Juin 2008

Dernière mise à jour:samedi 5 juillet 2008 - Accueil - Message






Après la parenthèse




Dimanche 1er juin


Je me demande si je continuerai à écrire sur ce journal, après.

Après que je serai parvenu au terme de ce que j'avais à découvrir et comprendre sans... elle sans toi, l'absente. Lorsque j'aurais écrit les derniers maux nécessaires. Lorsque je n'aurais plus rien à déposer ici, lieu du lien.

Après le temps de ce qui, peut-être, n'aura été qu'une parenthèse de quelques années entre ma vie d'avant et celle d'après. Avant ta rencontre et après... je ne sais quoi. Mais peu importe : ne pas pouvoir nommer ce présent en sursis montre que je ne suis pas encore dans l'après. Je n'ai pas fermé l'ultime parenthèse.

Tu m'avais écrit quelque chose comme « il faut que tu retournes à ta vie d'avant », ou « tu dois retourner... ». En tout cas quelque chose que j'ai entendu comme une injonction folle. Un ordre aberrant que j'ai eu la faiblesse de ne pas refuser avec la plus grande fermeté. Parce qu'il était présenté comme étant pour mon bien. Parce que c'était, soit disant, mieux ainsi. Et moi, docile jusqu'à l'imbécillité, stupidement confiant en ta supposée connaissance des choses, bêtement illusionné par ton assurance et tes certitudes trompeuses, je n'avais pas su dire non. Clairement non. Posément non. Assurément non.

Non ! Tes choix n'étaient pas les notres, pas les miens. Uniquement les tiens. Respectables, d'ailleurs.

J'ai dit mollement non. J'ai douté de mes choix, j'ai douté de moi, douté de tout en me sentant subitement seul : tu te retirais et je me voyais perdu. Seul dans une aventure qui perdait tout sens.

Je savais très bien que je ne pouvais retourner à ma vie d'avant. Parce qu'il était trop tard et parce que je ne le voulais pas. Ma vie d'avant était passée, dépassée et trépassée. Avec toi. Grâce à toi. Malgré toi.

Je ne suis jamais revenu à ma vie d'avant. Je n'étais plus le même, tout simplement. Ce que tu me demandais était impossible et, pour tout dire, inacceptable.

J'ai eu le temps de mesurer les conséquences d'avoir dit oui, d'avoir cédé, d'avoir accepté l'inacceptable. Ces mots inadmissibles et ceux qui les avaient précédé, ceux qui les accompagnaient et qui allaient les suivre. En acceptant la sentence, j'endossais une responsabilité excessive qui, de fait, me rendait coupable à mes yeux. J'acceptais de me condamner à la repentance et à purger une peine abusive. Injustice que je me suis infligée. Insupportable injustice qui rend injuste le condamné. Révolte contre tout. Contre le temps qui passait, contre le temps nécessaire, contre toi, contre moi. En révolte contre mon impuissance, contre mon incapacité du moment à réagir autrement, à ne pas m'être positionné selon mes convictions.

C'était le temps de la rencontre noire, celle qui laisse place aux mots assassins. Ouverte par un éclat de lumière, l'aventure s'est abîmée dans les ténèbres. Tenter de refermer une parenthèse dans cette noirceur c'était m'emprisonner à perpétuité avec la haine pour compagne. Il n'en était pas question ! J'ai creusé mon tunnel avec mes doigts. Mot après mot, avec persévérance agir pour m'évader de ce trou. Retrouver la liberté et la lumière. La voie de ma réhabilitation.

Je parviens doucement au terme du parcours. Un jour j'aurai certainement un choix à faire : laisser indéfiniment entr'ouverte la porte des éventualités ou, au contraire, décider de fermer définitivement ce qui, de ce fait, deviendra bien une parenthèse. Ce sera alors une décision personnelle, en pleine capacité de mes moyens et librement consentie. Vraiment pour mon bien. Pour moi seul.

Chaque jour passé à creuser en moi a rendu ce possible plus accessible.






Éparpillement




Mercredi 4 juin


Drôle de sensation en début de semaine. Comme un vide. Je venais de dépasser l'ultime "projet" dans lequel je m'étais engagé et qui me servait de ligne de mire : accueillir du public chez moi pour un évènement particulier. Depuis il n'y a plus rien à l'horizon. L'absence totale de projets m'est apparue, flagrante. Rien de prévu pour les mois à venir qui soit un peu marquant, attirant, exaltant. Juste une vie à vivre au jour le jour, simplement.

Profiter du moment présent ? Carpe diem ? Oui, peut-être... mais celui-ci n'est guère enthousiasmant. Ni déprimant d'ailleurs...

Neutre.

Mon futur se résume à une suite de dates programmées. Quelques petites fêtes avant la torpeur estivale, pas mal de réunions municipales, des étapes dans mon parcours de formation et voila.

Je n'ai même pas prévu de vacances ! Pour faire quoi ? Pour aller où ? Avec qui ?

Avec qui ?


* * *



Depuis longtemps je ne parviens pas à écrire ici lorsque mon regard change de perspective. Trop confus. C'est devenu de plus en plus compliqué à cause de toutes les zones interdites. Je ne sais plus jusqu'où m'aventurer...

Parfois j'hésite longuement, en me posant des questions : pourquoi ai-je envie d'écrire ça ? Est-ce juste ? À quoi ça sert ? À qui écris-je ?

Depuis des années, à travailler au coeur de la matière qui me constitue, j'ai profondément changé tout en gardant beaucoup de ce que j'étais. Je ne suis plus le même, sans être fondamentalement différent.

Mais qu'est-ce que j'en fais ?


* * *



À force de temps et de persévérance j'ai compris beaucoup de choses, avec et sans mots. La force des silences, c'est qu'ils font apparaître les vides là où sont les manques. J'ai vu les miens.

Je me suis adapté, parce que je sais bien faire. Je me suis beaucoup éloigné... mais pas vraiment. Enfin si mais... je ne sais même pas comment l'expliquer. Et puis à quoi bon ?

Je deviens ce que j'aurais aimé être jadis. Avec elle. Le passé me guide.

Je n'ai cessé de chercher à comprendre, expliquer. Je n'ai cessé d'avancer vers moi. Vers elle, vers les autres. C'est incroyable tout ce que j'ai pu apprendre des sentiments humains en cherchant à comprendre ce qui avait motivé ses choix.

Et maintenant, je vais où ?


* * *



À quoi ça rime d'écrire en fragments éparpillés ? C'est peut-être une façon de relier les pièces manquantes, de trouver comment elles peuvent se placer dans un puzzle maintenant largement reconstitué.

Tout cela a un sens, que j'ignore. Je n'ai pas envie de me retenir. Je pourrai écrire des heures durant, je pourrais aussi tout arrêter là. Chaque jour je peux décider d'arrêter...







Mise au point




Samedi 7 juin


Lors d'une séance de psy, il y a un mois, j'avais évoqué un certain mal-être [ouais, vous y étiez pas, mais je vous raconte...]. J'étais dans une période un peu difficile, comme il m'arrive lorsque je suis en phase d'acceptation. Accepter, en l'occurence, de franchir un nouveau palier de deuil, après tant d'autres. Ces passages représentent toujours un "travail" relativement pénible sur le moment, mais dont je sais que je ressortirai apaisé.

Lorsque j'ai dit à ma psy que je pensais souvent à ma grande aventure relationnelle, elle a eu une réaction muette, mais perceptible. J'ai senti qu'elle trouvait cette persistance excessive. Plus tard je me suis posé des questions sur sa réaction, en m'interrogeant sur la nature des pensées qui m'occupaient. Lors d'une nouvelle séance, jeudi, je me suis expliqué.

En fait, si je pense encore fréquemment à cette histoire, c'est qu'elle me sert de "référence" pour mieux comprendre mon rapport aux autres. Ce n'est pas dans le sens auquel on pourrait le craindre : un attachement obsessionnel et une incapacité à en faire le deuil. Au contraire, j'ai toujours été soucieux de ne pas me situer dans ce genre de dérives, que je connais, et me suis constamment questionné sur ce que je vivais et le sens de mes actes. Certes j'ai énormément cogité autour de cette relation avortée, considérablement écrit et investi une part notable de mon existence à en analyser les conséquences. Pour quiconque se laisserait aller à une interprétation hâtive, je suis dans l'excès. Moi je me considère comme étant "en travail". C'est ce que j'ai expliqué à ma psy.

