Août 2011

Dernière mise à jour - Accueil - Archives - Message






La saveur de l'existence




Lundi 15 Août


J'ai (re)découvert le Journal d'Ariane Fabre, diariste en ligne quasiment aussi ancienne que moi (j'ignorais qu'elle poursuivait sous un autre nom). J'ai lu avec plaisir ses débuts, dans un style qui me plaît et auquel j'aurais aimé que le mien ressemble : des entrées courtes, écrites sur un ton à la fois léger et sérieux, sobre et savoureux, avec une lucidité qui rend l'ensemble pétillant. Je lis par petits morceaux, comme lorsque je déguste des carrés de chocolat noir.

Lire des textes datés de onze ans, c'est un peu bizarre dans le monde d'internet, mais j'aime bien y trouver des traces d'intemporalité.

De mon côté j'écris. Un gros pavé qui devrait paraître dans quelques jours. Non, ce n'est pas un livre : seulement un très long texte que je fractionne en épisodes cohérents. Marre des trop longs textes [oui, je sais que des lecteurs aiment ça...]. Il accroissent le sentiment de lourdeur qui fait qu'il m'est difficile de publier ici. Je n'aime pas vraiment ce que mon journal est devenu : a demi-déserté et monomaniaque. Je ne m'y retrouve pas. Ma vie ne se résume pas à ce que j'en dépeins. Et comme je n'ai pas envie de me donner à lire sous un jour qui me déplaît, je m'abstiens. Mais l'envie d'écrire est toujours là. Simplement contenue, muselée.

Ah, tiens, c'est justement en rapport avec mon pavé...

Depuis combien d'années ne me sens-je plus libre d'écrire ? Ouh la... pas mal d'années [mais c'est ainsi...]. L'ai-je été un jour, libre ? Oui, je crois. Aux moments où mon enthousiasme me portait à une sorte de dépassement. Comme si j'étais grisé par ce que je vivais, désinhibé par une légère ivresse.

Hum... est-ce que cela voudrait dire que mon existence actuelle ne m'exalte plus beaucoup ? Disons que je vis autre chose. Je parcours des paysages qui présentent moins de relief. C'est assez calme. Tranquille.

À écrire cela, peut-être en suis-je arrivé a un point où la saveur de mon existence commence à manquer de surprises ? Je ne voudrais pas, à force de chercher la paix de l'esprit, en arriver à une vie trop ascètique.






Chemin d'émancipation

Faire le point




Mercredi 24 août


Dans l'intervalle de silence qui sépare leur publication mes textes sont désormais le fruit d'une lente, très lente gestation. Une mise en mots qui peut être extrêmement laborieuse : c'est à un véritable travail que je me vois convié.

Je m'y livre avec zèle, tout en me demandant où peuvent encore se nicher les fragments intacts de l'écriture spontanée. Que reste t-il du primal jaillissement quand chaque mot signifiant est repris, évalué, soupesé, mesuré, calibré, millimétré pour s'ajuster à... ce que j'ai envie de mettre en évidence ? En cherchant à m'approcher de ce qui me semble le plus juste je ne laisse plus rien au hasard. Sous la force de la contrainte le plaisir de l'écriture change de nature : moins libératrice dans l'instant, elle est davantage génératrice de conscience à long terme. Elle me travaille.

Avec une telle volonté de contrôle j'ai forcément réduit la fréquence de mes interventions. Je les centre sur ce qui m'est le plus nécessaire, sous une rigueur pesante dont ce journal pâtit peut-être. À tel point qu'il pourrait bien s'étouffer complètement si je continuais ainsi.

Mais la recherche de précision m'est utile : par elle la perception que j'ai de moi-même et de mon rapport aux autres s'affine. Mon récit, autrefois abondamment descriptif, a vu sa part muette, non transcrite, devenir prédominante. Et c'est là, dans ces silences, que s'élabore le changement intérieur ! Le processus d'émergence propre à l'écriture introspective ne passe plus uniquement par la mise en mots mais aussi, et beaucoup, par le travail préalable à la publication. La simple perspective de la transcription, réduite parfois à quelques annotations, ébauches de pensée, fragments de dialogues, peut même suffire à induire le mécanisme de conscientisation. C'est une écriture mentale, en quelque sorte.

Aiguillonné par les aléas du réel, porté par la curiosité et le goût de la découverte, un véritable travail sur ma conscience s'est fait grâce à cette démarche. Paradoxalement j'ai l'impression qu'il n'en transparait pas grand chose dans mes écrits. Ils restent mobilisés, de près ou de loin, autour d'un filon de réflexion semblant inépuisable : l'exploration de mon rôle dans un scénario relationnel à l'épilogue indécidable. Aaah, nous y voilà ! Au coeur du sujet ! Dans l'objet diaristico-relationnel. À l'interface entre une relation élevée au rang de mythe et la narration publique de ses conséquences. C'est LA référence dont j'ai étudié en détail les énigmatiques circonvolutions. En utilisant le journal pour "faire le point" à intervalles aléatoires, le rôle que j'ai accordé a l'écriture, à la fois introspective, récapitulative, démonstrative, en a fait un instrument de premier plan pour agir sur mon évolution. Avec des aspects positifs observables immédiatement... et d'autres qui ne se révèleront probablement qu'avec l'écoulement du temps.

