Mars 2008

Dernière mise à jour:mardi 13 mai 2008 - Accueil - Message






Ma (p)référence



Dimanche 2 mars


Au moment de relater les derniers évènements j'ai hésité : était-il opportun que j'en parle dans ce journal ? Si je recommence à envahir ces pages de mes tribulations relationnelles, ça peut durer longtemps...

Pas sûr que je poursuive.


Pensées en vrac, qui me viennent :

- Il m'arrive de m'interroger sur le fait que je me répande autant par écrit. Dans les métiers du social, les personnes qui racontent leur vie intime sans retenue sont considérées comme étant envahissantes et ayant des problèmes de "contenance" [non, pas d'incontinence !]. En serait-il de même pour l'écrit ? Laissez moi penser que ce n'est pas vraiment le cas, puisque je ne m'impose pas aux autres : ne restent ici que ceux qui le veulent bien. De plus je n'ai pas ce comportement "envahissant" à l'oral, étant plutôt discret sur ma vie sentimentale. En fait il n'y a qu'ici, et avec quelques amitiés qui ont suivi mon parcours sur ces pages, que j'aborde ces sujets.

- Cette question de l'envahissement m'intéresse particulièrement depuis que j'ai eu le sentiment d'en avoir exercé un sans l'avoir compris à temps. En effet, pour le timide sauvage que j'étais il y a eu une inversion des rôles : auparavant j'étais renfermé et solitaire, incapable d'aller vers l'autre. Peut-être par crainte d'être envahi et de ne pas savoir poser mes limites (savoir dire non sans craindre qu'on ne m'apprécie plus). Désormais j'ai pris conscience du besoin de limites clairement posées. J'étais dans une indifférenciation qui me faisait craindre d'être englouti par l'autre, et avais parallèlement une forte demande de lien fusionnel... que je refoulais en le percevant comme trop risqué. En clair : j'avais peur de perdre ma liberté et en même temps le désir de me lier de façon indestructible dans une forme de confiance absolue. Un désir d'osmose protectrice [arrrghhh, régression, quand tu nous tiens !].

- Maintenant que je suis dans la différenciation (individualisation) j'ai toujours ce besoin de liberté que je garde farouchement, mais aussi la certitude que c'est en me liant de façon multiple et diversifiée que je trouverai la meilleure façon d'être qui me convienne. C'est à dire que j'ai besoin de liens essentiels approfondis et en même temps de me sentir libre par rapport à ces liens. D'où ma crainte actuelle dès que je redoute que ma liberté soit restreinte. Cela parce que je ne me sens pas suffisamment individualisé, pas suffisamment capable d'être à mon écoute davantage qu'à celle de l'autre. L'autre, malgré lui/elle, risque fort de déclencher un sentiment d'envahissement parce que je suis insuffisamment en contact avec mon égo.

- Ce qui revient à dire que cet égo qui s'exprime et se répand sur ce journal est une nécessité "vitale" pour moi. C'est ainsi, par cette réflexion et analyse soutenues, que je prends conscience de ce que je suis et désire. Non par narcissisme et exhibitionnisme débridé, mais par besoin de cerner une personnalité insuffisamment consistante dans la rencontre avec autrui. Ou autrement dit : j'ai très une grande sensibilité/perméabilité à autrui... sans savoir toujours en comprendre le sens ni m'en dissocier. Quelque chose résonne trop fort et crée une confusion embrouillée qui me dépasse. Une sorte d'effet Larsen...

- De cette sensation d'inconsistance dans la rencontre découle ma difficulté à entendre que l'on m'apprécie, et surtout à voir dans le miroir des autres qu'ils m'attribuent une certaine solidité. Ce journal crée une certaine illusion à ce sujet, puisque j'y suis "seul", donc à l'aise parce que je ne ressens pas la présence d'autrui. Seules les projections que je peux faire de vos regards m'influencent. Ce qui n'est déjà pas rien...

- Inversement je cherche dans mes écrits à projeter sur vous l'image que j'ai envie que vous ayez de moi. Non par désir de manipulation, mais pour qu'ensuite me soit renvoyée l'image de ce que j'ai envie d'être. Ainsi, peu à peu je deviens ce que j'ai envie d'être, soutenu, confirmé ou infirmé par ce que vous me renvoyez et ce que la vie réelle se charge de rendre conforme ou non.

- C'est compliqué, hein ?

- Pourquoi m'est venu ce titre, " Ma (p)référence", avant même de commencer à écrire ?
Parce que ce que je deviens je le dois à celle qui est devenu ma référence. Qu'elle soit réellement telle que je l'ai perçue ou une sorte de projection holographique issue de mes désirs, j'ai trouvé en Nathalie... non pas une raison d'espérer, mais une raison de croire. Croire en moi, en l'autre (et notamment en elle), et en l'alliance des différences. J'ai trouvé "avec" elle une sorte de foi en la rencontre des êtres en même temps que la voie du discernement et de l'individualisation évoquée plus haut. Devant l'impossibilité de faire durer la rencontre tels que nous étions j'ai eu envie de suivre la voie de la défusion, de la dissociation, de la différenciation, alors que le désir d'osmose éternelle me hantait encore. Voila pourquoi je suis devenu maintenant extrêmement prudent avec les liens forts qui pourraient se tisser. Voila pourquoi je m'intéresse, presque malgré moi, aux femmes "solitaires", éprises de liberté. Elles ont ma préférence. Probablement parce que nous sommes "les mêmes" dans cette soif de ne dépendre de personne...

Je retrouve avec la collègue avec qui je m'entends bien (promis, si j'en parle encore je lui attribuerai un prénom) beaucoup de ce qui m'avait fasciné chez Nathalie. Ma collègue est encore plus radicale, encore plus extrême, encore plus contradictoire, encore plus anticonformiste. Pourtant elle ne me fascine pas. D'une part parce que je "connais" un peu ce genre de personnalité, maintenant, et d'autre part parce que je sais que je n'aspire pas a nombre de "réponses" qu'elles se choisissent pour tenir dans l'existence. Je suis résolument différent... bien qu'un peu "le même". Nos stratégies face au monde semblent totalement divergeantes. 

Ce genre de rencontre entre des "mêmes-différents" les rendent fichtrement intéressantes...





Passer de l'attente au désir




Dimanche 9 mars


À quoi me sert encore ce journal ?

Je me demande si je ne le maintiens pas comme une sorte de lien. Mais de lien entre quoi et quoi ? Avec qui ?

