Juin 2006

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Rencontres



Lundi 5 juin


Je viens de vivre quelques journées qui, sans être révolutionnaires, seront probablement déterminantes dans mon parcours. Et sans doute, aussi, dans l'évolution de ce journal.

Il me sera impossible de retranscrire tout ce qui s'est passé en moi, tant aura été dense la succession de prises de conscience et de découvertes. Un temps de maturation et d'intégration sera nécessaire avant restitution.

Le journal montre là ses limites et se révèle inopérant pour décrire des changements multiples, rapides et simultanés. Autant il se prête bien à la narration d'un processus évolutif lent, autant il est inadapté pour décrire l'instantanéité de grands bouleversements.

Je vais tenter de décrire succinctement ce qui s'est produit ces derniers jours, à un moment de ma vie ou les transformations intérieures sont profondes et en constante évolution. A tel point que je ne me sens plus être le même d'un jour à l'autre; voire entre le matin et le soir. Mon incapacité à écrire depuis quelques temps était le signe de ce bouillonnement intérieur, trop en mouvement pour être transcrit en mots.

Mais je dois aussi préciser que ce que j'écris à l'instant est marqué par un fait inattendu, et par ailleurs tout à fait intéressant à analyser: j'ai partiellement perdu mon anomymat. Quoique sans conséquence particulière, cela va indiscutablement modifier mon écriture et je tenterai de saisir pourquoi, et comment.



Le contexte:
Depuis près de quatre mois un phénomène contradictoire opère dans ma tête. Il s'agit, au sein la relation d'amitié amoureuse que j'ai longuement développée, d'un processus d'éloignement qui se combine avec le maintien de l'essentiel du lien. Plutôt que de trancher dans le vif et de renoncer définitivement à quelque chose qui pourrait paraître sans aucune issue, j'apprends à ne me détacher que de ce qui est inaccessible, et de ce qui créait une souffrance.

Parallèlement je prends de la distance avec une part de moi, souffrante, immature, mesquine, faible. Je me suis vu exprimer... ce que je ne voudrais plus être. Je me suis vu laid. Part sombre que j'apprivoise plutôt que de la refouler: je suis aussi cela. Pourquoi le suis-je ? Qu'est-ce qui me rends ainsi ? Les réponses sont venues peu à peu...
D'un autre côté, si je vois les parts sombres, j'ai la même lucidité sur les parts lumineuses. Et là aussi je cesse de les refouler. Au contraire, je tente de capter ce qui me porte vers le meilleur de moi-même: qu'est-ce que cela m'apporte ? Comment me sens-je lorsque je suis ainsi ?

A la fois par un travail intérieur, des échanges, des lectures, et une écoute de moi-même, je prends conscience des demi-teintes de ce portait en double face. Pareillement c'est par le biais de ma formation à l'aide et à l'écoute que je continue mon chemin vers une profession plus en accord avec ce que je me sens être. Fort opportunément [mais est-ce vraiment un hasard ?], les deux processus évolutifs se déroulent simultanément. Un peu comme si mon parcours de vie m'avait préparé à optimiser ce qui se déroule actuellement.

Je prends conscience du moi que je ne voudrais plus être, en ressentant ce que cela m'apporte comme sensations négatives. Je ressens, inversement, ce qui me porte vers le bien-être. Bien mieux qu'auparavant je discerne ce qui tient de l'un ou de l'autre dans chaque évènement de ma vie.

Tout cela est énoncé ici dans une réduction des plus sèches. Les répercussions de tout ce qui opère en moi sont infiniment plus vastes que ce que je peux exprimer en quelques lignes. En fait c'est tout le sens de ma vie qui se dessine en ce moment. C'est le sens même du virage que j'ai pris "à mon insu" il y a quelques années qui trouve son explication.



Arrivent... "comme par hasard" à ce moment précis de ma vie, en une sorte de concrétion de tout ce qui était en mouvement: les "Journées de l'autobiographie", avec pour thème "l'autoportrait".

Autoportrait: regard sur soi, miroir sur soi, expression de soi... mais aussi expression de soi devant l'autre. Avec évocation du paradoxe permanent de l'impossible authenticité, de l'intime dévoilé, et de l'insaisissable multiplicité du soi. Ce journal n'a cessé d'y être confronté. Il l'est encore, avec acuité, puisque je sais que de nouveaux regards viendront probablement se poser ici, plongeant sans préparation dans mon intimité après m'avoir rencontré visuellement. Immersion brutale dont les effets redoutés vont me pousser à m'interroger plus loin qu'auparavant puisque cette situation ne s'était jamais produite: que crains-je de cette inversion du mode d'approche ?

J'approfondirai prochainement cette question.
Je ne peux que constater, déjà, que la simple supposition de ces regards modifie le ton de mes écrits. J'écris, là, avec beaucoup de sérieux...


Hormis cela, qu'est-ce qui m'a autant touché durant ces journées de l'autobiographie ?
Des émotions, des vibrations, des résonnances. Du partage. Avec suffisamment d'intensité pour que je me sente épuisé par tant d'apports. Epuisé... mais rempli !

D'abord je suis passé presque sans transition de ma session de formation à l'écoute, avec un travail sur le groupe qui touchait déjà à l'émotif, aux "Journées de l'autobiographie" qui se déroulaient dans la même ville. Moins d'une heure de métro et bus avant d'être accueilli par l'APA. Quelques instants plus tard je rencontrais une blogueuse-amie, qui m'attendait là. Le choc du visuel n'eut pas lieu puisque nous avions échangé nos photos, et la mise en présence s'est déroulée tout simplement. Nous connaissions aussi nos voix et je me suis servi de ce support vocal pour faire la connection entre les mots de l'intimité et cette présence réelle. Je commence à être bien rôdé depuis que j'ai rencontré plusieurs de mes amitiés du net et cela ne m'inquiète plus, ni ne me demande de temps d'adaptation.
Quelques minutes plus tard je rencontrais aussi un autre écrivant du net, connu depuis longtemps par les mots. Connection encore plus simple puisque nos échanges habituels ne se situent pas dans l'intime, quoique nos intimités nous soient plus ou moins connues.

L'évènement personnel le plus marquant de ces journées se produira dans la soirée. Une suite de *hasards* a permis ce que j'appelle une Rencontre. Oui, avec une majuscule... De ce genre de Rencontres qui permettent une révélation de soi, avec un partage tout à fait singulier. Révélation qui tiendrait plutôt de l'élévation, d'ailleurs. Rencontre que d'autres circonstances auront rendue, par *hasard*, bien plus éphémère que ce qui semblait se dessiner.
Je ne sais pas combien de temps j'ai passé en compagnie de cette personne, mais assurément j'ai partagé et échangé dans une dimension hors du commun. Il y fût question de ce qui touche probablement au plus intime de soi: la spiritualité.

Je sais... pour certains c'est presque un gros mot...

Cette Rencontre est intervenue au moment opportun puisque voici quelques temps que cherchent à s'insinuer dans mes écrits les mots qui pourraient évoquer cette approche de l'indicible...
Pour le moment j'ai opté pour la retenue, par pudeur et crainte des préjugés du lectorat, mais assurément il s'agit d'une dimension fondamentale de mon parcours; explication indubitable de ma persévérance. C'est en cela que la Rencontre tient lieu de révélation. J'y reviendrai.

Les deux jours qui ont suivi nous auront permis d'aborder l'autoportait sous les formes les plus diverses: écrits, peinture, photographie, théatre. Mais aussi selon des approches allant de la sociologie à la spiritualité, de l'histoire au témoignage vivant, avec parfois une émotion prégnante. J'ignore ce que je pourrai retranscrire de ce que j'ai ressenti puisque, volontairement, je n'ai pris aucune note. J'ai préféré me laisser imprégner, laissant mon inconscient choisir ce qu'il retiendra. La vision que j'en donnerai dans les jours à venir sera donc fortement teintée de subjectivité, et sera certainement très différente de celle des autres participants... qui pourraient me lire.

Voila déjà une des pistes des difficultés de l'intimité exposée devant un public qui m'identifie: affirmer ma subjectivité, dévoiler un ressenti personnel, avec la résonnance que cela produit avec mon psychisme. Exprimer les émotions ressenties, c'est me dévoiler. Pourquoi est-ce que je redoute ce regard d'autrui ? Aurais-je quelque chose à cacher ? Qu'est-ce que je veux contrôler de mon image ?

Par ailleurs à quoi correspond la force de ce désir d'affirmation de soi en public ? Pourquoi ce besoin du dévoilement ? Pour qui ?

Autant de questions qui se superposent à celles qu'exprime tout exposant de l'intime de soi...



