Mai 2004
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Évolution



Jeudi 6 mai


Tiens, j'avais pas un journal en ligne, moi?

Schpoufff, d'un coup je fais silence. Et ça ne me manque même pas. Bon, c'est pas très long comme silence, hein? Je connais pas mal de diaristes qui font largement plus long. D'ailleurs, c'est flagrant: plus le journal dure, plus les entrées s'espacent. Regardez un peu les "3 ans et plus" du diarisme. Combien écrivent encore ne serait-ce qu'une fois par semaine? Je n'en vois guère.

Normal, il y a une lassitude. Ou bien une évolution du chemin de vie, d'ailleurs parfois élaborée en partie grâce au journal.

Pour ma part, c'est davantage la prise de conscience d'une dérive. Je me suis rendu compte que j'avais parfois tendance à me servir de ce journal pour tenter de communiquer de façon détournée avec ma plus ancienne lectrice, qui se trouve aussi être celle que je lis depuis le plus longtemps.
Ouaip, je me servais de ce canal d'expression pour compenser l'insuffisance de communication que je ressentais parfois.
Pas sain tout ça... J'en arrivais à dire sans dire. A faire comme si j'avais dit, mais sans parler directement, sans échange. C'est nul comme truc!

Voila pourquoi j'ai décidé brutalement de cesser cette expression indirecte. Et ces quelques jours de silence m'ont permis de réfléchir à tout ça et retrouver une expression plus spontanée.
Ouais... en fait il y a quand même des limites dans l'exercice du dévoilement de soi en public et sous l'oeil de personnes impliquées. Alors j'ai retrouvé une écriture intime privée, lorsque c'est nécessaire. Et c'est bien plus libérateur que d'afficher publiquement mon mal-être... alors que je suis lu par celle avec qui je le vis. Ça n'est pas moins efficace et ça permet de de parvenir à une pensée plus aboutie, parce que débarassée d'une épuisante lutte contre une auto-censure qui ne demande qu'à se manifester... et qui y parvient toujours.
Bref, j'aime mieux une écriture sincère et secrète qui me permet d'avancer plutôt que piétiner dans une volonté de sincérité dévoilée avec gêne. Ça ne donne rien de bon que de se forcer. C'est comme si je m'obligeais à me dénuder en public tout en en ressentant une grande gêne. Absurde.

Bon, du coup il y a plein de choses que je ne décris plus. Ni ici ni ailleurs. Ça passe bien plus par l'oral, avec mes complices privilégiées.



Par exemple j'ai longuement discuté avec mon père, en début de semaine. Il était venu me voir afin d'avoir mon ressenti "à la source", sans qu'il ne soit déformé par des interprétations successives des personnes qui lui parlent de moi d'après ce que d'autres leur en ont dit.
Très bon moment seul à seul, au cours duquel je me suis exprimé sans gêne, sans tabous. Je pense qu'il a été satisfait de voir que je savais bien ce que je faisais, même si lui-même ne comprend pas ma propension à me poser autant de questions, ni ma quête de bonheur. Nous avons bien des différences, mais la même capacité à analyser, aller au fond des choses... bien que nos domaines de prédilection soient totalement distincts. Lui n'ira jamais s'aventurer dans tout ce qui est psycho, émotionnel, ou intime.
Chose surprenante, il m'a même encouragé à écrire, séduit par la présentation que je lui faisais des relations approfondies que l'on peut vivre par le biais d'internet...
Il m'a interrogé avec curiosité sur ma vision de l'évolution des rapports sociaux distants, et les avantages que j'y voyais par rapport à la superficialité de nombre des rapports de proximité. Petit échange bien intéressant et stimulant.



Il s'est passé bien d'autres choses depuis mes derniers écrits, et tout évolue très vite dans des situations comme celle que je traverse actuellement. Trop de choses pour que je cherche à les figer si ce n'est fait dans le feu de l'instant. Je me contente de les énoncer à chaud, d'ouvrir le dialogue avec nathalie ou Charlotte, chacune dans un contexte particulier. Et puis les idées continuent leur progression.
J'aime beaucoup ce qui se passe en ce moment. Il y a une dynamique très favorable, entraînante. Un mouvement dont je ne saisis sans doute pas vraiment l'ampleur, mais qui n'est pas inquiétant. Je sais que les choses se placent comme elles le doivent.

Je vis le présent en m'efforcant de ne pas craindre l'avenir. Bon, c'est pas toujours facile de se laisser aller à ce détachement. Il y a beaucoup d'incertitude. Mais je fais confiance en... la volonté de chacun(e) pour que ce tout se passe au mieux de ce qui peut être vécu.

Il y a aussi des moments de souffrance, certes. Toute perte occasionne de la souffrance. Mais je préfère constater les moments de bonheur. Parfois même de bonheur né du constat de la souffrance. Car cette douleur a un sens. Elle est tout sauf de l'indifférence. Et c'est à travers cette souffrance qu'on mesure la profondeur de l'attachement... donc une certaine forme de bonheur à sentir un attachement partagé.

Après un temps de silence, les larmes sont revenues. De ces larmes dont on ne sait si elles sont de joie ou de tristesse. Bonheur du partage... même si c'est pour le constat d'une séparation.




«Il n’avait pas les mots des sentiments. Il rendait compte des faits, commentait, donner une opinion objective ou teintée de moralisme. Il ne formulait aucun sentiment personnel. Je ne percevais jamais son intime pensée. Cela me manqua profondément. Bien plus que je ne l’avais identifié à l’époque. J’ai du me construire sans lui. Or, je suis certain qu’il avait quelque chose à me transmettre, plus qu’il ne le fit par osmose, par le fait que je l’admirais secrètement.»

J'en rêve encore (27/04/2004)









Anti routine et effet papillon




Dimanche 9 mai


Sait-on le poids potentiel de nos écrits? A quel point ils peuvent avoir des répercussions lointaines et différées dans le temps. Jamais elle n'aurait pu imaginer que ses mots induiraient un jour le cataclysme dans une population d'araignées à 6000 km de chez elle. Et pourtant...


Pourtant les trajet de nos vies dépendent de hasards bizarres et de détails infimes, suivant un parcours comme s'il était prédéterminé, comme un ordre naturel des choses.
Tenez, par exemple je n'ai jamais eu l'impression que ma vie était routinière. Je ne m'ennuie jamais, toujours occupé, curieux de m'informer, avide d'échanges, ou encore jouissant de ne rien faire. L'ennui, non, je ne connais plus ça depuis ma lointaine adolescence.

Même ce qu'on appelle la routine du couple, je ne l'avais pas vraiment remarquée. Ce n'est qu'à la suite de mon attirance vers un autre amour que j'ai compris que, oui, effectivement, il me manquait quelque chose dans cette relation pourtant douce et agréable.

Je ne l'ai pas cherché, c'est venu à moi. C'est venu me chercher et me sortir d'une ignorance insoupçonnée.

Je ne pensais pas que cette vie plutôt tranquille allait être à ce point bousculée par un des évènements les plus déterminants de mon existence. Désormais c'est fini la routine! Le cours de ma vie aura été bouleversé par la naissance de cet amour nouveau, mais davantage encore par les conséquences qui en auront découlé. Car ce n'est pas d'aimer en parallèle qui m'aura posé des problèmes, mais bien le soudain déséquilibre de l'engagement que j'avais dans mon couple.

Tout cela continue à évoluer doucement et de façon plutôt satisfaisante... du moment que le regard ne cherche pas à scruter un avenir imprévisible. Au présent, ça se passe même assez bien. Un modus vivendi relationnel, tenant compte des distances (sentimentalement ressenties ou géographiquement irréductibles), est en train de s'établir en fonction des perceptions de chacun des partenaires.

