Samedi 6 novembre
Le texte qui suit ce préambule est
obsolète puisque j'y décris une situation qui n'existe
plus. Alors pourquoi diable le publier ? Pourquoi
prendre le risque de raviver ce qui, doucement, s'est
endormi ? Euh... je ne sais pas trop...
Je l'ai retenu plus de deux
mois, reportant toujours à plus tard la décision de la
mise en ligne ou de m'en abstenir. Il semble que j'avais
besoin de ce temps. Mais l'obstacle a fini par créer un
bouchon qui, maintenant, m'empêche d'installer la
tonalité que j'ai envie de restituer à ce journal. En
soi le bloquage est significatif de l'importance que
j'accorde à ce texte... Alors il est peut-être
utile que cette mise en mots, qui aura bien joué le rôle
qui lui était dévolu, s'inscrive dans le parcours que je
raconte ?
Le texte met en évidence la
part fantasmée d'une histoire dont il m'a été très
difficile de me détacher dans mes écrits, faute de
réelle fin. Longtemps, très longtemps, malgré mes
efforts pour en sortir, malgré ma conscience d'un
phénomène de captation, mon expression est restée
engluée dans un magma d'imaginaire et de réel
confondus. Quelque chose d'indiscernable,
caractéristique des relations à distance. Je crois que
le manque d'actes suffisamment concrets en était la
cause. Malheureusement la mise en mots de ce
déficit persistant, qui aurait dû me permettre de sortir
du puits sans fond des questions sans réponses, a généré
une sorte de spirale infernale. Un vortex qui
s'autonourrissait. Je n'ai eu de cesse de vouloir
l'arrêter en émettant des appels en ce sens. Parfois
suivis d'effets.
Ce n'est qu'à partir d'actes
concrets que j'ai pu m'en sortir. Par la suite, assez
rapidement, le système a pu se désamorcer. Jusqu'à ce
que j'en arrive à écrire la réalité de mes
représentations et que je lève sans complaisance le
voile sur mes manigances, identifiées depuis très
longtemps. De là s'est tracée enfin la rupture
nécessaire avec la présence fantôme qui envahissait mes
écrits. J'ai pu m'affranchir d'un regard imaginé,
ramener le vécu à sa juste place et libérer l'espace
pour une écriture émancipée. Elle est désormais
possible. Les deux mois de décalage avant publication
auront permis la transition. Un temps de silence,
espace tampon entre les mots et leur intégration. J'ai
attendu de sentir que le processus était effectif avant
de lâcher progressivement les textes précédents.
L'aveu du décalage persistant entre
réalité et imaginaire, ne m'est pas facile. Bien
que je le sache fréquent dans le monde d'internet, j'ai
longtemps hésité avant de le rendre public. Je n'aime
pas sentir que mes pensées m'échappent. Un peu honteux
de cette faille, il fallait que je me sente capable d'en
assumer la gêne...
[Journal à publication
différée]
Elle
imaginaire
Dimanche 29 août
J'écris différemment en ce moment.
En gardant mes textes au secret je les relis, les
modifie parfois légèrement tout en m'efforçant de
garder le fond intact. Mes pensées évoluent vite et
j'aurais envie de changer ce qui n'a déjà plus
cours. Mais je préfère garder trace de cette
évolution dans un temps relativement bref...
Je me répète, aussi. Peu
importe : c'est pour moi que j'écris.
Ça n'a pas toujours été le cas.
Ici il y a trois entités principales à qui je me
suis adressé : moi, vous, elle [1].
Selon les jours, les idées
abordées, je m'adresse préférentiellement à l'une ou
l'autre de ces instances, à la fois réelles et
imaginaires. En fait c'est un peu plus compliqué
puisque je suis plusieurs (mature/immature,
conscient/inconscient, audacieux/timoré, etc.). La
représentation que j'ai de l'autre est aussi
dédoublée selon la même dualité. À vous, lecteurs,
j'attribue une place de... d'arbitre, peut-être ? En
fait j'incarne en vous rien de moins que ma
conscience. Je fais de vous le miroir de ce que
je montre. Par vous j'imagine l'image que j'émet.
