Février 2008

Dernière mise à jour:mardi 13 mai 2008 - Accueil - Message






Indicible



Lundi 4 février


L'été dernier, sans doute mû par quelques pulsions libidineuses refoulées, j'avais erré du côté d'un site de rencontres sur internet. Mouais... pourquoi ne pas tenter? J'avais envie de savoir si je pouvais séduire, et à quoi ça pouvait mener. L'expérience fut rapidement suspendue car ne correspondant pas à ce que je recherchais. Mais... il s'est quand même noué deux relations d'échange, plus ou moins poussées. L'une d'entre elle ne s'est concrétisée que par la rencontre de Martine à la terrasse d'un café, prolongée tard dans la soirée estivale. Et puis... plus rien. Ou pas grand chose. Elle m'a envoyé quelques messages espacés signifiant son souhait de poursuivre, auxquels je répondais que ça me ferait plaisir... mais sans proposer de date. Martine n'a pas insisté, respectant mon empressement plutôt modéré. Et puis en décembre elle m'a écrit, visiblement déçue par ce temps que je laissais s'étirer indéfiniment. Je lui ai répondu que je ne savais pas ce que je cherchais actuellement, mais assurément pas une relation suivie fréquemment. Aussi clairement et sincèrement qu'il m'était possible, je lui ai donné mon positionnement actuel par rapport aux relations affectives plus ou moins teintées de séduction. Je lui ai expliqué mes doutes, ma circonspection après un grand chambardement affectif, mon plaisir à goûter les avantages de la vie en solitaire...

Elle semblait déterminée à en rester-là et je la laissais libre de ses choix, ne fermant aucune porte ni ne cherchant à la retenir. Je m'attendais à ne plus avoir de ses nouvelles...

La semaine dernière elle m'a écrit quelques lignes, me remerciant pour les clés de compréhension que je lui avais données. Ouais, je crois n'avoir jamais fui devant mes responsabilités et n'allais pas la laisser mariner dans l'inconfort d'une posture que je ne connais que trop bien. J'explique toujours mes silences quand on m'en fait la demande.

Dans son message une phrase m'a marqué : « pouvoir être avec l'autre tout en étant à l'écoute de soi est peut être assez difficile ». Elle a vu juste ! Depuis pas mal d'années je m'écoute beaucoup. Ça m'est absolument nécessaire. C'est ainsi que je m'extrais des conditionnements qui me gênent encore pour me sentir suffisamment libre. J'assume cet égocentrage, dont je sais qu'il est la meilleure façon pour moi de m'ouvrir aux autres.

Bon... en même temps, je ne peux m'empêcher de penser combien il a pu interférer dans les relations fortes auxquelles je tenais... Mais enfin, c'était mon chemin, et il n'a pu éviter cette introspection soutenue.

Et puis... je n'étais pas seul dans ces dynamiques ! J'ai récemment pris conscience, grâce à quelques pertinentes remarques, que j'avais une tendance forte à me sur-responsabiliser. Comme si j'estimais avoir un rôle prépondérant dans les complications qui peuvent survenir dans des relations. Comme s'il m'incombait qu'elle se déroulent harmonieusement pour tous !

J'ai longtemps décrit mes erreurs, ici-même, me sentant abusivement responsable [coupable ?] d'être en échec relationnel. Comme si je n'avais pas su faire... alors que je ne pouvais aller au delà de ce qui m'appartenait. J'en viens à me demander si, dans ma façon d'aimer, il n'y avait pas une forte composante "paternelle", d'où un surinvestissement dans le désir "d'aider" celles que j'aimais.

Le "syndrôme du sauveur", dont je prends conscience en entrant dans la relation d'accompagnement. Redoutable écueil à éviter !

Ouais... ce n'était pas mon rôle...

Mais les choses changent. J'ai peu à peu renoncé à vouloir porter cette charge, non seulement trop lourde, mais aussi absolument déplacée. Tant avec Charlotte, avec qui tout semble s'être apaisé dans la prise de distance, qu'avec le regard que je porte sur la relation dont... euh... ahem... je ne parle plus...

Enfin... presque plus...

Tiens oui... qu'est-ce que c'est devenu ?

Tssss...

Ben quoi, c'est toi qui ramène le sujet sur le tapis !

Non, c'est toi qui saisis perfidement l'occasion.

Hé hé...

...

Ben alors ? Raconte !!!

Rien à raconter.

Ohlala ! C'est devenu tabou ?

Non. Indicible.

Comment ça "indicible" ?

Inracontable.

Et pourquoi donc ?

J'ai compris qu'il était devenu préférable que je réfléchisse à l'abri des regards.

Tu as renoncé à ton désir de transparence et à la chimère du "tout dire" ?

Oui...

Fort bien ! C'était suicidaire.

Et irrespectueux. Il y a un devoir de réserve. Une éthique du "secret". Une clause de confidentialité...

Que tu avais négligée auparavant...

Forcément : j'étais partie prenante !

Donc tu n'en parleras plus ?

J'en parlerai probablement, mais plus comme auparavant. Je ne souhaite pas rester indéfiniment sous le régime d'un tabou généralisé, mais il y a certaines choses que je ne divulguerai plus. Notamment le détail du processus de compréhension qui m'a permis de retrouver la paix.

Tu regrettes de devoir le taire ?

C'est comme ça... En ayant accepté de rendre public mon lien avec une personne identifiable je me suis engagé dans une voie qui allait mener à cette contrainte d'une nécessaire discrétion. Maintenant je dois faire avec. De toutes façons chaque expérience relationnelle est unique. Ce qui est transposable peut être généralisé sans passer par le détail d'une histoire particulière. C'est ce que je m'efforce de faire sur mon carnet.

Ouais, mais cela t'a conduit à une autocensure considérable...

Elle n'est pas sans avantages : cela m'oblige à prendre du recul et "sortir" de l'égocentrage émotionnel. J'y gagne une compréhension élargie. J'appréhende mieux la complexité des relations humaines, des liens affectifs, des mystères des comportements inconscients.

Ah c'est ton truc, ça...

Je ne sais pas d'où me vient cette soif de comprendre, mais je constate qu'elle ne se tarit pas. Et plus je comprends... plus j'ai envie de poursuivre.

Pfiouuu, mais c'est sans fin ! À la longue, ça peut lasser ceux et celles qui te fréquentent de près.

Eh oui... d'où mon désir de pluralité relationnelle. Inconscient à l'origine, mais pas sans origine. Maintenant je suis dans cette diversité relationnelle et j'en suis satisfait. Même si le désir de la vivre sans limites m'a conduit au célibat.

Pouvait-il en être autrement ?

Apparemment pas. Du moins avec celles avec qui j'aurais voulu poursuivre...

Tu le regrettes ?

Oui et non. C'est ainsi. Cela m'a permis de comprendre beaucoup de choses sur mes attentes, mes désirs, mes illusions, mes forces et faiblesses. Et sur les leurs... J'ai dû m'ouvrir à leur différence de point de vue et j'y ai beaucoup appris.

Toi qui voulais mieux comprendre l'humain, tu as donc réussi sur ce plan.

Parfaitement ! Ces expériences ont été absolument révélatrices et m'ont propulsé vers des aspirations que j'ignorais. En m'orientant professionnellement vers le domaine des relations affectives et leur lien avec la communication humaine, je crois avoir trouvé ma voie. Tout se tient, tout s'enchaine selon une logique qui ne doit rien du hasard.

Ainsi tes séparations étaient-elles probablement inévitables.

Il semble que j'ai un tel désir d'approfondissement que je ne peux le combler dans un cercle restreint, et a fortiori dans des relations de couple. Fussent-elles plurielles... Mes besoins d'échange sont trop lourds. Maintenant que j'ai accepté ce constat, je le vis bien. Finalement j'ai mis à jour une tendance que j'avais refoulée : j'apprécie la solitude.

Mais... ce que tu dis est contradictoire ! Seul ou à plusieurs ?

Désormais je travaille en groupe, me forme en groupe, et investis des activités de groupe... mais je reste un solitaire. J'aime ces temps que je passe seul chez moi, ou à me promener dans la campagne. J'aime les autres... mais parfois de loin. Oui, c'est ça : j'ai besoin de pouvoir me mettre à distance des autres.

Et tu dis que tu apprécies les relations et la communication ?! 

Ce n'est pas une contradiction : j'aime les échanges approfondis et la solitude. Les premiers me sont indispensables pour me sentir exister, et la seconde m'est nécessaire pour laisser infuser mes ressentis. Je suis en contact quasi-quotidien avec mes congénères humains durant la journée, que ce soit au travail, en formation, ou en groupes de paroles. Il y a de l'échange, de la découverte, du partage. C'est riche et nourrissant. Par contre, le soir, et bien souvent le week-end, je retrouve ma chère solitude. Elle me convient bien. Auparavant je vivais en famille durant mes temps libres, et en solitaire durant mon travail. Maintenant c'est l'inverse.

Alors... tout baigne !!!

Ouais, presque tout.

Presque ? Mais où reste t-il un problème ?

Tsss... indicible...

Ah... je vois...






Les mots salvateurs




Jeudi 7 février


Mots qui trainent depuis quelques jours...


C'est quand même assez bizarre de raconter sa vie sur internet...

