Septembre 2011

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Chemin d'émancipation

Sept temps de réflexion
2 - Qu'ai-je envie de vivre ?




Vendredi 2 septembre


Il y a longtemps que je ne détaille plus mon parcours relationnel [excepté lorsque je reviens disséquer quelques reliques qui agitent encore mon imaginaire]. Tout au plus m'arrive t-il d'en disperser de temps en temps quelques fragments. Le besoin de me livrer sur ce sujet a cessé et c'est plutôt bon signe, me semble t-il.

J'aurais sans doute continué à n'en rien dire si de récents soubresauts n'avaient contribué à me faire avancer significativement sur mon chemin de conscience. Je veux bien sûr parler de ma longue marche, celle qui me permet de m'affranchir des prolongements filandreux d'une complicité un peu trop abruptement rompue.

C'est pour servir cet objectif que je m'aventure de nouveau, mais précautionneusement, dans la sphère privée. Toujours avec l'idée que ce dont je témoigne peut être utile à d'autres...


Depuis sept ans je vis en solo. Délibérément. Sans aucun manque de partage du quotidien, sans désir de remédier à cette situation qui me plaît. La sensation de liberté qui va avec ce mode de vie m'est devenue primordiale et j'y veille jalousement. Cela ne m'a pas empêché de vivre quelques épisodes d'approche intime, dont la plupart n'ont pas excédé quelques mois. Sauf un qui, contre toute attente, dure. Plus de trois ans d'approche contrariée pour un lien non conventionnel, investi a des niveaux sentimentaux fort différents, entre personnalités très dissemblables. Pour corser l'affaire les objectifs de chacun divergent largement et le contexte relationnel est un peu complexe. Question simplicité et évidence on aurait donc pu trouver mieux mais il faut croire que quelque chose avait besoin d'exister ainsi entre elle et moi...

L'assemblage hétéroclite ainsi formé demande des ajustements fréquents et un important travail de cohésion. Il passe par beaucoup de dialogue autour d'une recherche : qu'est-il possible de vivre ensemble ? Recherche qui, fondamentalement, pourrait bien être le principal objet de cette relation...

Ce qui est surprenant c'est que cette expérience de rapprochement à rebrousse-poil à finalement instauré un lien privilégié ! Un lien qui, *parce qu'il dure*, construit une confiance et fait évoluer les deux personnes concernées. Sa finalité n'a jamais été de durer, mais de partager ce qui peut l'être tant que cela convient à chacun.

Signe particulier, qui a son importance : en y entrant je n'avais pas d'attentes. J'ai simplement répondu à une demande de rapprochement, touché par la sincérité de l'offre et attiré par la curiosité. Il n'y avait pas de raisons pour que j'évite ce genre de situation, assurément prometteuse en découvertes, hormis par crainte de voir menacée ma précieuse liberté. Mais sur ce plan j'étais relativement tranquille : elle vivait en couple.

Du moins jusqu'à sa rupture, il y a quelques mois. Là, subitement, elle est devenue "libre" et a cru pouvoir vivre avec moi quelque chose de beaucoup plus fort. Elle imaginait qu'il en serait de même pour moi. Or de mon côté rien n'avait changé : sa différence m'intrigue et m'instruis, la recherche des possibles m'intéresse, mais pas au point de bouleverser mon existence. Nous avons certes un goût similaire pour la lucidité et la conscience, des désirs à la compatibilité incertaine qui nous rapprochent, mais notre implication dans la relation reste fort différente...

Elle est amoureuse.

Non seulement amoureuse, mais aussi demandeuse. Avec des demandes qui, lorsque je n'y réponds pas suffisamment, ont pu me valoir reproches et critiques. Dans ce climat instable mes besoins fondamentaux se sont rapidement manifestés : j'ai, avant tout, besoin de me sentir libre et en confiance. Et pour moi une relation de confiance implique le respect d'un pacte de non agression. Or la persistance de son insatisfaction a pu conduire mon impulsive partenaire à des épisodes d'agressivité et de rejet qui m'ont déstabilisé. À ces moments-là, voyant mon intégrité et ma liberté être attaquées avec virulence, j'ai pensé quitter ce climat d'insatisfaction hostile, que je sais m'être néfaste. Je n'y trouvais plus mon compte, sentant bien que ma façon d'être causerait encore longtemps une souffrance en face. L'envie de poursuivre et l'ouverture au dialogue ont cependant toujours permis de revenir à des épisodes plus calmes, sans turbulences excessives. Périodes durant lesquelles le travail de conscientisation a pu entraîner des avancées prometteuses. Jusqu'à la crise suivante...