Parfois je me vois adulte en chemin de conscience,
parfois je ne suis qu'enfant égaré cherchant
desespérement à sortir de son labyrinthe intérieur.
Quant à elle... je crois que j'ai cessé de
vouloir convaincre. J'ai renoncé. Je m'y suis
apparemment beaucoup plus enfoncé à ses yeux que
rehaussé. Tant pis.
"Elle", c'est devenu un drôle de
personnage dans mon esprit. Un fantasme incarné
envers qui j'ai beaucoup d'indulgence et de
compréhension, en même temps qu'un sentiment de
révolte. Tout mon travail consiste à regarder ce qui
provoque cette révolte.
Révolte et obéissance, deux pôles
opposés qui ont certainement joué un grand rôle dans
la dislocation de l'ancienne complicité qui
m'unissait à elle. En remontant jusqu'aux origines
j'ai identifié à quels moments précis j'ai fait
preuve d'une allégeance absurde. Ce sont les noyaux
à partir desquels la destruction était en germe.
L'obéissance a surpassé la révolte. Jamais je
n'aurais dû accepter de nier mes ressentis. J'aurais
dû affirmer ma différence et ne pas accepter de la
voir exclue.
Je sais désormais que notre
histoire commune s'est fondée sur une part
d'imaginaire. Comme toutes les histoires.
Imagination de soi transmise en toute bonne foi à
l'autre, curieux de découverte. Présentation de soi
selon l'image intériorisée, correspondant davantage
à un désir d'être, ou de ne pas être, qu'à une
réalité. Parler de soi c'est raconter comment on
aimerait être perçu. Images faussées de soi,
autant dans un sens favorable que défavorable. Le «
je suis » se révèlant à la longue être un «
je me vois ainsi », voire « j'ai envie
qu'on me voie ainsi ». Pas étonnant que
chacun se trompe sur le compte de l'autre puisque
chacun se trompe sur soi... Mais l'assurance
apparente fait illusion. Elle est faite pour ça
d'ailleurs : pour protéger ce qui est sensible. Les
solidités cachent parfois des
fragilités. Inversion des points de vue.
Montre moi tes forces et je saurai
tes faiblesses ! Clame ta liberté et je saurai par
où tu as peur de la perdre. Ce que l'on annonce, ce
que l'on a besoin de montrer, est souvent ce que
l'on a besoin de (se) faire croire. Ce que l'on est
n'a pas besoin d'être affirmé : l'évidence s'en
charge.
[1]
"Elle" est une entité hybride constituée pour partie
d'une représentation imaginaire qui m'est propre
(fantasmatique), basée sur la réalité observée d'une
personne (actes et comportements), et pour partie de
l'imaginaire qui lui appartient (représentation de
soi exprimée). Cet assemblage élastique constitue un
personnage en lequel la personne réelle ne se
reconnaîtrait pas vraiment... ou refuserait de se
reconnaitre. L'image que l'autre nous renvoie de
nous-même peut nous déplaire fortement en mettant en
évidence ce que nous savons confusément mais
occultons plus ou moins consciencieusement. Ce genre
d'aveuglement, loin d'être dommageable, constituant
en fait un système de défense du Moi.
[Journal à publication
différée]
Sans
faute
Publication
du 7 novembre
Mardi 31 août
Je me suis souvent senti
coupable de mettre beaucoup de temps à faire
le deuil d'une amitié amoureuse. Je m'en suis
justifié auprès des témoins de ma longue
marche, comme si je commettais une faute...
Je n'ai pas commis de faute
: j'ai choisi d'explorer ma conscience. Ce
travail de conscientisation était la meilleure
chose que je pouvais faire de ce qui est
advenu. En revisualisant le passé avec une
pensée actualisée c'est comme si
progressivement, je parvenais à reprogrammer
ma pensée antérieure. Comme si je
pouvais revivre les évènements avec une pensée
transformée. Comme si, en trouvant du
sens a posteriori, je pouvais réparer ce qui
s'était endommagé quand la violence de la
perte m'a fait perdre le contrôle de moi-même.
