, où je retrouverai régulièrement ma femme en fonction de ses horaires de travail. Et le soir je rentrerai "chez moi".



Mais ce coté pratique des choses me semble de peu d'importance. Symboliquement c'est pourtant un acte fort que de ne plus vivre sous le même toit. Je me suis cependant rendu à l'évidence: c'est la meilleure solution.

Dans ma tête il se passe tout un cheminement de pensée qui me fait passer du statut de mari à celui d'homme libre. Ça se passe tellement rapidement que je suis incapable de fixer ça par l'écriture. Jour après jour je sens que ça évolue à l'intérieur de moi. Et même si régulièrement la peur se manifeste, il existe cette intime conviction que je fais la bonne chose. Ce n'est même plus de l'intuition, c'est de la certitude. Non exempte de moments de doute, certes... mais ça me semble normal dans un tel contexte. Le doute accompagne ma certitude, celle-ci constituant le fond de ma pensée.

J'avance pas à pas, jamais plus vite que ce que je suis capable de vivre. Le mouvement est lent, mais sûr. Même si, bien souvent, je suis en limite de ce qui m'est possible, compte tenu de mon inexpérience. Je vais à l'aventure et je n'ai donc qu'une très courte vue devant chaque élément nouveau. Il me faut constamment analyser la situation, et m'adapter à des sensations inconnues ou bien des surprises consécutives aux réactions de Charlotte, réelles ou annoncées.






Avenir sensible




Jeudi 11 mars


Il y a deux jours nous avons eu avec nathalie une conversation qui faisait intervenir, en annexe, la notion de durée dans un couple. Sujet particulièrement sensible pour moi.

Je sais que c'est parce que j'avais en tête ce désir de durée que j'ai eu envie, très tôt, de m'engager avec Charlotte. Et j'attendais alors une réciprocité.
J'ai compris aussi que c'est en partie parce qu'elle tenait à conserver son indépendance, donc temporisait mon empressement, que j'en avais été profondément déstabilisé. A l'époque je considérais [de façon assez simpliste] que si elle n'était pas prête à s'engager avec moi, c'est qu'elle n'était pas sûre de son amour.

Je ne sais pas trop quel rôle cet acte initial aura joué dans notre relation, mais il me semble bien que c'est par lui que le ver est rentré dans le fruit... Je ne sentais pas un projet commun d'aller l'un vers l'autre avec le même investissement amoureux [et peut-être me trompais-je...]. Je crois que j'en ai alors aimé moins intensément Charlotte, question de maintenir un équilibre, de ne pas être en position de trop grande vulnérabilité...

D'où ma grande prudence actuelle vis à vis de tout ce qui peut ressembler à un regard vers l'avenir entre nathalie et moi...



Je me sais hautement sensible à cette notion de durée. J'aurais volontiers tendance à associer amour et avenir, tout en sachant qu'attendre des garanties impossibles rend frileux. Je n'ai pas voulu me laisser aller vers ça avec nathalie. Je veux vivre notre relation au temps présent.
Bon... pour autant je sais pertinemment que c'est un conditionnement mental, le fruit d'un travail sur moi-même, et que spontanément j'aurais eu besoin d'être rassuré sur ce point. Mais ce genre d'assurance est intenable et je suis bien placé pour voir que les années peuvent changer beaucoup de choses au sentiment amoureux...

En même temps je sens bien que cette incertitude vis à vis de l'avenir pèse dans ma difficulté à me séparer de Charlotte. Il existe au fond de moi une peur de quitter une relation simili-amoureuse, que je pensais "pour la vie" (même si je sais qu'elle ne me convient plus, amoureusement parlant), pour aller vers une autre... sans aucun engagement pour l'avenir. 
C'est d'ailleurs là dessus que je "travaille" en ce moment puisque j'ai bien conscience que la simultanéité d'évolution des deux relations ne doit pas être justifiée par un passage de l'une à l'autre. Il serait facile de s'y laisser prendre... et nathalie est très vigilante à ce sujet.
Non, si je quitte Charlotte ce doit être parce que je ne me sens plus "confortable" dans ma relation avec elle, et non pas parce que je construis une autre relation.

Il ne m'est pas toujours facile de faire le tri entre les deux actions, tellement ressemblantes...

Dans l'idéal, il aurait été préférable qu'un certain temps s'écoule entre les deux. Mais la réalité c'est que ce sont les réflexions accompagnant mon rapprochement avec nathalie qui m'ont fait prendre conscience des dysfonctionnements de mon couple. Dès lors... il faut bien accepter que les choses se déroulent selon un processus dû aux circonstances. Et que les deux histoires se chevauchent en partie.



Par rapport à la question de durée de l'amour et de vie partagée, je suis aussi en train de constater toute l'illusion qui peut exister dans un couple.
Je suis donc très circonspect vis à vis de ce mode de vie. C'est pour cette raison que la relation à distance avec nathalie me convient pour le moment: nous ne pouvons pas partager notre quotidien (sauf exception temporaire). Je ne me sens pas prêt à tenter l'expérience de nouveau. C'est bien trop tôt. Je crois que j'en ai peur... Peur de l'usure des sentiments, de l'installation de la routine. Ce que je ressens envers nathalie n'a rien d'un coup de folie, d'une passion irrationnelle. C'est quelque chose de très réflechi, fondé sur des sentiments longuement soupesés, une complicité durablement établie, un co-fonctionnement minutieusement analysé. Je ne me lance pas à la légère, mais en fonction de cette intime conviction que je fais ce que je désire au plus profond de moi. Je n'ai pas envie de me leurrer moi-même, ni surtout nathalie.

Il me faudra donc certainement encore pas mal de temps avant que je puisse songer réellement en termes d'avenir au delà de quelques mois. Et d'abord... il me faudra être totalement séparé de Charlotte, ce qui n'est pas encore le cas.



Voila pourquoi, lorsque notre conversation avec nathalie à ouvert une brêche vers le concept de durée, j'ai ressenti une vive curiosité. Mélange de désir et de crainte. Mon imaginaire amoureux est avide de cette durabilité, de projets, d'avenir... mais ma prudence m'empêche de me hasarder dans cette direction.
J'ai pourtant saisi l'occasion d'en reparler avec nathalie, hier, déclenchant en moi un malaise en sentant cette contradiction intérieure. La peur, aussi, de m'exposer beaucoup trop en montrant la grande fragilité qui est mienne face à ce besoin d'assurance.

D'ailleurs, j'ai été tellement flou qu'elle n'a pas bien compris où je voulais en venir, ce qui n'a fait qu'accroître mon malaise... ce qu'elle a bien évidemment immédiatement perçu.

Et maintenant, je ne sais plus bien où j'en suis avec tout ça.






Il est peut-être temps que j'intervienne?

Oh nooooon!

Ah oui, alors il est temps, hé hé...

Pffff...

Qu'est-ce que c'est que ce charabia qui associe amour et avenir? Tu vas où avec ça?

Ben... je ne fais que constater comment je fonctionne. Je sais que moi j'associe les deux. C'est ancré en moi.

Bon, et alors, où est le problème?

Euh... ben... y'a pas de problème puisqu'on n'en parle pas.

Pourquoi?

Ben... parce qu'actuellement il n'en n'est pas question. C'est pas possible.

Pour qui n'est-ce pas possible? Pour nathalie?

Non, je ne pense pas. C'est de mon coté que c'est bloqué.

Et pourtant tu sens que ça joue un rôle dans votre relation, non?

Voui...

Lequel?

Ben... il y a à la fois un désir de m'engager dans cette direction, avec tout ce que ça à de "géant", et une peur terrible de cet inconnu.

Inconnue?

Non, inconnU. L'inconnu de la situation. Et puis cette distance... Tout cela semble tellement dingue...

Tu sais pourtant que des gens osent cette démarche. Une de tes lectrices est en train de le vivre et te le raconte.

Voui... je sais. Je me sens minable de ne pas oser...

N'importe quoi! C'est pas minable, c'est que tu penses à Charlotte et à tes enfants.

Oui, c'est vrai. C'est pour ça que la situation est bien compliquée... Je ne sais pas comment faire. Je me sens tiraillé entre deux vies.

Ouais, ça fait un moment que ça dure...

Et c'est inconfortable, pour tout le monde.

Heureusement que tu es avec des femmes compréhensives et patientes. C'est qu'elles t'aiment ces deux-là...

Je n'en doute pas une seconde...

De quoi as-tu peur?

De me lancer plus en avant. J'ai toujours peur d'aller plus loin, de m'engager vers l'inconnu.

L'inconnue?

Rhôôô, encore? Mais tu y tiens?

Hé hé...

Oui, bien sûr qu'il y a une part d'inconnu chez nathalie. On a appris à se connaître davantage, mais nous ne savons rien sur la longue durée.

Oui ben ça, c'est normal. Tu ne sauras jamais à l'avance.

Exact.

Tu as pourtant vu comme ça fonctionnait bien entre vous?

Oui oui... mais je n'étais pas moi-même. J'étais intimidé. Qui sait celui que je serais sur le long terme? Avec Charlotte aussi j'étais gentil et conciliant au début. Et puis je suis devenu chiant, exigeant...

Ouais... parce que tu étais déçu. Parce que votre amour ne se manifestait pas comme tu en avais besoin.

Oui... ben justement... suis-je guéri de ce genre d'attente?

T'en as bien une idée...

Non, je n'en suis pas guéri. Je me sais exigeant en manifestations amoureuses.

Et tu les as avec nathalie.

Oh oui, et j'en suis comblé la plupart du temps.

Ah? Parfois non?

Ben... ça peut arriver. Et alors je me sens vite mal, surtout si ça arrive sans prévenir.

Dis plutôt que tu le remarques lorsque tu es en attente de quelque chose...

Euh... voui.

Du genre... lorsque tu abordes des sujets délicats pour toi.