Pourquoi est-ce que je continue, mois après mois, depuis des années ? Je déballe mon intériorité à des gens qui ne connaissent de moi que ce que je veux bien en dire. En fait c'est à moi que j'écris, en créant l'histoire que j'ai envie de générer. Je la réécris sans cesse, comme si je polissais le travail déjà accompli, quitte à le transformer imperceptiblement. Enjoliver la réalité, peut-être. La transformer, l'orienter. Non pas avec des mots factices et trompeurs, mais parce que les mots agissent sur le sens des choses. J'en suis persuadé.

Non : j'en suis certain ! Mon changement en est la preuve.

D'ailleurs ce que vous ne savez pas c'est que bien souvent je ressens un sentiment étrange au moment de cliquer sur "envoi". Une crainte d'aller trop loin, de trop m'engager, de trop me dévoiler. Mais aussi la peur de me montrer immature, trop sensible, ou faisant erreur. Je sais que par ce dévoilement écrit je prends conscience de ce que je suis et, un peu follement, je l'affiche sans vergogne ! Par mes mots j'agis sur mon existence, et en même temps je prends confiance en moi en me mettant "en danger" [relatif, certes...]. Du coup, il y a une certaine appréhension. Je me dis parfois que d'avoir écrit est suffisant, et que la mise en ligne n'est peut-être pas nécessaire... mais non, il faut que je l'envoie ! Il me faut des témoins ! Et pour en être sûr, j'ai même le culot d'envoyer un avis de mise à jour annonçant aux abonnés que j'ai pondu un nouveau texte. Comme s'il s'agissait d'une production que j'estime digne d'intérêt. C'est quand même gonflé... Et tout ça pour quelques miettes de ma vie qui effleureront la surface de la vôtre, sans y changer grand chose.

M'enfin, tout cela n'est pas nouveau et fait partie depuis l'origine de mes questionnements de diariste en ligne.



Oh, tiens, tant que je suis dans mes états d'âme : avez-vous remarqué à quel point mon carnet a pris de l'importance par rapport au journal ? Il devait n'être qu'une annexe, et il a pris le rôle principal ! Pourtant je l'aime bien mon journal. Il est plus tranquille et je m'y sens parfois mieux. Il me soumet beaucoup moins à l'attente des commentaires, me préservant de la frustration [ouais, parfaitement, je suis frustré quand je n'ai aucun commentaire ! ]. Pour ça que je reviens ici maintenant, hé hé...

Ici c'est mon repaire, mon cocon, mon p'tit coin à moi. J'y suis plus à l'aise pour aborder ce qui me touche intimement. Pour ça que je m'en suis éloigné d'ailleurs, vu que ce qui me touchait était indicible.

Oups ! Voila que je me cogne de nouveau à ce terme...

Mais qu'est-ce qui est indicible, en fait ?



C'est pas forcément ce que je croyais.

L'indicible, c'est : la résolution de l'échec.

C'est à dire le processus par lequel je passe pour ne rester dans l'échec. Oui, parce que contrairement à ce que j'ai parfois écrit, ce que je vis depuis quelques années n'est pas un échec relationnel. Non : je suis en échec relationnel. Nuance !

Un échec, c'est terminé. On a perdu la partie et on laisse tomber. Tandis qu'être en échec, c'est ne pas encore avoir réussi. Réussi quoi ? Réussi à surmonter l'épreuve, pardi !

Et l'épreuve c'est quoi ? Pour moi c'est de réussir à me sentir mieux dans ma vie.
C'était pas de "réussir" une relation complexe, aussi intéressante soit-elle !

Ben non !

Je me suis trouvé en échec dans une relation, et je persévère pour en sortir "bien". Autrement dit : puisque un but n'a pas été pas accessible, c'est qu'il n'était pas le bon ! Et le bon objectif, comme chacun sait, c'est de parcourir le chemin qui y mène. J'ai tenté un chemin "à deux", ça n'a marché qu'un temps, alors je le poursuis seul. Et là ça marche ! En cessant de m'obstiner dans une voie sans issue j'ai pu en trouver une autre, fort différente. Moins exaltante, mais prometteuse : elle va vers le mieux existentiel auquel j'aspire.

Ouais, ça m'a demandé du temps pour comprendre ça, et pas mal de renoncements, mais qu'importe...

Je vis davantage en paix maintenant que lorsque j'insistais en vain sous un régime de... peur. Je m'étais pris sans m'en rendre compte pour Zorro, et bien mal m'en a pris : il n'est pas en mon pouvoir d'apporter mon "aide" qui n'en veut pas. Et puis d'abord, de quel droit ai-je pu penser que j'avais une aide à apporter ? Quel présomptueux ignorant ! Chacun sa vie, chacun ses problèmes et chacun sa façon de les résoudre. Ce qui fonctionne avec moi n'est pas systématiquement transposable. Et mes désirs ne sont pas universels.

C'est ce que j'ai appris de mes déboires relationnels...

J'ai voulu bien faire [l'enfer est pavé de bonnes intentions] en ignorant que je n'avais pas les compétences suffisantes. C'est à dire la capacité d'entendre l'autre avec empathie et la distance nécessaire. Cela impliquait de bien me connaître moi-même, notamment du point de vue de mes limites et de mes sensibilités afin de ne pas les solliciter outre mesure.

Ce n'était évidemment pas le cas, loin de là...

En revanche, ce que j'ai vécu a contribué à forger ce qui m'avait fait défaut. C'est là tout l'intérêt d'avoir suivi le chemin complet de reconstruction-réparation. Celui qui me permet de tirer tous les avantages en "donnant du sens" à ce qui n'en avait aucun. C'est en cela que mes mots ont été agissants, et finalement salvateurs.







Dire l'indicible



Dimanche 10 février


Savez-vous depuis combien de temps le mot "indicible" se promène dans ma tête ? Plusieurs semaines ! Oui, il y a des semaines que je souhaite écrire à ce sujet, mais je ne savais pas comment en parler... Écrire l'inracontable, dire l'indicible, en voila une belle contradiction.

L'indicibilité, j'y ai plusieurs fois été confronté depuis LA grande aventure relationnelle. Et notamment lorsque je tentais de nommer la nature de l'amour qui me liait à mon amie-amoureuse. Faute d'en trouver un j'avais utilisé le terme de [pas de mot existant]. Plus tard, je viens de m'en rendre compte en relisant le mois de février 2004 [soit juste avant mon départ pour le Québec], j'avais encore utilisé ce terme pour décrire la nature du lien qui m'unissait à Charlotte.

Dans les deux cas je tentais de me situer sur le fil de l'entre-deux de l'amour et de l'amitié, avec ce petit détail qui change tout et, théoriquement, constitue la ligne de démarcation : le partage intime physique. L'amitié est un amour sans sexualité. Or j'avais une sexualité sans réel désir amoureux avec mon "amie-épouse" Charlotte, et je désirais puissamment partager une sexualité délicieuse avec mon "amie-amour" Nathalie. Bref, les repères habituels étaient brouillés. Mais ça me plaisait... La complexité ne me rebute pas. Au contraire, j'y vois un terrain très fertile pour faire germer de nouvelles façons de comprendre la vie. Or mon amie revendiquait sa complexité et ses contradictions, ce qui ne pouvait que m'attirer...

Bon. Où vais-je en revenant sur ces sujets archi-rebattus ?

Je cherche à dire une part de l'indicible.

L'indicible ce peut être ce qui ne veut pas se dire, pour diverses raisons. Ce peut aussi être ce qui ne parvient pas à se dire. Il peut y avoir une incapacité à dire ce qui semble trop complexe. Les mots de Descartes me reviennent : «ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément ». Mon père me répétait cela lorsque je lui disais comprendre mes leçons mais me montrais incapable de les lui restituer...

Alors, si je suis dans ce genre d'indicibilité, c'est que je n'ai pas encore vraiment cerné les choses. Je les ai insuffisamment conscientisées. Je ne me les suis pas appropriées. Ce n'est pas étonnant, tant la remise en question à bouleversé mes schémas et m'a contraint à changer de mode de pensée. Mais justement, ce journal est censé m'aider à me comprendre, donc à me dire. C'est sa raison d'être ! Et il a parfaitement rempli ce rôle autrefois.

Ouais... sauf que je me situe aussi dans l'indicibilité choisie : je ne veux pas en parler.

Enfin... disons plutôt que je ne voulais plus en parler. Mais manifestement j'ai du mal avec la rétention durable de mon expression. Le silence éternel c'est pas mon truc. Je peux le faire un certain temps, mais pas si cela devient trop bloquant. Or mon expression ici est retenue depuis... wwouuuuf... des mois ! Et contrariée depuis des années !!!

Mon expression retenue c'est aussi, au bout d'un certain temps, mon avancement qui en pâtit. Là je crois avoir largement exploré, par d'autres biais, ce que j'avais à découvrir en moi. Et je sens que le non-dit devient élément bloquant.

Qu'est-ce qui fait qu'une situation devient bloquée ?
L'incapacité à agir.

Et quand l'agir consiste simplement à dire les choses, comment peut-on se sentir "incapable "d'agir ?
Par peur. Peur de dire, peur d'écrire.

Peur d'exprimer ce qui est retenu.
Peur des conséquences.


Paradoxalement c'est mon amie qui, jadis, m'a fait comprendre que ma liberté viendrait de l'affrontement de mes peurs. Ou plus précisément, comme je l'écrivais récemment, du repoussement de mes peurs dans leurs derniers retranchements. Aller jusqu'au plus loin de mes véritables limites, sans avoir peur de mes peurs !