L'objectif de cette démarche
intuitive, au delà de la recherche de sens,
étant de me conduire vers une pacification
profonde. En moi, mais aussi,
indissociablement, avec une histoire que je
veux pouvoir regarder comme une grande
aventure de découverte. Débarassée des
ressentiments et de l'amertume.
Cette perte, c'est peut-être
ce qui pouvait m'arriver de mieux...
Ajout du 7 novembre : ce
texte n'évoque que le travail de deuil et de
conscientisation. Par contre, je ne me
sens pas irréprochable sur la façon dont
j'ai conduit ce travail, notamment sur le
respect de la vie privée...
[Journal à publication
différée]
En
finir avec la peur
Publication du 8
novembre
Vendredi 10 septembre
Je ne parviens plus à écrire
ici. Je ne trouve pas la tonalité qui me convient.
Savoir que je donnerai à lire mes pensées les stérilise.
Lorsque je suis seul face à moi-même et
que me viennent des idées c'est avec évidence et fluidité
qu'elle se présentent. C'est surtout avec une
simplicité qui contraste énormément avec la retenue et la
prudence qui, ici, s'imposent à moi. Comme si j'avais
peur...
Or la peur n'a plus de raison d'être.
[Journal à publication
différée]
L'être
et le dire
Publication du 8
novembre
Samedi
11 septembre
Chercher à se connaître par l'écriture
introspective est une aventure hasardeuse. La conscience
et l'inconscient s'y livrent bataille, intimement mêlés.
L'expression du Soi, du Je, aussi sincère qu'elle se
veuille être, ne bénéficie d'aucun recul et se trouve dans
l'incapacité de discerner la réalité de l'être. Entre
ce que je dis être, c'est à dire ce que je crois être, et
ce que je suis vraiment, la réalité ne m'est pas
perceptible.
Je ne sais qui a dit un jour « la
meilleure façon de dire, c'est de faire ». Je
m'en inspirerais volontiers pour écrire ceci : «
la meilleure façon de se dire, c'est d'être ».
L'expérience à laquelle je me livre ici
depuis plus de dix ans m'a fait prendre conscience des
limites de la conscience de soi. Je crois que je me suis
beaucoup trompé sur moi-même. Tant dans un sens
favorable que défavorable d'ailleurs. Je me suis
souvent décrit comme je pensais être, croyant vraiment me
dire dans une écriture authentique. Et elle l'était
d'ailleurs. Sauf que je ne disposais pas de la
conscience suffisante pour réaliser que je me leurrais.
Je ne m'en serais peut être pas rendu
compte si je n'avais constaté ce décalage entre le dire et
l'être chez d'autres que moi. Il m'a fallu du temps pour
apprendre à me fier davantage aux ressentis intuitifs
qu'aux discours affirmés, parfois radicalement opposés. Je
crois que seule l'épreuve de réalité, la rencontre
physique, peut apporter cet éclairage. C'est pourquoi je
suis devenu prudent avec la réalité virtuelle...
Il ne s'agit pas de rejeter en bloc ce
qui s'y passe, mais de faire preuve de discernement. Le
virtuel est un lieu où se développe et se libère la
pensée, détachée des contingences du réel. Il y a des
avantages et des inconvénients à cela.
J'ai découvert beaucoup sur moi et mon
rapport aux autres grâce à cette écriture. J'ai aussi
progressivement découvert l'ampleur des projections que je
pouvais faire... en constatant celles que d'autres avaient
à mon égard. Je ne me suis pas toujours reconnu dans
ce qui m'était attribué. Le regard des autres a ceci de
troublant qu'il bénéficie à la fois d'un recul tendant
vers l'objectivité, mais se colore de leur subjectivité.
