Juin 2010

Dernière mise à jour:samedi 10 juillet 2010 - Accueil - Archives - Message






Colère éphémère




Lundi 14 juin


Hier j'ai été en colère [Rrrrognntutjuuuu !]. Colère contre moi. Contre mon incapacité à ne plus évoquer ce dont je cherche à me détacher. Ras le bol de me laisser happer dès que j'effleure le sujet tabou. Je sais que je ne dois pas m'en approcher mais je me fais accrocher par le chaos laissé dans mon esprit dès qu'un sujet de réflexion concerne les relations amoureuses, amicales, ou de couple. Or ma formation m'y ramène sans cesse. Et mon sujet de mémoire m'y replonge jusqu'à la racine [ce qui n'est pas un hasard...].

Hier ça m'a agacé. Je me suis senti las de tout ce travail dont je ne vois pas la fin, alors même que j'en constate les avancées. J'en ai eu marre de tout ce temps passé à ne pas parler de l'indicible, à tenter de le contourner, le retrouvant malgré tout.

Et merde !

En abordant une énième fois le sujet de l'autocensure et des limites entre le privé et le public je me suis pris une nouvelle fois en pleine tronche la parfaite incohérence qui sépare mes valeurs de mon attitude : ici je ne respecte pas la confidentialité ! Ce faisant je bafoue une valeur qui m'est essentielle. En découle un malaise gluant, quoique j'essaie de rester au plus près d'un acceptable. J'ai souvent ressenti l'extrême tension qui me tiraillait entre différents besoins fondamentaux, dont le respect absolu de l'autre et celui de comprendre le sens de ce qui m'est arrivé seraient les pôles opposés.

Quand je finis par me laisser aller à cogiter à "ça", parce que le désir de « passer à autre chose » ne suffit pas à y parvenir, je me vois vite replonger dans des questionnements irrésolus. J'ai beau tenter d' "oublier", voir tous les attraits de ma nouvelle existence, prendre la mesure de mes potentialités découvertes, me féliciter du chemin parcouru... il reste cette blessure mal cicatrisée qui, régulièrement, se rappelle à mon souvenir. Ça ne m'empêche nullement de vivre et d'être heureux, mais il reste cette tache indélébile [et un peu débile...]. Cette excroissance anachronique, cette protubérance boursoufflée, cette... purulence pestilencielle... [ouais, oh, exagère pas trop quand même !]. Quoi que je fasse, quoi que je veuille, un sentiment d'incompréhension, de loupé, de malentendus, d'interprétations erronnées, me tenaille. Et paf, le mur ! Le rempart. La forteresse inatteignable. Tout cela prend parfois une place surdimentionnée, sans aucune mesure avec ce que je sais être la réalité. Bulle géante emplie du vide de l'absurdité... Ça revient par vagues, qui enflent, me débordent, puis finissent par s'apaiser. Jusqu'à la fois suivante...

Chiant !

Je sais très bien qu'un "jeu psychologique" est à l'oeuvre. Je l'ai identifié depuis longtemps. Je sais aussi ce qui pourrait en changer les règles. Il est en mon pouvoir de modifier mes cartes. Mais... pourquoi, jusque-là, n'y suis-je pas parvenu ? Manque de confiance en moi, assurément. Ça viendra un jour, nécessairement. Mais quand ? Quand trouverais-je la force, la conviction inébranlable que mon attitude peut changer ?

Maintenant ?

Le besoin d'être confirmé dans mes ressentis reste un frein puissant. Il faudra pourtant bien que je me fasse confiance [ah ouais, ça serait bien, ça !]. Je sais suffisamment de choses, j'en ai compris largement assez... je dois juste renoncer a obtenir le feu vert qui me dirait que je suis dans le vrai. Que j'ai « juste » [comme un petit garçon qui a bien travaillé ?]. Je crois que c'est ce que j'ai attendu sans le savoir. Mais je ne l'aurai pas ! Moi seul peut me l'accorder et mettre ainsi fin à ma vaine quête.

Je sais très bien ce qu'il me faudrait faire...







Processus




Mardi 15 juin


Je subodore qu'une partie de mes lecteurs se lasse de me voir revenir indéfiniment sur le même sujet. Il se pourrait même que certains se demandent quand j'en sortirai, voire s'interrogent sur une éventuelle incapacité pathologique à « tourner la page » [expression idiote, au demeurant, puisque chaque jour est une page tournée...].

Honnêtement, ce qu'on peut penser de moi n'est pas loin de me laisser indifférent. Ici, à l'écart des commentaires, je me sens "chez moi" et ne m'adresse qu'à ceux et celles capable de saisir le processus en cours.