Est-ce une forme de fidélité ? La continuation d'un récit de vie ? À qui est-il adressé ?

Ces questions ne me préoccupent aucunement... sauf lorsque je sens flotter un désir d'écrire mitigé. Ai-je quelque chose à dire ? Qu'ai-je vraiment à dire ? Ai-je envie de me manifester ? Pour dire quoi ?

Cette écriture n'est-elle pas devenue inadaptée à ce que je pourrais dire ? La narration a t-elle un intérêt, alors que maintenant je me situe fréquemment dans un ressenti que j'analyse assez aisément en temps réel ?

En fait, je crois que me heurte à cet indicible que j'évoquais il y a quelques temps : une grande part de ce que je vis, ressens, comprends, se réfère à ce que j'ai vécu dans la relation dont j'ai tant parlé. Je n'ai aucune raison de ne pas le faire puisque je ne refoule ni ne renie cette histoire fondatrice de mon parcours.

Ouais, voila ce qui me pose problème : ne pas savoir comment écrire mon intériorité sans faire référence quasi constamment à ce vécu et ce qu'il m'a permis de devenir. Parce que c'est précisément dans les complications relationnelles que se situent mes questionnements, et plus précisément dans le registre affectif. C'est à dire exactement dans LE centre d'intérêt autour duquel ma vie s'est orientée. Ceux qui me lisent depuis longtemps savent à quel point je me perdais jadis dans un récit à double niveau, en tentant d'analyser un système dans lequel j'étais moi-même pris. Manque de recul évident. Maintenant que je suis un peu plus au fait de ce qui se joue dans une relation au niveau inconscient, je comprends bien qu'il y avait là quelque chose d'intenable.

Je pourrais développer cela, mais je ne crois pas que cela ait beaucoup d'intérêt : maintenant je sais. Ce que j'ai théorisé empiriquement en analysant mon expérience se révèle peu à peu correspondre exactement aux théorisations scientifiques. Forcément...
J'ai compris nombre de mes erreurs et je continue à voir se confirmer certaines de mes suppositions d'autrefois, tandis que ma pensée élabore progressivement des explications qui "donnent du sens". Quant à mon comportement relationnel, il ne cesse d'évoluer. À la fois plus ouvert et plus ferme. Différenciation et positionnement. Je ne ressens plus vraiment le besoin d'analyser ça par écrit puisque c'est opèrant en direct, lorsque nécessaire.

Et c'est tellement long d'écrire...

Et puis je ne veux pas transformer ce journal en une "Méthode pour vivre des relations harmonieuses" [quoique...]. De toutes façons c'est en les vivant, tout en étant au plus près de soi, qu'on apprend à se rapprocher de cette harmonie.



Ce que j'ai envie de dire, suite aux derniers rapprochements féminins que j'ai évoqués, c'est que je me vois être devenu beaucoup plus clair dans l'expression de ce que je me sens être. Je suis plus attentif à mes ressentis, plus en relation avec moi-même. Je sais me positionner, exprimer mes limites du moment, dire oui et dire non. Par contre j'ai encore des progrès à faire pour l'expression de mes désirs, que celle de mes peurs supplante aisément si je n'y prends pas garde...

Le changement majeur, c'est de vivre tout cela au présent. Dans "l'ici et maintenant". Je ne me projette plus vers l'avenir, je prends ce qui est là au jour le jour. Je peux avoir des désirs d'avenir, pour reprendre une formule qui a fait florès, mais je n'ai plus d'attentes d'avenir. La différence est de taille ! Tout cela découle de mon autonomisation : je n'ai plus besoin de quelqu'un en particulier. Je ne me lie plus avec des attentes de construire quelque chose. La construction se fait au présent. Comme si elle allait durer, mais aussi comme si elle pouvait cesser dans l'instant qui suit. Pour moi cette façon d'être est très nouvelle et je n'en perçois la réalité que parce que je suis amené à la vivre, presque surpris de me voir ainsi.

Avec des effets cocasses, lorsque je vois en face de moi un regard inquiet : probablement le même que celui que je pouvais avoir lorsque j'ai été confronté, autrefois, à ce genre d'attitude. Cette absence d'engagement m'effrayait et je ne voyais pas comment construire quelque chose là dessus. Le manque de visibilité éveillait mes peurs de l'avenir. En l'occurence une angoisse d'abandon que j'anticipais. Elle me tétanisait. Elle a pu me transformer en un être inquiet, devenant hypervigilant et... dépendant. Suradapté de peur de perdre ce à quoi je tenais. Cri pathétique de l'enfant au coeur écorché vif : « Ne me quitte pas ! ».

Aujourd'hui je n'ai plus peur de perdre aucune relation. Si cela advient je peux être déçu, éventuellement blessé, certainement triste, mais j'accepte cela avec une sérénité que je ne pensais pas possible. Je prends les choses telles qu'elles sont, en me disant qu'elles résultent d'une incompréhension, d'un manque d'ouverture réciproque à la différence, d'une incapacité à trouver ensemble comment poursuivre un voyage qui a une part commune. Je me dis que tout cela a un sens et qu'il m'échappe pour moitié. Si quelqu'un s'éloigne de moi, ce choix lui appartient, comme lui appartient celui de tenter le dialogue. Je ne me sens plus seul responsable des comportements de fuite des autres.

Et ça, c'est énorme ! Énorme !!!

Moi je reste présent, là où je me situe, au plus près de mes ressentis, ouvert à l'autre. Actuellement je n'ai pas besoin d'avoir une personne particulière dans ma vie, mais j'accueille avec plaisir qui vient vers moi. Je n'initie rien, mais répond à ce qui m'est proposé si je sens que cela peut construire quelque chose. 



[mis en ligne le 15 mars 2008]






Liberté liberticide




Samedi 15 mars


Allez hop, un p'tit coup d'écriture en profitant de la trève électorale. Ces derniers temps j'ai passé beauuuucoup de temps dans l'investissement communal et n'ai guère eu le temps de penser à autre chose durant mes soirées.

Sans oublier mes fins de journées, après le travail, et les longues conversations avec ma collègue. Appelons-là Artémis.

Finalement le voyage qu'elle me proposait de partager ensemble si je l'acceptais à déjà commencé. Dès lors qu'on entre réciproquement dans l'intimité de l'autre la rencontre transforme. La confrontation des différences amène à un changement de la pensée. Du moins c'est ainsi que je le vis...