« J'ai envie de toi... c'est trop difficile. Je n'y arrive pas. J'ai trop besoin de toi, de passer du temps avec toi. Je t'aime trop, je te donne trop et tu ne me le rends pas assez. Pourquoi n'as-tu pas envie de me voir plus souvent ? Je souffre du manque. J'ai envie de tout arrêter... »

Ces mots j'en connais bien la sonorité. Ils font écho à ceux qu'autrefois je taisais en ressentant le même genre de difficulté affective. C'était, bien sûr, au temps de l'emblématique complicité qui allait me conduire à remettre profondément en question ma façon d'aimer...


C'est là que ça devient intéressant : par un hasard qui n'en est pas un je me retrouve "de l'autre côté". Position inversée, au coeur de la réflexion qui mobilise mes pensées depuis que j'ai moi-même cruellement souffert du manque : comment faire lorsque les attentes sont différentes ? Comment faire lorsque l'un demande davantage que ce que l'autre a spontanément envie de partager ? Comment faire lorsque l'un souffre de son immaturité dans le domaine affectif ?

Je ne crois pas qu'il y ait à "faire" quoi que ce soit : il y a à ressentir. Éprouver pleinement ce qui est, douceur et douleur, et en tirer des enseignements. De là seulement pourra être trouvée la voie qui se cherche : qu'ai-je envie de vivre ?



(à suivre)





Chemin d'émancipation

Sept temps de réflexion
3 - Le prix de la délivrance




Samedi 3 septembre


« Pourquoi ne veux-tu pas vivre intensément cette relation ? De quoi as-tu peur ? Le temps passe et c'est maintenant qu'il faut vivre, à fond, sans se poser de questions. Ensuite, quand on sera au bout, ça sera fini et chacun passera à autre chose, sans regrets. Non ? »

Ce leitmotiv a scandé ma relation avec elle depuis le début. Il ne correspond pas du tout à ma façon d'être, ni de vivre les liens, et je n'y ai donc pas adhéré. Pour moi vivre dans l'urgence en brûlant mon existence serait signe d'une anxiété devant le temps qui passe. Or je ne m'inquiète généralement pas de l'avenir, beaucoup trop imprévisible. Je vis au présent ce qui peut se vivre. Et si ça ne peut pas... et bien je l'accepte ou agis en vue de l'accepter.

A chaque fois que j'ai répondu en ce sens une réaction a fusé : « Alors je crois que je vais arrêter là... c'est trop difficile pour moi. Arrêter complètement, définitivement. Je ne te recontacterai jamais, tu seras tranquille. Mais il faut que tu m'aides à partir, c'est trop dur. Il faut que ce soit toi qui arrêtes puisque moi je n'y arrive pas. »

Trois ans que j'entends cela, sous diverses déclinaisons...



Dès le départ, j'ai voulu être très clair sur la façon dont je pensais pouvoir investir la situation : par curiosité et goût de la découverte. Échaudé, je voulais éviter que celle qui m'annonçait sans ambages vouloir « vivre quelque chose de fort » se fourvoie dans des illusions. Je n'ai pu que les écrêter en rappelant à plusieurs reprises cette cruelle réalité : je ne suis pas en manque affectif et ne cherche donc pas à m'investir dans une relation intense de type amoureux. Non seulement je n'y suis pas prêt, mais en plus je n'en ressens pas l'envie. Alors je vis ce qui est possible autrement, m'accommodant sans peine des quelques inévitables frustrations de la vie en solo.

A chaque rappel j'ai vu ma partenaire accuser le choc du réel : nous ne nous situons pas dans le même registre.

J'ai eu beau constater que son envie relationnelle était forte au point de négliger la différence d'implication, j'ai considéré qu'il ne me revenait pas de la "protéger" en mettant fin à une relation qui lui est aussi douloureuse à vivre que nécessaire. En la matière j'applique un principe fort : ne pas décider à la place de l'autre. Par expérience je sais que certaines avancées personnelles passent par des situations de dépassement de soi, donc avec difficulté, et même souffrance. Il est de la responsabilité de chacun de se déterminer seul. C'est le prix de la délivrance.