Ainsi il est parfois très juste... et d'autres fois
largement faussé. Les projections et représentations de
chacun s'entrecroisent et s'entrechoquent, suscitant des
réactions qu'il est important d'analyser en soi. C'est un
exercice qui demande du temps parce qu'imposant de
fouiller en soi et débusquer les résistances.
L'auto-analyse en solitaire est limitée mais son champ
d'exploration s'élargit dès lors que des tiers renvoient
l'écho de ce que notre façon d'être, ou de dire, leur
inspire.
Suis-je ce que je dis ? Assurément pas !
Non que je mente ou chercher à tricher, mais parce que je
ne suis pas ce que j'ai conscience d'être. Ou du moins pas
toujours. L'image que j'ai de moi est faussée, déformée,
parfois juste et parfois erronée sans que je n'aie moi
même la capacité de discernement.
Vous comprendrez qu'avec cette prise de
conscience il me soit devenu difficile d'écrire ici.
Cependant je crois nécessaire que je restaure la part de
mon image que j'ai dégradée. Je me suis abusivement
rabaissé, par habitude. Je me suis noirci... culpabilisé,
sur-responsabilisé. J'ai besoin de comprendre par quel
mécanisme intérieur j'ai choisi cette voie, et en même
temps de retrouver une confiance en moi qui s'est
largement effacée dans des circonstances dont il
m'intéresse d'élucider les particularités. Il se peut que
cette démarche soit très longue. Il se peut aussi
qu'elle se fasse sur un mode intériorisé, donc invisible
ici. L'avenir le dira...
[Journal à publication
différée]
Cahier
de brouillon
Publication
du 8 novembre
Dimanche 26 septembre
Quand j'étais enfant il y avait, à
l'école, des « cahiers de brouillon ». En papier grossier
et un peu jaune, avec une couverture fine rapidement
cornée, pliée. Ils étaient destinés à élaborer, raturer,
rayer, avant d'écrire « au propre » dans un autre cahier,
doté de toutes les qualités que le précédent n'avait pas.
Un des ouvrages de Philippe Lejeune,
éminent spécialiste de l'autobiographie, s'intitule «
Les brouillons de soi ». En référence à l'écriture
qui, sans cesse, redessine les contours d'une pensée qui
tente de se fixer sur le papier. Je trouve cette formule
assez éloquente...
En décidant de différer la publication
de mes écrits, sur ce journal, je retrouve cet aspect «
brouillon » avant d'en offrir une présentation « au propre
». De sorte que je livre des textes corrigés,
modifiés, affinés, censer correspondre à quelque chose de
plus élaboré. Plus ajusté parce que bénéficiant d'un
temps de repos et d'observation. Comme auparavant la
première écriture est relativement spontanée, essayant de
saisir l'idée, ou les idées qui se sont accumulées durant
quelques temps. Mais je me suis rendu compte, au fil des
ans, que je retravaillais de plus en plus mes textes, de
façon à rendre "présentables" les idées que j'avais envie
d'exposer. De sorte que c'en est venu à me demander
beaucoup de temps. Parfois pour quelques mots
j'hésitais longuement à rendre précisément ce que je
voulais dire... sans risque de heurter.
Ne tournons pas autour du pot : je
pensais bien évidemment à la seule personne que ça aurait
pu vraiment déranger. La plupart du temps mon
autocensure était effectuée en pensant à ce seul regard.
Il est rare que ce soit moi que j'ai voulu protéger, si ce
n'est de la colère d'une singulière lectrice. Son regard
supposé aura longtemps été un très sérieux obstacle à une
libre écriture.
Aujourd'hui, avec la publication en
différé, je me laisse le temps d'amender des écrits d'un
moment. Après plusieurs semaines de décantation je
considère que j'aurai suffisamment de recul pour délivrer
des pensées mûrement intégrées. Je me protège d'une
spontanéité qui pourrait avoir des effets nauséeux. Mon
malaise est souvent venu d'écrits publiés en pleine
période d'émotivité exacerbée.