Mais ça, tout fondamental que ce soit, ça reste de l'abstrait.

Il ne faut pas oublier la réalité bassement matérielle des choses. Et cette réalité passe par une séparation qui semble partie pour durer. Séparation, ça veut dire ne plus vivre sous le même toit. Ce qui implique d'avoir deux logements. Oui, hein, c'est d'une logique implacable. Mais deux logements... ben c'est plus cher qu'un seul.

Aaaah, nous y voila. C'est ça la réalité des choses: l'argent. Ce fameux argent qui procure une certaine part de liberté.



Les choses sont simples: je n'ai pas les moyens de mener cette double vie.
Ben oui... c'est bête hein?

Le logement que j'avais en solution de dépannage pour plusieurs mois devient tout d'un coup beaucoup plus cher. La personne qui me le sous-louait pour un prix modique a décidé de cesser son bail. Je me suis donc mis en contact avec le propriétaire qui semble d'accord pour me le louer, mais avec des conditions de durée, de cautionnement, et de loyer que je ne peux pas assumer. Sueurs froides hier soir en me demandant comment j'allais pouvoir faire. M'asphyxier financièrement, m'engager dans un engrenage de stress intenable m'obligeant sans doute à changer rapidement de métier, ou à trouver un boulot complémentaire. Dans les deux cas perdre la liberté professionnelle que j'avais choisie. Liberté relationnelle ou liberté dans le travail, c'est un peu le choix qui se présente.

Pfff, c'est bien joli de vouloir s'émanciper, mais entre le malaise que ça engendre et les aspects matériels, ça devient vraiment compliqué.

Vous voyez bien que ma vie n'est pas routinière!
Et ben elle va l'être encore moins.

Car la meilleure solution que j'ai trouvée, économiquement parlant, c'est de squatter un logement insalubre. Une très vieille maison sans fenêtres, ni eau ni éléctricité, sans sanitaires, avec tout juste un toit et des murs solides. Et moult toiles d'araignées...
Aaaah là ça va faire du changement! Effet anti-routine garanti.

Bon, c'est un tantinet moins pire que ce qu'on peut imaginer, parce que je ne vais pas squatter la maison puisque le propriétaire est d'accord. Forcément... c'est moi le propriétaire. En fait, cette vieille maison était sur le terrain sur lequel nous avons contruit notre maison. Mais la remettre en état était hors de nos moyens et nous avions reporté cette possibilité à quelques décennies plus loin.

Et ben voila, l'opportunité se présente. Il ne me reste plus qu'à me lancer dans des travaux pour rendre à peu près habitable cette maison ouverte à tous les vents. Heureusement que l'été arrive, j'aurais un peu de répit avant le problème crucial de l'hiver.
Et puis pour être honnête je bénéficierai quand même, par intermittence, du confort de notre maison, dans laquelle je pourrai me rendre sur invitation de Charlotte ou lorsqu'elle ne sera pas là. Je ne vais pas me transformer en simili-clochard. Juste vivre de façon un peu plus en rustique.

C'est fou ce qu'une vie peut changer en peu de temps.


C'est pas ce qu'on appelle "effet papillon" ça? Le battement d'aile d'un papillon amazonien peut déclencher une tempête tropicale quelques temps plus tard par une sucession d'évènements amplificateurs de hasard. Là ce seront les réflexions qu'une québécoise écrivait sur internet qui, quatre ans après leur lecture, m'auront amené à ces inattendus changements dans ma vie et celle de ceux qui la partagent.
Et qui vont déranger les araignées d'une vieille maison à l'abandon.







Une goutte de colère




Mercredi 12 mai


Il est rare que je me mette en colère. Ou même simplement que je laisse naître en moi le mécontentement. J'ai toujours tendance à penser que ce sont là des sentiments négatifs, potentiellement dangereux. Partisan du dialogue, j'essaie de ne pas faire trop de remous... afin d'éviter d'être mal perçu.

Pourtant je me souviens de colères salutaires, pour lesquelles j'ai été apprécié, voire estimé. Si je ressens une injustice, un manque de respect quelconque, j'oublie toutes mes peurs et mes blocages, et je peux alors prendre la parole de façon déterminée, avec une voix forte et des idées extrêmement claires. Plus personne ne m'impressionne. Je ne supporte pas l'irrespect, sous toutes ses formes, et même les plus infimes.

Dans un couple, ou toute relation proche, l'irrespect prend parfois des formes presque invisibles. D'autant moins compréhensibles qu'elles viennent de la part de personnes qui s'aiment. C'est ainsi que mon couple a fonctionné, c'est ainsi que mes parents, sous couvert des meilleures intentions ont manqué de respect envers l'adolescent que j'étais. Ils ne m'ont pas non plus appris à ME respecter. A écouter ce qui me constituait. Au contraire, j'ai souvent ressenti que l'on me demandait de me plier à des volontés autres que la mienne. Une part très vivante et inventive de moi aura ainsi été "cassée". Et c'est peut-être là une des explications au sentiment d'insignifiance que j'ai longtemps ressenti en moi.

Maintenant j'apprends à me respecter, en m'écoutant, en osant être différent de ce que d'autres auraient aimé que je sois. Mais, s'il m'arrive de me mettre en colère vis à vis de manques de respect vis à vis d'autrui, il est bien rare que je le fasse pour ME protéger d'un manque de respect à mon égard.

A tel point que j'ai souvent opté pour la culpabilisation, en me disant «je suis trop ci, pas assez ça, il faut que je change, que je fasse plaisir, que je m'adapte à l'autre...». Il me paraissait donc "normal" d'être en tort, de mal faire, de mal comprendre, ou de n'être pas à la hauteur de ce que l'autre attendait de moi. Bref, je prenais à ma charge la "faute", profil bas. Je faisais rapidement taire en moi le sentiment de révolte, persuadé que j'avais tort.

Il n'y a qu'au sein de mon couple que j'ai réussi à défendre mon droit à la différence. Non sans mal... et non sans abus de ma part puisqu'à mon tour j'ai manqué de respect vis à vis de la personnalité de mon épouse. Il s'est établi un drôle de marché tacite, ou chacun avait prééminence sur un secteur particulier de la vie de couple et y exerçait son influence. Un jeu donnant-donnant, de réciprocité, mais un peu vicié. Alors que nous aurions dû établir notre relation sur le respect de la personne aimée, il demeurait des zones d'ombre ou l'irrespect dominait. Quand je dis irrespect, il n'y avait bien sûr ni insultes, ni coups. Juste une tendance à jouer de ses points de force en s'appuyant sur les points de faiblesses de l'autre. Quelque chose de très subtil, indécelable. Et tout ça au sein d'une relation qui avait toute l'apparence de l'amour vrai.

Je ne veux plus de ça. Je ne veux plus vivre une relation amoureuse où s'exerce un jeu de contrôle/soumission. Je ne veux pas que l'on manque de respect à celui que je suis, quelles que soient nos différences. Je ne veux plus donner de pouvoir à quiconque sur mon bien-être.

Si je ne me sens pas respecté, c'est le réveil immédiat d'un sentiment d'insatisfaction, d'insignifiance, de nullité. Et si je ne me sens pas respecté... c'est aussi parce que je ne me respecte pas. Je laisse l'autre prendre un ascendant sur moi, et je m'y soumet... par crainte de déplaire. Toujours cette même peur de n'être pas conforme à ce qu'on peut attendre de moi. 

Alors je tente de forcer ma nature, afin de coller au plus près à ce que je comprends des désirs de l'autre (me trompant peut-être complètement...), et forcément j'échoue. Parce qu'on ne force pas sa nature durablement. Je renforce alors mon sentiment de dévalorisation en échouant... Et j'entretiens ainsi, comme dans le mythe du mouvement perpétuel, cette mécanique absurde.

