Décembre 2013

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Compagnon de doute



Dimanche 8 décembre 2013



De la maxime "Vivre le temps présent" j'ai fait une de mes lignes de conduite
[sans grande originalité, j'en conviens]. Je ne vis évidemment pas chaque instant dans un présent absolu mais disons que je me projette peu vers l'avenir. Cette insouciance à l'égard de ce qui peut advenir me procure un détachement certain et m'offre une appréciable sérénité. A tel point qu'on loue parfois ma sagesse ! Elle demeure évidemment très relative, mais il est vrai que la plupart du temps je vis dans un état de paix intérieure. Heureux, pourrais-je dire. Simplement heureux. Je vois là le résultat bénéfique d'années de questionnements approfondis, qui m'ont permis de clarifier mon passé et lui enlever ses aspects pesants. Les longs épisodes de tourments et de doutes, dont certains ont dilaté ce journal jusqu'à la nausée, semblent être derrière moi. Est-ce parce que je vis seul ? C'est fort possible puisque lorsque je me vois préoccupé, [ça m'arrive, quand même], c'est généralement dans mon rapport avec autrui ! Et notamment dans le domaine professionnel, face à des situations où il est question de positionnement, avec à la clé des hypothèses plus ou moins plausibles d'opposition, voire de conflit. Là des névroses anciennes se ravivent et m'indiquent qu'il me reste du travail à faire, même si rien ne presse.

Globalement, donc, tout va bien. Tout... à l'exception notable d'un élément qui, envers et contre tout, garde une place importante, quoique intermittente,
dans mon champ de réflexion. Je pourrais qualifier ce reliquat de problème à résoudre, mais je préfère l'idée d'enquête, voire de quête tout court...

Bien qu'il m'encombre parfois un peu l'esprit l'élément n'est pas vraiment gênant puisqu'il est aussi fortement porteur. L'image qui me vient pour le décrire est celle d'un gros ballon qui serait toujours autour de moi. Comme attaché à moi [à moins que ce ne soit l'inverse...]. Devant, à côté, derrière, en haut, en bas. Jamais loin. Un ballon lesté de questionnements irrésolus qui se réactivent au hasard des situations. Parfois les questions s'accumulent, alourdissent le ballon, et le voilà alors dans mes pattes, m'obligeant à y accorder attention; mais il suffit que j'apporte mes réponses du moment pour qu'il s'élève de nouveau, me portant un peu plus loin. Finalement c'est un allié aussi encombrant que précieux. Un compagnon de doute, qui m'empêche d'aller vers la certitude...

A certaines périodes le travail auquel m'oblige cette quête absorbe une part de mon attention. Lorsqu'un morceau de passé revient inopinément à la surface, il m'indique qu'il ne l'est pas, passé. Ravivé, redevenu actuel, il devient un signal qui n'attend qu'une chose : que je m'occupe de lui. Cette anachronique présence pourrait être contrariante mais l'opportunité qu'elle m'offre m'intéresse grandement : elle m'indique que je dois encore résoudre quelque chose. Un truc vague, indéfini, imprécis, mais bien présent. Ce quelque chose fait partie d'une nébuleuse de questions encore irrésolues. Un truc multidimentionnel que je m'emploie à appréhender sous une forme intelligibles depuis des années. À force d'en observer les contours et en détailler les ramifications, j'y vois plus clair. Le travail opère le plus souvent en mon for intérieur mais parfois, aussi, par élaboration dans différentes formules de "monologue en présence d'autre"... dont ce journal intermittent n'a pas été le moindre des vecteurs autrefois.

Ce journal...

Oh la la, ce journal... Toute une histoire. Un acteur à part entière ! Et pas pour un petit rôle, mazette ! Cet interlocuteur muet me rendait volontiers bavard autrefois. Un peu trop, peut-être. En tout cas il m'a permis de m'adresser à de multiples personnalités imaginaires, travesties selon les représentations de mon esprit. En écrivant à d'autres ce sont mes peurs et mes désirs qui m'apparaissaient. Je me voyais comme dans un miroir déformant, malléable et changeant. J'ai vu en face de moi le reflet vivant de mes névroses. Et c'est ça que j'ai donné je donne encore à lire...