Notre rencontre est lente, prudente, mais le rapprochement est continu. Artémis sait que la précipitation me bloquerait, je sais que l'insuffisance de mouvement la ferait renoncer. Nous navigons donc entre ces deux pôles. Plusieurs fois elle a eu des propos me mettant en garde, s'inquiétant peu de temps après d'avoir « tout cassé » dans sa précipitation. Nous sommes résolument très différents.

Pour le moment je me contente de ne pas traîner, mais sans aller plus rapidement qu'il ne m'est possible confortablement. De toutes façons je sais qu'il serait illusoire que je cherche à être autrement que ma nature. Elle s'y adapte... ou pas. Comme je le fais à son égard.

Artémis est scorpion. Je n'avais jamais prété attention aux signes astrologiques, que je considérais comme des foutaises, jusqu'à ce que je découvre quelques particularités des scorpions, êtres apparemment entiers et sans compromis. D'ailleurs elle m'a prévenu : quand elle ne trouve plus satisfaction dans une relation elle quitte, et quand elle quitte c'est terminé, elle ne se manifeste plus. Elle n'entretient aucune fidélité. Pas même dans sa famille.

Je sais donc que, quelle que soit la durée et l'implication de notre voyage partagé il se terminera sans suite. Attitude radicalement opposée à la mienne. Cette fois ça ne m'effraie pas, parce que je suis prévenu. J'y suis prêt et n'investirai qu'en conséquence. À moi de voir jusqu'où je veux bien m'aventurer dans ce genre de rencontre. C'est là que ça se complique un peu : je ne sais pas vraiment ce que je veux. Puisque je n'ai pas d'attentes ni de besoins, je ne demande rien. En fait je ne sais pas ce que je désire avec elle...

Il y a un désir de sexualité, je le sens bien, mais sans sentiments. Or je ne sais pas si ce genre de partage m'intéresse vraiment. Je ne suis pas sûr d'en retirer quelque chose de bénéfique. Je crois que j'ai trop besoin que l'attirance physique et intellectuelle et sentimentale soient conjuguées. L'alliance sacrée du coeur, du corps et de l'esprit. Probablement, aussi, un besoin de confiance qui passe par un désir de continuation. Me sentir libre d'être moi-même, parce qu'en confiance sur la pérénnité du lien. Libre parce qu'accepté sans conditions suspensives.

En fait, je pense souvent que je cerne mal mes désirs, mais ne s'agirait-il pas plutôt d'une insuffisance de désir pour que je me lance vraiment ? Lorsque je désire fortement la question ne se pose pas : j'agis. L'insuffisance de désir peut venir de son contraire : la peur. Peur d'échouer, de me tromper, d'être rejeté pour ce que je suis et ressens. Autant de choses que jusque là je vivais mal. D'où ma faible capacité à entendre mes désirs, puisque je me protégeais avant tout.

Il y a probablement plusieurs stratégies de protection. Certains osent, puis rejettent s'ils n'obtiennent pas satisfaction. D'autres n'osent pas de peur d'être rejetés. Au final le résultat est le même : la peur de l'autre conduit à une forme d'isolement. Bien vécu, dans le meilleur des cas, mais semblant tendre vers un enfermement en soi. Les stratégies d'évitement ne permettent pas de se laisser aller en confiance dans un partage approfondi. Je me rends bien compte qu'en ayant de nombreux échanges, pourtant fort riches, leur fractionnement me prive de quelque chose. Je me sens plus libre, moins vulnérable... mais je manque un essentiel de l'intimité de l'être. Celui-ci nécessite une forme d'abandon, une nécessaire mise en situation de vulnérabilité, un lâcher-prise.

Je me demande si l'exigence de liberté n'est pas une imperceptible prison. Ayant fréquenté de près quelques amazones émancipées je n'ai pas senti en elles beaucoup de sérénité. Plutôt une sourde angoisse d'abandon, dissimulée sous une attitude affranchie et une réelle dureté affective. Bizarrement je me vois attiré par ces guerrières libres d'attaches. Attiré, mais avec prudence. Comme si j'avais quelque chose à apprendre d'elles... pour ne pas les suivre. Tout aussi curieusement plusieurs se sont fortement liées à moi avant de me rejeter. Comme si la confiance accordée leur était insupportable, sans cesse remise à l'épreuve comme pour vérifier qu'elle ne serait jamais absolue. Comme si l'attachement devenait une menace quand il dure. Tout... ou rien.





Carapace




Mardi 18 mars


Disposant d'un peu de temps pour mes libres cogitations je continue sur ma lancée : réflexion autour de diverses peurs relationnelles. Celles de l'engagement, de la perte de liberté, de l'envahissement...

Comment en suis-je venu à redouter cela vis à vis des femmes qui s'approchent de moi ?

Je suppose que c'est par transposition : je sais avoir activé chez autrui des craintes de ce genre par mes comportements inquiets. Je crois que la peur est aussi communicative que le désir. J'avais la peur d'être abandonné et demandais une certaine réassurance. En fait je ne craignais pas la solitude, mais bien l'action d'être abandonné.

Ça veut dire qu'il ne s'agissait pas d'une bête peur de l'abandon, comme je l'ai souvent écrit, mais de quelque chose d'un peu plus élaboré que ça. Je crois que ma peur est celle de la perte de confiance. La confiance, cet état dont j'attends qu'il me permette une mise à nu devant l'autre, un dévoilement du coeur et de l'âme dans un désir de rapprochement, un "don" du plus réservé de moi en supposant avoir trouvé une personne capable d'en comprendre la valeur [d'autant plus grande que ce "don" est rare...]. Mais fondamentalement je sais bien que cette ouverture à l'autre est avant tout un désir d'être entièrement accepté et, ainsi, protégé de ce qui pourrait me faire mal.

Cette recherche d'un illusoire cocon protecteur est donc régressive [mais pas forcément négative]. Elle ne peut que tendre vers l'impossible. Un lieu de ressourcement ne sera jamais un moteur d'avancement vers la vie. Viendra forcément un moment où la confrontation des différences fera que quelque chose ne sera pas accepté. Même si elle était possible cette union osmotique serait une régression à deux.

Ayant admis cela je repousse désormais l'idée de fusion et, au contraire, privilégie l'individualisation. Donc l'autonomisation : la liberté d'être moi sans avoir besoin d'une alliance protectrice. Je préfère me protéger seul que de compter sur quelqu'un dont je ne connais ni les aspirations vitales, ni les limites de résistance, ni l'importance du désir de partage.

