Mardi 14 décembre
Souvent j'ai décrit mon imaginaire amoureux en berne. C'est
comme si j'étais resté assommé après un choc un peu trop
violent pour moi. Sidéré. Insensibilisé. Neutralisé.
Depuis je n'ai plus ressenti de papillonnement émotionnel,
sensation de vibration fébrile en présence d'une personne
qui, pour de mystérieuses raisons, devient irrésistiblement
attirante.
Enfin si, c'est arrivé dans l'après, il y a quatre ans, lors
d'une rencontre d'âme
à âme... mais depuis, plus rien. J'ai bien sûr
ressenti diverses formes d'attraction envers les femmes avec
qui j'ai eu la chance de vivre des moments de partage :
désir, amitié, affection. Il y a aussi eu le plaisir à
partager de bons moments de discussion, d'intimité, de
tendresse, de sensualité plus ou moins sexualisée. Mais
d'attirance véritablement amoureuse point. Quant à
l'amour... n'en parlons pas ! Peut-être aurait-il pu se
développer quelque chose de cet ordre avec une impatiente
aguicheuse, mais nos différence ne l'ont pas permis. Bref :
calme plat depuis plusieurs années. Je sens pourtant que le
mécanisme sentimental est toujours en ordre de marche et
que, tôt ou tard, il pourra de nouveau s'activer. Il
suffirait que se présentent des conditions favorables.
J'ai eu cette semaine la confirmation que c'était
atteignable : une des vingt-trois femmes avec qui j'étais en
stage m'a fait de l'effet ! Bon... c'est suffisamment rare
pour que je m'y attarde un peu.
Vingt-trois femmes. Forcément je les ai regardées de ma
place d'homme. De mon oeil de mâle. Mais aussi avec mon
coeur d'enfant. Je vivais avec elles quelque chose du
registre de la fraternité, si ce n'est de l'amitié, mais une
alternance de différents types de regards n'est pas
interdite... Ils se sont juxtaposés selon les situations,
les émotions, les mouvements du corps, la proximité
physique.
La plupart du temps nous étions assis en cercle, en face à
face commun propice aux échanges et à l'observation. De
temps en temps je zyeutais. Et lorsque ma pensée disposait
de suffisamment d'espace pour s'échapper, il m'arrivait de
me demander ce qui faisait que certaines de ces femmes
m'étaient attirantes ou non, me paraissaient "contactables"
ou pas. Simples pensées passagères, regards furtifs
agrémentant des épisodes denses de réflexion et échanges
soutenus au sein du groupe.
Centré sur mes ressentis, parce que c'était l'objectif de ce
stage, j'ai bien perçu comment j'étais touché par ce qui
émanait de certaines de mes collègues : allure générale,
fluidité des mouvements, aisance, voix, élocution, regard,
douceur, personnalité, silhouette, façon de parler ou de
rire, de pleurer, de se livrer en confidences... D'autres
m'ont laissé plutôt indifférent. Peut-être celles qui ne
mettaient en évidence aucun de mes critères de féminité ?
Je dois bien admettre que ce sont des critères physiques qui
orientent d'abord mes préférences et attisent mon intérêt,
depuis toujours. L'intériorité et la profondeur, aussi
riches soient elles, n'ont, jusque-là, jamais été
suffisantes pour déclencher en moi un engouement amoureux
qui s'émanciperait des sens. Comme si l'attirance physique [donc
a finalité sexuelle ?] était prévalente dans mes
entichements, première étape du frémissement amoureux. Cet
attrait n'est cependant pas suffisant...
Mes préférences sont multiples et combinables. Ce sont les
convergences, à la fois physiques et intérieures, qui feront
que le charme opère plus ou moins intensément. Par exemple
j'ai repéré que j'étais attiré par les (jolies) femmes
déterminées. Elles me fascinent [rechercherais-je
ce que je ne suis pas ?]. Mais face à elles je
ne m'aventure pas ! Je ne me sentirais pas faire le
poids, avec mes hésitations et doutes perpétuels, mon besoin
de temps... Comme si je pressentais ne pas avoir ma place
sans devoir m'affirmer... ce qui ne correspond guère à mon
désir relationnel. Ce type de femme me met donc face à un
trouble intérieur : tiraillé entre attirance et crainte.
C'est tout l'intérêt de la situation, me direz-vous...
Me séduisent aussi les (jolies) femmes qui pratiquent un
certain humour, surtout si c'est avec audace, dérision ou
provocation. Cette image de la femme délurée qui rit et fait
rire est en décalage avec mes représentations du féminin,
mais me plaît beaucoup. Sauf que, là encore... je pourrais
vite être impressionné pour une question d'assurance
apparente...