Ai-je peur d'écrire ? Peur de parler de ce dont il ne faudrait pas parler ? Oui, parce que je sais que mes écrits librement lâchés ont eu des effets sur l'amie qui les lisait. C'était le but inconscient, d'ailleurs, puisque je tentais de contourner ce que les non-dits empoisonnaient. Je croyais aux vertus libératrices et apaisantes des mots, à leur pouvoir "provoquant" (pro-vocare, faire parler). Apparemment cette "provocation" n'était pas la bonne méthode puisqu'elle a durci la posture de mon amie... qui ne voulait résolument pas revenir sur ces sujets.

Mais je ne suis pas là pour parler d'elle. Seulement pour évoquer de la façon dont j'ai vécu les choses, ce qu'elles ont provoqué en moi [finalement, la provocation se situait là...], et vers quoi tout cela me mène. Car mon chemin de découverte continue, fort de cette expérience tumultueuse.

Le silence et le tumulte...


Pourquoi reviens-je sur tout ça aujourd'hui ? Parce que j'ai lu une déclaration d'amour-amitié entre deux amis-aimants, et que ce type de relation entre un homme et une femme est quelque chose que je trouve puissamment beau. Riche de partage, de découvertes, de confiance, de solidarité. Quelque chose de grand, « rare et précieux »... comme nous le déclarions haut et fort, autrefois, mon amie et moi. Bien que devenus maintenant fort éloignés nous avons connu ensemble ce merveilleux bonheur. Je ne l'oublierai jamais.

Ouais, évidemment... on n'oublie pas ce genre de choses. Ça vous transforme une vie ! Ça vous modifie votre perception des relations. Ça vous ouvre en grand le champ des possible [ou ça vous le ferme à tout jamais...]. Je ne cesse d'y faire référence, d'ailleurs, dans le tournant qu'a pris ma vie. Ma curiosité envers les enjeux complexes des liens affectifs vient essentiellement de là.

Cette relation c'est LE plus grand bouleversement de mon existence. Une "rupture" dans mon cheminement, une inflexion radicale, alors que les autres évènements majeurs se situaient tous dans une continuité logique.

Pas surprenant, donc, que des années après je sois encore sous influence malgré l'absence. Et ça durera encore longtemps, parce que je veux en tirer tous les enseignements.


Maintenant j'estime avoir gardé suffisamment longtemps le silence à ce sujet. J'ai travaillé mon intériorité, j'ai observé mes peurs et m'y suis confronté. Il n'en reste qu'une qui me bloque vraiment : celle d'écrire "librement". Il est temps que je relache un peu le cadre de l'autocensure. J'ai envie, et besoin d'avancer dans ma vie qui, par ailleurs, est en plein mouvement. Je ne vais pas traîner un nouveau boulet de non-dit alors que j'ai tout fait pour me débarasser des lourdeurs de mon passé. Il n'y aura pas de tabou sur mon histoire. Je reprends la route.

Je n'ai plus peur, parce que connais mes limites...




« C'est l'histoire de deux amis qui marchaient dans le désert. A un moment ils se disputèrent et l'un des deux donna une gifle à l'autre. Ce dernier, endolori mais sans rien dire, écrivit dans le sable :
« Aujourd'hui mon meilleur ami m'a donné une gifle. »

Ils continuèrent à marcher puis trouvèrent une oasis, dans laquelle ils décidèrent de se baigner. Mais celui qui avait été giflé manqua de se noyer et son ami le sauva. Quand il se fut repris, il écrivit sur une pierre :
« Aujourd'hui mon meilleur ami m'a sauvé la vie. »

Celui qui avait donné la gifle et avait sauvé son ami lui demanda : quand je t'ai blessé tu as écrit sur le sable, et maintenant tu as écrit sur la pierre. Pourquoi ? L'autre lui répondit :
« Quand quelqu'un nous blesse, nous devons l'écrire sur le sable, où les vents du pardon peuvent l'effacer. Mais quand quelqu'un fait quelque chose de bien pour nous, nous devons l'écrire dans la pierre, où aucun vent ne peut l'effacer ».

Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre »


Histoire qui circule sur la toile...




Je n'oublie pas




Samedi 16 février


« Ici c'est mon repaire, mon cocon, mon p'tit coin à moi », ai-je écrit récemment. "Cocon" ? Ce journal aurait-il une dimension régressive ?

Certainement...

Bien souvent je me suis laissé aller à exprimer des ressentis, des émotions, des comportements que je peux qualifier d'enfantins. Oui, j'ai en moi des parts d'enfant. D'enfant souffrant, puis-je même ajouter. Mon enfance, pour diverses raisons, a été vécue dans une souffrance certaine. J'avais ma part dans ce ressenti, mais le fait est que cela a formé une sensibilité particulière.

Longtemps j'ai souffert de cette sensibilité, dont la perception intuitive m'a fait me protéger des autres. Jusqu'à ce que j'accepte d'aller voir ce qui se cachait au fond de moi. Une sorte de traque perpétuelle, qui durera jusqu'à ce que je m'émancipe suffisamment de cette sensibilité. Travail en cours depuis des années, qui ne cesse de m'offrir de nouveaux résultats. Progression constante, libération en mouvement.

Oui, j'ai des parts d'enfant fragile. Je les connais de mieux en mieux. Je les accueille. Je m'efforce de ne pas les refouler dès lorsqu'elle parvienne à ma pré-conscience. Je tente alors de les mettre à jour.

C'est un travail analytique. Auto-analyse en continu.

Sauf que, comme je l'ai longuement décrit, cette analyse s'est trouvée confrontée à un autre parcours humain. À une autre sensibilité qui m'a touché, ému, bouleversé. Or l'analyse mène à une fragilisation de part et d'autre si elle est exposée sans suffisamment de distance. Ce n'est pas pour rien que tout lien affectif avec un analyste est absolument contre-indiqué, pour ne pas dire "interdit".

Lorsque j'analysais ici mon lien conjugal avec Charlotte, sans qu'elle ne me lise, je progressais raidement. Je le faisais sans crainte, avec seulement des questionnements éthiques : était-ce une bonne chose que de parler de "nous", donc d'elle, devant un lectorat qu'elle ne connaissait pas ? Avec le recul je ne crois pas avoir divulgué trop de secrets, ni n'avoir atteint abusivement son image. D'ailleurs j'ai pu, par la suite, tempérer et corriger des mots qui avaient pu être excessifs à son égard en période de crise ou de conflit. Certes, elle n'aurait sans doute pas apprécié que je divulgue autant de notre intimité, néanmoins je crois n'avoir jamais manqué de respect à son égard.

Fort différentes auront été les conséquence de l'exposition publique de mon auto-analyse envers le lien qui s'est construit, puis désagrégé, avec celle que je n'ose même plus nommer par son prénom...

Comme si je n'avais plus le droit d'en parler.
Comme si je devais "oublier".

Comme si je devais nier ce qui a été.

Or je n'ai aucune intention de faire disparaître les traces d'une des principales raisons de mon changement existentiel. Ce serait en effacer l'origine, donc le sens.

Le partage qui a résulté de cette rencontre, même s'il a fini par s'étouffer bien trop tôt dans des complications d'ordre plus psychologique que géographique, reste à mes yeux quelque chose qui fut très beau, et bon. Quelles qu'aient pu être ensuite les motivations de ma partenaire, je n'ai jamais pu accéder à sa demande d'oubli.

En revanche j'ai fini par accepter son silence et prendre la distance qui s'imposait.

Aujourd'hui, près de cinq ans après être entré dans la dimension amoureuse de notre impalpable "rencontre", et trois ans et demi après sa décision d'en sortir, je crois pouvoir dire que j'ai retrouvé une vie "normale" (si toutefois ce mot peut avoir un sens).

Près de cinq ans de turbulences qui m'ont mené vers des sommets de félicité, puis aux plus sombres creux de la désespérance. Et trois ans et demi pour retrouver le sens de mon existence après que je me sois retrouvé "seul".

Cinq ans pour devenir un autre, c'est à dire être en concordance avec mon essence. Devenir moi. Un moi en mouvement, mais au plus près de mon être.

Comment ne pourrais-je pas me sentir reconnaissant envers celle qui à permis cette émergence ? Et ce, même si elle a ultérieurement choisi de s'éloigner, puis de s'effacer.

Des pages se sont tournées depuis. Chaque jour, chaque heure. J'ai vécu avec cette présence absente. Mes sentiments ont évolué. Ils ont trouvé leur vraie nature. Ils se sont épurés des attentes enfantines et de leurs manques à combler.

En plongeant dans l'analyse des profondeurs de ma psyché j'ai pris conscience de l'universel humain et suis remonté à l'origine de bien des sources de mes peurs. J'ai pris contact avec mes angoisses existentielles, en ai cerné quelques intéressants contours.

J'ai trouvé dans cette exploration une paix toujours plus grande. Ma vie s'en trouve changée. La solitude est devenue une agréable compagne et la quête de liens durables n'existe plus. Temps présent. Ici et maintenant. Être moi, toujours plus près. À mon écoute pour mieux entendre les autres. Être ouvert à leur différence.

J'aime mon parcours, qui me mène vers une congruence souhaitée.






Période de latence





Dimanche 17 février


Je me sens être actuellement dans une sorte de résurgence tardive de la "période de latence", cette étape du développement infantile caractérisée par le désinvestissement de la sexualité. Pour l'enfant c'est l'âge de l'intégration des savoirs. La libido, énergie de vie qui se trouve disponible, se transfère alors sur d'autres types d'élans.