Cette relation, dans sa globalité, est devenue pour moi un outil. Une base de réflexion. Je m'en sers d'une façon utilitaire. De son origine à aujourd'hui elle m'offre un vaste panel de situations dans lesquelles j'ai été impliqué. J'ai ressenti, agi, subi, participé, et l'analyse de toutes ces réactions face aux situations particulières qui les ont engendrées me montre les raisons, le sens et les conséquences de mes actions. Je ne suis donc pas dans un ressassement stérile, mais au contraire dans une analyse point par point jusque dans les moindre détails.

« Mais pourquoi rester figé sur cette relation comme si c'était un modèle ? », me demanda la psy, visiblement désapprobatrice. Non, ce n'est pas un modèle mais une référence. Ou alors un modèle au sens de modèle mathématique, de modélisation : un support. Quelque chose de presque froid et désincarné... sauf que ça se situe dans le registre des émotions et de la sensibilité. Il demeure, bien sûr, une composante affective qui peut brouiller les choses, mais au fil des années j'ai progressivement scindé les deux registres, poursuivant dans l'un alors que je cherchais à m'épargner de l'autre.

Ma psy, après avoir écouté ce qu'elle a appelé mon « argumentation », s'est montrée rassurée sur sa validité. J'avais besoin de son aval de professionnelle pour me sentir confirmé dans mon cheminement. Cela ne pouvait venir que d'une personne extérieure, compétente et objective, qui ne fasse pas [pas trop...] de projections sur ce que je vis en fonction de sa perception des choses. Je suis désormais certain que ma démarche est saine.

D'ailleurs... le processus laborieux semble être en voie d'achèvement. Du moins pour sa phase la plus active, car je suppose que je me réfèrerai encore longtemps à ce modèle exemplaire de ratage. La ressource semble inépuisable...

Ce qui est certain c'est que depuis des mois je ne suis plus dans le manque, n'ai plus d'attentes vives ni ne souffre de l'absence. Je m'y suis habitué. La souffrance que j'endure encore occasionnellement est celle du travail de compréhension, pas celle de la perte du lien. Aujourd'hui les choses sont claires : cette relation est éteinte. Ce n'était évidemment pas mon souhait initial, mais j'ai accepté qu'il en soit ainsi. A tel point que je me suis volontairement coupé de tout contact : je n'ai plus rien voulu savoir de celle que je ne nomme plus. Celle que j'ai tant appréciée, qui fût ma complice, ma meilleure amie [et bien plus...], n'existe plus que dans mes souvenirs. C'est comme si elle était morte.

Je me suis éloigné de ce qu'elle est devenue, j'ai quitté celle qui m'a quitté. Je me suis protégé du rejet et des blessures. Je sais pourtant que c'est un artifice. En découle une complexité à écrire sur les sujets suscitant des tiraillements internes parfois insolubles qui risquent de réveiller ce que je maintiens sous anesthésie.

Ce qui reste encore en suspens est l'appréciation que je porte sur ses attitudes passées. Quelle part suis-je prêt à accepter et qu'est-ce qui se révèle m'être irréductiblement inacceptable. Il me reste des points à éclaircir, suite aux ambiguïtés encore imparfaitement élucidées. Dans le flou longtemps diffusé j'ai été poussé à un travail approfondi sur moi, seule façon d'y voir plus clair en l'absence de réponses précises. J'en ai mieux cerné mes besoins, mes capacités, mes limites. J'ai aussi dû échafauder des hypothèses pour comprendre ce qui ne venait pas de moi. C'est précisément ce travail qui se poursuit avec diverses autres relations, par analogies avec la "référence". C'est en cela que le maintien en activité de la bibliothèque des souvenirs m'est utile, quoique à double tranchant. Les deuils successifs, et la libération qui suit, ne se font qu'une fois l'élaboration terminée.

Avec le recul, sorti de la tentation généreuse mais peu réaliste de tout pardonner, j'ai découvert des facettes de caractère que je ne connaissais pas, ou n'avais pas voulu croire. En voyant exister des comportements similaires chez d'autres, j'ai ouvert l'éventail des diversités étrangères. J'ai découvert ce que je n'avais pas cotoyé de près dans ma vie d'avant. Je me suis même rapproché de ce que je fuyais, devenant autre.

J'ignore encore l'ampleur de ce qui a changé et changera encore dans mon regard sur les relations humaines, mais je sais d'ores et déjà que j'ai considérablement ouvert ma capacité d'accueil à la différence. Non pas pour être quelqu'un de "bien", ouvert et tolérant, mais pour me sentir mieux avec les autres. J'en vois les effets au quotidien... tout en me tenant à distance respectable des sentiments.

C'est probablement ce maintien en retrait qui m'interpelle le plus : jusqu'à quand ?







Femmes dures




Dimanche 8 juin


Les dernières femmes qui m'ont plu, séduit à divers titres, étaient plutôt émancipées et avec un caractère entier. J'ai constaté aussi leur exigence, autant envers elles-mêmes qu'envers autrui. Plutôt "dures", franches, voire brutales dans leurs propos, ce sont donc des femmes qui sont à même de me malmener. Évidemment ce n'est pas sans poser de problème à ma nature sensible... 

Pourtant je ne crois pas être particulièrement masochiste, mais j'aime être dérangé, secoué, ébranlé dans mes convictions. Ce genre de femmes m'oblige à aller chercher dans mes ressources viriles, ce qui est loin de m'être d'accès facile. Cela tient du défi, en allant à l'encontre d'une nature plutôt calme et conciliante, pour ne pas dire douce. J'apprécie cependant beaucoup la controverse, les débats d'idées qui font bouger, du moment que cela s'effectue dans le respect des différences. Mais je m'ennuie vite dans trop de gentillesse... tout en ayant besoin d'un minimum de douceur ! Tout se joue dans la subtilité des dosages, bien sûr, d'où la difficulté à trouver et faire durer un équilibre.

Je suis très sensible aussi aux jolies femmes (critère hautement subjectif), ce qui présente le désavantage de me les rendre "inaccessibles", parce qu'elles m'impressionnent. Je ne sais pas trop ce qui se passe dans ma tête, mais je crois me dire quelque chose du genre « je ne suis pas assez bien pour elle ». Ou plutôt : « ce serait trop beau que je plaise à une telle femme ». En fait je crois qu'elle éveillerait tellement mon désir que je craindrais de ne pas être à la hauteur. J'anticiperais sur la perte à venir, comme si elle était inéluctable.

C'est idiot, parce que si j'avais suffisamment d'audace pour aller au devant des femmes qui me plaisent, je suppose qu'il ne me serait pas très difficile de séduire celles qui le veulent bien. Je n'en ai pas suffisamment conscience pour en faire usage, mais je suis certain que si je le voulais vraiment, et si j'y croyais suffisamment, je pourrais faire pas mal de rencontres.

Reste à savoir si ça m'intéresse...

Rencontrer... pour faire quoi ? Hormis le temps de la découverte, qu'ai-je envie de partager avec une femme, au delà de l'amitié ? Certainement pas une vie de couple ! Ah non, vraiment pas ! Quelques sorties, de joyeuses galipettes ? Ben oui, mais ça ne construit rien...

Des vacances ? une vie en commun temporaire, hors du temps ? Hmmm... oui, concrétiser ce genre de projets... Du lien en alternance. Discontinu mais durable.

Ouais, c'est ça : j'ai envie de construire du lien, mais qui aurait une dimension de séduction, de désir, de plaisir à être ensemble. L'attachement libre cher à mes rêves. Mais... pfff... je crois tellement que cet état instable ne peut pas durer que je n'essaie même pas. Je suis découragé avant même de commencer, avant même de tenter quoi que ce soit, anticipant sur ma déception lorsque l'échec surviendrait. Ben... merde : si je prévois l'échec c'est le meilleur moyen de lui laisser la place. Et surtout si je vois la fin d'une relation en terme d'échec...