Un jour je n'aurais plus à remâcher les dernières questions sans réponse: j'en aurais compris les obscurs enjeux et tiré les enseignements nécessaires. Un jour je m'en sentirai libéré. Un jour que je voudrais proche mais qui viendra... le moment venu.

Pour l'heure je ressens encore une molle nécessité d'inscrire la trace de récentes avancées. Pour qui, pour quoi... je ne cherche pas trop à savoir. Il s'en faudrait de peu pour que je garde tout cela dans le secret de mon ordinateur. Si vous le lisez c'est que je l'aurais finalement mis en ligne, fidèle à je ne sais quel esprit de continuité.




Flash-back : il y a quelques années le discret quadragénaire que j'étais se sentait engoncé dans un cadre moral trop étroit. La conscience de l'unicité de mon existence, sans doute devenue plus prégnante avec la perspective évaluable de l'échéance de ma mort, m'a donné envie de vivre mes envies avant qu'il ne soit trop tard. En particulier une envie forte, dont je m'étais interdit l'éventualité jusque là : accéder à l'intimité d'autres femmes que ma compagne. Oh je ne l'aurais pas exprimé aussi clairement à cette époque, proscrivant ce genre de mâles pensées, mais il s'agissait bien de cela. Ce que d'aucuns appelle "démon de midi", parce qu'il se manifeste très communément à mi-vie. Une motivation qui, pour moi, a été suffisamment puissante pour m'extirper de mon étouffant carcan moral. L'attirance vers le continent méconnu de la diversité féminine a fait le reste. Cet attrait m'a permis de me confronter aux craintes qui me limitaient, les dépasser parfois, et découvrir ainsi d'autres modes de pensée, d'autres façons de ressentir, d'autres sensibilités. Et d'autres corps, bien sûr, mais était-ce vraiment là l'essentiel ?

J'étais parti à la rencontre du féminin, j'y ai trouvé l'humain. Sans distinction de genre. L'humain avec ses grandeurs et ses limites, ses croyances et ses éclats, ses peurs et ses faiblesses, ses grands idéaux et ses petits arrangements. Bref : l'autre, dans ce qu'il a de terriblement semblable et de tellement différent de moi. L'altérité qui me révèle à moi-même. Que cet "autre" soit femme, finalement, ne change pas grand chose à l'affaire...

Sauf que, pour moi, cette altérité était plus attirante.

Il m'a quand même fallu oser l'approche. Aller à la rencontre. Audaces d'abord discrètes, timorées, mais dont les réussites m'ont permis de renforcer ma confiance en moi. Suffisamment pour croire que ce que je suis ou ce qui émane de moi pouvait intéresser une pluralité d'autres. Ne pas redouter que ce ne soit pas le cas. Et comme ça ne l'a pas toujours été, j'ai pu apprendre à l'accepter simplement comme une non-coïncidence, sans le prendre comme une remise en question de ma valeur.

D'un autre côté il a aussi fallu que je me laisse approcher. Acquérir une confiance dans ma capacité à accueillir l'altérité, en souligner les contours, parfois la contenir, tout en restant au contact d'un égo en évolution constante. Apprendre à ne pas être sur la défensive, qui ferme, mais tendre vers l'ouverture sans crainte. Disponible pour recevoir l'inattendu.

Mon cheminement m'a conduit à faire de nombreux détours, mais je suis persuadé qu'ils avaient tous leur raison d'être. Et ce n'est pas fini...



(à suivre)






Chemin d'émancipation

Sept temps de réflexion
1 - L'approche intime




Samedi 27 août


J'aime l'idée de la rencontre. Elle m'a séduit plus que je ne l'aurais imaginé. Je veux parler là de la rencontre en tant que mouvement de l'un vers l'autre, attraction mutuelle au devenir inconnu. La rencontre quand elle ouvre au partage intime, approfondi. Chez l'autre la surface m'intéresse peu, mais accéder à la part secrète, sensible, fragile, vulnérable, émotive, voilà ce qui me plaît ! Là où l'on s'expose, se met à nu, coeur à vif, et qui, pour cela, ne s'offre qu'avec circonspection. S'accueille avec gratitude. Un dévoilement qui nécessite un climat de confiance réciproque, qu'il ait été nourri par la durée des temps partagés ou soit né subitement des circonstances de l'instant.

