Mai 2008

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Écriture, virtualité, et délivrance




Jeudi 1er mai


Allez, encore un petit coup de théorisation abstraite, froide et désincarnée, comme je sais si bien faire. Et puisque c'est égocentré, je le dépose sur ce journal plutôt que sur le Carnet.


Souvent j'entends parler du besoin d'écrire, comme s'il s'agissait de quelque chose de vital. À quoi correspond ce besoin lorsqu'il s'agit d'écriture autobiographique ? Est-ce une libération ou une aliénation ? Et qu'en est-il lorsqu'il s'exerce sur internet ? Est-ce simplement un désir d'expression ? ou un besoin de reconnaissance ? une tentative de communication ? Vis à vis de qui ? Soi ou l'altérité du lectorat ? Moi, toi, nous...

Oh la laa, que de questions !

Je m'interroge parce que, sans ressentir véritablement un besoin d'écrire, je m'y mets souvent sans chercher à y résister, tout simplement parce que... ça me fait du bien [quoique...]. Mais c'est aussi en anticipant sur une prévisible frustration en cas d'abstention. La frontière entre le désir et le besoin n'est donc pas vraiment nette...

Toujours est-il que je préfère ne pas me retenir. D'ailleurs, lorsque je ne peux pas écrire comme je le voudrais à cause d'un emploi du temps sans case vide, il me manque quelque chose. J'ai l'impression de vivre plus superficiellement parce que j'avance dans ma réflexion sans pouvoir en graver la trace. Je ressens donc moins, émotionnellement parlant, les choses dans les domaines qui m'intéressent. À savoir... euh... tout ce qui peut me faire avancer dans ma quête existentielle du moment.

J'ai l'impression qu'écrire dans l'idée d'évoluer m'est un acte nécessaire, tout en sachant qu'il est insuffisant. À la fois délivrance et gestation de futures réflexions, je m'y trouve autant que je m'y perds. Cette ambivalence me laisse perplexe. J'aimerais être capable de seulement noter les points essentiels [voire des traits de génie...] comme autant de traces d'une avancée sur des repères dépassés, mais je m'égare trop souvent dans une narration-explication-réflexion qui me porte toujours plus loin dans le raisonnement. Et ce, peut-être, jusqu'à la déraison...

Cela d'autant plus que je me sens coincé dans des pensées labyrinthiques, à la recherche d'une porte de sortie.

Écrire me permet de poser les jalons de ma pensée en mouvement, mais ouvre sans cesse à d'autres explorations inattendues, telle une arborescence infinie. Par expérience je sais que ce n'est pas un processus vain : l'écriture prépare mes actes à venir, leur donne un sens au présent ou les conceptualise a posteriori. C'est une écriture de l'agir. Cependant elle reste longtemps dans une potentialité car seuls mes agissements attestent de l'intégration réelle par ma pensée. Les actes sont indissociables de la pensée, et réciproquement, l'un sans l'autre étant inopérant ou vain. Voila une des principales illusions quant à l'efficience immédiate de l'écriture qui se veut outil de connaissance de soi. Illusion d'autant plus redoutable qu'elle s'infiltre dans l'interface féconde du pré-conscient. Il y a là tous les ingrédients pour surfer avec une dissociation de la réalité : croire vraiment que ce que l'on écrit de soi est réellement ce que l'on est. En d'autres mots : tromper sa propre conscience en croyant être déjà là où on n'est pas encore. Je ne suis pas certain qu'on puisse éviter ce piège, même en le connaissant. 

Quel est, dans cette illusion, le rôle du lectorat, et en son sein du lecteur, témoin individuel entrant plus ou moins en résonnance avec l'auteur d'un texte ? Par son approbation ou son désaccord exprimés, son mutisme le plus souvent, quel type de relation se joue au creux de ces confidences lancées envers un public disparate, à la fois globalisé et individuel ? Comment le moi interagit avec le toi en créant du nous ?

Je ne suis pas sûr qu'on le sache vraiment en ce qui concerne l'expression-communication internautique. Le peu que j'ai lu sur le sujet laisse entendre que le psychisme aurait bien des difficultés à ne pas se leurrer, face au manque de symbolique de ce monde cérébral.

Cependant cela existe déjà dans la pensée en solitaire, qui manque d'apports extérieurs. Quant à l'écriture pour soi, elle permet d'aller un peu plus loin, mais reste un processus endogène. L'échange, au contraire, même désincarné, grâce à la rencontre des idées de l'autre, oblige à aller au delà du confort illusoire de l'accord avec soi-même; oblige à la remise en question des acquis précédents; oblige au changement permanent. Encore faut-il dialoguer avec des personnes qui soient porteuses de différences, tout en ayant suffisamment de points de concordance.

En certaines circonstances communiquer peut être inconfortable et laborieux, parce que c'est un cheminement sans fin. A contrario, le confort d'un état stable et harmonieux tant recherché par l'humain, ne risque t-il pas d'être stérilisant pour la pensée qui, pourtant, le caractérise ? « Pourquoi sommes-nous si réticents devant le changement, alors qu'il est l'essence même de la vie, en perpétuelle évolution », me demandait récemment une amie ?

Euh... la réponse est certainement complexe. Pour ma part une quête de l'au-delà de ce que je sais m'anime, me stimule et me fait vivre. D'où ces interminables réflexions existentielles [dont je ne doute pas une seconde que vous vous délectez]. Je comprends que d'autres ne souscrivent pas à cette recherche quand elle ne leur est pas nécessaire. Il m'arrive de m'y épuiser lorsque je suis assailli de questionnements croisés et que le manque de certitudes, ou du moins de balises stables, ne me permet pas de reprendre pied.