Ça veut dire que je ne suis pas encore prêt à tenter la chance sans crainte. Ça veut dire que j'attends trop des rencontres. Ça veut dire que je ne suis pas autosuffisant... Ben oui, et heureusement ! J'ai besoin des autres et de leur différence, de ce qui me manque, de ce que j'ignore. Ouais... faut juste que j'accepte l'idée que les tentatives n'aboutissent pas à chaque fois. Voire que les relations durables sur le mode de la libraimance sont exceptionnelles. Rarissimes.

Faut juste que j'accepte l'idée que la vie n'est pas "juste et équitable" et rend parfois tout autrement que ce que l'on attendait de l'investissement dans une action. Rien n'est jamais dû et le facteur chance est toujours à prendre en compte.

Ce n'est pas une raison pour ne pas tenter cette chance !

Suffit d'oser... et de saisir ce que la vie offre comme opportunités inattendues. Se laisser surprendre par la vie, quoi...

Mais ne pas oublier non plus que les choses se font à leur rythme, lorsque le moment est venu. Manifestement ce n'est pas encore le cas pour moi.

[j'ai l'impression de revenir cinq ans en arrière...]



Additif (après une longue conversation qui recoupait parfois ce sujet) : qu'est ce que je suis sérieux quand j'écris ! Et en plus je ne suis pas certain de penser vraiment tout ce que j'écris : bien sûr que les rencontres m'intéressent !







Ma façon d'aimer
(1ere partie)




Vendredi 20 juin


Une fidèle amie-lectrice, qui connaît bien mon histoire récente, m'a fait part de ses interrogations au sujet de ma façon de vivre les relations sentimentales. Lui répondre m'aura porté vers pas mal de réflexions allant au delà des questions initiales. Affinées au fil des jours, elles me permettent simultanément de faire le point. J'en livre ici le résultat.



(...) Pierre, j'ai plein d'interrogations à ton égard. Bien que je connaisse passablement bien ton histoire il y a des questions que je me pose et auxquelles tes écrits ne m'apportent pas de réponse. Je vais essayer de synthétiser ce que j'ai compris à travers le temps et les interrogations que j'ai pour mieux te comprendre.

Je reprends donc ton histoire en schématisant, depuis le début. Il y a, on va dire 5 ans, tu vivais en couple, plutôt bien, plutôt heureux, ou sans avoir vraiment conscience de ne pas l'être tout à fait. Tu disais en ce temps là ne jamais vouloir quitter charlotte. Puis au travers des blogs tu as connu Nathalie, petit à petit tu as rêvé à autre chose, ce que tu appelle la libraimance. Tu as rencontré Nathalie, sentiment amoureux exaltant, riche d'émotions et d'espoirs.
Ma première question : Quels étaient alors tes espoirs, tes projets ?


D'abord, pour saisir l'ampleur de cette histoire, il faut savoir que ce que j'ai trouvé avec Nathalie, c'était bien plus qu'un simple sentiment amoureux, aussi exaltant soit-il : c'était une Rencontre majuscule. Ça ne s'explique pas, ça se vit. À l'époque je qualifiais cela d'extraordinaire, tandis qu'elle parlait de « quelque chose de rare et précieux ». On n'utilise pas ces termes à la légère lorsqu'on a un peu de vécu derrière soi, même sous le coup de l'élan amoureux. Si je fais abstraction de ce sentiment il y avait antérieurement une amitié complice, une entraide psychique, une confiance qui étaient à l'origine de notre relation. À la fois différente et semblable, elle était littéralement un alter ego. De surcroit il y avait, pour moi, une dimension "révélatrice" en ce sens qu'en elle je trouvais ce vers quoi je désirais aller. Pas seulement au sens propre de la personne, qui me séduisait de multiples façons, mais surtout au sens de l'état d'esprit, de la façon d'être, qui réveillait en moi quelque chose de jamais né. Une puissante lame de fond. Ce genre de Rencontre est, j'en suis persuadé, rare dans une existence. Je ne suis pas certain que chacun bénéficie de cette chance...

Ceci étant posé, et pour revenir à l'aspect plus "normal" de la relation [je reviens sur terre...], ce que j'aimais avec elle, c'était la découverte d'une personnalité attachante et originale, curieuse et inventive, drôle et sensible... mais aussi très contradictoire et farouchement libre. Avec elle il y avait une forte dynamique et j'avais envie d'inventer des façons de partager cette découverte mutuelle malgré la distance géographique. J'aimais ce défi, la grande attention que cela demandait de l'un envers l'autre. L'objectif étant, à mes yeux, que notre relation reste extra-ordinaire et que, du fait de leur rareté, nos rencontres soient fortes et, disons... "magiques". Du rêve ? Et pourquoi pas ? L'alternance de temps immatériels et de rencontres dans toute la présence de l'autre me paraissait être quelque chose d'excitant, quoique demandant de composer avec une certaine frustration. J'entrevoyais toute la fertilité d'un désir entretenu par l'absence, libéré dans la présence. Mon espoir, c'était d'arriver à tenir ainsi, dans un ajustement constant à la surprise perpétuelle que constituait l'Autre. Faire durer ce lien singulier né de l'écriture, intensifié par l'échange approfondi et s'ancrant dans des rencontres bien réelles et abouties. Mais peut-être était-ce totalement utopiste ?

Venons-en à la question : quels étaient mes projets... hum... c'est devenu tellement lointain...

C'était de construire ensemble cette relation entre deux personnes géographiquement éloignées, mais aussi entre deux cultures, deux tempéraments. Trouver ensemble ce que nous pouvions réaliser en commun. Produire quelque chose qui pouvait s'abstraire d'un lieu. C'était aussi préparer nos futures rencontres en s'appuyant sur le souvenir des précédentes. Étirer le temps en le conscientisant au maximum. Là encore, inventer : séjours chez l'un et l'autre, partages de toute nature, mais aussi découverte d'autres villes, d'autres pays, d'autres cultures. Je rêvais de vivre des temps hors-norme, des parenthèses marquantes dans nos vies respectives. En fait je me rends compte que j'avais plein de projets en germes, qui ne pouvaient éclore qu'avec sa participation...


Ensuite est venu le malentendu entre vous : Qu'est ce qui a déclenché ce malentendu, tes attentes ? Les siennes ? Qu'attendiez vous l'un et l'autre ?

Je ne sais toujours pas ce qui a suscité tant de malentendus. Peut-être était-ce trop difficile de se comprendre à distance ? Le manque de présence et de tout ce qui passe par le non-verbal à certainement joué un rôle majeur. Communiquer sans voir l'autre, c'est se retrouver largement face à soi-même, donc face à tout ce qui, en soi, est sensible, vulnérable, inquiétant. C'est la porte ouverte à l'imaginaire et l'interprétation, aux projections et aux fantasmes. Pour le meilleur et pour le pire.

Assurément nous nous sommes trouvés devant quelque chose d'inconnu, que seuls peuvent appréhender ceux qui ont vécu pareille situation. À ceci près que l'idée de vivre ensemble n'allait pas de soi, pour tout un tas de raisons. Nous n'avions que rarement evoqué cette éventualité qui se heurtait, à ce moment là, à pas mal d'impossibilités conjoncturelles.

Bien sûr, nous avions des attentes l'un et l'autre, conscientes ou pas. J'ignore quelles étaient précisément les siennes, hormis qu'elle voulait d'une relation dans laquelle elle ne se sentirait pas enfermée. Je crois que la plupart de nos attentes étaient assez proches, compatibles, et allaient dans la même direction. Sauf que nous n'en étions pas au même stade dans notre cheminement : elle se disait autonome et tenait autant à garder sa liberté que je tenais à être rassuré sur la pérennité du lien. Je crois vraiment que c'est sur ces deux points corrélés que nous avons achoppé. Je le comprends d'autant mieux que maintenant je crois être parvenu à un stade assez proche de ce qu'elle était...