Durant ces journées, parfois concentré, parfois dans le partage, je me suis interrogé sur la diversité des moi qui me composent. Je pensais à mes mots déposés, ici ou sur mon blog. De ces personnalités que j'endosse selon les circonstances. Parfois bien plus torturé dans les écrits que dans ce que je vis. Là-bas j'étais heureux, ici je me suis souvent montré en souffrance. Et de fait je souffre par cette écriture qui, pourtant, me délivre et m'apporte la paix. Les regards de ceux qui me connaissent ne semblent pourtant pas percevoir autant que je le crains ce dédoublement. L'image que l'on me renvoie, tant dans ce monde virtuel que dans les rencontres en face à face, est plutôt positive. Voire très positive.

C'est probablement ce décalage que je cherche à réduire en laissant l'écriture me travailler...



(à suivre...)






Contrôle d'image




Mardi 6 juin


Durant mes quelques jours d'immersion dans un bain constitué d'autobiographes, diaristes, ou simples lecteurs sensibles au travail des premiers, j'ai pu prendre un salutaire recul sur ma pratique d'écrivant du net. Éloigné de ce qui pourrait parfois s'assimiler à une forme d'aliénation à la tyrannie de la communication, j'ai pu prendre un certain recul sur le sens de cette l'écriture. Car je dois bien reconnaître que l'expression de soi sur internet, si elle permet une communication dont le diariste solitaire est privé, présente aussi quelques inconvénients.

Écrire sur internet c'est parler de soi et communiquer. La seconde composante pèse parfois lourd, quand elle n'entre pas carrément en conflit avec la liberté de la première. La présence des lecteurs est souhaitée, leurs réactions aussi, parfois, mais elles installent une forme de dépendance. En particulier sous la forme blog, à cause des commentaires. Pour moi la communication parasite indéniablement l'authenticité de l'expression. Mais je ne suis pas à un paradoxe près: toute forme de dévoilement de l'intime joue en permanence entre des contradictions.

Public et intime sont contradictoires, et internet ne fait que déplacer le flou de ce qui les sépare.



Je profite de l'occasion pour faire un retour sur ma pratique de l'écriture en ligne. J'écris pour deux objectifs principaux: me comprendre et en témoigner. Quelque chose de très intérieur et personnel que je désire proposer à l'extérieur en vue de toucher l'intériorité d'autrui. Mais cette apparente simplicité se heurte évidemment à ma capacité à supporter le regard de l'autre.

Depuis longtemps j'ai compris que ce regard extérieur m'aidait à me définir. En écrivant je pense à ce qu'on pourrait penser de moi. Parfois ça me stimule, si j'estime que je montre un côté plutôt positif et correspondant aux valeurs humaines auxquelles je m'identifie. Parfois ça me gêne, voire me pousse à l'autocensure... et c'est alors ce blocage qui me sert d'indicateur: pourquoi cette réaction de protection ? Pourquoi est-ce que je n'ai pas envie de me montrer ainsi ?

La mal-être est parfois fort et il m'est arrivé d'outrepasser mes blocages. La conséquence, en général, c'est que c'est encore pire une fois que j'ai mis en ligne. Mais l'indicateur n'est est que plus précieux !
Ou alors je ne sens qu'une vague appréhension, sans identifier ce qui en est la cause, et la mise en ligne me délivre de cette incertitude: je sais alors exactement l'idée, la phrase, ou le mot que j'assume mal. Là encore est pointé ce à quoi je peux réfléchir.

Écrire en public est donc pour moi une forme de mise en danger, qui m'aide à comprendre mes points de faiblesse. Je l'ai souvent affirmé: je l'assimile à une thérapie par l'auto-analyse. Dans les limites que permettent cet exercice solitaire, puisque en psychanalyse la présence du thérapeute fait partie intégrante de la thérapie, notamment pour permettre le "transfert". Les lecteurs, et notamment ceux que je connais, sont plus ou moins porteurs d'un simili-transfert.


Cependant cette exposition de mon intimité, de mes névroses, de mes désirs, pourrait fragiliser mes barrières de protection. Or au contraire, nouveau paradoxe, c'est cette mise à nu qui me rend plus fort. En connaissant mes faiblesses, en les regardant en face et en les acceptant, je deviens moins vulnérable. C'est peut-être parce que je me sentais trop sensible au regard d'autrui que j'ai été poussé à m'y exposer...

Ce que je craignais, je l'ai affronté.

Ce qui me rend plus fort c'est de comprendre ce qui agit sur moi. Plutôt que de sentir un malaise indistinct, je sais bien plus précisément où j'ai mal, et pourquoi, lorsque je me sens blessé. Du coup je peux soigner bien plus rapidement cette blessure, qui en général n'est que la réouverture d'une ancienne déjà connue.

C'est donc là le principal paradoxe: plus je retire mes protections, moins je me sens vulnérable. Du moment que je le fais lorsque j'y suis prêt...

L'important dans tout ça n'étant pas de dévoiler mes failles devant autrui en espérant qu'il me préservera (attente de protection), mais de me les dévoiler à moi-même (devant témoins). C'est avec cette limite que je joue, ne dévoilant ici qu'à peine plus que ce que je peux assumer. Pas question de trop en dire, ni de garder une trop grande marge de sécurité qui empêcherait le dépassement de soi. C'est évidemment dans ce subtil réglage que tout se joue...



J'en viens au fait: ce week-end, à mon corps défendant, j'ai été confronté à une intéressante expérience de dévoilement inopiné. Plutôt que de la percevoir comme dommageable et fragilisante, je l'ai presque instantanément vue comme une chance.

Lors d'un exposé présentant les différentes formes d'expression de soi sur internet, l'intervenant m'a proposé de témoigner de ma pratique d'écrivant du net. Nous en avions convenu auparavant et je n'avais aucune objection à en parler. Je vois de nombreux avantages à l'écriture en ligne et suis volontiers disert sur ce sujet. Ça ne me dérangeait absolument pas d'être vu sous ma véritable identité et à répondre aux questions ou à témoigner.

Or, suite à une incompréhension, l'enthousiaste orateur m'a présenté sous mon pseudonyme, tout comme mon amie-blogueuse qui, elle, venait de donner son accord...

J'ai alors vu des personnes présentes mettre consciencieusement un repère en face de l'adresse de nos sites respectifs, dûment indiqués sur la feuille qui leur avait été distribuée... Durant quelques instants je me suis dit qu'il venait de se produire sous mes yeux une petite catastrophe personnelle. J'imaginais toutes ces personnes, manifestement intéressées par l'écriture en ligne, cliquer prochainement sur le lien qui leur dévoilerait mon intimité. Oups...

Un peu comme si avait été donnée l'adresse d'un site où on me verrait nu.

Je n'ai pas eu le temps de sentir des sueurs froides couler sur mon front que déjà je choisissais de saisir la balle au bond en leur expliquant ce qui venait de se passer. Le présentateur se montra tout à fait confus de sa méprise, dans laquelle j'avais évidemment ma part...

Je vois dans cette petite mésaventure une excellente occasion de comprendre en quoi le dévoilement de l'intime est problématique pour moi.



Où était le problème ? Que l'on associe ma véritable identité (j'avais un badge) avec celle de l'Idéaliste ? Non, aucunement.

En fait il y avait plusieurs gênes. La première c'est que je crains toujours la plongée directe dans mon intimité. Je sais par expérience que le paradoxe de l'intimité mise en public suscite d'emblée une certaine méfiance. Les mots "exhibitionnisme" ou "narcissisme" ne sont jamais bien loin et je n'aimerais pas qu'on pense ça de moi. A priori le public présent, intéressé par l'autobiographie, ne devrait pas avoir ce genre de préjugés...

Par ailleurs j'ai dévoilé dans ce journal bien des faiblesses par lesquelles je suis passé. Je pense en particulier à la complication croissante de la relation d'amitié-amoureuse, avec tout ce que j'ai déballé de moi et dont je ne suis pas fier maintenant que j'en suis largement sorti... C'était un "travail", avec beaucoup de tentatives qui allaient se montrer ultérieurement comme étant des erreurs. Des "brouillons de moi", pour reprendre une expression connue des diaristes...

En outre je ne me souvenais plus du contenu de la dernière page en ligne et je craignais qu'elle ne me montre comme quelqu'un de souffrant et torturé, bien différent de ce que je me sentais être lors de la présentation publique.

Ce qui m'amène à une première réponse: c'est l'image qu'on pourrait avoir de moi qui me pose problème. J'aimerais la contrôler. Si je ne suis plus gêné de me montrer devant des lecteurs qui suivent mon parcours depuis longtemps, donc se sont habitués à mes réflexions et, d'une certaine façon, m'apprécient, c'est fort différent lorsque cette approche n'a pas eu lieu.