Est-ce que cela me conduit vers une
expression édulcorée ? Pas vraiment. Je crois que je
vais vers quelque chose de plus élaboré, moins
"brut". Les objectifs prioritaires ne sont
probablement plus une "délivrance", rendue impossible sans
être accueillie, ni une recherche de sens... mais plutôt
une observation de ce qui se met en place.
Il est évident que je ne suis pas sorti
de l'histoire autour de laquelle tournent mes pensées, mon
évolution, mes écrits. Par contre je crois que j'ai
accepté que la privation de dialogue soit, en elle-même,
une source de conscientisation. L'absence d'écho et de
reflet m'a conduit à élaborer seul ma perception du monde
et des rapports que je peux avoir avec autrui. En me
retrouvant "seul" devant mon imaginaire et l'observation
des faits, quoique parfois accompagné ou aiguillé par des
échanges avec quelques lecteurs et lectrices dans l'ombre,
j'ai eu accès à bien davantage que si j'avais pu obtenir
des réponses biaisées. J'ai appris à accorder une grande
attention à mon intuition, n'accordant aux mots d'autrui
qu'une confiance mesurée. Même s'il me faut parfois du
temps pour discerner ce qui me semble juste de ce qui
sonne faux, ou incohérent.
[Journal à publication
différée]
Surexposition
Publication du 8
novembre
Mardi 19
octobre
Presque deux mois de décalage entre ce
que j'ai écrit et le moment où je le publie. Cet
espacement me permet de respirer. Je ne ressens plus cette
crainte qui me tenaillait parfois lorsque je savais que
mes mots étaient encore chargés de tout ce que je
maintenais captif.
Ainsi je reviens vers les origines de ce
journal : il n'est pas lu juste après l'écriture. Du coup
ce que je finis par mettre en ligne est en partie périmé.
Quand je le relis, ce n'est plus vraiment
d'actualité. Entretemps j'ai cheminé. Je ne suis
plus le même. La démarche s'apparente à de l'archivage,
avec un souci de continuité. J'ai parfois la tentation
d'ajouter quelques lignes d'actualisation. Je ne le
fais pas.
De l'autre côté, sur mon Carnet (blog),
il y a aussi une évolution. Pas encore vraiment
visible, mais en cours. Trop de "communication" ne
convient pas à des sujets personnels. Je me perds,
là-bas, à exposer ce qui serait bien mieux ici, à l'abri
des commentaires. Je crois qu'enfin j'ai cerné le domaine
de chaque espace. Ici l'intime, ou plus précisément
l'extime, dans ce qu'il a de sensible et délicat. Et
là-bas ce qui n'est pas trop impliquant. Je ne suis pas
suffisamment aguerri pour endurer des commentaires qui
manquent de discrétion, d'empathie, de respect.
L'espace public des blogs est un terrain
où les enjeux de place, de posture, peuvent prendre une
importance stratégique qui nuit à la qualité des échanges.
Je n'aime pas quand cet espace se transforme en arène.
Je n'aime pas la surexposition de soi,
ni celle des rapports interpersonnels.
D'ailleurs, mois après mois, avec le
lent reflux des questionnements qui ont été les miens
depuis six ans, m'apparait tout le côté désagréable de ma
quête de sens : elle s'est faite au détriment d'une amitié
précieuse. Je n'en suis pas fier, quelles que soient les
raisons qui ont pu mener à la discorde.
Vendredi 12 novembre
Bon. Voila. Je reviens ici "en direct" après quatre
mois d'écriture retenue. La série des deuils, re-deuils et
sur-deuils est derrière moi. Bien des mouvements ont opéré
dans mon esprit et je crois que j'ai suffisamment assaini ce
journal pour le réinvestir d'une nouvelle façon. Ouais... je
vais pouvoir passer à autre chose.
Pour commencer : rapatrier ici les sujets de réflexion qui
suscitent des réactions inappropriées sur mon blog. Je n'ai
plus envie de ressentir le besoin de me justifier face à des
contradictions maladroites et déplacées. Être publiquement
interpellé sur ce que je suis, ou que ma parole soit mise en
doute, m'est désagréable et présente l'inconvénient majeur
de mener les échanges hors du sujet abordé. Cela dit j'ai
toujours su tirer profit de ce genre de débats parallèles :
ils me sont utiles pour mieux comprendre certains enjeux
relationnels. De là à les favoriser...