Ce journal me travaille : par l'image que je dessine de moi, à travers lui, je définis mon identité. Depuis que j'en ai conscience soyez sûrs que ce que je livre de moi est aussi travaillé qu'un cliché de mode passé sous Photoshop ! La base est bien réelle mais chaque détail signifiant est scruté à la loupe, retouché autant que nécessaire pour que le résultat d'ensemble corresponde... à l'image que j'ai envie de voir et donner à voir. Il y a bien longtemps que l'image brute n'est plus montrée telle quelle ! Faussaire ? Tricheur ? Pas tant que ça. Parce que dans l'image retravaillée c'est bien moi que je présente. Et si je veux me reconnaître... il me faut correspondre à l'image. Donc changer, éventuellement. C'est en cela que ce travail d'écriture sous le regard d'autrui me fait aller vers ce que j'ai envie d'être.
Tendre vers l'idéal que j'ai de moi. C'est toute la vertu de l'entreprise.


Écrit et retouché entre le 24 novembre et le 8 décembre

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Les limites de la désinvolture



Vendredi 13 décembre 2013


Au sens strict ce journal n'en est plus un : il est devenu récit à publication différée. Avec mes textes longuement élaborés, je suis bien loin de la relative immédiateté qui pourrait être attendue du diariste. Le temps présent y a pourtant toute sa place, mais de façon invisible : il se situe dans le processus d'élaboration du texte. Dans le choix des mots, leur arrangement, dans l'agencement des phrases, leurs ajouts et suppressions, mais surtout par la transformation des idées qui, une fois posées, mutent et évoluent. En cela l'exercice de la publication retenue tiendrait presque de l'autobiographie, hormis le fait que je ne cherche ni à l'inscrire dans un scénario, ni ne prétends à une qualité littéraire. J'essaye tout au plus d'écrire de façon intelligible, en vue d'une lecture relativement agréable.

Il m'apparaît quelque chose, à l'instant 
[chic, du direct !] : et si l'autocensure était devenu le ferment du changement ? Autrefois vue comme une contrainte, je crois que je la perçois aujourd'hui comme une émulation : à chaque fois que je me demande si je peux écrire [publier] tel mot ou telle idée, je dois m'interroger sur le bien-fondé de sa signification. Pourquoi ai-je envie d'utiliser ce mot plutôt qu'un autre ? Lequel correspond le mieux à ce que je veux signifier ? Et qu'est-ce que je veux signifier ? Et à qui veux-je le signifier ? À chaque fois que je butte sur un mot il y a une occasion de réfléchir sur la spontanéité première qui l'a fait apparaître et, éventuellement, d'aller au delà en fonction des objectifs que je poursuis. En l'occurrence : être bien. Non seulement me sentir "bien" en moi-même, mais aussi "quelqu'un de bien", tant au présent qu'en me projetant dans le futur. En revenant sur le passé j'agis donc sur l'avenir que je me choisis. C'est ainsi que le temps présent, celui qui habituellement caractérise le journal, n'est absent qu'en apparence.
 
Si j'ai clairement conscience, maintenant, que le journal en ligne me permet de me définir
[en partie], je n'en mesurais pas les potentialités lorsque j'ai commencé à publier. Ce n'est qu'à partir du moment où "l'autre" [que chacun de vous représente, dans une diversité de singularités] s'est incarné, que le réel est entré en concurrence avec l'imaginaire, créant une forme de dissonnance au coeur de ma conscience. Sans conséquence notable tant que ce n'est pas allé au-delà d'échanges épistolaires [avec quelques un(e)s d'entre vous] ou de la rencontre réelle dans un registre amical, il en a été tout autrement quand une des relations a vraiment influé sur le cours de ma vie... Là le système de la narration intime sous le regard d'autrui est entré dans une zone de haut risque : celui de l'extimation de la dissonance. En mettant à jour le lieu de confrontation entre émotions et conscience, entre spontanéité et réflexion, j'exposais devant une personne directement concernée ce qui s'élaborait en moi, y compris sous les aspects difficiles. Je n'ai pas senti suffisamment tôt qu'entre continuer à évoquer publiquement une évolution relationnelle ou basculer dans la discrétion de la sphère privée je devais choisir. Du moins... si je voulais privilégier la relation. Mais comment aurais-je pu, avec ma candeur de l'époque, imaginer qu'elle n'avait pas l'insubmersible solidité que je lui attribuais ? Comment aurais-je pu sentir qu'en devenant à mon tour « effrontément désinvolte avec les confidences » j'allais atteindre les limites du principe qui m'avait tant séduit ? Celui-là même qui m'avait encouragé à m'engager dans la voie de la transparence...