D'où ma préférence pour l'indépendance. Elle m'est plus confortable que le risque de la confrontation à l'intimité de l'autre et sa problématique personnelle. J'évite ainsi la mise en résonnance de nos sensibilités respectives. Bien sûr, je me prive du même coup des ondes bénéfiques...

C'est ce qu'on appelle une carapace : ma peur de perdre ma liberté [ma tranquillité] est telle que je préfère ne pas m'engager dans tout type de relation dont je redoute de ne savoir comment en sortir.

Ça c'est vraiment nouveau : je prévois déjà la fin avant même de commencer ! Pourtant je dis vivre les choses au présent. Mouais... pas totalement, dirait-on. J'essaie de vivre mes désirs au présent, mais la moindre crainte me porte à anticiper un avenir redouté. Pas facile de faire abstraction de ces satanées craintes !



Je reviens sur cette inversion bizarre : autrefois j'avais peur d'être abandonné, trahi, et maintenant j'ai peur de ne pas savoir comment quitter sans abandonner [traduire : sans que ce soit assimilable à un abandon]. Certes je transpose ma propre peur... mais dans le fond je crains aussi [surtout ?] de briser définitivement le lien. Je suis encore dans un refus des ruptures définitives [n'est-ce pas sur ce refus que je dois travailler ?].

Oh, souvent ça se joue à pas grand chose puisque de toutes façons beaucoup de liens finissent par se distendre [s'ajuster ?] d'eux mêmes, avec le temps. Par contre, tant qu'il n'y a pas rupture il demeure toujours la possibilité de rétablir le contact. Dans le cas contraire le contact devient "interdit". Il y a une fermeture. Je n'aime pas les fermetures. Pour moi c'est de la mort. Une sorte de suicide : une fuite devant la vie et ses possibles.

À moins que ce soit une mort acceptée... pour mieux revivre ?
Hum... et en me protégeant de la rencontre, est-ce que je ne fuis pas devant la vie ?

Je crois que j'ai encore pas mal de choses a travailler sur le sujet...


NB : j'élabore à peine et laisse venir les pensées en vrac. Je vois ce qui apparaît...


Je continue, en précisant les choses. Dans ma crainte du rapprochement féminin il y a une autre dimension que la confiance et l'abandon : il y a la sexualité. Ben oui, forcément, puisque je n'ai pas la crainte d'abandon avec les hommes, vers qui je suis d'ailleurs beaucoup moins porté. La relation avec le masculin n'a pas le même enjeu. Il y a donc bien sexualisation des rapports. Normal, me direz-vous...

Je constate que n'ai pas non plus de craintes particulières avec des femmes qui ne m'attirent pas du tout. Je me sens tranquille, ne risquant rien (?). Même si elles devenaient audacieusement entreprenantes je sais que je ne serais pas tenté de répondre. Ah ! C'est donc bien de mes réponses que j'ai peur ! Donc de mon attirance...

Plus une femme me plaît et plus je crains... quoi ? Euh... d'être tenté par le rapprochement. Or je le fuis, par crainte de construire quelque chose. Avant c'était parce que j'étais marié, et maintenant c'est parce que je suis indépendant. Cherchez l'erreur...

Que fuis-je dans ce féminin qui m'attire ???

Pas étonnant que le désir ait du mal à émerger de cet imbroglio !

Je crois que c'est parce que je lie étroitement sensualité/sexualité et... peut-être pas forcément sentiments, mais du moins forte affinité, complicité, confiance. Pour moi pas d'intimité possible sans confiance, qui permet "l'abandon" (dans le sens du laisser aller). De plus ce genre de rapport au corps n'est pas vraiment envisageable sans attirance physique. Ouais, bon, je suis normal, donc ! Ravi de l'apprendre.

Évidemment la confiance en l'autre ne va pas de soi. Elle ne naît pas sans un certain rapprochement intellectuel et/ou affectif et/ou spirituel. Quant à l'attirance sexuelle, elle n'est pas forcément au rendez-vous dans un rapport de confiance. C'est pour ça que c'est compliqué...

Oui, rien de nouveau.

Sauf que semble se confirmer une constante : je me sais assez exigeant. Dans le rapprochement des coeurs, des corps et des esprits il y a cette exigence. Apparemment je suis fait comme ça et le passage de la vie conjugale à l'asexualité du célibataire n'y a rien changé. Les rencontres dont je... rêve (?)... sont tellement improbables que je ne les cherche pas davantage que tu temps où j'étais en couple. C'est ce qui fait que je vis très bien mon célibat. Je me dis que je ferais probablement des rencontres, qui dureront un peu ou pas, avec des partages plus ou moins aboutis... mais je n'attends pas de nouvelle âme-soeur. Je n'y crois tout simplement pas !

Résignation ou lucidité ? Indépendance mature ou puérile ? Je ne sais pas. Pour le moment je vis bien la situation... tant que je ne suis pas confronté de trop près à la part sexuée de la gent féminine. J'apprécie la compagnie des femmes à divers titres, je me sens bien avec la plupart d'entre elles, mais tant qu'il n'est pas question que les corps puissent se rencontrer. Tant qu'il ne s'agit pas d'établir des rapports de confiance qui pourraient aller jusqu'au désir potentiel de partage physique. Et pourtant... le désir fantasmé de la rencontre physique sous-tend intrinsèquement mon rapprochement du féminin !

Oh la la, c'est complexe tout ça, hein ? Désir et peur mélangés, rencontrer tout en restant à distance... en pleine contradiction.

Mais j'aime les contradictions ! Elles sont un excellent moyen de mieux se connaître.




Là où j'en suis de mon cheminement il me vient régulièrement l'envie d'en parler avec... celle qui... avec l'amie... la complice... avec toi [absente] qui avais beaucoup réfléchi à ces sujets. Ils font partie de ceux qui ont généré notre rencontre. Spontanément j'ai tendance à trouver dommage de ne plus pouvoir le faire. En même temps... je sais pertinemment que tu t'en étais éloignée et que c'est en me retrouvant toujours plus seul dans ces réflexions que j'ai pu cheminer autant. Je l'ai fait sans toi, mais par toi. La vie est ainsi faite que quelque chose naît de ce qui s'éteint [tiens tiens...]. Entre nous s'est progressivement éteinte la confiance. En est née une confiance en moi compensant celle que je t'ai senti perdre. L'ironie de l'histoire c'est qu'en devenant ce nouveau moi je me suis beaucoup rapproché de tes positions d'avant, qu'alors je ne comprenais pas. En quelque sorte je me rapproche de ce qui, en toi, m'a attiré...