Pour moi c'est un peu pareil : en investissant un nouvel état d'être, un nouvel état de conscience, un nouveau métier, de nouveaux centres d'intérêt, je sublime une énergie sexuelle qui ne trouve pas d'exutoire. Parallèlement le sentimental est maintenu en état de dormance. 

Je n'ai renoncé à rien, mais la période n'est pas opportune. Me tenant à l'écart de tout investissement de ce genre, je préfére poursuivre la mise au clair de ce qui peut susciter un attrait exacerbé vers "l'autre", au féminin, dans un désir de complétude.

Je ne me sens pas prêt. J'ai peur de l'attachement...

Tant que je ne me sentirais pas suffisamment à l'aise avec ça je préfère m'abstenir. Sans aucune frustration, d'ailleurs. J'en suis presque étonné tant cela diffère des idées communément admises : une vie épanouie ne saurait être sans sexualité ! Vivre en couple, ou y aspirer, reste un modèle assez largement plébiscité.

Et bien non ! Plus pour moi..

Peur de l'attachement ? Fuite ? Non : peur de la séparation. Je redoute à l'avance de me retrouver pris dans une relation qui mettrait en souffrance l'un ou l'autre des protagonistes. Me sentant "vacciné", je pense surtout à l'autre. Indirectement je pense aussi à moi, qui vivrais mal de "faire souffrir". Alors le plus simple est de rester seul.

Je parle de ça, mais en fait je n'y pense guère. Je ne me sens pas concerné. Il n'empêche que, de temps en temps, je m'interroge sur cette solitude bien vécue. Je me demande alors si je ne risque pas de "trop" m'isoler. Le confort que procure l'absence de frottements affectifs ne manque t-il pas de vie ? N'y a t-il pas un risque de repli frileux sur soi ? En constatant que ma vie relationnelle s'est considérablement ouverte, avec des rapports aux autres qui se sont fluidifiés, je ne m'inquiète pas sur ce point. Toutefois, je me demande si le maintien à l'écart d'une vie affective et sentimentale ne conduit pas, à la longue, à une fermeture de l'esprit. Comme s'il y avait des territoires bannis, rendus inaccessibles, vers lequel le regard ne veut plus se tourner.

Par peur. Peur de l'autre, de la souffrance, de la différence, des efforts à faire.

Je crois qu'il ne serait pas bon que je me ferme durablement aux sentiments et au partage intime. Ce que j'ai vécu était trop porteur de vie et de changement pour que je me recroqueville dans un relationnel distant. Je sens que ce n'est pas ma voie. J'y perdrais quelque chose.

Et pourtant, vraiment, je n'ai pas envie de revenir là-dedans !

Peut-être parce que j'y suis encore, partiellement, n'ayant pas totalement renoncé à je ne sais quoi...

Je n'ai pas fini de faire le tri entre les différents sens du mot aimer.

Alors la période n'est pas propice pour "passer à autre chose", hormis dans ces investissements dénués de sentiment dont je parle. Je crois cependant important que je garde un certain désir de retour. Une ouverture, tout simplement. Une réceptivité. Une attention à ce qui pourrait se passer dans ce registre.

Bah... honnêtement je ne m'y suis jamais fermé. Je me suis parfois inquiété des marques que laisseraient dans ma conscience mes déconvenues, mais je crois que le travail constant que j'ai effectué depuis avait bien pour objectif de refermer les cicatrices. En prenant le temps, le processus est efficace. La conquête de ma paix intérieure n'a finalement d'autre but qu'une ouverture pleine et entière à tout ce que la vie peut m'offrir.

Paradoxalement je crois que la peine ressentie face à l'éloignement des femmes aimées m'aura beaucoup apporté. J'y ai appris le maintien d'une distance optimale, en étant plus attentif aux expressions de l'autre. Et surtout à ce qui ne se dit pas en mots. Avec une meilleure connaissance de moi-même j'ai trouvé comment m'ajuster à certaines réactions dont autrefois je ne comprenais pas le sens.

Toute réaction d'hostilité est le signe d'une peur, d'un ressenti de mise en danger. La mise en évidence d'une zone sensible, fragile.

Je l'ignorais.

Maintenant que j'en ai pris conscience, et sous réserve que j'aie moi-même mis à jour mes propres peurs et fragilités, je me sens plus apte à gérer l'agressivité d'autrui. Je peux la percevoir comme un cri de peur plutôt que comme une véritable agression à mon égard.

C'est ce très long travail de conscientisation, en remontant à l'origine de mes angoisses existentielles, qui m'a ouvert au langage inexprimé de l'autre. Je n'en suis qu'aux balbutiements de ce qui nécessite un apprentissage, mais la clé est là. Et c'est ce qui fait que le regard que je porte sur celles qui se sont éloignées de moi a changé. Il s'est ouvert à leurs inquiétudes, expliquant bien des incompréhensions passées. Ma quête de sens m'a permis d'accéder à une nouvelle source de compréhension. En étant moins envahi par mes craintes j'ai enfin pu entendre les leurs.

L'apprentissage acquis durant ces aventures affectives fortes me permet d'évoluer vers un élargissement à tous les autres. C'est cette compréhension élargie, et toutes les possibilités qu'elle annonce, qui fait que ma vie est devenue sereinement porteuse d'un espoir patient. À la fois plus intensément vécue et plus calme. Avec un sourire dans la tête, je me sens être sur le chemin qui me convient, au jour le jour, et cette certitude renouvellée m'est douce.






De l'expérience vers la théorie




Mardi 19 février


On dit souvent que passer de la théorie à la pratique est plus complexe qu'il n'y paraît. Mais le cas inverse existe : apprendre la théorie après avoir pratiqué. Après avoir expérimenté, à l'instar des scientifiques. Dans la vie courante, cette théorisation est rarement considéré comme utile, sauf lorsqu'il y a désir de mieux exploiter l'expérience acquise. Pour ma part je me situe là en ce qui concerne la psychologie. D'ailleurs, je me définis souvent comme "chercheur de sens" dans les domaines relationnels et affectifs, en me basant sur mon vécu. 

La formation à l'écoute que je suis nécessite de s'appuyer sur la théorie psychanalytique. Je ne cacherai pas que je la trouve fort complexe à appréhender, malgré certaines connaissances générales. Il faut commencer par se coltiner des termes spécifiques et des concepts élaborés. On a tous plus ou moins entendu parler de libido et de surmoi, de complexe d'Oedipe, de narcissisme, de transfert, de complexe de castration... mais quand il faut décrire en quoi cela consiste, comment cela construit le psychisme, et de quelle façon tout cela s'articule, et bien c'est finalement très obscur ! C'est là que j'apprécie mon expérience de vie et l'analyse que j'en ai faite. Cela me donne une base sur laquelle prend corps la théorie.

Bon, je ne vais pas faire un cours de psychanalyse. Je vais seulement réfléchir à un point spécifique, qui me semble fort éclairant pour donner un sens à mon parcours de ces dernières années. Ou, plus modestement, une partie de ce parcours. Disons : un des éléments qui a interagi.

J'ai nommé le narcissisme.

Ouh la, c'est un terme qui est déjà connoté négativement ! Mal vu. Le narcissisme est souvent associé à l'égocentrisme. Pensez donc : des personnes « qui se prennent la tête à tourner autour de leur nombril ». On sait à quel point, depuis Pascal, combien « le moi est haïssable ».

Faux : le narcissisme est indispensable. Le narcissisme, c'est l'estime de soi. Une insuffisance de narcissisme fait qu'on se considère comme peu capable, voire incapable. Ou même carrément nul.

Tiens tiens...

Ça me rappelle quelque chose, ça.

Autrefois je me considérais comme un nul. Un raté. 
Ensuite j'ai progressé : je me suis senti « insignifiant »
Plus tard j'avais l'impression de « ne pas exister ».

Malgré la subtile progression, ce n'était pas le signe d'un égo très fort...
Vivre avec un Moi faible, avec ce qu'on appelle des « failles narcissiques », c'est pas vraiment drôle. Si les « assises narcissiques » sont insuffisantes, la quête de reconnaissance, le besoin d'être aimé, risquent de se manifester avec force. Ce qui aura manqué dans l'enfance, pour quelque raison que ce soit, aura besoin d'être consolidé. Reconstruction nécessaire afin de trouver cette « estime de soi » qui est indispensable pour avancer dans la vie avec une confiance suffisante, se choisir des objectifs valorisants, les considérer comme atteignables, et ne pas dépendre exagérément du regard des autres.

Bien sûr, tout est question de dosage : on a tous besoin du regard des autres. Mais quand on guette sans cesse l'approbation d'autrui, on est proche de la dépendance. Voire de la soumission. Et ça... c'est pas vraiment de la liberté. Ce n'est pas vraiment propice au "être soi" dans lequel chacun peut s'épanouir.

Donc, j'avais des assises narcissiques faibles. Des fondations défaillantes, quoi...
Solides par ailleurs, quand même, puisque j'ai entrepris, presque malgré moi, de conquérir mon estime de moi. Je devais donc pressentir que quelque chose d'autre m'était possible. Bon... avec la maturité, heureusement que cette émergence du Moi s'est manifestée. Je n'ai plus quinze ans ! Quoique...