Il aura fallu un tout petit détail, un tout petit manque de respect supplémentaire, pour que cette goutte infime fasse déborder le vase de la révolte intérieure. Cette goutte aura été celle qui m'a fait passer de la soumission au respect de moi-même. J'ai senti cette révolte monter en moi instantanément [elle était en gestation inconsciente], et cette fois ce n'est pas le malaise, la tristesse et la résignation qui auront gagné. Ni la culpabilisation de ressentir cette colère.

Non, j'ai entendu distinctement ce que je ressentais. A tel point que je n'entendais plus que ça. Et depuis deux jours cette saine et ferme colère m'habite, me donne une force insoupçonnée. Car j'ai enfin compris que c'est du respect que je m'accorde que viendra le respect d'autrui. Et le respect de moi-même, c'est exprimer ce que je suis, ce dont j'ai besoin, ce que je désire et refuse. Je ne dois pas redouter ni refouler mes émotions. Et pour respecter l'autre je dois aussi écouter ce qu'il exprime. Ensuite... à chacun de voir sous quelle forme de respect réciproque peut s'établir ou se poursuivre une relation saine.








D'une colère à l'autre




Jeudi 13 mai


En faisant mon tour habituel des diaristes, je retrouve un texte récent intitulé "Colère" chez Alain. Immédiatement je fais le lien avec le titre de ma page précédente. Les deux colères sont évidemment hors de comparaison et de proportion. Un même mot peut avoir des portées tellement différentes...

Habituellement je ne commente pas l'actualité dans mon journal. Ce n'est pas mon but. Mais j'ai beau rester assez hermétique à ce qui se passe dans le monde en général [saviez vous qu'il meurt trente mille personnes par jour à cause du manque d'eau potable?], je ne peux rester dans ma torpeur face à certaines atrocités. Ce scandale des tortures et humiliations de la part de soldats américains, ou l'abomination de cet américain décapité.
Par chance, ne regardant pas la télé, je suis épargné par les images dont la seule évocation tire déjà des hauts-le-coeur.

A ce niveau là, ce n'est même plus de la colère. C'est un découragement devant tant de... de... bassesse, tant d'ignominie, de mépris, de négation de l'humain. J'ai toujours été effaré de voir ce dont des humains [faut-il écrire "les humains"?] étaient capables. Et plus je vieillis, plus j'en découvre, et moins je comprends. Mais je sais maintenant qu'il n'y a pas de limites à la barbarie, quel que soit le degré de "civilisation".

Pour autant... je m'interroge parfois sur le sens de nos révoltes. Certes il y a l'aspect symbolique de la cruauté qui nous révulse. Mais bon, en restant dans l'actualité du moment, il ne s'agit "que" d'un seul mort par décapitation. Et "que" de quelques dizaines/centaines (?) de prisonniers victimes de sadisme.

A rapporter par exemple à ces trente mille morts par jour dans la plus totale indifférence. Trente mille morts par jour... Et combien par jour meurent du sida? ou de malnutrition? Mais ce n'est pas spectaculaire [avouez que ça fait de l'audience l'annonce aux infos d'une décapitation... on sait jamais si on en voyait un bout, juste pour dire que c'est ignoble... et ne me dites pas que vous vous avez regardé ça!!!]. Cette mise en spectacle me révulse tout autant. Je hais ces images que je ne veux plus voir, parce qu'elles n'ont d'autre intérêt que celui de satisfaire des pulsions morbides. Il y a des années que je refuse de regarder toute image violente, qui s'imprimerait dans ma mémoire de façon indélébile... pour en faire quoi? Pourtant je me fais quand même souvent agresser par une de ces images en couverture de magazines, ou tapies dans des pages intérieures.

Alors ma colère reste rentrée, sourde, éteinte. Parce que... à quoi bon? Et puis quelle hypocrisie que de réagir à des assassinats spectaculaires, alors qu'on laisse mourir dans la souffrance et le dénuement tant de gens par notre indifférence de nantis. On accepte la mort lorsqu'on ne la voit pas, et lorsqu'on ne s'identifie pas à ces masses d'inconnus anonymes, pauvres, si "différents" de nous.

Je crois que je préfère me fermer les yeux et me boucher les oreilles, parce que je me sens totalement impuissant. Et même par centaines de milliers nous serions tout autant impuissants contre des initiatives qui échappent à tout contrôle.

Je me concentre sur le monde qui est à ma portée, sur lequel je peux agir. Et j'essaie, à la mesure de mes possibilités, de le rendre plus harmonieux, tolérant, ouvert. Je lutte comme je peux contre des idées potentiellement source d'exclusion, de rejet des différences. Et j'espère qu'un jour je saurai agir plus loin que le petit cercle que je cotoie.

Il n'empêche que certains jours j'ai comme une envie de vomir.







Maladresse





Samedi 15 mai


Les hasards des circonstances, auquel je suis sensible, ne s'exercent pas toujours dans un sens favorable. Parfois se téléscopent des évènements à des moments fort inopportuns.

C'est ce qui s'est passé avec quelqu'un qui vivait une grande peine... et que j'ai surchargé en évoquant des problèmes tout autres, mais d'une lourdeur excessive pour ce moment là. Grosse maladresse de ma part, dont je regrette les effets.

Et pourtant j'avais anticipé et ne voulais pas aborder de "sujet qui fâche" ce jour là. J'étais bien décidé à reporter à une période plus propice. Sauf qu'une question très précise à ouvert la brêche... et qu'un flot continu s'est déversé. Un flot retenu depuis trop longtemps. Et ce fût trop à la fois qui s'écoula...

J'aurais dû avoir la sagesse de dire «non, pas aujourd'hui, on en reparlera une autre fois», même si mes pensées en étaient envahies depuis des jours. Mais je ne suis apparemment pas assez solide mentalement pour cela... ou pas assez altruiste. J'avais surestimé mes forces. Et puis, de quoi parler après un refus de parler chargé de sens? De quoi parler si on ne peut évoquer la peine de l'un ni les soucis de l'autre?



Je ne sais pas s'il y a des moments favorables pour parler des "choses qui fâchent".
Quand tout va bien, ce serait un peu masochiste. Quand tout va mal, se serait suicidaire. Alors... quand?

Quand est-il possible d'exprimer mon ressenti lorsque je sais que, forcément, il va fâcher quelqu'un que je ne parviens pas à sensibiliser à ce qui m'inquiète? Comment faire pour dire une situation qui m'angoisse à quelqu'un qui ne le sent pas? Par quel moyen faire comprendre que plus le silence dure et plus le problème se complexifie?
Comment même oser aborder le problème lorsqu'en face la réaction sera vive, et ce que j'avance minimisé, quand ce n'est pas nié? Comment dire à l'autre ce qui crée un souci lorsqu'il répond que c'est le souci qui crée le problème? Comment se comprendre lorsqu'on n'utilise pas les mêmes systèmes de référence?

A force je me retrouve dans une impasse, face à une situation... dont l'autre semble considèrer que j'en suis le seul générateur. Quelles que soient les explications que je donne, elles ne paraissent pas convainquantes. Comme si j'inventais de toute pièce ce qui crée mon malaise.

Incompréhension mutuelle.

Car de mon coté je ne comprend pas comment ce qui me crève les yeux semble imperceptible en face. Comment un tel décalage est possible.

Et même si je travaille beaucoup pour changer les choses de mon coté, essayer de m'adapter constamment à des différences afin de contourner le problème, ça ne marche pas. Je n'ai pas encore trouvé comment procéder. Comment concilier mes besoins aux besoins à ceux de quelqu'un d'autre lorsqu'ils ne se recoupent pas.