Je n'ai pas accédé à sa demande mais, par contre, j'ai eu envie de prendre un rôle d'accompagnant impliqué : demeurer stable face à une forte ambivalence tout en restant attentif à mes propres ressentis, besoins, limites. Parce que la situation, inévitablement, sous une telle pression, m'a mis moi aussi en mouvement intérieur. Mes émotions et ma sensibilité ont été parfois ébranlées par le flot tumultueux d'un mal-être qui se lâche.

Ma place est évidemment plus enviable dans cette relation : ce n'est pas moi qui subis une grosse frustration. Ce n'est pas moi qui dois renoncer à l'idéal et accepter la réalité. Ce n'est pas à moi qu'il revient de faire le chemin vers le nécessaire détachement, puis l'émancipation. En revanche j'ai subi régulièrement les contrecoups de ce difficile travail : agressivité défensive et mouvements de yoyo, critiques amères, menaces réitérées de tout arrêter. Joies éphémères suivies de déprime et de désespérance. Ma capacité à contenir ces signes de détresse et d'angoisse s'est renforcée au fil du temps et, jusque-là, malgré la tentation de me mettre définitivement à l'abri de manifestations de mal-être paroxystiques, la relation a tenu. A la longue elle semble même se solidifier par les épreuves qui l'ébranlent régulièrement. Elle pourrait cependant s'arrêter inopinément à la prochaine difficulté. N'importe quand. D'un jour à l'autre le néant relationnel peut prendre place et devenir définitif. Elle m'a prévenu très tôt des modalités radicales de rupture qu'elle appliquerait et je les ai acceptées. J'ai investi cette relation ainsi, en toute connaissance de cause. Pour l'adepte du dialogue et de la durée que je crois être, c'était une révolution.

Une telle relation n'a pour moi été, jusque là, ni douce ni apaisante. Elle n'est pas non plus révélatrice, ni réparatrice, ni libératrice. Du moins pas directement. Alors pourquoi la vivre ? Tout simplement pour la satisfaction de voir deux désirs se trouver des compatibilités : le sien de s'approcher de moi, le mien d'explorer ce qui était vivable ensemble. Finalement pour moi la relation serait plutôt de l'ordre de l'apprentissage et de la confirmation : j'apprends à vivre sereinement et sincèrement un lien fragile marqué par une complexité certaine, et j'y parviens. C'est rassurant sur le plan de mes capacités : je me vois assez résistant pour tenir, stable pour calmer les débordements, patient pour laisser passer les orages (tant que je trouverai suffisamment de satisfactions...). Je supporte plutôt bien les coups de boutoir maintenant, et ne me sauve pas quand je constate des attentes très supérieures à ce que j'ai envie de donner. Je ne me sens pas coupable de ne pas répondre à des demandes inatteignables puisque j'ai, dès le départ, clairement énoncé ma position. Ma plus grande difficulté consiste à maintenir le cap sous la pression continue d'un espoir de changement... qui n'a aucune chance de se produire : l'état amoureux qu'elle attend ne viendra pas.

Par ma présence attentive je crois que j'apporte autre chose, sans doute plus nécessaire : un soutien actif. D'une certaine façon, en ayant la constance d'un ami fiable, j'ai joué un rôle partiel de père en étant celui qui frustre, mais aussi celui qui reste. Cette capacité à rester c'est ma force, mon atout majeur. Parce que je ne remets pas tout en question dès que ça ne va plus, parce que j'ai une patience suffisante pour ne pas prendre de décisions impulsives, je lui permets, à elle, de se débattre dans ses propres contradictions. D'aller et de venir au gré de ses envies et capacités. Bien souvent, après des épisodes de crise aux manifestations assez violentes, alors que la fin avait parue une nouvelle fois imminente, j'ai été remercié d'être encore là. D'avoir tenu bon. Cette reconnaissance m'a touché, mais ma véritable satisfaction c'est de constater que ma vibrionnante opposante retrouve un bien être palpable. Ne serait-ce que temporairement...

Sentir l'autre heureux, qui pourrait s'en étonner, me fait du bien. La lente évolution vers des moments de paix plus durables est ma récompense. Ce n'est pas la seule satisfaction que je trouve dans cette relation : outre le plaisir de la rencontre en perpétuel renouvellement il y aussi celui de comprendre.

Car ce qui se vit là m'éclaire [évidemment] sur ce qui s'est passé autrefois dans la mythique relation-référence dont je contourne les remous. Entre la relation actuelle, active, et les traces profondes de *l'autre histoire* les rapprochements sont nombreux. L'inversion partielle des rôles, mais pas des personnalités [je suis le même] me met souvent face à des prises de conscience savoureuses. Notamment quand je m'entends aujourd'hui énoncer calmement des idées qui, lorsqu'elles m'étaient adressées autrefois, me crucifiaient. J'étais alors demandeur de signes, sûr de mon bon droit, inquiet face à un avenir que je sentais incertain [hum... avec raison !], en besoin constant de réassurance. Inversion des rôles. J'ai mûri et il me plaît de le constater.

