Janvier 2007

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Trente ans d'écrits





Jeudi 4 janvier


Trente ans. Oui, trente ans que j'ai commencé à tenir un journal digne de ce nom. C'était le 4 janvier 1977, une année de référence dans mon existence. Celle d'un renouveau, la sortie d'une adolescence plutôt tristement vécue dans la solitude et l'isolement. Le bonheur, enfin... Cette année là l'amour platonique que je ressentais pour une fille de mon âge s'éveillait aux premiers émois de la sensualité et du désir. Et déjà j'étais dans le questionnement : devais-je oser lui avouer mes sentiments ?

Trente ans plus tard que reste t-il de ce jeune garçon timide ? A la fois peu et beaucoup. Je ne suis plus le même, et pourtant je me reconnais bien. Toujours un peu hésitant, avec la crainte de déranger. La crainte de m'affirmer.

Pourtant j'ai osé bien des choses, et ne me souviens pas d'échecs cuisants. Il me semble que je suis toujours parvenu à obtenir ce que je voulais, ou à y renoncer sans trop de frustration. Pour ce que je n'ai pas osé... je ne ressens pas de regrets. Si je n'ai pas poussé plus loin, c'est que je n'y étais pas prêt. Parfois il suffit d'y avoir cru pour avoir fait les avancées nécessaires pour une expérience suivante.

Maintenant, même si j'ai souvent des craintes, la vie ne me fait pas peur. Je sais que j'apprends de chaque expérience, de chaque audace, de chaque renoncement. J'aime beaucoup ce que devient ma vie, et ce que je deviens. Même si ça ne va pas aussi vite que ce que je souhaiterais. Je sais aussi que le temps est un allié et que ma patience est un atout.



L'année qui s'est achevée n'aura pas été des plus agréables de mon existence. Année de transition. Je me suis construit sous d'autres faces que les années précédentes, pourtant très fécondes. En 2006 j'aurais exploré mes profondeurs. Un travail d'archéologie psychique qui m'aura fait remonter à la source de mes angoisses.

Ce travail je l'ai effectué sans celles qui avaient accompagné ma vie et partagé mes sentiments. Ce sont d'autres liens qui ont pris le relais. Des amitiés qui me sont restées fidèles, se sont renforcées, et ont su m'encourager ou m'aider à voir plus clair en moi. Mes amours se sont éloignées, mais les amitiés se sont rapprochées. La chaleur des mots et une attention sans faille ont remplacé les sentiments enfuis.

Solitaire, je n'ai pas ressenti la solitude. J'y ai sans doute acquis davantage d'autonomie.

2006 aura été l'année de concrétisation des séparations et renoncements. Pas très facile à vivre, mais je crois pourtant avoir bien surmonté les chocs à répétition. La colère et la révolte m'ont parfois mené plus loin que je ne le voulais, mais je crois que ces moments d'expression spontanée ont été utiles. Ne serait-ce que pour me faire mieux comprendre ce qui les déclenchait.

L'année 2007 pourrait bien se révéler nettement plus apaisée. Sauf accident, les grandes épreuves sont derrière moi.

Je vais poursuivre mon travail de réconciliation avec moi-même. Continuer à réfléchir à mon rapport avec les autres. Tenter de comprendre pourquoi mes relations sont fluides ou bien complexes, et quelle part m'en revient.

Je vais aussi revoir en profondeur mon rapport à l'intimité.

Il s'est passé beaucoup de choses ces derniers temps, dont je n'ai pas forcément parlé ici. Peut-être est-il devenu temps de changer un peu de registre dans mes écrits. Prendre du recul maintenant que le temps de l'émotion brute est passé. Être davantage dans l'ouverture que dans le nombrilisme blessé.







Le grand art de la communication




Samedi 6 janvier


De temps en temps on me fait des remarques [ou je me les fais tout seul] avec une certaine récurrence. Que cela vienne de personnes différentes m'interpelle. Je les note alors précieusement dans mon calepin mental pour y réfléchir. Ces derniers temps j'ai ainsi découvert [ou redécouvert], que:

- Je me tiens à distance de mes émotions.

- Je suis "trop" dans l'analyse [ce qui revient sensiblement au même que ce qui précède].

Par ailleurs on me dit que je décris très bien les émotions, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes. Cela correspond bien à ma démarche puisque je cherche précisément à m'ouvrir à une part plus émotionnelle que rationnelle.

