Mars 2009

Dernière mise à jour:samedi 4 avril 2009 - Accueil - Message






Décalage


Mercredi 4 mars


Je pense souvent à l'investissement, en temps passé, qu'il m'arrive encore de consacrer à l'écriture sur internet. Il a pu être considérable, s'est réduit progressivement, mais reste important. Je sais que cet indispensable temps d'expression-réflexion est aussi, pour une bonne part, une recherche de substance et de sensations, via des échanges. Or ce que je trouve dans ce registre m'insatisfait de plus en plus. Parce que je voudrais davantage. En vrac : je voudrais des échanges plus fréquents [tout en me sentant libre], plus profonds [tout en restant légers], plus vibrants, plus drôles...

Je reconnais donc me sentir souvent frustré, quoique maintenu captif par les moments de satisfaction que je trouve suffisamment régulièrement. La raréfaction du plaisir ne le rend que plus attirant... Vous avez dit addiction ? Ouais, il y a un peu de ça...

Mais il se peut aussi que j'ai fait le tour de ce que je pouvais partager de mes sujets de prédilection. La redondance n'apporterait plus de quoi stimuler les réflexions...

Je crois que je devrais revenir vers la consistance roborative des livres, suivre les ouvertures éclairées qu'ils proposent. Explorer de nouveaux horizons. J'en ai envie... mais sans le faire vraiment.

De la même façon j'aimerais, mais sans le faire davantage, investir autrement le temps que je consacre au relationnel. Je ne sais pas trop comment procéder ni en quoi je pourrais aller vers quelque chose de plus... concentré. Plus pertinent. Sur internet ça consisterait à revenir vers une forme de communication plus confidentielle. À l'écart d'un public trop perceptible. Je trouve que la formule blog, quoique potentiellement enrichissante grâce aux commentaires, s'alourdit aussi de son interaction publique. J'y perçois un aspect aliénant et me sens parfois soumis à une forme de dépendance : l'attente des commentaires. Beurk ! je déteste ça et ne réussis pas toujours à éviter d'être happé.

Mais il n'y a pas que ça : la distorsion qui fait que, dans mes écrits, je ne me vois pas conforme à ce que je pense être me dérange. L'image est faussée. Le problème c'est que j'en suis l'auteur...

Puisque c'est par le regard des autres que je prends conscience de ce que je suis, c'est aussi par ce biais que peut m'apparaître un décalage éventuel entre ce que je crois être et l'image que les autres me renvoient de moi. Or je constate que leur regard, surtout pour ceux et celles qui me connaissent depuis longtemps, est souvent plus favorable que le mien [mais pas toujours !]. Mes mots seraient-ils trompeurs ? Et qui tromperaient-ils ? Et si, au contraire, les regards extérieurs étaient plus justes que celui que je porte sur moi ? On me voit parfois plus fort que je le crois et je me demande si j'ai vraiment conscience de ce que je suis devenu à force de cogitations...

Sans vouloir me complaire dans une autosatisfaction gênante je dois bien reconnaître que j'ai acquis une certaine consistance, et peut-être même une relative hauteur de vue sur l'existence et les relations affectives. Je me sens reconnu dans cette conscience par différents cercles de connaissance. Sauf que j'ai tendance à réagir... comme avant ! C'est à dire que, fréquemment, je doute encore de moi : je ne suis pas suffisamment sûr de mes observations et constatations. Dans la vie courante je m'en accomode puisque ma discrétion fait que je ne m'expose pas, mais dans les écrits que je vous jette à la face je ressens le besoin d'affirmer ce que je ne cesse de redécouvrir. Comme s'il me fallait m'en convaincre autant qu'en convaincre les autres ! D'où ces redondances explicatives, particulièrement perceptibles dans mes écrits. Or les autres, qui ne semblent pas douter de moi, n'en ont nul besoin...

Pour relativiser l'importance de ce qui précède je me dois de dire que dans la vie réelle je ne suis pas autant focalisé sur les sujets que j'aborde par écrit. Je n'en parle quasiment pas ! Je crois être beaucoup plus éclectique quand il s'agit d'échanges directs.

Alors ? qu'est-ce qui peut causer ce décalage ?

J'ai une petite idée là-dessus : dans mes écrits publics j'ai l'impression de rester imbibé d'un certain passé. Comme si une part de moi restait accrochée à une période de ma vie bien particulière, entortillée autour de thématiques relationnelles, coincée dans des problématiques affectives pourtant largement élucidées. C'est agaçant...