Oui, bien souvent je me vois avoir adopté aujourd'hui des postures que je ne comprenais pas dans le passé. Drôle de retournement ! Je me vois aussi réagir tel que j'aurais aimé le sentir à mon égard en circonstances semblables : avec empathie. C'est sans doute une force dont je dispose.

Tout cela m'interpelle, stimule mes réflexions. Entre présent et passé il y a réactivation fréquente de l'expérience vécue et des enseignements qui en ont été tirés. J'ai cheminé, c'est certain. Alors je regarde avec une certaine tendresse les souvenirs dépassés, amicalement indulgent envers la lointaine ex-complice avec qui ils ont été vécus...

À force de réflexion j'en arrive à comprendre les réactions de l'amie d'autrefois, leur trouver un sens. C'est important puisque c'est par ce moyen que je peux sortir du ressentiment longtemps séquestré par l'incompréhensible refus de dialogue. Toutefois, bien que je comprenne, je constate que j'ai opté pour une autre façon de faire qui, finalement, m'en apprend beaucoup sur nos différences.



« Les illusions perdues sont aussi la porte ouverte
à ce miracle : la déception merveilleuse »

- Pascal Bruckner -




(à suivre)






Chemin d'émancipation

Sept temps de réflexion
4 - De la honte à la responsabilité



Samedi 17 septembre


Depuis que je suis en âge de raisonner j'ai besoin de comprendre pour agir. Comprendre ce qu'on me demande de faire, ce qu'on attend de moi, et quel objectif cela sert. Comprendre la logique, la cohérence avec laquelle les faits s'enchaînent. Surtout si je suis contraint. D'une nature plutôt conciliante, accomodante, voire docile, je déteste devoir "obéir" sans comprendre. Me forcer ne fonctionne pas ! Quelque chose en moi résiste. Fermement. Faussement obéissant, pour ne pas m'opposer frontalement, j'agis alors selon ce que je crois être juste, logique, ou qui me semble la meilleure façon d'aller vers de tels objectifs. Viscéralement intègre, je ne peux adhérer à une idée tant que je n'en saisis pas les motivations. Cette forme de résistance passive a pu rendre ma vie difficile quand on attendait de moi que j'agisse sans m'avoir donné d'explications suffisamment convaincantes : d'abord en échec scolaire dans les disciplines dont je ne comprenais pas le sens ni l'utilité, je reste en conflit latent avec toute forme d'autorité dont je ne percevrais ou n'approuverais pas l'argumentaire.

Mon besoin de connaître le sens de ce pour quoi j'agis est d'autant plus fort que j'attache de l'importance aux enjeux à servir. Il n'y a donc rien de surprenant - et c'est là où je voulais en venir - à ce que j'ai été extrêmement persévérant pour décrypter l'énigme qu'a constitué à mes yeux la fin subite d'une relation captivante : je lui avais accordé une exceptionnelle importance.

Objectivement j'ai bien conscience qu'une telle persévérance envers un fait aussi ordinaire - en apparence - qu'une rupture pourrait passer pour de l'obstination excessive, voire un acharnement pathologique. Mais ce serait omettre un aspect déterminant : les circonstances de la rupture. Alors oui, j'ai fait preuve d'opiniâtreté, mais c'est parce que face au flou sur le point focal j'ai voulu mettre au net tout le paysage environnant : comprendre ce que la situation m'indiquait de moi-même et de mon rapport aux autres. Notamment dans les liens à coloration affective.

La démarche, réjouissante mais fort longue et souvent pénible, m'a été très utile. Éclaircissante, elle m'a beaucoup appris.

Seul bémol, mais de taille : j'ai publié beaucoup de mes suppositions et hypothèses sur ce pseudo-journal. Un support qui, s'il m'a paru le plus naturel dans sa continuité, n'était pas le plus judicieux : aborder publiquement certains aspects de ma vie était indélicat. Notamment lorsque mes écrits risquaient fort d'indisposer la fugitive complice qui, pendant longtemps, a continué à me lire.