Force d'inertie




Mercredi 19 mars


Permettez-moi l'outrecuidance d'un propos à l'emporte-pièce : « putain, elles font chier ces bonnes femmes !! »

Aaaaah, ça fait du bien ! C'est complètement idiot, mais ça défoule.
Mais nooooon, je ne le pense pas. Vous sauvez pas !

Explications : ma chère Artémis, qui m'a dit il y a peu sentir « de grandes choses possibles entre nous » a repris de la distance. Elle a trouvé que j'étais « trop lent ». Elle a interprété mon besoin de temps comme un arrêt.

Font chier ces bonnes femmes !!!

Merde, j'explique que j'ai besoin d'un peu de temps, parce que je ne comprends pas vraiment ce qu'elle veut vivre avec moi (réaliser des projets ? lesquels ? ou alors baiser ? peut-être vivre ensemble ?), et la voila qui retourne dans sa bulle.

Et sans rien m'en dire !
Merde !

Je n'avais pas voulu la forcer à aller au delà de ce qu'elle avait envie de me dire, j'ai essayé de deviner ses demi-mots sans commettre d'impair, je respecte sa façon d'être sans oublier la mienne... et elle se replie dans ses terres parce que je n'agis pas à sa convenance !

Et je me retrouve comme un con alors que j'ai commencé à ouvrir ma confiance.

Merde !

Putain, j'étais plus tranquille en solitaire !



Booooon, je respire un grand coup et je pose tout ça. Avançons...

Qu'en déduire ? Que je suis bien du genre lent à mettre en mouvement et lent à arrêter. Y'a de la force d'inertie ! Faut savoir où on veut aller, avec moi. Je ne suis pas fait pour les volte-face et les marche arrière. J'avance lentement, certes, mais sûrement. Et j'y mets de la puissance. Une fois lancé je ne m'arrête pas sur un claquement de doigts.

Si je commence à m'ouvrir et à partager en confiance faut pas laisser tomber, nom de diou ! Je déteste ça. Je dois bien reconnaître que je le vis mal. Pour moi la confiance est un acquis. Celle que je donne, lentement et prudemment, se plante dans les terres que je laboure. Faut pas enlever la chaleur quand ça commence à germer ! C'est pas un jeu. Se mettre en retrait d'une relation en me laissant en plan va d'abord me rendre triste, déçu, puis peut me mettre très en colère !

(y paraîtrait même que ça peut prendre des années avant qu'elle s'apaise...)

Pour éviter d'entrer dans ce processus j'ai fait part de mon étonnement à Artémis, qui a confirmé la distance que j'avais ressentie. Lorsque je lui ai expliqué ma façon d'investir une relation, et elle les raisons de sa mise en retrait, elle m'a demandé de ne pas faire trop marche arrière...

Oh, tu veux quoi ?

Pfff, je suis lent, mais au moins je sais à peu près où je vais. Tandis que foncer pour changer d'avis ensuite... ça mène à quoi ? Surtout de la part de quelqu'un qui a vécu de multiples relations...

Ouais, je sais que la vie est courte, mais c'est pas une raison pour arrêter ce qui ne se construit pas assez vite !

J'suis pô content. J'ai perdu ma belle sérénité installée depuis des mois. Gmbllll... pas encore prêt à investir de nouvelles relations, moi...

M'en vais retourner dans ma coquille.



Et puisque une amie-lectrice se fait votre porte-parole en me demandant si je n'ai pas de sentiments envers Artémis, je répondrai que je ne suis pas du tout amoureux, mais que je ressens de l'affection. Je l'apprécie, et j'ai été sensible à sa démarche vers moi. Sentiment d'amitié sur fond de confiance et de sympathie.







Subir ou agir



Samedi 22 mars


Je me prends tout seul en flagrant délit d'incohérence : je passe mon temps à écrire que je me sens libre, que je ne prévois plus qu'une relation puisse durer, que je vis les choses au présent... et paf, au premier émoi je me vois retomber dans mes vieux travers !

En fait ma colère contre « les femmes qui me font ch... », tout à fait abusive, est plutôt tournée contre moi et ma crédulité : je me suis encore laissé avoir !

Par qui ? Par moi, pardi !

Tsss... trop facilement touché par quelques confidences. Trop vite ému par un dévoilement sensible. Peut-être trop vite touché par les personnalités complexes, dont je pressens la fragilité sous une apparente "force"... sans que je n'aie toujours les capacités de resister à leurs débordements. Encore trop sensible pour être l'homme qui saura rester solide face aux assauts de femmes au coeur trop tendre pour le montrer.

J'ai été "l'ami" (?) de plusieurs femmes qui, lorsqu'elles ont voulu un rapprochement plus poussé, sont devenues exigeantes et dures si je ne leur donnais pas satisfaction aussi rapidement qu'elles le désiraient. Attendaient-elles que ma force tranquille et rassurante puisse, au moment désiré, se transformer en intensité débridée aussi explosive qu'apaisante ?

J'ai plusieurs fois eu la désagréable impression de décevoir en ne pouvant suivre un mouvement qui était trop rapide pour moi. Mon besoin de temporisation, indispensable pour que je reste en équilibre, semble avoir être perçu comme un refus. En ne pouvant être dans un « tout et tout de suite », c'est comme si plus rien n'était possible. J'ai l'impression d'être un sujet sur lequel seraient projetées des attentes surdimentionnées.

Je ressens que certaines femmes attendent de moi, probablement dans un registre largement inconscient, que je remplisse une fonction d'homme complet. À la fois ami, amant, aimant... et qui aurait la force rassurante d'un père écoutant et disponible, inconditionnellement acceptant.

Et moi, le simple moi que je suis, avec mes limites et mes failles, je serais en quelque sorte oublié dans cette attente à laquelle il m'est de toutes façons impossible de répondre.

Ne serait-ce pas cette déception qui m'est parfois renvoyée avec une certaine agressivité, voire de la violence ? Jusqu'où une femme peut-elle en vouloir à un homme de ne pas combler ses attentes, et de ne pas résister à ses coups de griffe ? Je repense là à une de mes premières connaissances sur internet, que j'avais appellée Héloïse. À l'évidence la violence qu'elle avait instillée dans cette éphémère relation était chargée d'un passé qui dépassait largement ce que j'étais. Je me voyais porter beaucoup trop de représentations du masculin à ses yeux, avec une très forte ambivalence d'amour-haine. Et puisque l'amour (??) n'était pas possible, c'est une haine destructrice qui a emporté Héloïse sans que je n'aie jamais plus de nouvelles d'elle.

