Septembre 2007

Dernière mise à jour:jeudi 27 septembre 2007 - Accueil - Message
















Vie d'avant



Dimanche 9 septembre


Dans les conversations je parle parfois de "ma vie d'avant".  « Avant quoi ? », me demande t-on. Euh... avant que je ne change. Avant que je ne m'ouvre...

Depuis l'adolescence j'avais pris l'habitude de me débrouiller seul. À l'origine c'était par dépit, en me sentant trop différent de ceux de mon âge. À la fois envieux d'une liberté que je ne prenais pas et fier de ne pas céder à ce que je prenais pour de la facilité. Ne me retrouvant pas dans les comportements majoritaires, je me sentais en marge. De fait, en ne m'intégrant pas je me suis exclu tout seul. Pas totalement, mais suffisamment pour me priver du champ de l'amitié. Quelques amères déception avaient laissé leur marque.

Plus tard cette autonomie est devenue une façon de ne pas faire peser sur les autres mon existence. Mais sous cette retenue faussement protectrice a pu se camoufler un comportement prétentieux. Chercher à se passer des autres c'est considérer qu'on peut s'autosuffire. Un désir exacerbé d'indépendance qui peut confiner à l'orgueil.

L'autosuffisance étant par définition impossible à réaliser dans les relations, j'avais largement investi des champs hors du relationnel. Beaucoup d'activités solitaires, comme la lecture, la photo, la marche, l'entretien du jardin, l'écoute de musique un casque sur les oreilles. Puis je suis devenu un bricoleur curieux et polyvalent, de la mécanique auto à la menuiserie, de l'électricité à la maçonnerie. Je travaillais la terre, la pierre, le bois, le métal. Je voulais être capable de tout faire et n'avoir besoin de personne. Excepté celle avec qui j'avais choisi de tout partager, et que j'allais considérer abusivement comme "ma moitié". 

À 28 ans je reprends les études. Des cours par correspondance, en plus de ma profession de dessinateur. Trois ans plus tard je quitte le confort morne d'un emploi salarié pour l'incertitude excitante du statut d'indépendant. Je crée mon entreprise, pour être seul maître à bord, libre de mes choix et orientations. Pendant des années j'effectue non seulement tous les travaux techniques de mon métier, largement appris en autodidacte, mais aussi le secrétariat, la comptabilité, la mise en page et les illustrations de mes documents publicitaires, la réalisation d'un site internet [mes premiers pas dans ce monde virtuel...]. Qu'importe si je dois passer du temps à apprendre en réduisant celui consacré à mon activité principale et nourricière : je mène tout de A à Z ! J'aime ça et j'y consacre un temps et une énergie considérables. Et tant pis si je gagne peu ma vie...

De toutes façons je n'ai pas vraiment envie de rencontrer les autres : celle que j'aime est là et je trouve mon équilibre affectif dans notre couple, puis notre famille. C'est tout ce dont j'ai besoin. Du moins le crois-je...

Dans le même temps je me lance dans la réalisation d'un projet de grande envergure dont le destin est assez emblématique de ma façon de faire. Lorsque j'en parle autour de moi il suscite l'adhésion. Je réalise alors à mon compte un important dossier pour le présenter à quelques décideurs et financeurs. Ayant eu l'audace de demander un soutien à des spécialistes reconnus, les retours sont très favorables. Mais finalement, en voyant les concessions que je devrais faire par rapport à mes idées assez exigeantes, voire puristes, je laisse tomber ces ouvertures à d'autres compétences et sources de financement. La maîtrise de la réalisation m'aurait échappé et je crains de voir galvaudée mon idée de départ. Du coup c'est tout seul que je me met en tête de la réaliser. Un travail et un investissement considérables ! L'oeuvre d'une vie.

C'est aussi dans ces années-là que je lance l'idée de l'inventaire départemental d'une richesse patrimoniale naturelle. Reprise et portée par une association importante, cette initiative mobilise beaucoup de mon temps et de mon énergie. Cette fois j'ai accepté de ne pas tout maîtriser et je constate que la synergie permet de grandes réalisations, totalement hors de portée d'un individu. À cette occasion je trempe un doigt de pied dans l'univers médiatique, avec quelques enregistrements radio et télé. Au final un petit livre en naît. Bizarrement je ne poursuis pas ce mouvement de travail collaboratif en investissant d'autres projets.

Il faut dire qu'un peu plus tard notre petite famille déménage et s'éloigne de la ville. J'ai 34 ans. Là encore je veux en faire le maximum tout seul. Je n'ai pas froid aux yeux : je me mets aux commandes d'un tracto-pelle sans y avoir jamais touché. J'attaque le tracé du chemin d'accès, puis les terrassements. Je laisse quand même construire une part de la maison, hors de mes compétences, puis je pose l'isolation, les cloisons et portes, le carrelage, l'éléctricité. Et en plus je veux que le résultat soit à la hauteur d'un travail de professionnel, dans un souci d'irréprochabilité. Ne me satisfaisant pas des options les plus simples, j'opte évidemment pour des réalisations un peu complexes...

Famille et amis viennent nous donner un bon coup de main pour quelques travaux, ainsi que pour le déménagement. Je suis touché, mais me sens presque redevable de ce cadeau qui nous est fait. Je n'ai pas l'habitude d'être aidé, je n'ai jamais demandé à l'être et il aura fallu la persuasion de Charlotte pour que j'accepte. Peut-être parce que je ne veux rien devoir à personne...

Dans le même temps je suis père de famille plutôt attentif et mari aimant... quoique rapidement irritable dès que je me sens dépassé par les évènements [ce qui arrive forcément quand on veut tout faire seul]. Je continue à me promener, faire de la photo, du jardinage. Et en plus la psychothérapie analytique entreprise quelques années plus tôt ébranle de plus en plus de choses intérieurement.

C'était il y a une dizaine d'années et aujourd'hui je me demande comment je pouvais tout mener de front...

Finalement, les semaines n'ayant que sept jours, Charlotte me demanda de consacrer davantage de temps à notre famille. Les enfants grandissaient et avaient besoin de ma présence. Charlotte aussi. Tout concourrait à ce que je lève le pied. Progressivement j'ai davantage pris le temps de vivre. Je suis devenu plus détendu, plus écoutant, plus souple. Plus ouvert au partage. J'ai moins travaillé de mes mains, profitant de la libre gestion du temps que me permettait mon statut indépendant. J'ai trouvé un plaisir certain dans cette façon d'être, mais du même coup me suis rendu-compte que mon rayon d'existence était très réduit : il se limitait à ma petite famille et à mon métier. Il m'arrivait de ne rencontrer pratiquement personne durant des mois. Je n'avais pas d'amis, seulement quelques relations assez peu investies.