Des épisodes de ce genre reviennent périodiquement, par accumulation d'idées en tension, entrecroisées et interdépendantes : il faudra que quelque chose cède quelque part dans mes convictions pour que le mécanisme se débloque.

La tentation de l'écriture comme révélateur d'idées enfouies me vient alors. Pour moi... toi, nous. C'est ce qui se produit par vagues sur ce journal, et dans une moindre mesure sur mon Carnet. Mais ce besoin (?) de passage par les mots sous d'autres regards n'entretient-il pas la quête infinie dont je désire à la fois la fin et la continuation ? En observant comment mon écriture et ma vie interagissent, est-ce que je ne fais pas durer ce qui n'existe que parce que je continue à l'écrire ? [oh foutredieu, en voila des questions à la mord moi le noeud !]. Ce besoin d'écriture délivrante n'est-il pas proche d'une addiction ?

Mais au fait... de quoi ai-je besoin de me délivrer ?


(à suivre...)







Aliénation délivrante



Dimanche 4 mai


Comme si j'avais encore besoin d'une preuve, mon dernier texte m'a permis d'aller au delà de mes réflexions écrites, du simple fait d'avoir tenté de les décrire au plus juste. Car un peu plus tard, sous la douche [moment privilégié de libre pensée], m'est revenu en tête ce que j'avais élaboré... et je l'ai trouvé incomplet, erroné, demandant à être précisé. Poser des mots - écrits ou parlés - est donc bien un moyen de découverte de soi (et de l'autre, par analogie).

C'est l'exploration de soi qui est délivrante et aliénante, et non pas l'écriture, qui n'est qu'un des outils qui permet ce travail.

Ce qui me ramène à ma question restée en suspens : de quoi ai-je besoin de me délivrer ?

Hypothèse de réponse : de ce qui m'empêche d'être... libre.

Mais libre de quoi ?

Libre... d'être. Libre d'être ce que je me sens être sans y parvenir. Ce qui veut dire, dans une logique aussi imparable qu'absurde, que je ne suis pas qui je suis [ben oui, apparemment c'est possible!]. Pensées et actes ne concordent pas suffisamment pour que je me sente confortable avec moi-même dans certaines circonstances. En fait, les moments où quelque chose me fait peur et me fait réagir comme un enfant. Surtout dans mon rapport aux autres, puisqu'il semble que ce sujet soit devenu celui qui me retient toute mon attention...

Je crois que plus je me délivrerai de mes peurs... et plus je me délivrerai du besoin de délivrance !

Donc... au travail !


Reprenons : [j'aime bien recontextualiser le récit...]
Depuis le début de l'hiver j'étais dans un équilibre serein. Heu-reux ! J'adoptais avec un certain plaisir la posture enviable du célibataire qui, quoique privé de relation affective privilégiée, ne se morfond nullement dans une triste et amère solitude. Cependant j'étais plutôt solitaire, me tenant à une distance confortable des relations. Le temps de continuer ma reconstruction, pour une part, mais aussi, je crois, parce que cela correspond à ma nature...

Ordoncques cet équilibre a vacillé il y a quelques semaines, lorsque je me suis de nouveau trouvé confronté à une relation amicale prenant une tonalité sentimentale. Cette tentative de rapprochement par des avances aussi déterminées que floues de la part de ma collègue ont ravivé mes craintes et désirs assoupis. Toute ma vigilance, aussi : alerte ! risque d'envahissement de mon territoire confortable, chèrement conquis ! Intrigué, curieux, j'ai néanmoins accepté avec prudence ce rapprochement. D'autant plus que nombre de ressemblances comportementales connues éveillaient des souvenirs sensibles.

Ce que je redoutais confusément est venu bien plus vite et plus fort que je ne pensais, me mettant dans une posture inconfortable : Artémis est devenue cassante, distante, fuyante [selon mes ressentis]. Il y avait beaucoup trop de similitudes pour que ne se remette pas en mouvement tout un passé qui reste en suspension. En hypercondensé je voyais se reproduire un scénario similaire à celui dont je parviens, non sans mal, à me... délivrer [et cette délivrance là n'est pas le moindre de mes objectifs !].

Je n'allais pas refaire avec Artémis les erreurs antérieures.

Ces dernières semaines n'ont donc pas été très agréables, émotivement et cérébralement parlant. J'ai été absorbé et ai manqué de disponibilité envers d'autres relations amicales infiniment plus simples. Mais bon, c'était aussi une façon d'évoluer. À chaque fois que quelque chose bouge, craque, tire, c'est le signe qu'il va de nouveau me falloir changer de repères, donc "travailler" sur ce qui s'était stabilisé auparavant. Brasser de nouveau le fond et troubler la limpidité de l'eau...

Pffff... j'en suis arrivé à être fatigué de ces cogitations perpétuelles. Ras le bol d'être pris [de me laisser prendre...] dans les problématiques des autres ! J'ai assez à faire avec les miennes et j'aimerais bien que les choses se stabilisent pour moi, hein !

Salutaire réaction de lassitude puisque, malgré une situation qui se fige dans l'incommunication, je sors déjà de cette période. Notamment depuis la colère vociférante qui m'a fait prendre conscience de ma trop grande capacité à endurer des comportements qui finissent par saper mon calme légendaire. Ce que j'appelle être "trop gentil"...

Je ne veux plus être gentil !
Je vais devenir méchant !! GrooaaAAaaaarrRRRr !

Meuh non : je veux simplement être... ce que je suis. Libre d'être. Mouais, c'est évident. Mais absolument pas simple pour un gars comme moi !

Surtout avec certaines personnes...

Tiens tiens... qui donc ?

Euh... les personnes à qui je voudrais plaire (ou ne pas déplaire, ce qui revient au même). Sans savoir précisément pourquoi je cherche à leur plaire...