Il faut dire aussi qu'à cette époque il y avait pour moi un enjeu énorme, avec la mise en balance de ma vie de famille, mon couple, mon entreprise. C'était beaucoup. Je remettais en question les fondements de mon existence, et avec elles mes convictions et mes valeurs. J'entrainais aussi dans le mouvement d'autres que moi, qui n'avaient rien demandé. Ce bouleversement me demandait une réflexion approfondie, donc du temps.

Ce que j'attendais d'elle, c'était sentir cette confiance déterminée en "nous", donc en moi et ma capacité d'adaptation. J'avais besoin de sentir de sa part une volonté que notre défi commun tienne. De son côté je crois qu'elle avait surtout besoin de se sentir libre, condition sine qua non pour que le relation tienne. Il était question de désir aussi, d'attirance. Avec le recul... je pense qu'elle attendait de moi davantage d'assurance, et peut-être un rôle moteur.

Au niveau inconscient c'était certainement beaucoup plus compliqué que ces quelques idées, autant pour elle que pour moi. Je crois que nos peurs enfouies se sont alimentées et ont surpassé notre désir d'être ensemble...

J'ai exploré beaucoup de pistes depuis que je suis sans elle mais hélas, faute de dialogue, je n'ai pas pu avoir de confirmation de mes suppositions. Je trouve dommage que nous n'ayons pas su parler de ce qui touchait à nos plus grandes sensibilités. C'était la clé, j'en suis convaincu.

Ceci dit j'ai trouvé dans ce vide une puissante inspiration pour mon propre cheminement...


Ensuite c'est la rupture totale qu'elle t'impose. Pourquoi réellement ? Le sais-tu aujourd'hui, que te reprochait-elle ?

Ces questions je me les pose parce que tu m'as souvent parlé de la libraimance.
Vous étiez si j'ai bien compris en phase tous les deux pour aller dans ce sens.

Elle seule sait peut-être pourquoi, réellement (et ce mot à toute son importance), elle m'a imposé cette rupture. Moi je l'ignore encore. C'est d'ailleurs bien ce qui a fait durer aussi longtemps le processus de détachement puisque j'ai dû procéder par déductions, suppositions et hypothèses à partir des éléments qu'elle m'a donné. Je crois avoir compris que pour elle c'était trop difficile de vivre ainsi, ce que je peux comprendre. Apparemment il y aurait ensuite eu une lassitude, une perte du désir, un cycle de repli et d'isolement. Ce qui est certain c'est qu'au bout d'un certain temps elle n'a plus trouvé satisfaction à rester en relation avec moi.

Au départ il ne s'agissait pas d'une rupture, mais, selon ses termes, d'une « suspension ». Puis la suspension est très vite devenue « arrêt », et ainsi de suite dans des termes de plus en plus rigides, définitifs et irrévocables. Il y a eu rupture progressive, d'abord dans la communication, puis semble t-il dans le sentiment amoureux, et enfin dans l'amitié que, pourtant, elle avait souhaité restaurer. C'est comme s'il y avait quelque chose d'inéluctable dans son éloignement. Je dirais presque... programmé.

Bien sûr elle m'avait donné des raisons "officielles" pour la suspension et les conditions de sa levée : si jamais un jour j'étais vraiment divorcé (le mot était souligné), alors je pourrais la recontacter. Je n'ai pas accepté cette décision, parce qu'elle était basée sur un postulat erronné : elle considérait que je n'étais pas fait pour vivre seul et que je devais retourner à ma vie d'avant, auprès de Charlotte. Cette décision elle l'a prise sans me demander mon avis, sans qu'on en discute ensemble... J'ai donc résisté comme j'ai pu avec la marge de manoeuvre étroite dont je disposais, à la fois révolté contre cette décision arbitraire et totalement dévitalisé, saigné à blanc par son "abandon" du défi que je croyais commun. Je reconnais cependant qu'avant la suspension notre relation s'était complexifiée, devenant difficile à vivre du fait d'une communication défectueuse. Plusieurs fois j'avais été fortement tenté de jeter l'éponge, épuisé. Ce qu'elle me faisait vivre tenait de la mise à l'épreuve permanente, à mon avis de façon inconsciente. C'est devenu encore pire avec le silence croissant qu'elle a choisi d'adopter, avant que je ne l'accepte.

Ce qu'elle me reprochait c'était mes craintes, mes doutes... que d'un autre côté son comportement éveillait sans cesse, là encore inconsciemment. Elle me reprochait aussi de n'en avoir jamais assez... tout en me donnant toujours moins. En fait nous étions entrés dans une sorte d'incommunication, ne parlant pas vraiment du fond de ce qui était devenu notre problématique : la peur de l'autre. Elle me faisait peur avec ses réactions très vives quand je tentais de dire ce que je ressentais et... qui lui faisait peur. Je ne l'ai compris que beaucoup plus tard. À la longue s'étaient installées des zones de non-dit et de non-dicible. Je n'osais pas suffisamment m'affirmer devant elle quand je la sentais agressive, sur la défensive. Je devenais inconsistant, égaré, apeuré. Donc, évidemment, pas particulièrement attirant. Probablement décevant... Du moins c'est comme ça que j'interprête les choses, en simplifiant beaucoup.

Quant à la Libraimance, oui, je crois que nous étions bien en phase, ou en voie de l'être : je crois être parvenu aujourd'hui à peu près à ce qu'elle vivait lorsque je l'ai connue. Jamais Nathalie ne m'a demandé de quitter Charlotte. Au contraire, je pense qu'elle préférait cette situation qui lui garantissait de rester "libre". D'ailleurs, constat troublant, plus je suis devenu célibataire, donc libre, plus elle s'est éloignée de moi...


Alors pourquoi si elle avait comme ligne de vie cette libraimance, t'as-t-elle dit un jour de retourner dans ta vie d'avant ? Qu'est ce que cela voulait dire ?

Je m'explique : Si j'ai cet état d'esprit, vouloir aimer librement et être aimé en retour de la même façon, peut m'importe si l'homme que j'aime est marié ou pas, ce qui m'importe c'est qu'il partage avec moi des moments quand nous en avons envie tous les deux, pour le reste du temps il est libre et je suis libre. Donc marié ou pas, je ne peux rien lui imposer.

Je ne sais pas pourquoi elle m'a repoussé vers ma « vie d'avant ». C'est en totale incohérence avec les bases de notre rencontre. Je n'ai pas compris. Je crois qu'elle a voulu m'épargner un impossible choix, "pour mon bien" (prévenance intolérable), probablement parce qu'elle sentait que j'étais encore très lié à Charlotte, donc pas entièrement disponible. En effet, au moment ou Charlotte m'a mis devant un ultimatum, je n'étais pas libre de mes mouvements, trop engagé dans mon couple pour le quitter dans un délai court. Il me fallait encore du temps pour régler cela. C'est pour ça que j'avais "accepté" le principe d'une suspension. Mais pas celui d'une rupture !

En fait je crois que sa décision cachait d'autres motivations qui ne m'ont pas été dites. Qui n'ont peut-être même pas été vraiment conscientisées chez elle.


Aviez vous abordé ensemble le sujet du comment serait votre relation ? De l'exclusivité ou pas ? Des temps de rencontre ou pas ?

Oui, de temps en temps nous parlions de nos temps de rencontre et de nos désirs à ce sujet. Relativement peu cependant, tant notre avenir était à dessiner. Il était convenu que nous ne programmions rien, face à l'incertitude. Je ne la questionnais pas trop, pour qu'elle ne se sente pas coincée, mais j'aimais beaucoup quand elle dévoilait ses désirs relationnels avec sensibilité. J'étais très touché par ce qu'elle me disait, particulièrement ému. Pour l'exclusivité il était évident que je n'étais pas dans ce principe, puisque déjà marié. Quant à Nathalie, elle m'avait clairement dit qu'elle pouvait faire des rencontres, vu l'espacement des notres. J'acceptais cela... tout en souhaitant que ça ne menace pas notre relation.


(à suivre...)







Ma façon d'aimer
(2eme partie)




Samedi 21 juin


Venons en à aujourd'hui. Tu as eu quelques aventures. Que t'ont-elles apporté, bien que tu aies dit à une d'elle ton désir de vivre libre en amour, je me souviens qu'une d'elle avait accepté, puis ça à foiré. Pourquoi ? Voulait-elle que tu t'impliques plus ?

