Janvier 2012

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Le souvenir des sommets




Samedi 7 janvier


Il y a quelques années je racontais beaucoup, dans ce journal, ce que je vivais dans des complications relationnelles. Le journal avait alors un double rôle : exutoire et outil de prise de conscience. J'y exprimais mes ressentis lorsque le dialogue s'avérait "impossible".

Plus tard il est même devenu instrument de communication détournée, visant a rétablir un dialogue interrompu. L'expérience n'a pas été concluante...

Aujourd'hui ces fonctions ne me sont plus vraiment nécessaires. D'abord parce qu'il est devenu rare que je vive des situations compliquées [je les évite], ensuite parce que lorsque ça arrive je ne m'en inquiète pas outre mesure [ça s'arrangera...], et enfin parce que le dialogue ne se coupe généralement pas [grâce aux raisons précitées]. Tout n'est pas perpétuellement fluide mais, globalement, je ne vis plus de situations vraiment perturbantes.

Sauf exception...

Et si mon besoin d'écrire se manifeste alors, c'est qu'il y a eu défaillance dans le dialogue !



Le week-end dernier, à l'occasion du changement d'année, je suis allé passer quelques jours chez Artémis. Séjour tout à fait agréable, dans une ambiance détendue, dont la perspective aurait semblée hautement improbable il y a encore quelques mois. Notre relation s'est en effet adoucie depuis qu'elle a accepté l'idée que nous n'étions pas dans le même registre sentimental. La disparition de ses craintes et de l'agressivité qui en découlait a contribué à abaisser mon système de défense et nos échanges n'en ont été que meilleurs. Cet équilibre reste toutefois relativement précaire...

Il se sera rompu assez brutalement en milieu de semaine, suite à un enchaînement de micro-évènements. L'élément déclencheur aura été un coup de téléphone auquel je n'ai pas répondu comme il était attendu. Je regardais un reportage passionnant à la télé et n'étais donc pas immédiatement disponible pour entendre ce qu'Artémis voulait me dire. Lorsque j'ai proposé de la rappeler dès la fin du programme, elle m'a signifié que « ce n'était pas important ». Un peu plus tard elle se réjouira de ne m'avoir rien dit, me laissant nettement entendre que mon indisponibilité était la cause de sa retenue. J'ai eu la vague impression qu'ainsi elle voulait me punir...

Je ne m'en suis pas offusqué.

Le lendemain je l'ai sentie tendue, marquant un contraste assez net avec la période calme que nous avions partagée. Je pensais réussir à atténuer ses tensions dès que nous aurions l'occasion de nous retrouver en tête à tête. C'est généralement ce qui se passe... si son mal-être n'est pas trop profond. Cette fois il l'était. En fait elle était déjà « à distance », sans doute blessée de n'avoir pas été prioritaire. Je ne m'en suis pas rendu-compte tout de suite et, de mon côté, je restais « proche ». Jusqu'à ce que le décalage m'apparaisse. J'ai alors compris qu'elle s'était repliée et senti qu'elle m'avait retiré son désir de partage. Or ce désir est pour moi le fondement d'une relation et conditionne mon investissement. C'est donc à partir de là que, très vite, la situation s'est dégradée...

Le détail des faits à peu d'importance, mais ce qui compte à mes yeux est d'avoir eu la capacité de lui expliquer *en direct* ce qui se passait en moi à ce moment-là. Quels mécanismes s'enclenchaient quand agressivité, critique et distance/rejet apparaissaient de sa part. Je sais bien maintenant, à quoi je suis sensible [hypersensibilité] et ce qui se réveille face à certains schémas. Ce sont les traumatismes d'enfance qui remontent à la surface, dominant ma capacité de raisonnement d'adulte. Je peux expliquer mes émotions, alors même qu'elles sont à l'oeuvre et inhibent ma pensée, mais ne les contrôle pas. J'ai parfaitement senti mes protections se mettre en place, comme une carapace automatique entrerait en action. C'est un mécanisme-réflexe que je n'ai pas le pouvoir de bloquer.

Cela dit, après lui avoir expliqué... j'étais de nouveau disponible. Vigilant, mais disponible.

Malheureusement ses propres sensibilités avaient été trop atteintes et son repli l'avait déjà enfermée en elle. Une chape de silence s'est imposée, avec une mise à distance physique très significative de sa part. Elle s'est isolée et serait même partie si elle en avait eu la possibilité. Je n'ai pas cherché à forcer ses limites, me déclarant seulement présent et disponible si elle avait besoin. Elle n'a pas bronché. À la longue ses signes de fermeture persistante, que j'ai pris comme une défiance à mon égard, m'ont atteint et mis en état de déséquilibre intérieur. Le lendemain je me sentais perturbé, allant jusqu'à réinterroger mon désir de poursuivre une relation aussi perpétuellement instable. Je n'ai plus envie de me laisser embarquer dans des situations mortifères. Je ne veux pas laisser ma vie être contaminée par un mal-être qu'autrui ne parvient pas à surmonter. J'ai besoin de sentir une volonté d'en sortir et un minimum d'optimisme.

