Août 2007

Dernière mise à jour:lundi 3 septembre 2007 - Accueil - Message
















Nommer le désir



Mercredi 1er août


Nan, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas encooooore vous bassiner avec mon histoire sans fin. Y revenir de temps en temps est une façon d'en évacuer la charge. Ce qui n'a pas pu être verbalisé directement trouve son exutoire naturel au plus près de là où l'aventure est née. En fait, si j'avais pu/osé en parler directement, franchement, et librement avec mon ex-coéquipière je n'aurais pas eu besoin de répandre indéfiniment mes réflexions hasardeuses ici...
Mais bon, c'est comme ça depuis les premières complications de cette histoire devenue maudite !

Allez, changeons de sujet.



Ma vie d'explorateur du continent féminin suit son cours. Je désinvestis peu à peu internet au profit des rencontres réelles. Souvent des personnes connues sur internet, il est vrai, mais en s'affranchissant des limites de l'outil. Cela me permet d'allier profondeur des échanges (on se connaît déjà) et richesse du multidimentionnel (ce qui reste à découvrir dans la rencontre).

J'apprends beaucoup de ces échanges directs. Souvent en rapport avec mon passé récent (d'où quelques digressions rétroactives...), mais s'inscrivant dans la dynamique plus large de le découverte de l'altérité, et toujours pour mieux vivre le présent.

Après ma rencontre avec l'audacieuse et rieuse D. [tiens je vais l'appeller La Mouette...] la tonalité de nos discussions a changé. C'est avec une émoustillante franchise que nous abordons des sujets qui pourraient être considérés comme délicats, mais fichtrement intéressants. J'y plonge avec un plaisir jubilatoire. Nous partageons nos impressions autour de ce qui s'est ou non passé entre nous, du désir et du non-désir, des craintes, de la sexualité selon qu'elle soit pulsionnelle ou sentimentale. C'est incroyable comme les variations peuvent être riches par rapport aux idées étriquées que j'en avais ! Sentiments, amour, sexualité, désir, envie, intimité... tout ce qui me paraissait faire auparavant partie d'un seul et même domaine, représentant une sorte d'"alliance sacrée", m'apparaît désormais comme un archipel de combinaisons changeantes selon les relations, et même les différents stades de ces relations. Chaque élément peut s'associer avec un nombre variable d'autres éléments. Quant à l'alliance sacrée... je crois qu'elle tient de l'exceptionnel.

Avec Caroline, un peu dans le même registre, nous continuons à explorer les contours de ce qui nous est possible en commun. Là aussi dans des liaisons à définir entre les éléments de l'archipel des envies.

Car tout est question d'envie ou de désir. Même le désir ! Avoir envie de désir...



Assez curieusement c'est par ce type de désirs, plutôt intenses, que je pense pouvoir reconquérir le continent oublié de mes envies élémentaires. Car je découvre, un peu effaré, que je ne savais pas ce qu'étaient mes désirs ! Je veux parler des désirs les plus simples, les plus basiques. Impossible pour moi de répondre à la question « de quoi as-tu envie ? ». Et je ne parle pas là de quelque gâterie coquine, mais d'actes du quotidien. Comme manger, regarder un film, faire une promenade. « De quoi as-tu envie ? ». Euh.... ben j'sais pas ! « Comment ça tu sais pas ? T'as bien envie de quelque chose ?! ». Ben.... non. Pas plus d'une chose que d'une autre.

Hallucinant, non ?

En fait j'ai bien évidemment des désirs, mais un je-ne-sais-quoi me les rend inaccessibles en présence des autres. Je ne les capte pas [bip bip... me manque t-il une antenne spéciale ?]. Il y a un refoulement, d'autant plus fort que... j'ai envie [ah tiens !] de ne pas déplaire. Mouais, en fait tout est là : la peur du rejet.

Pourtant elle s'est considérablement atténuée, cette peur. Mais je suis resté sur ma trajectoire : je n'entends toujours pas mes désirs.

Inutile de vous dire que ça peut rapidement devenir interpellant pour les personnes avec qui je suis en relation proche. Normal, je les laisse choisir pour deux. C'est pas une bonne façon de faire. Je suis tellement conciliant que j'en deviens inconsistant. Pas vraiment séduisant de sentir une limace pareille...

[il est rigoureusement interdit de faire des analogies phalliques autour de la limace et de l'antenne !]

Mon nouveau défi est donc d'apprendre à capter mes désirs, et d'oser les nommer. Les non-désirs aussi, en sachant dire non. Dire de vrais oui et de vrais non. Ouais... c'est pas nouveau ça...

Aaaaallez, au boulot...




Nb: vous aurez noté une certaine confusion entre les mots "désir" et "envie". Je tenterai peut-être de préciser ces notions ultérieurement.






Inexpérimenté



Jeudi 2 août


Ah, cette fois vous n'y couperez pas ! Je reviens sur ce dont je veux me sortir. Ouais, c'est paradoxal mais c'est normal... et nécessaire ! [et peut-être bientôt fini...].

Les *hasards* de la vie font bien les choses : au moment où, ayant pris suffisamment de recul, j'étais ouvert à cela, j'ai été "choisi" par une femme... puis une autre, qui allaient me permettre d'éclaircir bien des mystères et apaiser mes turpitudes résiduelles. Caroline en me renvoyant l'image de ce que j'ai pu être, et D. alias La Mouette, en me plaçant de nouveau devant celle avec qui j'ai échoué, c'est à dire la célébrissime Nathalie. Ben oui, aussi surprenant que ça puisse paraître, c'est avec son clône que je suis en relation ! Vraiment surprenant...

Du coup ce double éclairage est particulièrement intéressant.

D'abord parce que je retrouve ce qui m'attire chez une femme, et ce qui ne me convient pas. Ensuite parce que je constate à quel point j'ai mûri en quelques années dans ma façon d'investir les liens. Enfin parce que je réalise que mon inexpérience relationnelle aura été en grande part la cause des dysfonctionnements dont j'ai eu tant de mal à comprendre le sens.

J'ai avec La Mouette le même type d'échanges que ceux que j'avais au début avec Nathalie. Elle a le même genre d'assurance, une exigence similaire, une forme d'indépendance semblable, et un refus de vouloir faire plaisir quand l'envie n'y est pas. Autant de choses qui me plaisent et que je trouve saines. Elles a une approche du désir qu'elles définit elle aussi comme « masculine » et se dit « extra-terrestre » de la même façon. Un petit côté rigide aussi... compensé par un humour expressif et un enthousiasme démonstratif. Bon, je pourrais continuer longtemps la liste de leurs points communs, en n'omettant pas de dire j'ai ressenti le même désir face à leur physique.

Bref, un clône vous dis-je !

À la différence près que La Mouette est mariée et amoureuse... Mais elle se sent suffisamment libre dans son couple pour s'épanouir aussi avec quelques uns de ses hommes. Une femme qui aime les hommes, amis, amants, aimants...

Ce qui diffère aussi c'est que je ne suis plus du tout dans le même type d'investissement relationnel qu'autrefois. Je n'ai plus ce manque existentiel à combler. Ayant assez clairement différencié l'attirance, l'état amoureux, le désir, et l'amour, je ne les confond plus en en un conglomérat indisctinct. Voila déjà pas mal de temps que j'ai compris que je ne voulais plus investir les liens avec la durabilité comme objectif. Je prends désormais les choses comme elles viennent, au moment où elles viennent, et tant qu'elle durent. Quoique j'échange beaucoup avec La Mouette... je sais que c'est conjoncturel et que ça ne durera pas éternellement à ce rythme. Je suis beaucoup plus sensible aux signaux émis par l'autre et ne suis plus "en attente".

Ne pas être en attente... Là se situe la liberté ! Je n'avais pas cette maturité lorsque j'ai connu Nathalie. J'étais plein d'attentes diverses, inconscientes, et assez fortement engageantes. Je comprends que ça pouvait être inquiétant...

Avec Caroline j'ai compris aussi la différence entre désirer (principe de vie) et être en attente (mortifère et anxiogène). Je sens très bien quand elle est dans un registre ou l'autre. Je sens aussi ce que des attentes auxquelles je sais ne pas pouvoir répondre déclenchent en moi : de la prudence.

C'est là qu'entre en jeu la franchise...
Autant avec Caroline qu'avec La Mouette nous sommes dans une relation faite de franchise. Tout comme Nathalie l'était avec moi... Sauf qu'à cette époque je n'étais pas toujours capable d'en comprendre le sens. Sensible, j'étais parfois atteint par ce que je ressentais comme de la dureté. Je savais bien que c'est lorsque j'exprimais des attentes que cette dureté s'exerçait. Alors je me taisais. J'étais dans la crainte...

Inutile que je revienne sur ce que cette inadéquation entre nos façons de communiquer à pu engendrer comme suite...

Ce qui me semble certain aujourd'hui c'est qu'à la longue le désir d'être en relation étroite avec moi s'est émoussé. Or elle était la première femme avec qui j'avais découvert le désir réciproque. Elle était "ma sauveuse". Elle était aussi mon amie et une confidente. Sentir inconsciemment son désir de partage s'émousser m'a très profondément inquiété. Angoissé, devrais-je dire. Paniqué. Mais comme je ne savais pas ce qu'était l'atténuation normale du désir... j'étais incapable de verbaliser et nommer ce que je ressentais trop confusément. J'attendais d'être rassuré, j'avais peur d'être abandonné et perdre cette précieuse amie... et zou, les choses sont partie de travers.

Évidemment, selon les réactions de Nathalie, cela exacerbait ou apaisait mes craintes. Jusqu'à cette fameuse décision de suspendre notre relation. À partir de là tout est parti à la dérive en accentuant considérablement mes craintes, que plus rien ne rassurait. En toute logique cela menait inéluctablement à l'échec.

Sauf que durant tout ce temps j'ai travaillé sur moi et j'ai mûri. J'ai changé. Mais pas assez vite. Ou alors je n'ai pas su montrer que je n'étais plus dans la même logique. Mon ex-partenaire étant devenue de plus en plus méfiante, de plus en plus distante, les bénéfices de mon émancipation ont été constamment contrecarrés. Avec les effets du temps, de l'absence d'échange, le décalage entre sa prise de distance et la mienne, toujours à la suite de la sienne... le décalage n'a fait que croitre.