A t-on un âge uniforme, en ce qui concerne le psychisme ? Certainement pas. Tout ce qui, dans l'enfance, n'est pas passé par certaines étapes reste en état de latence. Ce n'est tout simplement pas venu au jour. Pas "né", en quelque sorte. Et il n'est jamais trop tard pour cette naissance de soi (de parties de soi).

Toute une part de moi n'était pas née. Je n'avais pas rencontré les circonstances adéquates. Il n'y avait pas eu les éléments déclencheurs pour me faire "accoucher" de ce qui restait en gestation, en attente de délivrance. Jusqu'à ce que je rencontre des personnes qui allaient me permettre de franchir les étapes nécessaires. Des "passeurs" comme on les appelle. Et surtout des passeuses, dans mon histoire.

La première d'entre elles fût Charlotte qui, au cours de notre quart de siècle de vie commune m'a apporté énormément. J'ai souvent dit qu'elle m'avait "sauvé". Elle m'a éveillé à la vie. En fait notre alliance narcissique, notre pacte d'amour et d'entraide nous a mutuellement permis de nous construire. Comme pour beaucoup de couples, je suppose.

Il y a eu une infinité de passeurs et passeuses qui ont croisé ma route, mais certains et certaines ont joué un rôle beaucoup plus significatif. Mon premier psy, par exemple. Un homme, avec qui a commencé à émerger ma conscience, avec une descente progressive dans les profondeurs du Moi, en retournant vers les souvenirs d'enfance. J'ai pu commencer à voir mes blessures narcissiques et les soigner. Il y a aussi eu une femme cotoyée quelques jours, pour qui j'ai ressenti un très fort désir. Or le désir est la pulsion de vie. Je fus abasourdi par la force de cette pulsion totalement inattendue, dont j'ignorais l'existence en moi. C'était il y a une vingtaine d'années.

Et puis il y a eu internet, depuis une dizaine d'années. C'est là que j'ai "rencontré" avec la plus grande fréquence et la plus forte intensité des personnes qui m'ont vraiment fait avancer vers moi. Parfois en douceur, parfois avec chaleur, parfois avec violence et contrariété. Je me souviens de chacune de ces personnes. Surtout celles du début, marquantes parce que l'aspect révélation était très fort du fait de sa nouveauté. Elles m'ont aidé à défricher un inconscient écrasé par un surmoi dominateur. Ensuite le processus était enclenché et chaque nouvelle rencontre m'a permis d'aller plus loin en affinant les découvertes antérieures. C'est ainsi que je fonctionne désormais.



Évidemment... il y a aussi eu dans ce parcours LA révélation. Le bouleversement. Le feu d'artifice. La pièce-maîtresse. Inutile que je la nomme...

Là, il s'est vraiment passé quelque chose d'important. Quelque chose qui se jouait en grande partie dans le domaine du narcissisme le plus profond. Quelque chose qui allait conforter ces fameuses assises narcissiques défaillantes. Quelque chose qui touchait finalement au plus sensible de ce que j'avais à reconstruire. Pour de multiples raisons elle était celle que j'attendais sans le savoir, sans même l'avoir imaginée ou espérée.

Bon, trève de superlatifs, j'en ai suffisamment employés lorsque je vivais cela. Mais l'idée générale reste celle d'un ajustement idéal. Il y avait entre nous une sorte de ressemblance, malgré nos différences. Comme elle le disait : « nous nous sommes reconnus ».

Puisque cela se jouait dans des zones égogènes qui n'avaient jamais aussi idéalement stimulées, l'intensité fut très forte et les effets dynamisés. Cette période a été incontestablement la plus hyperbolique de mon existence. J'avais misé gros, intuitivement, avec une totale confiance initiale. Abusive, évidemment. Trop investie, elle m'a vite placé en état de dépendance. J'avais besoin de ce catalyseur d'égo. J'étais accro. Mon narcissisme défaillant s'était vu dopé par le regard et l'appréciation positive de celle en qui j'avais vu un alter ego. Un « double narcissique », en langage psychanalytique. C'est à dire « une projection de soi qui consolide la représentation que l'on a de soi ».

À travers l'image qu'elle me renvoyait de moi j'étais beau, grand, fort. J'étais estimé, apprécié, désiré. Aimé. Ouais... tout cela était très bon ! J'étais comblé.

Réciproquement l'impression semblait équivalente.

Je pense maintenant savoir pourquoi les choses sont devenues de plus en plus compliquées. Quelques hypothèses me semblent plausibles. Cela s'est très probablement joué au niveau des fragilités narcissiques : des failles cachées se sont ouvertes. Pour les réparer, il n'y avait rien d'autre à faire que de travailler sur soi en acceptant leur existence. Or cette acceptation n'est pas simple, parce qu'elle renvoie à un sentiment d'impuissance, à une dévalorisation. Elle agit au coeur du système de défenses. Laisser apparaître ses failles, c'est accepter de voir et de montrer qu'on n'est pas aussi beau, grand et fort que ce qu'on voudrait. C'est déstabilisant et peut être ressenti comme potentiellement dangereux. Se montrer "fragile", faillible, peut devenir insupportable pour le Moi. D'où la tentation inconsciente de nier ces failles, en ne les voyant tout simplement pas.

Les blessures narcissiques viennent du dehors ("l'Autre"), certes, mais n'agissent que sur un tissu fragile. Or celui-ci ne peut se consolider que de l'intérieur, par là même où il manque de consistance. D'où l'ampleur de la tâche et l'énergie qu'elle demande...

C'est ce à quoi je travaille, depuis que j'ai compris que sans cela je subirais ma vie. Ma liberté est en moi, enfouie, et il ne dépend que de moi de la faire naître en consolidant ce narcissisme défaillant. C'est ce que je fais dans cette démarche de reconquête qui consiste à penser, analyser, et écrire sous des regards considérés comme bienveillants. En m'efforcant d'être lucide je découvre mes failles et mes forces. Ma quête de sens est aussi une quête d'existence, de signifiance. En expliquant, en décrivant, en répétant, en justifiant, je me donne un rôle de parent bienveillant envers mon enfant intérieur. Je répare ce qui a été défaillant.

Et ça marche.

Expression égocentrée, certes, mais parce que cela m'est nécessaire. Vital, même, au sens de la pulsion de vie.

Néanmoins, respect de la confidentialité oblige, j'ai dû cesser d'écrire aussi librement que j'aurais voulu. Difficile, là encore, parce que mon narcissisme en reconstruction avait été profondément perturbé par le renoncement de mon alter ego. C'est comme si tout ce qui avait été reconstruit durant cette alliance était remis en question, avec le risque redoutable que cela n'ait été qu'une illusion. Ce lien qui paraissait solide, établi en confiance mutuelle, s'était délité d'une façon alors inexpliquable. Il y avait là pour moi quelque chose d'absurde, d'aberrant, d'inconcevable. Plus complexifiant encore, dans cette histoire, mon narcissisme exigeait que je cautérise ce qui avait été endommagé... sans pour autant pouvoir m'appuyer sur un commode rejet de l'autre. Ç'aurait été une négation de ce qui avait été construit autant qu'une négation de celle avec qui j'avais parcouru le chemin. C'était renier mes choix, alors que ceux-ci m'avaient permis de m'émanciper. Je n'avais d'autre alternative que continuer sur ce chemin bien que j'y sois désormais seul. Poursuivre la dynamique, bien que quelque chose se soit effondré. Garder mon estime de moi alors que mon narcissisme ne pouvait plus s'appuyer sur le regard qui l'avait fait naître.

Dans cette tourmente je me suis longtemps débattu, à la fois seul et avec le souvenir de ce que j'avais partagé avec elle. J'ai gardé confiance malgré la tentation du rejet, libérateur à court terme, mais définitivement aliénant. J'ai voulu rester présent alors même que j'étais repoussé, sans plus savoir dans quel sens je devais agir. Contradictions indicibles.

Peut-être cette impossibilité d'écrire m'a t-elle obligé à aller plus loin que le dicible, à m'émanciper des mots et de leur corset trop étroit. Finalement la pensée offre une grande souplesse et l'avantage du mouvement continu. La perlaboration lente, sans tentative de la fixer en mots, permet un travail différent. Entre pensée et écrit, les deux se complètent et se nourissent.



C'est ainsi que j'en arrive, actuellement, à (re)trouver dans la théorie psychanalytique ce que, par la pratique, j'ai vécu, puis tenté de théoriser dans ce journal. Mais théoriser est toujours insatisfaisant, parce que le simple fait de poser les idées en mot, procédé imprécis par nature, relance le processus de pensée. Sans fin. Sans possibilité de se fixer sur quelque chose de certain, d'immuable, d'acquis. C'est donc en m'émancipant de la contrainte des mots que je me suis libéré parallèlement de l'autocensure. J'ai pu aller plus loin. Ce qui ne pouvait que me plaire...

Je retrouve dans la psychanalyse nombre d'idées fortes que j'avais élaborées par tâtonnements intuitifs. Ce qui me pousse à croire que j'avais bien perçu un certain nombre de choses, et que le sens que j'ai donné était cohérent. Par l'expérience je réinvente et m'approprie ce que des maîtres ont tenté de décrire avec précision. C'est d'ailleurs là leur grand mérite, tant l'explication du complexe est difficile à élaborer de façon "simple" et compréhensible. 

Mine de rien, cette validation de ma pensée n'est pas sans effet sur la consolidation de mon narcissisme. Et cette fois, sans avoir besoin d'un imparfait pseudo-double...