À partir de là l'élargissement de l'éventail des possibles devient fascinant. Excitant.

C'est évidemment lorsque je perçois une sensibilité qui touche la mienne que je m'implique avec le plus de réceptivité. J'aime alors explorer l'espace qui se situe entre des personnes qui, par le jeu des ressemblances et des différences, s'attirent. J'aime sentir ce mouvement hésitant de l'un vers l'autre, les frottements avec le besoin de rester intègre. J'aime cette recherche qui consiste à s'ouvrir autant à l'autre qu'à soi. J'aime l'approche intime.



Bon... tout cela est rigoureusement exact, mais ne correspond que partiellement à la réalité. Mes attractions sont sélectives : jusque-là, allez savoir pourquoi, c'est envers des femmes, et seulement des femmes, que mes envies de rencontres ont prédominé. Surtout si quelque chose en elles me les rend séduisantes... Bien sûr il m'arrive aussi de faire de belles rencontres masculines, mais elles sont généralement le fruit des hasards. Je veux dire : non recherchées. Mon attrait pour le féminin explique largement le déséquilibre mais je crois que s'y ajoute une barrière mentale : avec un homme la rencontre sera *forcément* limitée. Or le partage intime tel que je l'imagine peut être cognitif, émotionnel, intellectuel, spirituel... mais aussi, éventuellement, sensuel. Voire sexuel. Il semble que la perspective de cette dernière éventualité pèse lourd dans la balance, bien que la réalité ne permette que rarement d'atteindre cette dimension de la rencontre.

Je ne peux que le constater : si nombre de femmes ont attisé ma curiosité vers le mystère de leur intimité, de façon plus ou moins sublimée, je ne me souviens pas avoir jamais été attiré par un homme. Intrigué, peut-être, mais pas attiré. Il en va de même pour l'aspect sentimental, en tant que mise en résonance émotionnelle. Quel que soit le degré de confidences atteint, aucun homme ne m'a fait vibrer dans ce domaine comme une femme le peut. Ce qui, par contraste, met en évidence la composante sexuée, donc sexuelle, que mon psychisme relie à la notion d'intimité partagée. Rien à faire : le désir reste encore le principal moteur de la rencontre ! Une réalité à laquelle je ne saurais échapper. Elle se situe toutefois dans un registre de confiance connecté aux affects sentimentaux. Mâle je suis, incontestablement, mais accordant ouvertement une grande importance à l'affectif. C'est peut-être en cela que je me distingue d'une part de mes homologues masculins. Ou du moins de l'image qui en est encore couramment dépeinte. Ou que j'imagine être dépeinte...

Mais que sais-je des autres hommes, finalement ?

De leurs pensées intimes, pas grand chose. Mes relations avec eux se limitent à des scénarios assez simple et dénués d'ambitions puisque le rapprochement est d'emblée borné : attirance sexuelle et inclination sentimentale n'en feront pas partie. J'ai pourtant parfois pris grand plaisir à échanger des points de vue sensibles avec quelques compagnons d'aventure, notamment pour évoquer nos vicissitudes sentimentales...

Avec un homme je vois surtout du « même que moi ».

Avec une femme l'approche est très différente : notre distinction fondamentale fait que plusieurs composantes relationnelles peuvent se combiner. Ce qui rend la rencontre attirantes c'est l'incertitude : du plaisir de l'échange (dialogue), de l'amitié (confiance), du désir (attirance sexuelle) et de l'indéfinissable "amour" (attraction émotivo-affective), quels sont les moteurs qui entrent en jeu ? Qu'est-ce qui me plaît et m'attire, me retient, m'inquiète ou me stimule, quand je suis en relation avec telle ou telle femme ? Qu'en est-il pour elle ? Jusqu'où ira notre rapprochent intime ?

Il n'est pas forcément besoin de se poser ces questions, et encore moins de leur trouver réponse immédiate : la relation peut se vivre telle qu'elle est, au jour le jour, au gré des circonstances et du croisement des désirs. Sauf que cette nébulosité ne convient pas à tout le monde, dès lors que plusieurs composantes entrent en jeu. Si moi je m'en accommode bien actuellement, j'ai plusieurs fois constaté que le besoin de connaître la nature des sentiments, si ce n'est leur hauteur ou leur intensité, conditionnait la suite de la rencontre. En clair : si tu ne m'aimes pas autant que je t'aime, le processus d'approche s'arrêtera là... et la relation avec. Ce n'est généralement pas dit, peut-être même pas conscientisé, mais je l'ai vu suffisamment souvent pour le prendre en compte. Parfois c'est simplement la fréquence des échanges qui est perçue comme insuffisante et conduit au désinvestissement de la relation.

Que devient alors l'amitié embryonnaire que la confiance partagée avait construite jusque-là ? Bien souvent elle cesse...