Dommage...







Une réalité imaginaire




Vendredi 3 août


Hier, pendant toute la journée, ce site a été inacessible. Il renvoyait vers une page d'erreur. J'ai pensé que l'hébergeur l'avait peut-être tout simplement supprimé puisque désormais, pour bénéficier de cet espace gratuit, il faut être chez Alice [qui n'est pas une de mes conquètes mais un fournisseur d'accès internet...]. Mais non... ce matin tout était revenu en ordre.

Cette journée "off" m'a pourtant permis de cogiter un peu, croyant vraiment que mon journal avait disparu. Supposeriez-vous que ça m'ait inquiété ou contrarié ? Pas le moins du monde ! Je me suis surtout demandé si je le remettrais en ligne quelque part. J'ai vu dans cette disparition inopinée un signe du destin. Hop, sept ans d'écriture analytique soustraits aux regards ! Une belle façon de tourner la page d'un journal qui s'achève. Faut dire que le matin même je m'étais réveillé en prenant, une fois de plus, toute la mesure de cette double vie et les conséquences que cela peut avoir sur ma vraie vie terrestre. Parfois ça m'angoisse de voir à quel point je peux perdre contact avec la réalité...

Je me pose beaucoup de questions [ah ouais ??] autour de mon implication sur internet, dont je ne suis pas du tout certain que les effets à haute dose soient inoffensifs sur le psychisme. Cette double vie immatérielle, largement déconnectée de la réalité, peut contribuer à ne plus bien savoir ce qui tient de l'imaginaire et du réel. Je ne suis pas certain qu'internet ne présente pas quelques dangers d'autant plus pernicieux qu'ils agiraient directement sur la perception des choses. Et ce, quelle que soit la vigilance qu'on croit avoir. Puisque tout se déroule dans la pensée, si cette dernière est déformée dans sa perception, il peut y avoir une perte de contact avec la réalité.

Ma vie du net a parfois pris beaucoup trop d'importance...

Dans quelle mesure suis-je capable d'avoir suffisamment de recul sur moi-même ? En faussant la réalité, est-ce que je ne risque pas de ne plus me rendre compte que je suis dans un monde parallèle ? Lorsque j'en parle, ne serais-je pas dans un discours paralogique ? Avec toutes les apparences sensées de la cohérence, mais basée sur de l'illusion.

Une question m'a été posée récemment, par deux personnes distinctes (dont ma psy) au sujet des relations par internet: parmi les "amis d'internet", combien seraient prêts à faire ce qu'on ferait pour un ami réél en cas de grave problème ? Je me suis tout de suite dit que je me sentais prêt à agir pour des personnes avec qui je me suis lié de façon proche. Mais je me demande toujours : si je cessais d'écrire en ligne, combien de ces amitiés résisteraient-elles au temps ?

Tous ces liens entre blogueurs, ces signes de sympathie, que représentent-ils réellement ? Quelle empreintent laissent-ils dans le cerveau, privés qu'ils sont de toute matérialité ?

Et au delà... quelle réalité aura vraiment eu ma relation avec Nathalie, cet amour transatlantique ? Dans quelle mesure ne l'aurais-je pas fait surexister en l'évoquant autant ?

Les conséquences sont bien réelles, les changements de ma pensée aussi, mais qu'ai-je investi ? Est-ce une personne bien réelle... ou la représentation que je m'en faisais ? Plus encore que dans la réalité terrestre, qui n'est pas exempte de projections, idéalisations et autre fantasmes, dans quel monde parallèle peut maintenir l'abstraction du partage à distance ?

Oh, que personne ne croie avoir la réponse toute faite ! Je crois qu'il faut vraiment vivre ce genre de situation pour mesurer ce qui peut s'y jouer. Assurément c'est un basculement des repères anciens (i.e avant internet). Cela demande une vigilance que je n'ai pas eue, faute d'expérience. Pour autant cela à permis quelque chose de fort, de riche, de passionnant et d'enrichissant. Je ne suis ce que je suis que parce que j'ai vécu cette expérience avec elle. Que parce que j'ai pu mesurer le décalage qui existe entre pensée et mise en actes. Je l'ai vécu de l'intérieur, et ça me permet de "juger sur pièces".
Je n'ai pas peur du monde dit "virtuel", parce que je sais maintenant bien mieux comment il est déconnecté d'une part de la réalité. Pour autant, tout rejeter en bloc serait une absurdité, alors que trop l'investir serait dangereux pour la santé mentale. C'est évidemment une question de mesure. De toutes façons c'est le sens du monde que d'être toujours plus dématérialisé. Avant internet il y a eu la télévision, avant encore les voitures, le téléphone, le courrier... Chacun de ces "progrès" a joué sur les notions de temps et d'espace, contribuant à changer la nature des rapports humains. Vers du meilleur et vers du moins bien.



Les hasards de la vie on fait que j'ai pu prendre énormément de mon temps, et de ma vie, pour explorer les relations via internet. J'ai vécu (ressenti, pensé) intensément et cela a eu des répercussions déterminantes sur mon existence terrestre. Des bonnes et des moins bonnes. À moi de faire le tri, peu à peu, pour tenter de poursuivre vers les aspect positifs... sans me laisser happer par le négatif.

En tout cas, je crois qu'internet en tant que monde de la pensée offre une voie d'exploration de soi tout à fait intéressante. Si les rêves sont la voie royale pour explorer l'inconscient, d'après Freud, je crois que le monde internet est loin d'être inintéressant sur ce plan là. Je découvre en ce moment avec ma psy quelques arcanes de mon inconscient, directement mis en évidence par le monde des pensées tel que je l'expose sous les regards, et parce que je l'expose. Ça n'a pas la profondeur de la psychanalyse, mais les apports sont loin d'être négligeables.

Par contre... je ne suis pas sûr qu'il soit opportun d'en mettre en ligne le détail. Cette mise en ligne elle-même, dont je choisis les angles d'ouverture et les zones secrètes, contribue directement à la prise de conscience de ce qui se joue dans mon rapport à autrui. Il m'est important de garder certains aspects dans l'ombre.

Finalement le problème, avec ce journal, c'est qu'étant à la fois observateur et sujet la posture tend vers l'impossible...

Vient forcément un moment où je ne peux plus poursuivre cette analyse en public.

Il serait temps que j'en convienne.







Le râteau




Mardi 7 août


Mon écriture me fout la gerbe. C'est lourd, c'est long, démonstratif... Pouah !
J'ai deux longs textes en stock, retouchés, peaufinés, mesurés. Des heures de travail. Mais j'ai plus envie de les mettre en ligne. J'en ai marre de cette écriture pompeuse.

Bah... ils m'auront au moins servi à comprendre ça...


Allez hop, venons-en au fait. En ce moment c'est la pétulante D. qui me fait vivre des situations intéressantes. Depuis qu'elle est venue dormir chez moi on a a beaucoup parlé de ce qui s'était passé entre nous. Tout un jeu d'approche, de désirs plus ou moins exprimés, avec allusions claires à ce qui aurait pu se passer sur le plan sexuel. Et puis subitement ça s'est compliqué quand on s'est rendu compte qu'on n'était pas dans le même registre. Je prenais au sérieux certains choses qu'elle disait à la rigolade. C'est devenu tendu, elle n'a plus rigolé et moi non plus. Ça sentait même le roussi. Ça puait le gros malentendu.

Dimanche on s'est quittés sur un froid et pas mal de questions sur la suite à venir.

Finalement, en mettant les choses bien au clair, en parlant franchement, on s'est rendu compte du décalage de registre dû à certaines ambiguïtés. Dès qu'on a pu poser des mots précis et effacer les flous, la situation s'est rétablie dans un grand éclat de rire. C'est là que je mesure le chemin parcouru en quelques années. Parce que j'apprenais du même coup que même si nous parlions beaucoup de séduction, et jouions dans ce registre avec un évident plaisir, et bien nous ne passerions jamais à l'acte. Figurez-vous que je l'ai très bien accepté ! Alors qu'auparavant j'aurais été hyper-déçu, triste, et mortifié. J'aurais vu l'objet de mes désirs [voire de quelques sentiments naissants...] s'effacer et serais entré en souffrance. Là non ! Cette charmante D. sait qu'elle me plaît et que j'aurais envie de la baiser, elle en joue... mais ça n'ira pas plus loin pour elle. Autrement dit, je me suis pris un rateau ! Le premier de ma carrière de séducteur-né [quoique tardivement révélé].

Il n'y avait rien de malsain dans ses provocations, seulement du jeu et de la curiosité. D'ailleurs avant notre rencontre elle s'était préparée, non sans gourmandise, à toute éventualité. Et puis non, ça n'a pas tilté pour elle. Elle a qualifié notre rencontre de magistral bide sexuel : on espérait tous les deux qu'il en soit autrement.

Nous pouvons maintenant en parler avec naturel et décontraction puisque le registre sera celui de l'amitié complice. Nous avons franchi la barrière de ce qui complique tant de relations hommes-femmes. J'aime beaucoup ce que ça nous permet d'aborder en toute simplicité.

Lorsque nous avons eu notre mini-crise, elle a dit qu'elle devrait se brider, qu'elle ne pourrait pas plaisanter librement avec moi parce que je prenais les choses trop au sérieux. Elle n'avait pas tort... mais je lui ai dit de ne rien changer à sa façon d'être. Ce que j'aime chez elle c'est cette audace et cette assurance, sa légereté et son humour, sa liberté de ton et sa spontanéité fofolle. C'est à moi de "grandir", pas à elle de me protéger en s'éteignant. Je n'ai pas envie de rester trop sensible, je veux m'aguerrir. Du moment que les choses sont saines, je peux très bien apprendre. Je veux me débarasser de mes fragilités et c'est à moi de me frotter à ce qui peut les susciter. Pas envie d'être épargné ! D'ailleurs, depuis je me suis allègrement lâché dans le même registre qu'elle, femme "libre et libérée". J'avoue y prendre un plaisir certain...