Finalement elle m'a écrit. Elle s'interrogeait sur son silence en relisant un de mes textes sur ce sujet, communiqué il y a quelques temps. Elle m'avouait ne pas comprendre pourquoi elle réagissait ainsi, n'ayant pas vraiment accès à sa conscience faute de vouloir l'explorer en profondeur. Elle refuse de regarder vers son enfance et sait qu'elle bloque toute analyse poussée de ses émotions.

Elle s'inquiétait aussi de mon désir de poursuivre cette relation...



Entre le début et la fin de la semaine le retournement aura été étonnant. Chez elle je m'étais senti vraiment bien. A tel point que, dans un état de bien-être complet je songeais à ce qui empêchait qu'il atteigne les dimensions de l'absolu. Je n'étais pas loin de la plénitude de l'instant. Celle-ci aurait pu être totale si je n'avais pas pour référence des souvenirs de vécus plus forts. Exactement comme je l'écrivais dans mon texte précédent...

Je me suis alors demandé si les sommets que j'avais atteint autrefois devaient réellement leur saveur particulière à la réciprocité amoureuse ou si leur intensité venait surtout de la découverte de sensations inconnues à l'homme très sage que j'avais été jusque-là.

C'est important que je le sache, parce que la dimension "amoureuse" est précisément celle que je ne veux plus vivre... tant que je ne suis pas au clair avec tout ça.

J'analyse mon refus amoureux ainsi : lorsqu'une personne que j'estime [apprécie, admire, désire...] me voit comme "beau" [ou intelligent, fort, drôle, etc...] et que mon regard renvoie sur elle une sensation comparable, augmentant par là-même l'effet "magique", le bénéfice narcissique réciproque est énorme. Mais lorsqu'un tel regard me renvoie l'image de quelqu'un de "laid" [ou faible, décevant, pas à la hauteur...], l'atteinte narcissique est très destructrice. Ce pouvoir que j'accorde à l'autre de me donner, puis ôter, son estime serait ce qui crée une insupportable forme de dépendance. J'en ai conclu que, tant que je ne ressentirai pas mon assise narcissique comme suffisante, je ne prendrai pas consciemment le risque d'un rejet post-amoureux. Je préfère continuer à reconstruire mon auto-estime défaillante grâce aux regards de personnes dont les qualités humaines me nourissent et desquelles je pourrais, éventuellement, me mettre à distance si je sentais qu'elles me deviennent néfastes. Pas trop d'investissement affectif, donc. Relations détachables sans bouleversement majeur.

C'est pourquoi je préfère le registre de l'amitié à celui qu'on appelle "amour", bien trop souvent chargé d'attentes, d'exigences, de violence...

Mon équilibre en dépend.








Fidélités contradictoires




Dimanche 22 janvier
[mis en ligne le 13 juillet 2012]
[mis en ligne le 1 novembre 2013]


À qui es-tu fidèle ? C'est la question qui s'est subitement imposée à moi, alors que je songeais à ce que j'écris [ou n'écris pas...] dans ce journal. Bah oui : qu'est-ce qui fait que je continue à m'exprimer ici après ce qui s'est passé il y a quelques années ?

Au vu du désastre j'avais beaucoup de raisons de cesser, de "disparaître", de tout foutre en l'air. Quitte à rouvrir ailleurs, discrètement, un nouvel espace d'expression intime. Sans bien savoir pourquoi, et malgré quelques tentatives, je n'ai pas donné suite à cette idée. Ce n'est pas faute de l'avoir régulièrement envisagée tout au long de ces années...

Alors, en poursuivant mon travail d'introspection calibrée, dans un contexte devenu fort peu propice à la libre d'expression, à qui, à quoi suis-je fidèle ? A question simple réponse complexe : cette fidélité, ou plus exactement cette loyauté, s'exerce envers différentes entités plus ou moins interférentes.

La fidélité à moi-même, si tant est que cette expression ait un sens, n'est pas vraiment en jeu : je n'ai pas besoin d'écrire publiquement pour constater les éventuels écarts entre mes pensées et mes actes. Par contre, dans le rapport au lectorat, se joue une part de ma fidélité à moi-même : assumer qui je suis, assumer l'enjeu d'une introspection publique au long cours, avec les effets agissants que je connais. Oser dire ce que je crois être pour m'y conformer.

Il y a donc bien une question de fidélité envers le lectorat. Et je pense là autant à ceux qui me font la confiance de me lire en direct, au fil de la publication, qu'à ceux qui me liront en différé. En même temps cette fidélité au lien avec le lecteur, base du pacte autobiographique, est relative puisque j'ai perverti l'expérience en retenant mon expression de façon croissante au fil des ans. Contradiction, donc, vis à vis de ce lectorat extérieur, avec qui je poursuis tout en dissimulant...