En lâchant la pression j'ai réalisé que mon hyper-activité m'avait lentement épuisé, sans pour autant me nourrir à la hauteur de cet investissement personnel. Trop seul, plutôt consciencieux, je ne pouvais pas tout faire. Là dessus est venue une catastrophe naturelle qui causa d'importants dégats à mon outil de travail. Découragé j'ai encore lâché du lest. Encore et encore. J'ai pris le temps de vivre et de m'écouter. Je me suis mis à travailler de la tête et du coeur.

La suite, c'est mon ouverture au monde. D'abord par le biais d'internet, puis de façon de plus en plus tangible. Rencontrer cette altérité de laquelle je m'étais exclu pendant deux décénnies. Mon univers ne se limitait plus à Charlotte et à nos enfants, pourtant aussi essentiels à mon équilibre que je l'étais au leur.

Je rencontrais de nouvelles personnalités, des attachements se créaient, des liens. Et cette fois ils semblaient durer. On m'appréciait. On s'intéressait à ma vie comme je m'intéressait à la vie des autres. Une re-naissance s'effectuait. J'y étais seul, forcément, mais je me sentais accompagné, encouragé, suivi. Tout cela était vraiment nouveau pour moi. Ou du moins cette fois je l'entendais...

Là encore je n'ai pas fait les choses à moitié. Je me suis lancé à fond ! J'ai intensifié mes réflexions. J'ai écrit [notamment ici], j'ai communiqué. Énormément. Et ça n'a fait que me pousser à aller voir toujours plus loin. Les questions ouvraient à de nouvelles questions. En famille j'étais avide d'échanges avec les enfants et avec Charlotte. Par contre, tout ce qui était matérialiste entrait peu dans mes préoccupations. Ça m'emmerdait. J'ai laissé tomber la suite des travaux de finitions de la maison, et peu investi les tâches ménagères [d'ailleurs je ne les ai toujours pas investies, bien que désormais seul maître à bord de cette grande maison vide]. J'avais autre chose à vivre. Tout simplement : j'avais à vivre.

Mon ouverture au monde m'apportait ce qui m'avait manqué. C'était l'époque la plus épanouissante de mon existence. J'entrevoyais ce qui allait advenir tant que je continuerais sur cette lancée. Et je n'avais aucune raison de m'arrêter !

Aucune... si ce n'est que je n'étais pas libre de mes mouvements.

Je n'avais pas imaginé, en partant à l'aventure pour explorer les terres inconnues de l'altérité, l'importance des ressources dont j'allais avoir besoin pour découvrir en miroir sombre mon propre continent intérieur. 



(à suivre)







Il faut se battre !




Lundi 10 septembre


Il y a peu j'ai écrit que je voulais me consacrer à l'ici et maintenant, or j'ai encore évoqué le passé. Ouais... mais mon présent est encore pesant de ce passé. Zut, je ne peux en faire abstraction ! Alors je purge, autant que nécessaire. Il me semble, mais peut-être me trompè-je, que ces rétrospectives sont une façon de poser des paquets quand ils deviennent lourds. Ils sont autant de jalons balisant le chemin qui m'a mené où j'en suis aujourd'hui. Une façon de constater que j'avance... en regardant d'où je viens. Mais c'est aussi une façon de repasser au même endroit pour en adoucir les aspérités. Revisiter jusqu'à polir une histoire que j'ai envie de rendre fluide.

En fait voila une quinzaine d'années que j'ai commencé à me "réparer"... avec l'aide d'un psy. L'objectif était de me sentir mieux dans ma peau et vivre au plus près de ce que je me sens être. Tout naturellement j'ai revisité mon passé pour comprendre le présent. Aujourd'hui, quand je regarde en arrière, je vois bien que j'ai progressé considérablement : je me suis libéré de beaucoup de chaînes et j'en apprécie chaque jour les bienfaits. Le travail en valait la peine ! Mais si je regarde ce qui me reste à parcourir, il m'arrive de trouver que c'est incroyablement long...

Je sais : à chaque jour suffit sa peine et j'avance un pas après l'autre, comme aime à le dire Lou. Mais il m'arrive quand même de me décourager. Ben oui, je ne suis pas un surhomme !

Depuis la grande dégringolade, il y a trois ans, j'ai lutté pour soigner mes blessures et retrouver une sérénité stable. Restaurer une confiance en moi jetée dans la perplexité. Devenue plus conscientisée, je l'affermis tout en continuant à m'émanciper de carences anciennes. J'ai fait là le plus gros travail intérieur de mon existence, c'est certain, et j'en suis fier. Sur le plan affectif je me sens maintenant suffisamment émancipé pour ne plus redouter l'avenir. Je préfère toutefois, échaudé, me préserver de sentiments forts. Quant au fatras de désillusions, de peine et de douleur, il est devenu supportable et précieuse expérience.

J'aspirais donc, tout guilleret, à pouvoir enfin profiter d'une relative paix intérieure...
Ben oui quoi, ça me semblait légitime.

Mais ça ne fonctionne pas comme ça : j'ai mis le doigt dans un engrenage et il m'entraîne plus loin. La liberté ne se satisfait pas de demi-mesures. Or je ne suis pas libre parce que le chantier n'est pas terminé...

Occupé à renforcer mon équilibre affectif, il y a longtemps que je me voyais aller vers un cul-de-sac financier. Je m'y suis enfoncé les yeux grand ouverts, jusqu'à me trouver face à une situation très préoccupante. Je redoutais cela avec flegme. Cet engourdissement, qui tient à la fois de l'attitude zen et de la politique de l'autruche, n'est évidemment pas un hasard. Je sais qu'il y a un sens dans mon comportement. D'abord une difficulté à renoncer à un métier choisi, et ensuite à perdre la liberté d'organisation qu'il me permettait. Mais aussi, probablement, le besoin de toucher un fond pour remonter. Sauf qu'à force de descendre je me vois, fort logiquement, m'enfoncer dans un gouffre vertigineux. À tel point qu'en sortir me paraît parfois insurmontable. J'ai beau avoir une confiance optimiste dans la vie... l'angoisse me rattrape de temps en temps ! Certaines insomnies sont implacables d'hyper-lucidité et je vois alors une difficulté croissante d'obstacles à gravir s'installer devant moi, dont il m'arrive de me demander si j'aurais la force de les affonter. La délivrance semble tellement lointaine et hypothétique.

« Il faut se battre », me dit-on parfois.