Je me rends compte qu'en ce qui concerne les relations de séduction, malgré mon âge canonique, je ne suis guère plus émancipé qu'un jeune ado boutonneux. Une relation de couple qui dure 25 ans n'apprend pas la diversité des comportements et des phases d'approche. Il y a adaptation mutuelle, mais vrai manque de pluralité et de prise de risque. Heureusement, après quelques autres relations je me suis quand même un peu déniaisé. Je sens mon assurance nettement augmenter avec chacune. Notamment depuis Caroline qui me veut sans ambiguité aucune. 
Finalement ce que je redoutais inconsciemment (c'est à dire me prendre ce fameux rateau dans la figure) n'a rien de particulièrement déstructurant. Je ne me suis aucunement senti dévalorisé (d'autres s'étant déjà chargées de me rassurer sur ce point). Plutôt une gêne passagère d'avoir tenté sans succés, dévoilant ainsi quelque chose de sensible qui... n'avait rien de déshonorant. Maintenant D. me charrie en revenant avec moi sur mes tentatives, qu'elle perçevait très bien sans y répondre et me laissant m'exposer un peu plus loin à chaque fois. La garce ! (dit avec tendresse). C'est probablement une précieuse alliée qui, revenant avec moi sur notre jeu de séduction sans issue, me permet de mieux comprendre comment sentir les choses. Et oser plus directement...

Ouais ouais, rigolez pas vous autres !







Comment se prendre la tête pour un rien




Mercredi 8 août


Je n'assume pas toujours avec évidence mes avancées libératoires subites. Mon dernier texte, écrit joyeusement et librement, me gêne aux entournures. Je me suis dit qu'il était peut-être un peu choquant pour des personnes sensibles à ces choses-là [bon, en même temps je pourrais m'en foutre, hein !]. Je pense en particulier au terme « j'aurais envie de la baiser » [rhôôô !]. Bon, c'est vrai que j'en ai/avais envie... mais l'énoncer de cette façon crue n'est pas dans mes habitudes. Ce serait plutôt le genre « j'aurais aimé partager une intimité de corps et d'esprit » [prout prout ma chère]. Ou bien j'aurais employé des termes édulcorés, préférant sensualité à sexualité. Voire le terme, inapplicable en l'occurence, de "faire l'amour"[ça se fait pas, ça se vit, voire ça se partage].

N'est-ce pas un peu faux-cul ?

C'est plus compliqué que ça [vous savez bien que rien n'est simple avec moi...]. En fait, ce que j'explore avec D., avec Caroline, et antérieurement avec d'autres, c'est ma capacité à exprimer et surtout vivre mes désirs. Pas uniquement dans le domaine sexuel... quoique je pense qu'il constitue une motivation essentielle. Non, j'explore le désir dans quelque chose de beaucoup plus vaste et qui tient plutôt de l'élan vital. Quelque chose qui partirait de l'excitation sexuelle de base et irait jusqu'au transcendantal de l'élévation spirituelle. Contraste, non ?

Contraste, mais pas antinomie.

Ici je peux parler [rarement] de mes désirs les plus basiques, c'est à dire mes envies pulsionnelles, voire mes excitations quasi-animales de mâle, mais je peux aussi évoquer des boulersements émotionnels en étant pris dans un "plus grand que soi", qui m'élève l'esprit, l'aspire vers des états de bien-être, de plénitude, et de parfaite sérénité. La palette des désirs est très large. Mais je ne cherche pas, du moins pour le moment, à me maintenir dans de nobles et altières pensées. J'ai besoin de sentir toute l'étendue de ce qui se passe en moi afin de mieux me connaître et mieux distinguer ce qu'on attribue aux concepts très large de "désir" et "amour". Ces fourre-tout [sans allusion graveleuse, je vous prie...] sont source de bien des confusions lorsqu'on en parle. Et comme ma pensée sur ces sujets est longtemps restée figée à ce que j'en avais compris avant de me mettre en couple... c'est resté assez rudimentaire. Ceci dit je constate que c'est pareil pour la plupart des gens. Essayez de trouver une définition commune du terme "amour" ! Idem pour "désir", allègrement confondu et interverti avec "envie", "besoin", ou remplaçant "pulsion", "excitation"...

Voila, j'ai besoin de définir tout ça avec mon ressenti, mon vécu, desquels découleront mes propres mots. Je n'aime pas trop le mot baiser, que je trouve vulgaire et "sale". Pourtant il est couramment employé par des personnes qui aiment le/la partenaire avec qui ils/elles baisent, et semblent infiniment plus libre que moi sur ces choses-là. Il est probable que la libération des idées passe aussi par celle des mots. Disons que m'y suis essayé...








Ce que je suis




Samedi 11 août


« Qui êtes-vous ? », me demande une lectrice. Elle me verrait bien psy, estimant que dans ma relation aux autres je « coupe les cheveux en quatre ». Elle se montre étonnée, après bien d'autres, de voir à quel point je décortique ma personnalité et analyse mes émotions. Et cette lectrice de m'interpeller : « j'attend que vous criez votre joie de vivre où vos peines avec vos tripes et laissez de temps en temps votre cerveau au repos ». Une autre me disait un jour que j'intellectualisais les émotions, ce qui me donne l'apparence de quelqu'un de froid et distant, finalement. Quant à la rieuse D., elle me taquine en disant que je « cervelise trop ».

Elle ont raison ! Elle mettent avec une belle unanimité le doigt sur ce qui me tarabuste.

Une autre lectrice m'écrit, avec une intéressante similitude : « qui est le vrai Pierre ? Celui qui se lache de temps en temps ou celui qui ensuite se relit et se demande si c'est bien lui qui a écrit et regrette presque ». Elle pressent bien que je suis double, entre celui que j'étais et celui que je deviens. « Il y a deux hommes en toi qui se "bagarrent" », me dit-elle. D'autres enfin m'encouragent à laisser venir mes « mots premiers », porteurs de sens comme dans une psychanalyse, ou semblent presque regretter que je sois revenu sur cette bienfaisante libération des mots du mâle désirant.

Oui oui, vous avez bien senti, chères lectrices amies ou inconnues, ce qui se passe en moi en ce moment : une mutation. Je ne me sens plus être "celui d'avant", mais pas encore vraiment "l'authentique en devenir". D'où ces tergiversations.

Mais ça bouge ! Je vous assure que ça bouge en ce moment ! Plusieurs d'entres vous le sentent bien, d'ailleurs. J'y reviendrai bientôt...

Pour le moment je vais me contenter de lever un peu le mystère de ce que je suis.
Donc non, je ne suis pas psy ! Mais ce domaine m'intéresse beaucoup. J'envisage sérieusement de m'orienter dans cette direction...

Bon, alors, qui es-tu ? Ailleurs on t'a pris pour un sociologue, un journaliste, un écrivain. S'ils savaient...

Mon métier n'a rien à voir avec l'écriture, ni la pensée, ni la psychologie. Il se fait avec les mains. Je suis un "travailleur manuel du secteur primaire". C'est à dire ceux qui produisent de la matière première. Un métier très terre à terre, dans tous les sens du terme.

Alors pourquoi autant de questionnements existentiels ?

Parce que ce métier ne me comble plus. Il ne m'enrichit pas suffisamment l'esprit [ni le portefeuille, d'ailleurs !]. Il ne répond plus à mes aspirations, il ne me porte plus suffisamment, il ne me nourrit plus intérieurement. C'est en partie en essayant de comprendre pourquoi, et chercher ce que je pourrais faire, que je me suis mis à penser.

Et depuis tu penses, tu penses...

Je pense, j'analyse, je décortique. Et je comprends.

C'est chiant pour les autres.

Peut-être... mais ce n'est pas ce qui m'empêche de penser.

Tant que tu penses tu ne vis pas.

Je pense pour vivre.

Beuh !? Cest quoi ce charabia !?

Je ne vis pas vraiment en présence des autres. Je suis comme enfermé en moi. Inhibé, introverti. Du moins davantage que ce que je me sens être vraiment.

Alors t'es comme un autiste !

Euh... en exagérant beaucoup, oui ! Ma vie intérieure est intense, mais je ne sais pas vraiment communiquer ce que je ressens en direct. Pour ça que j'écris. Pour me libérer et vivre.

Ben oui, mais écrire la vie ce n'est pas la vivre.

Ça y ressemble... mais effectivement ce n'est pas vivre.

Ben alors vis ! Exprime tes émotions ! Ne cherche pas à savoir d'où elles viennent !

Gmbllll...

Tu sais bien ce que t'ont dit plusieurs de tes amies : tu es dans le contrôle. Tu ne veux pas te laisser dépasser alors tu mesures tout. Mais lâche-toi, bordel !

C'est certain que c'est un problème avec ça, et j'en mesure bien les contraintes.

Ah ben tu parles de contraintes ! Mais mon pov' gars c'est une vraie prison que tu t'es créé ! Regarde toi : tu analyses, mais quand tu es dans le réel t'es pas capable du quart de ce que tu énonces.

Ça vient, doucement... La prise de conscience est la première étape du changement.

Ben il serait temps que ça vienne !

Chaque chose en son temps. Il m'a fallu d'abord régler quelques menus problèmes sentimentaux, pour en sortir grandi. C'était un travail indispensable pour avancer sans trop d'entraves. Maintenant qu'il est terminé... je peux poursuivre ma route.

À la bonne heure !

Exactement ! À la bonne heure. Au bon moment. Maintenant.







Ici et maintenant




Lundi 13 août


Bonjour à vous, qui me faites le plaisir de me lire.

J'ai quelque chose à vous signaler, là, qui vous concerne un peu. Oui vous, car lorsque j'écris je pense toujours à vous. J'essaie d'être fidèle à moi-même... autant que je peux l'être. C'est à dire relativement authentique, parce que je ne suis pas vraiment moi lorsque j'écris. Je me transforme en hyper-cérébral [chiant] qui décortique compulsivement [j'exagère...] la moindre idée qui lui vient, vous ne l'ignorez pas [oh que non !]. D'ailleurs ce décalage d'avec la réalité m'agace, mais bon... acceptons les choses telles qu'elles sont.
La plupart du temps vous me lisez sans mot dire. Je livre mes confidences, mes tourments, mes satisfactions. Je les "partage" avec vous. En laissant couler les mots j'essaie de faire en sorte que ce soit nourrissant, intéressant, éclairant. Que dans mon surabondant verbiage égotiste, dans l'arborescence de mes pensées, puisse se trouver chaque jour quelque détail qui vous apportera des oligo-éléments de réflexion. D'ailleurs si vous y revenez une semaine, un mois, ou des années durant c'est bien que vous y trouvez quelque chose.