Artémis est, elle aussi, chargée de représentations dont je ne sais rien. Ses réactions vives, sa tension permanente, montrent qu'il y a en elle beaucoup de zones d'ombre. Elle le reconnaît volontiers, d'ailleurs, expliquant que son mouvement permanent est une façon de ne pas laisser son esprit se poser.


Face à des femmes qui ont a régler quelques litiges avec leur passé, qu'il s'agisse de la relation avec leur père ou leurs amours, voire à réhabiliter la place de la femme dans le fantôme du couple parental, il me faut apprendre à rester à distance. Je ne me sens pas avoir la vocation d'un taureau de corrida en les approchant de trop près. Les banderilles ne m'excitent pas. Tisser des liens servant l'objectif secret de jouir/souffrir de leur destruction ne m'intéresse pas. Je n'ai pas envie de me laisser entraîner dans je ne sais quelle lutte sans correspondance avec ce que je suis. Je ne veux pas incarner le symbole d'obscurs fantasmes sans issue.

En prenant conscience de la répétition de ces enjeux supra relationnels, il y a quelques jours, je me suis vu en colère. Je n'avais pas envie que ça recommence !

Et puis je comprends que je peux dévier utilement cette colère et en tirer parti. Elle me donne une énergie de résistance, de refus d'entrer dans ce jeu. Car j'ai évidemment ma part dans ce jeu à deux. C'est bien moi qui accepte, ou pas, d'être le jouet (joué) correspondant aux désirs inavoués de ces femmes encore en partie petites filles...

Soit je subis, soit j'agis. Agir c'est écouter sans entrer dans le jeu. Rester à distance de protection. Bien maintenir la différenciation, la non-fusion.

Je dois cependant reconnaître que ce n'est pas facile tant que je ne suis pas suffisamment au clair avec moi-même et mes propres attentes vis à vis du féminin. Les problématiques se mettent en résonnances et ont vite fait de s'amplifier.

Il me faut donc continuer à mieux cerner mes désirs et mes attentes vis à vis des femmes, mais aussi ce que j'appelle confiance et qui semble avoir tant d'importance dans ma façon d'investir les liens.

Qu'est-ce que je place dans ce concept ? Pourquoi est-il aussi important à mes yeux ?

La suite de ces palpitantes réflexions au prochain épisode...







Faire un tour au lit




Dimanche 23 mars


Un lecteur de longue date a retenu certains éléments de mon pénultième texte, "Force d'inertie" :

« Si je puis me permettre, la phrase "il y a de grandes choses possibles entre nous", pour peu qu'il y ait un minimum d'attirance réciproque, doit pouvoir se traduire à peu près par "prends moi maintenant comme une bête";-) ...
Alors si elle a perçu une réponse du genre "... Ouiiii ... faut que j'yréfléchisse avec respect ..." peut-être en effet a-t-elle été un peu refroidie.

Au début d'une relation il est difficile me semble-t-il de savoir ce que l'on veut vivre avec l'autre. Mais on peut être amené à considérer qu'il ne nuit pas d'aller faire un tour au lit pour approfondir le sujet ...Il est clair cependant que les choses prennent alors une tournure un peu différente, et que le fait d'avoir franchi le pas pèsera nécessairement sur la suite de la relation. Mais le fait de refuser de franchir le pas pèsera aussi, comme, me semble-t-il, votre récit le montre.

Eternel débat que celui des limites de l'amitié homme / femme et de sa collision avec la sexualité ... question qui me paraît inéluctable, et déterminante quelle que soit la réponse qu'on y apporte.

Ca me rappelle un dialogue entre F.Giroud et BHL dans un bouquin sur les hommes et les femmes, qui disait, un peu provoc' "Pouvez-vous être intéressé par la conversation d'une femme qui ne pourrait pas être votre maîtresse ?" ».


Cette dernière phrase me plaît parce qu'elle pointe avec justesse sur une réalité : ce que j'appelle "attirance" interfère incontestablement sur ma façon d'investir une conversation. Il y a bien une part de désir, aussi improbable que soit la mise en acte. Ce désir, bien que mal cerné, a en partie une connotation sexuelle. Une autre part est probablement la recherche de cette fameuse confiance sur laquelle je réfléchis ces derniers temps.

En chaque femme je jauge donc une compatibilité éventuelle, m'appuyant à la fois sur son discours, ses qualités de coeur, et ce qui émane de sa présence physique. Dans la vie courante l'apparence est la première forme de contact, tandis que sur internet c'est le discours. L'un et l'autre peuvent servir de support direct au fantasme, avec l'espoir latent que la part moins accessible soit à la hauteur de ce qui est perçu. Il y a probablement chez moi une recherche de complétude dans chaque rencontre, sous forme d'attente inconsciente. La plupart du temps il ne se passe rien, mais parfois se développe une certaine affinité, une résonnance particulière. C'est là que ça devient intéressant...

Comme me le rappelle mon lecteur, les limites de l'amitié homme/femme se heurtent au désir de sexualité, d'autant plus que l'on se sent "libre". Je crois que cette attirance latente perdure tant que les interférences créées n'ont pas été éclaircies en chacun. Une fois que c'est fait l'amitié "simple", sans enjeu sexuel et/ou amoureux devient possible.

Peut-être est-ce pendant ce temps du flou que se détermine l'évolution de la relation ? Période de rapprochement durant laquelle chacun cherche jusqu'où la rencontre sera possible. Curiosité riche de découverte, stimulante mais inconfortable. C'est là que peuvent s'affontrer en souterrain différentes vitesses de progression, différentes intensités relationnelles souhaitées, le tout pouvant donner lieu à pas mal d'incompréhensions. Puisque cela se situe dans un registre sensible, il peut vite y avoir excès ou insuffisance de mots. Tant que chacun n'a pas trouvé son positionnement la progression vers l'autre n'est pas dénuée d'ambiguité. Tenter sa chance n'est pas sans risque.

Il suffit que viennent s'insérer différents parasitages, avec la résurgence d'attentes inconscientes, ou refoulées : c'est le domaine de prédilection du "non-dit" (ou insuffisamment dit), plus involontaire que délibéré. Ce qu'on ne connaît pas de soi, ou ne veut pas voir, émerge malgré soi. Perçu confusément par l'autre, cette expression qui s'échappe apporte des éléments complémentaires et parfois contradictoires au langage élaboré. La relation peut y perdre beaucoup en clarté et devenir fort hasardeuse.