Je ne saurai jamais ce que la relation de confiance serait devenue si je m'étais progressivement abstenu d'évoquer publiquement ce qu'elle mettait en mouvement en moi. Mon manque de discrétion a pu être un facteur aggravant, surtout après l'éloignement, mais il est certain qu'il n'a pas été le déclencheur. Mon déficit d'assurance, par contre, a joué un rôle prépondérant. C'était ma faiblesse. En continuant tant bien que mal mon introspection sous divers regards, tout au long de cette traversée d'épreuves, j'ai permis à cette conscience d'émerger. Un socle à partir duquel j'ai pu entreprendre le travail nécessaire.

Je crois que c'était ça le plus important. Ainsi, en persistant dans une relative "transparence", je suis resté fidèle à mon objectif sans même que j'en aie vraiment conscience. Comme si ma quête existentielle était plus impérieuse que le maintien de la relation qui l'avait accompagnée, soutenue, encouragée, dynamisée, stimulée...



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Sous le regard



Samedi 21 décembre 2013



En fin d'année il est dans mes attributions d'évaluer mes collaborateurs. Je les reçois individuellement en entretien et nous examinons ensemble comment s'est déroulée l'année écoulée. Je me base sur du factuel, laissant de côté autant qu'il m'est possible les appréciations subjectives. C'est un temps de dialogue qui m'importe et j'essaie de le rendre fécond pour tous. Dans un souci d'équité, et peut-être pour montrer que je me sais faillible, j'ai aussi demandé cette année à mes collaborateurs de me faire part de leur appréciation sur ma façon d'assurer la charge qui m'incombe. J'occupe un poste où il est attendu de moi des compétences organisationnelles et managériales, mais aussi d'être celui qui pose des limites autant qu'il désigne des objectifs... Il est donc important pour moi de percevoir si je réponds aux attentes ou si je dois m'améliorer sur tel ou tel point.

Professionnellement je suis "le chef", l'homme perçu comme solide, attendu comme repère. J'apprends peu à peu à bien assumer ce rôle... dont je suis probablement le seul à douter encore de le remplir efficacement. Il suffirait que j'aie davantage confiance en mes capacités pour prendre toute la place que je mérite [oui, j'ose ce mot...] et apporter plus entièrement ce qu'on apprécie chez moi. Sauf que, par je ne sais quels schémas de conditionnement, ce que j'imagine de critique dans le regard des autres m'empêche de m'affirmer vraiment. Surtout si je sens que cela pourrait conduire à des tensions...

Dès qu'apparaît un désaccord, ou que seulement je le suppose, c'est comme si j'avais peur d'être invalidé pour incompétence ! Comme si je n'étais jamais vraiment sûr d'être légitime à la place que j'occupe, alors qu'elle m'est pourtant largement reconnue. J'ai besoin de sentir que mes idées remportent l'adhésion, ou du moins permettent de faire avancer les choses ensemble vers une amélioration au bénéfice de tous. Sans cela le système me paraît bancal, donc inconfortable.