Ouain...

Parce que tu te dévoiles et que tu es inquiet. Tu as besoin d'être rassuré sur ce que tu as dit, savoir si c'est partagé, compris.

Exactement. Toujours cette crainte que quelque chose n'aille pas.

Toujours cette crainte de n'être pas "aimable"...

Pfff... oui, c'est bien probable.

Et pourtant tu sais bien comme c'est absurde.

Oui je le sais. Mais il y a quelque chose en moi qui semble... ne pas croire que les choses puissent bien se passer. Comme si c'était un sursis, un rêve.

Parce que tu ne crois pas à l'amour durable?

Peut-être que pour moi l'amour reste synonyme de souffrance, de déception inévitable... alors dès que quelque chose cloche, toutes mes peurs reviennent sur le devant de la scène et sèment la pagaille. La sérénité n'a plus cours, elle est en lutte avec les doutes.

Quels doutes?

Des doutes sur n'importe quoi. Tout devient prétexte à raisonner de travers, en imaginant des scénarios catastrophistes. Ça m'énèèèèrve!

Et tu lui en parles, comme elle te demande de le faire?

Euh... pas aisément. Ça me demande de gros efforts, parce que la peur de mal faire est là. Et puis je sais que j'ai tort. Et puis je sais qu'elle n'aime pas quand je suis comme ça...

Ben oui, ça se comprend.

Je sais bien... Mais c'est quelque chose qui me dépasse. Je n'ai que très peu de pouvoir contre ça.

Oui, ben va falloir faire un peu des efforts dans ce sens! Travailler un peu les certitudes pour ne pas vaciller à la moindre alerte.

Ouais ouais, je sais bien...

Tout allait bien pourtant, alors pourquoi ce soudain retour à des inquiétudes?

Ben... simplement parce que nous avons touché au sujet hypersensible de l'avenir... Parce que nous en avons parlé trop ou pas assez, me laissant dans une inconfortable position. Je ne suis pas du tout à l'aise avec ça, c'est... trop tôt. Trop engageant pour ne pas me faire peur. Ou alors il faut en parler carrément... ou bien ne vivre qu'au présent.

C'est pourtant toi qui as demandé des précisions...

Oui, mais je ne me suis pas rendu compte que je m'avançais sur un terrain hasardeux pour moi. Je crois que j'ai été curieux, espérant en savoir un peu plus de sa part... alors que c'est moi qui suis incapable de savoir où j'en suis.

Boh... t'as bien une petite idée de tes désirs...

Oui, mais c'est trop tôt. Je ne suis pas prêt.

Mais qui te presse?

Personne.

Alors laisse le temps au temps. Tu verras bien lorsque tu seras prêt, où lorsque des questions se poseront. Et puis fais les choses dans l'ordre: tu dois d'abord te mettre au clair dans ta relation de couple.

Exactement.

Ne force pas les choses, ça ne donnera rien de bon.







Autonomie amoureuse


Vendredi 12 mars


Ça n'allait pas très fort hier. A cause de quelques détails minuscules atteignant mes fragilités et qui ont conjugué leurs effets au point d'envahir mes pensées. Et comme je n'aime pas ressentir ce genre de choses, dont je sais bien que je suis seul responsable de l'importance que je leur donne... et ben ça me fait déprimer. Et plus j'y pense, plus je constate que je ne peux rien contre une part de moi... et plus ça me déprime. C'est con comme système, hein?

Bon... faut dire que ma séparation physique d'avec Charlotte joue certainement sur mon moral. J'ai beau trouver des aspects enthousiasmants (le changement, la liberté), il y a aussi un coté triste, et une inquiétude face à cette situation inédite du célibat. Je crois que je dois accepter que la transition ne se fera pas sans états d'âme. Il se pourrait même bien qu'il se déclenche des effets plus ou moins visibles qui pourront jouer sur mon moral. Et donc avoir des répercussions sur d'autres aspects de ma vie...

Par exemple en réveillant des points de sensibilité habituellement maintenus en sommeil.

Du genre de ce qui m'a turlupiné ces derniers jours, lorsque je me suis vu dans une situation analogue à celle que j'ai vécue avec Charlotte à nos débuts. Il y a vingt ans cela avait joué un rôle important dans notre rapport amoureux puisque, désirant supprimer la distance qui nous séparait, j'avais demandé à Charlotte qu'on se marie [voui, j'avais de drôles d'inspirations...]. Maintenant... et bien la distance est considérablement plus grande entre nathalie et moi, et nos possibilités respectives de la réduire se heurtent à bien des complications. Pour le moment, c'est le grand flou, la totale incertitude, en dehors de notre désir de poursuivre durablement notre relation.

Cette relative similitude de certains points des deux histoires joue, j'en suis sûr, un rôle que je mesure encore mal. Se réveillent parfois [lorsque je ne vais pas bien] des sensations que je ne connaissais plus, ou bien que j'avais domestiquées dans ma relation avec Charlotte. Et notamment une idée de dépendance affective, dont je me méfie au plus haut point. Je crois que c'est le seul élément qui a parfois été délicat entre nathalie et moi.

C'est assez complexe puisque j'ai bien l'impression que mon fonctionnement amoureux est construit autour de cette idée de codépendance forte. Je sais, par la raison, tous les effets néfastes de cette tendance. Mais on connait les antinomies qui existent parfois entre coeur et raison...
D'ailleurs je pense qu'il est difficile de concevoir l'amour sans ce lien d'attachement qui constitue, forcément, une forme de dépendance sentimentale. La question est de surtout de savoir jusqu'où...

Pour moi cela se joue notamment dans la liaison forte de deux existences. C'est à dire de sentir au plus près comment l'autre vit, quel est son moral, quels sont ses soucis et... quel est son amour. Et c'est là que parfois je me focalise sur des détails que je rends signifiants. Petits signes que j'interprète et dont je déduis finalement un enchaînement. J'ai alors vite fait d'orienter mes pensées dans le sens qui me convient à chaque alternative. La plupart du temps vers le positif. Mais parfois, sans que je sache bien pourquoi, dans un sens négatif en créant exactement ce que je redoute.

Je déteste ça. Je n'aime ni ressentir des choses de travers, ni faire peser sur l'autre le résultat de mes insécurités affectives. Alors je m'en veux, je m'énerve contre moi, je lutte intérieurement et je déprime en constatant que ma volonté est impuissante.

Je sais pourtant que la délivrance passe par l'expression... mais je redoute d'avoir à avouer ma dépendance (fût-elle temporaire), parce que c'est une aliénation pour l'autre, un empiètement sur sa liberté d'être. Alors je garde tout pendant un moment, me morfondant silencieusement face à qui ne comprend pas ce qui se passe en moi.

Très chiant.

Pour éviter ça, je veux poursuivre l'apprentissage de l'autonomie affective. Continuer à tenter de ne plus douter de mes capacités.



Je vais bientôt vivre seul et il va me falloir apprendre à ne pas dépendre des fluctuations de l'emploi du temps de nathalie, de son état moral, de ses éventuelles indisponibilités. Je sais que je me trouverai parfois confronté à ce genre de situation. Il y a une part d'imprévu à prendre en compte. Ma vie et la sienne ne se recoupent que partiellement (ne serait-ce qu'à cause d'une demi-journée de décalage horaire) et il me faut accepter de ne pas toujours savoir ce qu'elle vit, sans basculer dans des idées négatives. Et apprendre à ne pas chercher à mesurer l'amour selon des critères qui n'appartiennent qu'à moi.
Le problème c'est que cela demande un gros travail d'analyse de mon fonctionnement amoureux, de la façon dont j'aime et ai envie/besoin d'être aimé. Et là... je dois dire que parfois ça me dépasse. J'ai l'impression que certaines choses font tellement partie de moi que je ne suis pas certain de pouvoir les contourner.

Du moins... à les contourner tout en continuant à aimer autant. Car bien sûr je peux diminuer ma sensibilité affective... mais au prix d'un moindre engagement de mon coté. C'est ce qui s'est passé avec Charlotte il y a longtemps, avec le résultat actuel. Je suis donc sensibilisé à ça. Je n'ai pas envie de reproduire le même genre de chose avec nathalie, en ne pouvant développer mon amour que dans certains axes.

Je sais désormais qu'une communication défaillante sur certains points essentiels aura été la cause de mon désinvestissement amoureux avec Charlotte. Je ne veux pas que cela se reproduise avec nathalie, sous une autre forme. J'ai envie d'aimer "totalement" et entièrement. C'est à dire d'aimer avec toutes les connections possibles, tout ce qui nous relie. Aimer nathalie telle qu'elle est, sans chercher à la changer, mais sans laisser dans l'ombre des connections mal établies. Et pour cela... il me faut communiquer davantage. Être plus à l'écoute de moi-même et oser exprimer ce que je ressens. Ce n'est pas à moi de faire le tri de ce que je peux dire ou pas, surprotégeant d'hypothetiques sensibilités. J'ai fait l'erreur avec Charlotte, je ne veux pas la refaire.

Alors je dois être encore plus sincère. Aller jusqu'au bout de la confiance, dans TOUTES les directions. Et surtout les plus sensibles...



[Mis en ligne le 17 mars 2004]





Qu'aurais tu fais si...



Samedi 13 mars


«Qu'aurais-tu fait de ton couple si je n'avais pas été là?» C'est nathalie qui m'a encouragé à me poser cette question, pas très à l'aise dans la peau de cette "autre femme" dont il serait facile de penser qu'elle me détourne du chemin conjugal.

Qu'aurais-je fait, oui?

Après quelques semaines de réflexion j'en suis arrivé à la conclusion que la question n'a finalement pas vraiment de sens. Parce que si nathalie n'existait pas... et bien je ne me serais pas posé toutes ces questions sur mon couple! J'aurais continué dans l'illusion de vivre un amour durable, dont j'étais même fier en sachant combien nous avions oeuvré pour cette pérénnité.