Cependant, est-ce que je suis gêné en pensant à tous les inconnus qui débarquent ici par hasard ? Non, parce que je ne les connais pas, je ne sais rien d'eux. J'ignore même qu'ils sont passés. En fait je n'y pense pas... Alors pourquoi être gêné vis à vis de la quinzaine de personnes "inconnues" qui étaient dans cette salle de présentation ? Qu'est-ce qui fait la différence ?

Il y a des personnes de cette assemblée dont je ne me souviens même pas. Pour eux ça ne me pose aucun problème. Surtout avec le recul. Mais il y avait des personnes avec qui j'avais échangé durant ces quelques jours, à divers titres. Il s'était établi un contact individualisé, aussi succinct soit-il. Ou bien des regards qui avaient croisé le mien durant ma prise de parole. Des regards qui m'observaient et qui savaient que cet homme présent en face d'eux montre, ailleurs, son intériorité et qu'ils vont y avoir accès. D'autant plus que j'ai voulu expliquer en direct la mésaventure... accentuant ainsi l'identification de celui que j'étais. J'aurais pu ne rien dire et l'évènement aurait eu un moindre impact.

En fait ce qui est difficile à supporter c'est l'idée d'être "transparent", visible de l'intérieur et de l'extérieur à la fois. C'est évidemment un crainte infondée, une impression ressentie bien plus qu'une réalité objective. Mais cela touche aux profondeurs du psychisme humain.

Je réalise cependant que cette supposée "transparence" est pour moi bien plus facile à accepter lorsque c'est l'intériorité qui est d'abord connue et qu'il ne manque plus que la part sensorielle, corporelle, à percevoir...
Si je n'ai pas envie d'être lu par mon entourage, ou toute autre personne qui me "connait" (de vue, ou par contacts superficiels), c'est parce qu'ils ont déjà de moi une représentation sociale associée à une identité corporelle. Mon intériorité ne leur est accessible qu'à la hauteur de ce que je veux bien montrer. Je peux contrôler ce que je donne de moi. Je peux me protéger.

C'est pour cette raison que, parmi les présents, j'ai ressenti une gêne accentuée face aux quelques personnes avec qui j'avais établi une ébauche de contact individuel. Probablement parce que je ne voulais pas que l'image qu'ils ont pu avoir de moi soit ternie par ce qu'ils pourraient découvrir dans mes écrits. C'est à dire ce coté "torturé", compliqué, acharné, immature, que j'ai pu montrer dans ces pages.

Dit en d'autres termes: je ne voulais pas déplaire.
Ou peut-être voulais-je... plaire ?
Plaire à des personnes qui m'ont plû ?

Bref, c'est l'image que je donne de moi qui pourrait être atteinte dans le dévoilement de mon intimité. Ce qui indique que je redoute d'être vu dans la vérité de ce que je suis. Que je crains d'être rejeté si je déplais...

Or "la vérité" ça n'existe pas hors de la subjectivité de chacun. Il m'est impossible de contrôler les pensées des autres à mon égard. Pensées qui, de surcroît, sont toutes différentes. Je suis donc encore dans un désir de toute puissance...

Rien de nouveau sur le fond, mais une nouvelle piste à explorer: exposer mon intimité [par écrit, hein...], serait une façon de surmonter la crainte du rejet. Ou de vérifier que, quoi que je puisse dévoiler, il y aura toujours quelqu'un pour apprécier ce que je suis. D'ailleurs les années passent et je ne me souviens pas que quiconque m'ait rejeté pour mes écrits. Des personnes avec qui s'était établi un lien se sont désintéressé peut-être, mais parce que les motivations respectives n'étaient plus en résonnance. Les rares personnes qui m'ont ouvertement rejeté l'ont fait en d'autres lieux du net et n'avaient pas accès à ce journal.



Autre piste évoquée dans mon précédent texte, et qui s'ajoute à la précédente: la gêne du dévoilement inattendu portait sur le fait que je n'oserais plus écrire librement mes ressentis sur ces journées. Puisque les personnes ont participé aux mêmes moments, décrire ce que j'ai intimement vécu me semblerait impudique. Peut-être parce que je les perçois comme une entité globale, alors que chacun ne me lira qu'en "tête à tête". 
En fait je ressens ça un peu comme si je devais décrire mes émotions devant l'ensemble des participants à ces journées... et que cela leur paraisse totalement et unanimement farfelu, ou bête, ou puéril. Peur de me tromper... peur de n'avoir rien compris. Comme s'il y avait une bonne façon de comprendre !

Bravo la confiance en soi...

En fait ce micro-évènement est symptômatique de mon rapport à l'écriture publique: lorsque j'ai une crainte quelconque, je me sens seul face à l'ensemble des lecteurs. J'imagine alors ne pas pouvoir évoquer certaines choses parce qu'elles pourraient susciter une désapprobation [et alors ?], ou bien qu'on y découvre la perversité de mon âme sombre [et pourquoi pas une belle âme ?].

Au delà de mon écriture, qui rend les choses flagrantes, c'est bien évidemment de cette façon que je réagis dans la réalité de mon existence...

Désir d'irréprochabilité ?



Dernier constat, en parallèle: ce qui m'a semblé un peu perturbant il y a deux jours, face à ces regards et ces présences, a perdu énormément de sa charge émotionnelle aujourd'hui. Dans quelques jours je n'y penserai plus.

Moralité: les émotions sont solubles dans le temps. Ce qui parait important un jour devient rapidement insignifiant.

D'ailleurs, en écrivant sur cette petite mésaventure, je lui donne une résonnance plus grande que si je l'avais laissée sous silence. Quoique... c'est peut-être parce que j'ai tout de suite su que j'en parlerai que j'ai évacué son impact potentiel ?

Quoi qu'il en soit je constate que ce sera sans conséquences notables. Peut-être penserais-je à certaines personnes en écrivant dans les jours à venir, mais les effets disparaitront dès que je reviendrai à des sujets sans rapport avec ce temps passé en commun.


(à suivre...)






D'âme à âme




Mercredi 7 juin


Tout d'un coup j'écris abondamment. Surabondamment. Ça ne durera probablement pas. Ce n'est que la manifestation d'un déblocage fébrile et désordonné. Une recherche d'équilibre après que celui-ci ait été bousculé.

Vous savez quoi ? J'aimerais écrire de l'essentiel. Du court. Du condensé. Mais ça me demanderait du temps... Oui, raccourcir me demande de sacrifier, de trier, de choisir. Or je suis encore dans la démarche de l'écriture libératrice. 

J'assume...

Je fais partie de ceux que l'écriture prend. Ce n'est pas moi qui choisit d'écrire, c'est l'écriture qui se saisit de moi. Elle me travaille jusqu'à ce que je l'aie libérée. Alors seulement elle me laisse tranquille, épuisé. Vidé. Pour quelques heures...

Ces derniers temps j'ai été très frustré de ne pouvoir écrire librement. D'un autre côté j'avais davantage de temps pour faire autre chose... Parce que vous vous doutez bien que d'écrire aussi longuement ne se fait pas en trois minutes.

Mais, trève de bavardage, je reviens à ce qui me préoccupe. Sans savoir si je vais pouvoir en parler comme je le voudrais...



J'aimerais parler de cette Rencontre, évoquée il y a deux jours. Comment faire sans en dénaturer le contenu ? Et même... pourquoi vouloir le faire ? Ne serait-il pas préférable de rester dans le nébulosité de mots ouverts plutôt que de chercher une improbable précision ? N'est-ce pas trahir le sens des choses que de chercher à les nommer ?

Pourtant je sens bien que cette rencontre donne du sens à certains évènements antérieurs de ma vie [non, je n'ai pas parlé de vie antérieure, allons...].

C'est... comment dire... c'est probablement le point de croisement de plusieurs trajectoires de mon existence. Comme si j'avais suivi depuis très longtemps des signes sans comprendre vers quoi il me menaient. Sans même voir ce qui les reliait.

Et si tout ce que je vis n'avait rien d'un hasard ? Et si ce qui parait distinct était relié ? Et si tout ce bavardage n'était que recherche d'explications de l'inexplicable ?

Avec cette Rencontre tout s'est assemblé avec évidence, en peu de mots, parce qu'en face de moi il y avait quelqu'un qui pouvait en comprendre le sens et me permettre de le comprendre.



Attends... dans quoi est-tu en train de te perdre ? Pourquoi tant d'explications ? Et si tu allais à l'essentiel, justement. Fais le vide, laisse la réflexion de côté et écoute tes émotions. Laisse les mots couler. Laisse les se poser. Laisse les peindre une toile. Fais comme ces artistes qui parlent d'eux à travers leurs pinceaux...