Mais ce n'est pas en évitant d'en parler que quelque chose changera, ni qu'un point d'accord pourra être trouvé. Alors peut-être que... même si le moment fût maladroitement exploité, il était important que ce fût dit ce jour là.


Car le silence qui dure tue à petit feu...








Variations amoureuses





Lundi 17 mai


C'est fort de l'expérience d'un premier amour au long cours, et de l'évolution dont il a été l'objet, que je me suis immergé dans un nouvel amour. Celui-ci, encore récent, est en évolution active. Par le jeu des différences/ressemblances, la combinaison de cette évolution et de l'expérience antérieure me permet maintenant de comprendre assez précisément ce qu'est aimer pour moi. Aimer dans le sens "être amoureux". Ma façon d'aimer, et celle dont j'aime qu'on m'aime. Aimer pour que j'en ressente du bonheur, sans douleur.

Je le sais désormais parce que c'est en le vivant de cette façon que j'ai pu toucher le ciel et en demeurer émerveillé. Alors que d'en être privé ensuite m'aura parfois entraîné dans des gouffres de désarroi, puis des abîmes de tristesse. Ce que je ne veux plus vivre.

Comment est-il possible de vivre des extrêmes opposés alors qu'il s'agit des mêmes personnes en présence? Tout est compris dans un mot: impermanence. L'amour n'est pas un état stable. Et lorsque ce qui a été n'est plus, sans que je sache si c'est un état transitoire ou durable, alors l'incertitude peut devenir le carburant de la peur...
Peur irrationnelle d'être moins aimé parce que l'expression n'en est plus aussi vivante. Et, sans doute encore davantage, peur en retour que mon sentiment amoureux, cette alchimie rare, tellement subtile et délicate, ne s'anéantisse.

Par expérience et conviction, je sais aussi que l'amour qui dure construit de la confiance et que celle-ci donne une solidité capable de résister à bien des assauts de la peur.



Alors, c'est quoi "aimer", pour moi?

L'état amoureux qui me convient est issu de la complicité d'une profonde amitié, prolongée dans un désir réciproque de proximité, aussi poussée que possible. A la communication des idées, s'ajoute donc une communication amoureuse.
Aimer, c'est donc avoir établi une complicité bi-dimensionnelle, tant intellectuelle qu'émotionnelle: amitié et amour confondus.


La complicité émotionnelle s'exprime par des canaux de communication variés: les mots, le toucher, le regard, ou toute autre attention chargée de sens amoureux. Alliance d'attirance et de séduction qui ne peuvent être sues que si elles sont formulées. Le tout concourant à établir une expressivité amoureuse, élément clé de la relation.
J'aime que l'on se retrouve sur des idées communes ou compatibles, mais j'ai aussi besoin de vibrer en présence de l'autre, sentir l'émotion partagée, et de cultiver l'amour ensemble comme un jardin. Pour moi cela crée une forme d'harmonie bienheureuse, qui m'est essentielle pour bien vivre. Jamais je ne suis plus heureux que lorsque cette harmonie est là.

Par contre, puisque je crois qu'aucune forme de dépendance/soumission, sous quelque forme que ce soit, ne peut exister dans une relation harmonieuse, l'équilibre à trouver entre besoin et dépendance de l'expressivité amoureuse est parfois assez délicat à obtenir. Il y a un "facteur de densité", combinaison du contenu des échanges et de leur fréquence, propre à chacun et variable dans le temps. Une différence de perception dans la formulation ou les rythmes temporels peut être source d'incompréhensions majeures. Le plus demandeur des deux (mal-être, fragilité temporaire...) se retrouvera rapidement en état de manque, donc de dépendance vis à vis de l'autre. Or c'est l'un des plus dangereux écueils d'une relation amoureuse. Car l'état de dépendance de l'un éveille chez l'autre à la fois une envie de liberté et une tendance à la culpabilisation de ne pas répondre à un désir de la personne aimée. Contradiction interne qui initie un malaise.

Mal-être d'un coté et malaise de l'autre...
Ce délicat point de convergence des sensibilités demande une communication fine et précise afin de désamorcer toute interprétation erronnée. Une communication qui demande beaucoup de temps et de calme afin que s'engage la totale confiance/sincérité, indispensable pour aller au fond des choses. Car on touche au coeur de chacun, à ses besoins essentiels, et finalement au moteur même de la relation amoureuse.
Moteur très fragile dont on peut se demander s'il pourra encore fonctionner tant le moindre déréglement peut être potentiellement catastrophique.


La confiance/sincérité implique un respect de l'autre et de soi. Respecter l'autre a un double sens: c'est à la fois accepter ses différences, et être sincère dans l'expression de soi. La crainte d'exprimer son essence, de dévoiler ses fragilités, ses peurs intimes, ne devrait pas pouvoir s'installer, mais qu'au contraire la liberté de parole soit soutenue et nourrisse la relation.

Car dans la relation, en dehors des deux protagonistes, il y a un troisième élément à respecter: la relation elle-même. Je tiens au respect de la relation amoureuse et de la qualité de celle-ci, parce que je sais à quel point l'amour est fragile si on le néglige, si on le laisse devenir banal et routinier, s'il n'est pas choyé, entretenu. L'amour doit être régulièrement stimulé si on ne veut pas qu'il dépérisse. Par expérience je sais que le lien d'amitié fait facilement illusion en masquant la diminution de l'élan amoureux.

Alors je crois important de savoir dans quel registre de communication se situe la relation lorsque une ambiguité est ressentie. Si l'expressivité amoureuse est mise entre parenthèses, il me semble absolument capital d'en prendre conscience, et de communiquer à ce sujet afin qu'un décalage dans la perception de chacun ne s'installe pas.



Car quand je suis amoureux, je voudrais que chaque rencontre se fasse dans la joie, le plaisir, le rire. Je voudrais de la séduction et du désir exprimés, je voudrais vibrer et m'émouvoir.
Mais pas de simples face à face dont parfois je me demande ce qu'ils signifient.

Je voudrais de la qualité, plus que de la quantité. Je voudrais de l'attente qui soit récompensée, du désir qui reste vivant, du manque qui soit assouvi dans la volupté de retrouvailles. Du temps vraiment consacré à la relation.

Je voudrais émotions, silences, et soupirs partagés. Pas du silence de solitude, pas des soupirs de déception. Je voudrais des larmes de bonheur, pas de tristesse.

Je voudrais que ça brille, que ça éclate, que ça pétille. Je voudrais de la douceur et de la tendresse. Je voudrais de la jouissance et de l'éclat de rire. Mais pas du morne, du plat, du fatigué.

Je voudrais que les rencontres soient toujours une fête, pas une simple mise en contact. Je préfère attendre plutôt que d'être déçu par des retrouvailles ternes, habituelles, routinières.
Je ne veux plus m'enliser dans la routine.

Et puis quand je suis amoureux, j'ai besoin que s'expriment des attentions, des petits signes, des petits mots, des gentillesses données comme ça, pour le plaisir. J'en voudrais tous les jours (et même plusieurs fois par jour...). Autant de fois que possible. Comme un bisou dans le cou, ou un petit mot impromptu chuchoté à l'oreille. Comme une pensée papillon qui viendrait se poser sur moi et me ravirait de sa douceur.

Je voudrais sentir un élan amoureux partagé.
Car je suis alors à mon meilleur et rayonne de bonheur.


Être amoureux...

Aimer...


J'ai aimé au long cours et je sais la force qui en émane. Mais je sais aussi que cet amour là s'assimile avec le temps à de l'amitié si l'on n'est pas vigilant sur le respect de la part amoureuse qui le composait initialement.