En revanche je sais de quel genre de personnes il s'agit : celles qui représentent une part de ce qui me semble idéal [tiens, ça faisait longtemps qu'on l'avait pas vu, ce mot là...]. C'est à dire possédant des qualités qui me plaisent et dont j'aimerais me rapprocher, tout en prenant garde au piège qui consiste à croire que la personne est intégralement conforme à la part qui me plaît. Ce serait entrer dans le leurre de l'idéalisation...

En d'autres termes : je chercherais à être reconnu et accepté par des personnes qui détiendraient ce que je n'ai pas et que je désire atteindre. En fait je cherche des "modèles", des instructeurs, des éveilleurs... et à trouver avec ces archétypes une certaine complétude. Tant dans le domaine intellectuel et comportemental, pour ce qui concerne tout le monde, que dans celui du physique pour ce qui concerne les femmes.

Ces autres me sont utiles pour m'apporter ce que je ne connais pas. Et pas seulement dans le sens du confortable...

Ce n'est pas tout : il y a aussi en moi le désir d'aider les autres lorsque je les perçois en difficulté. Or c'est un rôle difficile qui demande d'offrir une disponibilité... sans jamais insister. Encore faut-il que je sois vraiment disponible... ce qui n'est pas possible lorsque je suis pris dans une relation avec la personne. Surtout si je considère avoir besoin de ce que la relation m'apporte...

Là ça devient ingérable.

D'où la nécessité de savoir rester à la distance optimale : celle qui permet à la relation de ne pas devenir aliénante.


( à suivre)





Fuir les sentiments




Vendredi 9 mai


Hier un plantage informatique m'a fait perdre presque intégralement un texte qui aurait probablement fait partie de mes essentiels.

Dommage... mais tant pis. Il reviendra autrement, modifié par cette première expression, transformé à la mesure de ce qu'il m'a permis de comprendre en l'écrivant. J'en ai gardé une partie, que j'ai stockée avec d'autres ébauches en attente.

Il faut dire que depuis quelques temps je suis en pleine phase de mutation. Je crois que ça date du moment où j'ai posé quelques réflexions sur l'acceptation et le renoncement. À la suite une amie m'a conduit à m'interroger sur la volonté de tout accepter de l'autre, de tout pardonner. N'étais-ce pas une négation de soi ? Au même moment ma collègue Artémis prenait une distance incompréhensible, entrant dans un silence dont je ne connais que trop les effets délétères. Il n'en fallait pas plus pour que les deux réflexions se conjuguent... et donnent rapidement des résultats

C'est un peu ce que j'ai tenté de décrire en me lançant dans une série de "à suivre". Malheureusement la période n'est pas propice à l'écriture développée, faute de temps disponible. Résultat : mes réflexions vont plus vite que ma capacité d'écriture. Je ne peux donc garder la trace détaillée de mon cheminement.

Mais est-ce vraiment utile ? Et si je me contentais des instantanés du moment, évitant de passer trop de temps dans ce monde cérébral dont je me méfie ? Ouais, ça sera mieux !

Alors voila :


Je me situe dans un processus de distanciation généralisée dans mes rapports à autrui. C'est temporaire, bien sûr, le temps que je remette un peu les choses au clair dans le domaine de l'affectif [nb : à ce propos je vous demande un peu d'indulgence pour le délai de réponse aux échanges épistolaires]. Bien ancré dans mon célibat je met cette situation à profit pour clarifier ma façon d'investir les liens forts. D'ailleurs l'expérience que je vis avec Artémis tombe à pic et me permet de voir comment j'évolue face au concret de la réalité. Ah tiens, en parlant d'Artémis, justement...

Figurez-vous qu'elle s'est de nouveau manifestée ! Lors de notre dernier échange amical je lui avais fait part de ma tristesse à la voir s'éloigner, lui précisant que je vivais mal les situations de remise à distance après avoir été proche. Apparemment ça n'avait rien changé puisque, après cet intermède, elle avait repris une attitude très distante. Il n'y avait plus aucune trace d'amitié entre nous. Peu à peu j'avais à la fois accepté cet état de fait et pris à mon tour une distance adéquate. D'où une absence totale d'échange pendant trois semaines, alors que nous nous cotoyons au quotidien. Sale ambiance de non-dit, pesante, désagréable. Finalement elle m'a laissé un message me demandant de lui accorder un moment, après le travail, ce que j'ai accepté d'autant plus facilement que j'avais la même demande. Jusque là elle s'était toujours débrouillée pour filer lorsque j'étais en discussion avec d'autres, ou occupé ailleurs, sans me laisser de chance de la rattraper, la garce...

Qu'avait-elle à me dire ?

D'abord qu'elle avait bien conscience que sont attitude n'avait pas été claire et qu'elle me devait des explications. Fort bien ! Ensuite qu'elle reconnaissait que pour moi ça n'était pas facile d'accepter ce brusque changement. Mais elle m'en a donné la raison : elle est entière, passionnée... et exclusive. Or elle est vit avec un autre homme qu'elle n'a pas envie de laisser tomber.

Ben voila, c'était tout simple !

En même temps elle confirmait ce qu'elle n'a jamais vraiment dit : elle est amoureuse de moi. Elle m'a dit qu'elle s'était accordé ce temps pour sentir comment ça évoluait, et apparemment... ben, ça ne retombe pas.

C'était touchant de la voir me dire les choses ainsi, et j'ai trouvé ça courageux de sa part. Elle m'a dit que cette période avait été difficile, parce qu'elle avait envie de venir vers moi tout en s'en empêchant. D'où son silence, son agressivité et ses remarques cassantes. Elle y a perdu sa joie de vivre, son entrain, et m'à même parlé d'état dépressif. En fait elle m'en voulait d'être là et de susciter en elle des sentiments qu'elle ne veut pas laisser se développer. Tiens, tiens, singulière réaction...