Si j'évoque cet aspect de mon métier ici c'est que je perçois un lien avec ce journal : ici on n'attend rien de moi et je n'ai d'autres missions que celles que je me choisis. Ici je n'ai pas besoin de remporter l'adhésion puisqu'il n'y a aucun projet commun. Je suis donc totalement libre d'écrire ce qui me plaît, sans avoir de comptes à rendre à quiconque, sans devoir me conformer à une posture particulière. Ici je pourrais être entièrement "moi". Pourtant... c'est parce que je ne me sentais pas libre que j'ai cessé d'écrire en janvier 2012. Alors, d'où me venait cette sensation ? [j'en ai évidemment une petite idée...]

Ce qui m'a poussé à revenir me donne un élément de réponse : j'ai envie de restaurer mon auto-estime, au plus près du lieu/contexte où elle s'est dégradée et sous le regard du lectorat qui a été témoin de mes errements. Il me semble que c'est un passage obligé. Salvateur. Ni simple ni évident, d'ailleurs, puisque je constate que mon "retour à l'écriture" se fait sur le mode de la lenteur. J'avance précautionneusement. Sans contrainte de temps, je ne me fixe aucune échéance pour cette démarche qui ne consiste pas à libérer bêtement ce que je ne parvenais plus à exprimer de façon satisfaisante, mais à restituer ce qui s'est travaillé en moi durant le temps de latence à l'abri des regards.

Des regards ? Soyons clair : principalement d'un regard. D'un seul regard...
Un regard que j'ai chargé d'attentes et de représentations les plus contradictoires, un regard-miroir. Dans ce que j'ai imaginé de ce regard c'est, au fil des ans, la large palette de mes peurs et désirs que j'ai pu découvrir, observer, analyser...

Parce que c'est curieux, quand même, d'en être arrivé à accorder autant d'importance à ce seul regard alors que sa réalité s'estompait toujours plus !
Des années plus tard, j'en reste étonné. Qu'est-ce qui a pu faire autant durer cette accroche ? Qu'est-ce qui s'est joué en moi dans une situation aussi particulière ? Finalement, ce que je prenais pour une sorte de foi insubmersible en *nous* n'était peut-être qu'une faille dans ma construction psychique ? Et là je doute : s'il ne s'agissait bien que d'une faille, l'ai-je suffisamment consolidée aujourd'hui, ou reste t-elle une fragilité que le fait d'être conforté dans une position de "repère", tant dans mes fonctions professionnelles que parentales, ne protègerait pas ?

Autrement dit : quelle est ma capacité actuelle à garder consistance face au regard désapprobateur, réel ou supposé, de l'autre ? Où en suis-je de mes représentations, tant relationnelles qu'envers moi-même ? À quelles situations mes peurs et mes désirs sont-ils un peu trop sensibles ?

C'est ce que j'ai envie de continuer à explorer, dans le contexte historique de ce journal ouvert...


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Avec précautions



Samedi 28 décembre 2013


J'ai terminé mon billet précédent en parlant de mon « envie de continuer à explorer [ma conscience], dans le contexte historique de ce journal ouvert ». Avec un objectif clair : parvenir,
en ce qui concerne un certain passé, à la plus entière paix de mon esprit [non qu'il ne la connaisse jamais, mais en vivre davantage ne peut qu'être attirant]. J'ai précisé aussi que je m'accordais tout le temps nécessaire. Ce qui, au vu de mes antécédents et au rythme actuel, pourrait encore se chiffrer en années. Je vais néanmoins essayer de faire au plus vite, d'accord ? Plus tôt mon esprit sera débarrassé de ce qui l'encombre encore, mieux je vivrai le présent et plus j'irai loin dans ma compréhension du relationnel humain.