Bon... je ne sais pas si vous aurez suivi mon raisonnement et tout ce que j'ai tenté d'assembler. L'idée générale c'est que tout se tient, que tout a un sens, et que rien ne se fait par hasard. Du moins c'est ce que je me plais à penser pour trouver un sens à ma pensée...




Afin de distinguer narcissisme et personnalité narcissique, souvent confondus, voici deux articles accessibles sur le sujet :

- Enfants : apprenez-leur le narcissisme
- Egocentrisme et individualisme






Du dire à l'être




Vendredi 22 février


Entre blog et journal, je tergiverse. Ce n'est pas la première fois que j'hésite sur l'espace où j'aurais envie de poser ma prose. L'idée générale reste celle d'un journal consacré aux aspects les plus personnels, et le blog pour ce qui est moins égocentré. Or en ce moment je suis dans l'égo...

Parfois je me dis que cette écriture égotiste est trop tournée vers moi, non transposable, et j'en viens à m'interroger sur l'utilité de mes écrits. Et puis il suffit que je reçoive un mail m'apprenant qu'une personne me lit depuis des années, qu'elle a trouvé soutien et aide dans mes réflexions, pour que je constate le bien-fondé de ce partage de ressentis...

Je sais aussi que parmi mon lectorat il y a ceux/celles qui ne lisent que le journal. D'autres qui ne lisent que le carnet, ne connaissant peut-être pas le journal. Et moi je jongle entre les deux supports, abordant parfois un thème en un lieu et poursuivant la réflexion sur l'autre. La tentation de fusionner les deux m'est souvent venue, mais j'ai toujours préféré garder cette distinction entre "parole intime" et "parole en groupe". Pour moi ça reste très différent. Comme dans la vie courante, d'ailleurs, où je me sais différent selon que je suis en tête à tête ou en groupe.

Ces derniers temps je ne me sens pas très à l'aise pour parler de ce qui m'est personnel sur le blog. Je le fais parfois mais j'ai l'impression, ensuite, de m'être trop exposé. Par exemple lorsque j'avoue que je manque d'estime de moi et que j'ai du mal à accueillir les appréciations positives à mon égard.

Tout l'intérêt de l'écriture personnelle en public est là : prise de conscience des gênes ressenties en m'exposant. Gêné de montrer ce manque d'estime personnelle, cette "fragilité".

Mais en fait, si je parviens à en parler publiquement, si je peux l'exposer au vu de tous, c'est que je suis prêt à le faire. Prêt à en assumer les conséquences. Ce qui veut dire que c'est quelque chose qui bouge, donc en voie de résolution. Il suffirait que j'accepte d'entendre le positif que l'on me renvoie de moi. Que je sorte du "confort" que je me suis construit en étant un peu sourd aux compliments, comme si je m'étais habitué à quelque chose dont, par ailleurs, je constate l'effet limitant pour l'expansion du Moi.

Ce doute sur moi-même, sur lequel je "travaille", n'a plus vraiment de raison d'être : je me sais être plutôt apprécié par mon entourage. Par ailleurs je sais ce que m'a déjà fait perdre mon manque d'assurance...



Tiens, à propos d'être apprécié...

Ce soir j'ai longuement discuté avec la collègue avec qui je m'entends bien (voir carnet). Plus de deux heures d'échange en tête à tête, profitant d'être seuls dans les locaux après le temps de travail. Conversation ayant pris une tournure assez personnelle, où chacun de nous a pu exprimer sa façon de se positionner face aux aléas de l'existence, aux relations, aux contraintes, au sens de la vie... Une conversation comme je les aime qui a permis à chacun d'aller plus en profondeur vers ce qui anime l'autre.

Il y a deux jours elle s'était confiée d'une façon qui m'avait un peu troublé. En fait je l'avais invitée à dormir chez moi, après qu'elle ait manifesté le désir que nous prenions un temps en dehors du travail pour discuter plus en profondeur. Comme elle habite loin je lui avais proposé cette formule pratique.

Le jour prévu, un peu gênée, elle a décliné mon offre. Elle a fini par me dire que par rapport à son compagnon ça la perturbait un peu. « Ce qui me perturbe, c'est que ça ne me pose pas de problème ! » m'a t-elle dit. « Ça devrait m'en poser, par rapport à lui ». Apparemment celui-ci aurait un peu tiqué quand elle lui a parlé de ma proposition. Pourtant, il semble ignorer la teneur de nos échanges. « Je ne lui raconte pas tous mes secrets », m'a t-elle glissé...

Elle a continué sur le ton des confidences, m'apprenant que depuis qu'elle me connaissait beaucoup de choses s'étaient remises en mouvement dans sa tête. Elle discute avec moi de sujets pour lequels son compagnon ne répond pas à ses attentes. Elle m'a clairement dit que je lui apporte beaucoup.

Ce qui m'a mené vers trois états simultanés :
- une certaine vigilance [ouh la... que me dit-elle là ??!]...
- une heureuse satisfaction à lui apporter quelque chose qui lui fait du bien
- l'accueil d'une appréciation favorable à mon encontre.

Ces trois ingrédients m'ont mis en rapport direct avec l'ambivalence de mon besoin/refus de voir mon narcissisme rassuré. Curieux manque qui, dès qu'il est nourri, frôle l'overdose...

Ce soir ma collègue m'a parlé de son rapport avec son compagnon, qu'elle envisage de quitter prochainement. Elle se sent étouffer dans une relation satisfaisante sur bien des points, lui apportant une sécurité qu'elle n'a jamais connue durablement... mais qui lui semble insupportable d'immobilisme sur le long terme. Je lui ai parlé de mon parcours inverse : un quart de siècle de "sécurité" dans une vie de couple, ma difficulté à affronter la crainte du vide en renonçant au couple, et la satisfaction que j'ai finalement trouvée dans la liberté du solitaire.

En abordant ces sujets avec quelqu'un qui ignore tout de mon parcours affectivo-relationnel, je me suis rendu compte que j'avais un discours finalement assez différent de ce que j'écris ici. C'est comme si j'avais porté un regard neuf, alors qu'ici je me réfère à un parcours évolutif. Je n'étais pas dans l'explicatif, mais dans l'être.








Individualisation et relations




Dimanche 24 février


Deux personnes avec qui je suis en relation m'ont fait part, coup sur coup, qu'elles s'en retiraient d'une manière qui se voulait définitive.

Bon.

Qu'est-ce que fais de ça ?

Je considère l'une d'elle comme une amie, en qui j'ai confiance, avec qui je partage pas mal de ressentis et d'expériences. En outre c'est avec elle que j'ai passé avec plaisir un agréable et chaleureux jour de l'an. L'autre est beaucoup plus lointaine et a eu tendance à surinvestir une relation à laquelle je ne peux répondre, donnant lieu à quelques débordements que j'ai tenu à limiter.

Voila qui se situe en plein dans mes zones sensibles : les liens affectifs.

Tout d'abord j'entends leur demande, et comprends que, d'une façon ou d'une autre elles sont déçues par mon attitude, frustrées. Apparemment mon silence leur paraît trop durable. Je reconnais volontiers que je suis actuellement très en relation avec moi-même, et ne m'en cache d'ailleurs pas ici. Façon de dire que j'en suis conscient et d'appeller à une certaine indulgence... C'est un gros palier que je franchis, nécessaire pour passer à un nouvel état dans ma façon d'être en relation. Quelque chose en moi change très profondément, consécutivement à des années de travail sur le sujet. Du fait de cette absorption intellectuelle je suis un peu "absent", quoique toujours ouvert si on me sollicite. Il suffit de m'écrire un petit mot ou, mieux encore, de me téléphoner, pour que je réponde avec plaisir. Certaines le font.

Je me rends bien compte, depuis quelques temps, que rester trop longtemps égocentré n'est pas souhaitable. Je sens que cette mise en retrait ne peut pas durer et que je risque d'y perdre des relations si je laisse trop s'étirer les liens qui ne sont pas vraiment consolidés. J'en tiens compte et cherche à m'adapter en conséquence, entre mes besoins et ceux d'autrui. Cela fait partie entière du processus réflexif sur ma façon d'être en relation.

Je m'empresse de préciser que l'incident a été suspendu dès le lendemain avec mon amie, qui s'est excusée platement après que je lui ai fait part de ma surprise. L'autre correspondante, qui n'en est pas à son coup d'essai, n'a pas encore réagi...


Ceci étant posé... je rentre dans le vif du sujet qui me préoccupe :
Si on a quelque chose à me dire je préfère que ce soit clairement plutôt que d'avoir à gérer des situations de débordement qui conduisent à des sabordages relationnels. Avant d'en arriver à des phrases définitives, je préfererai que me soit exprimé clairement un manque, une lassitude, un besoin. Hé ! Nous sommes entre adultes ! Et je ne rechigne pas à l'expression et au dialogue... si toutefois je comprends ce qui est attendu de moi !

Et si je parais un peu sourd, parce que je n'ai pas compris l'urgence du besoin, on peut de nouveau tirer une sonette d'alarme avant de claquer la porte.

Je prends donc acte du souhait de terminer une relation de la part de deux d'une correspondante.


Qu'est-ce que cela provoque en moi ? Il y a d'abord eu une certaine sidération. Mais très vite un mélange de colère, de tristesse, de déception... et de relative indifférence. Tu veux partir ? Et bien tu pars...