Je ne sais pas trop ce que je peux déduire de ces avis qui semblent contraires, mais je conçois volontiers que parler des émotions sans émotion peut surprendre. Toutefois une grande part de mon travail passe par l'écrit, qui est tout à fait propice à la mise à distance émotionnelle. Travail que je "restitue" évidemment à l'oral...

Au delà de cet aspect anecdotique, je sais très bien que si je parviens assez aisément à exprimer des émotions "positives", cela m'est nettement plus difficile pour ce qui et de l'ordre du ressenti "négatif". En fait, tout ce qui pourrait mener à une perte de contrôle dans le registre de la colère.

Je redoute toute forme de violence et de brutalité verbale. Celle des autres, et la mienne. Je suis donc bien dans une volonté de maîtrise de ce genre d'émotions. Pourtant je sais aussi que la saine colère est nécessaire pour marquer que des limites sont en train d'être dépassées. Mais je n'ignore pas que cela peut vite devenir un instrument de lutte [moindre mal], et surtout de domination [fort préjudiciable]. C'est en craignant cet aspect délétère que j'ai longtemps évité les situations conflictuelles.

Ça change... doucement.

Je sais désormais bien mieux gérer que dans un passé récent les effets des pertes de contrôle et dérapages d'autrui, et l'agressivité qui en découle. Je constate que je parviens à filtrer pour ne laisser passer que le fond du propos en laissant de côté la forme. Mais ce tri ne se fait pas sans une certaine énergie, coûteuse, que je ne devrais peut-être pas prendre à ma charge. Le fait que je parvienne à prendre du recul ne doit pas me faire oublier que j'ai des limites. Sinon... je risque d'accumuler et plier sous la charge. Ou alors de tout restituer d'un coup, ce qui anihile les avantages du travail antérieur.



Pour illustrer ce à quoi je fais allusion, deux exemples de discussions faisant suite à des opinions émises qui m'ont quelque peu fait sursauter.

Lui: « J'ai rien contre les pédés (sic), mais bon... j'estime qu'ils n'ont pas à étaler leur intimité dans la rue. »

Moi: « Là tu fais de la discrimination. »

Lui: « Non non, je les respecte, mais bon... quand même... c'est pas normal ».

Moi: « Pourtant tu acceptes que des hétéros s'embrassent dans la rue »

Lui: « Mais c'est pas pareil ! »

Moi: « En quoi ce n'est pas pareil ? »

La discussion se poursuit pour arriver un peu plus tard à des phrases du genre « L'homosexualité c'est quand même une déviance ! C'est malsain ! Ils sont libres, mais quand même... Mais je les respecte, hein, d'ailleurs j'ai des amis homos. ».


Autre exemple:

Lui 2: « Un gars qui veut coucher avec une fille peut aller dans un bar, il trouvera facilement une salope qui est d'accord »

Moi: « Ah bon ? Une fille qui couche avec un inconnu est une salope ? »

Lui 2: « Ben oui, on appelle ça une salope ! »

Moi: « Et ça ne te dérange pas qu'une femme qui ait une sexualité libre soit qualifiée de façon aussi péjorative ? »

Lui 2: « Ben non... »

Moi: « T'as pas l'impression que c'est une discrimination, puisque les hommes qui ont le même comportement ne se voient pas dénigrés ainsi ? »

La discussion qui a suivi de ce point de départ s'est assez mal terminée, après être fortement montée en pression...



Je vous laisse imaginer tout ce qui peut apparaître de refoulé dans ce genre d'échange lorsque je cherche à pousser les "arguments" de différenciation un peu plus loin que les fausses évidences. Le trouble que ce refoulement suscite en étant mis à jour induit des attaques personnelles plutôt virulentes. En clair : je me fais agresser, parfois violemment, parce que je met l'autre face à ses incohérences et qu'il n'apprécie pas vraiment cela.

Bon... de quoi je me mêle aussi ? Pourquoi est-ce que je cherche à prendre la défense de catégories de personnes discriminées ? Là c'étaient les homosexuels et les femmes... alors que je n'appartiens même pas à ces groupes ! Faut croire que j'ai un petit problème à régler avec l'exclusion...