Un peu plus tôt c'est Charlotte, plus ou moins consciemment, qui me poussait à me poser une question similaire: «et si, maintenant que tu es devenu lucide sur notre couple, tu renonçais à cette relation parallèle?» J'aurais pu ainsi faire bénéficier notre couple de tous les découvertes, sans occasionner cette rupture que nous ne souhaitions ni l'un, ni l'autre.

Par ailleurs, au fil de la lecture de forums de discussions et de livres sur le sujet, il m'a semblé se confirmer une idée courante: les hommes quittent rarement leur compagne sans la présence d'une autre femme dans leur vie. En revanche il semble assez largement répandu qu'une femme quitte son conjoint parce qu'elle ne se sent plus à l'aise dans son couple.
Je n'aime pas trop les disctinctions homme/femme, et je suppose que celle-ci est davantage d'ordre culturel que naturel, mais je ne peux nier que je suis exactement dans le modèle masculin... [arggghhh!] Les femmes semblent plus entières dans leurs choix amoureux.


Tout cela me trouble, et me ramène à cette question de nathalie: aurais-je quitté Charlotte, maintenant que j'ai acquis cette lucidité, si nathalie n'était pas là?
Pour être honnête... je ne sais pas si je l'aurais fait. De moi-même, spontanément, je ne pense pas. J'aurais préféré, du moins durant un certain temps, la facilité de la continuité. C'est d'ailleurs ce que je souhaitais en ne voulant pas choisir entre l'une et l'autre.

En fait, pour que je sache, il faudrait que je me pose la question suivante: et si, grâce aux réflexions menées avec une amie (ou qui que ce soit sans lien amoureux), j'avais compris que je n'étais plus dans un registre amoureux dans mon couple, aurais-je quitté Charlotte ? Hmmmm, vraiment, je n'en suis pas du tout certain. Je pense que je me serais contenté de la situation, tout en sachant qu'elle n'était pas satisfaisante sur le plan amoureux et relationnel.
Mais j'en aurais parlé à Charlotte, et peut-être que les effets auraient été semblables: elle n'aurait pas accepté ce type de cohabitation non amoureuse. Nous aurions eu le même genre de discussions houleuses, d'incompréhensions, de blessures mutuelles. Et à terme, peut-être, une séparation dans quelques années?

Que mon amitié envers nathalie soit devenue amoureuse ou pas, je pense que les résultat aurait été semblable. Sauf que... j'aurais été sans doute plus enclin à tenter de reconstruire quelque chose avec Charlotte. Y serions-nous parvenus? Je me le demande... Pas dans un délai court, c'est certain. Il nous aurait fallu beaucoup de temps pour voir des effets significatifs et, surtout, une réduction notable de nos incompréhensions. Ça, j'en suis convaincu.

Bon, il semble donc évident que le fait que je sois amoureux de nathalie accélère la séparation. Est-ce bien, est-ce mal? J'opte pour le bien. La situation nous contraint à clarifier les choses, alors que si rien ne pressait j'aurais laissé traîner l'idée d'une séparation. Je n'en aurais pas compris l'utilité. Pire, je pense que je n'aurais pas compris que Charlotte puisse y penser.

Peut-être n'ai-je pas à être très fier en pensant à cette probable passivité... mais... justement, ça ne s'est pas passé de cette façon! Et je n'y suis certainement pas pour rien, même si je vais doucement dans mes choix. Certes j'avais opté pour un non-choix, mais lorsque j'ai été obligé de clarifier les choses, et bien j'ai choisi. Bon, d'accord... il faut qu'on m'impose de choisir, sinon je ne le fais pas. Alors je traîne les pieds, je renacle... mais je choisis quand même. Et si les choix s'imposent, c'est parce que, doucement, j'avance vers ce qui me convient.

D'une certaine façon c'est moi qui choisis qu'on m'impose de choisir...

Peut-être parce que je sens confusément que ce n'est pas tenable de ne pas choisir. Ou bien pas franc, pas honnête. Mais finalement, n'ai-je pas seulement suivi le chemin qui s'ouvrait devant moi? N'ai-je pas simplement opté, à chaque fois qu'il fallait choisir, pour la direction que je souhaitais?

J'ai choisi de participer à faire grandir une amitié féminine, sans ignorer les "risques" (ou "chances", selon le point de vue...).

J'ai choisi de vivre et être partie prenante dans la naissance de sentiments entre nous, sachant très bien que je rendais à chaque étape le processus de plus en plus solide.

J'ai choisi de poursuivre chacun de mes désirs de rapprochement, n'ignorant rien des conséquences prévisibles.

J'ai choisi de ne pas renoncer, alors même que l'idée de rupture dans le couple était présente.

J'ai enfin choisi d'agir en allant vers une séparation, tout en n'étant pas encore prêt à la vivre.


Et plus les choix devenaient déterminants, avec des conséquences de plus en plus prévisibles, plus j'ai du réfléchir sur ce que je désirais vraiment. Tous ces choix auront été faits de façon toujours plus consciente des enjeux... non sans des difficultés croissantes.



[Mis en ligne le 17 mars 2004]





Ça manque d'huile




Lundi 15 mars


J'ai bien l'impression de ne pas m'être assez préparé au retour de mon voyage vers nathalie. J'ai bien tout fait pour y aller l'esprit libre, et c'était parfait, mais je n'imaginais pas que le retour serait aussi difficile.

Il semble que beaucoup de choses ont changé entre Charlotte et moi durant ces neuf jours. La froideur qu'elle a manifesté à notre premier contact post-rencontre reste d'actualité. Même si parfois nous retrouvons temporairement de bons moments de dialogue, l'ambiance générale n'est pas facile.
La distance corporelle aura été radicale, et nos "bonjour-bonsoir" avec une simple bise sur la joue ne me sont encore pas naturels. Depuis quinze jours que je suis revenu, je n'ai eu droit qu'à cinq "bec sec", bisou éclair sur la pointe des lèvres. Bon, ça aurait pu être zéro, hein... Mais si ce symptôme est significatif, il n'est pas le plus pénible à vivre.

Ce qui a changé, c'est que Charlotte considère qu'il n'y a plus d'espoir que je renonce à ma relation avec nathalie. Donc, elle ne fait plus d'effort. Elle ne met plus d'huile dans les rouages de la mécanique conjugale. Et ça change tout. Tant qu'il y avait des concessions, des adaptations, ça fonctionnait. Mais puisqu'elle n'accepte plus rien de ma part qui lui demanderait un effort... ben ça coince sérieusement.

Oh, elle n'a pas tort, j'ai bien des défauts. Et notre fonctionnement de couple était loin d'être idéal. Mais bon, tant que chacun y mettait du sien, ça allait à peu près.

Pourtant, je crois que je fais des efforts notables, maintenant que j'ai pris conscience de notre dysfonctionnement. J'essaie d'être plus attentif, attentionné, réceptif. Je prends davantage part au travail familial, je reste très présent. Mais ça ne semble pas suffire. Il en faut davantage. Charlotte ne me laisse plus rien passer.
Le problème c'est que je ne me rends pas toujours compte de ce qu'elle n'accepte plus. Alors d'un coup ça éclate, elle me parle sans ménagement... et ça me blesse. Je ne comprends pas ce que je n'ai pas fait, ou ce que je n'aurais pas du dire.

Il y a tellement longtemps qu'on fonctionne sur un mode qui était apparemment co-accepté que si les règles changent je ne sais pas m'adapter aussi vite que nécessaire. Je sais bien que le modèle du couple traditionnel n'est pas équitable. Je sais bien que j'ai reproduit en partie le comportement de mes parents, et Charlotte s'y est elle aussi partiellement adaptée. Tous les deux nous avons pris des rôles absolument contestables, chacun exerçant une forme de pouvoir sur l'autre, alternativement selon des domaines préétablis. Et surtout il y a eu ce manque de respect de nos différences, cette demande pressante que l'autre s'adapte à nos exigeances.

Désormais Charlotte s'affirme comme ayant droit au respect de ses différences. Elle a raison. Elle sait, parce que je lui ai dit, que nathalie a tout de suite été très claire sur ce point avec moi. Et elle voit bien que j'ai accepté ces différences.
Charlotte et moi n'avions pas eu cette clairvoyance à dix-neuf ans... et nous étions mal partis dès le départ.

Et puis... cela me ramène justement aux origines de notre amour. Lorsque d'amoureux passionné j'avais du renoncer à cette hypertrophie amoureuse. Charlotte ne pouvait me donner autant que ce dont j'avais besoin, et j'avais du abandonner le coté le plus passionné, flamboyant de mon amour pour elle. Je crois que c'est de cette immense blessure initiale qu'aura découlé notre relation d'amitié/amour. Ne pouvant plus l'aimer autant que je le désirais, je pense que j'ai développé une sorte de ressentiment sournois et imperceptible directement. Puisque je l'aimais moins, j'avais moins le désir de "tout" faire pour elle. Elle n'était plus ma princesse, mon rêve incarné, mon idéal. C'est de là qu'à commencé cet amour écrêté qui a duré depuis.

Comment cela se serait-il passé si elle avait été amoureuse autant que moi? Aurions-nous pu durablement vivre un amour intense? Je ne le saurai jamais.
C'est à ce moment là que je lui ait dit que je savais qu'elle n'était pas ma femme idéale, mais que j'avais compris que l'idéal n'existait pas. Et qu'elle était donc au plus proche de ce dont je pouvais rêver. Amour raisonnable et réfléchi... mais amputé du feu de la passion.

C'est ce feu qui m'aura manqué et que mon inconscient se sera débrouillé pour retrouver. D'abord avec Inès dans un drôle de mélange d'amitié passionnelle, mais sans amour pur (substitut que ma conscience avait trouvé pour sauver les apparences de la morale...), et ensuite par cette amitié-complicité avec nathalie, qui a ensuite évolué vers ce rêve de ma vie: le bonheur parfait de la plénitude amoureuse.

