Mars 2011

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Reconnaissance



Dimanche 27 mars
[mis en ligne le 10 avril]


Il y a une quinzaine d'années un éminent jury me décernait un prix récompensant ma démarche professionnelle. En même temps qu'une légitime satisfaction je me souviens avoir ressenti, ce jour là, un surprenant sentiment de tristesse et de manque. Avoir obtenu un signe fort de
reconnaissance m'avait ramené vers une perte restée douloureuse : celle du regard de... la première fille qui s'était intéressée à moi ! Vingt ans plus tard je ne m'étais pas encore remis de son éloignement après qu'elle m'ait porté une attention profondément bienfaisante et reconstructrice sur le plan narcissique. Grâce à ce regard valorisant j'avais pu reprendre pied dans l'existence après une adolescence marquée par un sentiment d'insignifiance.

Cette anecdote mes revenue à l'esprit à l'occasion de la diffusion du documentaire de France culture. Cette fois j'ai consté que, fort heureusement, je ne ressentais aucun manque vis à vis de quiconque : le sentiment de
reconnaissance (peu importe que ce soit fondé ou pas) que j'ai perçu après que mon témoignage ait été diffusé m'a suffi. Je n'avais d'ailleurs informé que très peu des membres de mon entourage proche : nul besoin de me sentir apprécié par telle ou telle personne. J'étais pourtant exposé à ce risque après avoir vu s'éloigner de moi, il y a quelques années, des regards qui furent aimants, fondamentalement et narcissiquement valorisants. Mais il semble que le vide ressenti lors de ces effacements se soit suffisamment résorbé...

Tout cela pourrait paraître dérisoire, mais j'y vois le signe d'un changement considérable !

La disparition de mon
besoin de reconnaissance de la part de personnes emblématiques, autrefois trés investies affectivement, me montre le chemin parcouru : je me vois devenu "libre". Libéré de ces regards à qui je voulais plaire pour être "aimé" et valorisé. Asservi à mon propre besoin, j'étais prêt à me soumettre pour être nourri par ce qui me manquait : la reconnaissance. Pour l'obtenir de la part des personnes qui comptaient, j'aurais pu me dissoudre.

Aujourd'hui je suis encore loin de me sentir totalement libre de plaire ou de laisser indifférent, voire de déplaire, mais je sais qu'il y aura toujours des personnes pour apprécier ce que je suis et ce que j'exprime. Cette "indépendance" (relative) vis à vis du regard d'autrui signifie que je ne donne plus à quiconque le pouvoir démesuré de m'anéantir. On peut encore m'atteindre, certes, mais je sais aussi me protéger. Je me sens moins vulnérable.

Et comme le regard que je porte sur moi influe sur ce que je vis, il se trouve que, simultanément, d'autres signes de
reconnaissance semblent « tomber du ciel ». En fait, c'est surtout ma façon de les accueillir qui change la donne : puisque je crois davantage en moi j'ose entendre ce qui m'est proposé, voire proposer moi-même ! L'an dernier, parce que j'ai osé parler de ma pratique photographique, j'ai pu vendre mes premiers clichés. Dans un autre registre deux photographes sont venus explorer la diversité botanique de l'espace que j'ai créé, reconnaissant implicitement la valeur de cette collection. Il ne tient qu'à moi de valoriser et promouvoir davantage ce lieu extraordinaire... Ailleurs c'est la qualité de ma présence qui est reconnue. Et dernièrement, dans mes fonctions professionnelles, je me suis vu attribué le poste de responsable en dépassant les autres candidats en lice. C'est une reconnaissance incontestable de mes compétences.

Autosatisfaction ? Oui, assurément ! Je crois que je me suis suffisamment démené pour me réjouir maintenant du chemin parcouru. Mais l'essentiel n'est pas là : si j'écris encore à ce sujet c'est pour témoigner des résultats d'un travail de conscientisation. Et notamment en tirant les leçons d'une épreuve affective révélatrice. Si j'avais cherché à « tourner la page » au plus vite après le naufrage relationnel je serais resté encombré de tout un tas de faiblesses pénalisantes, prêt à retomber dans les mêmes erreurs, n'osant pas m'aventurer trop loin. Au contraire, en décortiquant mes ressentis, en ressassant jusqu'à épuisement les hypothèses causales, je crois être parvenu à une véritable libération.

Est-ce une coïncidence si mon besoin d'écrire s'étiole à peu près au même moment ?






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