Pour compliquer un peu les choses, si en plus de faire des remarques sur le caractère discriminant je me permets de dire calmement à l'autre que son comportement agressif nuit à la discussion... ça peut passer assez mal et empirer fortement le phénomène. On me rétorque que je juge, que je donne des leçons en me plaçant dans une position de supériorité, que je fais exprès de ne pas comprendre, que je pinaille sur le sens des mots... [ben oui, pédé, tarlouze, ou homosexuel c'est la même chose, hein ?]

Là ça devient ardu.

Peut-être parce que je ne m'exprime pas de la bonne façon: la violence des propos n'est qu'un ressenti personnel, alors que je la présente comme contraire a des règles universelles de communication interpersonnelle. Donc, effectivement, j'érige mes opinions en "vérités", ce qui est maladroit... et incertain [toujours garder une part de doute...]. Après tout la violence est bien une forme d'expression...

De plus, j'oublie que je n'ai pas à attendre des autres qu'ils auto-analysent leurs pensées et comportements, ou se remettent en question comme je m'efforce de le faire moi-même. Mon exigence à cet égard est un choix personnel.

En fait, il faudrait non seulement que je prenne du recul par rapport à l'autre et son agressivité envers moi, mais aussi que je me parvienne à assumer cette prise de distance jusqu'au bout. C'est à dire en n'évoquant pas l'effort d'acceptation que je dois faire. Ce qui reviendrait à laisser l'autre entrer en ébullition tout en évitant moi-même de surenchérir, en prenant le risque de me faire éclabousser par des mots venimeux.

Je me demande si c'est une bonne chose que d'accepter cette animosité unilatérale. Et en même temps je ne pense pas que de répondre dans le même registre soit productif. 

En fait, je sais très bien comment il me faudrait réagir: comprendre que la brutalité de l'autre trahit un mal-être personnel. Et donc me mettre à son écoute plutôt que chercher à poursuivre une discussion qui s'enlise... tout en sachant exprimer mes limites [donc en étant attentif à mes ressentis émotifs]. Et puis "oublier" mes valeurs personnelles, qui sont autant de barrières à l'ouverture à cette fameuse différence. Bref, ne pas faire ce que l'autre fait avec moi.

C'est pas facile...

Je me rends compte que cela demande une très grande assurance en soi pour ne pas se laisser "envahir" par le bouillonnement interne d'autrui. Une assurance qui reste cependant ouverte à l'autre, c'est à dire prête à la remise en question.

Vraiment pas facile...

Et pourtant, sans cela je ne crois pas que je puisse avoir des échanges constructifs et enrichissants sur le fond [ils le sont toujours sur la forme, mais bon...].

Peut-être qu'il me faut apprendre à renoncer au fond lorsque la forme ne me convient pas ? Sinon c'est la forme qui finit par devenir le fond... Deux discussions en parallèle, dont on finit par ne plus savoir dans laquelle on se situe.



Ce qui me laisse perplexe et interrogatif c'est qu'on puisse me percevoir comme quelqu'un qui se sentirait en position supérieure lorsque j'essaie de fluidifier une discussion en pointant sur ce qui la fait déraper. C'est à dire tout ce qui est fermeture, exclusion, intolérance, accusations, projections, culpabilisation. À ces moments-là je ne vois plus d'issue pour me faire comprendre. Il se pourrait bien qu'il n'y en ait pas d'autre que de me taire, sous peine d'être envahi et de me laisser emporter à mon tour.

Hé hé... le silence préférable à la communication, voila un surprenant retournement de perspective ! Je commence à en voir les intérêts...

Car si je persiste dans ma volonté de décryptage des raisons du blocage, je me retrouve très vite dans la posture du donneur de leçons, intolérant vis à vis des intolérants. Nouveau paradoxe qui se mord la queue...


Bizarrement, avec certaines personnes (ou sur certains sujets) les échanges sont très fluides et on m'attribue même une certaine sagesse et une grande capacité écoutante. Dois-je préciser que ces personnes s'efforcent de ne pas être intolérantes, ou du moins savent reconnaître qu'elle peuvent l'être sous le coup de l'impulsivité ? Tant qu'on refoule sa propre intolérance il reste inadmissible d'y être confronté.