Quel processus ?

Celui du deuil. Du travail de deuil. C'est intéressant à observer un travail de deuil. Tout un parcours pour passer de l'avant à l'après traumatisme. Un parcours souvent long, parfois très long, qui passe par différentes étapes. Avec, au bout, une adaptation à un nouvel état, un nouvel équilibre reconstruit en fonction de la perte subie. Un deuil, finalement, ça ne tient pas de la mort mais de la vie. La mort (la perte) déclenche un processus de reconstruction éminemment vivant.

Un deuil "mort" serait celui qui, incomplet, se figerait dans une position dépressive et n'évoluerait plus. La perte non dépassée menant à une sorte de non-vie rattachée à ce qui a été perdu. Quelque chose de bloqué dans le manque.

C'est quoi un deuil ?

Une réponse à un traumatisme. Qu'il soit infime ou majeur, ce qui différenciera la réponse c'est la violence du choc ressenti, duquel découlent la profondeur de la dépression et la durée du travail de deuil.

« Pour faire son deuil il faut le vivre. Or notre société a procédé à un gommage de toutes les manifestations extérieures » ["Deuils", série Autrement, n°128 - mars 1992].

Alors oui, je manifeste mon deuil. Mes deuils, devrais-je dire. Et je prends le temps qui m'est nécessaire. Je le fais ici, peut-être de façon un peu ostensatoire, mais c'est un lieu plutôt discret où seuls viennent ceux qui le désirent et savent donc à quoi s'en tenir. Et je laisse tranquille les autres, à qui je n'en parle pas...

Mais j'en reviens à cette question : c'est quoi, un deuil ? Ou plus exactement, un "travail de deuil" ?

Une récente session de ma formation abordait cette question autour de l'annonce d'un handicap ou d'une maladie grave. Le deuil étudié était celui de vivre une vie "normale", mais s'applique à toute forme de deuil, comme j'ai pu le constater au cours d'autres sujets de formation. Je vais m'appuyer sur quelques notes que j'ai voulu retenir.

Le travail de deuil, quand il concerne la perte de "quelque chose" fortement investi est un processus long, coûteux en énergie, laissant toujours une cicatrice à l'endroit de la perte. L'intensité et la durée dépendent de l'histoire de chacun, de la façon dont a été investi l'objet perdu, de la brutalité de la perte. Le deuil concerne toute forme de perte, depuis la mort réelle jusqu'aux multiples formes de changement découlant de la disparition de quelque chose qui semblait acquis, mais est surtout perceptible quand il atteint profondément la personne. On parle alors de choc traumatique.

Un choc traumatique est un évènement violent, imprévisible, subit et incontrôlable. Il y a d'abord un effet de sidération, qui met en échec la capacité de penser. La sidération est un mécanisme protecteur du psychisme, qui coupe d'un ressenti émotionnel "insupportable". La mémorisation de l'instant du choc est très précise et reste intemporelle. Il y a une notion de blessure profonde, d'effraction et d'atteinte à l'intégrité psychique. Le bouleversement qu'il provoque dans l'organisation psychique anéantit les défenses habituelles. Il provoque un triple effondrement narcissique (c'est à dire l'identité, l'estime de soi) :
- effondrement du sentiment d'invulnérabilité
- effondrement de la certitude que l'environnement est protecteur
- effondrement de la confiance en autrui.

On prend alors conscience que
« tout peut arriver n'importe quand ». Le ressenti qui en découle est un sentiment d'impuissance.

On n'est jamais "prêt" à la perte, même si elle était pressentie.

Après le choc traumatique, la personne qui a perdu quelque chose ou quelqu'un va traverser différentes phases qui sont autant de défenses psychologiques contre une "agression" de l'environnement nouveau. Ce processus a été décrit par Elisabeth Kübler-Ross et s'applique à nombre de situations : perte d'un être cher, d'une relation, d'un emploi, de l'autonomie, de la santé, d'un organe, d'un objet, d'un lieu de vie, d'un idéal...

Le premier stade est celui de l'incrédulité, de la dénégation :
« non, ça ne peut pas être possible ! ». La dénégation est un amortisseur après le choc de nouvelles brutales qui permet à la personne de se recentrer et mettre en place d'autres mécanismes. Il s'agit d'une défense temporaire, suivie d'une acceptation partielle.

