Lundi 14 juin
Hier j'ai été en colère [Rrrrognntutjuuuu
!]. Colère contre moi. Contre mon
incapacité à ne plus évoquer ce dont je cherche à me
détacher. Ras le bol de me laisser happer dès que
j'effleure le sujet tabou. Je sais que je ne dois pas m'en
approcher mais je me fais accrocher par le chaos laissé
dans mon esprit dès qu'un sujet de réflexion concerne les
relations amoureuses, amicales, ou de couple. Or ma
formation m'y ramène sans cesse. Et mon sujet de mémoire
m'y replonge jusqu'à la racine [ce
qui n'est pas un hasard...].
Hier ça m'a agacé. Je me suis senti las de tout ce travail
dont je ne vois pas la fin, alors même que j'en constate
les avancées. J'en ai eu marre de tout ce temps passé à ne
pas parler de l'indicible, à tenter de le
contourner, le retrouvant malgré tout.
Et merde !
En abordant une énième fois le sujet de l'autocensure
et des limites entre le privé et le public je me suis pris
une nouvelle fois en pleine tronche la parfaite
incohérence qui sépare mes valeurs de mon attitude : ici
je ne respecte pas la confidentialité ! Ce faisant je
bafoue une valeur qui m'est essentielle. En découle un
malaise gluant, quoique j'essaie de rester au plus près
d'un acceptable. J'ai souvent ressenti l'extrême tension
qui me tiraillait entre différents besoins fondamentaux,
dont le respect absolu de l'autre et celui de comprendre
le sens de ce qui m'est arrivé seraient les pôles opposés.
Quand je finis par me laisser aller à cogiter à "ça",
parce que le désir de « passer à autre chose » ne
suffit pas à y parvenir, je me vois vite replonger dans
des questionnements irrésolus. J'ai beau tenter d'
"oublier", voir tous les attraits de ma nouvelle
existence, prendre la mesure de mes potentialités
découvertes, me féliciter du chemin parcouru... il reste
cette blessure mal cicatrisée qui, régulièrement, se
rappelle à mon souvenir. Ça ne m'empêche nullement de
vivre et d'être heureux, mais il reste cette tache
indélébile [et un peu
débile...]. Cette excroissance anachronique,
cette protubérance boursoufflée, cette... purulence
pestilencielle... [ouais,
oh, exagère pas trop quand même !]. Quoi que je
fasse, quoi que je veuille, un sentiment
d'incompréhension, de loupé, de malentendus,
d'interprétations erronnées, me tenaille. Et paf, le mur !
Le rempart. La forteresse inatteignable. Tout cela
prend parfois une place surdimentionnée, sans aucune
mesure avec ce que je sais être la réalité. Bulle géante
emplie du vide de l'absurdité... Ça revient par vagues,
qui enflent, me débordent, puis finissent par s'apaiser.
Jusqu'à la fois suivante...
Chiant !
Je sais très bien qu'un "jeu psychologique" est à
l'oeuvre. Je l'ai identifié depuis longtemps. Je sais
aussi ce qui pourrait en changer les règles. Il est en mon
pouvoir de modifier mes cartes. Mais... pourquoi,
jusque-là, n'y suis-je pas parvenu ? Manque de confiance
en moi, assurément. Ça viendra un jour, nécessairement.
Mais quand ? Quand trouverais-je la force, la conviction
inébranlable que mon attitude peut changer ?
Maintenant ?
Le besoin d'être confirmé dans mes ressentis reste un
frein puissant. Il faudra pourtant bien que je me fasse
confiance [ah ouais, ça
serait bien, ça !]. Je sais suffisamment de
choses, j'en ai compris largement assez... je dois juste
renoncer a obtenir le feu vert qui me dirait que je suis
dans le vrai. Que j'ai « juste » [comme
un petit garçon qui a bien travaillé ?]. Je crois
que c'est ce que j'ai attendu sans le savoir. Mais je ne
l'aurai pas ! Moi seul peut me l'accorder et mettre ainsi
fin à ma vaine quête.
Je sais très bien ce qu'il me faudrait faire...
Mardi 15 juin
Je subodore qu'une partie de mes lecteurs se lasse de me
voir revenir indéfiniment sur le même sujet. Il se
pourrait même que certains se demandent quand j'en
sortirai, voire s'interrogent sur une éventuelle
incapacité pathologique à « tourner la page » [expression
idiote, au demeurant, puisque chaque jour est une page
tournée...].
Honnêtement, ce qu'on peut penser de moi n'est pas loin de
me laisser indifférent. Ici, à l'écart des commentaires,
je me sens "chez moi" et ne m'adresse qu'à ceux et celles
capable de saisir le processus en cours.
Quel processus ?
