Décembre 2011

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C'est plus fort que moi



Vendredi 30 décembre


Trois mois sans le moindre mot dans ce journal. J'en étais resté à l'énumération méticuleuse de sept temps de réflexion et je me suis arrêté au quatrième. La suite était écrite, pourtant, et il m'aurait suffi de publier les billets tels quels...

Oui mais voilà : l'intérêt pour moi était de les retravailler jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'aspérités. Il aurait donc fallu encore des heures de fignolage.

Toute une affaire, ces sept temps de réflexion. J'avais commencé à écrire une sorte de bilan-état des lieux dès le mois de juillet. Publication reportée, parce que je doutais du bien-fondé de l'entreprise : quel était le sens de cette démarche ? Pas très au clair avec mes motivations, plus ou moins avouables, j'ai continué à écrire, affiner, préciser et le texte s'est allongé à chaque fois que j'y revenais. Alors je l'ai scindé en trois parties, puis quatre, cinq... finalement sept. Sept ? Autant que d'années sur lesquelles je voulais revenir.

Sept ans de réflexions. Avec ce titre clin d'oeil c'est un défi que je me lançais : je voulais parachever l'ouvrage entrepris depuis septembre 2004. Ce long parcours de reconquête post-rupture qui m'a mené si loin dans la conscience de mon rapport aux autres et à moi-même. J'ai écrit pour clore... je ne sais quoi. Pour me "libérer". J'avais envie de passer à autre chose, de tourner la page, de retrouver... l'envie. L'envie de quoi ? L'envie de vivre pleinement, peut-être... Je vis tout à fait agréablement mais est-ce que ça me satisfait ? Le plaisir à vivre est une chose, l'envie de vivre en est une autre. L'un est satisfaction à vivre l'instant, l'autre est projection vers l'avant. À force de privilégier le présent, sans attentes d'avenir, ne me suis-je pas éloigné du désir ?

Ah, le désir... il y a longtemps que je n'en avais pas parlé !

En renonçant à poursuivre ma rétrospective en sept parties je me suis arrrêté à mi-parcours : il y a bien eu dégagement, mais pas vraiment de projection. J'ai quitté un état sans pour autant entrer dans une nouvelle ère. Je me situe toujours dans le même marasme paisible, les mêmes eaux calmes. C'est agréable, mais pas transcendant. Sensation diffuse d'un manque. Peu d'enthousiasme. Pas d'élan particulier. Quiétude tranquille. Mais où sont passés mes envies de changements, mes idées ambitieuses envers des relations radieuses ? Qu'est devenu « l'homme qui aimait les femmes » ?

Oups... j'ai mis tout ça au placard. Trop compliqué à assumer. Je me contente de vivre ce qui est accessible, sans trop me prendre la tête. Je n'ai pas (re)trouvé ce qui pourrait me stimuler.

En soi ce n'est pas grave puisque je vis globalement comme j'en ai envie. Mais... il manque assurément le supplément de saveur qui donne envie de croquer la vie à pleine dents ! À la longue je me dis que c'est probablement dommage...

Mais peut-être pas ? Une vie simple a ses attraits.

En fait je crois que ce qui m'inquiète un peu c'est ma passivité devant l'existence les enjeux relationnels. Comme si je ne trouvais plus le courage de recommencer. Comme si je n'y croyais plus.

Ça c'est un peu plus grave.

Je me demande si mon adaptation aux relations détachables ne me prive pas d'un certain entrain. Cette forme d'engagement personnel - dans le sens d'engagement sportif - qui fait qu'on se bat pour ce à quoi l'on croit et ce que l'on désire ardemment atteindre. Or je ne désire plus grand chose...

Rien d'inatteignable, en tout cas.



Il y a deux jours mon frère est passé me voir. Sa femme lui a annoncé qu'elle le quittait, après trente années de vie commune, et il a souhaité s'entretenir avec moi. Pour l'expérience, sans doute...

Au delà de la perte, pas encore vraiment conscientisée, c'est la perspective de la solitude qui semble l'inquiéter.

À peine arrivé il m'a parlé du sens de la vie et m'a demandé ce qu'il en était pour moi, qui vis en solo. Je ne m'attendais pas à entrer dans le vif du sujet aussi rapidement et n'avais pas de réponse toute prête. Je lui ai parlé de mon jardin, dans lequel je trouve équilibre et satisfactions, de la nature et de ma vie calme. Il n'a pas semblé convaincu. J'ai évoqué l'écriture, les échanges avec d'autres. Visiblement ça ne lui semblait pas suffisant. J'aurais pu décliner d'autres éléments qui donnent sens à ma vie mais je crois qu'il cherchait un palliatif à ce qui se vit en couple, avec toute l'importance que peut avoir un conjoint dans l'équilibre personnel.