C'est important pour moi que ça se passe ainsi, sous forme d'échange écriture-lecture. Sinon j'écrirais tout seul dans mon coin.

Selon les jours je me livre dans des registres différents. Parfois c'est au présent, anecdotique, voire vaguement rigolo. Souvent c'est en référence au passé, pour constater des avancées [réelles ou supposées] ou décrypter des éléments marquants de mon existence. Régulièrement c'est pour m'interroger sur les interactions qui existent entre ce journal et ma vie.
Mais la plupart du temps c'est pour analyser et participer à un processus évolutif qui se déroule sous vos regards. Vous, c'est autant une masse informelle et non identifiée que des groupuscules avec qui j'ai des échanges publics dans le petit monde d'internet. Vous c'est aussi les personnes qui m'ont entendu parler à visage découvert de cette écriture intime en ligne, sur une tribune ou en plus petit comité. Vous c'est aussi toi, toi, ou toi (au pluriel) : une personne clairement identifiée avec qui j'ai ou ai eu des échanges privés. Parfois c'est toi(s) que je connais parce que nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises, ou téléphonés. Ou encore c'est toi(s) qui est venu(e) chez moi, qui connaît mon cadre de vie et d'autres aspect que ce que montre ma façade publique, fût elle abordée sous l'angle d'une intimité relative.

Toutes ces interactions sont gérables, sans aucun problème. Je ne triche pas et n'ai donc aucune crainte d'être perçu différemment dans la "vraie vie" que ce que je montre ici. Il y a bien des décalages, mais fondamentalement je pense être cohérent entre les deux mondes.



Par contre... j'ai longtemps eu un gros problème. En vous racontant ma vie j'ai inclus dans mes lignes, durant des années, une tierce personne qui a fait partie de mon parcours. Qui en a fait partie à tel point que ma vie en a été changée dans des proportions énormes. Qui, involontairement, m'a permis de prendre un virage majeur et de bouleverser mon existence pour devenir plus authentique, plus homme, plus couillu. C'est dire à quel point mon cheminement est imprégné, lié, interpénétré par l'aventure qui a découlé de cette rencontre.

C'est bien simple : le journal, cette relation, et mon évolution étaient imbriqués. Indissociables. Impossible de continuer à "avancer" sans évoquer ce qui me faisait évoluer, et pourquoi. Si je cessais d'écrire sur les ressorts qui me faisaient évoluer je pouvais fermer ce journal : il n'aurait plus eu aucun sens. Il n'aurait plus eu le minimum d'authenticité qui lui donne sa raison d'être.

Comment faire ?

Dans l'autre sens je vivais mal d'inclure cette tierce personne dans mon processus narratif. Je n'aimais pas ce que j'écrivais lorsque ça la concernait, et d'autant moins que parmi vous qui me lisez un certain nombre savent de qui il s'agit, voire la connaissent de longue date, l'ont rencontrée, ou sont même en relation avec elle ! Je ne me sentais mal à l'aise de mélanger ainsi le public et le privé. Je le faisais cependant, non sans une mauvaise conscience pesante. Très pesante. C'était étouffant et révoltant de l'être. Je ne parvenais pas à trouver de solution pour concilier mon besoin d'expression-réflexion-compréhension-libération, et mon désir de maintenir ladite personne en dehors de mes écrits partiaux. Me taire c'était m'asphyxier en gardant en moi ce qui pouvait me libérer, parler c'était prendre le risque d'outrepasser les limites du respect de la vie privée. Je m'autocensurais constamment dès que mon sujet de préoccupation tournait autour de ça... ce qui a pu être assez fréquent ! D'ailleurs c'est probablement cette retenue contrariée qui m'a fait si longtemps et abondamment en parler. Pour quelqu'un comme moi qui a besoin de comprendre, l'incommunication était insupportable. Le non-dit [non-compris ?] me faisait beaucoup parler ! Le silence a génèré beaucoup de bruit. En même temps je suis certain que ce temps de prolongation et de ressassement lourd m'aura permis de faire un travail très approfondi, pour remonter jusqu'à la source.

Mais bon, ça ne pouvait pas durer éternellement, hein...

Alors a pris place une forte envie de tourner la page, d'une façon ou d'une autre. D'ailleurs, dès le début de l'année je m'étais dit que 2007 allait être celle du grand changement. Je le sentais, intuitivement. Et puis je le voulais...

C'est important de vouloir.

Début juin j'ai envisagé, très sérieusement, de clore ce journal le jour de son septième anniversaire. La date symbolique du 07/07/07, après 7 ans d'existence, s'y prétait bien. En anticipant cette date butoir quelque chose s'est déclenché. Ce serait difficile à expliquer tant l'écrit s'articulait étroitement avec l'inénarrable histoire relationnelle qui a exactement le même âge. Aventures jumelles et consanguines. Symboliquement, agir sur l'une c'était aussi agir sur l'autre. Ce qui était certain, c'est que je sentais nécessaire de prendre nettement du recul face aux deux. Je voulais sortir de cette... absurdité. Ne plus avoir à en parler, ou du moins pas de la même façon. Il y avait beaucoup de choses mortes dans tout ça ! C'était passé, loin derrière ! Éteint !

Finalement, fort de cette prise de conscience, je me suis dit que c'était un peu bête de tout arrêter. Il y avait eu un déclic et, dans les jours qui ont suivi l'échéance, j'avais pris un certain recul. Il a été bénéfique, me permettant de me "dissocier" et m'observer dans ma pratique.

Jusque là, pris dans une synergie que je n'avais pas réussi à maîtriser, je n'étais jamais parvenu à faire la scission entre un avant et un après. L'histoire de la relation et le journal étant restés, dans mon esprit, indissociablement mêlés, j'ai fini par comprendre que qui était devenu « Roman de vie » aurait pu s'écrire sans fin ! Ça devenait irréel, et pour tout dire un peu fou. L'écriture elle-même nourrissait l'histoire (?!) qu'elle se racontait dans une autarcie auto-phagocytante. C'était non seulement aberrant, mais aussi dangereux pour l'esprit. Sérieusement ! Je me suis senti aux limites de la raison avec une sorte de vie imaginaire. J'en arrivais à ne plus savoir ce qui était réalité et ce qui était projections. Piégé dans ce que j'avais construit. J'étais à la fois narrateur et personnage de cette autobiographie qui ressemblait à un disque rayé, régulièrement ramené vers un passé revisité ad nauseam. Ce journal public, mode d'expression lisible [pas forcément lu] par celle dont je parlais, jouait forcément un rôle dans la réprésentation que j'avais des suites de cette relation. Il m'en libérait autant qu'il m'en maintenait prisonnier.

Situation hors de raison devenue très gênante. Perturbante. Il fallait que quelque chose change, absolument !

Ce putain de journal contribuait à garder un ancrage dans le passé et je devais absolument m'en éloigner. Un gros point tout gribouillé d'incompréhensions raturées me retenait en arrière et m'empêchait de me sentir bien dans mon être d'aujourd'hui. Par rapport à ce que j'avais décrit au jour le jour depuis des années, je ne me sentais plus le même, mais j'en endossais encore le costume. Il n'y a qu'en ce lieu que je me sentais autant "pris" par ce passé trépassé et ressassé. Ailleurs je vivais ! Je m'épanouissais ! Ras le bol de cette dichotomie ! Je souhaitais vraiment aller vers autre chose et poursuivre ma route "seul", sans traîner ce poids mort d'incommunication irrésolue qui m'engluait dans une forme d'obsession.

Oui, c'est fou de voir à quel point j'ai pu "m'associer" à ce journal...

La semaine dernière j'avais donc, de nouveau, prévu d'interrompre ce journal. Je me voyais dépassé, incapable de m'extraire de ce dont je ne voulais plus parler. Il fallait que le contenu change radicalement. Or je ne pensais pas que la mutation pouvait se faire sans un signe de rupture. En moi, ou dans mon rapport au journal. Tout était prêt, écrit, et il ne manquait plus qu'un clic pour mettre en ligne un avis de suspension dûment motivé. Et puis... et puis... je ne l'ai pas fait. Quelque chose ne m'allait pas dans ce renoncement général.

Il n'empêche que le quasi-passage à l'acte aura permis une nouvelle avancée. La solution m'est venue en lisant différents blogs, en particulier un, il y a quelques jours, qui explique que l'auteure n'a « plus envie de cultiver le passé ». Bingo ! Voila qui mettait en évidence mon idée maîtresse : me détacher du passé. Vivre dans l'ici et maintenant. Au présent.

Finalement c'était tout simple !

Pas besoin de tout arrêter, il me suffisait de supprimer l'accès aux archives et me débarasser d'un encombrant passé. Ce que j'ai fait. Seuls restent accessibles le mois en cours et celui qui précède... Deux mois de passé au maximum, le reste disparaissant au fur et à mesure.

Dans ma représentation des choses c'est important : je ne veux plus m'inscrire dans un continuum linéaire qui s'étirerait à l'infini, mais dans une fenêtre de temps présent. Autrement dit ce n'est plus le parcours que je souhaite mettre en évidence, mais ce que je fais au présent d'un parcours passé.

Je cite de mémoire une phrase qui me semble illustrer ce changement de paradigme : « L'important ce n'est pas ce qu'on a fait de vous, mais ce que vous avez fait de ce qu'on a fait de vous ».

Ou plus simplement : le passé est derrière, vis maintenant !



Parés pour de nouvelles aventures conjuguées au présent ?




N.B : Je ne renonce pas à l'idée de conservation des écrits autobiographiques, telle que l'exerce l'APA. Je garde l'intégralité des archives de mon parcours évolutif, accessible sur demande.