Pfff, il me semble que je ne fais que ça ! Depuis toujours. Peut-être pas les meilleurs combats, ou pas de la bonne façon, ou pas au moment optimal, ou pas dans l'ordre le plus pertinent, mais en y mettant toute l'énergie que peut libérer ma volonté. Alors à la longue, quand je vois où j'en suis et ce qui reste à parcourir, il m'arrive de ne plus avoir envie de lutter pour exister...

Je sais que si on ne lutte plus, on coule encore plus profondément. Et ça peut aller très bas. On ne décide plus de sa vie, c'est elle qui décide. Surtout en matière d'argent : pas de cadeau ! C'est le principe de réalité. « Il faut se battre, dans la vie ! ». Ouais, on fait comment pour se battre quand on se voit sans les forces adéquates ? Comment les mobiliser quand on ne sait plus ce qu'on cherche à atteindre ? Jusqu'où faut-il renoncer à ce qui semblait être essentiel ?

La tentation de quitter les complications se dessine. Fin de la lutte.
Détresse ou épuisement ? Jusqu'à quel point suis-je solide ?

J'en étais là il y a une dizaine de jours. Je réalisais qu'il allait encore falloir me battre contre moi-même pour "oser croire en moi"... alors que j'ai l'impression d'avoir accumulé les erreurs en ayant voulu suivre mon inspiration ! Je me suis senti épuisé. Fatigué de tant d'années de lutte intérieure, écrasé par mon exigence de dépassement, lassé de mes barrières mentales, usé par ma lucidité paralysée. Je me suis vu sans ressources. Au propre et au figuré.

Je n'ai pas envie de toujours me battre pour être. J'aspire à être moi simplement, spontanément. Je me sens parfois inadapté à ce monde. Trop compliqué. Las de faire peser sur mon entourage ce combat intérieur auxquels ils ne comprennent pas grand chose. Ben oui, ça parait si simple vu de l'extérieur ! Comment expliquer le manque de confiance en soi, alors que c'est un sentiment tellement personnel ? Quel est le sens de cette amputation de soi, inconsciemment volontaire ?

L'aventure relationnelle que j'avais très largement investie m'a permis de goûter certains fruits, mais c'en est d'autres que j'ai finalement récolté. Un cocktail qui m'a apporté une part de lucidité recherchée. J'ai compris que, responsable de mes actes et du sens que je donne aux choses, je ne peux être victime de personne sans mon consentement. Et inversement, le cas échéant [ça s'est plutôt soulageant !]. Chouette, je sais maintenant que ce que chacun ressent vient de son fait ! Ce que je vis est largement de ma responsabilité. Je suis libre de continuer ou de changer. De partir ou de rester. Libre de maintenir des valeurs personnelles comme des piliers ou de les adapter à d'autres pratiques sans pour autant me nier. Mon avenir relationnel semble donc mieux éclairé que ce qui a précédé.

Très bien ! L'expérience m'aura enseigné cela ! 

Le problème qui devient maintenant crucial, identifié depuis longtemps mais peu réfléchi, c'est que cherchant comment agir au mieux, cela entrave l'agir. En voulant bien faire je repousse la prise de décision et cela restreint mes choix, voire les supprime. Au final je subis. Le manque de confiance en moi, cause d'indécision, me handicape et atrophie mes ailes. En amour comme pour gagner ma vie. Comme par hasard il s'agit des deux instruments qui permettent d'assouvir les désirs grâce au pouvoir qu'ils confèrent. Et comme par hasard je me suis mis en situation d'impasse sur ces deux plans. N'est-ce pas autant de façons de m'empêcher de vivre ? Mais pourquoi cette résistance, alors que, consciemment, je ne désire que m'épanouir ? Qu'est-ce qui se passe dans ma caboche ? Quand est-ce que quelque chose va craquer pour me libérer vraiment ?

Bordel !

D'un autre côté je me suis quand même mis en situation d'être seul à décider de ce que j'allais faire de moi. J'ai semi-inconsciemment forcé les circonstances pour me retrouver seul maître à bord. Sans le soutien financier ni la présence de celle que je considérais comme ma moitié. J'ai tout fait pour que s'épuise cette part "maternelle", que je refusais de voir perdurer... tout en souffrant de cet "abandon" que je subissais et faisais subir.

Euh... une fois que je comprend tout ça, j'en fais quoi ? Je sors comment de ce merdier ?

C'est là que mon habitude de me débrouiller seul montre ses limites : il est des combats trop importants pour les gagner seul. Soi contre soi, c'est quasiment à forces égales, et ça peut durer très longtemps. Parfait pour s'y épuiser ! Il y a des limites à la résistance psychique. Or voila plus de quatre ans que mes pensées travaillent à haut régime...

Faut quand même que je fasse gaffe...

Quelques personnes qui sont sensibles à ma démarche de libération me rappellent qu'elles sont "là", si besoin. Ce soutien discret m'est important. Il contrecarre ma tendance à me replier lorsque je m'enfonce. L'isolement, qui était mon habitude, n'est certainement pas la meilleure chose à mettre en oeuvre. Il paraît que c'est une attitude correspondant à la part masculine... Certes, je n'ai pas envie de faire peser sur les autres mes tourments, mais c'est idiot. Ce qui est lourd pour moi ne l'est pas forcément pour autrui. Il suffit que je m'adresse aux bonnes personnes, c'est à dire celles avec qui il n'y a pas d'interaction directe et qui ont fait suffisamment de chemin pour l'entendre. Je crois que j'ai trop compté sur les personnes les plus proches, alors qu'elles ne sont pas les mieux placées. Trop de mise en résonnance. 

Charlotte s'est éloignée depuis longtemps, et en me disant il y a quelques jours qu'elle en avait marre de mes problèmes existentiels, elle a enfoncé le clou : je ne dois plus compter sur elle. Que l'inverse soit différent n'entraîne pas la réciprocité. Ce nouveau choc a été rude, mais j'y suis moins sensible. J'ai admis son attitude sans lui en vouloir. C'est donc la solidarité familiale qui s'est mise en place pour me sortir d'un mauvais pas. Mais bon... à 46 ans, aller demander de l'argent à papa-maman et à la petite soeur, c'est un peu la honte. J'ai eu l'impression désagréable de régresser vers mon adolescence misérable, quand je me sentais être un incapable. Quant à tenter d'expliquer pourquoi j'en suis là aujourd'hui... j'ai l'impression que ça ne cadre pas avec tous les schémas de pensée : « il faut se battre ! »

Heureusement que ma psy et tout mon bagage me permettent de chercher quel est le sens de tout cela. Ce qui s'est joué en moi depuis ces dernières années, entre amour et argent, capacités et inactions. Les amitiés qui ont su manifester leur présence me sont aussi infiniment précieuses. Je ne me sens pas seul, même si je suis le seul à pouvoir agir sur moi.