J'ai été soulagé de savoir que ce n'était pas moi qui était en cause, mais ce que je représentais pour elle. Et du coup j'ai totalement compris sa démarche. J'ai été sensible à son honnêteté et à sa franchise, tandis qu'elle se reprochait d'avoir fui aussi longtemps.

Bon... le problème c'est que le seul fait de discuter ensemble a relancé ce qu'elle cherche à éviter. Elle a manifesté plusieurs fois l'intention de partir... mais elle est restée. Elle m'a même demandé à m'embrasser et, avant que je ne réponde, elle me faisait une bise sur la joue et me prenait dans ses bras...

Elle s'est étonnée du fait que j'accepte de continuer à échanger et je ne sois pas plus rancunier. Je lui ai expliqué que du moment que je me sentais entendu, que l'on me donnait des explications sincères, et qu'était reconnu ce qui pouvait m'être désagréable... je n'avais aucune raison d'en vouloir à quelqu'un. Mais j'ai quand même ajouté que je construisais la relation en fonction de tout ce qui s'y passe. Notamment en sachant qu'elle peut très bien recommencer ce genre de choses. Mais au moins j'aurais eu une explication cohérente. J'ai reprécisé aussi ma situation actuelle: célibataire et tenant à le rester pour le moment. J'ai besoin de me sentir libre. Ce qui ne m'avait pas empêché de lui proposer que nous habitions en colocation, avant qu'elle ne s'éloigne. Qui sait, d'ailleurs, si mes propositions n'étaient pas trop tentantes ?

Artémis n'est pas mon genre. Je ne suis pas amoureux d'elle... mais je suis quand même curieux d'aller un peu plus loin.







Moi d'abord !



Lundi 12 mai


La reconquète de soi est quelque chose de difficile, mais fort utile pour qui veut vivre en conscience. Pour moi c'est un processus très long parce que j'étais loin de me sentir "à ma place". J'ai besoin d'agir dans l'épaisseur et cela me demande de revenir sur nombre d'éléments de mon éducation, d'interroger mes valeurs et autres piliers de mon existence. Parfois je les bouscule sérieusement, ce qui occasionne des hauts et des bas. Franchement je trouve ce travail laborieux et, à la longue, pénible. Sans cesse je me vois revenir sur des éléments qui sont chamboulés par une évolution sur un autre point. C'est sans fin.

Je sais ce que cela me demande comme courage de persévérer [oui, du courage, parfaitement !], et en même temps je dirais que je ne peux pas bien faire autrement.

Hier ma mère a semblé mettre en doute ma zénitude affichée et je dois bien reconnaître que si je me sens [parfois] serein... c'est surtout parce que je relativise par rapport à tout ce que je brasse depuis des années. Mais dans le fond il est certain que cette vie n'est pas particulièrement enviable. Je ne tiens pas à m'éterniser dans cette recherche, du moins pas avec une telle concentration. Personne, dans mon entourage, ne sait ce que je remue pour atteindre le simple état d'oser être moi. D'ailleurs, qui s'en soucie ? Ce genre de travail est éminemment personnel, difficilement partageable hormis avec ceux qui vivent quelque chose de similaire au même moment. Car je suppose qu'après on "oublie" par quoi on est passé...

Pour ma part, comme je l'écris souvent, c'est une démarche assez solitaire, et pourtant je sais que c'est par les autres que je me comprends. Mais par moments cet apport extérieur est "trop riche" [à moins que je ne sois particulièrement réceptif...], et me porte plus loin que je ne peux atteindre. C'est ce qui se passe actuellement. Même mon écriture semble devenir handicapante, alors qu'elle me libère aussi. Bref, c'est compliqué. J'ai l'impression que je n'arrive pas à suivre le rythme. Mais c'est aussi le signe que quelque chose est en mouvement ! Bon signe, donc !


J'aurais plein de choses à décrire et assembler, ce qui me permettrait de mieux comprendre le sens de ce qui se joue. Résoudre un peu plus loin l'énigme insoluble de l'existence. Mais par quoi commencer, comment lier les imbrications ? À quel genre de pensum indigeste aboutirai-je ? Je n'ai pas envie de passer trop de temps à ça. Je griffonne ça et là quelques idées sur des bouts de papier, tout se tient mais rien n'est relié. C'est un éparpillement.

Hier je pensais aux sentiments. « Les sentiments c'est de la merde », voila la phrase lapidaire qui m'est venue spontanément. En un peu plus élaboré j'en suis arrivé à cette idée : les sentiments sont les vestiges d'une immaturité dont on ne s'émancipe jamais vraiment. C'est une régression vouée à l'échec. Une tentative illusoire de sauvegarder du lien, bravant temporairement la destinée de tout attachement : son inéluctable fin. De la mère à la mort, la séparation est le destin ultime de toute existence. La seule chose certaine et définitive est cette fin.

Oui, je sais, ce sont des évidences. Mais peut-être que j'en prends davantage conscience. Il y a une lucidité qui me happe et me plonge dans une certaine mélancolie. « À quoi ça sert, tout ça, puisque ça finira tôt ou tard ? ». Pourquoi apprendre à mieux être en relation ? Quand je vois mon père, angoissé par la mort, j'ai comme l'impression que se joue en ce moment la fin de quelque chose. Pas seulement pour lui : en moi aussi quelque chose se termine. Mon père voit s'éteindre ses proches : soeur, neveu, récemment son ami d'enfance, et il sait que se sera son tour, ou celui de sa femme, dans peu d'années. Quel qu'en soit le nombre, c'est bientôt là.