Ne cherche pas à contrôler. Ni ton image, ni ce qu'on pourrait penser de toi, laisse échapper cette part de toi. Ta sensibilité. Ton humanité. Ta singularité.

Raconte l'histoire...








Dans la grande salle remplie d'un brouhaha de visages inconnus je me suis assis à table avec les deux seules personnes que je connaissais. Un pôle rassurant. J'ai le désir d'enfin échanger par la parole en face à face après tant de mots partagés dans la lenteur désincarnée de l'écriture. Depuis des mois, des années, nous nous connaissons sans nous être jamais vus. Mais déjà nous nous sommes un peu aprivoisés, en bavardant tout à l'heure entre une table basse et des fauteuils bleus.

Nous reprenons la conversation, par dessus les assiettes. Parler de nous et de ce que nous avons de commun. De nos échanges, de notre écriture, ou des personnes que nous lisons sur internet.

Tu arrives. Je remarque ta jeunesse parmi la sur-représentation de cheveux grisonnants des autres participants. Tu sembles venir à cette table par hasard, mais mon amie-blogueuse m'apprend que vous vous êtes rencontrées dans la voiture qui était venue vous chercher à la gare. Tu as sans doute cherché des visages connus, aussi peu le soient-ils. Tu t'assieds en bout de table, un peu à l'écart. J'apprends que tu es franco-québecoise et ce détail ne me laisse pas insensible. Est-ce moi qui t'ai proposé de t'asseoir plus confortablement, à coté de moi ? Je ne m'en souviens plus. Aurai-je été capable de cette audace ? Car déjà quelque chose en toi me plaît. Peut-être ce regard noir qui tranche avec la blondeur de tes cheveux...

Aurais-je prété la même attention si tu avais été vieille et disgrâcieuse ? Ou si tu avais été un homme ? Je préfère ne pas approfondir ces questions...

La conversation reprend avec mon interlocutrice précédente, mais je la trouve trop privée. Nous parlons de personnes que tu ne connais pas. J'ai l'impression que l'on t'exclut. C'est une impolitesse. Alors j'essaie d'établir le contact. Tes origines m'intéressent. Ton accent me plaît et me rappelle bien des souvenirs. C'est un accent qui me manque et que j'aime entendre. Tu me dis qu'au Québec il ne fait pas illusion: trop français. Mais en France, on t'identifie toujours comme québecoise. Je remarque que tu n'as pas leurs expressions idiomatiques, si particulières.

Nous nous présentons succinctement. Tu t'intéresses au journal d'E., jeune femme juive morte en camp de concentration à l'âge de 29 ans. Je connais ce nom, j'ai lu quelques articles mais pas son journal. En fait je ne sais presque rien d'elle. Tu me dis que tu prépares une thèse sur ce sujet, et que tu l'étudies depuis dix ans. Tu me racontes ton parcours international, tes études en Belgique, aux Pays-bas; la France, le Québec. Des allocutions un peu partout dans le monde. Tu me parles de la spiritualité d'E. et lorsque tu m'apprends que tu fais des études de théologie je comprends ton intérêt particulier sur ce point.

Tu me demande ce que moi je fais là et je te réponds, sans appréhension particulière, que je m'intéresse à l'autobiographie en tant qu'écrivant du net. Ancien diariste papier passé à l'écriture en ligne. Tu sembles intriguée. A ce moment là les deux personnes avec qui j'étais sont dans la conversation. Nous te racontons un peu l'histoire du diarisme en ligne, né au Québec, précisément. Le tout premier journal francophone en ligne s'appellait "Montréal soleil et pluie". Tu ne connais pas tout cela. Toi aussi tu tiens un journal, mais sur un cahier. Par hasard quelque chose nous relie tous les quatre, entre journal et géographie.

La conversation se poursuit. Peu à peu je me retrouve avec toi dans un lien privilégié. Pendant ce temps il semble que mes interlocuteurs ont repris la conversation ailleurs... Je sais que je les ai laissés tomber. Ou bien qu'eux-mêmes n'ont pas osé s'intercaler davantage dans notre conversation qui devient plus intimiste. Je me sens un peu goujat à leur égard, mais nous aurons encore le temps dans les jours à venir de converser longuement. Toi tu es là sans que je te connaisse et cette rencontre opportune est une chance. Car déjà ce que tu me dis me touche.

Lorsque j'évoque les liens qui se créent grâce à l'écriture-lecture entre écrivants du net, tu réagis: « n'est-ce pas dangereux ? ». Tu penses au phénomène d'idéalisation et me racontes les raisons vécues qui te poussent à t'en méfier. J'essaie de savoir ce que tu trouves "dangereux", puis t'explique ma position à ce sujet. Pour moi c'est la peur du danger qui est dangereuse. Elle conduit à la peur de vivre. Et si aller à la découverte de soi est dangereux... alors oui, écrire sur le net et correspondre de façon intime avec des personnalités qui nous révèlent à nous-même est bel et bien "dangereux".

Je te raconte un peu mon histoire, des rencontres d'amitiés nombreuses, et puis la rencontre de celle par qui ma vie a été bouleversée. Je t'explique le contexte, les découvertes que j'ai faites sur moi-même avant même de la rencontrer. Tu m'écoutes attentivement. Tu me fais part de tes réflexions, de ton rapport à l'écriture. Tu abordes la protection de tes pensées intimes que tu ne veux plus écrire depuis que tu es mariée. Je te sens intéressée et j'ai envie de te parler de cette richesse humaine, de toutes ces rencontres rendues possibles par internet. Ces rencontres d'âme à âme...

Le mot "âme" n'est pas anodin pour toi, théologienne. Nous entrons dans le registre de la spiritualité. Non pas la religiosité, nous sommes bien d'accord, mais ce "quelque chose" qui nous transcende.

Je sais que je peux te faire confiance. Je sais que tu comprendras. C'est comme si tu étais là pour me permettre d'en parler...

Je te raconte ce qui m'est arrivé un jour. Quelque chose que je n'évoque que très rarement, parce que moi-même n'en ai pas encore vraiment compris le sens. Par hasard, j'en ai pourtant un peu parlé la veille, avec une autre jeune femme dont le regard s'allumait à cette évocation. Mais avec toi je vais plus loin. Toi tu sais de quoi je parle, je le comprends à tes mots, à ton regard. Tu reconnais mes paroles.

C'était sur une autoroute du centre de la France. Le 8 août 2003. Ce jour là j'ai pleuré pendant une heure. Sans pouvoir arrêter cette émotion qui m'étreignait. Quelque chose me submergeait, m'emplissait d'une sensation inouïe. Ce jour là j'ai eu la révélation de l'amour absolu.

Je ne trouve pas vraiment les mots pour te l'expliquer, mais tu n'en as pas eu besoin. Ça ne s'explique pas. Tu sais de quoi je parle. Tu m'écoutes et tes yeux attentifs sont en moi. Tu me dis simplement, en souriant et avec beaucoup de présence, « c'est magnifique ». Sans aucune trace d'incrédulité. Et nous convenons qu'on ne peut pas parler de ce genre de choses. Qu'il n'y a pas de mot pour cela, ou qu'ils sont trop plats, vides de sens. Tu me dis que vivre cela était une chance extraordinaire. Une connivence nous lie.

A ce moment là les personnes qui m'accompagnaient sont déjà parties. Je n'ai pas mangé une seule bouchée, et toi non plus. Nos plats sont froids.

Je t'explique que je prends peu à peu conscience que mon chemin de vie avait pris un virage déterminant ce jour de révélation. Et que tout ce vers quoi je me dirige y est certainement lié. Pour aider les autres, il faut les aimer...

Oui, tout est lié. Ma soif de me découvrir qui m'a poussé à me traverser de part en part de questionnements existentiels, les rencontres que j'ai faites grâce à cela, la rencontre extra-ordinaire de mon alter ego d'outre atlantique, ma détermination à poursuivre mon chemin envers et contre tout, alors que je perdais tant de choses dans la douleur...
Jusqu'à cette Rencontre avec toi par une succession de hasards, de coïncidences, de synchronicités auquel un sens à été donné. Parce que c'est le moment et que tout ce qui a précédé s'est déroulé dans un certain ordre. Tu serais autre, physiquement, que la rencontre n'aurait pas le même impact. Oui, c'est vrai, ton charme naturel joue. Ça aussi ce n'est pas un hasard. Messagère de passage.