Bon... c'était il y a un an et finalement ce coté passionné n'a pas pu exister non plus. La fusion est un leurre, et ce serait une folie que de l'attendre, j'ai fini par le comprendre. Depuis, j'aprends à vivre l'amour autrement que ce que mes rêves idéalisaient. Ça ne m'a pas toujours été facile, puisque dans mon mode de fonctionnement l'amour impliquait certains comportements. Il m'a donc fallu reconstruire mon imaginaire amoureux de façon un peu plus réaliste. Et j'y parviens plutôt bien, même si quelques dérapages surviennent de temps en temps. Surtout si je ne suis pas au mieux de ma forme.

C'est un peu ce qui s'est passé ces derniers jours, lourdement affecté par ce qui se passe entre Charlotte et moi, j'ai perdu pied en étant à nouveau demandeur d'attention.

Mon autonomie affective n'est encore pas effective...




[Mis en ligne le 17 mars 2004]





Remonter




Mardi 16 mars


Ça n'allait vraiment pas fort ces derniers jours. Je stagnais dans un état déprimé, avec tendance à l'enfoncement progressif. Lorsque je suis dans cet état-là, je m'enferme dans ma bulle, deviens taciturne, sans motivation pour rien.

Alors hop, hier je me suis dit que je ne pouvais pas rester comme ça. Je n'allais pas me laisser envahir par la morosité. Si c'est pour en arriver là à cause de ce que je veux vivre, il y a quelque chose qui ne va pas! La recherche de l'harmonie intérieure ne doit pas mener à la tristesse.

Bon, tout cela est évidemment lié à ma séparation d'avec Charlotte. Et plus précisément au désinvestissement amoureux, pas facile à vivre de mon coté maintenant. Ben oui... elle a compris que je ne l'aimais pas autant qu'elle croyait, alors forcément elle se met en retrait pour ne pas souffrir. Et je me retrouve donc "tout seul", sans ce lien d'amitié.




[Mis en ligne le 17 mars 2004]




Différences




Mercredi 17 mars


Je ne sais plus comment écrire dans ce journal. Je me contente de décrire sommairement ce que je vis, sans avoir le temps de le peaufiner ni de mettre en ligne. Trop de boulot en ce moment... et pas vraiment la disponibilité d'esprit pour réfléchir longuement. Je sais que des changements majeurs s'opèrent dans ma tête, mais je suis incapable de les fixer.

Est-ce le genre de journal que je souhaite avoir? Certainement pas. Trop factuel, sans approfondissement, sans analyse. Alors pourquoi poursuivre? Ben... peut-être par souci de continuité. Ou de garder trace de cette période déterminante de ma vie.

Par exemple aujourd'hui j'ai ressenti une drôle de sensation en empilant mes vétements dans un grand sac. J'avais l'impression de partir en voyage... avec retour supposé dans quelques temps. Euh... non mon gars, c'est pas vraiment ce qui se profile! Ce qui se passe en ce moment, ce sont des actes sans retour.
Tout ce qui a été dit et fait a certainement marqué la séparation bien plus que je n'en ai conscience. D'ailleurs, ce seul sujet est généralement motif de discorde entre Charlotte et moi. Je raisonne encore beaucoup en "nous", alors qu'elle tient à ce que je prenne mes décisions seul. Comme celle du jour de mon départ, par exemple, alors que je lui demandais quand elle souhaitait que je le fasse. Elle voit dans ces demandes une immaturité, alors que je le fais par gentillesse afin d'éviter qu'elle n'en souffre. Mais apparemment, plus vite je partirai et mieux elle s'en portera.

Bon... j'en prends acte, et je quitterai donc la maison dans les tous prochains jours.

Manifestement je suis beaucoup moins prêt qu'elle à cette rupture. Je crois que, sur ce point encore, nous ne nous comprenons pas, ni ne réagissons de façon semblable. Sa façon de rompre est bien trop radicale pour moi. Je ne comprends pas cet empressement. Mais bon... je dois bien m'adapter.

Ce qui me surprend, c'est que si moi j'ai bien du mal à vivre cette séparation... elle semble avoir de son coté bien du mal à supporter qu'elle ne soit pas encore effective!

Euh... ben... quand même, ça fait plus de la moitié de ma vie que je suis avec elle, et ça me fait un p'tit quelque chose [euphémisme] qu'on se sépare. Pour elle aussi, je n'en doute pas, mais même dans ce moment difficile, nous ne vivons pas les choses de façon semblable.

C'est incroyable comme nous sommes différents...



Et dans le genre différent, c'est avec mon entourage que j'ai des surprises. Les familles sont désormais au courant de ce qui se passe, avec comme un petit parfum de scandale. Dans une belle unanimité, tout le monde s'écrie «je ne juge pas»... n'empêche que dans le même élan vient le «quel gâchis, comme c'est dommage...», immédiatement suivi du «mais c'est une passade, tout va s'arranger...».
Bon, je peux comprendre qu'ils soient surpris et aient besoin de se rassurer. Mais bien rares sont ceux qui ont cherché à comprendre un peu ce qui se passait, hors des faits bruts: il aime une autre femme.

Ouais... c'est un peu court. Il se passe bien d'autres choses. C'est d'une évolution profonde qu'il s'agit.

Alors je réalise que, finalement, tous ces gens que je cotoie depuis toujours... et bien je me suis toujours senti différent d'eux. Et si je n'ai jamais vraiment lié d'amitié auparavant, c'est parce que je n'avais pas trouvé cette complicité qui engendre la confiance, l'aisance, le bien-être partagé.

Je me croyais "renfermé", comme on m'avait défini, mais c'était tout simplement parce que, hormis avec Charlotte, je n'avais pas trouvé avec qui m'ouvrir. Et là, maintenant que j'ai établi une complicité qui me rend heureux, qui m'épanouit... et bien personne ne semble s'en réjouir. N'est vue que la "faute" de déserter un couple qui donnait toutes les apparences de l'harmonie. J'ai cassé l'image que les autres avaient de notre couple, et ils ne comprennent pas que la réalité était différente.

J'avais une place, et le fait d'en sortir semble déranger. Comme si il y avait davantage de risques que de chances dans cette situation nouvelle.

Ma mère d'ailleurs, n'a pas pu se retenir de dire à quel point ses craintes étaient fondées en ce qui concerne les psychothérapies...

Ben oui... il se trouve que je me suis posé des questions sur ma vie, parce que je ne m'y sentais pas bien. Et je trouve peu à peu des réponses.

Tant pis si ça dérange les autres. Après tout, c'est de ma vie qu'il s'agit... Il n'y a que vis à vis de Charlotte que je regrette que mon évolution la mette en position de souffrance. Mais je n'avais pas vraiment le choix de refuser d'être moi-même. Ç'aurait été absurde.


[Mis en ligne le 17 mars 2004]





Ne pas y penser




Jeudi 18 mars


Il y a un mois je passais ma première nuit chez nathalie. Ce soir, je passe ma dernière nuit chez moi. Hasard des dates...

Alors sur quoi puis-je écrire ce soir? Sur laquelle de mes deux vies vais-je orienter mes réflexions? Développer ce qui est préoccupant et triste, ou bien me remémorer ce qui fût une parenthèse de temps de douceur?

J'en ai un peu marre de ne parler que de ce qui ne va pas. Certes ma vie au quotidien n'est pas des plus réjouissantes actuellement... Mais, d'une part il y a bien pire comme situation, hein? Relativisons. Et d'autre part je ne dois pas me placer en position de victime. Ce qui se passe fait partie des "risques" prévisibles. Bon... j'avais pas très bien estimé les répercussions, mais peut-être est-ce une chance que Charlotte refuse une solution de compromis. Ça m'oblige à aller au bout des choses...

Et finalement, c'est bien là l'objectif que je vise. Donc tout va bien.

Je pourrais décrire un peu ce qui se passe juste avant de quitter sa maison, mais il n'y a pas grand chose à en dire. Je ressens une ambiance plutôt hostile, je ne me sens plus "bien" chez moi. Le départ devient absolument nécessaire.

Mais tant que le passage ne sera pas effectif, tout cela restera un peu abstrait. Dans quelques jours je pourrai sans doute décrire ce que je ressens. Pour le moment, c'est juste de la tristesse, mais plutôt bien acceptée. Je crois que je ne veux pas trop y penser...







Vieux con





Vendredi 19 mars


Finalement, j'ai eu droit à un sursis: je suis encore chez... euh... chez Charlotte ce soir. C'est le week-end et les enfants sont là, il aurait été idiot que je parte à ce moment là. Le départ est prévu dimanche soir.

Peut-être que Charlotte a eu un peu de compassion en entendant son père tenter de me remettre dans le droit chemin? Il m'avait invité de façon impromptue à manger avec lui [la première fois depuis vingt-deux ans...] pour «savoir un peu ce qui se passe». Bon, j'avais accepté. Après tout je comprends que nos parents s'inquiètent pour leur rejetons, même si j'estime qu'ils n'ont pas grand chose à voir dans nos décisions...