De la difficulté du renoncement




Jeudi 13 septembre


Bon, j'en ai fini de mes lamentations.
Ouais, y'a des moments où la vie n'est pas très drôle, mais c'est pas une raison pour baisser les bras !

Ça fait du bien de temps en temps de poser son sac trop lourd et se plaindre parce que c'est difficile. Une petite pause... avant de repartir. J'ai bien raconté mes p'tites misères, mais maintenant au boulot.

Finalement, de me voir défait m'a redonné l'envie de me bouger. Pas envie de revivre le même genre de naufrage que l'automne 2004 !



C'est vrai, je vais probablement devoir renoncer à ma précieuse et sacro-sainte liberté de temps. Ça faisait partie des piliers de la qualité de vie que je m'étais choisie. Mais des millions de gens n'ont pas cette liberté. Et puis être libre de gérer son temps, mais sans pouvoir en profiter faute d'argent, ça ne sert pas à grand chose.

Entre le temps et l'argent, je ne peux pas tout avoir. En tout cas je n'ai pas trouvé la formule magique qui le permette. Allez, optimisons : si je reviens vers le salariat je retrouverai des contacts humains quotidiens. Finalement, n'est-ce pas ce qui me manquait ? Et puis rien n'est définitif : j'aurai toujours la possibilité de redevenir indépendant plus tard, si c'est ce qui me convient. De toutes façons je suis complètement bloqué actuellement, faute de ressources ! Impossible de me former, impossible d'entreprendre quoi que ce soit. Et donc, impossible de poursuivre ma route selon mes désirs et aspirations.

Or c'est ce que j'ai envie d'écouter. C'est là que palpite la vie. Si je ne peux y aller directement, j'irai par des chemins détournés, en prenant le temps qu'il faudra.

Je me vois contraint d'abandonner [glups, encore un abandon] en grande partie l'entreprise que j'avais créé. Hop, un deuil de plus [vous croyez qu'il y a des prix de gros ?]. Mais voila quelques années que je m'y préparais. J'ai voulu tenir le plus longtemps possible, et ça n'a fait que confirmer l'impasse. Hmmm, en fait je suis allé jusqu'au carrefour qui sépare le chemin de la persévérance de celui de l'obstination. Je me suis donné le temps de discerner l'essentiel tout en renonçant à l'impossible. Tiens tiens... aurais-je quelques difficultés à renoncer radicalement à un "tout" en quoi j'ai cru ? Ça me dit quelque chose, ça...


Ce que j'ai besoin de me dire, en toute chose, c'est que j'ai fait au mieux de mes possibilités du moment. Et que même si ça n'a pas suffi... et bien à ce moment-là je ne pouvais pas faire mieux !







Reconnaître ses erreurs




Dimanche 16 septembre


J'ai décidé de parler de l'ici et maintenant. C'est un objectif clairement affirmé. Pourtant, insidieusement, le passé se faufile dans mes écrits. Foutus trucs pas réglés ! Faudrait-il que je m'interdise d'y revenir ? Au contraire, est-il intéressant de suivre ce penchant naturel autant que nécessaire ? Le fait que je me pose la question indique que je ne me sens pas libre sur le plan de l'expression en ligne de mes ressentis.

J'ai envie de me détacher du passé, mais tant que je ne suis pas suffisamment en paix avec lui, je me vois revenir sur ce qui empêche cette paix. Qu'on ne s'y trompe pas, pourtant : ces rétrospectives sont bien une façon... de les cesser. Si, si, je vous assure ! J'ai besoin d'épuiser un sujet, en y revenant étape par étape, si je ne veux pas traîner indéfiniment des pensées refoulées. D'ailleurs l'observateur attentif aura remarqué qu'à la longue je ne reviens plus sur certains pans du passé, désormais suffisamment verbalisés pour être acceptés.
Ce petit préambule étant posé, j'en viens à mon sujet.



« Je ne pouvais pas faire mieux... », ai-je écrit en fin du texte précédent.

J'essaie toujours de faire au mieux, en matière de relations humaines [pour le reste, j'ai renoncé au perfectionnisme]. Au mieux pour chacun : moi ET l'autre (ou les autres). C'est dire ce que cela peut demander d'attention, d'écoute, de temps, de négociations, de compromis... et de renoncements personnels. Cette capacité au dialogue, et la volonté qu'il demeure, est probablement ce qui m'a permis de n'être jamais resté fâché définitivement avec quelqu'un. Le ressentiment gâche mon existence et je n'aime pas qu'il dure. Il y a cependant quelques relations d'importance qui restent distantes, suite à des conflits très anciens toujours pas soldés. C'est le cas avec mon frère et avec mon père. Les blessures du passé ne sont pas entièrement cicatrisées. Plus récemment, deux autres relations sont devenues conflictuelles, à différents degrés. Il s'agit bien sûr des deux "femmes de ma vie".

Mais... puisque vous me parlez du passé [comment ça je suis de mauvaise foi ?], laissez-moi ouvrir une parenthèse rétrospective. 


(Les séparations désirées par mes partenaires ont été pour moi des aberrations viscéralement inadmissible, heurtant de plein fouet mes convictions fondamentales et l'intimité la plus profonde de mon être. Cependant, puisque c'était leur choix, j'ai dû en accepter le principe en effectuant un travail intérieur. Pour éviter de se séparer sur des rancoeurs j'ai, bien sûr, et plus que jamais, tenté de faire au mieux. J'ai essayé d'entendre à la fois leurs besoins et les miens [comment ça je ne suis pas impartial ?]. Mais concilier des dynamiques contraires confine à l'impossible, en toute logique. Sauf si une importante marge de négociation reste possible avec le dialogue. C'est évidemment dans cette phase cruciale que se "réussit" la mutation d'un lien affectif fort en relation pacifique avec distanciation des contacts (et éventuellement leur arrêt mutuellement consenti).