Et moi je sens s'éteindre, ou du moins vaciller, une espérance. Quelque chose que je trouvais beau, lumineux, porteur de vie. Quelque chose auquel j'ai cru. Ou ai voulu croire...

Cette croyance s'en va. Ça m'attriste, ça me fait mal. Je crois que ça me touche plus profondément que je ne veux l'admettre, confirmant ce que je redoutais. Et en même temps, quelque chose ne meurt pas, résiste, persiste et transmet quelque chose. J'ai l'impression que cela se joue autour du renoncement. Je ne renonce pas vraiment... et pourtant quelle que soit ma persévérance en toute chose il me sera nécessaire un jour de renoncer.

Les mots hésitent : renoncement ou acceptation ? C'est ma grande question du moment. La nuance est fondamentale quand je songe aux choix déterminants que j'ai eu à faire. Qu'ai-je accepté ? À quoi ai-je renoncé ? Ou pas...

Pour quels objectifs suis-je encore capable de lutter ? En quoi crois-je ? En quoi ai-je subi ? En quoi ai-je été passif ? Comment vais-je finalement me sortir de tout ça ? Cela dépend des choix que je ferai...

Je me surprends à avoir des idées dures, cyniques. Je me vois froid, insensible. Je ne me reconnais pas. Vers quoi vais-je ? Ai-je à ce point été atteint par l'onde de choc ? Incontestablement !

Parfois je me sens renier les élans altruistes que je croyais être "la bonne direction". Je me dis que tout cela est un habillage de bons sentiments pour masquer l'égoïsme atavique de l'humain, donc le mien. Je suis déboussolé, je ne sais plus dans quelle direction aller. Peut-être que le "chacun pour soi" est la seule vraie règle de vie ? Prendre et jetter. Se servir à sa guise. Moi d'abord !

C'est une vraie interrogation.

Dans ce monde la place n'est pas au faibles. On les méprise, on leur marche dessus, on les utilise. Et tant pis pour eux ! À chacun de prendre la place qu'il aura conquise. Je le pense comme je le dis.

Avec ma capacité d'acceptation, fruit d'une éducation perpétuée par une volonté, je me soumets à qui impose son point de vue. Et c'est bien fait pour ma gueule ! Si je n'accepte pas... les choses iront autrement. Il dépend de moi d'influer sur mon existence : je suis acteur de ma vie. Si je me soumets je subis, je dépends des exigences et du bon vouloir d'autrui. Être libre, c'est choisir d'agir pour soi. C'est aussi affirmer ses points de vue, s'y tenir. Décider et peut-être imposer. Lutte entre l'autre et moi. Si je cède, je me perds.

Le monde est dur. La conciliance ne fonctionne qu'entre personnes de bonne volonté, elle n'a pas lieu d'être avec les attitudes intransigeantes. Je veux savoir m'adapter au comportement de qui est face à moi : m'ouvrir à l'ouverture et me fermer à la fermeture. C'est ce que je vérifie avec Artémis, après l'avoir expérimenté par tâtonnements avec Charlotte. Chacune de mes relations devenues "difficiles" m'apprend à me lier sans trop donner... et sans trop attendre.

Je n'aime pas cette façon d'être, mais je m'y résouds pour mon équilibre. Pour ne pas souffrir des attitudes de repli. Je vis mieux ainsi, en me protégeant.

Peut-être est-ce une phase temporaire, le temps de me construire cette assurance qui me fait tant défaut ? Peut-être ai-je une capacité au dialogue qui sera un atout pour plus tard, quand je ne me perdrai plus dans les problématiques de l'autre ? Peut-être suis-je porteur de forces que j'ignore...

Je crois que j'ai beaucoup à gagner à me respecter. M'estimer. Me faire confiance. Croire en moi. Mais pas forcément en cherchant à m'adapter...







Une histoire transparente




Samedi 17 mai


Il y a quelques jours, lors d'un grand rassemblement familial, il a été question du journal intime d'une vieille dame, découvert par ses enfants après son décès. Il y avait aussi la correspondance de cette femme avec son mari, dans leurs jeunes années. Un des fils décida immédiatement que tout cela ne regardait personne et détruisit l'ensemble, sans demander l'avis de ses frères et soeurs.

Je ne crois pas que c'était la volonté de sa mère : on ne garde pas un tel journal si on préfèrerait le voir détruit. Bien au contraire j'y vois une volonté de transmission, plus ou moins consciente, à destination de la descendance. D'ailleurs si ce fils a agi dans la précipitation sans même lire le contenu c'est qu'il tenait surtout à se protéger d'un insupportable dévoilement... mais pas à protéger la mémoire de sa mère. Au moins un des enfants de la génération suivante, en l'occurence ma nièce, a beaucoup regretté ce geste de destruction, presque de négation d'identité. Car si les enfants peuvent ressentir une gêne en pénétrant dans l'intimité parentale, il en va tout autrement pour les petits-enfants qui peuvent trouver là une précieuse source.

La suite de la conversation a dérivé vers le journal intime qui sert de trame au film "Sur la route de Madison". L'histoire est celle d'une rencontre inattendue entre une femme installée dans une vie ronronnante et un séduisant homme de passage. Ma soeur jubile toujours en revenant sur l'instant du choix décisif de l'héroïne qui, entre raison et folle envie, laisse finalement partir l'homme qui lui a fait vivre l'inoubliable. Ma soeur est dans l'imaginaire, le fantasme... et semble omettre que je me suis trouvé confronté pour de vrai à un tel choix.

Dans ma famille, la rencontre que j'ai vécue avec une lointaine amie-amoureuse est transparente. Comme si elle n'avait jamais existé. Personne n'en parle plus, ni n'en a jamais vraiment parlé. Excepté mes enfants, les seuls à l'avoir rencontrée. Ma mère, à qui je faisais part de ce constat à reconnu que cette histoire était « dérangeante ».