Un homme souriant vient nous chercher. Ton seul contact ici, me dis-tu. Nous sommes les derniers à table. Peut-être les derniers dans la salle, je n'y prête pas attention. Je crois que nous avons tous les deux un instant d'hésitation, comme si nous sentions que ce genre de conversation est plus importante que le spectacle prévu. Tu me dis que nous continuerons à parler de tout ça demain...

J'accepte avec évidence, me demandant si mon désir de continuer n'est pas un peu orienté par le plaisir que je ressens en ta compagnie.

Tu ne sais pas davantage que moi que le hasard va empêcher ce que nous venons de prévoir...
Et moi j'ignore encore en quoi cette Rencontre va me marquer.



[Forme narrative empruntée à l'écrivain et poète Charles Juliet, entendu ce matin à la radio, lisant un texte tutoyé adressé à Cézanne. Charles Juliet, par ailleurs rencontré ce week-end lors de la représentation théatrale de son livre "Lambeaux". Coïncidences qui m'ont proposé cette forme d'écriture, échappatoire pour transcrire ce que je ne parvenais pas à exprimer]






Oser le dire





Vendredi 9 juin


Écrire un texte comme celui qui précède n'est pas un acte anodin. J'y ai engagé beaucoup de moi, à plusieurs titres. Mais comme le signale par ailleurs un lecteur-blogueur, vient un jour où il devient nécessaire d'en parler. Je ne me sentais pas de garder cela en moi indéfiniment, ou de ne le partager qu'en confidences.

C'est là que quelque chose me dépasse: le besoin d'en parler ! Le besoin de m'engager. De m'impliquer. Et pourtant, il y a quelques jours je me disais que c'était tellement intime et impartageable que jamais je ne pourrais évoquer ce genre de chose publiquement... Mais la Rencontre m'a permis d'entendre cela en moi, et en quelque sorte de l'authentifier. Non parce que j'aurais douté de ce que qui m'a irrigué un jour de l'été 2003, mais... sentir que c'était reconnu, dans un regard qui communiquait vraiment tout en ayant une légitimité, l'a ancré en moi. Je me suis senti compris.


Et si tu poursuivais ton histoire...






Le lendemain je te vois en train de discuter de façon informelle avec une femme. J'apprends qu'elle est sociologue et doit intervenir devant l'assemblée des participants. Je me joins à vous et c'est là que je découvre que toi aussi tu es là comme intervenante, spécialement venue du Canada. J'en serais presque impressionné...

Je vous quitte et vais m'asseoir dans la salle, pour ne pas être dans les derniers rangs. Avant d'aller vers la table qui fait face à l'assemblée tu viens me dire quelques mots en aparté, me demandant en fait un encouragement. Tu m'avais parlé de ce que tu éprouves lors de tes conférences, ne connaissant parfois personne... Cela me fait plaisir de t'offrir ce minime soutien, et suis touché que tu sois venu vers moi pour le trouver.

Lorsque, après d'autres, c'est toi qui prend la parole devant le public, mon attention capte tes mots, éclairés par notre échange de la veille. Tu m'as sensibilisé au sujet que tu développes et j'en saisis bien mieux l'essence. Tu déroules dans le détail nombre d'éléments que tu avais brièvement évoqués avec moi. Ils prennent une épaisseur qui échappe certainement à beaucoup.

Mais très vite je sens une certaine tension dans l'assemblée. Je réalise que tes citations dérangent. Tu essaies de retracer le parcours spirituel qu'E. décrit dans son journal, reliant ses propres mots à des passages de la bible. Tu cites des phrases des évangiles et le terme "Dieu" revient souvent. Moi je connais le contexte et peux le relativiser, mais je sais bien qu'il y a des personnes qui sont allergiques à tout cela. Ils ne t'écoutent pas, ils réagissent aux mots. Ils restent en surface. Un bourdonnement trouble le silence qui devrait régner. Des personnes bavardent, d'autres se lèvent et quittent la salle. Je me sens mal à l'aise en supposant que tu perçois ce qui se passe. Mais tu poursuis, apparemment impassible.

Une idée forte du texte me frappe. Dans son journal, E. dit qu'elle ressent le besoin de témoigner de sa spiritualité. Elle s'engage, pour que le message d'amour qu'elle veut transmettre soit entendu. Elle le relie constamment à Dieu, et pourtant elle n'a pas de religion. Toi tu as précisé que "Dieu" ce ne sont que quatre lettres, un mot. Une façon de nommer. Cela convient très bien à l'agnostique que je suis et, parce que je sais le sens que tu y mets, j'accepte ce nom. Mais pour ceux qui le refusent obstinément, ces quatre lettres assemblées sont tellement chargées de sens que ça n'a pas suffi à en ôter le pouvoir.

Ton exposé se prolonge sans doute un peu trop. Les mots honnis reviennent trop souvent, les mouvements dans la salle deviennent perturbants. Lorsque vient le temps des questions une intervention refroidissante est applaudie par quelques uns. Je n'aime pas ça. Alors l'homme souriant de la veille explique au public que la spiritualité dans le journal de E. était bien le sujet qu'il t'avait été demandé de présenter. Très digne, mais visiblement troublée, tu réponds dans le même sens à la remarque désagréable qui t'a été faite. Les questions cessent et il règne un certain brouhaha. J'ai envie d'intervenir pour exprimer ma surprise devant cette réactivité dès qu'il est question de spiritualité d'inspiration religieuse. Habituellement je suis moi-même plutôt réticent mais là c'est presque une hostilité que je perçois. Alors j'ai envie de te soutenir en relativisant les propos précédents. Je n'en fais rien, ne m'en sentant aucune légitimité.

L'intervenante suivante prend la parole sur un tout autre sujet et quelques temps plus tard tu quittes discrètement la salle. Je ne bouge pas. Je n'ose pas. Pourtant je pressens quelque chose...

Tu ne reviens pas. Plus tard, au repas, je te cherche des yeux. Dans l'après-midi je ne te revois pas. Je suis un peu inquiet.

Ce n'est que dans la soirée que j'apprends qu'un évènement particulier t'a fait quitter précipitamment le lieu où nous étions. Tu ne reviendra pas.

J'en suis fortement troublé.

Je me fais le reproche de n'avoir pas osé te suivre. Peut-être aurais-je su trouver des paroles réconfortantes ? Je perçois aussi une ambiguité qui m'interroge: quelle est la nature exacte de l'empathie que je ressens ?


Alors très vite je réalise que cette Rencontre éphémère tient aussi sa force de sa brièveté. Comme une étoile filante est plus significative que les astres qui brillent de toute éternité. C'est au moment où j'ai commencé à m'inquiéter de ta disparition que j'ai compris l'importance de la Rencontre. Le message auquel je pouvais donner un sens avait eu le temps de passer.

La veille tu m'avais dit avec ton regard pénétrant: « si une personne, une seule personne, a été touchée par ce que je dis devant une assemblée, alors je suis heureuse. Je ne demande rien de plus ». J'ignorais, tout comme toi, que je serais celui-là... 

Je ne sais pas ce qu'il adviendra de tout cela, mais je crois pouvoir dire que quelque chose a changé en moi. Quelque chose qui était en gestation depuis longtemps et qui attendait de naître.

Quelque chose dont je sais qu'il sera toujours un peu difficile de parler.




Écrire sans limites ?




Lundi 12 juin


J'aurais voulu poursuivre la narration d'un week-end très riche de rencontres et d'échanges en profondeur, de sensations, d'émotions... mais déjà une semaine est passée! Une semaine dense, marquée par la prise de conscience que j'ai un peu décrite dans mes textes précédents.

Il y a un téléscopage d'évènements et je dois renoncer à énumérer les détails, qui pourtant ont un sens certain et expliquent par quel cheminement mon regard sur l'existence change.

Déjà j'avais dû renoncer à tout retranscrire d'un autre cheminement, depuis quelques semaines, là aussi dépassé par l'ampleur des changements. Je ne peux pas passer ma vie à la raconter...

Peut-être que ce qui est signifiant ne l'est que pour moi, qui l'ai vécu intérieurement ?
Me contenter de quelques points essentiels, le reste n'apparaissant qu'avec le temps ?



Peut-être devrais-je aussi m'interroger avec d'avantage de concentration sur mon écriture, tellement étirée en longueur. Tellement [trop?] détaillée et pourtant insuffisamment précise. Tenter de rester dans une narration impressionniste, par petites taches de couleurs. Je ne vais pas indéfiniment chercher à décrire les nuances, au point que le temps vient à manquer pour écrire les impressions générales. Ça devient absurde...






Traversée du désert




Mercredi 14 juin
[Copie du texte publié en parallèle sur le blog]

Il y a quatre mois j'écrivais sur mon carnet, avec autant de calme que possible, la très grande colère que je ressentais: mon amie de coeur venait de décider que nous n'aurions plus de contacts pendant six mois.