J'en arrive donc à me demander si je dois me laisser aller à participer à des discussions qui se batissent sur une forme de rejet de la différence [ce dont moi-même ne suis pas exempt...]. En essayant de faire prendre conscience de ce rejet, qui semble souvent largement inconscient, je me heurte à des barrières qui ne sont pas érigées par hasard. La peur de la différence ne se laisse pas convaincre par des arguments. Et moi, en insistant, je touche à ces barrières. La violence que je reçois en retour est un mécanisme de protection qui indique que je ne dois pas aller plus loin, quelle que soient mes impressions d'injustice et ma révolte à cet égard. Mon besoin de réduire les injustices [je vais devoir m'interroger à ce sujet] me conduit à devenir envahissant dans le fonctionnement intime d'autrui. Donc "violent" envers l'autre...

Ben zut alors !

Parfois, parce que je me vois devant des personnes qui semblent très sûres d'elles, je me sens autorisé à démonter leurs certitudes. C'est très probablement une erreur dans la méthode. Il serait plus judicieux que je les incite à prendre conscience des limites que je perçois dans leur raisonnement... tout en ne faisant pas sentir la manoeuvre, et sans forcer quoi que ce soit. Proposer, mais sans insister. Du grand art...

Je crois que j'ai encore beaucoup à apprendre des relations humaines. Et ça passera par une compréhension de mes propres réactions face à la colère, l'exclusion, l'agressivité...

Donc par... l'analyse et la prise de distance avec mes émotions refoulées, pour mieux être en prise directe avec des émotions entièrement acceptées.


Mouais... voila un long détour pour revenir [presque] aux remarques du départ...






Ce qui doit arriver




Lundi 8 janvier


En moi il y a deux êtres. L'un est plein d'inquiétudes, voudrait que sa vie change rapidement. L'autre est absolument serein, et sait que tout ce qui arrive est bon et se produit au bon moment.

Ici c'est souvent mon être tourmenté qui s'exprime, parfois même lorsque je parle de mon être pacifié. Mais lorsque je suis seul, ou que je parle avec des personnes avec qui je me sens en confiance, c'est ma personnalité calme et pleine d'assurance qui s'exprime.

Je crois que les mots viennent plus facilement dans la spontanéité que dans le temps de réflexion que demande l'écriture.

Au moment où j'écris ces mots, je me sens pourtant tout à fait en paix. Je viens de lire des textes qui m'ont permis d'atteindre cet état. Je le perçois de plus en plus souvent et j'y accède de plus en plus aisément. Il sufit que je me laisse aller.

Trop souvent je me perds dans des analyses interminables. Elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles sont. Parce qu'à ce moment là j'ai besoin d'analyser. Ces temps ne sont pas apaisants, mais ils me permettent ultérieurement d'atteindre la paix, parce que les choses ont révélé leur sens.

Je sais que le temps que je passe à ne pas avancer m'est utile pour me libérer du blocage. Si je bloque sur quelque chose, c'est parce que je n'ai pas encore compris ce que ce blocage cachait.

Et finalement ma sérénité vient du fait que je sais être sur le chemin qui me convient. Même s'il est parfois douloureux, cette douleur m'indique que je n'ai pas encore atteint le détachement suffisant pour aller plus loin.

Je sais que je me porte trop sur l'avenir, parce que je n'ai pas encore intégré que c'est au présent que je devais vivre. Je le sais, mais pas suffisamment intimement. En observant cela, en constatant que regarder vers l'avenir suscite de l'inquiétude et me déplace de l'instant présent, je comprends peu à peu que je suis dans l'erreur.

Je sais aussi que cette réflexion approfondie que je mène sur moi consomme de mon énergie. Je pourrais me dire que c'est du gaspillage puisque j'en suis conscient. Mais ce serait ne pas accepter ce qui est. J'ai pour le moment besoin de passer toute cette énergie, pour comprendre intimement que c'est vain. Ma rationnalité et une conscience beaucoup plus profonde se mesurent l'une à l'autre. Je sais qui l'emportera, mais pour le moment la rationnalité résiste. Et j'accepte cela.

J'accepte tout ce qui se passe, même mes résistances, même mes souffrances. Je n'ai guère de certitudes dans la vie, mais j'ai celle de m'insérer dans ce qui doit se faire au moment où ça doit se faire.

Ainsi tout ce que j'ai relaté depuis quelques années, autour de cette relation qui, quoi qu'il se passe, est fondamentale dans mon parcours de vie, à un sens. J'acepte tout ce qui arrive parce que chaque chose a une raison d'être. La rencontre et la séparation ont autant de raison d'exister l'une que l'autre.

Et ce que j'ai écrit là peut paraître un peu allumé, mais je me sens parfaitement bien en l'écrivant.