Parce que ces éloignements m'étaient particulièrement pénibles j'ai cherché à résister en défendant mon point de vue. Je refusais l'idée d'un renoncement global. Ça dépassait carrément mon entendement. Je ne le voulais pas [nan !], ni n'avais la capacité de le concevoir à cette époque. En tout cas pas dans un délai court. Je suis cependant conscient que ce sont les échéances et exigences qui donnent des limites à la négociation, et cela peut s'avérer utile... si on veut aller vite ! Or je suis quelqu'un de patient [sauf quand je suis inquiet], qui sait très bien ce qui lui importe, et pour qui le temps de réalisation compte infiniment moins que le résultat. S'il faut du temps pour arriver à une conciliation satisfaisant au mieux les deux parties... et bien prenons-le. Renonçons, d'accord, mais seulement sur ce qui est incompatible. Et pour cela observons, faisons part à l'autre de nos positionnement respectifs et ajustons-nous. Communiquons autant que nécessaire et que personne n'abuse de son pouvoir sur l'autre. 
Bon... ça c'est l'idéal, qui demande conscience et maîtrise de soi. Je conçois que les choses puissent être vues autrement et que des besoins de libération bien plus rapide, ou plus radicale, soient préférés. Il est vrai que la négociation demande beaucoup d'énergie. Des approches opposées (lenteur/rapidité) complexifiant encore les complications d'une situation déjà tendue, on peut en arriver à... l'incommunication totale. C'est à dire la séparation que j'estime "ratée" : la rupture (avec rancoeurs réciproques incluses).

Au final l'éloignement avec mes partenaires se réalise avec plus ou moins de fluidité selon le temps accordé, la patience des protagonistes, et donc leurs inquiétudes respectives. Il est clair que j'ai eu moi-même des peurs qui se sont conjuguées avec celles, inverses, de mes partenaires. En gros c'est/c'était « ne nous lâchons pas sans être en paix » contre « laisse-moi libre de m'éloigner pour qu'on reste en paix ». C'est curieux de voir comment chacun procède, selon qu'il est le quittant ou le quitté...

Outre mon attachement à ces relations essentielles, ma persévérance a tenu à la fois d'inquiétudes égocentrées, du besoin de comprendre (ça simplifie le travail), et de la solidarité (ne pas laisser tomber l'autre en détresse). Il y a/avait là une part d'enfant, une part en évolution, et une part mature. Mes réactions ont été guidées alternativement par l'un ou l'autre de ces trois pôles, et souvent les trois à la fois dans une lutte intérieure dont ce journal ne laisse voir qu'une infime partie. Souvent dépassé par la douleur de mes ressentis, ou ne comprenant pas suffisamment ce qui était attendu, j'ai fait des erreurs. Manquant des éléments qui m'étaient nécessaires je me suis fourvoyé. En colère, j'ai parfois perdu patience et exprimé davantage que souhaitable. Avec la tristesse c'est l'amertume qui s'exprimait. Me sentant à la fois coupable et victime des situations, j'ai oscillé entre auto-flagellation et sentiment d'injustice... avant d'admettre ma part de co-responsabilité (mais pas plus !) dans tout ce qui était arrivé. En même temps je me suis efforcé d'agir dans le respect des liens passés [sans y réussir toujours, hélas]. J'ai tenté de maintenir le dialogue et de conserver l'essentiel, c'est à dire la confiance. Sauf que... non seulement mon statut d'indésiré ne m'a pas permis d'aller aider celles qui me quittaient [elles ne voulaient pas de mon aide], mais en plus je n'avais pas la capacité de ne pas réagir : j'étais un homme inquiet et blessé. Évidemment : on ne peut pas être attentif aux besoins de l'autre tant que soi-même on a d'autres besoins ! Manque évident de distance, toute personne dans la relation d'aide sait cela...

Ouais, ouais, je sais... grrmbllbll...

Mon insistance, mélange d'un inadéquat désir d'aider et de besoins inverses, n'a donc pas été très appréciée. J'ai été plus ou moins fermement repoussé, maintenu à distance. Par ma maladresse lourdasse [inexpérience, en fait] je me suis enlaidi dans les yeux de celles que j'aimais. C'est fort désagréable de s'en rendre compte. En même temps cela m'a ramené à une nécessaire humilité face à l'incontrôlabilité des dynamiques interpersonnelles. Et puis je suis certain, par mes réactions, d'avoir moi aussi renvoyé des images "moches" de celles que j'aurais préféré ne jamais blesser. Et ça c'est... bah, là c'est moi qui me suis senti laid à mes propres yeux.

Pfff... pas évident de ne pas s'entredéchirer quand chacun défend légitimement son appréciation des choses ! En fait, dès que l'un n'a plus le désir de maintenir une relation proche, l'entente prééxistante s'éteint. Il n'y a plus objectif commun et toute résistance est inutile, voire aggravante...

Notez ça dans vos calepins :Toute résistance à la prise de distance est inutile

Il m'a fallu du temps pour comprendre ça, davantage pour l'intégrer, et encore plus pour l'accepter. Quant à sa mise en oeuvre... bwouf... c'est en cours. Cela a brisé le pilier central des liens tel que je les avais conçu : l'engagement solidaire. J'ai encore à travailler en moi pour sentir comment reconstruire mes valeurs amoureuses après ça.
Le bon côté c'est que j'ai beaucoup mûri pendant ces quelques années. Une grande part d'immaturité s'est dissoute pour que l'adulte en émerge. De mes souffrances est née une maturité infiniment plus sereine. Oh, il reste des parts sensibles, et la douleur/tristesse/colère n'a pas disparu à 100%. Mais le mouvement est entamé depuis longtemps, et se poursuit vers une paix intérieure croissante. Je me sais avoir une lucidité nettement accrue envers les relations de confiance et/ou d'intimité. L'avenir ne m'inquiète aucunement : je me connais maintenant suffisamment pour ne plus m'égarer [lapsus intéressant : j'ai écrit "m'égager", mélange d'égarer et d'engager ?]. Reste à savoir ce qui restera possible dans ces deux relations après tout ça...
Hop, je ferme la parenthèse du passé.)


Maintenant...

Ce qui est fait est irréversible et on ne peut pas "réparer" ses erreurs. En revanche... on peut les reconnaître. Ça ne répare rien, mais cette reconnaissance peut permetre de comprendre le sens des choses tout en vallant reconnaissance d'un préjudice causé. Je ne prétends pas à la perfection et j'assume mes failles, mais il m'est important de me sentir en paix avec qui j'ai pu être en conflit.

Je supporte péniblement d'avoir blessé sans pouvoir apaiser ensuite. Cependant je comprends qu'il faille un temps de latence. Moi-même ai besoin d'être réapprivoisé après avoir été blessé.

Peut-être est-ce de là que vient ma crainte des conflits, et surtout de leurs débordements. Les blessures occasionnées ont pour effet de couper la communication, et son rétablissement n'est pas aisé. Ma hantise des conflits à fait que j'ai toujours été partisan de les épurer au plus tôt. Pour « ne pas garder des crottes sur le coeur », comme me disait jadis une certaine complice. Mais de vouloir que ça se fasse rapidement était une erreur. Il faut un temps de digestion. En ce domaine je n'étais pas patient, parce qu'inquiet des conséquences. En fait ma crainte des conflits, si elle en a diminué la fréquence, en a certainement augmenté l'intensité. Ou comment générer ce qu'on redoute...