Avec l'envie de dire « je m'en fous ! » (ce qui est faux, comme en atteste ce texte...)

Je l'ai souvent écrit : je ne construis plus du tout mes relations sur le même mode qu'auparavant. C'est le grand enseignement que je dois à Nathalie [yes, nommée !], avec qui j'ai compris que j'investissais beaucoup trop fort les liens affectifs. Je ne vois plus une relation comme la création de quelque chose de nécessairement durable. Désormais c'est là au présent et ça tient tant que les deux partenaires y trouvent satisfaction, de quelque ordre qu'elle soit. Je vois aussi les liens comme des alternances fluctuantes de moments très investis qui peuvent être suivis de longues périodes de dormance. Liens élastiques. L'engagement est ici et maintenant, la confiance idem. Personne ne peut s'engager sur l'avenir d'une relation. C'est d'ailleurs pour ça que je n'en coupe définitivement aucune. Si d'autres en passent par là avec moi, j'ai maintenant compris et intégré que c'était un choix qui leur appartenait.

Ceci dit, ce n'est pas parce que je le comprends que je l'approuve [mais on ne me demande pas mon avis...]. Pour moi cela reste contraire à l'esprit d'ouverture à la vie que je recherche.

Ouverture... qui ne veut pas dire tout accepter sans réagir.

Pour tout dire, ce double retrait m'a beaucoup fâché. Une saine colère. De celles qui sont productives. La simultanéité, de la part de personnes qui ne se connaissent pas, m'a permis de m'ébrouer et de franchir un pas supplémentaire dans mon parcours d'individualisation.

À la fois fâché et indifférent. Est-ce possible ? Apparemment oui. Cette contradiction mériterait d'être un jour analysée dans les nuances...

Finalement je peux remercier ces deux personnes, qui m'ont permis ainsi de prendre conscience d'un changement effectif dans ma façon d'investir l'affectif : j'ai dissocié, dans les liens, ce qui m'appartient et ce qui appartient à l'autre. Une relation n'est pas une alliance commune, mais deux projections croisées lancées de l'un vers l'autre. Un double lien, pas forcément équivalent ni réciproque. Ben ouais, évidemment...

De cette évidence découle un mouvement d'ouverture dans deux directions : en étant plus ouvert à mes ressentis, plus en accord avec mon être profond, plus autonome affectivement, je deviens plus ouvert aux autres, plus accueillant, plus réceptif, plus attentif.

Autrement dit : je m'individualise. Je défusionne l'alter de l'ego. Je cerne ce qui m'appartient et ce qui appartient à l'autre. Je sais donc mieux dire oui... et mieux dire non.

Oui j'aime être en relation, mais pas à n'importe quel prix. Non, je n'ai pas envie de porter les difficultés existentielles des autres au delà de mes limites, que j'entends bien respecter et faire respecter. Au moment où j'entre dans l'apprentissage de la relation d'accompagnement, il est essentiel que je sache poser mes limites contre l'envahissement. C'est le meilleur service que je puis rendre à chacun, l'autre et moi.

Je me considère comme quelqu'un d'assez ouvert et accueillant, et agissant pour m'améliorer sur ces points. Mais il y a des moments où je dis « STOP, cela me dérange, cela t'appartient et je ne veux pas que tu projettes sur moi tes difficultés. Si tu insistes, alors je manifesterai fermement mes limites. Et si tu pars, je ne lutterai pas pour te retenir. Je me bornerai à rester présent ».

Bref: je me positionne. « Libratoidevoirsiçateva », comme le disait jadis Nathalie, qui avait bien compris cela. Comme elle je suis devenu farouchement indépendant/autonome/individualiste [aucun terme n'étant suffisamment juste, je vous laisse choisir celui qui vous convient].

Nathalie m'a beaucoup appris, et surtout permis de comprendre comment vivre des relations saines. Très tôt j'avais perçu cela chez elle. La façon qu'elle a eu de manifester ses limites l'a été nettement moins, mais au moins a t-elle eu le mérite de se positionner et de ne pas aller au delà de ce dont elle se sentait capable. Je le reconnais.

Avec le recul, je comprends aussi à quel point mon insistance inquiète à pu être pénible, jusqu'à devenir proprement insupportable. Toutefois cette opiniâtreté était fondée et a permis que j'obtienne enfin la clarté qui m'était absolument nécessaire pour comprendre dans quel sens agir. C'est seulement lorsque le flou et l'ambiguité ont cessé que j'ai pu vraiment entreprendre un travail efficace sur ce qui posait problème de mon côté.

Au vu de ce à quoi je suis parvenu aujourd'hui, je crois avoir fait un bon travail...






Heureux qui communique*




Mardi 26 février


Suite des petits dysfonctionnements relationnels relatés précédemment...

Finalement celle que j'ai appellée "correspondante" [terme peu amène traduisant mon agacement] m'a écrit, assez fâchée, me disant ce qu'elle pensait de moi en termes peu flatteurs. J'étais là quand le mail m'est parvenu et je suis allé voir immédiatement si elle était sur msn. Je lui ai fait signe et après quelques minutes un peu vives l'échange s'est stabilisé grâce à l'écoute et la reconnaissance des ressentis de chacun. Des incompréhensions, des codes et des modes de fonctionnements différents, le tout saupoudré de quelques projections croisées, auront mené à une séance d'explications bien utile. Finalement tout s'est arrangé et une longue conversation a suivi, tout à fait agréable et cordiale.

Juste après c'est mon autre amie qui m'a téléphoné, s'excusant de nouveau pour son "pêtage de plombs" dû à un état de grande fatigue. Là encore nous avons pu reprendre nos échanges là où nous en étions restés.

Donc tout va bien !

Je ne garderai aucune rancune de ces épisodes qui, comme dans plusieurs autres relations, pourront même soutenir une complicité renforcée. Les mésententes résolues sont d'excellents ciments relationnels. C'est ainsi que se sont affermies certaines de mes relations : une crise passagère a parfois permis, avec des personnes de bonne volonté, de repartir sur de nouvelles bases. Du moment que les choses peuvent être dites, et sont écoutées, reconnues, tout peut s'arranger. Une communication de qualité est évidemment la base des relations saines.

Il n'en va pas de même lorsque, pour quelque raison que ce soit, une personne refuse de revenir sur les sujets d'incompréhension. Ou tient à les orienter uniquement dans le sens qui lui convient. J'ai pu être, autrefois, très désapointé par ce genre de réactions. Avec irritation à retardement lorsque je comprenais que je m'étais laissé, en quelque sorte, manipuler. Et puis j'ai évolué, tentant de comprendre ce qui pouvait mener à un tel blocage. Pourquoi ce refus, alors que la clé de sortie du conflit en dépend ? À force d'expériences et de déductions, je formule l'hypothèse que c'est par peur. Que ce soit par fragilité, orgueil, incapacité à dialoguer, croyances erronées, schémas de pensée préétablis, certitudes de détenir la seule vérité ou autres motifs, il y a toujours une crainte de la remise en question qui pourrait déstabiliser une construction de l'esprit. Or cette stabilité est ce qui permet de "tenir debout" dans l'existence. Il est donc essentiel de la maintenir opérationnelle.

Dans ce cas-là l'insistance pour obtenir le dialogue est totalement contre-productive. Le problème se situe au delà de la discorde qui l'a fait apparaître et ne peut donc être abordé frontalement. La priorité n'est plus là, mais se déporte sur un travail à faire en amont. La personne qui manifeste fermement sa fermeture cherche à garder le contrôle sur la situation et à rester "forte". Contrairement aux apparences, elle se sent en danger face à celui qui tente d'ouvrir le dialogue. La rigidité, la fermeture, sont toujours les signe d'une fragilité plus ou moins dissimulée.

Comment rétablir le dialogue avec qui le fuit ? En laissant cette possibilité de retrait... mais aussi celle de revenir. En ne répondant pas à la fermeture par la fermeture. Parce que là, c'est foutu ! Plus rien ne changera, chacun soignant ses blessures ou se drapant dans sa dignité offusquée.

Beaucoup optent pourtant pour cette voie sans issue, dans une escalade de remontrances, de critiques, de rejet, et finalement de haine. C'est dans cette noirceur que finissent nombre d'histoires fortes : brisées par un repli chacun sur soi, sourd aux ressentis de l'autre. L'absence de communication se révèlant alors le parfait terreau pour les projections, chacun transformant l'autre en monstre.

C'est plutôt triste quand on sait qu'une saine communication pourrait rétablir des passerelles et mener vers la paix des esprits. La réconciliation est un bonheur qui vaut la peine d'être tenté. En découle tout simplement le retour de la confiance et des confidences, des plaisanteries et des rires...

Quoi de meilleur ?




* Le titre est emprunté à un livre de Jacques Salomé






Juste rester le même



Vendredi 29 février


Ce soir j'inaugure une éventuelle nouvelle formule : donner de temps en temps la plume à ceux/celles d'entre vous qui m'écrivent en coulisse, et tenter d'y apporter une réponse-commentaire. Ouais, je sais, je pourrais rester sur mon carnet, commentable, mais ne cherchez pas à comprendre, c'est ma petite cuisine interne.

Voici donc des extraits du courriel d'une amie lectrice. Je préfère que l'anonymat demeure, depuis le grand cafouillage qui a résulté du mélange des genres entre public et privé.