Seul en moi




Dimanche 14 janvier


Il y a un mois je me suis mis à l'écart d'une relation qui, telle qu'elle était devenue, ne me convenait vraiment plus.

J'ai donc choisi de m'épargner en quittant une situation que je trouvais particulièrement frustrante. C'était aussi une façon de protéger ce qui restait de la relation -status quo- tout en laissant tranquille ma partenaire. Simultanément, en me mettant entre parenthèses, je me donnais le temps et les moyens de mûrir seul. C'était devenu nécessaire. Bien plus que je ne l'aurais crû.

Il fallait que je passe par une décision personnelle. Que je retrouve mon libre arbitre. Ma dignité. Oui, parfaitement: ma dignité. Je m'étais trop humilié, comme un con pitoyable. Mais c'est comme ça qu'on apprend...

Cette relation emblématique, que pour de multiples raisons j'ai très profondément investie, était très fortement chargée d'affects, et dans des domaines qui touchaient à la structure de ma personnalité. Ce n'est pas un hasard si elle est à ce point significative dans mon parcours de vie...
A ce titre ma reprise d'autonomie était symboliquement très importante parce que "réparant" les fondements défaillants de ma construction psychique en matière de relations affectives. En me libérant d'une soumission venue de mon fait, j'ai trouvé la clé qui expliquait ce comportement aberrant (mais tout à fait logique selon ma construction mentale enfantine).

Je sais maintenant que cette émancipation était indispensable. Un passage obligé qu'une démarche seulement intellectuelle n'aurait pas pu entériner. Je devais être agissant.



De n'être plus dans l'incertitude a fait de la place dans mes pensées obnubilées et m'a ouvert des portes. J'ai pu me recentrer sur moi plutôt que de demeurer dans un "nous" déliquescent pour lequel, manifestement, il n'y avait plus du tout équivalence dans le désir de partage. J'avais besoin de savoir ce qu'il en restait, et comment me situer par rapport à ça. La situation, enfin devenue claire à mes yeux, m'a permis de trouver une paix plus complète. Je n'avais plus à lutter sans savoir comment, ni contre quoi. J'ai retrouvé la place de m'écouter. C'est impressionnant de voir à quel point l'incertitude génère du trouble... lorsqu'on veut en sortir rapidement.

Mais justement: avec mes deux séparations j'ai compris (intégré plus profondément), que l'inquiétude est due à une projection de soi vers un avenir redouté. Une fantasmatisation prospective fondée sur des craintes. Alors depuis quelques temps je m'efforce de laisser l'avenir de côté et je me concentre sur le présent. Une relation fonctionne mal ? L'autre n'y est pas investi autant que j'aimerais ? Soit... j'accepte qu'il en soit ainsi. Je laisse faire ce qui doit se faire. De toutes façons, tant que je suis seul dans un désir relationnel je ne peux rien changer au présent. Sauf m'adapter. Une relation n'existe qu'à deux.

Mais je peux agir pour que mes désirs puissent devenir réalisables. Penser et vivre au présent, tout en agissant pour me préparer à un futur désiré. Agir en ayant analysé les erreurs passées, pour faire mieux à l'avenir. Voila un objectif réaliste, ancré dans le terreau de la réalité vécue. Je peux y semer mes graines d'avenir.

Ainsi je ne me prive pas de projets, tout en acceptant qu'il me faille mettre en oeuvre certains actes pour les réaliser. Un projet c'est du désir, donc moteur de vie. En me donnant le temps de l'action, en me concentrant sur le présent, je m'évite le stress et la frustration de ne pas y parvenir plus rapidement que ce n'est possible. Je me laisse aussi le temps de voir si c'est possible... ou pas. Autrement dit: je laisse le temps au temps. Sans toutefois oublier que... la vie est courte. Mais pas au point de me stresser jusqu'a dépasser mes limites. Le stress c'est de la non-vie.

Tout est question d'équilibre, comme toujours...

Parce que j'ai voulu aller plus vite que je ne le pouvais, j'ai été projeté "hors de moi". En dépassant mes limites, en ne respectant pas ma vitesse évolutive, je me suis disloqué. Je n'ai plus été moi-même, mais une juxtaposition d'êtres en disharmonie. Enfant et adulte simultanément, en décalage. En opposition. Un être multiple que moi-même je ne saisissais plus.