Il a commencé en disant très clairement qu'il ne me jugeait pas. Aaaah, tant mieux! C'est d'ailleurs ce que disent la plupart des membre de la famille qui ont été informés de l'évènement.
A peine commençais-je à expliquer où nous en étions, comme il me l'avait demandé, qu'il me donnait déjà son point de vue. Ah bon... Et tout en répétant qu'il ne me jugeait pas... il commença une litanie sans fin autour de l'engagement que j'avais contracté il y a vingt-deux ans, de limites dans lesquelles chacun devait rester, du respect des valeurs transmises par les parents...
Euh... oui, très bien, mais il se trouve que j'ai *un peu* réfléchi à ça, et que justement je ne me reconnais plus dans cet héritage culturo-moralo-éducatif.
En fait, sa principale question était de savoir si ce que je vivais était une lubie temporaire ou quelque chose de plus sérieux. Je l'ai vite rassuré... mais pas du tout dans le sens qu'il souhaitait. Alors peu à peu le vernis de politesse est parti et les mots sont devenus plus clairs. «Tu dois rester avec Charlotte, vous devez faire des compromis, des concessions, c'est comme ça qu'il faut faire parce que... parce que... c'est comme ça!». Oui oui, fort bien, j'entends vos idées, cher beau-père [oui, Charlotte vouvoie ses parents et j'ai fait comme elle], mais ce ne sont pas les miennes. J'ai tenté de lui expliquer un peu ma démarche, mais manifestement elle ne lui importait guère. Ce qu'il voyait c'était que notre société pervertit tout... et puis d'abord qui est cette autre femme? Et puis dans la vie il ne faut pas «pinailler» (ne pas se poser de questions) mais prendre les évènements comme ils viennent. La vie c'est comme des rails et bla bla bla. Le monologue est devenu de plus en plus étroit, au diapason de ses idées, pour s'achever dans des «ce que tu fais est minable!».

Fort bien, cher beau-père... mais... je vous emmerde, vous vos oeillères et vos principes de vieux réac [bon, j'avoue, je l'ai pas dit...].
J'ai eu droit à tous les clichés sur la «solution de facilité», et même nathalie à été jugée sans qu'il ne connaisse rien ni d'elle ni de ce qui nous a liés. Mais il était inutile de tenter d'expliquer quoi que ce soit. La cause était entendue avant même que je m'exprime...

Vieux con, va...






Dans mon petit monde




Samedi 20 mars


Mes textes sont courts en ce moment. Je n'ai pas beaucoup de temps pour approfondir, ni même réfléchir. Je me contente de décrire quelques bribes de mes ressentis. De toutes façons, il se passe tellement de choses dans ma tête qu'il serait illusoire de vouloir les fixer. Tout est en mouvement, rapidement périmé, évoluant d'un jour à l'autre.


Hier j'avais une séance psy et je parlais des réactions de mon entourage. Ce que ce que nous vivons semble préoccuper beaucoup nos familles, mais on ne s'adresse pratiquement jamais à moi (sauf ce cher beau-papa...). C'est bizarre.
C'est Charlotte qui a eu a subir le premier flot de questions (mékéskispass?!) durant mon absence, c'est maintenant notre fils aîné qui, après avoir été questionné sans savoir quoi répondre, devient une sorte de confident des états d'âme de ses grands-parents. Alors on apprend de façon plus ou moins détournée ce que semblent penser, imaginer, supputer ceux qui feraient mieux de nous dire directement leur souci.
Gentiment on m'a proposé «si tu veux en parler avec nous, nous sommes là...». Oui ben... j'ai rien de particulier à dire, moi. Les solutions elles sont en moi, dépendent des personnes avec qui je suis en relation, mais certainement pas de quiconque autre. Alors je veux bien les "rassurer", les informer, mais il ne faut pas inverser les rôles.

Par contre, ce qui semble constant (mais je ne l'apprends que par des voies détournées, évidemment...), c'est que je serais assez largement considéré comme «immature», ou «dans son petit monde», «il ne se rend pas compte...».
Puisque l'avis aurait été donné par plusieurs personnes (dixit Charlotte), je me suis quand même interrogé. C'est pas allé très loin puisqu'à supposer que je suis bien ce qu'ils disent... ben justement ça limite mes réflexions. Comment avoir la maturité de se sentir immature? N'est pas déjà faire preuve de maturité? Comment me rendre compte que je ne me rends pas compte? C'est le genre de réflexions qui se mord la queue.

Il y a aussi cette idée générale que ce qui se passe serait «tellement dommage», nous qui formions ce couple si uni... Le terme de «gâchis» a été employé. Vouais... avec mes manigances je gâche la belle image rassurante et stable que nous donnions. Nous étions un beau petit couple comme il faut, bien installés dans la vie, avec trois beaux enfants... et voila que je déstabilise tout ça pour... pour... aller fricoter avec une femme connue sur internet! Oh, on ne se permettrait pas de juger, non, mais... quel gâchis quand même! «Dans la vie c'est pas toujours facile, tous les couples ont des moments de crise, mais bon... avec un peu d'efforts ça s'arrange. Et puis les enfants... Et puis Charlotte...»


Oooooh c'est vrai ça, j'ai des enfants! Diantre, j'avais oublié. Et puis y'a Charlotte, celle-là aussi j'avais oublié qu'elle existait. Ben oui, merci de me rappeller tout ça, des fois que j'y aurais pas songé... Pardi, pas étonnant qu'on me considère comme immature!

Y me font marrer (un peu jaune) tous ces braves gens qui se préoccupent de mes agissements... Bien peu se sont enquis de savoir un peu plus précisément de ce qui pouvait occasionner un bouleversement aussi majeur de ma vie. Pas un qui semble s'être dit: s'il en arrive à ça c'est que c'est ça doit-être quelque chose de très important. Non, on en reste à la classique «crise de la quarantaine», et au «ça va pas durer», sans doute plus rassurants. Parce que ça permet de mettre un nom là-dessus, étiquetter dûment cette anomalie existentielle. La rendre quasiment "normale".

Ceci dit, je suis certainement un peu injuste et je crois que je comprends leur malaise à aborder le sujet. Peut-être que j'aurais fait pareil, n'osant pas m'immiscer dans des affaires de couple. Peur d'être indiscret, de déranger.

Mais bon... je préfère encore ceux qui semblent s'en foutre, ou dont je ne sais rien des pensées...







Je me souviens...

... du temps de calme et de douceur que nous avons vécu ensemble. Tout était devenu évident dans nos présences réunies. Loin des tracas de mon existence habituelle, j'étais très bien avec toi. Mes incessantes questions n'avaient plus lieu d'être.

J'ai passé mes journées à «vivre en toi», comme dit la chanson. Je me suis imprégné de celle que tu es, heureux et toujours surpris de te voir là, face à moi, très vivante.

Un jour que tu étais endormie à mes cotés, j'ai longuement respiré ton air, celui que tu expirais, en calant ma respiration sur la tienne. Pour être au plus près de ton être..
. J'ai trouvé subtilement intime ce moment de sensualité dérobée.






Réflexion annexe: j'aime me souvenir de ce que j'ai vécu avec nathalie. Pourtant j'en parle peu dans ce journal. Il y a plusieurs raisons à cela.

D'une part je n'aime pas mettre "en présence" nathalie et Charlotte. J'évite de mélanger mes deux vies, même dans l'écriture. Où que ce soit, la scission est assez nette dans mes pensées. Je suis "avec" l'une ou avec l'autre, mai
s pas les deux en même temps.

D'autre part, je crois que... je ressens une gêne à développer le coté harmonieux que je vis avec nathalie alors que ce que je vis avec Charlotte est très préoccupant, attristant, compliqué. Il doit exister une sorte de pudeur, ou de respect vis à vis de Charlotte. Comment écrire sans états d'âme que je suis heureux avec nathalie et souvent triste avec Charlotte?

Gêne par rapport à qui? Euh... vous, lecteurs, probablement. Je me dis que c'est "pas bien" de me dire heureux avec nathalie alors que je suis en train de me séparer de Charlotte. Comme si je ne respectais pas une sorte de temps de deuil. Comme si on pouvait croire que j'oublie vite Charlotte...

Ben non, c'est évidemment pas le cas! Je pense énormément à ce que Charlotte peut ressentir en ce moment. Et je vous assure que je ne suis pas du tout à l'aise avec ça. Je ressens très souvent une grande tristesse en la regardant, sentant sa peine, sa détresse. Et je me sens mal de me dire que... ben... non, c'est pas que ce soit de ma faute, mais... c'est quand même moi qui ait agi. Qui ait joué le premier acte. Même si je sais que je ne pouvais pas faire autrement si je voulais rester cohérent avec moi-même, et honnête avec elle.
Et je sais aussi que c'est elle qui a ressenti la nécessité de cette séparation "au plus vite", jouant le deuxième acte.

Bon... je le sais tout ça, mais il faut que je me le rappelle de temps en temps pour ne pas laisser la culpabilité se développer.








En exil



Dimanche 21 mars


Premier jour du printemps, premier jour officiel de la séparation. Faut-il y voir le présage d'une nouvelle vie qui ira s'épanouissant?

Pour le moment l'évènement a un coté presque amusant. Changement de régime de vie, mais sans autre modification que de ne plus dormir sous le même toit. Aujourd'hui j'avais invité ma petite famille à manger "chez moi". Occasion de leur faire découvrir mon nouvel espace de vie. Les enfants semblent s'amuser de ce changement.

Charlotte était détendue, du moins en apparence. Hier soir elle avait eu un coup de cafard en voyant notre armoire commune à demi vide. Et ce matin elle se trouvait responsable de ce qui arrive, n'ayant pas su comprendre mes besoins, n'ayant pas voulu voir qui j'étais, n'ayant pas su accepter certains coté qu'elle n'appréciait pas...
Surpris par ce changement d'attitude, j'ai tenté d'objectiviser cette vision trop pessimiste. Je sais très bien qu'un problème relationnel vient d'une inadéquation entre deux personnalités, et non pas d'un seul des protagonistes. Il n'y a pas de "faute" de l'un ou de l'autre à rechercher, juste à constater ce qui ne fonctionne pas entre nous. Même si pour comprendre ce qui nous est arrivé il est nécessaire de remonter à la source de ces inadéquations.

Charlotte ne manifestant plus la relative froideur de ces derniers jours, nous avons pu retrouver un rapport cordial. Ce lien d'amitié tendre que je souhaite conserver entre nous. Je suis heureux que nous ayons pu être dans ces dispositions pour cette journée particulière.