Par la fenêtre du présent




Mardi 14 août


Allez hop, le texte précédent est déjà du passé. Qu'il s'éloigne vers l'oubli ! Ce genre de baratin qui, d'une façon ou d'une autre me fait revenir sur le passé, m'énerve...

Ras le bol du passé, même récent ! Tiens, je devrais écrire au jour le jour, une page effaçant l'autre...

Non, en fait je ne devrais plus écrire et seulement vivre.

Absurde : mon passé fait mon présent et je ne peux le renier. Merde, faut que je continue à porter mon baluchon.

Je pensais à une image : en fait, c'est comme si j'avais été [notez le passé révolu, intentionnellement auto-persuasif] un voyageur qui note en continu ce qu'il voit par la fenêtre tout au long de son trajet. Plutôt que de se concentrer sur le paysage qui est sous ses yeux, ou ce qui se passe dans le wagon avec les voyageurs embarqués, ce passager graphomane en serait arrivé à vouloir tout noter. Expliquant, en revenant sur ses notes antérieures, pourquoi tel paysage est la continuité du précédent, qui, finalement, se préparait à apparaître. Ou pourquoi tel passager à réagi de telle façon suite à ce qui s'est passé deux heures plus tôt, dûment noté dans le carnet. Il serait un peu fou ce type ! Il serait bien présent et dans la vie... mais aussi en dehors. Observateur. Présence absente. Alors imaginez l'effet à long terme que pourrait avoir l'éloignement d'une charmante voyageuse avec qui il avait fort agréablement sympathisé, mais ayant subitement changé d'avis en ne voulant plus le voir...
Eh ben le graphomane en parlerait tout au long du trajet, de sa situation incomprise !

Imaginez qu'en plus il ait pris la lubie d'afficher sur les parois du wagon ses écrits, résumant régulièrement la situation et ses origines antérieures, sans oublier de rappeller que la demoiselle, là, l'a laissé en plan et qu'il n'a toujours pas compris pourquoi !

Un peu lourd le gars...

Eh ! arrange tes affaires avec la demoiselle en privé et parle d'autre chose !



Bon bon, puisque vous me le demandez si gentiment, j'arrête de revenir sur mes anciennes notes et de tourner mes vieilles pages usées. Je me concentre sur le présent. Gnnniiiiiiiiiii... [concentration extrême]

Donc je laisse tomber le Roman de vie pour passer à l'écriture du quotidien ? C'est bien ça ? Boh... je me demande si ça va être bien intéressant...

Essayons quand même !



Réveil à 7h00, mais je somnole une heure de plus. Le plaisir de ne pas avoir d'horaires. Je descends l'escaliers en bois et je file aux chiottes. C'est rituel. Ensuite ordi. Pas de mails reçu depuis hier soir. Douche. Rasage. Je sors pour mettre en route un arrosage. Petit dèj : céréales dans du lait froid. Entretemps j'ai bien du m'asseoir une ou deux fois devant l'ordi. Relire ce que j'avais laissé hier. Agacé d'avoir été si long et redondant, mais bon... c'est moi ça.

J'écris le début de texte qui se trouve plus haut. Une demi-heure au moins. Je reçois un mail d'une lectrice. Il est déjà 10h. Je file faire mes courses au petit Intermarché du coin, à 8 km. Putain, tout est cher quand on n'a plus de sous ! Je regarde ce qui me donne envie mais j'achète le minimum. Du pas cher, du pas très bon. 35 euros quand même... J'observe les clients du coin de l'oeil. Je remarque un gars rustique, bien rougeaud de figure, avec ses quatre cubi de pinard dans le Caddie et sa bobonne qui le suit. En sortant je vais au contrôle technique pour ma vieille Supercinq de 270.000 km... Pourvu que ça passe. Ouais, de justesse, c'est reparti pour deux ans.

Sur la route qui serpente entre bois et collines, je cogite. Pensées flottantes sur ma situation. Boulot, argent. Je repense à mon amie partie. Je pense à D., qui m'éclaire sur tant de choses. Hier je lui disais que rien ne ressemble plus à un amoureux étouffant que celui qui a besoin de comprendre pour se positionner. Impression de toucher du doigt le fourvoiement... Impossible d'en discuter ailleurs. C'est bête qu'elle reste renfermée. M'en fous, suis léger avec ça maintenant. Moi je sais. Il fait beau, je suis bien. C'est ça aussi mon quotidien. Pas un jour sans que je n'y ai pensé. Et alors ?

[pause d'écriture]

Mon fiston est revenu pour midi. Sa copine manque d"argent et ils ne partiront pas comme prévu. Je prépare la bouffe avec lui, meilleur cuisinier que moi. Il aime ça, moi pas. Trop long à préparer. Avec trois fois rien on se mitonne un petit repas fort correct.

Après le repas je sieste un peu, serein.

Ensuite boulot. Je travaille sur différentes versions de mon Curriculum Vitae. Puis internet : site de l'ANPE, des sociétés de travail intérimaire et autres potentiels offreurs d'emploi. Rien qui corresponde vraiment à ce que je pourrais faire. Rien de motivant. Ça fait des semaines que je surveille. Je suis révolté de voir que les employeurs demandent du personnel qualifié, avec expérience, mais... pour le payer au Smic (salaire minimum) ! Salauds de profiteurs !
De site en site je vais vers d'autres sources de renseignements, plus en accord avec mes aspirations floues. Je manque d'objectif précis, c'est une évidence depuis longtemps. Tiraillé entre ce que je peux faire actuellement et ce que je voudrais faire. Passage oblié par quelques années d'intermédiaire, en restant dans ma branche, où je suis qualifié mais démotivé, avant d'aller vers ce qui me motive mais demande une formation. Putain de panne de milieu de vie !

Je m'occupe aussi de prochaines démarches pour une demande de RMI (Revenu Minimum d'Insertion), vu la situation dans laquelle je me trouve. Je n'ai jamais voulu le faire, par souci de ne pas me sentir "parasite" de la société... mais je dois bien reconnaître que je suis dans une sale situation. Hier j'étais dans les bureaux de l'Assedic, pour constituer mon dossier de demandeur d'emploi. Je n'ai droit à aucune indemnité, compte-tenu de mon statut de non-salarié. Je le savais. Plus tard la conseillère en emploi de l'ANPE ne savait pas trop vers quoi m'orienter, en fonction de mon statut hybride de non-salarié qui cherche un travail complémentaire. Je ne rentre pas dans les cases. Comme d'habitude... Quant aux aides au logement, voila huit mois que je les ai demandées mais comme il faut passer de l'organisme "normal" qu'est la CAF à un autre "spécial" c'est trèèèès compliqué.

Sur internet j'ai aussi calculé le montant de ma retraite. Je ne m'y étais jamais intéressé. Bon... j'aurais mieux fait d'être une femme avec trois enfants plutôt que père. J'ai coché la mauvaise case au départ, et quand j'ai corrigé j'ai vu que j'aurais encore moins que ce qui avait apparu. Si j'arrête à 60 ans, je gagnerai la somme myrifique de 573 euros par mois. Si je prolonge cinq ans de plus, je pourrai m'éclater avec 840 euros par mois (1050 si j'avais été mère). Magnifique ! À moi les palaces et la vie de nabab !

Eeeeeeh bé, j'ai pas fini de bouffer des patates, moi !

Fin d'après-midi, coup de téléphone de ma fille, toujours aussi joviale et fofolle. Elle est en Hongrie avec Charlotte. Elles rentraient de l'aéroport de Budapest d'où partait le petit dernier pour l'Angleterre. En début d'après-midi, au même téléphone, c'est un journaliste qui me posait des questions par rapport à mon expertise professionnelle. Boaf... questions basiques. Je ne sais pas trop ce qu'il attendait de moi...

Voila, il est 20 h. La journée est passée vite. Pas eu le temps de cogiter, plongé que j'étais dans mes recherches professionnelles. Mais là... làààà... voilà l'heure à laquelle je vais pouvoir penser, écrire, analyser, décortiquer... Tiens, je ferais mieux de me foutre devant la téloche, ça nous ferait des vacances !

[pause d'écriture]

21 h, je me prépare vite fait un ersatz de repas. Il avait été prévu que C. vienne manger chez moi, ce soir, mais elle est partie en vacances impromptues et a annulé hier. Finalement j'ai discuté avec D. comme tous les soirs depuis quelques temps. Dans deux jours c'est S. qui s'installera pour deux nuits, alors que le semaine dernière c'est Caroline qui avait passé la nuit ici. Mon fiston observe, un peu amusé, cette diversité de prénoms féminins... Il ne sait pas trop quel genre de rapport je peux avoir avec chacune de ces femmes mais ne semble pas mécontent de voir son père « voir des gens ».

23 h 30, je vais mettre tout ça en ligne. J'aime pas trop les passages raturés. J'hésite, je gribouille dessus. Je m'interroge sur leur inopportunité. Je censure. J'y passe du temps. Je piétine. M'endors devant mon bureau. Je me réveille bien plus tard, y reviens. Et merde, tant pis, j'en laisse.


Bon, n'allez pas croire que dorénavant je vous raconterai par le menu toutes mes journées, . C'était juste un exercice d'observation du présent.






Changer les habitudes




Mercredi 15 août


Regarder à travers la fenêtre du présent c'est me mettre dans la disposition d'esprit qui permet de penser l'instant. C'est à dire troquer l'analyse du passé, révolu, pour celle du présent. C'est beaucoup plus simple, parce que le présent n'accumule pas différentes époques. Il en résulte.

Le présent c'est la possibilité d'agir, tandis que le passé...

Il ne m'est plus très facile de penser au présent, je le constate. J'ai pris une telle habitude de me référer au passé explicatif que j'y plonge sans y prendre garde. Propension à revenir sur ce qui n'a pas été compris et qui, en quelque sorte, me retient en arrière. Ne serait-ce pas une façon de ne pas avancer ?

J'apprends à faire le deuil de comprendre tout. Accepter la part d'inconnu qui parfois se dresse. Les limites. La lumière viendra en son temps... ou jamais. Il ne suffit pas que je m'interroge pour obtenir des réponses, et encore moins lorsqu'il s'agit de comprendre ce qui m'est extérieur. Il me faut apprendre à tirer un trait en faisant une remise à zéro : c'est comme ça, maintenant, et tant pis pour le passé incompris. Le passé a existé et induit une situation, mais il n'est plus modifiable. C'est irréversible. Il faut faire avec ce qui est maintenant.