Il n'empêche que, malgré cette retenue, j'aimerais rester fidèle à la démarche entreprise : un journal introspectif au long cours publié en direct. Ne me demandez pas pourquoi j'y tiens : je n'en sais rien !

En fait, si : je crois que je pense à ceux qui liront éventuellement mes écrits en tant qu'archives, dans un temps plus ou moins éloigné de l'écriture. Je n'ai pas le souci de la postérité et ne cherche pas particulièrement à laisser une trace, mais j'ai un intérêt marqué pour la démarche diaristique. Le "journal monstre" (c'est le terme consacré pour les très longs journaux) que j'écris en ligne depuis bientôt douze ans présente quelques singularités. Il est à la fois expérience relativement nouvelle (publier en direct une introspection), sous une forme durable (près de douze ans d'écriture en continu), et partiellement interactive (quand mes écrits s'entrecroisaient avec ceux d'une autre diariste en ligne, au sein d'une relation amoureuse rendue publique). Bon... qui cela peut-il intéresser ? Euh... des chercheurs peut-être ? Des universitaires, des sociologues et historiens...

Certes l'intérêt est devenu très relatif du fait de l'autocensure, notament autour de ce qui concernait les suites d'une rupture fort complexe. Mais... cette complexité, et l'autocensure qui l'entoure, ne présentent-elles pas précisément quelque intérêt ?

Quoi qu'il en soit le cas d'une séparation rendue filandreuse par la distance géographique, restée longtemps inopérante du fait de la persistance d'un lien épistolaire détourné, est probablement assez singulier. L'interlecture aura fortement contrarié le processus normal d'éloignement affectif, voire l'aura empêché. Il est symptômatique qu'il ait fallu des années pour que le silence se fasse. Et encore, il n'a jamais été total de mon côté... Les efforts faits pour contourner l'obstacle n'auront pas suffi et finalement, ne serait-ce que par la censure exercée, la relation interrompue est restée "présente" dans mes écrits comme dans mes pensées. Ne pas pouvoir évoquer librement le sujet lui aura donné beaucoup plus d'importance. Je compare ce phénomène, assimilable au tabou, à l'attraction gravitationnelle qu'exerce un trou noir : invisible mais absorbant ce qui l'entoure...

La dernière fidélité est la plus complexe à cerner et décrire. Elle me place en situation d'ambivalence puisqu'elle est en contradiction avec les précédentes, voire s'y oppose. Je veux parler là de la fidélité à une relation qui a très largement nourri mes réflexions et l'évolution dont ce journal témoigne. Je n'ai pas fermé ce journal parce que je ne voulais pas renier ce qui s'était joué autour de l'écriture-lecture en réciprocité. Je considérais qu'il était important que je continue malgré l'extinction des signes de réception.

Important pour qui ? Là encore difficile de répondre...

Et c'est là qu'apparait toute la contradiction de ma démarche autobiographique : pour moi il était primordial que je continue à exprimer ma disponibilité et, en même temps, il était essentiel que j'évite d'en parler sous le regard potentiel de la personne concernée. J'ai donc tenté de concilier les contraires, au prix d'importants efforts. Du même coup cette démarche de retenue, de prise de distance, de conscientisation, à été très bénéfique pour comprendre ce qui se jouait. C'est aussi de cela dont j'ai voulu continuer à témoigner, tout en évitant d'aborder le sujet frontalement. J'ai tenté de rester fidèle à ce qui m'importait (la fidélité au lien) tout en étant fidèle à l'esprit de la relation (liberté et non-attachement), et accessoirement fidèle à une démarche autobiographique personnelle.

J'ai fait au mieux et je crois que, compte tenu de la situation, je ne me suis pas trop mal débrouillé...

Mais il m'a fallu partiellement renoncer à rester fidèle à mes objectifs de départ : la sincérité. J'ai beaucoup occulté ce que j'aurais voulu écrire. À l'opposé j'ai divulgué publiquement ce qui serait resté privé si le dialogue n'avait pas été rompu [lui-même l'étant peut-être parce que je divulguais...]. J'ai donc utilisé ce pseudo-journal comme une forme de communication dévoyée. Mes écrits ne pouvaient se déprendre d'une intentionalité en voulant faire passer un message, plus ou moins adroitement. Une façon comme une autre de contourner l'impossible dialogue...

Finalement je me suis retrouvé complètement coincé dans ces fidélités/infidélités contradictoires, générant de longs épisodes de silence et une écriture très laborieuse, de plus en plus mesurée et différée dans le temps. Jusqu'à ne même plus mettre en ligne mes textes, pourtant travaillés au scalpel.

Le devenir du récit très fragmentaire de ce qui fait mon existence est donc incertain. L'espacement de mes entrées fait que chacune d'elle ne correspond plus à une démarche simple et spontanée, encore moins à un automatisme. C'est au contraire un acte réfléchi, mesuré, signifiant. Et à chaque fois que je publie je me demande ce qui me pousse à continuer dans ce contexte...





Suite : mois de mai 2012