Il y a aussi l'image de la femme aux tenues
vestimentaires... comment dire...
avantageusement séduisantes. Très impressionnant pour
moi, parce qu'éveillant d'abord la part masculine que j'ai
tendance à refouler. C'est clairement le désir sexuel
qui s'éveille et me trouble, en même temps qu'une curieuse
impression de « ne pas être à la hauteur » de telles femmes.
L'une des vingt-trois était de ce genre, look et
mensurations de top-model, avec bottes de cuir et maquillage
adaptés. Pas mon genre, mais quand même pas sans
effet. Pendant plusieurs jours je n'ai pas osé
l'approcher. Trop belle pour moi, trop classe, trop
impressionnante... Ce n'est que vers la fin du séjour que
nous avons pu échanger un peu. Peut-être parce qu'elle
était aussi du genre délurée, ce qui atténuait son allure de
femme inaccessible. J'ai été assez satisfait d'avoir pu
dépasser avec elle la barrière de l'apparence. Nous avons pu
parler sur un tout autre mode que ce que mon regard
percevait. Simplement d'être à être. Si j'en avais eu
le temps j'aurais bien poussé la conversation vers l'image
de soi dans le regard des autres. Je lui aurais demandé
comment elle vivait cette stature qui, assurément, pouvait
induire un certain regard de la part des hommes. Bon,
c'était quand même un peu trop personnel pour que je m'y
aventure. Je me suis contenté de son appréciation sur ma
voix [ce qui me fut fort
agréable...].
Dans un autre registre j'ai été attiré par deux
femmes. De l'une émanait une fluide féminité dans la
gestuelle, ainsi qu'une bienfaisante impression
d'insouciance. Une grande rieuse, elle aussi. Pour
l'autre j'ai perçu quelque chose de très touchant dans
l'intériorité. « Je me suis souvent demandé si l'amitié
entre homme et femmes était possible et avec toi j'ai eu la
réponse », m'a t-elle dit [pfiouuu,
j'ai été gâté là-bas !]. Je ne peux pas dire
qu'elle était jolie, mais son regard laissait passer quelque
chose de profondément sensible, qui m'a ému. Le regard
demeure pour moi un des éléments les plus déterminants de la
séduction, avec le sourire.
Et celle qui m'a fait de l'effet, alors ? vous impatientez
vous. J'y arrive ! Entrée en scène de celle qui aurait pu,
si la durée l'avait permis, mettre quelque émoi dans mon
coeur. D'abord un sourire radieux [classique,
le coup du sourire...]. Une présence incarnée
par un visage illuminé [y'a
pas mieux, comme cliché]. Un regard franc et sans
détours [t'idéaliserais pas
un peu ?]. Une bouche particulièrement expressive [pulpeuse
?], une voix chaleureuse et claire [un
rossignol ?], assurée, avec une élocution
parfaitement modulée [rien
que ça...]. Si si, je vous assure ! D'elle
émanait une belle confiance en la vie, de même qu'une grande
attention portée aux autres. Je l'ai trouvée rayonnante
[sans blague ?]. «
Solaire » ai-je entendu dire d'elle. Honnêtement, elle était
une des personnalités marquantes du groupe, apportant rire
et présence, chantant avec une étonnante clarté dès qu'elle
pouvait entraîner dans son sillage le moindre groupe vocal
improvisé. Ses tenues étaient incontestablement féminines,
mettant en valeur son corps sans ostentation. Bref, j'étais
séduit avant même de m'en rendre compte ! [on
l'aura compris...]
J'observais souvent cette femme qui me paraissait totalement
inaccessible du seul fait de son aisance, de son charisme,
de son rôle fort dans le groupe. Clairement elle m'a fasciné
[ah ouais ?]. J'ai eu
envie de lui en faire part, sans trop savoir comment. Quand
c'est elle qui est venue vers moi, le dernier soir, pour me
dire qu'elle appréciait ce qui émanait de moi, j'en ai été
étonné et ravi. Je me croyais presque insignifiant aux
yeux d'une femme aussi expressive [et
si t'arrêtais de douter de toi ?]. Alors j'en ai
profité pour lui lâcher ce que je percevais d'elle... et une
longue conversation a démarré [ben
tu vois !]. En fait, c'est surtout elle qui
m'a fait parler ! Je lui ai dévoilé une part de mon parcours
affectif, remontant loin vers les origines. Accompagné
par son écoute j'ai évoqué mon couple et son achèvement, le
sens que cela pouvait avoir dans ma vie et ma réorientation
professionnelle. J'ai parlé du regard que je porte
aujourd'hui sur les relations affectives. Elle s'est montrée
très intéressée, relançant continuellement vers un
approfondissement. Au final je me suis beaucoup confié.