Je l'ai très mal vécu et le mot qui pouvait le mieux décrire mes sentiments était alors: injustice.
Injustice parce que j'avais fait au mieux de mon possible, ayant consacré une énergie considérable à agir selon ce qui me semblait être le plus pertinent.
Injustice parce que privé d'expression je me sentais dépossédé de tout pouvoir d'action.
Injustice parce que j'avais une impression d'échec après avoit tant "travaillé" au maintien de la confiance.

Je l'ai pris comme une sanction. Comme si j'avais raté quelque chose.
Comme si j'étais un incapable, ne méritant pas de mener les choses selon ma perception.
Je me suis senti dépossédé, infantilisé, et humilié.

Forte blessure narcissique qui a fait réagir avec excès mon égo outragé.



Or il s'agissait d'une réalité subjective. Et c'est selon cette subjectivité qu'une partie de mon lectorat a commentés mes écrits rageurs. Réactions d'indignation que, malgré ma colère, j'ai parfois trouvées injustes envers mon amie. J'ai vite compris que c'était une regrettable erreur d'avoir évoqué cela sur ce blog. Depuis je me suis efforcé de ne plus écrire sur ce sujet. D'où la raréfaction de mes interventions...

J'ai pris du recul pour mieux discerner ce qui s'était passé. Je me suis mis à distance, pour retrouver la paix. Pour ne plus souffrir. Pour me déterminer seul.

J'ai progressivement moins écrit... mais j'ai beaucoup réfléchi. Et échangé.
Travail de remise en question personnelle qui m'a permis de voir les choses autrement. De façon plus objective.

J'ai compris que la violence d'une telle décision tenait de bien autre chose que l'idée de sanction.
Qu'elle traduisait une impossibilité à continuer. Une nécessité vitale de sauvegarde. Il y avait réaction contre quelque chose de profondément mal vécu.

J'ai aussi compris que ce n'était pas moi, ou pas uniquement moi, qui était la cause de ce naufrage, mais nos malentendus.
Notre incapacité commune à écouter vraiment les ressentis de l'autre. Notre mal-communication...

Je me suis mis à l'écoute de ce silence de longue durée. Je l'ai accepté. J'en ai fait un allié pour m'écouter, mais aussi pour entendre le sens de cette non-relation voulue par mon amie. Je me suis ouvert à ce qui avait pu la faire réagir aussi fortement.
Et peu à peu j'ai entendu...

J'ai établi des hypothèses qui donnaient un sens cohérent à tout cela.
Dans le silence qui s'éternisait je les confrontais au passé.
Je remontais le fil de notre histoire commune.
Plus le silence durait, et plus je comprenais !

La paix intérieure grandissait. Seul un sentiment de tristesse, en constatant ce gâchis, cet inachevé, la ternissait encore.
Je n'avais pas envie qu'on en reste bêtement là. Pas nous ! Cependant mes enthousiasmes se heurtaient au mur du silence établi, et cette impuissance ralentissait le déclin d'une rage muette. Il me fallait donc, aussi, accepter la possibilité d'un silence définitif. Parvenir à être en paix avec mon amie si cela devait advenir.
Le désir de vivre en paix, sans rancoeurs accrochées au passé, est devenu mon objectif premier.

J'aurais aimé partager mes découvertes pour trouver cette paix... tout en souhaitant respecter son besoin de silence. Dilemme. Dans le doute, je respectais. Ne pas aller contre, ne plus m'opposer, mais tenter l'alliance, quelle qu'elle soit. Suivre le fil de la vie...

Je sentais possible un rapprochement, tout en prenant une distance croissante en me préparant à ce qu'il ne se produise jamais.
Double travail, vers elle et vers moi. Vers une pacification avec elle, ou sans elle. Rester ouvert à toute éventualité.

J'ai fait ce travail en solitaire, mais accompagné par ma psy et quelques amitiés précieuses [merci...]. Féconde diversité des modes de pensée, des expériences personnelles ou professionnelles. Je ne me suis pas senti seul.




Je n'ai pas eu à patienter six mois.

Avant que ne commence le cinquième mon amie disparue est revenue vers moi.
D'abord avec des mots mesurés.

J'ai alors réalisé que mon anesthésie était finalement plus profonde que je ne croyais. J'avais pris beaucoup de distance. Je suis surtout devenu très prudent...

J'ai eu besoin d'un peu temps pour répondre, et de mots supplémentaires pour comprendre ses intentions.
A ma demande elle les a précisées. Elle a su trouver les mots justes, ceux dont j'avais besoin pour restaurer une confiance écartelée.
Des mots simples et sincères. Touchants. Elle a abaissé ses barrières. Elle s'est pudiquement dévoilée. J'y ai été très sensible.

En confirmant mes hypothèses, elle m'a prouvé que nous semblions être de nouveau sur une longueur d'onde compatible. Une reprise de contact plus approfondie pouvait être tentée.

Tels deux Icare s'étant brûlés les ailes à monter trop vite trop haut, mutuellement blessés par la chute, frustrés, déçus, chacun réagissait depuis longtemps au mieux de ses possibilités, bien souvent dans des mouvements qui se contrariaient en exacerbant les frustrations. Mauvaise communication, sur fond d'interprétations différentes des idées de franchise et de sincérité, pourtant à la base de notre confiance mutuelle. Les meilleures intentions ne suffisent pas...

C'est une des grandes leçons de vie que j'aurais intégré en vivant cette mésaventure avec tout mon être: les réactions blessantes de l'autre sont toujours l'expression d'une souffrance. Au lieu de réagir en m'écoutant, c'est d'abord vers elle qu'il aurait fallu que je tourne mon attention pour écouter, sentir, capter son mal-être. C'est évidemment une des bases pour une communication relationnelle saine...

C'est là que se situe l'amour de l'autre.



Expérience fondatrice, transposable à chacune de mes relations à autrui...

Je crois que j'ai beaucoup appris de ce silence...
Il m'a permis de grandir.
De m'autonomiser.
D'être plus fort.
Plus ouvert.
Plus juste.
Plus patient.
Plus attentif.
Plus confiant.
Plus pacifiste.
Plus authentique.

C'était ma traversée du désert...



Quoique ayant choisi d'éviter de parler de cette relation sur mon carnet, il m'a semblé juste de tenter de réparer l'injustice que j'avais commise en donnant de mon amie de coeur une image faussée et abusivement négative. Elle est bien autre chose que ce qu'elle montre lorsqu'elle est épuisée, déprimée, ou blessée...

Je la connais sous un nouveau jour.
Après ses forces, je découvre ses failles.
Et je l'aime mieux...

Désormais je me sens en paix avec elle.


[Copie du texte mis en ligne sur mon carnet-blog, fermant ainsi la parenthèse de l'immixtion de cette histoire sur un espace trop ouvert]






Écriture éclatée




Dimanche 18 juin


Mon écriture en ligne se cherche. La reprise de contact avec nathalie a probablement mis fin à beaucoup d'interrogations que, de toutes façons, j'évitais de trop évoquer ici. Désormais je me sens "libre" d'écrire... mais n'ai plus de raisons, ni envie, d'évoquer cela. Ben oui, puisque je me sens en paix...
Par ailleurs je me rends compte que l'écriture sur mon carnet se trouve confrontée à une gêne d'une autre nature: la présence des commentaires a une influence qui parfois me dérange. D'une certaine façon je me sens tenu à une certaine régularité, ce qui est une contrainte. C'est bien évidemment moi seul qui me l'impose, même si des commentaires expriment leur avis sur ce point. Ce n'est pas vis à vis du lectorat que je me sens redevable de quelque chose, mais c'est bien moi qui crains de le perdre... Ou plutôt de perdre des liens de connivence.

Je me soumets donc, consciemment, à une certaine "relation affective" tout en la déplorant. Je suis conscient qu'il s'agit d'une forme de transfert bizarroïde...

Je voudrais parvenir à n'écrire que lorsque j'en ressens l'envie, sans aucune arrière pensée. Or il y a actuellement une sorte de "besoin". Non pas d'écrire, mais de sentir une attention. Je crains, si j'écrivais moins, de perdre mon lectorat. Que l'on m'oublie. C'est grave docteur ?
Je ne m'en inquiète pas outre mesure car je sais que ça fait aussi partie du travail d'autonomisation: ne pas craindre de perdre des liens.