J'ai eu quelques débuts d'aventures plus ou moins poussées [plutôt moins que plus...], mais il n'y a rien eu de sentimental. Tout au plus des affinités, une sympathie, une confiance dans les confidences. Du désir, aussi, une attirance faisant naître un sentimentalisme sans épaisseur. Mais je n'ai plus aimé, n'ai plus été amoureux depuis Nathalie.

Pourtant chaque rencontre m'apporte quelque chose, dans des registres différents, et m'éclaire sur la diversité des personnalités et de leurs réactions. Cela m'enrichit. Je dois cependant reconnaître qu'une grande part de mes questionnements existentiels est orientée dans le sens de l'incompréhension qui a découlé de la "suspension-rupture". Je puise dans mes relations actuelles ce qui me permet de mieux comprendre ce qui s'est passé avec Nathalie, avant, pendant et après. À partir de ces expériences croisées j'extrapole et tire des enseignements sur les relations affectives en général. Ce n'est pas un objectif prédéfini et calculé, mais plutôt le constat que j'apprends de chaque relation, qui réveillent en moi des éléments incompris. Il y a encore un creux de questionnements à remplir.

Objectivement je ne suis donc pas "libre". Du moins tant que je n'ai pas rencontré une autre femme qui saurait me séduire suffisamment... ce qui demandera probablement du temps après une telle histoire. Mais peu importe : être en couple n'est pas la seule façon de vivre bien...

Pour mes aventures sans suite, le fait que j'annonce mon choix de libraimance a effectivement tempéré les ardeurs de certaines postulantes. Mais je n'étais pas amoureux d'elles, donc peu enclin à l'exclusivité. Par ailleurs je n'avais pas vraiment de disponibilité à consacrer à ces relations, probablement parce que je n'étais pas suffisamment séduit et que je sentais une demande forte à laquelle je savais ne pas être en capacité de répondre. Sentir la moindre forme de pression était la meilleure façon de me maintenir à distance. J'ai d'ailleurs beaucoup compris, avec ces expériences, de la dynamique inverse qui me reliait à Nathalie.



Pour le futur. Que recherches-tu en fait réellement ?

Une femme qui te fasse vibrer, avec laquelle tu aurais un plaisir immense de faire l'amour, mais à laquelle tu diras, que tu souhaites être libre d'en côtoyer d'autres....celles-ci sans sexualité ou avec ?

Accepterais-tu qu'elle ait un immense plaisir de faire l'amour avec toi et la liberté d'en faire autant avec un autre ?

Je ne cherche rien pour le moment. Ça me semble trop compliqué. Enfin si : je cherche la paix de l'esprit. C'est à dire penser, me poser des questions, échanger... mais sans en souffrir. J'aspire à la simplicité et cueille ce qui vient. En outre, vis à vis des femmes [puisqu'il est question de ça], je me sais être exigeant, tant sur le plan des échanges intellectuels, socio-psycho-philosophiques, que sur l'attirance physique et le partage sexuel. Si je voulais "tout en une", je crois que je mettrais la barre très haute...

D'où la tentation de la pluralité.

J'aime rencontrer des femmes qui me fassent vibrer dans divers registres. J'ai notamment beaucoup de plaisir à avoir des échanges sexués, quoique asexuels. J'apprécie toujours la compagnie des femmes qui se posent des questions accordables avec les miennes, en tant qu'amies et confidentes, sans que soit exclu d'aller un peu plus loin. Je reste volontaire pour explorer à deux la diversité des relations homme-femme. Actuellement je désirerais avoir [de façon assez ambivalente] du partage de sensualité, voire de sexualité brute, et en même temps je suis toujours avide d'échanges sincères et approfondis. Il me semble que ça m'est indispensable... tout en sachant que cela rend quasiment impossible une sexualité sans enjeux. Je "rêve" d'une rencontre avec une femme désirée et qui me désire, sans implication, sans explications. Quelque chose de simple et spontané. Ça serait vraiment cool [soupir...]. Quoique... en même temps, je ressens parfois un dégoût de la sexualité. Comme un rejet, en sachant à quoi ça a pu me mener de suivre ce désir-là. Et puis comme je ne veux pas investir de relation sentimentale [par réflexe de protection], je ne sais pas bien ce que m'inspire la sexualité sans sentiments. Je la ressens comme privée de certaines dimensions essentielles.

Sur le plan d'une sexualité désirante et sentimentale, je reste encore trop pris dans toutes les incompréhensions de ma relation avec Nathalie. En l'état actuel de ce que c'est devenu je reste sur un sentiment mitigé : tant de conditions et de concordances semblaient favorables. Ça refroidit, ce genre de choses...

Je constate aussi, en écrivant ces lignes, que je ne suis pas encore bien clair dans ma tête vis à vis de mes désirs de sexualité. Ceci expliquant sans doute que je m'en tienne à distance...

Pour répondre à la question, je ne sais pas comment je réagirais si une femme avec qui j'aurais une sexualité épanouie la vivait aussi avec un autre. Dans l'abstraction ça me semble tout à fait acceptable. Dans le ressenti plus réel, je ne sais pas comment je le vivrais [faudrait que j'y sois confronté...]. Je crois que c'est une question de confiance, de respect, et surtout de communication. Essentielle communication...



Si tu me réponds oui à ces questions cela signifiera alors que tu acceptes d'avoir des sentiments et désirs pour plusieurs personnes. Ne pourrait-on pas alors comparer ça à une sorte de polygamie à double sens, sans mariage bien entendu ?

Si tu me réponds non, alors est ce une relation amitié amoureuse dans laquelle un et l'autre sont libres d'avoir d'autres « amitiés amoureuses » ?

Comment peut-on gérer cela, je ne parle pas seulement des sentiments, mais du facteur temps.

Voila bien la question centrale, à mes yeux, et autour de laquelle j'ai tourné quelques lignes plus haut : l'éventuelle dissociation du sexuel et du sentimental. Je ne sais pas encore bien où j'en suis sur ce plan puisque je n'ai pas beaucoup exploré tout ça dans le concret.

L'image de la polygamie ne me semble pas convenir. Je la rattache à quelque chose d'organisé, de l'ordre du conjugal. Célibataire, je ne me situe pas dans ce registre. Ce serait plutôt la liberté d'aimer, de partager, de rencontrer, tout en tentant de construire quelque chose basé sur la confiance et le respect. Amitiés amoureuses, libraimance, polyfidélité... peu importent les étiquettes : c'est à chaque "couple" ainsi formé de trouver ce qui convient à chacun. Mais quand même, je reste soucieux de la pérénnité des liens. Pour moi il est important que les intentions de chacun à cet égard soit clairement énoncées. Savoir à quoi m'en tenir...

Le facteur temps ? Oui, bien sûr, c'est une des complications des relations plurielles, mais je ne la vois pas comme un obstacle majeur. On ne se pose pas tant de questions quant il faut concilier travail, loisirs, vie de famille et temps consacré au couple. À mon avis ce n'est pas la que se situe le fond de ce qui pose problème... C'est bien le partage, la peur de perdre, l'insécurité affective qui créent la jalousie.

Mais tout cela est vraiment dans l'abstraction puisque je n'ai actuellement pas de relations de cet ordre. Lorsque c'était le cas, avec Charlotte et Nathalie, ça me convenait... probablement parce qu'il y avait une grande distance géographique, et même des horaires décalés. Comment aurais-je fait si elles avaient toutes les deux vécu à proximité ?

Je crois aussi que, si la relation avec Nathalie était restée satisfaisante je n'aurais pas ressenti le besoin d'autres liens sentimentaux. Je pense que les amours plurielles n'ont place que lorsqu'un seul amour devient insuffisant.

Ceci dit, je sais aussi que chercher à combler tous les manques serait non seulement une quête sans fin, mais serait aussi "dangereux" pour la santé mentale et la frustration engendrée. On ne peut pas être dans la jouissance permanente, le manque est constitutif de l'être...



Imaginons, toi et moi nous sommes ensemble, tu as d'autres amitiés amoureuses et moi aussi. Il arrivera forcement que tu ais envie de me voir et que je te dise non, tel jour je suis avec untel. Et idem pour moi, j'entendrai la même réponse de ta part.