Après une bonne heure passée debout en tête à tête dans la
nuit glaciale, à l'écart du groupe qui s'animait au chaud,
elle m'a glissé quelques mots de sa vie de couple, pas aussi
satisfaisante qu'elle l'aimerait. Il lui manquait des
échanges approfondis avec son mari...
Tiens, encore une qui me dit ça !
Je n'ai pas immédiatement perçu que quelque chose en moi
s'était mis en mouvement. Une sorte de pétillement. Une
infime effervescence. Ce n'est que le lendemain que je me
suis surpris à chercher son regard. Dernière journée du
stage, elle allait être courte. Les adieux étraient proches.
Au moment des premiers au-revoir nous nous sommes longuement
pris dans les bras, comme avec la plupart des autres membres
du groupe. Sauf qu'il y a eu plusieurs épisodes, entre
fin de la vie de groupe, temps de préparation des bagages et
séparation définitive. Nous nous sommes retrouvés à
trois reprises en pensant que c'était l'ultime. À chaque
fois une nouvelle étreinte nous menait un peu plus loin dans
les chuchotis pour nous dire combien nous avions apprécié ce
qui émanait de l'autre. Visiblement nous avions quelque
chose à partager. Je dois avouer que, à la différence des
autres femmes, ces accolades corps à corps ont eu quelque
effet sur mon anatomie. Les sens expriment parfois autre
chose que les mots...
C'était un peu troublant, parce qu'il n'y avait en fait dans
ces gestes de tendresse que l'expression d'une sympathie
parmi d'autres. Un plaisir à s'être rencontrés,
peut-être simplement un peu plus marqué. Un peu plus
signifiant. Il n'y a rien eu de plus. Quant à son ultime
regard et son grand sourire, ils pouvaient aussi bien
s'adresser aux personnes qui étaient à côté de moi quand
nous sommes partis.
De ce presque rien je garde la sensation d'une attirance
particulière entre nos personnalités, étonné qu'une femme
comme elle ait pu trouver quelque chose d'intéressant dans
l'homme effacé que je me sens être. C'est pour moi très
réconfortant, rassurant et réparateur [en
aurais-je besoin ?]. Par ailleurs il m'est apparu
que, globalement, ma présence avait fait impression dans le
groupe : chacune de ces femmes m'a décrit comme solidement
là, malgré ma discrétion, attentif et chaleureux [ouaaaah
!]. Mon charisme a été évoqué, à mon grand
étonnement : je n'aurais jamais pensé que ce terme puisse
être utilisé à mon égard. Ma voix posée et calme semble
avoir plu, de même que mon regard, ou la pertinence de mes
interventions [gloups !].
Tout ça pour moi ? J'ai été surpris de ce qui était perçu à
mon égard mais j'ai tout accepté, avec un grand plaisir, en
serrant ces impressions positives bien fort contre moi.
C'était bon...
En racontant ça je me sens un peu ado émerveillé par ses
premiers émois amoureux. Il y a un peu de ça...
Mais je ne voudrais pas passer sous silence le regard d'une
autre à qui j'ai ouvert les bras en voyant son visage éperdu
d'émotion au moment des adieux. Physiquement aux
antipodes de mon archétype féminin, son coeur était énorme
et c'est une montagne de bonne humeur qu'elle a offert à
tous. Ça aussi c'était bon, et même très bon. Étonnamment
notre confiance réciproque s'est installée très vite et
avait institué une aimable complicité. Quelque chose de très
proche de ce que je viens de décrire, donc, la brise
amoureuse en moins...
Quant à l'autre homme du groupe, j'ai peu été avec lui (le
grand groupe de vingt-cinq était presque toujours scindé en
deux). Il m'impressionnait par son aisance apparente
parmi les femmes. À la fin du stage il est venu vers
moi pour me dire qu'on avait certainement beaucoup de choses
en commun, que nous n'avons pas su partager. Nous avons
alors convenu qu'entre hommes... ce n'était pas facile de se
rencontrer dans un registre d'expression émotionnelle. Et
peut-être davantage encore au milieu de vingt-trois femmes.
Dimanche 19 décembre
[publié le 31 décembre]
Ce que je choisis d'exposer de moi ne doit jamais rien au
hasard. Même si je laisse plus ou moins "spontanément"
couler ce qui vient, il y a toujours un choix dans les mots,
les idées, les thèmes retenus. Il y a un objectif même si,
la plupart du temps, je n'en ai pas directement conscience.
Et finalement c'est là que réside tout l'intérêt de la
démarche : tenter de comprendre ce qui motive mes choix
expressifs. En l'occurence, qu'est-ce qui fait que j'en sois
venu à évoquer, dans le texte précédent, mon rapport aux
femmes que je côtoie ? Qu'est-ce que je voulais montrer
? Et à qui ? À moi de trouver des éléments de
réponse...
Je crois qu'il y a une part d'autopersuasion : j'écris ce
que je pense pour le saisir avec davantage de conviction.