Je ressens un profond bonheur lorsque revient l'harmonie après une réconciliation. Tant que celle-ci n'a pas eu lieu, je suis comme retenu en arrière. C'est ce qui fait que régulièrement je revisite mon passé : les conflits anciens non résolus (et seulement ceux-là) me happent. C'est une charge double que je porte: celle des blessures non reconnues par l'autre, et celle de mes regrets d'avoir blessé l'autre. Ça dure tant que cette double reconnaissance n'a pas été formulée, mise en paroles et pacifiée. Hélas cette possibilité ne m'est plus accordée, ou pas aussi vite que je le voudrais, et j'ai donc dû "travailler" en moi pour retrouver une harmonie de substitution. Unilatérale, au minimum.

Je finis aussi par accepter l'idée qu'il puisse ne pas y avoir de réconciliation, parce que je ne pourrai jamais faire davantage que la moitié du chemin. Ses variantes n'étant pas infinies, un jour je les aurai épuisées.







Travail d'artiste




Mardi 18 septembre


Mettre en ligne des textes comme le précédent m'est utile, mais ça me gonfle [veuillez excuser le vocabulaire...]. C'est laborieux, réfléchi longuement, retravaillé... et instastisfaisant. Pas sur la forme, qui importe peu, mais sur le fond. Je sens qu'il y a des phrases, des idées, desquelles suinte quelque chose qui me déplaît. Je ne sais pas précisément où ça se situe, quels sont les mots en trop ou en manque, mais en cherchant à assainir ça me pompe de l'énergie. Et comme je n'ai pas envie d'y passer trop d'heures, je finis par laisser aller tel quel. Pour ne pas rester bloqué là dessus. Certes, je pourrais m'abstenir de mettre en ligne, mais le travail serait incomplet. J'ai besoin d'assumer ce que je suis. J'ai envie de poser ça quelque part. Alors je tergiverse un moment, songe au risque de me sentir mal à l'aise après... et c'est intuitivement que je décide de publier ou pas. Je crois que se fait ce qui doit se faire. Si je décide de publier... c'est que quelque chose de nécessaire m'y pousse. Quitte à ce que ce soit pour ressentir le ras le bol ici présent !

Bien souvent, aussitôt publié j'en oublie le contenu. Dépassé dès la publication. Or c'est précisément ce décalage qui me pose problème, parce que je ne me sens pas conforme à ce que j'ai donné de moi. C'est pourtant ce décalage qui me montre que mes pensées progressent. En fait, je trouve lourd et indigeste ce qui ressemble à un ressassement [que la plupart des lecteurs survoleront en diagonale...]. Je n'aime pas l'idée de passer pour quelqu'un qui serait incapable de tourner la page, alors que je ne fais que ça [il y a beaucoup de pages à tourner]. C'est ma façon de faire, je la sais efficace et "bonne" pour moi. Elle va dans le sens que je donne à la vie, non pas dans l'immédiat, mais sur le long terme. Certes je ne vis pas les mêmes bonheurs que la plupart des gens, certes je ne vis pas de belle relation amoureuse, mais franchement, à mes yeux ma vie vaut tout autant la peine d'être vécue. Ce qui compte, c'est que j'avance et me libère. Je ne suis pas idéalement heureux tous les jours, je ne vis pas le bonheur partagé tel que je l'ai connu, il m'arrive de perdre courage... mais c'est aussi ça la vie ! Franchement je suis fier du travail que j'accomplis. Je sculpte l'homme que j'ai envie d'être, ébauche jour après jour mieux dégrossie.

Je n'ai plus envie de traîner les aspects douloureux et désagréables de mon passé. Vraiment plus du tout ! Si je vais jusqu'à l'écoeurement, ce n'est pas dans un esprit négatif ou passéiste : c'est une façon de me détacher d'une part de moi pour mieux trouver l'autre. D'une certaine façon je me dégoûte à vomir ainsi du texte... tout en sachant que ça épure quelque chose de malsain [mes mots sont forts, mais ils expriment mon ressenti du moment]. Aussi précis que je désire qu'ils soient, mes écrits sont toujours approximatif et à demi-faux. Plus je cherche à me définir et plus je vois la complexité de la tâche. Mais peu importe, je continue. Je m'apprends, et j'apprends l'humain en même temps. Le monologue est loin d'offrir l'ouverture d'une conversation, et pourtant c'est lui qui en prépare le contenu et la richesse. Ce journal est un laboratoire, une antichambre, un atelier. C'est ouvert à la visite, mais pas forcément intéressant, ni esthétique, ni signifiant pour chacun. Ici je travaille, améliore, et recommence souvent.



En ce moment je travaille pour ma paix. La réaction de Charlotte, il y a deux semaines, disant qu'elle ne pouvait plus rien pour moi et en avait marre de mes problèmes, à stimulé une prise de conscience. Pas mal de choses ont été chamboulées, depuis, toujours en rapport avec l'argent, la liberté, l'amour, le désir. En se désolidarisant davantage elle m'a offert ce que je cherchais sans le savoir : elle m'a montré ses limites et celles de son amour (sans aucun jugement de ma part). J'avais besoin de savoir ce qu'elle avait dans le ventre. Savoir ce que je suis pour elle, et à quelles conditions. Cela me permet de mieux comprendre en quoi nos façons d'aimer sont différentes. Et loin de me sentir affaibli par l'accroissement de son éloignement, je me sens plus fort de ma singularité.

Je n'ai plus besoin d'elle, ni de son regard sur moi. Ce n'est pas pour autant que sa distance m'indiffère...

Finalement les séparations que je vis, après m'avoir jeté par terre, me permettent de me relever plus fort. Je le savais en théorie et l'expérience le confirme. De me retrouver seul et sans le soutien de celles à qui j'avais confié mes doutes, mes fragilités et mes rêves, me fait tout simplement comprendre que je ne peux compter que sur moi-même. C'est salutaire ! Ma dépendance affective s'éteint et je n'attends plus qu'on prenne soin de moi ou me protège [euh... ça sera encore mieux quand je n'aurais plus de soucis d'argent]. Mes relations en sont considérablement changés. Je ne cherche plus à "protéger" qui que ce soit. Je suis plus "vrai" dans mes rapports, parce que je n'ai pas peur de perdre. Les femmes avec qui j'ai récemment développé des relations un peu intimes en savent quelque chose : je ne donne que ce dont j'ai envie. Et c'est assez peu. Je suis devenu probablement un peu "dur" avec celles qui pourraient attendre quelque chose de moi. Il ne faut pas m'aimer... je n'ai que peu à donner. Je laisse s'étirer le temps, laissant parfois un peu désemparées celles qui s'attendaient à plus. Cependant je réponds toujours à leurs inquiétudes exprimées, auxquelles je suis attentif. Je ne laisse pas dans l'ignorance ni le flou. A question précise, réponse précise. Et si je ne sais pas, je le dis clairement. J'ai trop souffert du silence pour refuser mes mots à qui manifeste le besoin de savoir. Et j'en déduis que c'est peut-être une capacité que j'ai, dont j'ignorais qu'elle n'était pas universelle ! J'ai longtemps imaginé le monde à travers mon seul regard...