Cette prévalence de "l'amour" (sentiment et/ou sexualité) sur l'amitié m'a longtemps laissé perplexe. Pour moi la valeur première est l'amitié (lien de confiance mutuelle), indispensable pour aller plus loin dans l'investissement sentimental. Quant au sexuel il reste certes un objectif plus ou moins fantasmé, à valeur stimulante, mais n'est pas une priorité. Je ne l'inféode pas non plus au sentiment amoureux [il serait intéressant que je relise mes écrits les plus anciens sur ce point...].

Plusieurs rencontres, et c'est le grand intérêt de leur diversité, m'ont donc ouvert à d'autres perceptions que la mienne.

L'inadéquation des envies à fait que j'ai vu s'effacer quelques unes des femmes rencontrées sur mon parcours de découverte. Après les temps d'approche et de confidences, quand le désir a nettement fait irruption mais n'a pas été accompagnée par un embrasement sentimental réciproque, leur implication a cessé. La mienne aussi, par voie de conséquence. L'amitié naissante, conduisant plus ou moins rapidement à une approche sexuelle, semblait n'avoir eu pour elles qu'une finalité : *l'amour* [ou plutôt le besoin de signes fréquents de réciprocité affective]. Mais cet amour-là ne faisait pas partie de mes objectifs. Les miens demeurent immuablement l'approche, la découverte, la recherche, l'exploration conjointe des possibles. Le dialogue approfondi et la quête se sens y tiennent la plus grande place. Si désir et compatibilités s'y prètent, une sexualité peut éventuellement prendre place lorsqu'elle s'accomode d'une intimité qui ne nécessite pas d'être *l'amour*. Amitié amoureuse, amitié sexuelle, amitié désirante, amis-amants, voilà les concepts qui me tentent. Ils sont alors indissociables d'une confiance réciproque, donc du respect des différences. Quant à l'amour, le vrai, je considère qu'il est là dès qu'il y a écoute, attention offerte, prise en compte des désirs de l'autre. Cet amour-là n'attend rien.



Tout cela fait que j'en suis venu à redouter de voir apparaître les symptômes amoureux dans les relations d'approche intime. Ils s'assimilent trop souvent à des attentes dont l'insatisfaction conduit à de la souffrance. En fait ce n'est évidemment pas l'amour que je redoute, mais une insatiable attente d'amour que je ne saurais satisfaire. J'en parle d'autant plus aisément que j'ai moi-même connu cette attente torturante...

Depuis que j'ai refusé de vivre de nouveau une telle aliénation je n'ai pas cherché à retenir mes partenaires d'exploration en partance pour d'autres aventures. Pas plus que je n'avais cherché à les séduire. Notre temps de concordance, coïncidence visiblement éphémère, était probablement écoulé. L'éloignement et le silence ont fait le reste, tout naturellement. Mais pas systématiquement : parfois le contact demeure, avec des moments de partage de loin en loin. J'y suis sensible. J'apprécie cette persistance chaleureuse qui me fait du bien à l'âme. Cette libre fidélité au lien m'est douce et précieuse. J'y vois la reconnaissance durable des bienfaits d'un respectueux partage.

Les diverses expériences intimes que j'ai vécues m'ont enseigné l'importance du non-attachement dans la relation, quelle qu'elle soit. Processus évolutif, la rencontre n'est pas un état stable : ce n'est qu'une phase d'approche. Rencontre et lien ne sont pas de même nature, ne s'inscrivent pas de la même façon dans le temporel. Instant et durée sont deux rapports différents au temps. Je crois que c'est ce que j'avais besoin de comprendre. Pour vivre au présent les relations, même les plus proches, il faut accepter l'idée qu'elles n'aient pas forcément d'avenir. Pour moi c'est un énorme changement de paradigme, dont je dois la compréhension au travail acharné fait depuis le repli mutique de l'amie que je considérais comme âme soeur. J'ai cru construire un lien alors je vivais l'expérience d'une rencontre.

Chaque souvenir, chaque phrase mémorisée, devront passer, tôt ou tard, à travers cette autre grille de lecture.

Si un jour l'état amoureux m'envahissait de nouveau, saurais-je rester dans le non-attachement ? Je verrai ça le moment venu, s'il vient... En tout cas c'est dans le "laisser libre" que je vis désormais. Et si j'ai parfois été attristé, évidemment, de voir s'éteindre les moments de partage, de confidences et de découverte, au moins n'en ai-je plus souffert. Peut-être ai-je appris à aimer plus... librement ?



« L'âme soeur elle ne débarque dans ta vie que pour te révéler une
autre strate de toi même, et ensuite,
elle se casse. Dieu merci. »
- Liz Gilbert -



(à suivre)






Mois de septembre 2011