Entre deux états du moi, je n'étais plus moi. Ce n'est qu'avec l'effacement progressif de l'enfant, dans l'inconfort et pas sans douleur, que l'adulte pouvait conquérir sa place. Quitter les vieilles habitudes et grandir en optant pour une lucidité nouvelle.

Tout ça je l'ai appris de mes souffrances imbriquées, patiemment décortiquées. Je suis certain que ça vallait la peine d'y passer tout le temps nécessaire. Inestimable expérience qui, parce qu'elle faisait partie d'un processus évolutif, ne se reproduira certainement pas: c'est un acquis. Je pense avoir compris, et continue à comprendre ce qui devait l'être. Tout ce qui s'est passé m'a été utile, le bon comme le mauvais. C'est pour ça que je n'ai jamais eu de regrets.



Il m'arrive souvent de me dire qu'on a été sacrément bêtes, tous les deux, de nous éloigner dans la difficulté plutôt que de nous serrer les coudes et de nous entraider. Mais c'est uniquement parce j'ai le recul de la lucidité, conséquence de cet éloignement. Je sais bien, maintenant, que je devais en passer par cette déchirure révélatrice, c'est une évidence...

Nous devions nous frotter l'un à l'autre, sentir les aspérités que cachaient les douceurs. Personne n'est lisse.

Cette acceptation n'est ni fatalité, ni résignation devant ce qui pourrait ressembler à un "destin" prédéterminé. C'est la simple aceptation de ce qui est. Rien n'est tracé d'avance, même si tout s'explique en regardant en arrière.







Question de place




Mardi 16 janvier


Et si mes incessants questionnements existentiels avaient pris trop de place dans mes relations affectives ?

Avec Charlotte, c'est parce que mon besoin d'échange était frustré que je me suis ouvert à l'extérieur du couple, avec les conséquences que l'on sait. Mais avec nathalie, n'est-ce pas aussi un décalage dans nos désirs de partage qui est venu perturber la relation de complicité ?

Mes questionnements n'étaient-ils pas devenus envahissants ?

Voila le genre de parallèles qui s'imposent à moi lorsque j'observe chacune des relations et leurs dysfonctionnements. D'une séparation à l'autre j'apprends beaucoup sur moi. Et finalement, de façon assez cocasse, j'apprends par Charlotte à mieux comprendre nathalie, et inversement. Dans les deux cas j'apprends sur les dynamiques relationnelles et le rôle que j'y ai joué.

Étant entendu que chacune de mes partenaire apportait avec elle sa part de complications comme sa part de simplifications, j'essaie maintenant de réfléchir à ce que moi j'ai importé de néfaste dans ces relations. Au présent, c'est la seule chose sur laquelle je peux agir...

C'est une démarche qui se montre efficace puisque la relation que j'ai avec Charlotte s'est simplifiée, devenant pacifique. Je suis plus attentif à ce qui peut faire déraper une situation, évite les sujets dont elle ne veut pas parler, ressens mieux les malaises naissants (en elle ou en moi), et m'exprime plus directement. Je parle au "je", exprimant mes ressentis, me fiant à mes intuitions, capable de me positionner face à ses dérives, sachant aussi me taire à bon escient, et dire fermement ce qui doit l'être... sans animosité. Ironiquement, là encore, j'applique certains préceptes appris auprès de nathalie.



Mais qu'ai-je donc apporté de néfaste dans ces relations ?
Mes problèmes existentiels, ma psyché perturbée, mes bases instables, mes refoulements. Bref, tous mes questionnements non-résolus et autres imperfections. Comme tout le monde quoi...

Mais j'ai aussi importé d'autres chose: curiosité, soif de découverte, désir d'avancer, capacité au dialogue et à la remise en question, volonté de pacification, persévérance. Sauf que ces "atouts" peuvent devenir étouffants pour qui ne ressent pas le besoin d'aller aussi loin que moi.

Entrer en relation avec quelqu'un implique la "mise en commun" des particularités de chacun. Par contre, de la façon dont est gérée cette mise en commun découle la qualité de la relation. Tout le défi de la durée se situe là.

Et moi, en recherche de partage tout en manquant d'assurance, me connaissant insuffisamment et avide de confiance réciproque, aussi inquiet que patient, j'ai eu tendance à envahir la relation avec mes propres problématiques... tout autant qu'à me laisser envahir par celles de mes partenaires. N'ayant pas suffisamment établi de frontière entre les personnalités tout cela avait pris beaucoup de place dans ma vie et m'acculait vers mes limites. Faut-il s'en étonner, vu mon manque d'expériences relationnelles ? Ben oui... je manquais cruellement de recul.