Comme si je dessinais ma personnalité en appuyant sur les
traits d'esquisse qui me paraissent signifiants. Mais il y a
aussi une volonté d'afficher publiquement - même si c'est
sur un espace plutôt confidentiel - des idées, pensées,
ressentis, avec lesquels je ne suis pas encore vraiment
familiarisé. Une façon de m'affirmer... et peut-être de voir
si ça déclenche des réactions.
En quelque sorte je serais en attente de validation !
Hum... c'est prendre un risque : mes pensées pourraient être
rejetées, mes mots critiqué. Il est cependant rare qu'ils le
soient en apparté. C'est la grande différence avec la
visibilité des commentaires d'un blog. Je redoute
l'effet amplificateur de la mise en scène de soi, qu'elle
soit centrée sur l'écrivant ou ses commentateurs.
C'est pour cette raison que j'en suis venu à éviter
d'évoquer certains sujets sur mon blog. Mon rapport actuel
aux femmes en fait partie. Au vu de quelques réactions j'ai
compris que je touchais là un domaine un peu sensible. Me
sentant jugé en fonction de je ne sais quels critères de
morale personnelle, je me suis tu.
Pour autant je n'ai pas envie de passer sous silence ce que
je vis et ressens en diverses situations relationnelles plus
ou moins inédites. Persuadé que ça peut être enrichissant
pour moi et une part des personnes qui me lisent, je
continue de relater mes expériences. J'essaie d'aller vers
ce qui me semble bon pour moi, tout en restant attentif à ce
que vivent les personnes avec qui j'interagis. C'est
d'ailleurs le souci de l'autre qui est probablement à
l'origine de beaucoup de mes questionnements, à l'opposé
d'une image d'égoïste qui m'a parfois été renvoyée. Ces
regards défavorables, parfois hostiles, m'ont été pénibles.
Ils m'ont ramené vers un sentiment de rejet, que je ne
connais que trop. Je le sais destructeur de l'estime de soi,
même si, à la longue, j'ai appris à m'en servir comme levier
: c'est en m'appuyant sur des critiques ressenties comme
"injustes" que je forge mes convictions personnelles. Et
c'est ainsi que ce qui m'affaiblit un moment finit par me
rendre plus résistant. À la longue l'entreprise est
bénéfique. Il se pourrait même qu'elle devienne libératrice,
en m'apprenant à m'affranchir d'une trop grande attention
portée au regard d'autrui. Car c'est bien là un de mes plus
forts handicaps relationnels...
Ainsi il y aurait une boucle logique : en écrivant mes
difficultés à être je parviendrais à les atténuer, via le
regard que les autres portent sur moi (ou ce que j'en
imagine). L'ensemble se jouant sur un théatre particulier :
ma position d'homme par rapport aux femmes. Et plus
particulièrement dans les rapports de séduction...
Je n'ai pas besoin de chercher trop loin l'origine de mes
doutes existentiels : je l'attribue à l'attitude qu'a eue
mon père au moment où j'entrais - difficilement - dans l'âge
d'homme. En me rabaissant, en m'humiliant, il a sapé à la
base mes assises narcissiques. Son but était de toucher mon
amour-propre de mâle pour me faire réagir mais la dose était
trop forte pour moi et a profondément fissurée une grande
part de mon estime personnelle. En clair son attitude m'a
"castré" au moment où je devenais homme. C'est du moins la
conclusion à laquelle je suis parvenu, par divers
recoupements, en analysant mon rapport aux autres de façon
générale, et aux femmes en particulier.
Mais il se peut que l'attitude paternelle n'ait fait que
mettre en évidences des prédispositions latentes ? Peut-être
aurais-je de toutes façons développé une attirance vers le
relationnel sous forme douce ? Il se peut que, quoi qu'il se
fut passé, je serais devenu un homme ne se reconnaissant pas
dans les représentations traditionnelles du masculin.
Bref : j'accepte la part qui me revient dans ce que je suis
et n'en fais grief à personne. Même si je considère que
quelques personnes auront fortement contribué à accentuer
mes questionnements identitaires et affectifs, je crois
pouvoir m'en réjouir : au final ce sera bénéfique.
Pour l'heure j'en suis encore à me demander comment être
avec les femmes que je côtoie dès lors que les rapports de
séduction entrent en jeu. Je me sens bien en compagnie
féminine (ou avec des hommes vivant pleinement leur part
dite "féminine") mais ne vis pas sans une certaine
complexité mon identité masculine. Ainsi l'image de
"séducteur" que je tente de subtilement souligner [hum...]
dans mes écrits est loin d'être aussi évidente dans la
rencontre. Si je me plais à rapporter ce que certaines
femmes apprécient chez moi c'est à la fois pour endosser un
habit auquel je ne suis pas accoutumé et affirmer
publiquement cette reconnaissance de euh...
virilité. Je suis toujours surpris de séduire... et en même
temps je m'accroche à chaque élément de preuve pour clamer
que j'ai ce "pouvoir". Si je séduis, c'est sans y croire,
sans le vouloir, sans le savoir. Bien que, à la longue, je
commence à en prendre conscience... D'ici à l'assumer et
m'en servir, il y a un pas que je suis loin d'avoir franchi.
