Septembre 2010

Dernière mise à jour:lundi 18 octobre 2010 - Accueil - Archives - Message






[Journal à publication différée]

Hors la vie




Publication du 22 septembre
Jeudi 29 juillet


Astrid est une jeune femme pleine d'énergie et de détermination avec qui j'ai partagé confidences et intimité lorsque les circonstances nous ont rapprochés. Elle est autant fonceuse que je suis hésitant mais nous partageons un intérêt commun pour les relations de couple. En pleine réflexion sur le sien elle avait, sans aucun doute, besoin d'aller vers un autre homme que son mari. J'étais disponible, intéressé par nos conversations, flatté de ressentir l'attrait que j'exercais. Et puisque je suis toujours un peu curieux de ce qui peut se produire dans un rapprochement entre homme et femme, je n'avais pas dit non... 

J'ai apprécié ses élans, ses audaces, son désir. De nos moments de partage une ébauche d'amitié s'est développée. Pour moi, avide de solitude et de liberté, il n'a jamais été question de m'investir assidument dans cette relation et je l'avais rapidement exprimé. Mais Astrid avait besoin de plus que je ne pouvais lui offrir et, un peu lassée par mon peu d'empressement à devancer ses approches, elle a fini par trouver un autre homme plus conforme à ses désirs. Accessoirement elle a aussi décidé de divorcer. Elle n'est pas du genre à tergiverser bien longtemps ! Ayant quitté son domicile elle n'est donc plus ma voisine...

Nous avons continué à nous rencontrer de temps en temps, ainsi qu'à correspondre épisodiquement par courrier. Je dois reconnaître que, de façon générale, je ne suis plus un correspondant très prolixe... Je laisse souvent passer beaucoup de temps avant de répondre, sans bien savoir pourquoi. L'écriture publique y serait-elle pour quelque chose ? Ou bien une relative inappétence relationnelle ? Je ne me suis pas beaucoup interrogé à ce sujet mais je sens bien que cette "distance" que je maintiens s'expliquerait si je prenais la peine d'y réfléchir...

Mais j'ai d'autres choses à penser et ce sera pour plus tard !

Il y a quelques jours Astrid, qui ne lit pas mes écrits publics, à répondu à un de mes courriers retardataires :
« (...) Je lis ton besoin de solitude fidèle à ton être, toujours bien présent. Je me dis que tu dois continuer tes questionnements sur le sujet si tu le mets en avant. Moi je me pose des questions sur toi à ce sujet. Ça m'interroge que tu me sembles toujours dans cette même quête et ce qui m'apparait comme des questionnements similaires depuis des mois voire peut-être même des années.

Tu me fais penser à un moine tibétain qui fait une retraite de trois ans trois mois et trois jours pour découvrir la Lumière. Dans un questionnement récurrent tel un mantra pour saisir chaque nuance et chaque subtilité, pour éclairer la conscience et trouver des réponses. Une introspection sans fin.

Je pense que l'important est que tu sois heureux....
Et c'est tout ce que je te souhaites. »



À tort ou à raison j'ai senti de sa part, sans aller jusqu'à de la réprobation, disons... une certaine perplexité. Je la comprendrais. Je pense que beaucoup de personnes, si elles avaient un aperçu de mes pensées, auraient une réaction similaire. Et je suppose qu'un certain nombre de mes lecteurs me perçoivent comme un peu "mort", un peu "hors-la-vie". Moi-même je m'interroge sur le sens de cette très longue quête introspective. Vous en savez quelque chose...

Dans l'extrait que je cite, le dernier paragraphe m'a plu : « l'important c'est que tu sois heureux ». Et bien oui, je suis heureux ! Je me sens globalement heureux. Autant que je puisse l'être, au plus près de ce qui m'est accessible. Je crois que je remplis mon espace de bonheur disponible. Si je cherchais à fuir cette quête pour aller vers je ne sais quoi de plus "vivant" je me sentirais en désaccord avec mes besoins. Actuellement mon épanouissement passe par une relative abstraction de la vie relationnelle. C'est comme ça que je me sens bien : en solitaire et en conscience.

