Octobre 2006

Dernière mise à jour:vendredi 27 octobre 2006 - Accueil - Premier jour - Archives - Message



Le temps du vide



Mardi 17 octobre


Pour je ne sais quelle obscure raison l'intégralité de ce site avait été vidée par l'hébergeur depuis quelques jours. Une vilaine page de type "erreur 404" répondait à toute tentative d'accès. Avais-je dépassé le volume d'octets attribués ? Y a t-il eu un bug ? Serait-ce dû aux rachats successifs de l'hébergeur (par Tiscali, puis Alice, apparemment filiale de Télécom Italia) ? Quoi qu'il en soit, averti par une lectrice, j'ai entrepris de restaurer l'ensemble. Il me faudra un certain temps pour que tout soit de nouveau accessible dans les archives d'avant 2003 (ancien journal "Idéal et réalité"), plus complexes à gérer du fait de la construction alambiquée des pages de cette époque.

De retour après une absence de quelques jours, me retrouver ainsi spolié, dépossédé de ce site, m'a fait prendre conscience de la fragilité de ce qui semble acquis. Ainsi en est-il de ma présence en ce cyber-monde, dans lequel je n'existe que par la possibilité que j'y ai de m'exprimer en un lieu connu de ceux qui me lisent. Nous sommes, écrivants du net, tous dépendants de ces hébergeurs gratuits qui peuvent, du jour au lendemain, nous supprimer.

Cet incident, sans gravité, se produit à un moment singulier de mon parcours puisque je suis en train de vider la maison où je vivais, tandis que ma compagne évide de sa présence ce qui fût notre nid familial. Meubles et pièces qui se vident... Par ailleurs une autre relation essentielle et fondamentale semble s'être vidée de sa substance, vidée de ses échanges nourriciers. Dans un autre registre c'est mon avenir professionnel qui est vide de projets tangibles. Pourtant tous ces vides ont un avantage: ils font de la place, remettent les compteurs à zéro, offrent de nouvelles perspectives, libèrent du temps et de l'espace. Et permettent de construire autre chose à la place...



Par ailleurs, on l'aura remarqué, j'espace de plus en plus mes interventions ici. Ce n'est pas par lassitude vis à vis de l'écriture, mais par effet de mutation: je m'interroge sur le rôle qu'ont pu jouer mes écrits sur mon existence et mes choix. Quel personnage ai-je fait naître en voulant être au plus près de l'authenticité ? Suis-je à sa hauteur ? Qui suis-je, entre le théoricien de l'écrit et celui qui doit s'adapter à sa propre réalité ? Suis-je ce que je désire être ?
Autant d'échos pour ce "moi fictionnel" dont parle Valclair. Ce journal m'a mené fort loin à la découverte de moi-même, mais simultanément m'a fait prendre conscience du décalage qui existe entre ce que je suis vraiment et ce que je pense être. Ou voudrais être. Décalage dont il ne dépend que de moi de le réduire, pour peu que je m'en donne le temps. Ne pas céder à la tentation du résultat immédiat.

C'est lorsque je me trouve éloigné du monde instantané de l'internet qu'il m'arrive d'avoir l'impression d'y vivre dans un monde parallèle. C'est tellement différent de ce qu'est la réalité sensorielle... Au point que je me demande parfois si je ne devrais pas tout couper. Me déconnecter de la toile. Revenir au monde réel et tangible, celui des limites et des contraintes, mais aussi celui des sensations, des plaisirs, du temps et de l'espace retrouvés. La liberté que l'écriture offre aux pensées ne serait-elle pas un détournement de réalité ? Que suis-je si je ne reste que dans le cérébral ?

Quitter ce monde "virtuel", aux sensations et émotions pourtant bien réelles... l'idée me trotte dans la tête depuis pas mal de temps. L'effacement inopiné de ce site offrait une belle occasion, et d'autant plus que durant quelques jours d'absence mes questionnements s'étaient réactivés... Pourtant je n'ai pas saisi cette opportunité. Je ne crois pas que je pourrais résister au sevrage définitif d'un moyen de communication qui a tant contribué à changer ma vie. Par contre je peux faire évoluer mon rapport à cette écriture publique, et je pense que c'est ce qui opère ces derniers temps. J'avais déjà commencé à organiser cette masse colossale d'écrits, pour les rendre accessibles selon les différents thèmes que j'ai été amené à développer. J'ai aussi dans l'idée de conserver ce travail, et pour cela de le déposer en archives ailleurs que seulement sur le net. C'est le signe tangible d'un détachement, d'une mise au passé.