En fait, bien que la plupart aient su, très peu de personnes de "ma vie d'avant" m'ont posé des questions sur ce que j'avais vécu, ni pourquoi, ni comment. Seules mes amitiés de ces dernières années savent par quoi je suis passé, et peuvent suivre comment tout cela évolue. Moi même j'évite d'en parler, sauf à quelques rares confidentes.

Finalement il n'y a que dans mes écrits que demeure l'ombre sourde de cette histoire sans place.







Choisir plutôt que subir




Dimanche 18 mai


Quelque chose change en moi, sans que je ne parvienne à l'exprimer en mots. Cela fait quelques semaines que c'est en mouvement, que je cherche à le décrire, mais mes nombreuses tentatives ont avorté : je ne suis pas parvenu à trouver comment l'aborder.

Cela a trait à cette « ombre sourde » dont j'ai parlé hier.

Comment dire ? Je me détache. Délibérément. Oui, c'est ça le changement : je ne suis plus dans un éloignement subi, mais dans un choix. Je ne suis plus dans l'attente, mais dans le retrait volontaire. Enfin... c'est un peu plus complexe que ça. Disons que je suis dans une mise à distance des sentiments. Du moins de cette part de sentiments qui se situe dans le besoin, la demande.

Ooooh il m'a fallu du temps pour parvenir à ce stade ! Il m'en a fallu des étapes de compréhension menant à l'acceptation ! Il a fallu que j'accepte de voir mes erreurs et manquements, mes failles et, par différence, mes forces. En même temps il faut bien dire que la façon dont a été décidée la séparation était assez incohérente, pour ne pas dire absurde. Pendant très longtemps je n'ai pas compris en quoi elle consistait précisément puisque les contradictions étaient flagrantes. Tout ce temps aura prolongé d'autant les différents deuils nécessaires... tout en présentant le grand avantage de fragmenter les différents éléments. Pour quelqu'un qui, comme moi, aime bien comprendre ce qui se joue dans les dynamiques relationnelles, ce fut un excellent laboratoire d'observation.

Depuis que ça dure j'ai pu explorer largement ce qui était en jeu. Je m'y suis découvert autant que j'ai découvert d'autres façons d'être et de penser. J'ai surtout pu mieux prendre la mesure de tout ce qui entre dans une relation.

Cela m'a rendu beaucoup plus humble, face à la complexité de ce qui peut être mis en oeuvre. J'en sais beaucoup plus [mais il faut dire que j'étais assez ignorant], tout en comprenant la vastitude de ce que je ne connais pas. Raison de plus pour continuer !

Depuis mes tentatives de l'an dernier, lorsque j'ai rencontré l'amoureuse Caroline, la spirituelle Martine, et l'espiègle Daphné, je me suis mis en mode "pause". Entre celle qui auraient bien voulu, celle qui attendait et celle qui ne voulait pas, je me suis rendu compte qu'il était encore trop tôt pour continuer mon retour vers la proximité féminine. J'ai tout laissé en sommeil, profitant avec plaisir de ma vie solitaire. Artémis est venu déranger ce calme... pour mon plus grand bien. Je m'encroûtais à rester en circuit fermé. D'ici à reprendre le chemin de la découverte, il y a un pas que je n'ai pas encore franchi. Prudence reste le maître mot.

Je lisais récemment chez la polyfidèle Françoise Simpère, et je l'ai lu aussi chez d'autres, qu'il est nécessaire d'avoir vécu la solitude pour sortir des attentes envers l'autre, en matière de sentiments. Je le crois volontiers. C'est intuitivement que j'ai suivi le même chemin, tout en me sachant incapable de me lier rapidement après mes déconvenues sentimentales. Finalement ça m'arrangeait bien...

Bah... je sais bien, dans le fond, que cela m'a permis de travailler sur moi plus efficacement que la plus poussée des démarches intellectuelles. La forme était inacceptable, mais pas le fond. C'est ce qui fait que j'ai fini par accepter...

Je ne sais bien sûr pas de quoi sera faite ma vie, mais je crois que je ne vivrai plus en couple "classique". Je fais probablement définitivement partie de ces personnes qui ne peuvent plus se lier exclusivement. La diversité relationnelle m'est devenue vitale et je me sais fuir tout risque d'attachement trop serré. D'ailleurs j'annonce la couleur dès que je sens des approches de ce genre...

J'aime au pluriel, peu importe sous quelle forme, et pas plus que je ne l'ai fait au moment des grands choix je ne renoncerai à une relation. Si je devais renoncer un jour, ce ne serait pas pour répondre à une demande mais parce que je saurais que c'est le meilleur choix.


[pourquoi je raconte ma vie, moi ?]




Atténuation du bruit de fond




Jeudi 22 mai


Peu de temps pour écrire, davantage pour réfléchir durant mes temps de déplacement. Voici donc quelques particules de pensées, déposées ici d'après mes griffonnages.

Si j'ai autant et si longuement évoqué les suites de ma grande aventure relationnelle, c'est parce que les seuls interlocuteurs de cette histoire transparente c'était "vous", confidents connus ou inconnus, incarnés ou abstraits. Ce journal est le seul lieu ou cette relation singulière "existait", où elle avait une place à la hauteur de l'importance qu'elle avait dans mon parcours. D'autant plus que je la voyais "effacée" par ma partenaire...

La diminution, puis l'insuffisance de mots entre elle et moi aura tracé la faille originelle, préparant bien avant l'heure la perte de confiance qui allait mener à l'éloignement. Dans ce silence insidieux chacun construisait sa réalité de l'autre, donc fausse, sans réajustement ensemble. En ont découlé des décalages de perception.