Viendra certainement un jour où, regardant en arrière, cette période me semblera à moi aussi "morte". Parce qu'alors je serai dans une autre dimension, un autre mouvement. Mais pour l'heure je suis intimement convaincu que ce temps d'apparent immobilisme m'est nécessaire.








[Journal à publication différée]

D'enfance et de conscience




Publication du 25 septembre
Lundi 16 août



La continuité de ce journal se joue sur le fil d'infimes variations intimes. Je reste hésitant à "revenir" ici, lieu d'expression ouvert à des enjeux particulièrement complexes parce que faisant appel à différentes instance du Moi. C'est à dire du "Moi-se-disant-publiquement". Je ne voudrais pas retomber dans des travers que je réprouve et fais donc preuve d'une grande prudence. 

Cependant, depuis quelques semaines, une réflexion conséquente autour de la perte et du processus de deuil m'a permis de prendre davantage de recul. Quelque chose (s')est passé. S'est accepté. Oui, quelque chose s'est libéré... sans que je sache exactement quoi.

Je me crois donc capable, aujourd'hui, d'écrire ici sur une autre tonalité. En tout cas il me semble important d'y parvenir. Visiblement le moment n'est pas encore venu de clore ce journal. Ouvrir un nouvel espace d'expression, comme j'y ai pensé, serait une fuite. Je n'ai pas envie de me cacher pour écrire. Je sens que mon exploration gagne à se poursuivre ici, où elle a commencé avant de devenir aventure inattendue. J'ai besoin de rétablir une atmosphère de sérénité avant d'entamer un nouveau cycle [ou pour pouvoir le faire...]. Terminer les choses *proprement* et retrouver une représentation de moi-même que je ressens avoir souvent malmenée. Disons que je me suis parfois "égaré" à des moments où, découragé par des refus, en colère, j'étais en proie à une intense frustration et une révolte viscérale. Mais pouvait-il en être autrement, en fonction de ce que je suis ?

Je sais maintenant que les manifestations publiques de mon désarroi étaient des cris d'enfant. Celui qui demeure en moi. Appels deséspérés. Réveil de blessures originelles et d'inaboutissements fondateurs rendant insupportable ce qui se passait en moi. Placé devant une situation dont je ne percevais pas le sens, ignorant la direction à prendre, j'ai vu se rouvrir des béances de perplexité. J'ai pleuré ma détresse de ne pas comprendre et de n'être pas compris. J'ai vomi ma rage de me sentir impuissant. Mais je n'en renie rien : c'était ainsi. J'étais ainsi.

Je n'ai pas honte de ce que j'ai montré [et vu] de moi, de mes manques et de mes faiblesses. Je n'en ai pas honte parce que c'était un passage obligé pour comprendre ce que cela signifiait. Épreuve nécessaire, traversée indispensable, c'était le rite initiatique que je n'avais jamais franchi : ressentir l'abandon.

Je n'ai pas honte mais je ressens une gêne... Celle que je cherche maintenant à dissiper.

Je garde le souvenir pénibles de ces ces temps où je me voyais agir en enfant souffrant, tout en ayant en même temps le recul de l'adulte sur cette part d'éperdue incompréhension, si peu soulagée. Ici je me lamentais tandis qu'en mon for intérieur je me sentais déjà bien loin de tout ça. En moi j'avançais plus rapidement que ce que j'en montrais. Étrange dédoublement de soi. Dualité agaçante, parfois douloureusement inconfortable. Malaise.

L'histoire bizarre qui a tant mobilisé et concentré ma réflexion est devenue au fil du temps un support. L'armature désincarnée de ma pensée, le champ d'expansion de mon imaginaire. Je sais très bien qu'en persévérant j'ai agi à l'encontre de ce qui m'était demandé... mais exactement dans le sens que mon inconscient, lui, cherchait à guérir. Si bien que je m'observais avec un double regard : celui qui sait où est son chemin et celui qui voit qu'il va encore à contresens. Mais cette résistance à l'avancement, cette tentative désespérée de réparation, faisait partie entière du chemin à parcourir.