Que puis-je faire au présent ? Que puis-je faire maintenant en fonction du passé révolu qui m'a mené à ce présent ? Qu'est-ce que je ressens, au présent, sans me préoccuper de ce que j'ai pu ressentir dans le passé ? Qu'est-ce que je désire maintenant, et quels moyens puis-je mettre en oeuvre pour m'en approcher ?

Le passé m'a enseigné ce qui était porteur de vie en moi et ce qui me conduit vers la souffrance. Je ne fais pas abstraction de cet enseignement. Ces leçons de vie, positives ou désagréables, sont les instruments qui guident mon parcours. Elles sont mon expérience. Je n'ai pas à la remettre en cause. Elle a fait ce que je suis aujourd'hui.

Jusqu'à la prise de conscience qui oeuvre en ce moment...







Scotch ou Post-it ?




Samedi 18 août


Je viens de passer deux jours avec mon amie S. qui, dans quelques semaines, ira s'installer dans un pays d'Afrique. Deux jours de bavardage et de continuation de découverte mutuelle. Pour la première fois elle me voyait dans mon cadre de vie. Elle a aussi pu discuter avec mon fils aîné, de passage pour un soir.

Longs échanges sur nos parcours, suivis depuis des années. Confidences partagées. Elle sait l'essentiel de mes préoccupations, de mes choix, de mes peines, de mes espoirs, de mes doutes. Il en est de même pour moi. Nos parcours sont fort différents, tout comme nos choix conjugaux finaux, mais quelque chose nous relie. Une curiosité peut-être. Un désir d'aller au fond des choses. Et puis bien des façons de voir les rapports humains. J'apprends beaucoup de S., jouisseuse de vie sous toutes ses formes.

Un mot de sa part m'a frappé, lorsque je lui ai montré des albums avec des photos de Charlotte. Elle l'a trouvée « lumineuse », ne comprenant pas comment j'avais pu m'éloigner d'une telle femme. C'est tellement compliqué à expliquer... Ce n'est même pas explicable. Ce n'est pas du domaine de la raison, mais de celui du ressenti. Entièrement subjectif. Difficilement partageable. Douloureux aussi, troublant, parce que je reste sensible à ce que peut vivre Charlotte. Relié à elle malgré l'éloignement.

Comment expliquer que l'amour demeure lorsque les désirs ne coïncident plus ? Je n'aime pas moins parce que je désire moins, ou parce que je suis moins désiré. J'aime autrement. L'amour se transforme, désinvestit le champ de certains désirs en quittant l'éros, mais reste vivant et entier pour devenir philia : l'amour qui n'attend rien, qui aime l'autre pour ce qu'il est. C'est ce qui, je crois, différencie l'amour de l'attirance. Au contraire du désir, l'amour vrai ne passe pas. Ce que j'avais pu prendre pour du désamour, autrefois, était un moindre désir. Avec le temps les choses sont devenues limpides pour moi.

Mais chacun réagit différemment et je m'interroge : la perte du désir peut-elle parfois éteindre la relation qui le portait ? L'amour qui s'en va peut-il empêcher le retour de l'amitié ?

Hum... j'ai beaucoup à apprendre sur la déliaison.

D'ailleurs, puis-je me lier sans savoir comment me délier ? C'est certainement cette méconnaissance qui me rend prudent dans ma façon d'investir les liens.



Les relations que je construis désormais sont du type "Post-it". Décollables et recollables à volonté. Elles n'attachent pas, ne relient pas au delà du temps de mise en contact. Je prends ce qui est là, maintenant, et je donne au présent. Rien de plus. Aucune projection vers l'avenir. Je me l'interdis. Si une relation d'amitié devait s'arrêter ou s'effilocher je crois que je n'en serais pas vraiment affecté. Attristé probablement, peiné peut-être, mais pas déçu. Je les construis d'emblée comme "détachables". Impermanentes.

Finalement je suis revenu comme au temps où, hormis Charlotte, je n'avais pas d'amis et que je ne m'attachais pas. Sauf que maintenant j'ai des ami(e)s... et beaucoup moins Charlotte.

Après ce que j'ai vécu je n'ai plus envie de construire des relations du type "Scotch". Celles qui attachent fort, indécollables sans déchirer leur support. Je pense que je n'en suis tout simplement plus capable, sans savoir si c'est de la résignation ou de la sagesse.

J'ai très longtemps cru que ce type d'attachement était le signe de l'amitié. L'amour étant comme une dimension supplémentaire, de même essence. En fait je n'avais pas tout compris. C'est l'inverse : l'amour devrait laisser aussi libre que l'amitié ! Mes amitiés sont libres de leurs mouvements, sans attentes, sans exigences. Souhaitant vivre l'amour de la même façon, je préfère ne pas m'en approcher tant que je suis "en travail" sur ces points-là.

De la même façon je n'aime pas sentir qu'on s'accroche à moi dans un registre sentimental. Ça me donne envie de me tenir à distance, par crainte d'y perdre ma liberté de mouvement. Probablement parce que je n'aime pas signifier un refus...

Pour toutes ces raisons l'amitié, au pluriel, a mes préférences.
L'amour désirant ? Il reviendra a son heure.







La tentation de convaincre




Dimanche 19 août


Mon présent revisite le passé, rassemble et relie des éléments encore épars. Je sais que, lorsque j'aurais éclairci tout ce qui a à l'être par mes propres moyens, les voix finiront par se taire. Je ne serai plus tenté d'expliciter si longuement mes avancées, devenues expérience. « Quand nous cessons de vouloir convaincre tout un chacun de la pertinence de nos choix, c'est que nous y croyons enfin nous-mêmes », écrit Arouna Lipschitz dans "La voie de l'amoureux". Je laisse le temps aux mutations d'opérer. La pleine sérénité viendra lorsque j'aurai suffisamment de certitudes. À ce moment là je ferai silence. En attendant, chaque pas ouvre de nouvelles questions...

C'est lorsque j'ai de longues conversations confidentielles que je trace ce chemin vers la paix intérieure avec les plus grandes enjambées. J'apprécie le dialogue pour ce qu'il apporte d'ouverture. Lorsque j'écris les avancées sont moins rapides. L'écriture en solitaire peut se mordre la queue et sentir rapidement le renfermé. Dans l'échange je me vois plus en relation avec mes émotions, plus authentique en quelque sorte. Je n'ai pas à convaincre, seulement à être. Je contrôle moins mes réactions et elles n'en sont que plus justes. Je me vois plus équilibré, plus sûr de mes convictions dans le tête à tête.

Au contraire des écrits qui retracent des avancées intérieures, ceux qui en explorent les tourments sont une mise en mots des fantasmes de l'instant. Mentalisation ce que je crois être ma vérité, parce qu'à cet instant-là je suis dans une disposition d'esprit qui oriente mon inspiration de telle façon. Libre. Trop libre. L'autre m'offre des limites.

J'ai longtemps nourri le fantasme d'être enfin compris par celle que je cherchais à convaincre de ma bonne foi. Rester dans cette vaine persévérance signerait un échec. Je déforme ce que je suis en voulant montrer une autre vérité. En fait je démontre tout autre chose...

Me surpasser en allant au plus loin du plus loin, aux limites de ma résistance... ce n'est plus moi. En voulant faire au mieux, je fausse les choses. C'est là que je vois que le chemin compte davantage que l'objectif. Et plus encore s'il est inatteignable. Mon chemin relationnel me mène à ceci: je ne peux pas comprendre ce qui n'a pas de sens. Et le sens à comprendre, c'est parfois que ça n'en a pas ! Et ça n'en a pas parce que je ne sais pas me faire comprendre. Mal-dits et malentendus. Je ne me reconnais pas dans l'image qui m'a été renvoyée. D'où cette impression tenace d'"injustice" : hey ! je ne suis pas cet homme-là ! Il y a méprise... qu'il m'arrive de conforter en voulant montrer ce qu'il en serait autrement.

Il y a bien de quoi faire vaciller la raison. D'où la tentation de convaincre. Indéfiniment...
Mais en fait, qui ai-je à convaincre ? Et pourquoi ? Finalement, faudrait il que je sois compris coûte que coûte ? Ou renoncer à ce désir...

Apprendre à renoncer. 

Homme de parole, je ne crois pas que les malentendus se lèvent avec le silence. Mais ce que je suis et crois n'est que ma vérité. D'autres peuvent penser que les mots sont de trop, inutiles, ou trahissent. Ce qui est souvent vrai... Après la fluidité des échanges harmonieux, communiquer pour se comprendre demande de l'énergie. Beaucoup. Je comprends qu'il puisse être estimé que ce besoin d'énergie soit excessif. Le désir d'harmonie n'est peut-être pas suffisant pour y consacrer autant d'énergie. Peut-être suis-je doté à la fois de résistance, endurance et patience, qui me confèrent une persévérance hors du commun ?

On peut y voir de l'acharnement, une incapacité à renoncer et à regarder une réalité en face. On peut aussi y voir un désir d'atteindre une sérénité durable et profonde, qui vaut bien d'y consacrer autant d'énergie que nécessaire. Moi je sais ce qu'il en est, et c'est ce qui m'importe.

Je sais dans quel sens je vais et ce que j'y trouve.







Polarités




Mercredi 22 août


Quand je ne me consacre pas à l'épineux problème de ma subsistance financière je passe du temps en échanges avec D. "La Mouette". Nous discutons plusieurs heures par jour, alternant téléphone et messagerie instantanée. Les échanges n'y sont pas tout à fait de même nature et des choses différentes s'y révèlent.

Je n'avais pas connu une telle assiduité depuis ma relation avec N. Pour autant les rapports sont d'une autre nature. D'abord c'est elle qui me contacte, toujours. Et plus fréquemment que je ne le ferais. Me gardant bien de pouvoir être envahissant, je la laisse proposer... et je dispose. Ensuite je sais qu'entre elle et moi il ne se passera rien d'ordre sentimental. Mon élan a été étouffé dans l'oeuf et ne se reproduira pas, j'en suis certain. Je réalise que D. a une part masculine bien trop forte pour s'accorder avec ma part féminine dans un registre amoureux. Ce genre d'inversion de polarités, je sais désormais ce que ça peut donner...