Bizarrement, j'ai été particulièrement rétif à accepter de me taire alors que, simultanément, je me sentais vraiment mal à l'aise en divulgant des éléments d'une situation privée. Mais le besoin de comprendre était le plus fort...

Dans un drôle de jeu de vrai-faux silence, mode de communication indirecte assez tordu autour d'une situation qui ne l'était pas moins, la honte affleurait et me conduisait à justifier mon attitude tout en portant un regard assez sévère sur cet impudique déballage. Si ma quête de sens me semblait tout à fait légitime, les moyens que j'utilisais me dérangeaient. J'avais l'impression désagréable de commettre une faute sans pouvoir l'éviter ! Une triple faute, en l'occurrence : être « encore là-dedans » après autant de temps ; l'évoquer publiquement malgré un "interdit"; et surtout dévoiler des éléments d'intimité privés. Ce qui fait que progressivement je me suis tu. J'ai évité le sujet. J'ai différé afin de ne pas ressentir le malaise. Mais j'avais tort : il n'y a aucune honte à évoquer l'emprise d'une histoire fortement investie, ni à chercher à la dépasser, ni à y rester durablement loyal. Il n'y a pas davantage de honte à choisir un cap incertain, et le maintenir, sans savoir si un jour une terre hospitalière sera atteinte.

Par contre j'aurais pu chercher à comprendre dans la discrétion. Si ça ne s'est pas fait c'est peut-être parce que je poursuivais d'autres objectifs...

Avec le recul j'ai constaté que mes moments de honte étaient transitoires : quand il m'est arrivé de me relire avec quelques mois de différé je n'ai pas ressenti la lourdeur poisseuse que je redoutais de trouver. Mes écrits, longuement élaborés, m'ont semblé alors plutôt justes et honnêtes, relativement fluides, mesurés. Sans doute un peu naïfs aussi. Et puis surdémonstratifs et insistants, bien sûr. Incontestablement redondants, ils étaient grevés du sentiment de culpabilité inhérent à celui qui veut bien faire, ou aurait voulu bien faire. Redoutant d'avoir été mal jugé et de l'être encore j'ai pris le risque de renforcer la sentence en défendant ma cause...

Le sentiment de culpabilité (auto-jugement), dont je ne me débarrasse que lentement, a très longtemps parasité une prise de conscience émergente beaucoup plus utile : celle de ma responsabilité dans ce que je vis, donc de ma capacité d'action. Je crois que le travail de distinction entre culpabilité et responsabilité aura été le résultat majeur de mes années de réflexion. Mes écrits, surtout portés par une volonté de comprendre et d'intégrer les raisons d'un échec dans le dialogue, ont toujours eu le même objectif : aller vers une conscience plus aboutie de mon rapport aux enjeux relationnels. Cela passait évidemment par la conscience de la responsabilité de chacun, mais aussi de ce qui tient de l'inévitable : ce sur quoi personne n'a prise. Ma démarche de décortication a été obstinée, je ne crois pas qu'elle ait été ridicule. Sa durée a pu être incompréhensible mais, personnellement, je sens qu'elle a été constructive. J'ai pu constater les changements.

Ah, flagrant délit de justification ! Mais de quoi me sens-je donc coupable ? Oh je le sais bien : acharnement vain et déplacé, incapacité à « tourner la page », refus d'accepter la réalité... Or il ne s'agit évidemment pas [pas que...] de ça. Mais si quelqu'un le pense de moi je ne réussirai sans doute pas à le faire changer d'avis. Et alors ? En quoi cela me regarde t-il, finalement ? Chacun pense ce qu'il peut. En supposant des interprétations erronées, des jugements hâtifs, des simplifications hasardeuses, j'anticipe les réactions éventuellement incrédules d'une partie du lectorat... laissant libre cours à l'expression de mes névroses. Je me fais du mal en imaginant le pire...

Meurtrissures laissées par le souvenir de sentences implacables...

Hum, je voudrais être au dessus de ça mais n'y parviens pas vraiment. Pas encore. Sensible à ce qu'on pourrait penser de moi. C'est ça mon problème...

Mais quelle importance ? De toutes façons la perception que j'ai de moi-même à travers l'image que je crois donner à lire est faussée. Tout ce que je livre ici manque cruellement d'altérité ! C'est la limite de l'exercice, d'ailleurs : le journal est un efficace outil de prise de conscience solitaire, certes, mais qui peut aussi renforcer les représentations erronées. Autant les représentations de soi que celles du monde.

Toujours garder cela à l'esprit.



(à suivre...)







Mois de décembre 2011