Comment peut se construire une vraie relation dans ces conditions ?


Je pense que ce genre de relations plurielles ne peuvent tenir que s'il n'y a pas de frustrations excessives. C'est à dire qu'il y a ait un relatif équilibre, ou du moins que le rythme des rencontres convienne à peu près au deux. Ce qui implique, une fois de plus, communication, écoute, respect. Par contre, qu'est-ce qu'une "vraie" relation ? Je crois qu'il ne faut pas se référer aux modèles existants, qui calibrent trop les choses. Les relations plurielles sont différentes, autres, apportent avantages et inconvenients qui leur sont propres. Je pense aussi qu'elles restent un mode de vie particulier, correspondant à des situations ou l'amour au singulier n'a pas de place pour exister, pour diverses raisons tenant de circonstances matérielles ou psychiques. Il est assurément plus simple de n'avoir qu'un seul amour. Reste à savoir si la simplicité est un objectif de vie [oui, je sais, c'est contradictoire avec ce que je disais plus haut, mais l'humain n'est que contradictions et paradoxes...]



N'est-ce pas des morceaux de relations que l'on a ? la complicité, le soutien, peuvent-ils exister dans une relation comme celle ci ? Parce que pour moi complicité je peux le comprendre, mais soutien... c'est moins évident si je dois le donner à plusieurs personnes et forcement je ne serais pas disponible pour plusieurs à la fois.

Morceaux de relation... ou mosaïque de relations ? Morcellement ou diversité ? Fragments ou kaléïdoscope, tout dépend comment on voit les choses. Bien sûr que la complicité et le soutien peuvent exister au pluriel, du moment que l'attachement est sincère. Mais il ne faut pas les attendre au quotidien ! Il n'y a pas cette sécurité d'avoir une épaule compatissante disponible à la demande. Ça demande d'avoir suffisamment de ressources en soi pour ne pas attendre de l'autre. J'y vois la plus grande difficulté, parce que cela demande généralement un gros travail sur soi.

Par contre, est pointé ici l'obstacle majeur, auquel il n'y a pas de réponse satisfaisante : impossible de se partager si deux personnes aimées ont besoin d'un fort soutien au même moment. Lorsque je discutais de la polyfidélité sur un forum, il m'avait été objecté : « et si les deux tombent malades en même temps, vers laquelle irais-tu ? ». Effectivement, je me trouverais dans un grand embarras et, probablement, une torture mentale. Mais faut-il toujours anticiper sur le pire ? Refuse t-on d'avoir plusieurs enfants en pensant qu'un jour ils pourraient être plusieurs à avoir besoin de nous ? Et si on a besoin de l'autre au moment où il a besoin de nous, comment fait-on ? Et quand on se retrouve seul, après le décès de l'être aimé ?

Je me suis bien sûr demandé comment je ferais dans la vieillesse, en aimant deux femmes, qui plus est sur deux continents différents... mais la vie est ici et maintenant. Peut-être que je serai mort bien avant de me trouver devant ces éventualités. Anticiper sur le pire est le meilleur moyen de ne pas bouger.



(à suivre)






Ma façon d'aimer
(3eme partie)




Dimanche 22 juin


Échos de lecture, après mes derniers textes :

« Cette relation avec Nathalie que tu analyses tant... elle ne t’empêcherait pas un peu de vivre autre chose ? Je viens de lire dans ta dernière note sur ton journal que les relations que tu noues depuis, te servent à analyser cette relation qui a foiré. Je trouve ça un peu ... dur pour les femmes concernées. Et surtout, tu restes encore enfermé dans cette histoire... même quand tu es avec quelqu’un d’autre. »

Analyser m'empêcherait de vivre autre chose ? Pas faux... mais incomplet. D'abord je sens bien que je ne suis pas prêt, ou n'ai pas trouvé celle qui me réveillera de ma torpeur [youhouuu, où est tuuu ?]. Ensuite, tout ce temps que je passe à analyser, "en attendant", me permet d'approfondir les choses et de mieux me connaître. On pourra me rétorquer, à juste titre, qu'analyser reste cérébral et que ce n'est que dans la confrontation à la réalité que je progresserai réellement...

Ouais, je sais tout ça. Mais je fais aussi avec ce que la vie m'apporte, avec ce que je suis, avec mes désirs et mes peurs. Je ne veux pas non plus me jeter à nouveau dans des expériences qui pourraient renforcer les mécanismes de défense (cette "fuite" de nouvelles rencontres). Alors je fais les choses à mon rythme...

Mais faut pas croire, je vis plutôt bien ainsi. Même s'il y a des frustrations [mais où n'y en a t'il pas, ma brave dame, je vous le demande...]

Pour ce qui est de me "servir" de mes relations actuelles pour expliquer mon passé, je crois qu'on fait tous ça : on est toujours dans la réparation, la correction, l'amélioration, la reproduction. Notre passé est notre base d'expérience et notre référence. Dans mon cas c'est un peu focalisé sur une seule expérience (après l'avoir été sur celle de mon couple), et je ne le cache pas, mais ça ne me semble pas fondamentalement différent de ce que fait tout le monde.

Ce qui est « dur » c'est peut-être de l'entendre...

Mais je suis ouvert à tout, avide de découvertes autres, d'expériences inédites. Faut juste que ça fasse *Tilt*.


« Tu dis « Anticiper sur le pire est le meilleur moyen de ne pas bouger. »... mais ce n’est pas ce que tu fais ? :-) »

Ben oui, c'est bien pour ça que je suis aussi lucide, hé hé.
Mais la lucidité n'a jamais été suffisante pour ne pas faire...



Une autre correspondante m'écrit :

« Tu veux vraiment beaucoup à la fois, tu veux tout, Pierre l'idéaliste, comme l'enfant... »

Beaucoup et tout, ce n'est pas la même chose... Non, je ne veux pas tout, mais oui je veux "beaucoup" (c'est à dire davantage que ceux qui ont déjà renoncé). Je suis fait comme ça, c'est ma nature, mon caractère. C'est moi. Si je veux certaines choses, c'est parce qu'elles me semblent essentielles, vitales. Bien sûr je peux travailler sur ces désirs s'ils s'avèrent être inatteignables. Éventuellement essayer de les changer, réduire mes exigences si je prends conscience qu'elles restreignent trop les possibles... mais pas en renonçant bêtement devant la difficulté à les obtenir.

Quant à l'enfant, si c'est pour dire que je garde une part de naïveté, d'idéalisme, de capacité à rêver et m'enthousiasmer... je prends !


« C'est imposssible. C'est le manque qui engendre et crée le désir. Je te souhaite le meilleur cad cet autre qui ne te donnera pas tout, (qui ne pourra jamais te donner "tout" car elle n'aura jamais "tout"... comme toi , d'ailleurs, tu n'as pas "tout") qui creusera ton manque et te fera toujours chercheur, toujours en quête de cette innaccesible étoile cad toujours en désir donc en vie. »

Je partage entièrement cet avis... et c'est bien pour cela que j'ai choisi de m'orienter vers la pluralité des relations. Je n'aurais pas "tout" pour autant, c'est évident, mais j'aurais davantage de chances d'obtenir ce qui m'importe [ce que je crois qui m'importe...]. La quête n'en sera pas moins source de désir, au contraire. Et j'aurais comme tout le monde ma dose de frustrations.


« Un ami m'a dit récemment que la vie est plus facile quand on est deux (avec quelqu'un qui vous aime) car même si entre un homme et une femme c'est toujours une rencontre impossible car nous sommes si différents, "seul" , ajoutait-il il faut s'aimer soi même deux fois plus pour vivre en harmonie.
il m'a fort interpellée par cette phrase et j'ai pris conscience de la chance que j'avais d'avoir un mari qui m'aimait (comme il pouvait) et de ma bêtise souvent à ne pas le voir et à toujours lui en demander plus cad à vouloir qu'il m'aime comme je le veux. »

Je ne crois pas qu'il faille chercher à comparer. Est-ce plus facile de vivre à deux ? Mais de quoi parle t-on ? Est-on plus libre à deux, par exemple ? C'est tout simplement différent ! J'ai vécu un quart de siècle en couple et certaines choses étaient plus faciles que depuis que je suis célibataire, d'autres plus difficiles. Ma vie n'est pas moins bien depuis que je suis seul, elle est autre, à la fois plus diversifiée et plus monotone. Différente ! Mais je l'aime bien cette nouvelle vie, je n'ai pas la nostalgie de celle d'avant.