J'étais encore ignorant de tant e choses...

Ma relation avec nathalie m'a fait comprendre, en potentialisant le bagage accumulé avec Charlotte, beaucoup de ce qui était resté obscur en moi, inconscient, invisible, imperceptible durant plus de deux décennies de vie conjugale. Mon expérience du couple était certes longue, mais étroitement limitée à son unicité.

Toutefois, d'autres relations affectives, quoique moins impliquantes, on aussi joué un rôle indéniable. A savoir mes amitiés sentimentales précédant la rencontre de nathalie, ainsi que le travail de renoncement tardif à mon premier amour, il y a une douzaine d'années. Ces autres "expériences" avaient préparé le terrain. Notamment pour ce qui se joue en ce moment en terme de séparation avec transmutation, ou non, en amitié "simple".



Fort de ces enseignements me voila donc "homme nouveau", chaque jour plus libre dans ma tête que la veille. Je deviens beaucoup plus apte à vivre des relations sereines, ayant très largement exploré mes désirs en matière relationnelle, ainsi que mes points faibles dans la dimension amoureuse.

Je suis devenu célibataire, et ce n'est assurément pas un hasard. Ayant défini ma façon de vivre les relations, je ne désire pas me lier de nouveau dans la dimension amoureuse. En tout cas pas pour le moment. Et ce n'est pas parce que ma libido commence à ressentir... hum... un certain désir de partage sensuel [oui, bon... sexxxuel...] que cela me porte vers une attente sentimentale. Je crois que j'ai maintenant très clairement dissocié les deux. Reste à savoir comment je peux vivre, en pratique, cette dissociation... Mais ça c'est une autre histoire que, par décence, je ne relaterai pas ici.

En fait je ne pense pas avoir actuellement, raisonnablement, la place d'avoir quelqu'un de plus dans ma vie sentimentale [quoique...]. Je ne suis pas "libre" [quoique...]. Occupé par... tout ce que j'évoque ici, je suis encore dans l'analyse. Je sais cette étape nécessaire pour devenir suffisamment indépendant d'autrui (autonome, disait ma partenaire). Et même si parfois cette problématique envahit un peu mes pensées (notamment lorsque j'écris ici...), je crois que je vis très bien ainsi. 

Mouais... tu le "crois", mais ce n'est pas forcément vrai...

J'aime "avancer", j'aime comprendre le fonctionnement humain. Le moment est favorable alors j'avance !

Pas certain que ce soit forcément une bonne chose...
En analysant tu te maintiens dans ce dont tu cherches à t'éloigner. Il serait peut-être temps que tu prennes un vrai recul. Là tu tournes quand même beaucoup en rond. Tu progresses peu. Et pour quel usage ? Les effets bénéfiques demandent peut-être un peu trop d'énergie et de temps. Pourquoi cette obstination ?


Parce que j'ai du mal à renoncer...

Il ne s'agit pas de renoncer, mais d'accepter la réalité. Tu sais pourtant que c'est là que réside la solution.

Oui, je le sais.

Et la réalité c'est que la proximité que tu désires n'est pas partagée. Donc pas possible.

Je sais...

Alors prends-en acte... et vis.

...








Penser et vivre




Mercredi 17 janvier


Ma mère m'a téléphoné pour prendre de mes nouvelles, après une dizaine de jours sans que nous n'ayons eu de contact. Lorsque je suis préoccupé, ou que je sais ne pas pouvoir raconter mes soucis sans inquiéter mes parents, je ne prends pas l'initiative de les contacter.

Cette fois je lui ai dit, aussi clairement que je viens de l'écrire. Je lui ai expliqué que j'avais des ami(e)s qui me permettaient de parler de sujets... pour lesquels elle ne pouvait pas forcément m'aider. Je lui ai un peu parlé de ce que je vis actuellement et du "travail" que cela me demande.