Simultanément mon combat pour la paix autour des "femmes de ma vie" (avec qui le mode relationnel s'est construit différemment), se gagne jour après jour. Encore héritier d'une ancienne façon d'être, je veux désapprendre des comportements qui m'étaient habituels. La lutte de libération est souvent aprement disputée en moi, avec des tentations contraires. Entre l'ouverture et la fermeture il m'arrive d'être encore partagé, quoique l'amplitude des variations et le rythme de leurs oscillations se réduisent. Je ne suis plus sujet aux humeurs inversées qui zébraient mes journées. Mais c'est parfois surprenant de sentir en moi une double pensée. Celle qui se sent forte de sa sérénité souple et celle qui se demande si la sérénité viendra de la radicalité. Il y a en moi un bras de fer entre amour et violence. Une simili-paix rapide viendrait avec le rejet, mais la seule vraie paix ne viendra que de l'amour. C'est une conviction absolue. Exigeante et poussant au dépassement de soi...

Finalement, n'y aurait-il pas dans mon travail toujours repris quelque chose qui ressemble à la persévérance exigeante de l'artiste ?







Empressement menaçant




Mercredi 19 septembre


Je ne parle pas beaucoup de mes relations féminines actuelles. Il faut dire qu'elles ne prennent que peu de place dans ma vie. Caroline vit tant bien que mal sa frustration d'amoureuse. Je crois que le libre dialogue que nous avons lui permet d'avoir régulièrement des réponses aux questions nouvelles qu'elle se pose. Ensuite... c'est un travail de renoncement qu'elle a à faire : je ne serai jamais amoureux d'elle. Difficile, parce que je suis seulement le deuxième homme dont elle soit tombée amoureuse dans son existence. La vie est ainsi faite, les attirance ne sont pas toujours réciproques. Du coup elle entame une relation avec un autre, mais sans ressentir d'attirance particulière...

J'ai quand même tenté de comprendre ce qui se passait en moi. Non pas sur le manque d'attirance, je suis assez clair là dessus, mais sur la période de flottement qui a suivi l'expression de ses sentiments et de son désir de tendresse. J'ai été mal à l'aise quelques temps et cela à généré un silence de ma part. En fait j'ai compris que ce silence était dû à la peur de ne pas savoir comment dire les choses (crainte de la blesser), et comment manifester mon désir de rester libre dans cette relation. En fait, je ressentais son empressement et son regard amoureux, comme menaçants. Je ne peux pas lui donner ce qu'elle désire et je devais accepter d'avoir le rôle de celui qui dit non. En n'insistant pas elle m'a permis de ne pas me protéger exagérément et nous nous ajustons... dans la distance. De toutes façons, il n'y a pas de place pour une relation sentimentale dans ma vie actuellement.

Avec D. (Daphné), nos échanges continuent, mais ont nettement perdu de leur intensité. Il avait été question qu'elle revienne me voir, mais son statut conjugal ne laisse que peu d'occasions de voyages discrets. De toutes façons, ce n'est pas non plus une relation sentimentale. J'ai très rapidement désinvesti l'embryon d'attirance qui s'était développée sans réciprocité.

Je ne crois pas avoir parlé de Martine, que j'avais rencontrée un soir de juillet. Nous avions passé quelques heures ensemble, tout à fait agréables, mais il n'y avait pas eu, du moins de mon côté, le *Tilt* qui donne envie de se revoir rapidement. Elle m'a recontacté récemment et j'ai laissé traîner la réponse, trop occupé en ce moment avec ma recherche d'emploi et mes soucis financiers. Alors elle a récidivé, s'inquiétant un peu de mon silence... Là encore je ne répondais pas à cause de craintes diverses : ne pas savoir quoi lui dire, ne désirant ni fermer une porte, ni vraiment l'ouvrir. Le stand-by me va bien... De toutes façons, je n'ai même pas l'argent pour me déplacer pour le plaisir...

Ces non-réponses, qui laissent l'autre prendre l'initiative d'une demande d'informations, sont probalement pour moi une façon de... tester ces femmes. Sans aucune volonté calculée de le faire, ni celle d'inquiéter. C'est juste que j'ai envie de savoir qui est en face de moi, ce qu'elles veulent, quelle sera leur patience. Et surtout, quelle est ma liberté d'être moi-même. Je n'ai pas envie de rester dans du convenu. Je n'ai pas non plus envie d'être "gentil". En revanche je suis attentif à l'expression de leur ressenti, et suis sincère dans mes réponses. Je ne "joue" pas. Simplement, si le registre des émotions n'est pas révéillé, ça ne me stimule pas vraiment. J'ai besoin de savoir ce qu'elles ont dans les tripes.

Bref, tout cela confirme que le côté sentimental est bien endormi.






Instantanés



Mardi 25 septembre


J'entre dans ma période de grosse activité professionnelle, ce qui implique une réduction importante de mon temps disponible. J'ai moins de temps pour écrire. J'en viens presque à le regretter parce que durant ces périodes je rencontre beaucoup de monde et m'extrais de mes préoccupation égocentrées de solitaire. Mes nombreux déplacements me laissent du temps pour penser hors de mon cadre habituel. Je respire mieux en m'ouvrant à d'autres horizons... 

C'est curieux comme mes lieux d'écriture m'inspirent selon une continuité que je ne parviens pas à influencer. Ici j'ai pris l'habitude de développer longuement mes pensées, me privant du même coup de garder traces d'instants fugitifs plus légers.

Par exemple, il y a quelques jours il faisait beau et j'ai ressenti un bonheur entier. J'avais des souvenirs indistincts réveillés par la mémoire du corps et des sens, en cette lumineuse fraîcheur automnale, une saison que j'aime beaucoup. Ces souvenirs m'ont apporté la paix au présent et m'ont mis le sourire dans les yeux. Je me suis ouvert à eux sans résistance.