De même j'ai parlé d'un regard auquel j'accordais une importance non négligeable. Voilà qui me conduit à aborder dès à présent la question que, perspicaces, vous n'avez pas manqué de vous poser : l'inspiratrice originelle
[et perpétuelle ?] de ce journal le lit-elle encore ? Question cruciale, j'en conviens, puisque de la réponse dépend, vous l'aurez compris, la tournure de mes écrits. Et bien voici ce que je peux en dire : je n'en sais absolument rien ! [et ça me va bien comme ça...] Ce regard n'est donc qu'une *éventualité*. Une possibilité. L'incertitude qui demeure sur ce point implique qu'à chaque fois que j'écris et écrirai ici c'est et ce sera, comme auparavant, dans le contexte de ce qui ne peut plus être qu'une hypothèse. Il faut en tenir compte à la lecture puisque cela conditionne mon écriture. En effet, je ne me sens pas le droit d'exprimer sans précautions [c'est cette partie de la phrase qui est importante] mes pensées, émotions et réflexions concernant notre histoire commune. Je ne m'en plains pas puisque c'est là, dans l'attention que j'accorde à la portée de mes mots, que réside tout l'intérêt de la situation : je me dois d'évaluer l'impact potentiel de ce que je libère.

Même des années après ?
Absolument !

J'imagine que plusieurs d'entre vous se demandent à quoi ça peut servir de revenir encore sur ce passé, maintenant qu'il est loin derrière. Il faut garder à l'esprit que, comme chacun de nous, le passé a tous les âges. Il est sans cesse "actualisé" en fonction de l'évolution de la pensée et de l'écoulement du temps. Coexistent donc les faits du passé, et toutes les actualisations qui en ont été faites au fil des ans. Le travail que je fais actuellement sur les différentes strates de passé participe lui même de cette actualisation. Et puis, je l'ai souvent écrit : ce socle d'expériences passées, après analyse, me permet d'agir sur le présent avec conscience et d'orienter mes objectifs futurs.

Revenons donc vers ce passé qui réclame mon attention pour me laisser avancer...

Pour ceux qui n'auraient pas suivi la saga depuis le début je rappelle qu'autrefois elle et moi étions confidents, avec une qualité d'échange que je qualifie d'exceptionnelle
[j'ai rencontré suffisamment de personnes dans ma vie pour continuer à affirmer cette valeur sans hésitation]. Nous étions curieux l'un de l'autre, attentifs, respectueux, et initialement sans aucun jugement. Il y avait une joie réciproque dans la découverte, le plaisir du partage approfondi, une connivence dans le rire et l'affection. C'était vraiment bon ! L'attirance réciproque se transforma en un amour assez particulier, qui s'inventait jour après jour. À cette époque son regard complice, encourageant et bienveillant, me stimulait fortement et, libérant mon écriture, m'ouvrait de nouveaux horizons. Tout me semblait possible. Il y avait donc entre nous, malgré la situation un peu folle d'une grande distance géographique, une dynamique tout à fait prometteuse.

Sauf que, dans ces temps reculés... je doutais beaucoup trop de moi. Et donc de ce que je représentais pour elle. C'est terrible les doutes. Ça vous sape une relation tant que ça existe. Simultanément je découvrais en hésitant les contours de l'amitié amoureuse et, comme tout néophyte, avais quelques difficultés à faire la part des choses. Avec candeur je lui exprimais parfois
[trop souvent ?] mes inquiétudes, mes manques, mon besoin de réassurance. Elle n'aimait pas ça. Mais alors pas du tout ! Après qu'elle me l'eut plusieurs fois signifié rudement [la distance ne simplifiait pas la communication...] apparurent les premiers blocages dans nos échanges privés qui, par porosité, commencèrent à diffuser dans mon journal. Au début rien de bien compromettant, ni de quoi altérer notre belle relation, qui restait solide et, hors ces moments de doute, enthousiasmante. Toutefois, l'implication de l'observatrice-actrice dans le récit allait progressivement complexifier ma démarche de conscientisation à livre ouvert... tout en m'obligeant à faire preuve de rigueur dans mon raisonnement, donc à le clarifier. La difficulté ne m'a pas rebuté mais je dois bien reconnaître qu'en livrant publiquement mes états d'âme sous ce regard concerné je marchais sur des oeufs, eux-même posés sur la ligne de crête déjà étroite qui sépare le privé du public. L'exercice était assez casse-gueule pour un débutant [pour ne pas dire voué à mal finir...]. Aujourd'hui je suis plus aguerri et c'est pourquoi je m'y hasarde de nouveau. Prudemment.