Amour...

Amitié...


Peut-être que je suis *un peu* idéaliste? Peut-être que l'état amoureux ne pourra jamais être permanent et que les fluctuations y sont intrinsèquement liées? Peut-être que c'est l'absence qui fait la valeur de la présence? Oui, c'est certainement ça...

Peut-être que, des deux composantes amitié et amour, seule l'amitié reste stable. La part amoureuse restant insaissable, ondoyante.

Alors je me met à réfléchir à des notions nouvelles: l'amour cyclique, la communication variable et la séduction ondulatoire. Un amour dont je pourrai me réjouir des moments intenses, mais en les sachant volatils, fugaces et imprévisibles. Donc encore plus précieux.
Parfois tout concourt à un état de félicité partagée, et à d'autres moments la composante amoureuse s'assoupit tandis que l'amitié reste intacte. La communication changera alors de registre, mettant en veille ce qui est d'ordre amoureux... jusqu'au prochain réveil.

Il est vrai que la vie ne permet pas toujours de mettre la relation amoureuse comme prioritaire. On ne vit pas d'amour et d'eau fraîche, c'est bien connu... Des contingences extérieures peuvent faire que d'autres préoccupations envahissent l'espace des pensées et l'emploi du temps. C'est alors l'amitié qui peut s'exprimer et prendre le relais. L'amitié qui encourage, console, apporte un soutien... ou simplement détend, permet le rire, la douceur du "être bien" ensemble.

L'amitié n'est pas moins précieuse que l'amour.

Mais pour moi il est important que l'ambiguité entre les deux n'existe pas. Car je ne réagis pas de la même façon selon le mode relationnel de ces deux sentiments.



Il y a deux ans, j'avais beaucoup discuté avec nathalie de la baisse d'intensité amoureuse, qui s'assimilait peu à peu à de l'amitié. Elle s'interrogeait sur mon amour longue durée, et moi sur ses amours successifs. Elle me disait qu'elle préférait cesser la relation lorsque l'éclat amoureux s'éteignait. De mon coté je lui expliquais ce que signifiait "aimer" lorsque l'état amoureux des débuts a disparu. Ces conversations m'avaient énormément enrichi, et sorti de ma torpeur amoureuse.

Je crois que de ces vécus croisés j'ai tiré une nouvelle façon de voir les choses: tout en ne désirant pas voir se réduire l'intensité de l'état amoureux, je ne désinvestirai pas une relation s'il est constaté. Car il peut parfois ne s'agir que de fluctuations qui n'indiquent pas nécessairement qu'aucun retour à l'état amoureux merveilleux n'est possible.

Il faut sans doute laisser le temps aux cycles de s'opérer. Pondérer, faire preuve de patience. Se dire, comme elle, que ce qui se vit au présent est autrement que ce qui a été vécu auparavant. Ne pas comparer, ne pas regarder ce qui n'est plus là, mais garder confiance dans ce qui viendra. En s'y préparant, en y étant attentif, en l'encourageant.

Si je compare le sentiment amoureux à un jardin, je peux le voir parfois opulent, parfois presque sans vie, selon les saisons. Il y a une évolution cyclique, une alternance, mais il ne tombera en friche que si on ne l'entretient plus. Il faut accepter de voir se déssécher des plantes en fin d'été, parce que leur temps d'existence est révolu. Et laisser passer des hivers parfois longs sans désepérer du retour à la vie.
Mais il est cependant inutile de continuer à arroser si la chaleur n'est pas là...

Accepter l'idée que la réciprocité simultanée n'est pas permanente, mais obéit à des conjonctions de cycles favorables chez chacun des protagonistes. Et que si le premier cycle a bien été simultané, les suivants ne le seront pas systématiquement.



Il m'est donc utile d'apprendre à me mettre en stand-by amoureux lorsque l'autre n'est pas dans un état de réciprocité expressive. Et d'y rester aussi longtemps que nécessaire, sans m'inquiéter, en laissant le temps aux cycles de s'effectuer.

Car on se vide à attendre ce qui ne vient pas, et à exprimer ses désirs sans suffisamment d'écho. Et on blesse toujours l'amour de l'autre en se montrant sous un jour défavorable, ce qui est un manque de respect pour la relation. L'amour heureux est réciproque, et malheureux pour l'un des deux dans le cas inverse. Il est indispensable de veiller à maintenir cet état de réciprocité, même si cela demande un effort de renoncement. 
Lorsque l'un des deux réduit son implication dans le jardin amoureux, l'autre ne doit pas chercher à fournir seul l'énergie manquante. Il faut alors accepter que la relation soit partiellement au repos dans sa dimension amoureuse, ou du moins fonctionne au ralenti. C'est en tous cas comme ça que je le conçois désormais. Je l'avais déjà pressenti il y a un an, la maturation aura été lente, mais c'est maintenant devenu une conviction.

Peut-être me faut-il tout simplement accepter que la relation ne soit plus prioritaire, sans chercher à en comprendre les raisons. Et surtout agir de même en cessant d'organiser ma vie autour de cette priorité vaine lorsqu'elle n'est plus d'actualité. Car c'est de ce décalage des priorités que se génère la frustration.

Le manque, l'absence, le silence, l'incertitude, sont probablement des éléments indispensables au maintien de l'état amoureux. Et c'est sans doute une erreur que de vouloir les supprimer. Au contraire, je me demande s'il ne faut pas tout faire pour les maintenir, dans un judicieux équilibre entre satisfaction et manque. Un jeu subtil de chat et souris...
C'est l'esprit même de la séduction: se ducere, conduire à soi.

L'amour comme un jeu? Cultivé comme un jardin? L'amour qui deviendrait autre chose qu'un sentiment spontané? Pourquoi pas...



Ce dont je suis certain, c'est que j'ai envie d'aimer et que dure l'état amoureux. Maintenant que j'ai compris ce fonctionnement cyclique dans la relation que je vis, je crois que je suis prêt à être patient, trèèès patient, pour revivre du bonheur par étincelles ou en feu d'artifice... lorsque le moment sera réciproquement propice.








«Au fond, j'en veux à tous ces futurs mariés. Je leur en veux parce que leur assurance, leur confiance, leurs certitudes m'obligent à me poser des questions sur moi-même et sur ma propre vie. Ce n'est pas leur amour que je questionne. Et encore moins le mien : je sais qu'il est fort et que jour après jour ce qui m'unit à celui avec qui je vis devient de plus en plus solide. Mais tout le reste : les bagues, la robe de mariée, la cérémonie, l'église, le maire, la pièce montée, les dragées... Tout ça, pourquoi ? Est-ce le modèle ? Est-ce la norme ? Est-ce seule la vie qui convient ? Est-ce la seule bonne façon de vivre un amour ? Est-ce qu'on s'aime moins parce qu'on n'a pas envie de se marier ?»

Regards solitaires (16/05/2004)





[écrit et modifié du 14 au 17 mai]





Exigeant?





Mardi 18 mai


De mon dernier texte, un lecteur m'a dit que j'étais «exigeant» en intensité et réciprocité amoureuse, et qu'on pouvait trouver que j'avais des «besoins vachement revendicateurs». Alors forcément, ça me fait cogiter [merde, moi qui justement me sentais bien après avoir clairement posé les choses, c'est raté...].

Bon, euh... oui, j'ai besoin d'une certaine intensité. Enfin... arrhh, il s'agit quand même d'amouuur, donc, euh... s'il n'y a pas une intensité émotionnelle partagée, je risque fort de trouver ça terne, à la longue. Par contre, ce que j'ai peut-être mal décrit [parce que c'était évident pour moi], c'est que je ne désire pas une intensité permanente. Je ne cherche pas à que ce soit «tout le temps magique». Tout idéaliste que je sois, je sais aussi être réaliste.