Celui du deuil. Du travail de deuil. C'est
intéressant à observer un travail de deuil. Tout un
parcours pour passer de l'avant à l'après traumatisme. Un
parcours souvent long, parfois très long, qui passe par
différentes étapes. Avec, au bout, une adaptation à
un nouvel état, un nouvel équilibre reconstruit en
fonction de la perte subie. Un deuil, finalement, ça ne
tient pas de la mort mais de la vie. La mort (la
perte) déclenche un processus de reconstruction éminemment
vivant.
Un deuil "mort" serait celui qui, incomplet, se figerait
dans une position dépressive et n'évoluerait plus. La
perte non dépassée menant à une sorte de non-vie rattachée
à ce qui a été perdu. Quelque chose de bloqué dans le
manque.
C'est quoi un deuil ?
Une réponse à un traumatisme. Qu'il soit infime ou majeur,
ce qui différenciera la réponse c'est la violence du choc
ressenti, duquel découlent la profondeur de la dépression
et la durée du travail de deuil.
« Pour faire son deuil il faut le vivre. Or notre
société a procédé à un gommage de toutes les
manifestations extérieures » ["Deuils",
série Autrement, n°128 - mars 1992].
Alors oui, je manifeste mon deuil. Mes deuils,
devrais-je dire. Et je prends le temps qui m'est
nécessaire. Je le fais ici, peut-être de façon un peu
ostensatoire, mais c'est un lieu plutôt discret où seuls
viennent ceux qui le désirent et savent donc à quoi s'en
tenir. Et je laisse tranquille les autres, à qui je n'en
parle pas...
Mais j'en reviens à cette question : c'est quoi, un deuil
? Ou plus exactement, un "travail de deuil" ?
Une récente session de ma formation abordait cette
question autour de l'annonce d'un handicap ou d'une
maladie grave. Le deuil étudié était celui de vivre une
vie "normale", mais s'applique à toute forme de deuil,
comme j'ai pu le constater au cours d'autres sujets de
formation. Je vais m'appuyer sur quelques notes que j'ai
voulu retenir.
Le travail de deuil, quand il concerne la perte de
"quelque chose" fortement investi est un processus long,
coûteux en énergie, laissant toujours une cicatrice à
l'endroit de la perte. L'intensité et la durée dépendent
de l'histoire de chacun, de la façon dont a été investi
l'objet perdu, de la brutalité de la perte. Le deuil
concerne toute forme de perte, depuis la mort réelle
jusqu'aux multiples formes de changement découlant de la
disparition de quelque chose qui semblait acquis, mais
est surtout perceptible quand il atteint profondément la
personne. On parle alors de choc traumatique.
Un choc traumatique est un évènement violent,
imprévisible, subit et incontrôlable. Il y a d'abord un
effet de sidération, qui met en échec la capacité de
penser. La sidération est un mécanisme protecteur
du psychisme, qui coupe d'un ressenti émotionnel
"insupportable". La mémorisation de l'instant du choc
est très précise et reste intemporelle. Il y a une
notion de blessure profonde, d'effraction et d'atteinte
à l'intégrité psychique. Le bouleversement qu'il
provoque dans l'organisation psychique anéantit les
défenses habituelles. Il provoque un triple effondrement
narcissique (c'est à dire l'identité, l'estime de soi) :
- effondrement du sentiment d'invulnérabilité
- effondrement de la certitude que l'environnement est
protecteur
- effondrement de la confiance en autrui.
On prend alors conscience que « tout peut arriver
n'importe quand ». Le ressenti qui en découle est un
sentiment d'impuissance.
On n'est jamais "prêt" à la perte, même si elle était
pressentie.
Après le choc traumatique, la
personne qui a perdu quelque chose ou quelqu'un
va traverser différentes phases qui sont autant de
défenses psychologiques contre une "agression" de
l'environnement nouveau. Ce processus a été décrit par
Elisabeth Kübler-Ross et s'applique à nombre de
situations : perte d'un être cher, d'une relation, d'un
emploi, de l'autonomie, de la santé, d'un organe, d'un
objet, d'un lieu de vie, d'un idéal...
Le premier stade est celui de l'incrédulité,
de la dénégation : « non, ça ne peut pas être
possible ! ». La dénégation est un amortisseur après le
choc de nouvelles brutales qui permet à la personne de
se recentrer et mettre en place d'autres mécanismes. Il
s'agit d'une défense temporaire, suivie d'une
acceptation partielle.
Ensuite vient la colère, qui indique
une étape supplémentaire dans l'acceptation
partielle. Puis la culpabilité, avec la tentation de
revenir en arrière pour changer le cours des choses.