J'ai envie, aussi, de revenir à des écrits plus "simples".
J'aimerais me dégager de mon souci de l'image que je donne
de moi. En fait je m'en fous, de ce cette image, mais cette
posture mentale ne suffit pas à ce que j'y devienne
insensible dans les faits. Il semble que j'ai encore du
travail à faire de ce côté-là...
« Travail » est un mot que j'emploie souvent et que je
trouve bien approprié. C'est à un travail considérable que
je me livre depuis... houlala...
tellement lontemps ! Il y a quelques semaines, alors que
s'achevait le dernier cours théorique de ma formation, les
formatrices nous ont demandé comment nous nous sentions à ce
moment-là. Moi j'étais littéralement "épuisé". Vidé, aplati.
Cette réaction m'a surpris parce qu'elle ne se justifiait
pas vraiment compte-tenu des journées plutôt calmes que nous
venions de passer. Je crois que quelque chose en moi sentait
une "fin" et, du coup, décompressait. Fin de trois années de
formation qui ont intensifié et enrichi une réflexion qui
était déjà conséquente auparavant. Sept ans de cogitations
entre les pôles extrêmes de l'attachement/détachement
sentimental. Dix, douze (quinze ?) ans d'auto-analyse autour
de mon rapport à autrui... et à moi-même. Et autant d'années
de thérapie, plus ou moins en continu.
Tout ce "travail" a t-il mené à quelque chose de bon
? Je réponds oui sans la moindre hésitation ! Je suis
crevé, certes, mais en même temps très heureux d'être
parvenu là où j'en suis aujourd'hui. Je crois, je sens, que
"quelque chose" est en train de changer. Un nouveau
regard, peut-être. Ça se passe là, durant ces quelques mois
en cours. Il n'y a pas de date précise de
déclenchement, ni d'évènement particulier, mais plutôt une
convergence d'achèvements. Une longue formation se termine,
une rupture mystérieuse n'est plus l'objet de recherches...
et puis plein de petites choses signalent un frémissement en
cours, tant du côté personnel que professionnel. Et
jusqu'à mon écriture et mon rapport aux lecteurs, qui vont
probablement évoluer... parce que j'ai envie de changements.
Dimanche 28 novembre
Célibataire. Un mode de vie qui pourrait m'exposer à
une sensation d'isolement affectif. Peut-être ne le
ressens-je pas ainsi parce que je n'exclus pas du champ
affectif nourricier les liens familiaux et amicaux
? Ceux-ci me remplissent suffisamment pour combler mes
besoins. Bien sûr il ne s'agit pas de liens de nature
amoureuse [oh, la grande
affaire !], mais il semble que je n'ai pas de
besoins de cet ordre. Du moins pas dans la période actuelle.
Bah... il y a bien eu de temps en temps, ces dernières
années, quelques agréables épisodes de partage relationnel
intermittent. J'aimais bien, mais cela n'a jamais duré
très longtemps. Ça s'est vite compliqué. Alors après avoir
laissé s'approcher celles qui avaient envie d'échanger
quelque chose avec moi, je les ai laissé s'éloigner. Ce
que j'étais ou désirais partager ne répondait visiblement
pas à leurs attentes. Je n'ai retenu personne : quand les
désirs ne concordent pas suffisamment, à quoi bon insister ?
La vie m'a enseigné qu'il vallait mieux, parfois, laisser
aller les choses... Je me suis simplement déclaré disponible
s'il y avait changement d'avis. Une attitude très
passive, finalement...