Ce que je voulais exprimer, c'est que j'ai besoin d'une certaine dose d'intensité, combinaison de contenu et de fréquence. C'est pas nécessairement la dose maximale à chaque fois, ni tous les jours. Naaaan, je ne demande pas une perfusion émotionnelle permanente! Eh... faut quand même vivre en dehors. Je peux même passer des périodes prolongées sans cette intensité... du moment que je suis prévenu. Ah ben oui hein... sinon c'est un peu difficile de se mettre à "attendre" lorsque le manque apparaît.
Si, par exemple, on s'entend pour trois mois sans aucun contact, ça me va [mouais bon... ça serait quand même long...]. En prévoyant un manque, on peut fort bien le gérer. Mais si on me dit un mois et que ça dure trois... ça me va pas. C'est même pas vraiment l'inconnu qui pose problème, mais les prolongations successives.

Là où ça se complique, c'est que c'est pas forcément prévisible d'avance, et que des aléas peuvent rallonger la période de moindre disponibilité. Alors si simultanément il y a espacement durable des contacts, réduction d'expressivité amoureuse, non-réciprocité, et délais à rallonge... ben ça ne va plus. Suis en manque moi!
Il faut alors changer quelque chose à la situation.

D'où le coté vachement optimiste de mon texte qui prévoit des solutions pour lever les attentes, avec une communication fine de réglage. Juste pour savoir précisément où en est chacun des deux partenaires. Car c'est l'inconnu qui crée le malaise. Et bien souvent un manque de communication qui accroît des décalages de perception.

En gros, mon texte voulait dire: voila comment, idéalement, serait l'état amoureux pour moi. Et voila comment procéder lorsque cet idéal n'est pas atteignable. Idéal et réalité, quoi... [tiens tiens, ça me dit quelque chose ça...]

Et ça me semble pri-mor-dial de le savoir, pour l'équilibre de la relation. Car un défaut de communication à ce sujet entraîne des décalages multiples, du genre "trop/pas assez". Avec une fâcheuse tendance à l'exacerbation de ces impressions, et une tension peu propice à la sérénité nécessaire à l'état amoureux. La tension ne peut que s'accroître, et amener à une crise. Plus l'un demande et moins l'autre à envie d'offrir, ce qui ne fait que renforcer encore le manque.

Alerte! Incompréhension majeure en vue!

Il faut donc désamorçer, en communiquant. Et j'insistais sur le coté délicat de cette communication, indispensable afin de connaître les besoins respectifs de chacun.

Je suis persuadé qu'en toute relation, amoureuse ou pas, la plupart des problèmes peut être réglée par une communication soutenue à la fois dans la confiance et le respect de soi et de l'autre (et c'est peut-être ça le plus difficile...). Du moment que chacun le souhaite, évidemment.





Et puis il y a aussi un flagrant délit de contradiction dans mon dernier texte. J'ai écrit «il est important que l'ambiguité entre les deux [amour et amitié] n'existe pas». 
Or il y a quelques mois je me souviens avoir écrit que je ne cherchais plus à savoir ce qui tenait de l'amour et de l'amitié...


Euh... Faudrait quand même que je reste cohérent.
Ouais euh... bon... j'étais encore inexpérimenté en la matière. Ce n'était l'abolition que d'une des limites qui les distinguaient à mes yeux. A l'époque j'ai généralisé, mais depuis je me suis rendu compte que je n'étais pas encore suffisamment affranchi des bons vieux modèles.

Alors j'ai encore besoin de distinguer les deux, sinon je m'y perds. Eh... faut du temps pour se reconstruire différemment.






Eclatement d'une bulle



Jeudi 20 mai


Pendant deux jours, j'ai été sonné. La baudruche de mes illusions venait de m'éclater à la figure. Paf! Une bulle de silence, enveloppée de mots périphériques opacifiants. Je l'avais laissée se gonfler, feignant d'ignorer que la pression serait un jour trop forte.

Le silence caché m'est apparu au grand jour. C'est comme un seau d'eau au visage, une gifle, un rappel brutal de la réalité. Avec un sentiment de honte d'avoir dissimulé quelque chose qui n'aurait pas du l'être.

Mais aussi une grande satisfaction. Celle d'avoir désormais accès à une nouvelle lucidité sur moi-même. En quelques jours c'est une énorme révolution intérieure qui s'est opérée. Comme si j'avais enfin intégré un élément-clé de ce que je traque depuis une douzaine d'années. 

A tel point que les découvertes et compréhensions se font à un rythme acceléré. Bien trop rapide et multidirectionnel pour que je puisse les assembler dans un ordre logique. Malgré mes tentatives, l'écriture reste confuse. Il y est question de peurs issues de l'enfance, de spontanéité éteinte, de sincérité mal répartie... D'amour aussi, de dépendance, de liens égalitaires. Et surtout d'avoir le courage d'être soi.
C'est toute ma démarche qui trouve là un évènement révélateur bigrement important.

Il me faudra un peu de temps pour l'exprimer.





"Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur comme un destin."

Carl Gustav Jung






Le sommeil des mots




Mercredi 26 mai


C'est un peu bizarre, mais c'est au moment où j'aurais eu le plus de choses à écrire dans ce journal que je le laisse en sommeil. C'est certainement une bonne chose, car ce silence des mots me laisse davantage de temps pour rassembler mes idées. Je me connais: si j'avais voulu tout décrire j'y aurais passé des heures, en me hasardant dans toutes les directions, tout en étant insatisfait d'un résultat que j'aurais trouvé trop réducteur.

Que s'est-il passé? Je ne saurais le dire...
Comme si était venu le temps que quelque chose change, des évènements se sont succédés en accéléré et leurs effets se sont conjugués. Je ne mesure pas encore vraiment ce qui à évolué, mais en ressens l'ampleur.

Tout cela est lié à cette volonté d'agir et de prendre ma vie en main, décidée un grand jour, il y a tout juste un mois.







En chantier





Dimanche 30 mai


Burin et truelle à la main, je remet en état ma nouvelle maison insalubre. Je sonde ce qui sonne creux, désagrège les parties friables, rebouche les trous, colmate les principales fissures... Bref, tente d'assainir le tout...
Vaste chantier, capharnaüm de gravats, poussières, et éléments neufs confondus.

Et puis j'installe l'électricité afin de disposer d'un éclairage dans cette sombre masure.

Ce sont des travaux qui, une fois que je sais ce que j'ai à faire, laissent du temps pour réfléchir. J'en profite donc pour opérer le même genre de travaux à l'intérieur de moi: éclairer les zones sombres, enlever les toiles d'araignées des recoins où je ne m'aventurais pas, désagréger ce qui fonctionnait de travers, découvrir des trous béants, et remettre à neuf mes idées en partant de ce qui est sain.

Ces travaux sur le mental ont commencé depuis bien longtemps, mais il semble bien qu'une phase importante est en train de s'achever...

Je crois même que c'est assez énorme. Gigantesque.
Certainement suis-je parvenu a plusieurs des multiples sources du mal-être existentiel avec lequel je cohabite depuis une trentaine d'années.



Bon... le problème c'est qu'il y aurait eu tellement à écrire que je ne m'y suis même pas lancé. Tout est tellement imbriqué que je ne trouve pas un ordre logique pour décrire l'assemblage ce méga-puzzle. C'est le moment magique où tout s'assemble de tous les cotés, avec une facilité déconcertante, après tant de persévérance pour trouver les pièces-clé.