Ensuite vient la colère, qui indique une étape supplémentaire dans l'acceptation partielle. Puis la culpabilité, avec la tentation de revenir en arrière pour changer le cours des choses. Culpabilité de n'avoir pas su anticiper, ne pas avoir deviné ce qui allait arriver. La culpabilité est une colère dirigée contre soi. C'est un désir de contrôle de l'environnement qui fait croire que ça ne se reproduira pas si on fait attention. La culpabilité est un moyen de reprendre un sentiment de contrôle sur quelque chose qui n'a pas de sens. L'humain a besoin de comprendre, de mettre du sens, dans un désir de contrôle.

Le temps passant on finit par comprendre qu'on a perdu quelque chose d'essentiel, qui ne reviendra pas, et on entre alors dans une phase de dépression. Cette phase peut être immédiate ou apparaître longtemps après la perte. Il est important de pouvoir exprimer la tristesse et le chagrin qui découlent de la perte. D'autant plus qu'une perte en entraîne d'autres, qui se révèlent au fil du temps : ce qui était possible avant la perte de l'est plus dans plusieurs domaines.

Chaque étape du processus est nécessaire, incontournable. Il faut beaucoup de temps pour cheminer vers l'acceptation et il est impossible d'accélerer ce mouvement. La tentation de l'entourage est alors de secouer la personne en processus de deuil, ayant une impression de passivité, de mauvaise volonté. C'est une manifestation du sentiment d'impuissance de l'entourage qui ne comprend pas, ne ressent pas de la même façon, n'est pas atteint en profondeur.

Progressivement des réaménagements nouveaux vont être possibles aboutissant à rétablir un équilibre. La sensation de manque s'atténue. L'enjeu de cette longue période de deuil est de permettre des renoncements extrêmement douloureux. Tout au long du processus il est important de pouvoir verbaliser des ressentis indistincts, de faire passer des sensations brutes à une élaboration mentale. Passer du cru à quelque chose de plus digeste.

Le processus de deuil est donc celui d'une adaptation psychologique à un nouvel état des choses. Il est normal, sain, transitoire... mais peut prendre beaucoup de temps. Les aller-retour entre les différentes phases sont fréquents. Le stade ultime est l'acceptation de la perte.

Finalement ce nouvel état fait apparaître les bénéfices tirés du changement. C'est ce qu'on pourraît appeler "cadeau caché".


En relisant ces quelques notes il me semble évident que je me situe dans un processus tout à fait normal, compte tenu de l'importance des pertes successives qu'il m'a fallu accepter simultanément de deux relations majeures. D'un côté il y a eu :

- perte de mon couple, et de tout ce qui était rattaché comme "idéal de vie" (vie commune, famille unie, vieillissement conjoint...)
- perte de ma représentation de compagnon fiable, sur qui ma femme pouvait compter.

Je résume en quelques mots ces pertes, qui ont cependant eu un impact profond et durable, parce que le processus de deuil s'est déroulé de façon "logique" : annonce préventive et déterminée des conséquences prévues, avec peu de fluctuations laissant penser à une autre issue. Je savais vers quoi j'allais, j'étais acteur de mes choix mis face à mes responsabilités.

D'un autre côté il y a eu :

- choc traumatique violent et brutal d'une décision subite, sans explication "logique".
- perte sans transition d'une relation essentielle à plusieurs points de vue, très fortement investie
- effondrement d'une notion de confiance, de partenariat, de "complicité".
- rupture de contact

Ce tableau clinique était déjà nettement plus violent et perturbant que pour la perte de mon couple initial. La phase dépressive à été profonde et paroxystique pendant quelques mois. Le travail de deuil aurait pu se poursuivre à partir de là...

Sauf que s'est mis en place quelque chose d'extrêmement pernicieux qui a totalement entravé le processus de deuil "normal". De façon assez prévisible, vu l'ambivalence ambigüe et contradictoire de la situation, le mort est ressucité ! La femme perdue est revenue. À plusieurs reprises. À son inititative. Or un véritable deuil ne peut opèrer qu'à partir de l'irréversibilité. La perte doit être définitive et irrévocable. Réellement irrévocable, pas seulement par effet d'annonce.

À partir de là ce n'est plus un deuil qui opérait, mais un jeu psychologique qui se mettait en place. Ou plutôt se concrétisait ouvertement, puisqu'en fait il avait très rapidement pris place par le biais de « conditions » pour une reprise, ainsi que par un croisement d'écriture-lecture sur la scène théatrale d'une comédie dramatique dont nombre de lecteurs étaient spectateurs. Officiellement il n'y avait pas de communication... mais ce jeu de dupes n'a jamais pu tromper les protagonistes. Ou alors il faudrait vraiment faire abstraction de l'existence de l'inconscient...