Bien qu'occasionnellement soumis à de légers remous résiduels, je suis désormais loin des affres des questionnements torturants. Alors pourquoi parler autant de ce qui ne me concerne plus vraiment ? Qu'est-ce qui cherche à se dire ? Me serais-je, au fil des ans, identifié au personnage né de mes tribulations sentimentales ? Confondu avec mon personnage autobiographique ?

Peut-être bien...

Mais je ne suis pas celui que j'écris.





J'veux pas qu'on m'aime !




Dimanche 8 mars


Petite crise d'écriture. Quelque chose cherche à trouver sa place. Probablement parce que quelque chose change, ou a changé récemment. Bah... ça se placera le moment venu...

Je serais bien tenté de continuer à m'épancher publiquement sur mon carnet, et bénéficier ainsi d'éventuels commentaires potentiellement enrichissants pour une hypothétique réfléxion partagée, mais je pressens que je n'y trouverai pas satisfaction. Je ressens un manque de consistance [la mienne] et de concentration sur cet espace ouvert à tous les vents et tous les sujets. Je préfère donc revenir, du moins pour le moment, vers mon journal plus confidentiel. Il a au moins une limite claire et reposante : l'absence d'interaction publique. Ici j'écris sans rien attendre [mais je reçois parfois...]. Quant à son contenu il est depuis longtemps orienté vers l'observation des relations affectives.

Et puis finalement je crois que je vais pouvoir retrouver ici cette liberté d'écriture qui m'avait manqué après un mémorable torpillage sentimental. Plutôt que de déserter progressivement cet espace trop chargé d'histoire j'ai envie de le réinvestir en l'actualisant. Le temps a passé maintenant. Avec les changements, les rencontres, les voyages, la solitude... la cruelle absence qui m'a tant déstabilisé jadis est devenue compagne de route. Pas désagréable, cette présence en serait presque douce ! Après avoir traversé toute sorte de sentiments, du chagrin à la colère en passant par les désillusions, c'est tout naturellement qu'un autre regard a fini par s'ouvrir dans le nécessaire détachement. Dans l'acceptation [ooufff le mot est lâché]. Il m'a permis un recul sur les évènements, élargissant la vision d'ensemble. Les détails du passé ont perdu de leur importance et, surtout, de leur charge émotionnelle.

L'envie me vient donc de continuer dans l'esprit de ce qui fut, un temps, quête commune : observer, tenter de décrypter et décrire l'évolution des relations affectives "libres" - la libraimance. J'ai envie de reprendre le flambeau là où il s'est éteint. Poursuivre les recherches. Et peu importe que ce soit en solitaire puisque désormais je pense avoir suffisamment d'expérience relationnelle pour cela. De toutes façons je ne suis pas seul...


La libraimance, donc...

Concept relativement simple en théorie, nettement plus complexe à mettre en pratique, la libraimance tient de l'oxymore et du paradoxe : aimer c'est, d'une façon ou d'une autre, se lier à quelqu'un, donc perdre une part de liberté. Vouloir aimer tout en restant libre peut rapidement conduire vers une démarche égocentrée, peu compatible avec l'idée d'altérité qu'implique l'amour. Je ne m'y sentirais pas à l'aise...

Bon... a ce moment de la rédaction je me suis interrompu pour aller farfouiller dans de lointaines archives afin de retrouver les traces de l'élaboration du concept de libraimance, auquel j'avais modestement participé. Je m'étais immédiatement retrouvé dans les mots de son auteure et le déroulement de mon existence, depuis ces années lointaines, me confirme que cette identification conceptuelle n'avait rien de la lubie temporaire. Bien au contraire puisque, les années passant (et un peu par la force des choses), je vis de plus en plus conformément au concept relationnel qui m'avait séduit.

Hum... j'ai bien retrouvé un texte qui décrivait très précisément ce que je voudrais élaborer aujourd'hui mais je ne tiens pas à réveiller d'éventuelles réactions cataclysmiques de son auteure si elle venait à lire ces lignes. Et puis il n'est pas inutile que j'élabore par moi-même ma conception des choses...

Libraimance, (re)donc...