En fait j'ai suffisamment de liens, pour ne pas dire trop... C'est peut-être ça mon problème. Chaque relation demande un certain temps d'investissement, or je passe du temps à écrire en ligne pour ne pas perdre un lien fantasmatique avec "le lectorat". Autrement dit je privilégie la quantité à la qualité. J'écris à la multitude plutôt qu'aux individus. Bon... j'exagère parce qu'en fait j'ai toujours des contacts privés. Je caricature. Mais il y a quand même un fond de vérité.

Et puis très souvent je lis des textes qui m'enrichissent, me portent, m'enthousiasment. Je retrouve alors tout mon intérêt pour ce petit monde des écrivants de l'intime.

Ah la la... ambivalence, toujours !



Dans le même temps je suis tenté par un fractionnement de mes sites, désirant me sentir cohérent sur chacun d'eux. Ici l'intime, dans le silence, lorsque je ne souhaite pas de commentaires (les mails sont toujours appréciés). Sur mon carnet... c'est plus compliqué. Je ressens une dualité entre une écriture "sérieuse", réfléchie, et une tendance aux échanges cool (un espace qui serait convivial avec mes copines de blog ou mes amitiés du net). Dans les deux cas les commentaires m'intéressent. Soit pour pousser la réflexion plus loin, soit comme simple moyen d'échange: petits mots complices et clins d'oeil. Mais il me semble que les deux ne font pas bon ménage. Le réfléchi s'écrit en longueur et à une fréquence espacée tandis que le quotidien est plutôt court et fréquent. La juxtaposition de ces deux types d'écriture me pose problème. Je ne sais pas si c'est parce que je voudrais avoir l'air sérieux sur les sujets qui me tiennent à coeur ou si c'est parce que je sens que la convivialité crée une sorte de "club" dans lequel il peut être difficile d'entrer. Les commentateurs sont souvent connus et ne représentent qu'une faible part du total des lecteurs. Qu'en est-il des autres ? Pourquoi restent-ils silencieux ? Est-ce par choix ou par retenue ?

Par contre, avoir trois sites me semble un peu compliqué pour les lecteurs. J'aurais l'impression d'abuser du nombre de clics, et du temps nécessaire pour visiter chacun de mes sites pour ceux qui le désireraient. Peut-être que je redoute aussi de prendre tant de place à moi tout seul...

Sans compter que parfois les sujets se recoupent. Ainsi ce que j'écris là aurait pu avoir en partie sa place sur le carnet, parce que commentable sur la fin, alors que ce n'était pas souhaité pour le début...

Bref... je ne sais toujours pas ce que je vais décider.



En fait je voulais parler de tout autre chose et seulement introduire quelques lignes sur ce que je viens de développer. Mais bon... ça sera pour une autre fois. Je tente d'éviter les textes trop longs.







Écrire ou communiquer ?





Mercredi 21 juin
[mis en ligne le 24 juin]


Écrire tient d'une double dynamique. C'est donner de soi en espérant être lu. Écrire en ligne en ajoute une troisième, qui renforce l'effet des premières: offrir et espérer une possibilité d'échange. Mais on peut aussi voir les choses autrement: le désir d'échanger peut conduire à écrire.

Que j'écrive d'abord "pour moi" [besoin d'exprimer] ou d'abord "pour communiquer" ne tient pas de la même logique et peut largement influer sur le contenu. Il y aura toujours une différence entre une écriture intimiste offerte à la lecture et une écriture en attente des réactions d'un lectorat, même si les deux composantes sont toujours présentes. La contradiction de l'intimité mise en public, qui paraissait être une sorte de monstruosité aux débuts du diarisme en ligne (souvent taxé d'exhibitionnisme), tenait surtout de son interaction possible avec le lectorat. Ce n'était pas seulement l'intime mis en public qui était incongru, mais aussi de rendre possible un flux à double sens: le lecteur pouvait communiquer avec l'écrivant. Le fait que les premiers écrivants du net proposent leur adresse mail montre qu'il y avait bien un désir sous-jacent de permettre le contact. Cependant cette communication restait privée, donc "intime".

Il en a été tout autrement avec l'apparition des blogs puisque les commentaires sont devenus clairement attendus, et partie intégrante du contenu textuel. Ils l'enrichissent, le complètent, ou bien sont utilisés pour féliciter [souvent] ou critiquer [rarement] l'écrivant. Un blog s'écrit avec les interventions des lecteurs: on est là pour échanger en commun. C'est son objectif avoué.

Ainsi, le paradoxe initial de l'intimité ouverte au public s'est en quelque sorte affirmé. Mais simultanément il s'est dilué, atténué, en tendant vers une communication élargie et ouverte à tous. On communique davantage, mais on est moins dans une expression personnelle, intime, singulière. Chaque commentaire est lisible par tous, avec tout ce que cela peut éveiller comme enjeux tant dans le rapport direct avec l'écrivant qu'avec ceux qui le lisent. Ce n'est plus seulement la personnalité du blogueur qui se dévoile, mais aussi celle de ceux qui le commentent. Les commentaires deviennent autant une vitrine des commentateurs que du blogueur.

L'échange étant le principe même du blog, l'écriture s'y soumet. Tant celle de l'écrivant que celle des commentateurs. L'écriture est au service de la communication.
Et pourquoi pas...

Mais à la longue je me demande si ça me convient...

Le diariste en ligne (que je suis encore, ici...) écrit sur un principe inversé: c'est la possibilité de l'échange qui offre une nouvelle dimension aux écrits introspectifs. Et ce qui s'établit entre écrivant et lecteur est privé, donc "invisible" par l'ensemble du lectorat. On reste dans une relative intimité des rapports. Quelque chose que je ressens comme plus propice à l'authenticité.



Je me rends compte que sur mon Carnet je me laisse parfois entrainer par les sirènes exigeantes de la communication. Et je n'aime pas ça. Je n'ai pas envie de me sentir redevable. Pas question d'entretenir des liens grâce à une perfusion régulière d'interventions, et encore moins de guetter si je reçois bien des échos aux textes que je dépose. Démarches égotistes, aliénantes et source de frustration...

Car je l'avoue: un texte qui n'est pas commenté, ou très peu, ou ne suscite pas de réactions à la hauteur de l'importance que je lui accorde, me met dans un état d'esprit qui est de l'ordre de la déception. J'ai l'impression d'avoir écrit quelque chose d'inconsistant, ou même inintéressant.

Inintéressant...

Ce mot c'est ma bête noire, mon fantasme négatif, ma quête masochiste, ma fragilité. Il me ramène vers quelque chose que je redoutais autrefois: être insignifiant. Mes écrits sont une part de moi et le regard que je sens porté sur eux [imaginaire...] c'est un peu comme si c'est sur moi qu'il était porté.

Cela ne me perturbe plus vraiment maintenant, fort heureusement, mais je sens que la crainte d'insignifiance n'est jamais bien loin. Ça touche quand même quelque chose. Je dois recourir au raisonnement et l'auto-persuasion [et vérifier régulièrement mon blog...] si je ne veux pas sentir une sorte de vague mélancolie prendre une place qu'elle a durablement occupée autrefois.

La menace de la régression plane toujours...

Inversement, si je lis des propos louangeurs à mon égard... ben ça peut aussi me gêner. J'apprécie, bien sûr, mais en public ça me gêne [faudrait que je me demande pourquoi, d'ailleurs...]. Impression de "trop" ou que c'est immérité. Surévalué.



Alors il me faut sûrement changer quelque chose !
Ça m'agace de constater que je laisse s'installer un comportement addictif consistant à me rendre boulimique d'une communication... destinée à me rassurer. Écrire pour avoir ma dose de regards bienveillants, et cela au détriment de relations individuelles plus enrichissantes, c'est nul !

Préférer la quantité à la qualité, comme je l'ai écrit récemment, c'est lamentable ! Totalement à l'opposé de mes valeurs et de mon style de vie. Voila pourquoi actuellement je rattrape mes correspondances en retard...

Pour autant il n'est pas question que je cesse d'écrire en ligne, parce que je sais tout les échanges que cela peut permettre. Mais j'ai envie d'écrire autrement. Moins souvent. J'ai réalisé que j'étais en train de me perdre dans la convivialité bloguienne, comme je m'étais perdu naguère dans celle des forums, ou antérieurement celle des tchats. Ces bouffeurs de temps libèrent la parole et la réflexion, certes, mais à condition de ne pas en devenir esclave.

Trop souvent je passe du temps sur internet à absorber ma dose de communication. Je me dilue dans une illusion de diffusion d'idées. Or je redoute l'effet microcosme, qui s'auto-encourage au point de risquer l'endogamie.

Les affinités présentent le risque de l'assoupissement immobilisant.
Toute relation tend à s'installer dans une routine confortable si on n'y prend garde. Celle que j'ai avec mon lectorat de blogueurs n'y échappe pas. "Mon lectorat", cette entité informelle et immatérielle qui évolue sans que je ne m'en aperçoive. Que sais-je de ce qu'il est dans sa diversité ?