Oh, elle n'est particulière que symboliquement, puisque hormis mes plaisanteries sur le sujet, tout s'est passé très simplement. Sans larmes, sans longues explications. Les enfants étaient au milieu de nous, avec leurs discussions habituelles. En arrivant "chez moi", Charlotte m'a offert deux cadeaux: des cadres avec photos des enfants, qu'elle avait pris "chez elle" et dont je n'aurais pas osé la déposséder.
Une journée presque normale en fait, un peu comme celle qui précèderait un départ en voyage. Sauf que que dès demain matin je serai à nouveau "chez Charlotte", puisque mon bureau s'y trouve...

Mais bon, pour l'heure je me retrouve tout seul chez moi. En exil.

J'ai améné le plus gros de mes affaires personnelles essentielles. Vétements, quelques bouquins, quelques disques. Une bonne part de mes écrits personnels, mon vieux journal intime [sans bien savoir pourquoi je le prenais...], tous mes documents concernant l'écriture personnelle (cahiers de l'APA et livres sur le sujet).
J'avais posé ça un peu en vrac depuis quelques jours, attendant de m'installer vraiment. Ce soir j'ai intégré les lieux. Première chose: la musique. Je me suis mis un disque de Cabrel, plutôt calme. Puis j'ai installé mon vieil ordinateur, qui sera mon compagnon la plupart du temps. Je n'ai pas encore de ligne téléphonique, donc pas d'accès internet. Ce texte sera mis en ligne demain, depuis mon bureau.

Je me sens un peu isolé dans ce lieu inconnu, privé de tout contact extérieur. C'est temporaire. Mais je vais devoir apprendre à vivre seul, à passer beaucoup de mon temps seul, même si le monde d'internet permet de retrouver une certaine convivialité relationnelle.

Je vais sans doute trouver une liberté accrue, notamment par rapport à nathalie avec qui je pourrai désormais converser sans craindre de blesser Charlotte. C'est ce qui était le premier objectif pour retrouver notre équilibre à chacun.

Mais je vais laisser s'installer mes pensées. Je n'ai qu'à vivre le temps présent et je verrai bien comment les choses évoluent.

* * *

«Il serait peut-être temps de foncer. Envisager une séparation. Surtout que pour dire vrai, il n'y a pas d'autre homme dans le portrait, donc cela n'influencerait pas la décision. Parce que je m'étais toujours dit que si je partais, ce serait pour moi. Pas parce que j'aurais rencontré un autre. Suis-je prête à partir?

Azulah et voila... (
11 mars 2004)





«Faites taire la foule qui jacasse en vous. Vous ne tarderez pas à apercevoir une petite voix que vous n'avez jamais entendue auparavant. Vous ne parviendrez pas à l'identifier: non, ce n'est pas celle de votre mère ni celle de votre père ni celle du curé ni celle de l'instituteur... Soudain, vous comprenez que ce murmure au fond de vous même est votre propre voix. Voila pourquoi vous ne pouviez pas la nommer.
Découvrez votre propre musique
Et suivez la sans crainte.
Où qu'elle vous mène, là se trouve le but de votre vie, votre destinée. C'est là et nulle part ailleurs que vous trouverez la plénitude, le contentement.
C'est là et nulle part ailleurs que vous vous épanouirez et cette floraison sera l'avènement de la connaissance»

Les mots du silence - Osho Rajneesh









Premières impressions




Lundi 22 mars


Ma nuit n'a pas été très bonne. Je me suis réveillé plusieurs fois. Peut-être la lumière de la rue qui me perturbe? Ou bien mon inconscient qui me travaille? Ou bien le regret de n'avoir pas pu converser avec nathalie hier soir, depuis la cabine téléphonique la plus proche (je me suis endormi trop tôt en fin de soirée...).

Mais je me suis réveillé en forme, plus tôt qu'à l'habitude. Premiers regards sur la place du village qui s'anime. Je ne suis pas habitué à voir l'activité humaine prendre son essor. Et puis vaquer aux occupations du quotidien, avec pour seul changement un nouvel environnement. Plusieurs fois j'ai pensé à nathalie et à sa vie de célibataire solitaire, sur laquelle je m'interrogeais lorsque j'étais chez elle.

Le premier constat, c'est l'impression de liberté. Mais aussi de responsabilité dans les plus petits actes que je fais. Si je laisse traîner mon bol dans l'évier, d'abord je sais que personne ne le remarquera, ni n'en pensera rien [ouuuf, quel soulagement], mais aussi que ce sera à moi de le laver [sans plus me poser de questions]. Dans cet acte simplissime, je sentais déjà tout le poids infime, mais persistant, de la nécéssaire "adaptation" à l'autre, ses exigences éventuelles, et les micro-contrariétés qui peuvent en naître s'accumulant des années durant. Autant de plumes qui finissent par peser autant que du plomb...

Ce n'est pas la première fois que je suis seul en un lieu inconnu, mais la situation actuelle m'en fait prendre conscience avec une acuité nouvelle.

Je me demande déjà si je ne vais pas prendre goût à cette liberté...





«Vivre dangereusement signifie, chaque fois qu'un choix s'impose, ne pas opter pour ce qui est utile, rentable, honorable, socialement approuvé, mais choisir, en dépit des conséquences éventuelles, ce qui fait vibrer votre coeur, ce que vous aimez vraiment faire.
Le lâche évalue le pour et le contre: «Si je fais ceci, que va-t-il se passer? Quel sera le résultat?»
L'issue est déterminante.
L'être authentique ne soupèse rien. Il est absorbé dans l'acte, dans le moment présent. «Voici ce qui m'attire et c'est à celà que je me consacre». Il accepte tout ce qui peut en découler et ne regrette jamais rien.
L'homme sincère est sans regrets ni remords parce qu'il n'a jamais agi à l'encontre de lui-même»

Les mots du silence - Osho Rajneesh





Je me souviens...

... de toi lorsque tu préparais ce café si fort selon un rituel bien rôdé. Prendre le café en grain, le mettre dans le moulin éléctrique puis, pendant qu'il vrombit, saisir la cafetière et tenter de la dévisser avec force. La rincer, puis la remplir de nouveau dans un position plutôt inhabituelle. Le flamand rose, c'est ainsi que je l'ai appellée quand je t'ai vue te mettre en équilibre sur une jambe. Le pied en appui sur le genou opposé. Tu faisais ça tout naturellement, tous les matins, l'air à la fois concentrée et dans une bulle de pensée. Et dès que tu croisais mon regard qui t'observait, tu me délivrais un merveilleux sourire avec tes yeux au naturel...









Vite, viiiiite!!!





Mardi 23 mars


Il pleut. J'en profite pour écrire un peu de mon bureau. Ben oui, maintenant le matin je vais "au bureau", comme beaucoup de gens. Ça m'oblige à être un peu plus ponctuel et c'est pas plus mal.

Hier soir nathalie a inauguré ma ligne téléphonique. J'apprécie beaucoup la teneur de nos échanges, tour à tour sérieux, rigolos, sensuels, approfondis, nostalgiques, légers... J'aime surtout continuer à découvrir nathalie, à l'occasion de sujets que nous explorons un peu plus en avant. Hier nous avons notamment parlé du temps nécessaire aux choses pour qu'elles se fassent. Ce temps incompressible que l'on doit laisser s'écouler, comme un sablier, pour ne pas perturber l'équilibre intérieur et l'harmonie universelle.
Ouais, bon, j'en rajoute un peu là... mais c'est l'idée que nous en avons: il faut laisser du temps au temps. Et je crois que je m'entends bien avec ceux qui partagent cette philosophie.

Nous deux semblons fonctionner de cette façon. Un des nombreux traits de personnalité qui nous relient. Jamais nathalie ne m'a brusqué dans mes décisions, parce qu'elle sait que c'est ainsi que les choses doivent se faire "bien". Elle a toute la patience nécessaire, sachant que ce qui compte est que je me sente épanoui et libre. Libre d'entendre ma voix intérieure, libre d'agir en harmonie avec moi-même. Tout à fait dans le sens des extraits de ce livre ("Les mots du silence") que j'ai redécouvert et me permets de citer.

J'aime ce respect qui existe entre nous deux. Ce respect qu'ont pour l'autre les gens qui s'aiment. Je crois que... je ne savais même pas qu'amour et respect sont indissociables. C'est avec nathalie que j'ai redécouvert ce que je n'aurais jamais dû oublier.

Respect... combien est important ce mot, et fondamental dans l'équilibre humain. Et combien je perçois à quel point il doit déjà exister en soi si on ne veut pas se sentir nié par autrui dans ce qu'on a de différent, d'original, d'originel. Celui qui n'a pas cette force se sent perpétuellement mis en déséquilibre par d'autres qui réagissent différemment et le font savoir, tentant d'imposer leur point de vue.

Avec Charlotte, bien qu'il y ait une forme d'amour solide, il manquait une part de respect de nos différences. Nous voulions plier l'autre à nos souhaits, ne repectant pas sa personnalité. Et tous les deux nous avons procédé ainsi, crant un climat propice à l'éclatement de mini-conflits permanents (réels ou étouffés).
Finalement, cet amour là générait autant d'insatisfaction que de bonheur. Et c'est ce bonheur, auquel nous tenions beaucoup, qui nous a permis de durer... malgré nos différences comportementales. Le bonheur à deux se conquiert et se nourrit, certes... mais encore faut-il que ces deux bonheurs soient compatibles. Sinon l'harmonie ne peut-être que fragmentaire, temporaire.