C'est quand même curieux de voir à quel point les souvenirs des mots passés sont restés présents. Actuels comme si c'était hier. Et pourtant, habituellement, je me garde bien d'y replonger : je m'abstiens de relire textes et courriers. J'ai cessé de lire les écrits contemporains. Rien, aucun contact. Coupure totale avec tout ce qui pourrait être concret. Immatérialité absolue. Pas touche ! Mais ça n'empêche pas le cerveau de fonctionner...

Eh oh, tu vas parler de ton sujet ou quoi ?

Ah oui, la libraimance ! Oups...

Je dis souvent que la liberté consiste à choisir ses contraintes. Or aimer (au sens large : être affectivement lié), d'une certaine façon, crée des contraintes. Même si elles sont adoptées avec plaisir, tenir compte de l'autre, respecter sa différence, essayer de s'adapter à son rythme, à sa façon d'être, tenter de répondre à ses demandes... c'est autant de contraintes qui empiètent sur la liberté du solitaire. Contraintes dont la libre acceptation est offerte à l'autre.

C'est dans ce don que se caractérise à mes yeux l'amour porté à l'autre. Ce don n'est pas quantifiable mais posé comme intention. Une forme d'attention portée vers l'autre, tout en tenant compte de soi afin de ne pas s'égarer dans l'excès. A donner "trop" (= davantage que ce que l'autre ne peut donner en retour) il y a risque de créer une dette...

Ainsi "trop" aimer c'est mal aimer. Et pour ainsi dire cet excès n'est plus de l'amour, mais de la demande d'amour...

C'est ce qui me conduit à dire, actuellement, « j'veux pas qu'on m'aime ! ». En fait j'apprécie qu'on m'aime... tant que cela ne génère pas de dette. Je ne veux pas qu'on me donne davantage que je ne peux donner, surtout si c'est en attendant (exigence) quelque chose de précis de ma part. Quand je dis que je ne veux pas... je n'ai pas vraiment le pouvoir de choisir ou de refuser. Je fais avec. Mais ça peut me poser des problèmes de conscience puisque je ne suis pas insensible à ce que vit l'autre. D'autant moins que je suis affectivement lié...

« Affectivement lié », ça veut dire quoi ?
Ça veut dire que je me sens concerné par ce que vit l'autre, que ses ressentis m'intéressent, que son bien être m'importe. Ça veut dire aussi que je préfère apporter du bien-être que du mal-être à cet autre et que je vais m'efforcer de rester dans le premier registre sans entrer dans le second. L'objectif final étant, je ne me leurre pas, que cet autre en étant heureux me renvoie quelque chose de positif et bienfaisant. J'aime savoir que j'apporte quelque chose d'agréable à l'autre. Il ne s'agit donc pas d'altruisme désintéressé, mais de contribuer à établir un cercle vertueux où chacun donne et reçoit de l'autre. Théoriquement pour la satisfaction des deux.

Je suis donc sensible à ce que vit l'autre avec moi et supporte mal son éventuel mal-être. Je suis sans doute encore trop dans la sympathie, plutôt que d'être dans l'empathie. C'est probablement un handicap, et en tout cas une complication pour moi : par crainte d'entrer en résonnance avec la souffrance de l'autre je me maintiens à une certaine distance. Je reste sur la réserve. Je pense trop à l'autre et aurais facilement tendance à surprotéger. À tel point que j'extrapole et anticipe, projetant mon mode de réaction sur l'autre... Tout cela peut avoir un côté inhibant, avec un désir subconsient de contrôle. Donc je sens bien que ce n'est pas bon.

C'est cette complication à vivre simplement les relations affectives qui me conduit à me tenir bien à l'écart des plus intenses d'entre elles : les relations amoureuses.

J'ai pas envie d'être amoureux et redoute qu'on le soit de moi ! Parce qu'être amoureux reste, à mes yeux, une situation potentiellement génératrice de souffrance lorsque l'investissement amoureux n'est pas réciproque, ou pas équivalent [dans le cas contraire c'est évidemment génial... tant que ça dure].

Cependant j'aime...

Outre mes enfants, parents et autres collatéraux familiaux, j'aime celle avec qui j'ai partagé la plus grande part de mon existence. J'aime aussi, à tous les degrés imaginables, des hommes (rares) et femmes (nombreuses) avec qui s'est développé un lien affectif. Parmi ces femmes il y a des confidentes-amies au sens strict, c'est à dire sans rapport au corps, et d'autres avec qui un partage physique est, a été, ou sera désiré [des noms ! des noms !]. Il y a aussi des femmes, indépendamment du critère précédent, avec qui est, a été, ou sera possible l'existence de sentiments, d'attirance, de séduction, révélés ou pas. Je n'établis pas de distinction : j'apprécie chaque type de relation.