En elle je retrouve, mais cette fois avec du recul, bien des attitudes de N. Ce qui m'avait fasciné, ce que je trouvais avec elle sans savoir que je le cherchais, c'est désormais D. qui en est la messagère. En quelque sorte elle me permet d'achever l'inachevé. Cependant, les mêmes causes produisant les mêmes effets, apparaissent déjà quelques unes de nos dissonnances. Je la sens mal supporter mon excès de féminin, tout comme son excès de masculin me contrarie. Elle tente de s'assouplir tandis que j'essaie de me dresser, mais je sens bien que les tensions risquent de s'exacerber.

D. est liée avec plusieurs hommes qui ont tous la particularité, d'après elle, de manquer de confiance en eux. J'en suis un parfait exemple... du moins en apparence. Elle, au contraire, fait montre d'une grande assurance... dont je sais désormais ce que peut cacher ce genre de comportements. Méfions nous des apparences. Ce caractère fort est probablement ce qui séduit ses hommes. De l'autre côté il semble que D. s'adoucit à leur contact, répondant probablement à un désir de fluidifier ses relations. Ou de chercher sa part féminine. Peu importe si elle n'a pas répondu à ma question lui demandant ce qu'elle appréciait chez moi... sauf que ça signifie qu'elle ne le sait pas. Ou se le cache. Ce qui est certain c'est qu'elle y trouve quelque chose, qui n'est pas forcément ce que je peux lui donner. Le champ de la sexualité en est clairement exclu. Peut-être un peu trop ostensiblement d'ailleurs, vu son plaisir à "jouer" dans le registre exagérément ambigü de la séduction.

Depuis qu'elle est venue chez moi D. a eu un comportement "protecteur" autant que "stimulant"... mais je crains que ça ne dure pas. Hier elle était sous le haut-voltage du SPM (Syndrôme pré-menstruel) et elle m'a beaucoup moins ménagé que d'habitude. Pour tout dire, elle a semblé être agacée par ce que je lui répondais et me l'a fait "payer" par des propos acerbes. Comme si je n'étais pas à la hauteur de ce qu'elle attendait de moi. J'ai reconnu là une attitude de N., partriculièrement sensible aux mêmes périodes de son cycle féminin.

Si autrefois ces épisodes agressifs me laissaient abasourdi, réveillant en moi ma part d'enfant peureux à l'attitude victimaire, hier je me suis contenté de laisser passer la crise en optant pour le silence. J'ai bien senti que D. n'aurait un rôle "protecteur" que tant que je ne la décevrai pas. Tant que je suivrais à peu près ce qu'elle désire et rentrerai suffisamment dans ses capacités de compréhension. La distance affective me donne un recul suffisant pour ne pas être "envahi" par ce genre de manifestations hostiles (par déception). Je n'ai pas plié, je n'ai pas cherché à "obéir" ni ne me suis senti "coupable" de ne pas réussir à faire ce qu'elle attendait de moi.

D. me permet de poursuivre le travail entrepris avec N., mais cette fois sans être pris dans une dynamique amoureuse. Par contre, par le jeu des analogies, je peux transposer et comprendre ce qui s'était joué auparavant. Je sais ce qui s'active dans les sens favorables ou défavorables avec des femmes qui me séduisent par leur force de caractère, mais disposent par la même d'un pouvoir castrateur... dont il ne dépend que de moi de ne pas m'y soumettre !

L'arrivée inopinée de D. dans mon parcours, à un moment où j'y étais prêt, m'offre la chance de m'émanciper plus complètement de l'échec relationnel avec N. Les hasards n'arrivant jamais seuls, je puise aussi dans un livre que m'a offert S. de quoi assouvir ma soif de compréhension à un niveau plus approfondi que ce que j'avais pu atteindre jusque là.

Pendant des années j'ai cherché à retrouver avec N. notre harmonie déchirée. J'y ai consacré beaucoup d'énergie, souvent tournée vers l'extérieur. Finalement c'est à l'intérieur, en moi, que je trouve mon harmonie. Mon équilibre masculin-féminin.



La seule paix qui se conquiert, c'est la paix en soi. À l'autre elle ne peut être que proposée, sans aller plus loin que le milieu de ce qui sépare. Cette paix avec l'autre ne peut pas être un but, parce qu'elle n'est qu'une éventualité, indépendante de soi. Il faut vivre sans l'attendre. Sans même l'espérer.

Seulement rester ouvert au monde...







Quand on veut, on peut !




Jeudi 23 août


Cette formule que j'ai mise en titre est une idée communément répandue. Elle est à la fois vraie et fausse. Vraie en apparence, parce que c'est bien la volonté qui rend les choses possibles. Fausse en réalité parce que la volonté... dépend d'un pouvoir sur soi. Conscient ou inconscient, c'est là que se fait la différence de point de vue. J'aime la phrase de Sartre qui dit « Etre libre, ce n’est pas pouvoir ce que l’on veut, mais c’est vouloir ce que l’on peut. ».

Pendant mon adolescence, alors que j'étais en grosses difficultés scolaires, puis relationnelles (on n'aime pas les vilains petits canards...), mes parents et professeurs ne cessaient de me dire que je pourrais faire mieux, que j'avais les capacités de réussir, sous-entendant par là que cette réussite ne dépendait que de moi. Vrai... mais un peu court. En fait, ce discours culpabilisant peut avoir deux effets : doper ou anéantir. Je pense qu'il anéantit plus souvent qu'il ne dope. C'est une façon assez commode de laisser dans la merde celui qui y est déjà. C'est une école de la vie... telle qu'elle sera, car finalement c'est bien à chacun de se démerder. Toutefois, dans l'enfance, c'est une erreur d'accompagnement qui peut être lourde de conséquences pour l'adulte en devenir.

Avec le recul, je pense que j'ai vécu mon adolescence dans une sorte de dépression. Ou du moins un profond mal-être et un isolement. Et comme ce qui se passe dans la jeunesse structure la pensée avec une valeur normative, j'en ai déduit que la normalité était que je sois un "raté", un "nul", normalement rejeté pour cela, et que les autres seraient toujours plus forts (compétents) que moi. De la même manière, Charlotte, qui avait une mère "folle" (pour simplifier), en a déduit que l'incohérence était normalité.

On finit toujours par se reconstruire et découvrir que le grand monde ne correspond pas à notre monde intérieur. Plus ou moins rapidement. Charlotte a trouvé en moi un homme calme (sa mère était violente), pondéré et réfléchi. Je lui ai apporté des repères de stabilité et d'équilibre. En elle j'avais trouvé quelqu'un qui m'apportait un regard valorisant, qui m'appréciait et me prenait tel que j'étais. J'existais enfin.

Trente ans plus tard, après être devenus parents en tentant de ne pas transmettre les névroses dont nous avions conscience, j'ai fait ma crise existentielle. Il ne me suffisait pas d'"exister" seulement dans les yeux de Charlotte, ni ceux de mes enfants : je n'étais pas que père et mari. Pas davantage dans les yeux de mes clients ou collègues : je n'étais pas qu'un professionnel. J'avais aussi une vie intérieure. Quant à mes parents, ma famille élargie, mes "amis", s'ils connaissaient à la fois ma vie de parent et certains aspects professionnels, j'avais toujours l'impression d'être circonscrit à ces seules cases. Il ne tenait évidemment qu'à moi d'en montrer d'autres aspects, ou d'exister par moi-même. Ce que j'ai entrepris de faire. Prendre ma vie en main.

Maintenant, après l'envol raté que l'on sait, je me retrouve un peu comme à mon adolescence : j'inquiète mon entourage. À juste titre. Se retrouver en panne au milieu de sa vie, sans ressources, peut paraître suicidaire. Ça l'est peut-être un peu... Histoire de me faire peur, de "sentir" ce qui se passe en moi.

"On" ne comprend pas pourquoi je ne réagis pas davantage, pourquoi je ne me bats pas pour retrouver du travail immédiatement. "On" me conseille, essayant de me pousser vers quelque chose qui puisse rassurer tout le monde. Ben oui quoi, c'est quoi ce grand ado qui ne se rend pas compte des choses ? Eh, faut te secouer ! La réalité c'est pas ce que tu crois ! Il ne dépend que de toi de te sortir de ta situation. Quand on veut, on peut !

Nous y voila ! On s'arrête là : t'es responsable de ce qui t'arrive. Exact. Personne ne peut faire les choses à ma place. Je suis effectivement responsable de ce que je fais de moi. Je ne le conteste pas. Victime de moi-même. Il n'empêche que je fais avec ce que je suis. Et ce que je suis, même si c'est bien moi qui l'ai fait avec ce qu'on a fait de moi dans mon enfance, et bien c'est un homme qui manque d'assurance dans bien des domaines. C'est un homme qui manque fondamentalement de confiance en lui dans ses rapports avec les autres. Et c'est pas en le renvoyant à sa propre incapacité qu'on l'aide. Au contraire, ce rappel constant est culpabilisant. Dirait-on à un handicapé « lève-toi et marche ! ». Dirait-on à un autiste qu'il devrait s'ouvrir au monde ? À un phobique qu'il se fait des idées ? On s'adresse à moi dans le registre de la volonté et, certes, objectivement rien (?) ne m'empêche d'avoir cette volonté. Sauf que quelque chose fait qu'elle n'est pas là. Et la seule chose à faire ce n'est pas de me « donner des coups de pieds au cul », comme le pensent beaucoup, mais de comprendre ce qui est bloqué, et pourquoi. Ceci dit je comprends qu'on puisse avoir envie de me secouer... mais qu'on cherche à me forcer ne donnera pas d'autre résultat que cristalliser le problème. Il n'y a que moi qui puisse trouver l'envie de changer les choses.