Si je reviens maintenant sur des éléments de détail, alors que j'ai déjà très largement exploré les arcanes et méandres de cette histoire rocambolesque,
ce n'est évidemment pas pour le plaisir d'un ressassement stérile. C'est parce qu'un point de fragilité dont j'avais mal pris la mesure auparavant me semble avoir été déterminant dans l'effondrement de notre confiance. Je l'ai relativement peu abordé pendant les années de crise, bien qu'il me contrariât fortement, car je le cernais mal. Ou bien n'osais-je pas pointer trop sévèrement dessus ? Car je l'avoue : je modérais mes propos dès que je sentais que les sensibilités de ma singulière lectrice pouvaient être froissées. J'ai procédé ainsi aussi longtemps que j'ai cru au retour possible d'un dialogue véritablement libre. J'espérais que mes tentatives de clarification puissent avoir un effet favorable sur la reprise du dialogue. Raté ! Aujourd'hui je n'ai plus cet objectif [vous apprendrez pourquoi...] et la perspective finale en est modifiée. Reste le besoin de revisiter les derniers points non élucidés. Je crois que pour accroître la paix de mon esprit il est important que je retrouve la part qui incombe à chacun dans ce qui est advenu, et ce pour chaque élément de l'histoire resté encore dans l'ombre. C'est le cas pour le point que je vais aborder maintenant, littéralement fondamental.

Un malentendu originel marque en effet l'amorce de notre divergence. Souvenez-vous : c'est parce que j'avais été séduit par la perspective de la "libération par les confidences", pronée dans un fameux texte de référence écrit par... mon inspiratrice, que je suis entré dans l'écriture intime sur internet ! À partir de cette lecture révélatrice tout s'est enclenché : l'écriture, la rencontre, la relation d'intimité et, par la suite, la rupture et ses multiples conséquences [à long terme, comme nous pouvons le constater...].

Alors voilà : moi je croyais qu'en me disant "en vérité" j'allais me libérer. Je croyais que j'allais en acquérir une sorte de force, comme elle l'avait écrit. C'était vrai... a ceci près que la démarche n'était pas sans risques : celui de blesser, de déranger, d'irriter, et donc d'éloigner.
Voire de perdre. Or c'est ce qu'à l'époque je redoutais le plus... Les complications sont apparues lorsque j'ai commencé à faire part de certaines de mes faiblesses : des attentes un peu idiotes, issues de doutes sur ma valeur. Rapidement j'ai senti que je devais éviter de me laisser aller à leur délivrance si je voulais maintenir l'harmonie entre nous. Bref : je devais les taire ! Je découvrais, médusé, que ce qui, par la théorie, m'avait séduit ne passait pas le cap du réel en toutes circonstances ! Notamment à grande distance... Perplexe, je n'ai bien sûr pas compris tout de suite ce qui se jouait. Je me suis plutôt senti le "mauvais élève", pas à la hauteur du défi à relever. J'endossais la responsabilité de nos dissensions. C'était moi le fautif si ça ne marchait pas...

Dans le même temps, puisque j'étais dans une logique de "transparence", je persévérais dans l'écriture sous son regard. Une démarche qui, quoique éclairante par sa spontanéité, me conduisait souvent à déballer sans suffisamment de recul ce que j'avais sur le coeur
[sentiment de colère devant une situation injuste]. En agissant ainsi je faisais le pari, fort risqué, de convaincre par ma bonne foi, mon honnêteté, voire mon courage (?). Autrement dit : d'être appprécié pour ce que j'étais vraiment ! Tiraillé entre le "tout dire", qui suscitait des tensions dans la relation, et la dissimulation, qui me mettait en déséquilibre interne... j'ai eu bien des difficultés à trouver LA bonne piste. Et pour cause : il n'y en avait pas !

Il y a maintenant longtemps que je suis certain que chacun a fait au mieux de ses possibilités du moment et que ni elle, ni moi, n'étions prêts à vivre une relation de cette envergure, du moins dans le contexte ardu de l'éloignement géographique
[mais combien en sont capables ?]. Cela posé, l'avoir accepté ne m'empêche pas de continuer à analyser, pour ma gouverne, les raisons de cette fin assez désolante. Qu'au moins pareil échec ait son utilité...
 