C'est là que le concept de libraimance commence à prendre son sens : j'aime au pluriel et de façon différente. J'ai besoin de ne pas me sentir limité dans des registres prédéfinis, même si bien des complications viennent précisément de l'absence de limites précises... Au contraire, ce travail autour des limites m'intéresse lorsqu'il se présente ! J'ai alors besoin de pouvoir explorer les zones de flou et d'entre-deux. J'y trouve du plaisir parce que j'y rencontre ce qui, chez l'autre, chez moi, est dans l'essentiel. Au coeur de nos intimités respectives. On y interroge les représentations de chacun : c'est quoi pour toi l'amour, l'amitié, le désir ? Et comment tu le vis ? Dans les réponses hésitantes qui s'élaborent, là où les certitudes sont ce qu'il y a de moins intéressant, apparaissent les valeurs personnelles de chacun : qu'est-ce qui est fondamentalement important pour soi ? Sur quoi est-on prêt à évoluer et qu'est-ce qui reste immuable ? Bref : de quoi est-on fait ? Je peux ressentir un vif plaisir dans ces échanges, et parfois une émotion troublante par la fragilité qui s'y dévoile.

Cette quête de connaissance [co-naissance] ne peut s'élaborer que dans une diversité de situations. Savoir comment une unique partenaire le vivait s'est révélé être trop limité pour moi, j'en ai fait l'expérience. Ensuite, après la grande désillusion, j'ai eu besoin de partager avec plusieurs femmes et me voir réagir en différentes circonstances. Le célibat m'offre désormais cette chance de rencontrer, au fil des circonstances, différents types de relations, plus ou moins poussées. Je ne cherche pas vraiment ces prolongements ni ne les provoque mais me laisse facilement emporter lorsqu'ils se présentent. Cette liberté m'est plutôt agréable. Je ne pourrais pas vivre cela aussi librement si j'étais en couple.

Ah, le couple ! Je ne sais pas vraiment ce que représente pour moi l'idée de couple, actuellement, mais ce que je sais c'est que je ne veux rien qui puisse y ressembler. Rien qui soit "installé". Vivre des relations, oui, mais sans que l'habitude puisse y prendre place. J'aime sentir que rien n'est acquis [même si mes craintes se situent précisément là...]. Et si je considère qu'une relation demande un "engagement", je le conçois comme un engagement de soi, pas comme un engagement à durer. La différence est de taille et fait, à mes yeux, toute la différence avec ce que je mettais autrefois derrière le concept de couple.

Ce refus du couple n'est pas une fantaisie mais un besoin. Besoin de me sentir libre d'aimer à divers degrés et sous différentes formes. Besoin d'expérimenter et de me mettre à l'épreuve, probablement. Besoin de séduire aussi, même si j'ai quelques difficultés à me l'avouer... Mais je m'efforce toujours d'agir dans le respect de l'autre, autant que je puisse avoir conscience de ce que cela implique. C'est pourquoi je ne cache pas en quoi consiste ma démarche, quitte à recevoir des critiques et remontrances pas toujours agréables. Quitte à ce que cela mine un peu la relation et sape la confiance qui pourrait mener vers quelque chose de plus fort...

Cependant j'agis, comme toujours, en mon âme et conscience. Je reste attentif à ce que je ressens intuitivement et me fie autant à ce guidage qu'a ce qui m'est dit et montré.

Dans le néologisme "libraimance " j'aime bien le terme "aimant". Le terme "ami" est plus restrictif, voire ambitieux. Celui d'amoureux, lui, est vraiment caractéristique d'un état transitoire et exceptionnel. "Amant" fait surtout penser à la dimension sexuelle. Quant à "aimer", c'est d'un sens beaucoup trop large et ambigü pour que je l'emploie sans précautions. Tout au plus pourrais-je dire « je t'aime bien », « j'aime ce que tu es », « je t'apprécie », « j'aime ce que je vis avec toi ». Ou encore « je te désire » [mais ça je le dis pas...]. Dire un simple « je t'aime » présente beaucoup trop de risques de projections et représentations disproportionnées. Tant pis pour les romantiques ou adeptes de relations d'amour intensément passionnelles ! Bien souvent je préfère ne pas employer des mots trop restrictifs.