Il y a quelques années j'étais un travailleur acharné, volontaire, dynamique, entreprenant. Parce que je m'étais lancé à fond dans un domaine qui me plaisait (motivation) et que j'y étais reconnu (gratification). Mais je ne suis plus le même. Aujourd'hui ce qui me motive est hors d'atteinte immédiate et le marasme dans lequel je me trouve ne m'apporte pas vraiment de reconnaissance. Mes piliers sont des ami(e)s avec qui je peux évoquer mes difficultés sans qu'ils ne me jugent ni me donnent de "conseils" visant à les rassurer face à l'inquiétude que leur inspire ma situation. Peu à peu mes proches se sensibilisent aussi et comprennent qu'il ne s'agit pas que de volonté. Mais, parce que l'implication affective est trop forte, j'évite de les inquiéter. Pour le bien de tous.

D'ailleurs, c'est bien parce que j'essaye de ne pas inquiéter autrui, dont je ne veux gérer les angoisses que je transmets, que je me retrouve finalement assez seul. Et c'est probablement la meilleure façon de prendre confiance en mes seules capacités.


Mais... et moi... sais-je être à l'écoute de ceux qui sont prisonniers d'eux-mêmes ?



[dernière minute : une nouvelle inattendue parvenue après rédaction de ce texte serait de nature à lui apporter un éclairage différent. Ce sera pour plus tard...]








Énergie en attente d'exutoire




Vendredi 24 août


La vie est facétieuse. Alors que le texte qui précède attendait que je le mette en ligne, j'allais avoir la confirmation que ce n'est pas l'énergie qui me manque, mais la motivation. Trouver pour quel objectif j'aurais envie de me démener. Je reprends ici la phrase fétiche d'une comparse d'infortune : « Il n'y a pas de vent favorable pour qui ne sait où il va » [Sénèque].

J'étais donc, hier, en pleine recherche d'emploi, cliquant de site en site, envisageant toutes les possibilités de métiers. Je rédigeais différentes versions de CV correspondant aux annonces auxquelles je répondais (veilleur de nuit dans un hôtel, enquêteur) ou celles auxquelles je me préparais à répondre (manutentionnaire, préparateur de commandes, chauffeur-livreur...), lorsque je reçois un mail de ladite comparse : une offre de poste qui semblait correspondre à mes désirs. Dans l'instant j'ai laissé tomber ce que je faisais pour me consacrer pleinement à cette opportunité inespérée. Quelques minutes de fébrilité, le temps de me poser les questions essentielles et de trouver la marche à suivre, et je fonçais sur un nouveau CV et lettre de motivation (hyper-motivé le gars !).

Bien sûr la motivation ne suffira peut-être pas à me faire décrocher ce poste, mais ce qui est important c'est de constater que mon énergie et ma détermination sont bien intactes, dès lors que je trouve ce qui correspond à mes aspirations. L'an dernier déjà, à la même période de l'année, je m'étais enthousiasmé pour un tout autre type de poste qui m'aurait obligé à déménager à l'autre bout de la France. Ça ne m'avait pas rebuté et, de la même façon, j'avais foncé en retrouvant toutes les ressources nécessaires. Bon, ça n'avait pas suffi, mais j'avais eu confirmation que l'énergie ne faisait pas défaut. Elle est bien là, elle ne demande qu'à sortir !

Ne pas savoir ce que je veux est un faux-problème. C'est simplement que je n'ai pas encore trouvé. Question de temps. À l'inverse, je sais bien ce dont je ne veux pas ! C'est le signe d'une certaine exigence... et probablement d'une bonne connaissance personnelle. Je désire simplement vivre en accord avec moi-même. L'apathie, qui en apparence pourrait me caractériser, n'est donc que conjoncturelle. Un temps de nécessaire mûrissement qui me permet de trouver ce qui peut concorder avec mes aspirations les plus profondes.  Je ne manque pas d'énergie, je cherche seulement où je pourrais la mettre en action efficacement. Là où je me sentirais suffisamment à l'aise, dynamique et efficace parce que compétent et intéressé.


* * *



J'ai noté, en relisant mon texte d'hier, une formule révélatrice de la dévalorisation culpabilisante dans laquelle je me perçois encore. J'ai écrit « j'inquiète mon entourage ». Comme si j'étais responsable de leur inquiétude ! Non : mon entourage s'inquiète pour moi. Ce n'est pas la même chose. Je ne cherche pas du travail pour les rassurer, mais parce que j'en ai envie (et besoin !).



* * *



Bon, avec tout ça je n'ai guère eu le temps de cogiter...







Jusqu'où m'aimes-tu ?




Jeudi 30 août


D'Italie, d'Espagne, de Grande-Bretagne, nos trois enfants sont revenus de leurs périples respectifs. Ça m'a fait plaisir de les revoir, tous en pleine forme ! Lundi, avec Charlotte, nous sommes allés chercher ensemble le (grand) petit dernier, accompagnés de notre fille. Sa présence était la condition sine qua non pour que Charlotte accepte que nous nous retrouvions "en couple" durant une heure de trajet vers l'aéroport. Notre fille s'est d'ailleurs amusée des précautions que nous prenions pour nous parler, prenant garde de ne pas heurter l'autre. C'est à la fois une preuve de respect... et un signe de prudence.

Dans la soirée Charlotte nous a tous invités pour un repas chez elle. L'ambiance était conviviale et détendue mais je ne me sentais pas vraiment à l'aise. Je suis resté discret. Le matin nous avions eu une discussion autour de l'argent, sujet de discorde récurrent, et je préférais adopter un profil bas. Charlotte n'a pas voulu me prêter de quoi renflouer un important découvert bancaire, alors que je me retrouve vraiment dans une mauvaise situation. Je n'ai pas insisté. Cela aurait réveillé bien trop de désaccords.

Mon manque d'argent n'est pas seulement un manque de liberté, c'est aussi un manque de consistance. Sans cette "puissance" (au sens de potentialité, "force") que confère l'argent, je n'ai pas la liberté de faire ce que je veux. Je n'ai pas de "pouvoir". Je me sens "dépendant", donc pas estimable. 

Vieille rengaine.

Dans les dernières années de notre couple Charlotte n'appréciait pas que je rapporte insuffisamment d'argent pour permettre à la famille de vivre sans se restreindre. Je ne pouvais que la comprendre, mais sans trouver de solution. Dans le regard qu'elle portait sur moi, je ne me sentais pas vraiment estimé. Avec le recul je me demande si cela n'a pas joué fort dans le manque existentiel que je ressentais. Je ne me sentais pas "fort" dans ses yeux. Je ne me sentais pas homme, pas adulte, pas autonome. Pas "beau", pas désirable.

J'étais, et suis toujours, pris dans une problématique qui me dépasse. Celle qui lie amour, argent, et indépendance. Je sais bien qu'il y a dans mes actes, ou non-actes, quelque chose qui cherche à s'exprimer au milieu de ça [mais quoi, bordel ???].

Retour d'un vieux compagnon de route : le sentiment s'insignifiance. Comme si je me débrouillais toujours pour en arriver à ce que je redoute. Retrouver ce qui m'est habituel. Confirmer cette idée que j'ai si bien adoptée dans mon adolescence : je suis incapable de réussite. Et finalement je deviens un boulet...

Pourtant je suis conscient de ne pas être le "raté" que je pensais être autrefois. Je ne me sens plus soumis à cette image dans mon quotidien... mais sur le long terme je dois bien constater que j'en suis arrivé à saboter l'image favorable que les personnes qui m'aiment avaient de moi.

Pourquoi ?

Est-ce une sorte de suicide affectif ? Ou un moyen de confirmer que je ne suis pas intéressant ? Une façon de vérifier si on m'aime vraiment tel que je suis, et jusqu'où ? Ou encore une façon d'affirmer ma singularité en ne faisant pas comme "on" aimerait que je fasse ?

Je ne sais pas... Ces mécanismes inconscients me dépassent. En tout cas ils sont redoutables ! En théorie je suis bien sûr totalement libre de m'en affranchir : « il suffit de... ». Mais en pratique c'est une lutte constante entre diverses représentations que j'ai de moi. Celui qui croit en lui et celui qui n'y croit pas. Et entre les deux ça se bloque.

Quelqu'un qui m'a connu de près a fini par me dire que je lui étais "toxique". Peut-être le suis-je, effectivement... Avant tout contre moi-même, mais aussi pour les autres par effet contaminant.



Bon... je ne baisse pas les bras [pas complètement...]. Voila des années que j'identifie la complexité de mon cerveau au fur et à mesure de l'avancement, et jusque là je n'ai pas renoncé. Je ne suis pas encore découragé [quoique... parfois...]. Peut-être que tout ce que je vis de difficile est une façon de trouver mes forces ? Car j'en trouve aussi, que j'aime en moi. Je pense notamment à mon fort désir d'aider les autres. Envie d'être utile à ceux qui en ont besoin. Aider ceux qui sont en souffrance.

Peut-être est-ce une forme de réparation ? Aider/aimer les autres.

Je crois que je n'ai plus vraiment besoin qu'on m'aime/aide pour aimer/aider. Je m'émancipe du besoin d'être apprécié. C'est ce qui fait que je continue à aimer qui m'a blessé en s'éloignant de moi. J'apprends à aimer les gens tels qu'ils sont tout en m'aimant tel que je suis. Aimer les autres dans leur différence. Et peut-être... oui, peut-être ai-je mis à l'épreuve les gens qui m'aiment : m'aimes-tu si ce que je fais te déplaît ? Jusqu'où m'aimes-tu ? Qui aimes-tu : celui que tu attends que je sois pour toi, ou l'être différent que je suis ? M'aimes-tu jusque dans ce que j'ai de plus intime, de plus sensible ? Jusque dans mes faiblesses et ma fragilité ? Quelle est la force de ton amour ? Jusqu'où puis-je compter sur toi ?

Ouais... peut-être qu'il est difficile de m'aimer. J'ai besoin de sentir cette force en l'autre qui consiste à ne pas perdre foi en ce qui nous lie. Sentir que la foi que j'ai en cette autre que je choisis est réciproque. Corresponds-tu à la confiance que j'ai en toi ? Est-ce que je n'attends pas de toi plus que tu ne peux me donner ?

Oui... ça semblerait assez cohérent avec ce que j'ai vécu ces dernières années.



Je me demande quand même si ce n'est pas une attitude suicidaire...






Mois de septembre 2007