En ne me sentant pas suffisamment en confiance, à la fois intrinsèquement et conjoncturellement, en devant conquérir de haute lutte une place que je n'osais pas prendre, la faille s'est agrandie.

Il était certain que les choses ne pouvaient pas continuer sur cette lancée. Une confiance qui se fissure ne se répare pas en faisant travailler le lien. Une séparation était bien nécessaire, une consolidation de soi... mais pas dans les circonstances, ni de la façon dont cela a été fait. Quoique... il s'est fait ce qui pouvait se faire !

Je ne peux m'en prendre qu'à moi d'avoir accepté cela. D'avoir laissé faire. Ou du moins de n'avoir pas suffisamment manifesté le désaccord fondamental que je percevais...

Bref, d'avoir manqué de couilles ! Ça n'aurait peut-être rien changé aux décisions de ma partenaire, mais au moins je n'aurais pas subi. Je n'aurais pas eu l'impression de m'être soumis. Mais il n'est jamais trop tard pour tirer bénéfice d'une situation.

Depuis qu'à commencé cette séparation par à-coups destructeurs, et du silence croissant qu'elle a induit, j'ai cherché inlassablement les raisons qui avaient pu y mener. J'ai recherché les responsabilités de chacun, d'abord sur le mode alternatif du "elle ou moi", me faisant passer par toutes les nuances de sentiments. La fréquence de ces alternances s'est espacée en même temps que l'intensité des pics se réduisait. Progressivement l'apaisement me conduit à un "elle et moi". Me sentir le principal responsable m'était inacceptable, tout comme il m'était impossible de lui attribuer une prépondérance dans ce qui est advenu. J'ai cherché à discerner les détails dans le flou. La co-responsabilité et la co-reconnaissance ont malheureusement été impossibles à partager jusque là.

Je poursuis donc ma quête de sens avec ce bruit de fond.

Extrait d'un commentaire lu chez Coumarine, qui traduit bien la situation dans laquelle je me trouve : « [une absente] à qui je redemande tout, sans attendre sa réponse. Je sais qu’elle ne me la donnera jamais et que je vais devoir tout réinventer avec les indices dont je dispose. Et c’est là que ça commence à prendre beaucoup d’énergie. A quoi bon ressasser un passé trépassé ? »

À quoi bon ? Mais à comprendre davantage, tout simplement. Ce qui ne se fait pas sans énergie, effectivement...

Le temps que j'ai passé dans cette recherche est absolument colossal. Après avoir passé des mois à chercher pourquoi je ne renoncerai pas à ce lien extra-conjugal, ce sont des années que je consacre à la compréhension de son fourvoiement. C'est un passage nécessaire, j'en suis convaincu.


Dernier point, qui répond en partie à des remarques cogito-génératrices que me fait une lectrice : si je suis autant occupé par mon ego, c'est que cela correspond à une nécessité de le faire exister. Je ne crois pas qu'on parle de soi sans raison. Je ne crois pas non plus qu'on doive faire taire ce besoin... ni ne rien faire pour le ramener à quelque chose de plus modéré. L'ego cherche à trouver sa juste place, ni prédominante, ni trop effacée. Pour cela il est important qu'il puisse se dire.





L'impensable possible




Vendredi 23 mai


Qu'est-ce qui s'inscrit, là, dans la résistance fertile de mon imagination ? Qu'est-ce qui se grave dans la pierre dure de ma conscience ? Qu'est-ce qui échappe à mes tentatives de contrôle ?

La perte de l'idéal. C'est à dire la découverte de la réalité.

Jour après jour se grave la réalité qui saigne à mort mes idéaux. Laborieuse entreprise de conscientisation, qui ne cesse de résister pour ne pas trouver la réalité nue que pourtant je cherche...

Vous ne comprenez peut-être rien à mon charabia... Ce que je tente d'exprimer, c'est que je constate que, malgré mes résistances, je vais vers la réalité que j'aurais préféré voir différente. Mais l'objectif est bien de devenir lucide, conscient, quel que soit ce que j'ai à découvrir. Si je ne parviens pas à formuler clairement la chose c'est parce qu'elle est encore trop impalpable. Mais je vois bien quelle est la tendance : voir la réalité du monde. En d'autres terme : grandir. Sortir des illusions de l'enfance.

Je ne cesse de perdre ma naïveté. J'ouvre les yeux, par curiosité avide, tant sur la lumière que la noirceur des ténèbres. J'ai peur, mais je continue et je découvre pourquoi j'avais peur l'instant d'avant. C'est ainsi que pas à pas j'avance.

J'étais un optimiste naïf, je crois devenir un optimiste lucide. Par choix. Je sais que rien ne m'autorise à le faire. C'est simplement parce que j'ai envie de résister à la morosité et de teinter l'espace de ma vie d'une façon qui me permet d'être plus heureux. Mais fondamentalement le chemin que suit l'humain m'inquiéte. Freud aurait dit quelque chose ressemblant à ça : « le voeu de l'humanité est l'accomplissement de la pulsion de mort ». C'est terriblement "pessimiste", mais concrètement réaliste. L'époque actuelle nous le montre et démontre... et nous continuons sur cette lancée suicidaire. Fascinant, non ?


Je vis, depuis quelques temps, avec une conscience de plus en plus aigüe de la fin imminente de quelque chose. Ce sera peut-être dans quelques années ou plusieurs décennies, mais je le sens comme quelque chose de relativement proche. Intuition étayée par des données objectives, peut-être faussée si elles sont erronées, mais qu'importe puisque je la sens conditionner mon regard. « Voici venu le temps du monde fini », comme le titre un livre.