S'il m'a fallu du temps pour saisir le hiatus entre discours théorique et actes, il m'en a fallu bien davantage pour admettre que non, même avec elle, qui prônait la franchise et m'avait séduit par cela, je ne pouvais pas m'exprimer librement. Ni en privé, donc, ni a fortiori sur mon espace intime public. Ou, pour être exact, si je faisais part de mes attentes cela pouvait avoir des conséquences redoutables... que je n'étais pas prêt à endurer
[notamment la fin de cette relation hors du commun, à laquelle je tenais éperdument]. N'ayant pas envisagé la libre expression sous de telles contraintes, je me suis senti dupé. Encore aujourd'hui, dix ans plus tard, rien qu'en l'évoquant je sens que ce point reste sensible [et j'y reviendrai certainement]. Je crois fermement que de ce malentendu initial découle l'effondrement de la confiance réciproque qui nous avait liés. En fait je n'avais même pas imaginé qu'avec elle, vu la qualité de nos échanges, la liberté de dire pouvait s'accompagner du risque de déplaire au point de se fâcher et de voir le silence s'imposer. Un comble, quand on sait que l'objectif de ma démarche était de me dire en vérité !

Aujourd'hui je sais, pour y avoir été confronté en d'autres circonstances, à quel point les attentes inquiètes de l'autre peuvent exercer une pression insidieuse. Les miennes étaient pesantes, forcément. Je sais aussi qu'on peut y résister sans en empêcher l'expression, mais cela demande sans doute des assises internes suffisamment fortes...

Découvrir que, contrairement à ce que j'avais cru, je ne pouvais pas dire librement mes difficultés m'a plongé dans une grande confusion. Je me trouvais au coeur d'une injonction paradoxale dont seule la première partie était formulée : « tu dois être vrai avec moi... mais ne me dis pas ce que je n'ai pas envie d'entendre ». Il faut être déjà bien aguerri pour détecter le piège que représente ce genre d'exigences. Je ne l'étais pas. De rarissimes, les moments de crise sont devenus plus fréquents. A chaque fois qu'ils survenaient j'en portais abusivement la responsabilité, ce qui n'était pas juste. En parallèle naissait donc la révolte de l'incompréhension, voire la colère de ne pas pouvoir aborder le coeur du problème. Ne me sentant pas entendu je m'en suis ouvert publiquement, assez maladroitement, brisant ainsi le sceau de la confidentialité. Ce faisant, en voulant sortir d'une impasse je m'y suis embourbé (2004, année de la rupture). Une erreur magistrale... mais dont je ne vois toujours pas comment j'aurais pu l'éviter avec ma conscience de l'époque, dans un contexte de méfiance croissante. Le dialogue entre nous avait atteint des limites et chaque échec ultérieur a blessé la confiance, suscité le repli, provoqué le silence. Nous avons dévasté tout ce que nous avions construit ensemble !

Aujourd'hui, fort de cette expérience désastreuse, j'agis différemment : en affirmant mes besoins en termes de communication non-violente, en ajustant constamment ma proximité-distance, en ne cherchant plus à sauver l'autre au delà de mes capacités, en mesurant mes dires. Rester vrai, certes, mais avec précautions. Sans exigence de transparence. Je fais aussi davantage confiance à mes ressentis qu'aux affirmations péremptoires de l'autre. Et surtout... il ne me viendrait plus à l'idée de m'accrocher à ce qui se délite. Si l'autre s'éloigne, je laisse opérer le mouvement sans résister. Ne craignant plus la fin des choses, je ne suis plus dans des attentes de réassurance. Ce que j'attends (mon bien-être) ne dépend plus d'autrui mais de mes actions. C'est certainement un des plus précieux enseignements que j'aurais tiré de ce majestueux naufrage.



Rédigé, amendé, modifié du 24 novembre au 28 décembre


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Mois de Janvier 2014