Alors finalement, une fois que quelque chose est compris, est-il nécessaire de l'écrire? Peut-être pas, lorsque l'écriture est censée avoir ce rôle de révélateur. Mais je sais aussi que j'ai une mémoire visuelle et que j'ai besoin que les mots soient tracés pour qu'ils s'impriment mieux dans mes pensées. L'écriture et la lecture sont mes modes d'assimilation préférentiels et les plus efficaces. Je ne saurais me contenter des quelques idées maîtresses que j'avais griffonner sur des bouts de papier ces derniers jours.



J'ai l'impression d'être parvenu au bout de quelque chose. Peut-être était-ce la fin d'un certain mode de fonctionnement, qui ne me convenait définitivement plus? Quelque chose en moi a changé, sans que je sache vraiment à quel point et dans quels domaines.

Je crois que je me suis heurté de pleine face à mes limites, et que cette fois j'en ai eu assez de les trouver devant moi.
Depuis, chacune m'apparait, l'une après l'autre, et je comprends comment elles sont inter-reliées, d'où elles viennent, comment elles se manifestent. C'est un grand moment d'humilité que celui de constater qu'on est le responsable de ce dont on souffre et se plaint.

Ainsi, j'ai compris que les silences que je ressens avec des proches ne sont que l'écho de mes propres silences... que je dissimule parfois sous d'autres mots. Ce que j'attends des autres, c'est la communication que je n'ose pas établir, par peur de ce qui est en moi et que je cache.

Car la soi-disant sincérité dont je me targue ne s'exerçe pas toujours lorsqu'elle est nécessaire, tandis qu'une inutile franchise est parfois malvenue. Si depuis toujours j'insistais sur l'importance du duo sincérité-confiance... c'est probablement parce que je ne parvenais pas à m'y abandonner. Quête incessante d'une confiance qui me permettrait d'arriver à cette sincérité que je n'avais pas avec moi-même.

Non-sincérité parce que j'avais peur... Peur de déplaire, peur de perdre qui savait porter sur moi le regard que je n'avais pas. Dépendance de ce regard...

Non-sincérité inhibante qui entretient cette impression de ne pas vraiment exister. De ne pas savoir être moi-même. Cette difficulté à m'entendre et être authentique.

Non-sincérité qui va jusqu'à me priver de spontanéité, de liberté d'être, de créativité. Auto-condamnation à ne pas me distinguer afin de ne pas risquer de déplaire... et perdre ainsi la chance de plaire.


Il aura fallu que je prenne conscience que, par peur, je n'étais pas sincère avec celle avec qui j'avais établi un pacte de sincérité pour que je mesure la gravité de cette non-sincérité. Je m'empoisonnais doucement, et empoisonnais simultanément notre relation amoureuse. Je nous faisais foncer droit dans le mur de l'incompréhension, avec une issue fatale prévisible.

Ce que j'attendais était proportionnel à ce que je ne donnais pas de moi. J'avais une soif de communication parce que je gardais en moi ce qui me tracassait. Mais le besoin d'éclaircissement était tel que quelque chose me poussait à aller plus loin dans les mots, à me mettre en danger afin que sortent enfin ces mots que je me cachais à moi-même. On ne triche pas indéfiniment avec son inconscient lorsqu'on a la volonté de trouver des réponses aux questions que l'on se pose...

Généralement je ne faisais que tourner autour du pot (invisible mais perceptible), tentant de combler ce vide que je ne voulais pas voir. Alors forcément, je ne pouvais qu'être perpétuellement insatisfait, alternant les moments de bonheur lorsque la communication était là, et la tristesse dans le cas inverse. J'étais rapidement en manque. En manque de sincérité, de ma sincérité.

Et en n'étant pas totalement sincère, non seulement je trahissais mon désir d'authenticité, mais je trahissais aussi le pacte de sincérité avec nathalie. Le pire de tout ce que je redoutais.

Et je ne le voyais même pas...

Mais quelque chose en moi le percevait, le ressentait, et créait un fond de malaise. Pourtant la peur m'aura longtemps empêché d'aller au fond des choses. Je préférais ne pas trop regarder dans cette direction. J'occultais, je refoulais ce que je ne voulais pas voir exister. Jeu de cache-cache entre conscient et subconscient. Jeu de dupes.

Peur de perdre qui mène droit vers ce qu'on redoute. Peur d'oser être soi qui lisse les aspérités de l'originalité. Peur de déplaire qui éteint la fantaisie. Peur de ne plus séduire qui rend non-séduisant. Cercle vicieux réducteur qui ne fait que confirmer ce qui est craint.

Peur d'être moi-même ancrée bien loin dans l'enfance lorsque, pour éviter la violence des gestes ou des mots j'ai choisi de me conformer à ce qu'on attendait de moi. Ainsi, depuis toujours j'ai éteint toute une part de ma spontanéité. J'ai perdu la capacité de m'entendre et de laisser jaillir de moi l'essence de ce que je suis.

Et depuis des années je tente de reconquérir cette liberté d'être que j'aurais du acquérir à l'adolescence. Et je cherche qui je suis vraiment...



C'est certainement parce que j'ai ressenti au plus profond de moi que nathalie pouvait m'aider à me trouver que je me suis autant senti en harmonie avec elle. Je la savais très attachée à la sincérité, et sans concessions à cet égard. Elle avait fait un chemin qui me plaisait, m'attirait, me séduisait. Avec elle je me voyais aller très loin. Elle représentait la personne que je rêvais de rencontrer.
Et puis dans son regard je me voyais "beau", j'existais, je trouvais confiance en moi, j'avais confiance en elle. C'est ce qui m'a rendu si heureux.

Malheureusement, peu aguerri aux relations de confiance, je n'ai pas été assez vigilant et me suis retrouvé en état de dépendance. Double dépendance: de ce regard et son amour. Et puis quelque chose de plus pernicieux: j'admirais son parcours et me suis placé sous sa tutelle, me considérant comme novice alors qu'elle avait de l'expérience. Je me suis inféodé, établissant ainsi une inégalité: elle savait et j'étais ignorant. Elle avait donc a priori raison et moi j'avais tout à apprendre, à coup de tâtonnements et d'erreurs.

C'est de tout cela qu'auront découlé ensuite nos complications, puisque les causes éternelles de mon mal-être ne pouvaient qu'entraîner les mêmes conséquences. Amour, admiration, dépendance. Aimer est inscrit en moi comme étant malsain. Amour = souffrance, depuis que mon père "m'aimait" avec de la violence, "m'aimait" sans exprimer ni gestes ni mots, "m'aimait" en pointant mes faiblesses. Trop de similitudes, quoique infimes et indûment ressenties... Je ne pouvais que retomber dans les pièges dont j'avais toujours souffert.

Il aura suffit que je ressente un jour un tout petit manque d'attention pour que l'harmonie avec nathalie en soit perturbée. J'ai perçu cet infime manque d'attention comme un possible désintérêt, ma plus grande crainte. Avec immédiatement la peur de retrouver ce sentiment d'insignifiance, la peur de l'abandon.

Fragilisé, je m'en étais ouvert mais probablement sur le ton de la plainte. J'avais douté de son amour. C'est à cette période qu'elle m'avait fait comprendre avec une relative fermeté que l'amour ne devait pas attendre.

Je savais qu'elle avait raison. Je me suis alors senti novice, avec beaucoup à apprendre de sa part. Elle était le maître, j'étais l'élève. Rapport de soumission/autorité.

Il n'en fallait pas plus pour que quelque chose d'insidieux s'infiltre dans notre relation...