La grande aventure relationnelle qui entretient mes réflexions depuis des années m'aura énormément appris sur ce qui s'élabore dans ce genre de rapports...

Ce que mon lecteur appelle « aller faire un tour au lit pour approfondir le sujet » est effectivement une façon de clarifier les ambiguités, ne serait-ce que pour celles qui existent en soi (ambivalences). Ensuite on sait un peu mieux ce qui est possible. Encore faut-il que ce passage n'ait pas été envisagé comme seul but, sous peine de voir la relation s'éteindre en cas d'inadéquation dans la rencontre physique. Cette incertitude sur l'issue fait partie de ce qui complique les rapports. Selon moi, mieux vaudrait savoir à l'avance si, pour l'un ou l'autre, il est considéré que l'amitié ne peut (re)devenir "simple" une fois franchie la barrière de la sexualité. Si la conséquence prévue est une rupture de l'amitié je préfère, pour ma part, ne pas me hasarder vers la sexualité. Perdre une belle relation pour quelques galipettes n'en vaut vraiment pas la peine...

D'autant plus que le partage physique n'est pour moi possible qu'avec ce degré de confiance qui m'importe tant. Entrer dans cette dimension implique donc d'investir plus fortement la relation. Si c'est pour la tuer ensuite, c'est assez idiot...

À moins que la sexualité ne soit clairement envisagée comme dimension privilégiée. Auquel cas l'affinité n'est qu'un support et n'est pas prévue pour durer au delà.


Voilà l'état d'esprit prudent dans lequel je me situe lorsque l'éventualité de prolonger le partage se présente. J'ai besoin d'avancer progressivement pour savoir où je mets les pieds. Surtout si les désirs exprimés sont vagues. Je ne peux répondre un "oui" inconditionnel sans savoir à quoi il m'engage. Je ne peux davantage refuser par un "non" alors que la découverte m'intéresse. Voila pourquoi j'ai besoin d'un langage le plus précis possible.

Je comprends qu'il puisse difficilement l'être, dans un souci de protection, mais ce n'est pas à moi d'assumer entièrement les conséquences de cette imprécision qui engendre ma "lenteur" décisionnelle.

Si une femme veut que je la « prenne comme une bête »... qu'elle me le fasse comprendre clairement ! Et qu'elle se débrouille pour que j'agisse ainsi sans me poser mille questions devant sa danse des sept voiles...

Ceci dit, je ne peux pas me défausser aussi facilement : c'est bien à deux que se réalise la danse du rapprochement...






Engagement, liberté, sexualité




Mardi 25 mars


Je suis heureux de recevoir régulièrement des messages à la suite de ce que j'écris ici. C'est toujours pour moi une aide à la réflexion. Voici un extrait de texte qui m'a été communiqué après que j'ai abordé la rencontre de l'autre dans l'intimité du corps :

« Des effets profonds et indélébiles de toute relation sexuelle dans nos corps et nos consciences, j'ose prétendre que notre époque ignore à peu près tout. L'empreinte en est si profonde que ni la volonté, ni la fonction imaginale, ni la conscience à l'état de veille ne peuvent l'atteindre. Elle est plus indélébile que l'amour lui-même car elle s'inscrit dans l'espace primitif, antérieur à toute nomination, à toute appréciation, à l'origine même de la vie, de sa fulgurance surgie. Impossible de retrouver le chemin qui mène à cette mémoire, car aucun chemin n'y mène. La trappe s'ouvre et se referme sans laisser d'indice. Impossible à tout jamais d'y retourner pour récupérer des objets perdus, ou des pièces à convictions... L'affaire est close avant même d'avoir été plaidée. La sexualité ne lâche pas ses proies. Elle est comme la mort. On peut penser d'elle ce qu'on veut on n'en revient pas. Pour se délivrer de ses empreintes et de ses marques rouges, il n'y a qu'une voie. Une seule. Elle apparaît évidente. C'est d'honorer dans son âme -sans oui mais, sans si et sans pourquoi- ceux et celles avec lesquel(s) sur terre on a brûlé. Car le mépris, le ressentiment ou l'indifférence feinte ne font qu'intensifier ou démoniser leur trace en nous. »

Extrait de "Éloge du mariage, de l'engagement et autres folies", par Christiane Singer.

Je ne souscris pas entièrement à ce qui est dit car je pense que la sexualité ne marque pas d'une empreinte aussi profonde lorsqu'elle est détachée des sentiments amoureux. Il en va tout autrement dans le cas contraire, et je me rapprocherais là de ce qu'en dit Christiane Singer. D'où, précisément, mes interrogations et, peut-être, une sorte de prudence "instinctive" à aller vers une sexualité qui ne serait pas portée par, au minimum, du respect et de la... confiance. Une sorte de solidarité. J'utiliserais volontiers le mot alliance, dont je ne retire pas le sens symbolique.


Du coup, intrigué, je suis allé farfouiller sur le net et j'ai trouvé d'autres extraits de ce livre :

« Entre le désir profond de se lier, de s'engager corps et âme, et le désir tout aussi profond de préserver sa liberté, d'échapper à tout lien, quel tohu-bohu ! Or, pour vivre ces exigences contradictoires et d'égale dignité sans être écartelé, il n'y a aucun secours à attendre ni de la philosophie, ni de la morale, ni d'aucun savoir constitué. Il est probable que les seuls modèles adaptés pour nous permettre d'avancer sont la haute-voltige et l'art du funambule. Un mariage ne se contracte pas. Il se danse. A nos risques et périls. »

J'aime l'image du funambule, que j'ai souvent employée. Cependant, là encore, j'aurais un avis différent : l'engagement n'existerait-il que par le mariage ? Les lecteurs de longue date savent quel a été mon cheminement, et comment il m'a conduit à m'écarter de ce lien trop exclusif dans l'acception courante du terme. Ce n'est pas pour autant que je rejette l'idée d'engagement ! Simplement je ne le vois plus comme nécessairement unique. Pour moi l'engagement peut fort bien se concevoir au pluriel, quoiqu'il demande de maîtriser encore mieux l'art de la haute-voltige.