Finalement je me demande si je ne préfère pas les yeux qui parcourent silencieusement mes écrits, et en particulier sur ce journal. Au moins je n'attends rien de ces présences muettes, qui ne manifestent aucune attente. Je ne sais presque rien de vous, je vous oublie, et suis plus authentique. J'aime cette idée de lecteurs non-identifiés, s'exprimant seulement de temps en temps, parce que le désir de le faire est suffisamment marqué pour faire l'effort d'écrire un mail personnel. Et puis ici vous êtes moins nombreux. Je crois que je préfère...

Moins je suis conscient de l'identité de mes lecteurs et plus je me sens libre dans mon écriture introspective. J'aime vous oublier. Oublier qui je connais...
Le système du blog me semble un peu pervers parce qu'il encourage au copinage en public. On n'écrit pas un commentaire seulement à l'écrivant, mais on sait qu'il sera lu par d'autres. Système de clan. Cette double lecture a des effets induits qui ne me semblent pas négligeables sur l'authenticité. Je préfère alors les commentaires "privés". 

J'apprécie les commentaires gentils, encourageants, les soutiens, les clins d'oeil... mais pas trop en public.
C'est pour cela que je m'interroge sur le principe d'un blog convivial "entre amis". Au moins l'objectif serait clairement identifié. Mais par ailleurs, je me demande si j'y trouverais satisfaction...

Ouais... finalement la convivialité des blogs me pose problème. C'est sympa, mais...

Ou alors c'est que je n'ai pas encore trouvé la bonne place, celle qui me convient.


Plus silencieuse, peut-être ?







Délimiter l'intimité




Lundi 26 juin


La relecture de mon texte précédent me permet d'affiner un peu mon propos. Je réalise que ce qui me dérange avec les commentaires publics, sur un blog, c'est que je les ressens comme incompatibles avec mon expression de l'intime.

L'intime, même par écrit, même sur internet, reste pour moi de l'ordre de la confiance et de la relation à l'autre. Même si j'écris en public et me sais lu par "les lecteurs", en fait c'est à chaque fois une relation de personne à personne qui s'établit. Vous ne me lisez pas en groupe, tous agglutinés derrière un seul écran [poussez-vous j'vois rien !], mais chacun seul en face de mes écrits. Certains tutoient ainsi LEUR lecteur, bien s'ils soient plusieurs.

Toi qui me lis, là, en ce moment, tu es seul(e) en face de moi. Mes écrits et ta lecture c'est notre relation, et elle est intime... Même si la plupart du temps ce lien est à sens unique d'expression. Mais si tu as envie de me dire quelque chose, tu peux m'écrire, et ça restera privé entre nous. Personne ne saura que nous avons ce lien, ni quelle en est la nature. Sauf des amitiés très proches, peut-être, si cela n'a rien de potentiellement compromettant.


Sur le blog ce lien "unique" n'existe plus dès lors que les commentaires sont pluriels. Nous sommes au minimum le nombre de commentateurs, plus moi l'écrivant. C'est une relation groupale. Et l'intimité d'un groupe, si elle peut exister, est fort différente de celle des individus. Un groupe c'est un système relationnel où chacun a une place. Via les blogs on se "connaît", on s'entrelit, et ce microcosme peut générer un sentiment d'exclusion (non-inclusion) chez ceux qui ne se sentent pas en faire partie. Et ça, ça me dérange... Je n'ai pas envie de paraître faire partie d'un petit clan fermé. Je suis d'ailleurs ambivalent entre la convivialité du groupe, aussi informel soit-il, et la place individuelle. C'est autour de cette problématique que tournait ma réflexion sur un hypothétique blog d'accès restreint.

Mon carnet-blog, tel que je le conçois et l'avais imaginé, est orienté à la fois vers le factuel et le réflexif. C'est d'ailleurs cette double orientation qui me pose un problème de délimitation : 

- Le blog factuel, généralement d'ordre anecdotique, peut donner lieu à des commentaires de sympathie et de convivialité. On est dans l'affectif, "entre copains" qui se connaissent par interlecture et chacun raconte sa p'tite vie, avec ses joies ou ses malheurs.

- Le blog réflexif serait plutôt de l'ordre de l'essai, au sens littéraire: développer librement un sujet tout en y apportant une réflexion personnelle. Je peux y rendre compte de mes avancées, mais en tentant de les exprimer avec une portée généraliste. Une sorte de blog d'opinion basé sur le vécu. Les opinions c'est commentable... mais pas dans l'affectif.
Lorsque j'expose une réflexion les commentaires m'intéressent, ainsi que les prises de position ou les controverses qui peuvent apporter des enrichissements à tous. J'aime beaucoup les débats d'idées. Mais ce n'est plus vraiment un lieu pour le copinage. Je le vois plutôt comme un espace ouvert à tous, connus et inconnus. A la limite, je préferais que tout ce qui se passe "off" ne transparaisse pas. Ou peu. Pas d'affectif dans les débats d'idée !


Ces deux options sont donc hors de l'intime, même si elles sont dans le "personnel". Elles sont publiques, tandis que l'intime doit rester privé.

Le blog intime... ça me semble fragilisant. L'intime touche de très près à l'affectif. C'est une zone sensible. L'expression intime touche la part émotionnelle du lecteur, et ce d'autant plus que le dévoilement de l'écrivant est soutenu. C'est tout l'enjeu de l'écriture intime en ligne...
L'intime n'est pas une opinion, mais un ressenti éminemment subjectif. C'est cette intersubjectivité écrivant/lecteur qui peut donner lieu à un échange, un partage. Mais pas en public.







En mouvement




Vendredi 30 juin


Je ne sais pas si c'est un contrecoup après mes derniers textes, mais je me sens loin de l'écrit et du cybermonde... C'est plus probablement parce que mon emploi du temps s'est densifié, réduisant considérablement mes soirées.

Oui, parce que tout d'un coup ça se met à bouger dans ma vie...

Le processus de séparation d'avec Charlotte, depuis longtemps enclenché, s'accélére et pourrait bien se concrétiser. Ce genre de choses peut être long à mettre en mouvement, mais une fois que c'est parti, ça va vite. Voila presque trois mois que nous avons mis en vente la vieille maison où je vis actuellement, et si les visites sont longtemps restées peu encourageantes, depuis un mois le rythme s'est considérablement accéléré. Il y a une quinzaine de jours l'agence immobilière que nous avions mandaté nous a prévenu du vif intérêt d'un jeune couple. Et hier nous avons signé le compromis de vente. Voila, c'est engagé...

Par ailleurs nous mettons en vente d'autre bâtiments, tout aussi anciens que la vieille maison. Et là encore il semble que nous ayons des acquéreurs...
Tout cela demande du temps pour les visites, des démarches, le passage de techniciens divers, les relevés de limites de terrain. Mais bon... c'est le côté anecdotique.


Ce qui compte, c'est que je me sens prêt, tout comme Charlotte. La période de transition (semi-séparation) nous a permis d'aller en profondeur en prenant le temps nécessaire à la déliaison et au détachement indispensable. Nous sommes psychiquement prêts depuis quelques mois, et attendions que les circonstances matérielles soient favorables.

En fait cela à demandé un important travail puisque nous nous séparons d'un patrimoine auquel nous étions attachés et pour lequel nous avions autrefois des projets communs. Cette vente marquera aussi le passage d'une étape décisive, et bien plus significative: la véritable séparation du couple. Déménagement de Charlotte, avec dissociation de ce qui était encore en commun. Notamment les finances : je dois être indépendant dans quelques mois, puisque le divorce suivra.

Les fruits de plusieurs années de travail introspectif sont donc prêts à être cueillis. Auparavant générateurs d'angoisses, d'insomnies, d'un malaise nauséeux, insupportables d'acidité et d'amertume parce que trop verts, les actes à poser ont maintenant bien mûri. Le détachement semble pouvoir se faire sans difficultés majeures. Ça ne sera sans doute pas totalement indolore, mais je pense que nous le faisons dans les meilleures conditions possibles. J'avoue que j'en suis plutôt fier...


Ainsi, après quelques années passablement troublées, particulièrement intenses émotionnellement, le calme semble avoir peu à peu repris ses droits dans nos existences. Pour moi le dernier point noir est tombé au début du mois, avec la pacification de ma relation avec nathalie. Je suis désormais en paix avec les personnes qui comptent dans ma vie. Je suis aussi en paix avec moi-même. Ça vallait la peine de faire tout ce "travail"...





Mois de juillet 2006