Néanmoins cette prise de conscience du masculin qui m'habite
est capitale dans la restauration de mon estime de moi sur
ce plan-là.
C'est important puisque, en plus de ce que qui émane de moi,
c'est aussi par mon identité masculine que je séduis, me
semble t-il. Et je pressens qu'il est attendu de moi que je
l'affirme en certaines circonstances. Je pense bien sûr à un
domaine de la séduction ou les archétypes comportementaux
restent apparemment solidement ancrés : l'approche
corporelle. Il semble assez généralement attendu [?]
par les femmes que l'homme fasse preuve d'audace, d'un
caractère entreprenant, d'un désir affirmé et conquérant.
Vient un moment où la douceur, l'écoute, le dialogue,
pourtant fort appréciés et demandés par nombre de femmes...
doivent être mis en sourdine. Ou du moins ne pas empêcher
que ce qui est attendu se mette en place. Le confident se
doit de rester solidement masculin [dans
l'action ?].
Et moi, tellement attentif à ne surtout pas brusquer ces
femmes [d'où me vient cette
tendance protectrice ?] dans la rencontre intime,
je me sens en porte-à-faux entre deux attitudes : le respect
ou la conquête. J'ai besoin de signaux clairs pour
comprendre ce qui est attendu de moi, lorsque le confident
est aussi désiré comme amant. C'est pourquoi les femmes
entreprenantes m'attirent... tout en éveillant mes craintes,
parce qu'une "inversion des rôles" n'est pas simple à vivre.
Tout ce qui pourrait ressembler à un ascendant de l'un sur
l'autre (domination/soumission) me mettrait en grande
difficulté. Ne sachant parfois plus comment me situer j'ai
alors tendance à cérébraliser, à verbaliser, à tenter de
comprendre ce qui se joue. Avec pour effet de m'éloigner des
sensations et émotions.
Il m'arrive de ne plus savoir si je suis homme ou femme [cette
phrase qui m'échappe me laisse un peu perplexe...]
Je reformule : ne plus savoir si je dois me comporter en
"homme" ou en "femme", selon les représentations que j'ai de
ces rôles, issues du regard social intériorisé porté sur
chaque genre. C'est à dire avoir le désir conquérant (« je
veux ! ») ou respectueux de l'autre (« que désires-tu ? ») [en
écrivant cela je sens bien qu'il serait judicieux que
j'éclaircisse quelque peu mes représentations du rapport à
autrui...].
Ce qui est certain c'est que j'aime sentir vibrer la
puissance du désir féminin en attente d'un aboutissement.
J'aime qu'il me soit demandé de le satisfaire. En même
temps il m'est arrivé d'en redouter l'intensité, comme si je
pouvais me faire engloutir par une vague pulsionnelle
semblant s'ancrer dans un affectif tentaculaire et
possessif. Surdimentionné par rapport à ce que je peux
offrir. Comme si je sentais une soif insatiable qui
ferait de moi un roi ou plus rien selon que j'aurais ou non
donné satisfaction en matière affective et sexuelle. Adulé
ou déchu par celles-là même avec qui la confiance préalable
laissait supposer qu'elle constituait une base solide pour
aller plus loin dans la rencontre d'être à être...
J'ai parfois eu l'impression qu'une attirance initiale
faisait naître des sentiments de circonstance, mais n'avait
pour objectif insu que de mener vers une jouissance
protectrice et sexuelle. Je me suis parfois senti utilisé
comme instrument de réassurance et de plaisir. Ce qui,
en soi, peut parfaitement me convenir lorsque c'est
clairement établi [d'autant
plus que je fonctionne actuellement sur un mode
compatible]. Mais pas si je me sens transformé
en homme jetable [homme-objet
?], "oublié" dès qu'il ne donne plus suffisamment
de satisfaction libidinale et/ou sentimentale.
Un mot me vient : éjectable. C'est ainsi que j'ai ressenti
plusieurs éloignements relationnels. Quand, de partenaire en
confidences je suis devenu amant [réel
ou envisagé] sans que n'apparaisse simultanément un
sentimentalisme "amoureux", j'ai vu fondre en peu de temps
ce que je pensais voir se construire dans une confiance
croissante. Fort heureusement ces réactions de
déception, que par ailleurs je comprends, n'ont pas toutes
abouti à un éloignement. Certaines ont conduit à un
réaménagement de la relation et l'amitié a pu se poursuivre.