« La vraie aventure de vie, le défi clair et haut n'est pas de fuir l'engagement mais de l'oser. Libre n'est pas celui qui refuse de s'engager. Libre est sans doute celui qui ayant regardé en face la nature de l'amour - ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations - sans illusions, se met en marche, décidé à en vivre coûte que coûte l'odyssée, à n'en refuser ni les naufrages ni le sacre, prêt à perdre plus qu'il ne croyait posséder et prêt à gagner pour finir ce qui n'est coté à aucune bourse : la promesse tenue, l'engagement honoré dans la traverse sans feintes d'une vie d'homme. »

Je trouve ce paragraphe fort intéressant... et pourtant je crois que ce n'est pas dans le sens de ce à quoi pense Christiane Singer. La vraie aventure n'est-elle pas celle qui consiste à vivre à la recherche de l'accord avec soi, aussi bien seul qu'en relation ? Je n'ai pas changé d'avis après avoir fait mon cheminement, même si cela a abouti à vivre seul. J'ai gardé intactes mes convictions, estimant les avoir élargies. Je n'ai renié aucun de mes engagements... excepté celui de l'exclusivité sexuelle.

Mais ce qui me correspond n'est pas universel, et j'essaie de voir les choses différemment : il se peut que le refus de l'engagement soit la suprême liberté. Faire se succéder les rencontres, les relations, les amours, la sexualité au hasard des circonstances. Pourquoi pas ? Peut-être est-ce une façon de vivre fort intéressante en multipliant le renouvellement. Comme un cycle des saisons d'où renaît sans cesse la vie.

J'ai tenté d'opter pour une solution médiane... qui pour le moment permet des amitiés, mais sans le partage amoureux.

Ceci dit, il n'est pas exclu que je n'aie pas encore rencontré la personne avec qui je sente une compatibilité suffisante de coeur, de corps et d'esprit, et simultanément le désir réciproque d'un engagement et d'un partage tels qu'en parle Christiane Singer. Mais ce genre de totale adéquation n'est-elle pas trop rare pour servir de référence ?






Savoir qui je suis




Lundi 31 mars


Dans la série "Vos écrits m'inspirent", voici de nouveau un extrait de courriel (merci à ceux et celles qui m'offrent cette matière à réflexion...)

« un truc m’intrigue... toi qui sembles tellement curieux de l’autre... tu raisonnes beaucoup comme si dans la relation, tu n’observais que toi. C’est peut-être une fausse impression, mais c’est ce que je ressens en te lisant. Toute ta réflexion tourne autour de toi et tes ressentis puis réflexions qui en découlent. Et quand tu découvres quelque chose chez l’autre, il semble que ça te serve à t’analyser, toi. Ce n’est pas une critique parce que je suis admirative de la façon dont tu le fais et je prends toujours autant de plaisir à te lire.

Mais dans une relation, j’ai l’impression que l’écoute de l’autre est primordiale. C’est vrai, comme tu le dis, que les relations sont souvent pleines de non-dit, alors il vaut mieux chercher à les supprimer le plus possible. Mais dans tes écrits, j’ai presque l’impression que tu utilises toi aussi les non-dits. Alors c’est peut-être ta façon d’écrire qui veut ça... je ne peux évidemment pas savoir.

En fait, j’aimerais bien savoir s’il t’arrive d’écouter les autres en te « mettant à leurs places ». Parce que tu me donnes l’impression de plutôt te voir dans le comportement des autres et non de voir l’autre dans tes comportements à toi. »

Bon... je vais encore m'observer... tout en "écoutant" ce qui m'est écrit. C'est incontestable : je m'intéresse à ce qui se passe en moi. Je m'intéresse aussi à ce que ressent l'autre, mais effectivement souvent par rapport à ce que cela évoque pour moi. Il me semble que c'est pour répondre à un besoin : savoir qui je suis (qui est l'autre) et comment je m'en différencie (en quoi il est différent de moi). Je crois que c'est parce que je ne sais pas vraiment qui je suis, et ne suis jamais certain de la validité de ce que je pense, que je procède ainsi. Je suis dans une réceptivité permanente afin de sentir dans quelle direction aller. Fondamentalement je me suis construit sur un énorme doute existentiel et le "travail" que j'effectue consiste à investir, endosser, adopter une pensée qui me serait propre.

Est-ce qu'il m'arrive d'écouter les autres en me mettant à leur place ? Diantre ! La question me surprend parce que c'est ce que je crois faire souvent, de façon à "comprendre" des motivations différentes des miennes. Souvent... mais pas toujours. Parfois parce que je ne trouve pas quel fil suivre, parfois parce que j'admet mal une autre façon de penser. Mais justement il me semble que mes analyses me permettent de m'ouvrir à ces pensées différentes, voire opposées aux miennes. En me prenant comme sujet d'observation dont je tente de décortiquer les ressentis, il me semble que j'appréhende mieux l'universel humain.

Ceci dit, en rapportant les choses à moi, je ne suis pas dans une écoute entièrement disponible envers l'autre. Cela me ramène à ce qui m'apparaît ces derniers temps : je ne suis pas suffisamment individualisé. Trop impressionnable. Pas suffisamment sûr de ce que je pense et de ce que je suis pour avoir une capacité entière d'ouverture.

Mais si j'en étais très sûr... aurais-je une meilleure capacité d'écoute ?

Pour ce qui est du non-dit... oui, il est certain que j'en use. Je ne dis pas tout ce que je pense, par crainte de déplaire. C'est idiot, je le sais, mais je ne crois pas suffisamment en moi pour m'affirmer comme étant singulier. C'est regrettable, et je travaille aussi là dessus. Quant à mes écrits, ils sont chargés d'une part de non-dit parce qu'ouverts à une lecture publique.

Les questions soulevées par ce message m'ont fortement interpellé et trottent dans ma tête depuis quelques jours. Avec l'envie de trouver une meilleure façon d'être réceptif aux autres, dans leurs dits et le non-dits... tout en restant réceptif à mes ressentis et en m'efforçant de les énoncer lorsque nécessaire. Je cherche une formule a intégrer dans le fil de mes écrits, supposant que cela contribuera à changer les choses dans mes rapports aux autres dans la vie réelle. J'ai souvent eu envie de prolonger plus en avant ma curiosité vers les autres, sans vraiment trouver comment procéder...


Hasards et synchronicités, peu de temps avant ce message une citation était déposée sur mon Carnet : « Cet âge stupidement lyrique où l'homme est à ses propres yeux une trop grande énigme pour pouvoir s'intéresser aux autres énigmes en dehors de soi-même et quand les autres personnes ne sont que les miroirs ambulants dans lesquels il s'étonne de découvrir ses propres émois, la valeur de soi » (Milan Kundera)

Damned, Kundera aurait-il lu mes écrits ?