Ah si : je regrette que nous n'ayons pas pu aller plus loin dans le partage avec celles dont je me sentais proche pour poursuivre l'aventure commune... Mais peut-être ces deux femmes attendaient-elles que je les aime comme elles le voulaient ?

Je pourrais argumenter indéfiniment et ça n'aurait guère d'intérêt, parce que tout est réversible, selon le point de vue d'où on se place. Je comprends que ce que je décris puisse paraître irréaliste, farfelu, excessif, ou tout autre qualificatif traduisant une incapacité à comprendre ma démarche. Ben oui... mais c'est mon chemin, que nul n'a tracé avant moi, que nul ne suivra après moi.

On peut penser que je me trompe, que je fais fausse route, que je vais dans le mur, que je m'égare, que je tourne en rond... Ce n'est ni vrai ni faux, parce que personne n'est à ma place ni ne sait pourquoi je suis ce chemin, ce que je cherche, vers quoi je vais [même moi je ne sais pas, c'est dire...]

Dois-je rappeller que ce qui est important n'est pas l'objectif, mais le chemin qui y mène ?



* * *



Allez, après ce petit aparté qui restait dans la tonalité je continue mes palpitantes analyses...

L'état des lieux de mes ressentis du moment m'entraine à aller voir un peu plus loin, en farfouillant dans ce qui n'est pas encore clair en moi.

D'abord, voir ce qui se joue autour de deux mots forts : amour et sexualité.

Depuis euh... combien de temps déjà ? cinq ans ? huit ans ? heuuh, trente ans ??? que je me questionne sur ce qu'est aimer pour moi, je crois avoir pas mal dégrossi le sujet. Je ne distingue plus amitié et amour, sur le plan des sentiments : ça fait partie du grand tout "Aimer", qui est bien plus vaste. C'est clair et ça ne me pose pas de problème. En revanche l'irruption du désir est bien une frontière dont le passage est délicat, quelle que soit la forme du lien, qu'on le nomme "amour" ou "amitié". Dès que le désir (forcément sexuel) se perçoit, s'exprime, se nomme (généralement de façon masquée...), les choses se compliquent. Peut-être parce qu'il n'est pas facile de dire clairement...

« J'ai envie de baiser avec toi ! »

Mouais, c'est moyen comme entrée en matière... généralement faudra être un peu plus subtil [quoique...]. Dire à demi-mots, sans être trop explicite ni trop nébuleux. Ouais, pas simple, quoi...

On sait bien, depuis Freud, que tout se rapporte au sexuel. On sait aussi que le désir sexuel met en mouvement l'inconscient, cet autre soi. Le centre névralgique qui arbitre entre peurs et désirs, selon des règles venues de plus loin que la mémoire consciente.

C'est ainsi que pour moi, sans que je sache vraiment d'où ça me vient, la liaison entre sexualité et sentiments est à la fois "indispensable" et compliquée. J'ai du mal à dissocier les deux, tout en sentant bien qu'il y a quelque chose à scinder. Oui, mais quoi ? et comment ?

En fait, plutôt que la sexualité, c'est le désir sexuel qui me pose question. J'ai du mal à assumer ouvertement ce désir pulsionnel, et plus encore son expression. C'est comme si, de peur de ne pas savoir "gérer" ce truc qui risque d'entrer en ébullition à tout moment, je préférais le maintenir étouffé. Invisible. Puisque je ne peux pas laisser libre cours à mon désir de me saisir de l'objet féminin (dépersonnalisé), j'en bannis l'expression. Variante : j'investis les rapports avec le féminin lorsque il n'y a pas de désir sexuel prééxistant. Ou pas trop... Ou lorsque son expression est limitée par des barrières efficaces, telles que la distance géographique, l'absence [internet], ou les liens sacrés du mariage [hum hum...].

Bref : je fuis mon désir.
Ce qui est la meilleure façon de le maintenir sous pression !
Donc de le sentir "ingérable".
Donc d'en avoir peur.
Et ainsi je boucle le cercle vicieux. [ah ça, pour être vicieux...]

Oooh, mais c'est tout simple, me dira t-on : "yaka" laisser libre cours...
Ouais ouais, j'ai essayé ! Ça a d'abord très bien fonctionné et puis... finalement c'était pas si simple, comme en attestent les 352.856 pages de ce journal.

Alors j'ai rééssayé en soustrayant les sentiments , avec une que j'apppréciais mais ne désirais pas. Je désirais l'acte, pas la personne. Résultat assez peu satisfaisant du point de vue éthique et personnel. Perturbant, gênant. Impression d'utiliser l'autre. Dissociation corps/esprit.

Faudrait essayer avec une que je désire, mais sans investissement sentimental. Mais comme jusque là je n'ai pas dissocié les deux...

[Tiens c'est marrant ces histoires de dissociations corps/esprit et désir/sentiments... Y aurait-il quelque chose à creuser de ce côté-là ?]

Reste l'amitié sexuelle, qui me semble moins impliquante, moins compliquée. Sauf que c'est quand même compliqué sur d'autres plans, et que l'affectif et le désir ne concordent pas forcément. Ou que je craindrais que l'affectif ne change de nature en devenant plus exigeant. Plus... sentimental. Plus... dépendant. Eh, c'est que c'est pas simple tout ça ! On ne manoeuvre pas son esprit selon sa volonté, et encore moins celui des autres.

Il va pourtant bien falloir que je me frotte à tout ça si je veux que ça bouge [je vous laisse méditer sur les "ça" dont il est question...].



Bon, après la sexualité voyons l'amour maintenant..
[mais non, ça n'a rien à voir, allons...]

Je sais que je peux aimer et simultanément en vouloir à celle que j'aime de ne pas répondre à mes désirs (au sens large, cette fois). Ce conflit interne m'interroge et me pousse alors à redéfinir mon rapport, mon investissement envers cette personne. L'inadéquation entre les attentes oblige à les modifier... ou à se quitter. Et puisque, lorsque j'aime, je ne souhaite pas perdre l'autre, cela me pousse à changer, m'ajuster à sa différence. C'est ce que j'apprécie avant tout dans les relations. En fait je ne cherche pas "l'amour" directement, mais cette façon d'aimer qui consiste à trouver ensemble comment bien fonctionner. Ce qui peut mener à s'éloigner beaucoup, comme pour ce qui s'est passé avec Charlotte. Il nous a fallu trouver un équilibre relationnel qui permette à chacun de se sentir bien, à la distance optimale.

Je suis parvenu à un résultat similaire avec Nathalie [quoiqu'il m'ait fallu notablement plus de temps...]. J'ai trouvé mon équilibre en n'ayant plus aucun contact. Ne plus rien savoir d'elle... tout simplement pour ne pas souffrir de voir qu'elle ne renvoyait plus rien du "nous". Ce qui n'empêche pas que je me sente toujours lié. De mon côté il n'y a eu ni refus, ni rupture. Seulement éloignement. Tant que la rupture est unilatérale il peut suffire d'un contact pour rétablir des passerelles.