Il n'empêche que, finalement, j'en suis venu à redouter
l'alliance des sentiments et du désir. Sentiments qui, selon
le sens que je donne à ce mot, ne sont pas de l'amour, même
si cela peut y ressembler...
Au fil des rencontres j'en suis arrivé à nettement
distinguer ce qui appartient à chacun des registres du
partage : coeur, corps et pensées, voire esprit. Une
scission exactement à l'opposé de ce que j'ai autrefois
senti réuni dans une bouleversante alliance menant vers des
sommets éblouissants. Était-ce une illusion ? Une chimère ?
Aujourd'hui je ne sais plus. Mon esprit s'était peut-être
égaré dans un rêve idéalisé... Un retour au concret m'a été
nécessaire et je ne suis donc pas surpris de fuir désormais
la confusion des genres, en excluant ce qui m'est le plus
sensible et précieux : le sentiment amoureux.
J'apprécie toujours la compagnie des femmes, confidentes,
amies, presque soeurs. En tant qu'homme mon désir de
rapprochement physique reste toujours latent avec un certain
nombre d'entre-elles. Ce n'est que la coexistence des deux
registres qui m'interpelle, lorsque la question des
sentiments entre en scène.
À moins que ce ne soit celle de l'attachement ?
Jeudi 30 décembre
[publié le 31 décembre]
Écrire m'est devenu complexe. Mes interventions se
raréfient, même si, de temps en temps, quelques salves
rapprochées rappellent que je pourrais être aussi prolixe
qu'autrefois. Le principal obstacle c'est le temps à y
consacrer. Au fil des ans, et surtout des évènements
connexes liés à la tenue de ce journal public, j'ai de plus
en plus souvent travaillé mes textes, cherchant à trouver le
mot juste, au plus près de ce que je ressens. Au plus
près de ma vérité. Mais l'entreprise est vouée à être sans
cesse reprise puisque les mots importants sont souvent
insatisfaisants, trop ou pas assez signifiants, m'obligeant
à me demander si c'est bien tel ou tel que je veux employer.
C'est bien sûr parce que mes mots ne sont pas seulement pour
moi, mais destinés à faire passer un message, voire
plusieurs messages simultanément. Si j'écris devant des
lecteurs, c'est que je cherche à faire passer quelque
chose. Je n'ai pas toujours conscience de ce langage
parallèle, ni de ce que je cherche à toucher, ni qui en est
le destinataire : moi ou... qui d'autre ?
Parce que je retravaille de plus en plus mes textes, étalant
parfois les reprises sur plusieurs jours, laissant reposer
longuement, il m'arrive de ne même plus savoir quelle date
attribuer entre le premier jet et la mouture finale ! J'y
passe des heures, qui deviennent parfois, en se cumulant,
des journées. C'est un peu fou ! Mais ce n'est pas tant la
recherche du mot juste qui m'occupe que le travail de prise
de conscience qu'il induit. En me relisant j'accroche
sur certains termes, certains phrases, et cela me conduit à
m'interroger sur ce que je veux dire [ce
qui cherche à se dire]. Est-ce vraiment un ressenti
authentique ou l'idée que je cherche à en donner ? À qui
est-ce que je m'adresse ? Quelle instance, réelle ou
imaginaire ? Qui est-ce que je cherche à influencer
? Quelle est la part d'auto-persuasion ? Il me faut
parfois le temps de la décantation pour le savoir...
Au final le texte publié ne sera plus vraiment en phase avec
le cheminement qu'il m'a permis d'effectuer. Pour autant ce
travail est loin d'être vain puisque la publication fait
partie du processus : je me vois avoir évolué entre le
premier jet et la publication. Je ne suis plus le même. Ma
conscience s'est élargie.
Et puis il y a tout ce qui m'apparaît et que je ne divulgue
pas. Tous les à-côtés mis en mouvement. Le brassage
d'idées qui en éveillent d'autres mais que je ne peux
intégrer au texte sous peine de le rendre confus et
tentaculaire. « Une pensée en arborescence », me
disait jadis une amie.
Une amie ?
...
Ai-je besoin de cette précision ? Que veux-je dire par là ?
Quelle est l'importance de ce terme ?
Voilà ce qui se produit fréquemment quand j'écris : quelque
chose apparaît. À moi de voir si je choisis de suivre, ou
pas, ce petit fil...
Une amie...
Moi je sais très bien de quoi il est question et n'ai nul
besoin de me le préciser. Alors pourquoi le fais-je ?
Hum, je n'irai pas plus loin... j'évite ce genre de sujet.