Ces éloignements successifs auraient pu m'inquiéter si
j'avais douté de moi ou redouté la solitude. Je n'en ai pas
eu le temps : un peu surpris, j'ai constaté n'être jamais
resté très longtemps sans sollicitations féminines. L'homme
seul serait-il attirant ? Je suppose que ma "disponibilité"
supposée autorise des démarches d'approche. Et comme je ne
les repousse pas, tant que je ne les sens pas trop
pressantes, ni n'exerce la moindre pression pour hâter les
choses... c'est finalement assez confortable pour tout le
monde. Du moins pendant un certain temps. Vient
ensuite, immuablement, le temps des demandes accrues. C'est
là que ça se complique...
J'avoue qu'il y a dans ces ébauches un aspect
narcissiquement valorisant d'un côté, et "rassurant" de
l'autre: je me dis que si, un jour, je ressens l'envie de
m'ouvrir aux sentiments ça ne devrait pas être trop
difficile. Il se pourrait même que cela arrive par surprise,
très classiquement, par attirance réciproque et imprévue !
Ah ben oui, c'est toujours possible ! La disparition de mon
désir amoureux n'est probablement pas définitive...
Mon apathie persistante, si elle déroute ou décourage mes
partenaires d'exploration, ne m'inquiète nullement... mais
m'interroge un peu : qu'est-ce qui bloque ? Qu'est-ce qui
fait que mes sentiments ne vont pas au delà du registre
purement amical ? Il y a bien sûr une crainte diffuse et
massive vis à vis de la dépendance affective, mais ça
n'explique pas tout. Plus probablement je pense que n'avoir
plus ressenti l'attirance simultanée du coeur, du
corps et de l'esprit est la vraie raison. Cette fameuse
"alchimie", qui doit plus à des mécanismes inconscients
prédéterminés et des signaux neuro-hormonaux qu'au hasard,
m'est évidemment indispensable...
Mon système coeur-corps-pensées est-il devenu temporairement
étanche aux élans sentimentaux ? Je l'ignore, mais ce qui
est certain c'est que je redoute presque que cela se
réveille un jour ! Pour le moment je n'en ai aucune envie
! Ce serait trop tôt, je ne me sens pas prêt ! En même
temps je sais que si cela advenait je n'y opposerais pas de
résistance...
Alors plus tard, peut-être. Quand le moment sera venu. Si le
*hasard* n'a pas créé les conditions propices c'est qu'il
lui faut des conditions favorables.
Je crois que j'ai encore besoin d'apprendre et de
comprendre. L'expérience universellement singulière que j'ai
traversée, riche d'émotions, de découvertes, de surprises et
de rebondissements, n'a pas encore livré à ma conscience
tous ses enseignements. Elle reste ma principale base de
travail, le support sur lequel s'appuient mes réflexions, la
mine de laquelle j'extrais encore de précieuses pépites.
Après avoir rencontré l'amour jusqu'à la perte, j'ai eu
besoin de trouver du sens à ce parcours. Et j'y
parviens. Lentement, méthodiquement. Avec le temps j'ai
perdu beaucoup de ma naïveté, pour ne pas dire de mon
ignorance, et j'ai gagné en conscience...
De ce que j'aurais pu percevoir comme un malheur est née une
philosophie de vie qui, chaque jour, s'enrichit. Ma vision
du monde s'est élargie. Le regard que je porte sur les
relations chargées d'affect s'éclaire de tout ce que j'en
apprends. Mon histoire à ouvert ma curiosité aux mystères
des relations sentimentales, du couple, de l'amour.
Suffisamment rassasié de ressentis engrangés, je les vois
s'éclairer par des apports totalement détachés des affects.
La sociologie du couple, la psychologie relationnelle, la
psychanalyse, m'apportent leur lumière et ça me plaît. Il
faut croire que j'ai davantage besoin de sens que de
sensations.
En attendant que la soif de sensations et de sentiments ne
se manifeste de nouveau je laisse s'approcher les femmes qui
désirent une part de ce que je représente à leurs
yeux. Passivement. Je me contente de répondre aux
rares sollicitations, parce qu'il est toujours possible de
partager "quelque chose" du coeur, du corps ou de
l'esprit. J'ai toujours quelque chose à offrir... tant
qu'il n'y a pas trop d'attentes.
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