« Tu dis te recentrer sur toi mais si tu rencontrais une femme de laquelle tu tombes réellement amoureux au point d'être en demande vis-à-vis d'elle, comment réagirais-tu ? (...) En fait, tu vis maintenant des relations féminines qui t'interpellent parce qu'elles sont différentes mais elles ne semblent pas toucher ce qui est profond en toi. (...) Je pense qu'on ne peut parler de relations qu'en fonction de l'individu avec qui cette relation est construite. Tu ne peux pas dire je fonctionne comme ça, enfin, cela me parait très simpliste. Désolé d'écrire comme ça me vient mais je pense qu'un jour, tu risques de raisonner différemment, lorsque ton coeur sera vraiment en éveil pour une femme avec son caractère, ses individualités, ses différences, ce qui n'est pas le cas apparemment aujourd'hui...Tu sembles vivoter dans des relations pas forcément voulues par toi comme je le ferais aussi de la même manière à ta place. La solitude et la souffrance nous apprennent qu'on ne peut rien attendre de l'autre, que notre souffrance nous appartient et que personne, à part nous et le temps, pourra la soulager, alors on apprend à se passer des autres ou plutôt à ne plus en avoir besoin jusqu'au jour où... une flèche nous transperce et alors là, tout change... ».


Il m'est impossible d'anticiper sur l'avenir de mes éventuelles relations à venir, néanmoins je sens que le changement qui a opéré ces dernières années est profond. Autant de temps passé à la remise en question ne peut que laisser des marques et transformer mon approche. C'était bien l'objectif, d'ailleurs : ne plus me mettre en situation de revivre ce qui a déclenché des souffrances. Je ne suis résolument plus le même. Dans un travail de conscientisation le retour en arrière est impossible : je sais.

Ce n'est pas pour autant que d'autres pièges à souffrances ne pourront pas se présenter. Mais la vigilance est plus grande, l'ignorance réduite.

Je crois vraiment que je ne serai plus jamais en demande, parce que je sais à quoi ça peut conduire. En ayant pris connaissance de ce phénomène, je l'ai vu opérer dans les deux sens : de ma part, et à mon égard. J'y suis donc particulièrement attentif. Peut-être même trop. Excès de prudence...

Alors effectivement mes relations féminines actuelles, pour agréables et confiantes qu'elles soient, ne touchent rien des profondeurs de mes sentiments. Pour le moment ces territoires sont fermés. Inaccessibles tant qu'une nouvelle clé d'accès ne sera pas trouvée.


[pause de 48 h]


Hum... j'adore les facéties de la vie qui se chargent de déstabiliser les quelques certitudes temporaires que je pourrais être tenté de considérer comme relativement durables. Il suffit de peu de temps pour me faire vaciller, comme en témoigne ce qui suit.

Figurez vous que la collègue avec qui je m'entends bien m'a proposé, ce soir, d'aller quelque part pour « discuter cinq minutes ». C'est la première fois qu'elle agit aussi directement.

Nous avons longuement marché, faisant tours et détours dans un jardin public. Ce qu'elle avait à me dire était « trop fort pour qu'elle le rapporte chez elle ce week-end », m'a t-elle dit. En effet, elle avait beaucoup à dire, et notamment que je comptais beaucoup pour elle, que j'éveillais des choses endormies depuis longtemps, qu'elle avait envie de passer plus de temps avec moi, d'aller plus loin... et qu'elle ne savait pas quel sens donner à tout cela.

Boooon...

De façon assez touchante elle m'a dit ne pas savoir comment me montrer qu'elle appréciait ma compagnie, qu'elle n'osait pas venir plus souvent près de moi, qu'elle avait peur d'être trop proche, et qu'elle était contente quand j'étais là.

C'est une femme qui ne se dévoile pas aisément, qui aime garder le contrôle sur tout ce qui la concerne et ne supporte absolument pas d'être "enfermée", tenant très farouchement à une totale indépendance. Son dévoilement signifie donc quelque chose de suffisamment fort pour qu'elle ose franchir des barrières que je sais particulièrement étanches.

Pas question pour elle, je le sens, d'aller au delà de ce qui la mettrait "en danger". Alors elle s'est approchée aussi près que possible de l'essentiel... mais sans aller jusqu'à en dire trop. J'ai eu la très forte impression qu'elle me tendait toutes les perches possibles sans rien dire d'irréversible. Je l'écoutais, répondais aussi précisément que possible sans toutefois aller plus loin qu'elle. Drôle de jeu où chacun essaie d'être authentique, de sentir les réactions de l'autre, tout en se gardant une petite marge de maneuvre.

Son principal souci semble être la collusion possible entre la relation professionnelle et la plus grande proximité qu'elle dit souhaiter... tout en me demandant de savoir y mettre un frein. En fait elle m'a demandé de façon plus ou moins explicite de dresser mes limites. Elle même redoutant d'aller « trop loin », vers quelque chose de « trop fort », qu'elle ne maîtriserait plus. D'une certaine façon son discours est clair comme de l'eau de roche... Confirmé par quelques allusions qui lui ont échappé. Du genre, en parlant d'un autre collègue, « mais lui il ne me plaît pas ». Elle m'a aussi avoué que si elle s'était désistée le jour où elle devait venir chez moi, ce n'était pas par rapport à son compagnon, mais bien parce qu'elle avait peur d'être dans le « trop ». C'est une femme entière et impulsive... qui cherche à dominer cette part d'elle.

Personnalité riche, attachante, émouvante par sa tendre dureté, son attention bourrue, son intuitivité directive. Toute en contrastes et contradictions.

Quand, à l'issue de notre longue conversation, elle a fini par me demander si on s'était tout dit... je n'ai pu lui cacher que tout cela me faisait sérieusement cogiter. Je me suis vu dans l'incapacité de lui préciser quoi que ce soit, puisque cela m'amenait immanquablement à aborder ce qui me troublait : où voulait-elle en venir ? Qu'attendait-elle de moi ? Finalement mon embarras en disait presque davantage que ce qu'elle avait su bien préserver de son côté. Habilement elle m'a dit que nous pourrions en reparler la prochaine fois.

Quelques minutes plus tard, au moment de nous dire au revoir, elle a posé sa main sur mon bras, et j'ai fait de même. Geste fort signifiant de sa part, qui dit ne pas supporter les contacts. Nous nous sommes fait la bise... alors que depuis cinq mois nous n'avons jamais été au delà de la franche poignée de main. Ce qui est amusant c'est que juste avant nous avions parlé de cette distance professionnelle que, par accord tacite, nous n'avions jamais réduite.



Je me rends compte que, comme par hasard, tout cela me touche là où je ne m'y attendais pas : une femme sûre, en apparence très solide, très carapacée, ayant une très forte capacité d'auto-contrôle... qui laisse tomber ses défenses pour venir vers moi.

Il semble que je suis attiré par ce type de femmes, vers qui je vais volontiers parce que j'apprécie leur force. Je me sens "à l'abri", protégé par leurs barrières personnelles : je suis certain qu'elles ne risquent pas de "m'envahir". Par contre, ma façon d'être, mon écoute, semblent faire tomber leurs barrières. Ce qui change l'équilibre des forces...

Le premier problème, c'est qu'en les voyant se dévoiler en confiance, cela touche une fibre sensible chez moi. Le deuxième problème c'est que je me demande si ce qui les séduit chez moi n'est pas une apparente solidité (donc là aussi considéré comme "non-envahissant"). Or si je suis touché par l'abandon de leurs défenses, j'ai tendance à baisser les miennes en me sentant en confiance. Avec le risque de me "répandre" en dévoilant mon intériorité.

En fait mon apparente solidité est plutôt une retenue qui vient de la crainte de me dévoiler. Si on me touche du côté de la fibre sentimentale alors je me dévoile... et montre mes fragilités. Ce qui, rapidement, me rend moins attirant pour les femmes en apparence solides qui m'attirent.

Moralité : moins je dévoile mes fragilités et plus je semble séduire en paraissant "solide", alors qu'au contraire me séduiraient les femmes qui se montrent vulnérables sous leur apparente solidité.

Comme si elles voyaient en moi un homme rassurant, alors que je percevrais en elles une part enfantine que je cherche à protéger ?


Sachant cela, dois-je redouter qu'une « flêche me transperce », comme l'écrit l'amie lectrice qui a entrainé ce billet ? Je ne crois pas. Je ne me sens pas menacé par ce genre de choses pour le moment. Il me semble que je suis bien trop vigilant, excessivement prudent. Dans le contrôle, par peur qu'il ne m'échappe...

C'est d'ailleurs à cela que je dois réfléchir pour savoir jusqu'où je suis prêt à aller avec la collègue avec qui je m'entends bien. Car en fait le sens de son dévoilement à demi-mots est bien celui-ci : elle attend de moi que je me positionne, voire que je la freine avant qu'elle n'aille trop loin. Elle me demande de situer mes limites. Alors que moi... j'aurais tendance à les tracer en fonction de ce qui peut les repousser.

En fait je n'ai pas à me demander ce qu'elle attendrait de moi, mais ce que moi je désire partager avec elle. Ne pas chercher à me définir en fonction des désirs (supposés) de l'autre, mais à me positionner selon les miens. Rester dans l'individualité, sans me laisser happer par je ne sais quel besoin archaïque qui trouverait satisfaction en répondant aux désirs d'autrui. Je n'ai pas besoin qu'elle m'apprécie (m'aime) : c'est déjà le cas ! Et sans que j'aie à y changer quoi que se soit. Juste rester le même.