Évitement. Voilà l'idée qui, depuis quelques temps,
s'installe subrepticement dans mes réflexions. Un évitement
qui, comme tout ce qu'on veut occulter, fini par envahir et
tétaniser la pensée.
Il y a quelques semaines j'ai noté sur un petit post-it «
j'évite d'y penser », suivi de deux initiales. Celles
de deux prénoms. Régulièrement j'ai revu ce bout de papier
coloré qui se rappelait à mon souvenir. C'est son rôle.
J'avais envie de revenir sur cette idée... tout en
persistant à l'éviter, bien entendu ! Éviter d'en parler,
surtout... Reporter à plus tard. Mais jusqu'à quand
vais-je éviter ce qui s'invite ?
Vendredi 31 décembre
Éviter d'y penser. Savoir qu'il y a "quelque chose"
et ne pas y aller. C'est une fuite. C'est aussi une
protection : je n'y vais pas parce que je sens confusément
que je n'y suis pas prêt. Je reporte...
Je sais pourtant que mon intention est claire : un jour
j'irai au devant ce que, pour le moment, j'évite. Quand je
me sentirai suffisamment solide pour ça. Et je travaille à
cette solidification, qui n'est qu'un autre nom pour la
confiance en soi.
Ce que j'évite ? Oh, tout plein de situations qui me font
peur. Crainte d'être rejeté, crainte d'en être affecté.
Crainte que ma bonne volonté et mon désir de concorde ne
soient incompris. Refusés. Crainte, peut-être, de voir
se dresser le mur d'une réalité qui ne correspondrait pas à
ma vision du monde. Crainte de voir de nouveau les repères
sur lesquels je m'appuie balayés. Et ramer encore...
Pourtant maintenant je suis aguerri ! Je sais qu'apprendre
la vie se paie ainsi.
Et puis des questions essentielles et structurantes : est-ce
que je suis sur une "bonne" voie ? Est-ce que les choix
existentiels que je fais sont réalistes ? Tenables à long
terme ? Suis-je "fort" en cherchant à aller vers une
certaine vision du monde, ou bien encore dominé par des
représentations erronnées, naïves, et tout compte fait
largement immatures ?
En clair, est-ce que l'importance que j'accorde aux liens
d'attachement va dans le sens... d'une plus grande humanité,
ou bien signe d'une immaturité persistante ?
Est-ce que je suis « quelqu'un de bien » [essaie
de l'être...] ou un pauvre hère perdu dans une
errance vague ?
[Mon approche est confuse, j'en
ai bien conscience. Il m'est difficile d'entrer dans le
vif de ce que j'évite.]
Je vais prendre le plus facile : Charlotte. C'est une des
deux initiales concernées par le « j'évite d'y penser ».
Ce n'est pas à elle que j'évite de penser, mais à ce qu'est
devenu notre relation.
Charlotte à très longtemps été "tout" pour moi. C'était
évidemment trop. Aujourd'hui, hormis notre passé commun et
notre fonction de parents d'enfants largement émancipés, il
ne reste... presque rien. Au présent notre relation, quoique
cordiale, est devenu quasiment inexistante en dehors des
aspects matériels concernant les enfants. Nous n'avons plus
aucun temps d'échange personnel. Nos rares mails se
limitent à quelques lignes allant à l'essentiel, cependant
toujours agréméntés d'un petit signe de gentilesse sans
implication. Nos contacts s'espacent, laissant souvent
plusieurs semaines s'écouler sans nouvelles. De toutes
façons nous ne nous en donnons que lorsqu'une raison
particulière nous en fournit le prétexte.
Cette raréfaction s'est faite imperceptiblement, sans
élément déclencheur clairement identifiable. Au début
je constatais cela un peu surpris, considérant que c'était
un processus normal de détachement. Je ne l'ai pas
contrarié, sentant bien que Charlotte en avait
besoin. Quant à moi j'apprenais le détachement et cette
"épreuve" utile m'était tout à fait supportable. De
toutes façons j'étais bien plus préoccupé par un autre
détachement relationnel, nettement plus chargé
affectivement...
Mais depuis quelques temps je ressens un léger manque, dû à
la distance de Charlotte. Il se teinte doucement de
tristesse. Une tristesse différente de celle des débuts,
plus subtile. Pourtant j'ai largement accepté les
conséquences du divorce, lui-même suite logique de tout un
processus prévisible de longue date. Le choix de Charlotte
de me quitter découlait de celui que j'avais fait pour
"m'émanciper". Tout était donc cohérent. Ce qui l'est moins,
à mon sens, c'est l'éloignement de Charlotte en tant
qu'amie... Longtemps elle a été ma seule et plus proche
amie, ma confidente, mon âme-soeur, celle avec qui je
partageais bien d'autres choses que la parentalité ou la
seule vie de couple. Oui, Charlotte était aussi mon amie.