La crainte s'est installée. La relation n'était plus égalitaire. J'ai eu peur de perdre son amour et j'ai reproduit le phénomène père-fils: si je suis conforme à ce que tu souhaites, alors tu m'aimeras (les souhaits étant des suppositions...). J'ai donc tenté d'éteindre en moi tout ce qui était dissonnant, tout ce qui risquait de déplaire à nathalie (heureusement, fort peu de choses).
J'ai aussi eu peur de perdre la relation, dont je savais à quel point elle était importante pour m'aider à être ce que je n'étais pas.

Et en fait, en n'osant pas être vraiment moi-même, non seulement je faussais notre relation, mais en plus je faisais exactement l'inverse du but poursuivi: être sincère et authentique!

Il aurait été simple d'en parler... sauf que justement j'étais en plein dans la crainte. Impensable de parler de dépendance, d'attentes, de besoins. Alors j'ai occulté. Je me suis menti à moi-même en me disant qu'à force d'efforts je parviendrais à supprimer ces scories d'une forme d'amour erronnée. Auto-persuasion qui a fait illusion. Je suis très fort en auto-persuasion...


Comment tout cela est-il venu au jour? Ce sera l'objet d'un prochain épisode...










Flagrant délit





Lundi 31 mai


Je me suis surpris en flagrant délit de non-spontanéité, assimilable à de la non-sincérité. Paf, ça n'a pas traîné. Alors que le matin même j'écrivais le texte précédent décrivant tous les effets pervers de cette attitude inspirée par la peur d'être soi.

Hum... forcément, on ne change pas ses mauvaises habitudes en quelques jours...

Tout allait bien pourtant, et rien ne laissait présager de cette récidive. Hier soir j'étais en pleine forme. Après plusieurs jours éprouvants et déstabilisants de groooosse remise en question, le moral était remonté. D'autant plus que je fais en ce moment des découvertes tout azimut, qui sont autant de pistes nouvelles et prometteuses a explorer. C'est d'ailleurs en pensant à quelque chose de bigrement intéressant que le flagrant délit s'est produit.


Depuis notre dernière conversation téléphonique, avec nathalie, se combinant à de très bonnes discussions avec Charlotte, j'avais pris conscience d'un élément-clé des interférences qui parasitent la relation que je vis au sein de chaque "couple". Quelque chose de très très important dans mon cheminement intellectuel de libération. J'avais très envie de lui en parler en détail, et elle avait la même hâte de m'entendre.

Hier soir nous nous sommes retrouvés de façon impromptue sur notre espace de tchat. Nous avons brièvement échangé nos humeurs du jour mais je savais que ce n'était pas le lieu propice pour ce que j'avais à dire. De plus elle sortait d'un gros mal de tête et m'avait prévenue que ses idées n'étaient donc pas très claires. Ça ne me posait pas de problème...

Sauf qu'au bout d'un moment je suis parvenu au bout de ce que j'avais à raconter, et qu'elle même n'étant pas très bavarde, les silences se sont allongés. Alors une fenêtre de tchat, dans ces conditions, ça ne bouge pas beaucoup. On contemple les dernières phrases écrites et ça n'est pas forcément inspirant pour poursuivre. A un moment, j'ai rigolé tout seul en nous imaginant chacun de notre coté d'écran, fixant bêtement ces mots sans aucune portée.

C'est à ce moment là que j'ai fait preuve de non-spontanéité. Ou plutôt que je n'ai pas exprimé ma spontanéité. Car je savais très bien de quoi j'avais envie: qu'on se téléphone, parce que j'avais des tas de choses à raconter qui me brulaient les lèvres. J'étais enthousiaste et avais très envie de partager avec elle.

Mais bon... on s'était téléphoné il y a quelques jours et ça coûte quand même cher... Et puis j'ai repensé à son mal de tête et je me suis dit que ce n'était peut-être pas opportun. Je n'ai pas osé tenter de lui demander, craignant sans doute un éventuel refus [pfff, t'avais peur qu'elle te morde?]. Et puis surtout, je n'ose pas... m'imposer. Je ne voulais pas lui dire «hé, j'ai des tas de trucs intéressants à te dire», supposant que si elle ne me demandait pas d'en parler, c'est que ce n'était pas un jour favorable pour elle. Voire même que ça ne l'intéressait pas...

Flagrant délit d'interprétation, de cinéma mental, sans aucun debut de commencement de preuve. C'est tout moi, ça!


A partir de ce moment là, s'est engagée une réfléxion intérieure en circuit fermé: dois-je dire ce que je ressens, ou dois-je attendre qu'elle manifeste son intérêt? [a ton avis, eh, banane!] Euh... je devrais le dire, mais bon, puisqu'elle sait que j'ai des choses à dire, si elle ne demande pas, c'est qu'elle n'a pas envie d'en parler aujourd'hui. Oui, mais peut-être qu'elle ne veut rien m'imposer et me laisse libre de choisir... [ça peut durer longtemps ce genre de réflexions...].
Dans le doute... j'ai rien dit [ben voyons, comme si c'était la meilleure chose à faire!].

Et notre vague échange à continué jusqu'à ce qu'elle envoie son image webcam, ouvrant ainsi la rencontre à d'autres canaux d'expression sensorielle. Ouf, sauvé...

Sauf que lorsqu'elle a signifié la fin de l'échange pour cause de faim, j'ai dû me rendre à l'évidence: on n'irait pas plus loin ce soir là. Tout allait encore à peu près bien, et j'ai continué à plaisanter jusqu'au bout.

Voila, j'avais bien réussi à garder bonne figure, je m'étais bien conditionné pour ne pas ressentir de frustration, je m'étais bien menti... et n'avais pas été sincère-spontané avec elle. [ah ben bravo, exactement ce qu'il ne faut surtout pas faire...].

J'ai trainassé sur internet avant d'aller me coucher et ruminer dans mon lit, ne sachant pas trop comment interpréter mon malaise. Ce que je constatais c'est que je m'étais débrouillé pour passer de la très bonne humeur à un coté morose vaguement déprimé. Pas du tout content de moi!
Ce n'est que ce matin que j'ai compris que j'avais fait exactement ce que j'avais décrit dans mon texte de la veille. Et qu'en ne libérant pas mes pensées spontanées je devais maintenant me les garder, toutes racornies, avec le poison qu'elles allaient distiller [les élans retenus fermentent en émettant le poison amer des regrets, vous ne le saviez pas?]. Arrrrghh, que c'est pénible de toujours retomber dans les mêmes processus!


Alors voila, je n'ai rien à d'autre à dire que «bien fait pour toi, t'avais qu'à oser dire ce que tu pensais! Ça t'apprendra!» [bougre d'andouille!]. Mouais, effectivement je sens que ça va m'arriver souvent ce genre de récidive [soupir désabusé...].

Mais ce qui me redonne le moral [aaah, quand même...], c'est de constater que maintenant que j'ai compris le phénomène, je peux agir efficacement, même si c'est à retardement. Je ne reporterai plus sur autrui la source de mon mal-être. C'est à moi d'agir, pour moi.


Finalement... je suis libre de me sentir bien ou pas. A moi de voir ce que je préfère...






«Et maintenant... alors que je m'ouvre à un Autre comme je ne l'ai jamais fait, je n'éprouve aucune peur. Je sais qu'au fond de moi ce noyau dur existe. Je peux accueillir l'Autre avec toutes ses différences et m'en enrichir au lieu de m'en protéger. Même en étant Deux, je serais toujours Moi. Mieux, je comprend que l'Autre en m'aimant, en m'acceptant, en me respectant, me permet d'être Moi plus que je n'ai jamais pu l'être. Et je grandis chaque jour un peu plus, en découvrant les infinités de possibles. Je me construis.


Là où je craignais la mort, je découvre la Vie...»

Fleur de peau (29/05/2004)








Mois de juin 2004