Le manque de respect, je le ressens aussi en ce moment avec les réactions de certains de mes proches vis à vis de cette séparation. Oh, je sais bien qu'il y a autant de torts de ma part (en me sentant jugé) que venant de ceux qui ne me respectent pas (en ne cherchant pas à comprendre le sens de ma démarche). Je n'ai pas encore en moi la force suffisante pour résister à des tentatives de déséquilibrage. C'est pour cette raison que pendant longtemps je n'ai pas voulu parler de ce que je vivais, craignant que les critiques ne ravivent des doutes déjà bien difficiles à maîtriser. J'aimerais être plein de sérénité et pouvoir écouter le mal-être que je génère, et tenter de l'apaiser sans en être moi-même affecté. Ce sera pour plus tard, si un jour j'ai atteint ce degré de sagesse...

Ce que j'appelle "respect", c'est une écoute éclairée: quelqu'un qui cherche d'abord à comprendre quel est le problème de l'autre avant de l'aider à y voir plus clair en lui... mais sans jugement. Le respect est un forme de don de soi. C'est une forme d'amour. Et c'est une qualité apparemment rare (que d'ailleurs je ne suis pas du tout sûr d'avoir, hum hum...).

Le respect de l'autre, c'est ne pas chercher à l'influencer, à le diriger, à le juger. C'est avoir l'humilité de se rendre compte qu'on n'est jamais à la place d'un autre, et qu'on ignore son psychisme, son passé, et l'infinie complexité de son être, de ses réactions.

Il y a pourtant quelque chose de très intéressant dans la situation que je vis, soumise à des réactions opposées. D'abord ça me permet de mieux savoir où je me situe, par différence, en constatant ma façon de réagir intérieurement à ce qu'on me dit. Ensuite parce que j'aime sentir de quoi est faite la pâte humaine, et j'en ai là quelques aspects. Involontairement des gens dévoilent des aspects de leur personnalité. Entre ceux qui me disent de tout arrêter pour revenir dans le droit chemin, et ceux qui me suggèrent de tout laisser tomber pour vivre ma vie, les contrastes sont étonnants. Contrastes dans les solutions, mais similitudes dans la méthode: aller vite, trancher, se décider. Tout, sauf le flou. Tout sauf le temps de l'incertitude. Vite, vite, vite, décide toi! Renonce à cette autre femme, renonce à t'écouter! Renonce à ta femme, vis ta vie. Reste chez toi! Divorce et prends l'avion! Les avis sont contraires, mais qu'importe, ils paraissent persuadés d'être dans le vrai et le font savoir.
Agis dans un sens ou dans l'autre, mais décide toi! Viiiiite!!!

Certes l'incertitude est pénible à vivre, lorsqu'elle est immobilisme. Mais il faut prendre le temps de voir se dessiner un mouvement. Ce n'est pas parce que les choses bougent lentement qu'elle sont fixes. Je prends le temps d'écouter ma voix intérieure, parce que je sais que c'est elle qui me mènera vers ces concepts obsolètes que sont l'harmonie, la sérénité, la plénitude. Des mots qui n'ont plus vraiment cours dans un certain modèle de société.

Je n'impose rien à personne. Ni à Charlotte, ni à nathalie, ni à ma famille. Je suis simplement fidèle à moi-même et au temps qu'il me faut pour décider ce qui me sera bon. Si quelqu'un n'apprécie pas le temps qu'il me faut, donc n'apprécie pas ma façon d'agir, donc en fait celui que je suis vraiment... et bien je n'ai ni l'envie ni le pouvoir de le retenir auprès de moi.
Cette attitude est parfois considérée comme étant égoïste. Je ne le crois pas. Personne n'est responsable de ce que l'autre s'est cru autorisé à investir sur soi. Je ne peux que regretter de faire souffrir ou de générer un malaise, mais cela ne m'appartient pas. La souffrance est le résultat d'une histoire personnelle dans laquelle je ne suis pas impliqué. Tant que, bien sûr, je n'ai ni trahi ni trompé.

Que des membres de ma famille aient investi sur moi des idéaux propres à chacun d'eux, et qu'en allant vers moi-même je les fasse voler en éclat, je ne peux qu'en être désolé. Mais je n'ai aucune envie de chercher à correspondre à des idéaux qui ne sont pas les miens. Tant pis s'ils sont déçus.

Et pour Charlotte, je ne peux rien faire d'autre que d'être honnête et lui dire ce que je sais de notre relation. Même si c'est douloureux pour elle. D'ailleurs, elle n'imaginerait pas que je puisse rester avec elle pour lui éviter de souffrir...

Quant à nos enfants... et bien je crois qu'ils apprennent beaucoup en ce moment.




Euh... et moi, le jour où je cesserai de vouloir tout expliquer/justifier, j'aurai fait un grand pas...


* * *




«Chercher est dangereux. Vous vous lancez sur des eaux mystérieuses sans savoir ce qui vous attend. Vous quittez le confort des lieux communs et partez à l'aventure, ignorant à quoi ressemble l'autre rive dont l'existence même est incertaine.
C'est pour cela que la plupart des gens s'accrocheront à leur théisme ou, s'ils sont un peu plus courageux, intellectuellement un peu plus évolués, à leur athéisme. Les uns et les autres se prémunissent contre le doute. Or éluder l'incertitude équivaut à refuser la quête. Qu'est-ce que le doute? Un point d'interrogation, rien de plus. Ce n'est pas un adversaire, rien qu'une remise en question en vous-même, une incitation à explorer.
Le doute est un ami.»

Les mots du silence - Osho Rajneesh





Parenthèses




Dimanche 28 mars


Il y a un mois que je suis rentré du Québec. Un mois que j'ai vu ce dernier regard, cette silhouette devenue brutalement détachée de moi, perdue au loin parmi la foule. Geste de la main, baiser soufflé, et j'ai dû définitivement partir dans la direction opposée. J'ai vite pris le couloir qui me menait vers l'avion et là, un instant, j'ai senti le goût des larmes et une boule dans la gorge... symptômes ausitôt disparus. Il ne fallait pas que ce soit triste, il ne fallait pas penser que cette séparation durerait de longs mois.

Alors j'ai marché rapidement, mécaniquement. Les symptômes sont revenus, cessant aussitôt en voyant le personnel d'équipage qui m'accueillait. Je suis allé m'assoir à la place désignée, puis j'ai attendu. Les yeux fixes, les pensées neutralisées. Ne pas penser. Ne pas craquer devant tout ce monde.
Et puis l'avion s'est dirigé vers la piste de décollage. Dans un sursaut de masochisme j'ai cherché à voir par le lointain hublot sa silhouette derrière des fenêtres. Et puis l'avion géant s'est élancé et j'ai senti l'arrachement de ses roues du sol où elle restait. Loin, toujours plus loin d'elle à chaque seconde, déjà au dessus de la ville, déjà au dessus des nuages. Ne pas penser, seulement garder en tête ces merveilleux moments de douceur.

Je suis resté longtemps comme ça, hagard, les pensées hésitant entre ce passé déjà nostalgique et un sentiment de complétude. J'étais empli de tout ce que j'avais vécu, mais aussi tiraillé par cet aller-retour de la pensée, entre ce qui était et ce qui sera. Entre ce passé encore si proche et ce long futur qui m'attendait, privé de contact direct.
Je devais être au dessus de l'Atlantique lorsque j'ai commencé à ranimer mon cerveau, et à revenir dans la réalité des choses.



Tout à l'heure nous avons eu un échange par webcam interposée. C'est toujours agréable de retrouver son visage, des expressions, un sourire. C'est aussi frustrant parce que l'image n'est pas fidèle [et la mémoire visuelle, hélas, nous a vite trahis...] et surtout parce qu'elle est impalpable. Nos bras se tendraient facilement l'un vers l'autre, dans une illusion vite éteinte par la froideur de l'écran. Se voir si près... et se savoir si loin...

nathalie me manque. Ses bras, sa présence, son regard, son rire, ses mouvements, sa bouche... tout me manque. Pourtant je ne peux pas me laisser aller à ce sentiment d'absence. D'une part parce que ça ne ferait que générer de la mélancolie, et d'autre part parce que ma vie ici m'accapare beaucoup. Ma situation me préoccupe tellement que mes pensées ont rarement le temps de flâner ou de s'attarder dans des directions que je ressens comme... pas encore possibles. Je ne peux vivre ouvertement que des parenthèses avec nathalie, même si sa présence est en moi en continu. Je ne suis vraiment avec elle que lorsque je suis seul [tiens... drôle de phrase!]. Seul physiquement, veux-je dire. Seul dans ma tête, ou seul avec elle quand je lui écris, ou seul avec elle au téléphone ou par chat. Mais il est très rare que je sois avec nathalie et avec quelqu'un d'autre de mon entourage. Ou alors elle n'est là que de façon abstraite, perçue comme étant cette "autre femme" qui est dans ma vie. Je ne peux pas parler de ce que je ressens pour nathalie, je ne peux pas m'exalter de cet amour, en parler avec des étoiles dans les yeux... Non, elle doit rester dans l'ombre, parce que c'est avec elle ["grâce à elle", ou "à cause d'elle", selon les points de vue...] que j'ai osé transgresser l'ordre des choses.

Ça ne pourra pas durer éternellement. Cet amour là ne restera pas caché. Le bonheur ne se cache pas, c'est contre-nature. Les sourires doivent briller, pas rester confidentiels. Et tant pis pour ceux qui ne voudront pas voir ce bonheur là...