[Journal à publication différée]

Le sentiment d'abandon




Publication du 25 septembre
Samedi 21 août


Comme pour confirmer mon texte précédent, j'ai trouvé celui-ci, à propos du sentiment d'abandon. Il évoque l'enfant, mais dans bien des cas c'est de cette place que réagit celui qui se croit adulte. L'auteur parle aussi des parents, mais là encore c'est une posture qui peut être attribuée, ou prise, quand on ne sait pas se positionner en adulte autonome, conscient et responsable...


« L'enfant abandonné est un être à vif. Il s'affole facilement. Il vit souvent dans l'urgence et la précipitation. Ses débordements émotionnels expriment ses désarrois d'autrefois. Ils disent sa rage d'enfant face au désespoir de constater durablement que l'autre est absent et refuse de s'engager dans la relation, ou qu'il est sourd et aveugle à ce qui le fait souffrir.

Lorsque le parent s'absente trop longtemps, sans raison et sans explication, l'enfant ne se sent plus vivre dans la réalité : son identité se délite, sa présence à soi-même s'efface. Il perd ses "contours" et sa "capacité d'enveloppement" : angoissé, l'enfant cherche à pallier sa disparition. Lorsque la panique ne le pousse pas à gesticuler dans tous les sens ou à crier, ce sont l'envie, la méfiance et la rancune qui l'envahissent à son insu. Pour se prémunir contre ce qu'il peut vivre comme des "attaques" qu'il redoute, l'enfant malmené peut devenir violent physiquement ou verbalement.

Ainsi, les défenses construites pour faire face au sentiment d'abandon peuvent devenir une forme de négation de soi ou de l'autre, de son existence. Elles opposent alors une parole codée, un mutisme glacé ou une violence systématique à la parole vivante de l'autre ou à son enthousiasme.

Aimer la vie ou "croire en la vie" n'est pas une pose pour "faire joli" ou pour afficher d'apparents "bons sentiments". Il s'agit d'une confiance profonde dans la qualité essentielle de la vie, qui nous pousse à aller de l'avant.

Pourtant, exister ainsi ne semble pas simple... Beaucoup croient que leur existence passe par la reconnaissance et attendent une impossible confirmation de leur identité. La guérison consiste avant tout à accepter de se regarder tel qu'en soi-même et à se défaire des automatismes qui nous brident ou des idées réductrices qui nous empoisonnent et nous enferment. Notamment de cette croyance ancrée que nous ne pourrions nous définir que par rapport aux autres ou à partir d'eux. Nous l'avons vu, la constitution de l'identité, être soi-même, ne peut venir des autres...

Aussi, notre responsabilité consiste autant à nous libérer réellement des blessures d'abandon de notre passé qu'à choisir d'éviter de les répéter, d'une façon ou d'une autre, principalement sur les enfants. Pour réussir ce pari, il est vital de choisir d'être à l'écoute des d'enfants et de l'enfant en soi.

(...)

Les peurs et les souffrances gouvernent profondément nos existences. Nous, adultes, préférons souvent gronder, forcer ou convaincre un enfant pour faire taire ce qui nous dérange ou nous effraie le plus, à commencer par nos angoisses d'abandon... À n'en pas douter, quel que soit l'angle sous lequel nous considérons la relation de l'adulte à l'enfant, nous découvrons que c'est à l'adulte de mettre en oeuvre bienveillance, écoute, patience et sollicitude. L'adulte est responsable du "travail intérieur" qui lui incombe pour mieux accueillir l'enfant face à lui, pour mieux l'entendre, mieux lui parler et mieux le respecter, donc pour mieux l'aider à grandir !

Ces transformations intimes que nous accomplissons, chacun à sa façon, pour devenir plus humains, requièrent de la patience, du repos, du silence, mais aussi beaucoup de confiance et d'intelligence. En gardant à l'esprit que la vie est mouvement, autant que la pensée et l'amour, nous arriverons à dépasser les crises et les situations conflictuelles. Nous connaissons cette puissance de la vie en nous. Grâce à elle, en chaque circonstance, nous pouvons imaginer le réel, métaphoriser nos expériences et penser les réalités de notre existence, jusqu'au grand passage qu'est la mort »



Saverio Tomasella (psychanalyste), dans "Le sentiment d'abandon"





Mois d'octobre 2010