Aujourd'hui cette amitié me manque...
Avec elle tout n'était pas rose, loin de là, et avec le
temps de séparation j'ai compris à quel point certains
aspects de notre relation étaient déséquilibrés, inhibant
notre développement individuel, réduisant notre capacité
créative. Il y avait des blocages, des évitements, et même
une certaine violence par inacceptation des différences de
l'autre. Les frictions étaient fortes. Mais il y avait aussi
beaucoup d'écoute, d'attention portée à l'autre et un réel
souci de prise en compte de ses besoins. En bref notre
relation restait riche de possibilités et si nous n'avions
pas été mariés... notre amitié aurait peut-être mieux
traversé le choc.
Ce que je me demande aujourd'hui, ce qui m'inquiète et que
j'évite d'approfondir, c'est le devenir de cette amitié. Que
la relation de couple n'ait plus sa place, soit, je l'ai
pleinement accepté. Je n'envisage pas un impossible retour
en arrière, qui ne semble plus avoir été imaginé par aucun
des deux depuis longtemps. Mais l'amitié ? La confiance
partagée ? Ces années de co-naissance dans l'intimité,
que va t-il en advenir ?
Je ne crois pas que l'indifférence ait pu prendre
place. Je sens que je garde une place dans l'existence
de Charlotte, tout comme elle en garde une pour moi. Comment
pourrait-il en être autrement ? Notre situation
"d'étrangers" l'un à l'autre est donc plus formelle
qu'affective. En même temps notre éloignement est réel et
nous sommes devenus très largement indépendants. Nous
n'avons plus besoin l'un de l'autre. Charlotte vit en
quasi-couple depuis plus d'un an. Cette année elle a même
invité la mère de cet homme pour noël et à emmené ce dernier
dans sa famille. Symboliquement c'est
significatif. D'ailleurs il parait que sur Facebook
sont profil indique "en couple". J'apprends tout cela
au hasard des conversations avec mes enfants, par ailleurs
fort discrets sur ce qui concerne chacun des parents
absents.
En y pensant... je me demande si l'éloignement de Charlotte
ne s'est pas accentué avec l'entrée de cet homme dans sa
vie. J'ignore comment elle se positionne mais peut-être
est-elle un peu gênée par rapport à moi ? La façon qu'elle a
eu de me le présenter la première fois, dans un contexte
plutôt inattendu, m'a surpris. Un peu comme si elle me
présentait maladroitement un trophée ! Je ne m'y attendais
pas et sur le moment ça m'a un peu perturbé. Surtout pour sa
façon de procéder... Depuis j'ai eu l'occasion de rencontrer
quelques fois cet homme avec Charlotte sans que cela ne
génère de malaise. Tout au plus le sentiment d'une situation
un peu bizarre. Je crois cependant qu'à partir de là j'ai
accentué ma discrétion. Je me suis effacé, laissant
Charlotte libre de me contacter à sa convenance. Peut-être
prend-elle cela pour de l'indifférence ?
C'est ce que je voudrais clarifier avec elle : souhaite
t-elle que je me manifeste, ou au contraire que je reste
loin de sa vie ? Comment me situe t-elle ? Comment considère
t-elle notre amitié ? Désire t-elle la maintenir à un
certain niveau ou préfère t-elle qu'elle s'éteigne ?
J'avoue que j'évite d'affronter la situation par crainte de
ses réponses. Longtemps elle a manifesté un désir net
d'éloignement, que j'ai finalement accepté. Probablement en
évitant d'y penser... Mais maintenant je ne sais plus trop
comment me comporter avec elle.
Qu'elle partage sa vie avec un autre ne me dérange pas outre
mesure [sans être pour
autant totalement anodin...], ne suscite pas de
jalousie. En revanche me sentir "disparaître" de sa vie
m'est plus difficile. Résurgence d'un sentiment d'abandon ?
J'ai toujours cette sensibilité forte au lien d'attachement,
qu'il m'est douloureux de voir disparaître. Sentiment de
vide, de "trahison"... Je sais que cette façon de voir les
choses m'appartient et que je ne peux en faire grief à
personne.
Je constate aussi que ce fameux lien d'attachement n'a plus
pu se créer avec quiconque depuis le grand chamboulement de
2004. Qu'en penser ? Est-ce un signe de maturité et
d'autonomie ou celui d'une fermeture préjudiciable ? Il
serait peut-être bon que je clarifie mes pensées et mes
ressentis sur ce point. Ça éviterait que je fasse preuve
d'une prudence défensive face aux rencontres qui,
probablement, continueront à se faire.
Bon, ça me laisse de quoi réfléchir pour l'année qui
s'annonce !
En attendant, je vous souhaite que l'année 2011 réponde à
vos désirs les plus essentiels !
Et merci pour votre fidélité...
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