En fait je vis plutôt sereinement maintenant, mais cette sérénité est issue d'un travail constant. Vu ma situation actuelle et ce que j'ai vécu ces derniers mois/années, j'aurais eu de quoi être perturbé. Je le suis assez peu parce que je passe beaucoup de temps à analyser et réfléchir à ce qui peut m'offrir des portes de sortie. Oui, ce "trop de temps" dont je parle parfois ici, qui mange une part non négligeable de ma vie, m'est très utile pour vivre bien. Finalement, si en écrivant sur ce journal je me sens parfois mal à l'aise, c'est parce que je suis pris entre deux logiques contraires : m'exprimer m'aide à vivre en paix, mais le temps de la réflexion absorbe ma vie. Cela suscite des tiraillements intérieurs et des états d'âme qui peuvent parfois me porter jusqu'à la nausée (quoique ce n'en soit pas la seule raison...).

J'ai une double vie, cérébralement très active, qui me permet de bien vivre... lorsque je ne pense pas.

Ma mère a semblé inquiète de ce que je lui disais.

Je lui ai répondu que mon changement de vie, cette "crise", était un état temporaire. Même si ça fait plusieurs années que ça dure, je sais que c'est un "investissement" sur l'avenir. Je suis en phase de mutation et je l'exploite autant qu'il m'est possible. D'une certaine façon, pendant ce temps, je ne vis pas vraiment... Et pourtant si, mais je vis autrement que ce qu'on considère comme la vie "normale". Cette vie cérébrale intense, largement tournée sur les ressentis, les émotions, et l'auto-analyse psychologique, donc très égocentrée, est un passage que je sais utile. C'est parce que je fais ce "travail" que je peux m'ouvrir de plus en plus aux autres. Non pas que je me sente particulièrement altruiste dans les faits (ce serait me leurrer), mais parce que j'ai acquis la capacité de communiquer assez librement. Et ça, vu ce que j'étais auparavant, c'est énorme !

Je viens de loin... Introverti, peu capable de m'affirmer, je ne me sentais pas vraiment exister. Sauf dans la solitude. Boaf... est-ce vraiment la vie ? Oui, j'existais aussi au sein de ma petite famille. Fondamental, mais pas suffisant.

Si mon existence a changé c'est bien parce que j'ai fait un travail sur moi-même et que j'y ai consacré une énergie considérable et durable. Je n'ai pas eu la "chance", étant enfant, d'avoir un environnement familial qui m'aurait donné confiance en moi. J'ai dû réparer ce désavantage.

Celui que je me sens être aujourd'hui est très différent de celui que j'étais il y a quelques années. Maintenant je peux dire que je vis, et que je suis en relation avec les autres. Encore insuffisamment, certes, mais je n'ai pas l'intention de m'arrêter à ce stade. C'est l'objet de toute cette énergie que je consacre à vivre en paix.

Je le fais d'autant plus activement que jusque-là je disposais de temps, ce qui ce ne sera certainement plus le cas très longtemps. Ma remise en question existentielle avait en effet porté jusque sur mon métier et les raisons qui m'avaient poussé à le choisir. Mais là aussi la crise à tout changé et j'ai pris le temps de préparer un tournant de carrière. Prendre le temps... ça n'est pas sans conséquences sur l'argent, on le sait bien. Ma situation financière ne va plus me permettre de prendre autant le temps d'évoluer dans mon fonctionnement psychique. D'ici peu il se pourrait que j'aie moins le loisir de penser...







Casse-tête




Vendredi 19 janvier


A force de prendre du recul et de varier les angles de vue les énigmes s'éclaircissent. Les instructions sibyllines qui m'avaient été données, jusque là trop nébuleuses pour moi, révèlent leur sens. Les indices glanés et compilés se relient, se placent et s'assemblent. L'image devient cohérente.

« Ah d'accooord... c'était donc ça !? »

Ben oui, ce n'est que maintenant que je crois avoir compris les mystérieux choix de ma partenaire. Comme s'il m'avait fallu aller jusqu'au bout du casse-tête pour voir sous quel angle j'aurais pu l'appréhender au départ, et trouver le bon ajustement.

Maintenant, en repassant le film en marche arrière, je saisis enfin le sens qui m'échappait. C'est la chute qui lève l'ambiguïté de ce qui a précédé.

Oui... maintenant je comprends...

Maintenant seulement... parce qu'il s'est passé tout ce qui m'a fait arriver à maintenant.


Chercher à comprendre l'être aimé qui s'éloigne est un douloureux casse-tête. A se taper la tête contre les murs. A en perdre la raison.

Je n'avais que besoin de comprendre.
De le comprendre...