Culpabilité de n'avoir pas su anticiper, ne pas avoir
deviné ce qui allait arriver. La culpabilité est une
colère dirigée contre soi. C'est un désir de contrôle de
l'environnement qui fait croire que ça ne se reproduira
pas si on fait attention. La culpabilité est un moyen de
reprendre un sentiment de contrôle sur quelque chose qui
n'a pas de sens. L'humain a besoin de comprendre, de
mettre du sens, dans un désir de contrôle.
Le temps passant on finit par
comprendre qu'on a perdu quelque chose
d'essentiel, qui ne reviendra pas, et on entre alors
dans une phase de dépression. Cette phase peut être
immédiate ou apparaître longtemps après la perte. Il est
important de pouvoir exprimer la tristesse et le chagrin
qui découlent de la perte. D'autant plus qu'une perte en
entraîne d'autres, qui se révèlent au fil du temps : ce
qui était possible avant la perte de l'est plus dans
plusieurs domaines.
Chaque étape du processus est nécessaire,
incontournable. Il faut beaucoup de temps pour cheminer
vers l'acceptation et il est impossible d'accélerer ce
mouvement. La tentation de l'entourage est alors de
secouer la personne en processus de deuil, ayant une
impression de passivité, de mauvaise volonté. C'est une
manifestation du sentiment d'impuissance de l'entourage
qui ne comprend pas, ne ressent pas de la même façon,
n'est pas atteint en profondeur.
Progressivement des réaménagements nouveaux vont être
possibles aboutissant à rétablir un équilibre. La
sensation de manque s'atténue. L'enjeu de cette longue
période de deuil est de permettre des renoncements
extrêmement douloureux. Tout au long du processus il est
important de pouvoir verbaliser des ressentis
indistincts, de faire passer des sensations brutes à une
élaboration mentale. Passer du cru à quelque chose de
plus digeste.
Le processus de deuil est donc celui d'une adaptation
psychologique à un nouvel état des choses. Il est
normal, sain, transitoire... mais peut prendre beaucoup
de temps. Les aller-retour entre les différentes phases
sont fréquents. Le stade ultime est l'acceptation de la
perte.
Finalement ce nouvel état fait apparaître les bénéfices
tirés du changement. C'est ce qu'on pourraît
appeler "cadeau caché".
En relisant ces quelques notes il me semble évident que je
me situe dans un processus tout à fait normal, compte tenu
de l'importance des pertes successives qu'il m'a fallu
accepter simultanément de deux relations
majeures. D'un côté il y a eu :
- perte de mon couple, et de tout ce qui était rattaché
comme "idéal de vie" (vie commune, famille unie,
vieillissement conjoint...)
- perte de ma représentation de compagnon fiable, sur qui
ma femme pouvait compter.
Je résume en quelques mots ces pertes, qui ont cependant
eu un impact profond et durable, parce que le processus de
deuil s'est déroulé de façon "logique" : annonce
préventive et déterminée des conséquences prévues, avec
peu de fluctuations laissant penser à une autre issue. Je
savais vers quoi j'allais, j'étais acteur de mes choix mis
face à mes responsabilités.
D'un autre côté il y a eu :
- choc traumatique violent et brutal d'une décision
subite, sans explication "logique".
- perte sans transition d'une relation essentielle à
plusieurs points de vue, très fortement investie
- effondrement d'une notion de confiance, de partenariat,
de "complicité".
- rupture de contact
Ce tableau clinique était déjà nettement plus violent et
perturbant que pour la perte de mon couple initial. La
phase dépressive à été profonde et paroxystique pendant
quelques mois. Le travail de deuil aurait pu se poursuivre
à partir de là...
Sauf que s'est mis en place quelque chose d'extrêmement
pernicieux qui a totalement entravé le processus de deuil
"normal". De façon assez prévisible, vu l'ambivalence
ambigüe et contradictoire de la situation, le mort est
ressucité ! La femme perdue est revenue. À plusieurs
reprises. À son inititative. Or un véritable
deuil ne peut opèrer qu'à partir de l'irréversibilité. La
perte doit être définitive et irrévocable. Réellement
irrévocable, pas seulement par effet d'annonce.
À partir de là ce n'est plus un deuil qui opérait, mais un
jeu psychologique qui se mettait en place. Ou plutôt
se concrétisait ouvertement, puisqu'en fait il avait très
rapidement pris place par le biais de « conditions »
pour une reprise, ainsi que par un croisement
d'écriture-lecture sur la scène théatrale d'une comédie
dramatique dont nombre de lecteurs étaient
spectateurs. Officiellement il n'y avait pas de
communication... mais ce jeu de dupes n'a jamais pu
tromper les protagonistes. Ou alors il faudrait vraiment
faire abstraction de l'existence de l'inconscient...