«Le renoncement est le plus sûr garant de l'attachement. Les choses auxquelles vous tournez le dos vous attirent bien plus que celles auxquelles vous cédez. Votre esprit ne peut s'empêcher de tourner autour»

Les mots du silence - Osho Rajneesh







Se donner la chance




Lundi 29 mars


En observant les réactions de mon entourage, et en discutant un peu, je crois que je commence à comprendre ce qui inquiète: l'incertitude.
En me lançant à nouveau dans l'aventure amoureuse, je déstabilise ce qui était installé. Je quitte le statut rassurant des rails bien tracés qui permettent une vision lointaine de l'avenir. Ou du moins... qui en donne l'illusion.
A commencer par l'avis caricatural de mon beau-père qui utilise sciemment cette métaphore des rails dans son sens le plus strict. Mais même des gens à l'esprit plus élargi sont dans le même schéma, plus ou moins consciemment. Je constate une volonté de privilégier la sécurité au détriment des hasards de la vie. Très clairement, ma mère, puis ma soeur, m'ont dit qu'un couple nécessitait une adaptation et impliquait des renoncements, parfois importants. Mais le principal était, à leurs yeux, de garantir cette sécurité, cette pérénnité du couple. C'est l'objectif principal, le but même de leur vie: vivre aux coté de quelqu'un qui apporte une assurance affective et matérielle. Qui fait qu'il n'y a plus trop de questions à se poser. D'ailleurs, les deux m'ont avoué s'en être posé parfois... puis ont préféré faire éteindre ces voix qui remettaient trop de choses en cause. «Je préfère ne pas me poser trop de questions» m'ont-elles dit chacune de leur coté, dans un bel unisson. Finalement pas très loin du «il ne faut pas se poser de questions!» de mon obtus beau père.

Manifestement je n'ai pas le même mode de fonctionnement [ah bon? Vous aviez remarqué??]. Les questions s'imposent à moi, et je ne peux pas éviter de leur trouver une réponse. Et lorsque c'est trouvé, je ne peux plus faire semblant de l'ignorer. Alors oui, forcément, à la longue les réponses peuvent amener à évoluer et a devenir assez différent de ce que l'on croyait être en étant dans l'ignorance. C'est comme ça que l'on naît en soi-même.

D'ailleurs c'est comme ça que l'enfant se construit, puis que l'adulte peut continuer à évoluer dans sa vie professionnelle, relationnelle, sentimentale, ou spirituelle. Pourquoi faudrait-il cesser de s'éveiller une fois que l'on a acquis un certain statut, ou un degré de connaissance que l'on estime suffisant?


Il y a un peu plus d'un mois, nathalie et moi avons passé une soirée avec une amie commune. Quelque chose m'a beaucoup marqué dans une des remarques qu'elle nous avait faite. Elle disait à peu près «en France, vous dites "prendre le risque" de faire quelque chose, alors qu'au Québec nous disons "se donner la chance"» [je simplifie peut-être un peu, mais le sens y est]. J'ai beaucoup aimé cette différence de point de vue. Je l'ai trouvée très positive, encourageante, ouverte au hasards. C'est justement contre cet immobilisme, cette peur du changement, cette crainte de perdre, que je me bats contre moi-même. Et en constatant la réaction assez unanime de mon entourage, je commence à comprendre d'où je viens... et face à quel masse immobile je me trouve. J'ai déjà compris qu'il ne me servirait à rien de chercher à lutter contre, c'est peine perdue. J'ai déjà bien du mal à m'en sortir moi-même, empêtré dans ce... cette glu, comme m'a dit nathalie.
A chaque fois que je suis confronté à cet immobilisme craintif qui cherche à discerner un avenir pour le figer, ou un comportement pour l'étiquetter, je me sens ramené en arrière. Et je m'englue à nouveau dans les miasmes putrides des conventionnalités... et de toute la culpabilité qui s'y rattache dès que l'on tente d'en sortir. J'ai l'impression de nager dans la boue épaisse d'un marécage, parmi des algues filamenteuses...

Mais là encore je sais bien que ce n'est qu'avec le temps que je pourrai m'en extraire. Ce n'est pas en me jettant dans les bras de nathalie et en laissant tomber Charlotte comme une vieille chaussette que je changerai instantanément la façon de penser que l'on m'a inculquée. Fausse solution qui créerait un avenir tout autant illusoire que celui du conservatisme. Il me faut d'abord déconstruire ce qui a été construit de travers. Je dis bien "déconstruire", brique par brique, et non pas démolir tout d'un coup pour reconstruire avec la même vision déformée. C'est à un travail d'archéologie intérieure que je dois me livrer, avec un pinceau pour épousseter chaque élément précieux de ce qui me constitue, et le dégager de sa gangue grossière sans l'altérer. On ne fait pas d'archéologie au bulldozer pour voir ce qu'on peut retrouver d'intéressant ensuite...

Bon, assez de métaphores [hé hé, j'aime bien ça]




«En vivant selon une norme, vous vous détruisez, vous vous empoisonnez, parce que les règles ont été établies par quelqu'un d'autre qui n'est pas vous, en un lieu où vous ne serez jamais, en un temps et un espace qui ne sont pas les vôtres. Suivre des voies tracées est très dangereux. Vous détournez votre vie de son centre, de sa base, vous vous mutilez. En essayant de vous conformer, vous ne parvenez qu'à vous amputer, vous défigurer»

L
es mots du silence - Osho Rajneesh






Être




Mardi 30 mars


Un lecteur me disait récemment que je n'avais pas l'air très heureux en ce moment. C'est vrai, et c'est là le paradoxe de la démarche que j'ai entreprise, censée m'amener vers le bonheur du bien-être intérieur. Ce bonheur là se conquiert, et la démarche pour y parvenir est compliquée, longue, souvent douloureuse.

Parfois il me vient en tête l'idée de tout arrêter et retourner dans la tranquillité d'autrefois. Mais c'est trop tard. Maintenant je sais. Et je ne peux pas oublier ce que je sais. Et je ne le veux pas. J'ai l'envie forte de continuer, même si parfois c'est bien difficile. Même si je ne sais pas précisément vers quoi je vais, hormis une connaissance de moi-même qui me permettra de m'ouvrir aux autres avec un plaisir réel, sans attente.

Lorsque je serai moins préoccupé par mon nombril assoiffé d'attention, lorsque je cesserai de me perçevoir comme point focal des relations que j'ai avec autrui. Lorsque j'aurais compris que c'est en moi que je dois trouver un centre d'équilibre, et non en cherchant à construire mon équilibre par le regard que les autres portent sur moi.

Ce n'est pas en me référant à ce regard extérieur, qu'il soit bienveillant ou insécurisant, que je deviendrai autonome. C'est en moi que je dois trouver cette force d'être. Être simplement qui je suis, sans honte ni fierté excessive. Être, mais être bien, en paix avec moi-même, en harmonie intérieure.

Être, sans chercher à plaire, sans avoir peur de déplaire. Être ce que je suis, authentiquement. Avoir confiance en moi et savoir m'entendre, oser me dire, oser être. Avoir aussi confiance en l'autre, en acceptant ses moments de faiblesse ou de distance. Avoir confiance dans sa capacité de discernement. Garder confiance dans ce qui s'est construit, et ne pas baisser les bras lorsque l'autre n'est plus là.

Croire en moi. Comme d'autres croient en moi.





Traître ou honnête?




Mercredi 31 mars


Charlotte a réagi assez durement ces derniers temps. Même en anticipant j'ai pris de plein fouet des réactions auxquelles je ne m'attendais pas. Alors j'ai courbé l'échine, prenant cela comme la contrepartie de ce que j'avais brisé chez elle. J'ai rasé les murs, me suis fait discret jusqu'à m'effacer. Et à chaque fois que j'ai pointé le nez j'ai reçu les coups sans broncher...

Sauf que... au bout d'un moment je me suis rendu compte que cela me blessait, m'attristait profondément et atteignait gravement mon moral. J'ai fini par m'en ouvrir à elle, avec la volonté de ne plus me laisser anéantir de cette façon. Je ne peux pas me laisser maltraiter sans mot dire. Ce n'est pas comme ça que je veux vivre. J'ai envie d'être heureux, de rayonner de ce que je vis.

Charlotte a eu l'air surprise de me savoir atteint. Elle prenait mon silence pour de l'indifférence. Elle me croyait insensible à tout ce qu'elle me disait, ce qui n'a fait qu'accroître sa douleur, donc son ressentiment à mon égard. Plusieurs fois elle a utilisé des phrases fortes, telles que «tu as trahi notre couple», «j'ai perdu confiance en toi», ou carrément accusateurs en mettant en doute mon honnêteté, sans se rendre compte que leur emploi générait chez moi exactement ce qu'elle décrivait.

Je n'ai jamais eu l'impression de trahir notre relation en décrivant ce que je ressentais. Je n'ai fait qu'être honnête, refusant de tricher puisque désormais je savais. Si tromperie il y a eu, elle remontait à très très loin, et je faisais aussi parti des "trompés" puisque je n'avais conscience de rien. Mais de trahison, non, je n'en vois aucune.

Il m'est déjà bien assez pénible de me savoir être celui par qui Charlotte a perdu ses rêves...
De savoir que je la rend malheureuse est quelque chose de terrible. Jamais je n'ai voulu ça.



Ce qu'elle semble ne pas pouvoir me pardonner, c'est de n'avoir pas cherché à réhabiliter notre relation. Pour elle, une fois les constats de nos dysfonctionnements posés, nous aurions pu tenter de repartir sur de nouvelles bases. Certes... mais les conditions étaient changées. Ce qu'elle me demandait m'était inacceptable: ne garder nathalie que comme "amie", au sens strict. Elle semblait aussi occulter le fait qu'elle ne saurait sans doute pas combler beaucoup de mes manques, que je sais désormais essentiels pour mon équilibre.

Dès lors, le choix qui s'est imposé ne peut-être, à mon sens, perçu comme étant une trahison. D'autant moins que j'ai toujours souhaité maintenir au plus proche notre lien, avec la volonté de faire les efforts nécessaires pour cela.

Mais je sais aussi qu'il faudra du temps pour trouver un nouvel équilibre entre elle et moi, et qu'il est sans doute inévitable que cela se passe avec des frictions plus ou moins douloureuses.


Que c'est difficile d'essayer de s'écouter...
Que c'est difficile d'oser exister par soi-même.






Mois d'avril 2004