Ouais... ben ça... il n'y a qu'avec un(e) autre qu'on le trouve. Mais avec tous les inconvénients annexes : les attentes, les petites pressions, les récriminations, les insatisfactions... Bref : tout ce qui fait qu'à long terme l'amour initial se transforme en une adaptation réciproque, avec ce que cela peut avoir de liberticide. Nous avons longuement évoqué les alternatives possibles, et notamment celle de la non-cohabitation.

La question du sens que je trouvais à ma vie m'est cependant restée en tête. Je l'ai résumé ainsi : être heureux. C'est à dire "bien dans ma vie". Ambition qui peut paraître modeste ou démesurée, selon les personnalités, mais qui a pour moi l'immense avantage d'être aisément atteignable.

Je dois pourtant bien reconnaître que si je me sens plutôt heureux, la question de l'altérité demeure. Heureux en solo, certes, mais manquant assurément de cet enthousiasme dont je parlais plus haut. Ça me tarabuste un peu...

Je ne relie pas forcément un supplément de bonheur à la présence dans ma vie d'une compagne attitrée [j'ai bien assez disserté sur la libraimance, autrefois, pour ne pas en oublier les avantages], mais je crois que le partage d'expériences, de ressentis, et surtout d'émotions apporte incontestablement des dimensions réjouissantes.

Or, et c'est là le noeud du problème, je ne fais pas grand chose pour vivre ce genre de partage. C'est tout juste si je ne le fuis pas ! Il y a comme un blocage qui m'empêche de me lancer plus en avant. Je n'essaie même pas, me contentant de ce qui peut se vivre dans un registre modéré : un peu ami, un peu amant. Confident apprécié. C'est agréable, plutôt doux, parfois stimulant... mais ça reste calibré. Détaché de toute intensité émotionnelle. Que du soft !

Est-ce que ça me convient ? Probablement pas tout à fait, si j'en juge à l'importance que je consacre à ce sujet dans mes écrits. J'ai l'impression que ma vie en solo me convient, mais je sens bien que quelque chose n'est pas là. Quelque chose dont j'aurais besoin pour me sentir plus vivant, plus enthousiaste.

Je crois que j'ai peur, sans trop savoir de quoi. Je me demande si ce n'est pas la peur de perdre ma liberté. J'ai peur de me sentir coincé. Peur d'avoir à dire non. Peur de réveiller des sensibilités, de blesser, de faire souffrir. Peur d'être agressé en retour et de souffrir à mon tour.

Pas encore assez aguerri [mais le serais-je jamais si je ne me lance pas ?]

Je sais bien que vivre dans la crainte empêche de vivre pleinement, mais... c'est plus fort que moi !


[Pour le moment...]







Vendredi 30 décembre (2)
(un peu plus tard)


Je devrais écrire plus souvent. Tracer les mots à un autre effet que les regarder passer dans l'esprit. Écrire c'est sculpter dans l'épaisseur de la conscience.

Lorsque je décris ma vie sous son aspect simplement agréable, sans l'éclat de l'enthousiasme, c'est un peu comme si j'estimais qu'elle manque d'intérêt. C'est réducteur. Ce qui manque à ma vie pour qu'elle soit un peu plus que satisfaisante c'est seulement une saveur dont je connais l'existence. Je pense ici aux moments de béatitude infiniment simples vécus dans le regard aimant de l'autre aimé(e). Dans ses bras, contre sa peau, sur sa bouche, confondus dans une même présence et un même élan de plaisir osmotique.

Avec ce qu'ils portaient d'espérance de renouvellement...

Savoir que l'autre est là, avec le même désir d'être ensemble et de croire que cela durera. Croire que ce désir n'aura pas fin...

Mais je sais et ne crois plus. Je sais la fugacité des choses et la volatilité des sentiments. L'éclat de mon regard en est terni...

Un instant, aussi doux soit-il, n'aura jamais le goût prolongé du voyage.

Je porte en moi la nostalgie du voyage amoureux, encore ébloui par le souvenir radieux de la découverte. Après l'émerveillement ressenti devant un paysage grandiose celui du quotidien parait longtemps banal. Après le Grand Canyon il faut du temps pour s'extasier à nouveau devant les Gorges du Tarn...

L'échelle de conscience s'est développée. Sans oublier les sommets, apprendre à regarder autrement. Éclairer l'apparente simplicité de l'accessible à la lumière de l'exceptionnel.





Mois de janvier 2012