Ce jeu du perdu/revenu a commencé en septembre 2004, soit
très peu de temps après le premier choc. Il aura abouti à
me faire passer par une série d'espoirs, de chocs et de
deuils renouvellés. Il pourrait être qualifié de malsain
s'il ne m'avait pas permis de faire un énorme travail
d'analyse relationnelle et personnelle. Par là-même cela
m'a permis d'augmenter ma confiance en moi, d'acquérir une
solidité que je n'avais pas et de prendre du recul sur les
fonctionnements relationnels.
Je suis certain que ces années de réflexion et de
découverte, dont certains éléments ont été retranscrits
dans ces pages, me sont profitables. Je ne regrette
aucunement ce travail, même s'il a pu être parfois pénible
à la limite du supportable. Je suis sûr que j'y ai acquis
une "expérience" qui me sera profitable pour le restant de
mon existence.
En faisant le deuil d'une complicité, puis d'un amour,
sans me résoudre à faire celui d'une amitié, je pense
m'être ouvert à une autre façon de vivre ces états de
confiance partagée. Et même si je reste encore "fermé" à
des rapprochements sous toute forme un tant soit peu
soutenue, je crois que j'ai acquis une plus grande
capacité à m'ouvrir. Parce que je me connais mieux,
je connais mes faiblesses, mes limites, mes désirs.
Mon travail de deuil est long, certes, mais il sera
complet. Intégralement traversé. Et un jour je pourrai
regarder cette période avec le sourire, seulement le
sourire. Et peut-être même un sentiment de gratitude...
Mais il faudra le temps nécessaire. Ni plus, ni
moins.
Mercredi 16 juin
(mis en ligne le 9 juillet)
Évoquer le processus de deuil qui opère en moi est le
signe d'une prise de recul suffisante pour l'observer.
Cela ne vient pas par hasard : j'ai lu
quelque part une phrase sur le deuil. Elle m'a
"parlé" et a atteint quelque chose en moi qui m'a fait
réagir.
Je sens bien qu'est venu le temps de « passer à autre
chose ». Le cheminement est bien avancé et j'en
suis un peu fatigué. Et puis je me dis aussi que la
lecture de ce lent parcours doit être lassante. Or
j'ai envie de proposer un contenu relativement plaisant à
lire...
J'ai donc décidé de changer quelque chose ! Je ne sais pas
encore vraiment quoi, mais je sais à quel date ce sera :
le 8 juillet 2010, soit dix ans après que ce journal soit
rendu public. J'aime bien les dates anniversaires. Ce
n'est pas tant l'anniversaire de mon journal que celui de
la "rencontre" qui allait bouleverser ma vie. Une
rencontre par les mots et les pensées, qui m'ont fait
sentir que quelque chose s'ouvrait en moi.
Peut-être vais-je "éteindre" ce journal pour cette date
anniversaire. Peut-être vais-je ouvrir un autre espace,
distinct de celui-ci. Parce qu'en fait ce n'est pas dans
le journal que je veux changer quelque chose, mais dans sa
fonction annexe : un organe de communication privée... en
public. Je n'ai plus envie de me servir de ce canal
indirect. J'ai tout à fait conscience que je n'ai jamais
pu cesser de "communiquer" avec celle qui ne le voulait
plus... mais a néanmoins continué à se tenir au courant de
mes avancées. Peut-être est-elle "là", encore
aujourd'hui ? Peut-être lis-tu ces
lignes, à quelques heures ou jours d'intervalle ?
Je n'en sais rien mais cette possibilité suffit à
influencer mon écriture et donc agir sur mon cheminement.
Tant que j'écris autour de "ça" je reste "captif".
Je sais pertinemment que mon processus de deuil à duré
aussi longtemps parce qu'il y avait ce canal de
communication et son corollaire, en face. Qu'importe que
ce dernier soit nettement moins explicite, nettement moins
bavard : il se disait aussi quelque chose.
Je ne réfute pas cette forme de communication, mais je ne
veux plus jouer à faire semblant. Pour moi ça a existé...
et je n'ai plus envie de faire comme si ça n'était pas.
Voila, je pose les choses clairement.
Lundi 21 juin
(mis en ligne le 9 juillet)
Mes mots cherchent leur chemin. Ils ne parviennent
pas à rassembler les idées qui me traversent. Alors
je reste devant le clavier, les pensées en errance. Et
puis j'abandonne. Il y a une envie de disparaître, de
m'effacer. Des regrets anticipés à le faire. Quelque chose
est en train de mourir en hésitant.
Le moment est-il venu d'éteindre ce journal ?
J'ai envie de l'étouffer sous un oreiller de
silence. De m'en détacher. D'en voir le souvenir
s'éloigner vers le passé.
Couple bizarre que celui de l'écrivant et de ses écrits
lus. Qui mène le jeu ? Comment séparer l'un de l'autre ?
Rompre l'équilibre installé. Affronter la solitude.
Mois de juillet
2010
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