En fait, et ce n'est probablement pas vraiment surprenant dans une période telle que ce que je vis, j'ai l'impression qu'une profonde mutation est en cours. La plupart des piliers et repères de mon existence ont été déplacés, modifiés, ou se sont délités. D'autres, solides, ont émergé du chaos. Je crois que le séisme est passé et que le temps de la reconstruction est venu. Patiemment...







Face à moi-même



Lundi 23 octobre


Ça se passe en Afrique, dans une région pauvre soumise à une insécurité latente. Une femme européenne travaille dans un village, en mission humanitaire temporaire. C'est la première fois et elle ne connaît pas encore très bien les usages. Elle est effarée par la pauvreté et les menaces qui pèsent sur la population, qui peut être spoliée d'un jour à l'autre de ses terres et du village. L'occupant dispose d'un pouvoir dont il peut user à sa guise, suivant un plan d'appropriation. Une population opprime une autre.

La jeune femme inexpérimentée s'est prise d'affection pour un enfant d'une dizaine d'années, qui l'accompagne souvent de sa bonne humeur. Elle sait qu'elle ne peut rien pour la population mais elle a envie de tenter quelque chose pour l'enfant. Elle sait que d'autres qu'elle, expérimentés, on réussi à sauver discrètement des enfants. Un jour, sentant les menaces approcher et alors qu'elle doit revenir en Europe, elle prévient le jeune garçon et un de ses amis, plus âgé. Elle leur demande de se préparer. Elle veut les emmener dans son pays, à l'insu des autorités et de toutes les règles internationales. Elle ne se cache pas particulièrement. Elle est persuadée qu'elle saura se débrouiller pour les cacher et les exflitrer, puis s'occuper d'eux afin de les sauver de la misère et d'une mort violente, toujours à craindre.

Les deux jeunes garçons, le jour du départ, ont revêtu des tenues occidentales. Un jeans et une chemisette colorée, surprenants dans cette contrée pour eux qui portaient habituellement des vétements traditionnels, c'est à dire presque rien. Ils montent dans le véhicule tous-terrain, conduit par la femme. Elle agit presque ouvertement. Je les regarde s'éloigner et bientôt tourner au bout du village, sur la piste de terre rouge. A peine sont-ils partis qu'un véhicule militaire les suit à vive allure. Des hommes armés sont à bord. Ils avaient probablement observé la scène de loin avec des jumelles. Ils rattrapent le premier véhicule et demandent aux deux garçons de descendre. La jeune femme blanche proteste, dit qu'elle veut les sauver, mais elle sait qu'elle vient d'enfreindre une règle. Les militaires lui demandent poliment de partir, après avoir fait descendre les jeunes garçons. Je les vois revenir tous les deux à pied et j'entends le plus jeune marmonner qu'il aurait préféré ne jamais rêver, que c'est maintenant bien pire de revenir sur sa terre de misère. Il semble avoir vieilli de dix ans. Il a perdu son innocence, il ne sourit plus et une grande tristesse inonde son regard.

J'essaye de lui parler, de lui expliquer que la femme blanche a voulu bien faire, qu'elle croyait vraiment que ça pourrait marcher. Il ne m'entend pas, perdu dans ses pensées et son silence, revenu défintivement dans son monde, dont il regrette d'avoir cru pouvoir s'échapper. Il ne veut plus rêver. Sa vie est là et il ne veut plus faire confiance à aucun blanc.



Je me suis réveillé là, sans transition réelle avec le sommeil. C'est comme si je venais de vivre la situation. Rêve singulier pour cette première nuit qui suit le départ de Charlotte. Rêve ultra-précis, très réaliste et prenant.

Une interprétation s'impose à moi. J'ai une impression d'extra-lucidité subite. Je comprends peut-être quelque chose...

Deux histoires se croisent.

Pourquoi ce jour-là ? Probablement parce que je commence à vraiment mesurer les conséquences de cette séparation, qui prend une tournure très réelle cette fois: Charlotte est partie.

Je me retrouve face à moi-même. Face au silence dans une grande maison vide. Face à tous les possibles, face à tout ce que je désire entreprendre.

Libre !
Mais seul...

Libre et seul.

Ce n'est certainement pas par hasard.





Bucolique




Vendredi 27 octobre


Assis dans l'herbe, à l'ombre des grands arbres en train de se défeuiller dans le vent, jouissant de l'exceptionnelle chaleur de cette fin d'octobre (28°, quand même...), j'ai discuté un moment avec ma mère, hier. Enfin... c'est plutôt elle qui me proposait quelques confidences. Pour la première fois de sa vie elle est allée voir un psy. C'est tout un cheminement pour elle qui, lorsque moi j'ai commencé une thérapie, me mettait en garde vis à vis des risques de déstabilisation à farfouiller dans l'intériorité. C'était il y a une quinzaine d'années et elle était très méfiante vis à vis des psys « qui mettent dans la tête des idées qui peuvent mener au divorce ». Bon, pour le second point ses craintes n'étaient pas infondées, mais cela n'a pas grand chose à voir avec la psychothérapie, qui n'est que révélatrice. Ce journal, et ce qu'il à permis, y sont pour bien davantage.