Ma façon de vivre les relations est donc plurielle, intermittente et fluctuante. Mes liens affectifs sont nombreux et divers. Tous différents. Tous importants, à divers degrés. J'ai besoin de cette diversité relationnelle... et aussi de temps en solitaire. Tout cela ne peut se vivre que dans une forme de liberté ! 

Cependant je ne me reconnais pas seulement dans le concept de libraimance : il y a aussi celui de polyfidélité. C'est à dire que je me considère fidèle aux relations : je ne coupe pas de liens ni ne rejette personne [ou alors faut vraiment le chercher !]. Je désire rester ouvert et partager des préoccupations communes. Prêt à retrouver, eventuellement, ce qui s'est atténué avec l'espacement des contacts. J'additionne et ne soustraits pas. C'est cette spécificité qui peut rendre complexes mes relations. D'une part parce que je ne dispose pas d'un temps étirable, d'autre part parce que les préoccupations de chacun évoluent. Dès lors, comment rester en lien actif avec toutes les relations ? Est-ce envisageable ? utile ?

Je commence à réaliser que les éloignements sont inévitables et qu'ils font partie du processus vital. Il n'y a pas de place pour tout et seuls les liens les plus vivants dominent. C'est quelque chose que je dois intégrer et accepter. Peut-être pourrais-je alors me laisser aller à vivre plus librement le présent ? Je sais mal vivre les pertes et abandons et n'ai, après la répétition d'expériences douloureuses, rien trouvé de mieux pour m'en préserver que de me maintenir à une certaine distance affective.

Malheureusement cette distance de protection semble être de nature à précipiter ce que je redoute...





Est-ce normal, docteur ?




Samedi 28 mars


Rendez-vous mensuel chez ma psy, hier. Une fois de plus, dans la salle d'attente, je me dis que je pourrais peut-être en rester là et arrêter après cette séance. Je me sens vivre selon mes désirs, sorti des tourments existentiels, à peu près en phase avec mes aspirations. C'est dans cet état d'esprit que j'entre dans son cabinet et m'assied face à elle, souriant d'avance de ce *rien* que j'apporte avec moi. Je lance quelques mots, hilare : « j'ai un problème... c'est que je vais bien ! ». Mais sur cette boutade se greffent rapidement des amorces de pistes, qui s'assemblen en un fil directeur. Et c'est parti pour le flot quasi ininterrompu de paroles...

Je crois qu'écrire la phrase « j'veux pas qu'on m'aime », par son côté incongru, a eu un effet sur moi. J'y ai souvent pensé ces derniers temps, avec l'envie de préciser. J'veux pas qu'on m'aime trop. J'veux pas qu'on souffre de m'aimer... J'veux pas qu'on attende de moi quelque chose que je ne pourrai pas donner. Syndrôme du sauveur contrarié... quand mon envie d'aide et de présence se transforme en refus d'aller trop loin.

Alors cette question m'est venue, que je savais absurde : « est-ce que c'est normal de ne pas avoir envie d'amour ? ». Ça semble tellement important, à tant de personnes, d'aimer et d'être aimé au sein d'une relation. Évidemment ma psy, qui n'aurait pas été dans son rôle si elle avait répondu à ma question, est restée silencieuse...

J'ai pas envie d'être *amoureux*. C'est pas là. C'est fermé. Ce n'est pas une question de personnes mais d'indisponibilité à ce genre de sentiments. Y'a pas de place pour ça. Probablement parce que la place n'est pas encore libérée... mais le pire c'est que ça n'a aucune importance ! Quelque chose s'est arrêté dans ma progression et j'ai ressenti l'impérative nécessité de "travailler" sur ma façon d'investir la relation sentimentale. Tant que je n'aurais pas résolu, clarifié, précisé ce qui a pu me mettre en grande difficulté je n'irai plus vers des situations pouvant me mettre en danger. Dans ces circonstances je ne désire tout simplement pas ressentir le sentiment amoureux. Je n'en veux pas !
En revanche je peux ressentir un désir d'approche, d'échange, de partage, de tendresse, de sensualité, de sexualité. Tout ce qui peut caractériser une relation amoureuse, mais sans la dépendance. Le cérébral fonctionne, le viscéral est devenu opérationnel, mais au détriment d'une partie du coeur, en berne. Je peux être dans des liens affectifs de toute nature, je peux aimer... mais sans être amoureux.