Je me suis souvent demandé si la rupture de mon côté pouvait être judicieuse, en me "libérant" de cette histoire [aaah, ça vous ferait des vacances, hein ?]. J'ai cru, à différentes étapes du parcours des deuils, avoir franchi ce pas. Ça n'a jamais duré bien longtemps : il y a toujours eu un assouplissement de mes positions, une compréhension des choix de mon amie, une acceptation du résultat. Comme si, de mon côté, il y avait une impossibilité de couper ce lien. Au delà de l'affectif il est, je l'ai souvent écrit, source de connaissance. Et là il ne s'agit pas de la personne, mais de ce qu'avec elle je découvrais. J'ai toujours fini par trouver plus avantageuse pour moi la continuité du lien, parce que cela me permettait d'évoluer vers plus de compréhension de l'autre [elle et autrui] et de moi-même. La rupture, le rejet, auraient contribué à me déresponsabiliser en éteignant le bouillonnement fécond des pensées. Me débarasser d'une problématique en ne voyant que les responsabilités de l'autre c'est me dédouaner à bon compte... mais dans une démarche à courte vue. C'est trop facile. Quant à tenter d'accepter les choses sans y être prêt, c'est de la pure illusion. Je sais que j'ai bien davantage à gagner en me confrontant à la différence qu'en la rejetant. La différence me ramène immanquablement à moi-même, me poussant au questionnement sur ma façon d'être. Je me sens suffisamment solide pour ce défi permanent avec les personnes qui me sont chères. Quel que soit le temps que ça prenne ! C'est une façon d'agir qui s'applique à mon rapport à autrui en quelque circonstance que ce soit. Ce qui ne signifie pas que j'y réussisse...

Peut-être cela tend vers une sorte de définition personnelle du verbe "aimer" ? Chercher à comprendre/connaître l'autre, l'accepter dans ce qui me dérange, sans pour autant tout accepter de lui/elle. Par là même mieux me comprendre/connaître, mieux m'accepter, mieux prendre soin de moi. Avec l'idée finale d'être un accompagnant fiable. Un soutien en cas de difficulté. Quelqu'un sur qui l'autre peut compter...

Que l'autre en vienne à refuser cette présence peut arriver. Être fiable, c'est savoir s'effacer en cas de rejet tout en restant accessible [ouais, pas facile...]. C'est considérer les liens comme des élastiques, avec des fluctuances, des alternances, des impermanences. Mais je ne conçois pas un pacte de confiance comme révocable pour convenances personnelles sans concertation. Ce serait antinomique avec l'essence même de la confiance telle que je la conçois : dans la durée. Une confiance à durée aléatoire n'aurait guère de sens...

Avec le recul je ne peux que convenir que Nathalie a été un déclencheur de multiples prises de conscience, me faisant entrer dans le nouveau monde de ma "vie d'après". C'est finalement ce qui compte. Avec elle j'ai vécu quelque chose de fort et de riche, en douceur et en douleur. J'y ai gagné en assurance et en estime de moi. Il n'était pas indispensable que notre relation continue dans l'échange, contrairement à ce que je croyais et désirais. La durée était en supplément facultatif... Quelle qu'en soit l'issue, qui se précisera au fil du temps, cette rencontre fructifie depuis longtemps, et certainement pour longtemps encore.

Alors, elle est pas belle la vie ?



Bon, tout ça est venu un peu en vrac, mais ça a le mérite utile [pour moi...] d'avoir été posé. La prochaine fois je change de sujet. Peut-être...






Ce qui ne se dit pas




Mardi 24 juin


J'écris ici ce que je ne dis pas. En parler serait trop compliqué, trop facilement intérprétable de travers, trop gênant parce qu'égocentré...

Trop... pour moi.

J'écris ici parce que la représentation que j'ai de vous, lecteurs et lectrices, me fait vous perçevoir comme étant des confidents, des intimes, des personnes dignes de confiance capables d'entendre ce que j'ai à dire sans m'interrompre, sans me juger.

Que ce soit vrai ou faux n'a aucune d'importance : c'est ainsi que je le sens et tant que rien ne le contredit je n'ai aucune raison de changer d'avis. Je trouve un avantage à poursuivre sur ce mode.

De temps en temps j'ai des échos de votre lecture. Ils sont rares et d'autant plus significatif. L'immense majorité de mon lectorat est très silencieuse.

L'idée de "trop" me revient parfois en miroir, mais cette fois selon la subjectivité du lecteur. Ce que j'écris serait trop répétitif, trop long, je serais trop focalisé sur une histoire...

Trop... pour eux.

Bien sûr ces "trop" m'interpellent et me rappellent qu'il y a en face des personnes qui, en fonction de leur propre parcours, réagissent à mes écrits. Suffisamment pour sortir du mutisme qui caractérise mon lectorat.

Cette idée que je serais dans l'excès me tarabuste un peu. J'ai bien conscience d'être dans quelque chose de cet ordre, selon une certaine logique de normalité raisonnée, et en même temps je sais que ce par quoi je passe m'est nécessaire. Je porte donc sur moi un regard dénué de jugement.

J'écris ici ce dont je ne peux parler nulle part ailleurs avec la même liberté. Je parle ailleurs de ce que je ne peux pas écrire ici avec autant de liberté. Expressions complémentaires ayant le même objectif : mieux me connaître. Ce lieu, ainsi que les conversations privées qu'il aura initiées, compte beaucoup pour moi et joue un rôle dans mon équilibre psychique. Non que j'irais mal si je ne l'avais pas, mais assurément moins bien.

« D'où lui vient une telle assurance ? » se demandera le lecteur dubitatif...

J'irais moins bien parce que je n'en serais pas là où je suis parvenu. Or ce qui compte à mes yeux c'est d'avancer sur un chemin qui se dessine au jour le jour devant moi. Grâce à cette écriture particulière je peux progresser sur des pistes qu'ailleurs je ne peux explorer. Et pourtant j'en explore bien d'autres, hors de ce journal ! Mais elles sont différentes, vues sous des angles différents, et donnent donc des résultats différents. Ailleurs je suis "autre" (ou du moins je me sens autre...). Un peu autre sur mon blog, vraiment autre à mon travail avec des personnes en insertion, radicalement autre dans ma formation à l'écoute et l'accompagnement. Il en est ainsi en toute circonstance. Chacune des ces postures m'apporte une part de diversité. Je suis singulièrement pluriel et c'est l'ensemble de ces situations qui me fait me rapprocher de ce vers quoi je vais.


Nulle part ailleurs qu'ici je ne reviens avec autant de persévérance sur certains épisodes de ma vie.

Nulle part ailleurs je ne peux me libérer de certaines charges, ni évoquer mes aspirations. C'est ici et seulement ici parce que vous avez un certain comportement qui me permet de parler de ce qui peut paraître incompréhensible, mais me permet pourtant de mieux me comprendre.

Ici je dévoile pas mal de mes... j'allais écrire "faiblesses", mais il ne s'agit pas de ça. C'est même probablement l'inverse : c'est parce que j'ose parler de ce qui, généralement, ne se dit pas, que je me prouve ma capacité à aller loin en moi sans concessions. Ce que je livre de sensible pourrait être assez vulnérabilisant. Au contraire, en explorant cette intimité très personnelle, en laissant place à une expression qui s'étire dans la durée, j'acquiers une connaissance de moi-même qui nourrit ma connaissance de l'humain.

Or c'est ce qui m'intéresse...

Durant une journée de formation sur le deuil, hier, j'ai eu la confirmation de ce que m'apporte cette analyse : sans avoir jamais vécu de deuil très marquant je me suis senti tout à fait imprégné de ce que cela représente. Je connaissais dans le détail chaque étape d'un processus fort long qui va de la sidération du choc jusqu'à la reconstruction et le retour à la vie. Tout simplement parce que la perte due à la mort a de nombreux points commun avec la perte due à la rupture, qui représente en elle même le deuil d'une relation. La différence, radicale, se situe dans la certitude définitive du "plus jamais".

Les pertes importantes je les bois jusqu'à la lie. Loin de détourner le regard j'observe comment cela agit en moi et comment cicatrise la déchirure. Je décortique ce que je ressens, mois après mois, année après année. J'ai tout mon temps, et aucune raison de "tourner la page" plus rapidement qu'il ne m'est nécessaire. Tout simplement parce que ce n'est pas d'aller vers autre chose qui m'intéresse (ou pas seulement), mais de ressentir entièrement ce qui est nécessaire dans mon parcours.

Vola pourquoi je suis persuadé (en toute subjectivité) que ma démarche actuelle, semblable à une longue marche, est saine.

Un jour je vivrai en parfaite harmonie avec ce qui, jadis, m'a tant fait souffrir. Un jour il ne me sera plus nécessaire d'écrire à ce sujet.



Mis en ligne le 5 juillet



Mois de juillet 2008