Ce jeu du perdu/revenu a commencé en septembre 2004, soit très peu de temps après le premier choc. Il aura abouti à me faire passer par une série d'espoirs, de chocs et de deuils renouvellés. Il pourrait être qualifié de malsain s'il ne m'avait pas permis de faire un énorme travail d'analyse relationnelle et personnelle. Par là-même cela m'a permis d'augmenter ma confiance en moi, d'acquérir une solidité que je n'avais pas et de prendre du recul sur les fonctionnements relationnels.

Je suis certain que ces années de réflexion et de découverte, dont certains éléments ont été retranscrits dans ces pages, me sont profitables. Je ne regrette aucunement ce travail, même s'il a pu être parfois pénible à la limite du supportable. Je suis sûr que j'y ai acquis une "expérience" qui me sera profitable pour le restant de mon existence.

En faisant le deuil d'une complicité, puis d'un amour, sans me résoudre à faire celui d'une amitié, je pense m'être ouvert à une autre façon de vivre ces états de confiance partagée. Et même si je reste encore "fermé" à des rapprochements sous toute forme un tant soit peu soutenue, je crois que j'ai acquis une plus grande capacité à m'ouvrir. Parce que je me connais mieux, je connais mes faiblesses, mes limites, mes désirs.

Mon travail de deuil est long, certes, mais il sera complet. Intégralement traversé. Et un jour je pourrai regarder cette période avec le sourire, seulement le sourire. Et peut-être même un sentiment de gratitude...

Mais il faudra le temps nécessaire. Ni plus, ni moins.




Décisif




Mercredi 16 juin
(mis en ligne le 9 juillet)


Évoquer le processus de deuil qui opère en moi est le signe d'une prise de recul suffisante pour l'observer.

Cela ne vient pas par hasard : j'ai lu quelque part une phrase sur le deuil. Elle m'a "parlé" et a atteint quelque chose en moi qui m'a fait réagir.

Je sens bien qu'est venu le temps de « passer à autre chose ». Le cheminement est bien avancé et j'en suis un peu fatigué. Et puis je me dis aussi que la lecture de ce lent parcours doit être lassante. Or j'ai envie de proposer un contenu relativement plaisant à lire...

J'ai donc décidé de changer quelque chose ! Je ne sais pas encore vraiment quoi, mais je sais à quel date ce sera : le 8 juillet 2010, soit dix ans après que ce journal soit rendu public. J'aime bien les dates anniversaires. Ce n'est pas tant l'anniversaire de mon journal que celui de la "rencontre" qui allait bouleverser ma vie. Une rencontre par les mots et les pensées, qui m'ont fait sentir que quelque chose s'ouvrait en moi.

Peut-être vais-je "éteindre" ce journal pour cette date anniversaire. Peut-être vais-je ouvrir un autre espace, distinct de celui-ci. Parce qu'en fait ce n'est pas dans le journal que je veux changer quelque chose, mais dans sa fonction annexe : un organe de communication privée... en public. Je n'ai plus envie de me servir de ce canal indirect. J'ai tout à fait conscience que je n'ai jamais pu cesser de "communiquer" avec celle qui ne le voulait plus... mais a néanmoins continué à se tenir au courant de mes avancées. Peut-être est-elle "là", encore aujourd'hui ? Peut-être lis-tu ces lignes, à quelques heures ou jours d'intervalle ? Je n'en sais rien mais cette possibilité suffit à influencer mon écriture et donc agir sur mon cheminement. Tant que j'écris autour de "ça" je reste "captif".

Je sais pertinemment que mon processus de deuil à duré aussi longtemps parce qu'il y avait ce canal de communication et son corollaire, en face. Qu'importe que ce dernier soit nettement moins explicite, nettement moins bavard : il se disait aussi quelque chose.

Je ne réfute pas cette forme de communication, mais je ne veux plus jouer à faire semblant. Pour moi ça a existé... et je n'ai plus envie de faire comme si ça n'était pas.

Voila, je pose les choses clairement.







Étouffant




Lundi 21 juin
(mis en ligne le 9 juillet)


Mes mots cherchent leur chemin. Ils ne parviennent pas à rassembler les idées qui me traversent. Alors je reste devant le clavier, les pensées en errance. Et puis j'abandonne. Il y a une envie de disparaître, de m'effacer. Des regrets anticipés à le faire. Quelque chose est en train de mourir en hésitant.

Le moment est-il venu d'éteindre ce journal ?

J'ai envie de l'étouffer sous un oreiller de silence. De m'en détacher. D'en voir le souvenir s'éloigner vers le passé.

Couple bizarre que celui de l'écrivant et de ses écrits lus. Qui mène le jeu ? Comment séparer l'un de l'autre ? Rompre l'équilibre installé. Affronter la solitude.





Mois de juillet 2010