Donc, elle m'a parlé un peu de ce qu'elle avait dit. Ses rapports avec son mari, pourquoi elle l'avait choisi, son impression de n'avoir pas été très honnête dans ce choix, elle qui venait de perdre en moins d'un an sa mère, sa grand-mère, et un ami intime dont elle était secrètement amoureuse. Choix d'un mari rassurant, d'un "re-père", qu'elle a aimé avec le temps. Ma mère a été pétrie de culpabilité et ce n'est qu'avec la vieillesse, et après avoir senti son coeur près de la lâcher, qu'elle entreprend enfin un véritable travail approfondi d'apaisement. Elle me dit des choses qu'elle n'a jamais dites à personne, comme pour s'en délivrer, et je suis touché de sa confiance. Je la prends pourtant comme "naturelle". Depuis quelques années, et notamment depuis que je m'oriente vers la relation d'écoute de l'autre, nos rapports sont proches. Il y a eu quelques mises au point respectives, quelques tensions, quelques marquages de limites, et maintenant nous avons un rapport équilibré et sain. Je crois que tout cela s'est joué au moment où j'ai véritablement pris mon autonomie en faisant un choix de vie résolument personnel, et totalement à l'encontre de ses valeurs. Cependant elle a respecté ce choix, dont elle a tenté de comprendre le bien-fondé.

Je crois qu'elle m'observe avec une certaine fascination. Parce que j'ai osé ce qu'elle même n'avait pas entrepris. Maintenant elle se dit qu'elle aurait dû aller voir un psy quand elle était jeune...


Nous nous retrouvons souvent dans nos modes de pensée. Et notamment sur cette idée de pacification intérieure pour vivre sereinement. Je me rends compte que je recherche de plus en plus cette paix. Et je la vis bien souvent. Je tend vers la paix avec ce qui se fait et doit se faire, en paix avec le temps qui passe, en paix avec l'évolution inéluctable, en paix avec l'idée que c'est le chemin qui compte davantage que l'objectif à atteindre . Alors je chemine, à mon rythme, en m'adaptant aux aléas sur lesquels je ne peux agir, tout en agissant pour ce à quoi je tiens... si j'y suis prêt. Il n'y a plus d'urgence: je laisse sa place au temps.

Il y a quelques années j'écrivais ici que j'étais en recherche d'harmonie avec les autres. J'y parviens peu à peu. Pour cela j'ajuste la proximité que je peux avoir avec eux. Ne me sentant pas très bien dans la société urbaine et consumériste je m'en tiens à quelque distance, tout en aimant y faire des incursions ponctuelles. Ne me sentant pas bien avec les revendicateurs et rouspéteurs de tout poil, je les évite. Je cherche toujours ce qui (et ceux qui...) m'apporte le plus de paix. Ainsi peu à peu mon cercle relationnel se modifie et va vers des personnes avec qui je me sens bien. Des personnes qui réfléchissent sur le sens de la vie, qui apprécient la remise en question, qui recherchent aussi cet état de paix intérieure. Je vais vers les gens qui aiment l'humanité et qui choisissent de sourire face à la vie, qui savent voir ce qu'il y a de précieux et de beau à vivre là où ils sont. J'aime la vie et j'aime ceux qui l'aiment. Profondément, viscéralement. C'est peut-être ce que j'avais à découvrir en moi...

C'est en m'entourant de ce genre de relations que je trouve ma place et que je trouve la paix. Les autres, dans la mesure du possible je m'en protège. Je crois que je ne cherche plus à être en paix avec tout le monde, car tout le monde ne le désire pas. Trop de gens semblent aimer être en lutte: contre les autres, contre la vie, et finalement contre eux-mêmes.

J'ai envie de laisser couler la vie en moi et de me couler en elle. Comme dans une rivière. J'ai besoin de sentir cette fluidité organique qui m'ancre aussi dans la terre, dans l'air. C'est ma nature et c'est la nature qui me rapproche de ce centre.

La nature, si belle en ce moment, alors que l'hiver se prépare dans un automne estival. Cette nature dans laquelle je vis et en laquelle je me ressource. J'y puise mon inspiration, j'y trouve un modèle d'harmonie.

Le soleil se lève à l'instant. De ma fenêtre je vois les couleurs d'automne, les perles de rosée scintillant dans l'herbe. La lumière est douce et je suis bien.