Ce week-end, pendant que je tentais de gagner ma vie (hélas sans succès), j'ai pu profiter de l'échec relatif de cette tentative pour discuter avec mes collègues d'infortune. Il faisait beau, le cadre était agréable, et finalement ces conditions ont rendu le fiasco relativement indolore. Je me suis vu être entreprenant et leur proposer de réfléchir ensemble à de possibles alliances : on est plus fort à plusieurs que seuls. Même si, comme moi, ils apprécient leur précieuse indépendance...

Hier Charlotte est passée me voir. Ça m'a fait un grand plaisir et je l'ai accueillie à bras ouverts. Nous nous sommes pris dans les bras quelques instants, après trois semaines de distance et de quasi-silence. Tous les deux détendus, nous avons bavardé en nous installant dans le jardin. J'ai été très content de ces retrouvailles toutes simples, sans aucune ombre.

Aujourd'hui j'ai savouré l'apaisement que m'a procuré... une facture. Elle m'annonce la restitution prochaine de 700 euros indûment prélevés. Ce ne sera pas de trop pour adoucir un peu mes inquiétudes financières. Le régime PRP (pâtes, riz, patates), pour économique qu'il soit, finit par donner envie de retrouver un équilibre alimentaire un peu plus varié. Encore heureux que mon jardin potager m'octroie généreusement sa dose quotidienne de courgettes.

En fin d'après-midi, j'ai reçu une convocation pour un entretien d'embauche ! Après plusieurs lettres de candidature restées infructueuses, j'apprécie cette chance qui devient plus tangible.

Par contre, ce soir c'est Daphné qui a manifesté sans trop de ménagement son mécontentement : elle estime que je ne m'implique pas suffisamment dans notre relation, encore trop récente pour être solide, à ses yeux. J'ai écouté ses récriminations, et souri intérieurement quand elle m'a dit que le silence était un luxe qu'une jeune relation ne pouvait pas se permettre. Décidément j'aurais été confronté à toutes sortes d'inversions de situation !






Suivre le fil




Jeudi 27 septembre


J'ai su par ma fille que Charlotte avait été très contente de nos retrouvailles amicales. Elle lui a dit « j'ai retrouvé le Pierre d'avant ». Je suppose qu'elle parlait de celui que j'étais lorsque projets et enthousiasmes témoignaient de mon optimisme. Elle s'est dite heureuse de voir que je comprenais enfin l'importance des synergies plutôt que de vouloir rester obstinément seul. Elle faisait référence aux propositions de collaboration que j'ai faites à mes collègues, et au désir que j'ai désormais de travailler en groupe.

Auparavant je voulais tout gérer seul. Je voulais être capable de tout faire et d'être ainsi le plus autonome possible. Si j'avais pu vivre en autarcie, ça m'aurait semblé être une réussite. C'est pour cette raison que je voulais tout faire dans mon entreprise : ne dépendre de personne. Pour faire des économies à court terme, aussi, en dépensant moins. Sauf que tout ce temps consacré à apprendre des "métiers" différents en était autant que je ne consacrais pas à mon domaine de compétences. En voulant économiser sur les dépenses, je me privais aussi du temps consacré à gagner ma vie.

Récemment j'ai rédigé des Curriculum vitae variés et je me suis rendu compte que j'avais des compétences multiples... mais que je n'étais "expert" que dans très peu d'entre elles. Savoir bidouiller un site internet ne fait pas de moi un développeur web, savoir mettre en page un catalogue ne fait pas de moi un graphiste, savoir écrire ne fait pas de moi un rédacteur, et ainsi de suite. En même temps j'aime bien avoir la capacité de comprendre comment tout cela fonctionne, et je suis satisfait d'avoir appris à me débrouiller seul. D'ailleurs, j'ai surtout fait ce que j'appréciais. Mon premier métier étant dessinateur, j'ai gardé un contact avec le graphisme tout en l'adaptant à des besoins nouveaux. De même j'ai développé mon goût pour l'écriture, sans toutefois me lancer dans des projets pécunièrement valorisables, tels qu'articles ou ouvrages de vulgarisation. Idem pour la photo, qui correspond à un art auquel je m'essaye depuis l'adolescence et que je pourrais chercher à monnayer dans mon registre professionnel si j'avais un peu plus d'ambition. Partager mes savoirs a toujours été un plaisir, mais restait accessoire. Avec le temps ça devient un objectif... qui évolue en même temps que mes centres d'intérêt. Or ceux-ci ont assez radicalement changé en quelques années. Ce journal, avec l'ouverture à l'altérité qu'il a permis, y est incontestablement pour quelque chose...

Maintenant, quoique appréciant toujours d'avoir des moments de liberté en solitaire, qui me semblent absolument essentiels pour mon équilibre, je ressens le désir de m'allier avec d'autres personnes. De pouvoir échanger, mettre en commun des idées, s'apporter mutuellement des expériences. Peu importe le domaine d'activité, ce qui m'importe c'est le partage, l'ouverture, et l'enrichissement mutuel qui en découle.

Parce que j'ai laissé libre cours à mes intuitions, j'ai été attiré par les métiers du social, de l'écoute, de l'aide. Cette orientation que je n'osais qu'à peine formuler il y a quelques années, tellement ça aurait pu paraître incongru, est devenu maintenant une évidence que j'évoque clairement. Pour autant je reste déposaitaire de compétences dans mon domaine d'activité actuel. Si je pouvais allier les deux, ou les juxtaposer, ou les co-exercer ce serait l'idéal. C'est ce chemin étroit que je cherche à suivre depuis ma grande remise en question existentielle. Cela demande de la patience et de la persévérance, en particulier pour affirmer cette singularité devant ceux qui s'inquiètent de me voir "chercher sans trouver". Cependant, à la longue, se trace un sentier. Si je ne sais pas encore bien où je vais, j'ai quand même assez bien ciblé mes objectifs lointains.

Hier j'étais dans le bureau d'une assistante sociale, pour demander à reçevoir le Revenu Minimum d'Insertion. Quand je lui ai dit que j'étais convoqué à un entretien d'embauche en vue d'encadrer des personnes en insertion... elle à ouvert des grands yeux surpris : une personne en insertion encadrant d'autres personne en insertion, ça lui semblait un peu bizarre. Mais aussitôt elle a convenu que je n'avais pas le profil d'une personne égarée dans sa vie. J'ai seulement besoin d'un coup de pouce dans un moment un peu délicat.

Après bien des vicissitudes et moult hésitations, il semble qu'un petit fil à suivre apparaisse enfin.




Mois d'octobre 2007