Peut-être que d'être de plus en plus à l'écoute de ce qui est de l'ordre du désir, du pulsionnel, de l'intuitif, fait que les sentiments, potentiels parasites, restent en veilleuse ?

Hasard bizarre : alors que je me vois dans cet état d'incapacité amoureuse, il semble que j'attire des coeurs féminins comme jamais. Est-ce parce que mon inaccessibilité me rend attirant, par l'effet bien connu des contradictions internes ? Ou au contraire est-ce mon statut libre de célibataire qui est en cause ? Est-ce parce que, n'ayant plus trop de craintes personnelles, je suis plus réceptif aux signaux émis par la gent féminine ? Est-ce parce que je ne place plus d'enjeu excessifs sur les relations qui se développent ?

Quelles qu'en soient les raisons, je me découvre désormais capable de vivre ma curiosité naturelle vis à vis du féminin. Étroitement circonscrite pendant mes années de conjugalité, restée très longtemps apesantie après avoir pris en pleine poire le mur de mes immatures illusions, mon attirance vers les femmes semble enfin atteindre l'espace de ses possibilités. C'en est presque grisant...

Est-ce normal de vouloir le vivre sans élan amoureux ? Si je fais ce choix, largement inconscient, c'est probablement parce que ça m'est préférable. Un pas de plus vers la liberté.





Affermir l'assurance




Lundi 30 mars


Il y a quelques mois j'ai écrit ici que mon écriture avait des aspects régressifs. En me livrant à une pseudo autoanalyse, pervertie par la présence - réelle ou supposée - de regards plus ou moins impliqués, je pense que j'essayais d'agir sur ce dont je parlais. Une fois compris ce mécanisme, qui a eu son utilité antérieurement, j'ai pu commencer à prendre du recul par rapport à cette pratique. Quelques mois de silence m'ont fait le plus grand bien en marquant une sorte de coupure.

D'un autre côté j'écris régulièrement sur mon Carnet, qui présente une certaine porosité avec le journal tout en étant nettement distinct dans mon esprit. Le silence qui règne ici contraste avec le bruissement constant des commentaires là-bas, qui s'égarent parfois dans une convivialité légère et chahuteuse. Deux espaces différents pour deux écritures. Deux ambiances, voire un peu plus puisque sur le Carnet j'ai parfois des difficultés à faire cohabiter sujets *profonds* et copinage en public. Il y a parfois un grand écart entre les deux... Mais après tout, pourquoi pas ? Cela correspond aussi à ce que je suis, en juxtaposant des éclairages partiels. Quelques unes des facettes qui me composent.

Cependant je me rends compte, notamment au cours de certaines discussions, ou durant ma formation à l'entretien relationnel, ou encore lorsque je lis des ouvrages spécialisés, que j'aspire à un réflexion-expression plus approfondie. Quelque chose de plus dense, plus étayé... et surtout nettement moins égocentré. Sans pouvoir affirmer que j'ai fait le tour de mon nombril, je commence à quand même bien le connaître... Je ressens beaucoup moins le besoin d'écrire ce que ma voix à trop longtemps retenu. Le temps est venu de conforter une estime de moi qui a atteint un niveau correct, seulement parasitée lorsqu'il y a une saturation des ressentis émotionnels.

Je crois que j'ai beaucoup avancé ces derniers mois. C'est resté sous silence. Je n'avais rien de particulier à en dire puisque je n'étais plus dans une recherche ni une autopersuasion, mais dans un état d'être. Résultat, incontestable, d'années de cogitations autour d'une souffrance rendue utile par son rôle moteur pour de nouvelles stratégies de vie. La connaissance de certains comportements psychiques humains, expérimentés et observés sur moi-même, me sont devenus fort utiles pour mieux comprendre autrui. Je m'en rends compte pendant mes sessions de formation, où ce bagage m'est précieux.

En fait je crois qu'il ne me manque plus que l'assurance qui me permettra d'affirmer avec conviction ce que je sens souvent s'estomper en présence de personnalités plus assurées que moi. Vestiges encore présents d'une autorité paternelle redoutée... Il me manque la conviction, nuancée par le doute, alors que j'en suis encore à douter de mes convictions.


(mis en ligne le 4 avril)




Mois de avril 2009