Je crois que cela m'est devenu perceptible depuis le choc ressenti lorsque ma complice s'est désolidarisée d'un lien que j'étais seul à considérer comme indestructible. J'ai pris conscience que la fin peut survenir alors que je n'y crois pas... tout en la pressentant. Voila, c'est ça la réalité : ne plus être dupe de mon aveuglement.

Si depuis tant de temps je lutte pour accepter qu'une "impossibilité" soit devenue réalité c'est bien parce qu'il m'est douloureux de l'accepter. J'ai du renoncer au fantasme enfantin de la toute puissance. Renoncer au retour vers la béatitude originelle et à la satisfaction de mes désirs, renoncer à la jouissance perpétuelle.

Par analogie, peut-être audacieusement délirante, je vois notre société de la jouissance consumériste aller à sa perte. Là, à portée de vue, à portée de vie.

Depuis la fin d'un règne, la fin d'un temps de grâce, j'ai dû accepter que l'impensable était possible. Elle me le disait, telle une prophétie de malheur : « rien n'est jamais acquis ». Alors je souris quand j'entends la vox populi se dire scandalisée que le prix de notre chère essence augmente et que le sacro-saint pouvoir d'achat se réduise. Comme si ce pouvoir de consommer indéfiniment était acquis. Comme un droit à la consommation infinie, jusqu'à se bouffer soi-même. S'ils savaient... s'ils voulaient bien se donner la peine de regarder en face ce qui nous attend. Dérisoire tentative de résistance devant la réalité.

Je manie là, en vrac, des données vérifiables et des concepts qui m'échappent encore largement. Melange de psychologie individuelle et sociale, d'écologie planétaire et de psychanalyse. Cet assemblage est certainement moins hétéroclite qu'il ne paraît. En tout cas je vois de dessiner quelque sens, avec beaucoup de lenteur tant chacune de ses discipline est complexe à appréhender pour le profane. Ce sont cependant des sciences fascinantes qui, sans donner de réponses définitives à rien, ouvrent de multiples pistes d'exploration.

Je ne m'aventurerai pas plus loin dans ce registre aujourd'hui...


[y'en a qui vont me prendre pour un illuminé...]





Devenir



Lundi 26 mai


Et si la dynamique d'une relation était parfois plus importante que sa durabilité ? L'amplitude du mouvement plutôt que le temps de son déploiement...

La durée ne serait qu'un bonus éventuel, une chance de continuation ensemble.

La découverte intime des profondeurs de l'autre, incroyable profusion de résonnances. Source énergétique, impact du désir et choc des frustrations, bouillonnement de jouissance et empreinte des souffrances. Faire durer le partage au delà de cet onde initiale ? Cela procure d'autres satisfactions, lorsque sont consentis les efforts nécessaires à cet accomplissement. Efforts bien différents de ceux des débuts de la rencontre, qui n'en demande guère.

Combien de déconvenues proviennent d'un décalage entre les partenaires dans ce désir de prolonger le temps de découverte à un rythme différent ?


J'ai désiré perpétuer la satisfaction que me procurait l'exploration effectuée ensemble dans une relation multidimensionnelle particulièrement féconde. Je n'étais pas parvenu au stade de la stabilité, encore dans la jouissance de la construction et de la découverte, du plaisir d'invention, du désir d'évolution et d'amélioration. Non, ce n'était pas idéal : travaux en cours. La frustration de la privation aura été à la mesure de ce que je voulais encore investir dans ce défi. Pourtant la perte aura été tout autant révélatrice : la frustration n'a mis face à la dimension inverse de la jouissance. La jouissance perpétuelle et absolue est une impossibilité intrinsèque. Pas de jouissance sans frustration, qui suscite le désir, moteur d'avancement. Trop de frustration le met en panne.

Aujourd'hui, comme chaque jour depuis cinq ans, je puise dans l'inestimable réserve constituée par notre aventure. Je me réfère à ce qui a été échangé, partagé, retenu, ressenti, révélé, pour continuer ma route. Nourriture abondante que je continuerai à digérer des années durant. Le jour où j'arreterai de chercher à comprendre je figerai ce qui constituera alors ma réalité. De cette fausseté je ferai des certitudes. Elle deviendra ce que j'ai envie qu'elle soit. Je la conformerai à mes désirs apatrides. La relation se figera. Momifiée. Morte.

Mais tant que je continue à accepter ses différences, même bien après, je m'autorise à connaître ce qui me fut inacceptable. Rester lié en me référant aux fragments significatifs me permet de continuer à comprendre, me comprendre, comprendre ce qui me limite. Depuis qu'elle s'est effacée, d'autres qui lui ressemblent sont apparues. Chacune m'a permis de saisir une part de ce qui m'avait échappé. L'universel dans l'unicité.

Je cherche à comprendre une femme aimée et à travers elle tout ce que je ne comprends pas, n'accepte pas chez autrui. Car je n'ai pas à tout accepter, je n'ai pas à prendre ce qui ne me convient pas. Accepter la différence de l'autre sans pour autant la suivre, sans épouser les contours qu'elle dessine.

C'est en essayant de suivre ce qui ne me correspondait pas que j'ai le plus souffert. J'ai tenté d'accepter l'inacceptable et je n'ai pas pu. Magnifique leçon d'existence !

Ce qui m'était demandé m'était inacceptable. Inacceptable ! Le mot claque comme un étendard de liberté ! Oser dire non, et m'y tenir. Et en même temps accepter ce que je ne peux changer, qui n'est pas de mon ressort... Dire oui à ce qui advient lorsque je n'y peux rien. Dire non à ce qui ne m'est attribué et ne m'appartient pas, refuser d'endosser des responsabilités qui ne sont pas miennes. Pour ne pas entrer en colère contre ma docilité infantile.

Saine colère, pourtant. Qui me libère, me fortifie. Qui m'autorise à être.




Mois de juin 2008