Envie
d'envie
Lundi 3 mai
Comme une petite musique de fond, mes pensées suivent la partition
que leur transmet mon inconscient. Des questions s'égrènent,
vont et viennent, disparaissent et reviennent. Elles
cherchent leur réponse, la lumière qui les éclairera. En se
diffractant, d'autres énigmes en seront à leur tour éclaircies. Ce
mouvement est devenu léger, fluide, souple comme un massage qui ne
s'arrête jamais vraiment. Je me suis habitué à la mélopée
persistante. Elle m'accompagne et peut-être me manquerait-elle si
elle s'éteignait subitement.
Qu'est-ce qui fait que je préfère désormais la solitude
sentimentale ? Est-ce que je ne me prive pas ainsi d'une part
importante de la vie ? Est-ce que je ne me ferme pas à bien des
découvertes ? Est-ce que je ne m'éloigne pas d'un
essentiel ?
À chacune je trouve des fragments de réponses, sans jamais épuiser
l'interrogation. Chaque avancée se heurte à quelque chose d'encore
inexpliqué, à travailler encore, à décortiquer, à accepter.
Je sais bien pourquoi je suis seul. D'ailleurs ce n'est pas
une question que je me pose. Les choses se sont faites ainsi. Je
sais aussi pourquoi je reste seul. Je sais les avantages
que je trouve dans cette situation et n'y vois guère
d'inconvénients. Le seul qui me dérange un peu est l'absence de...
hum... partage sexuel. Mais bon... l'abstinence n'a jamais empêché
de vivre !
Mais les sentiments qui pétillent, non, ça ne me manque pas. Ce
qu'on appelle "amour", et que je mettrais plutôt dans le champ du
désir, ne me manque pas non plus. Je ne désire ni "aimer",
amoureusement parlant, ni l'être. Je ne désire même pas désirer !
Enfin... je parle là du désir de rapprochement, pas du Désir comme
élan de vie. Ce désir de vivre est bien présent. J'aime ma
vie et l'orientation qu'elle suit. Des projets reviennent dans mon
esprit, avec une envie de les réaliser. Une envie d'avancer,
de vivre, de profiter pleinement de ce qui me fait
envie. Oui, c'est ça : j'ai envie de vivre ce qui me fait
envie !
Je n'ai jamais oublié la pulsion que j'ai ressentie lorsque
l'appel de la vie m'a sollicité, il y a sept ans, me donnant
l'audace de le suivre. C'est comme une promesse que je me suis
faite à moi-même, à des moments-clé de mon parcours, plusieurs
fois renouvellés : « oui, c'est ça la vie, ce que je vis maintenant
! C'est ça se sentir vivant ! ». Avoir envie
de vivre deux siècles, comme le disait Alain Corneau ce jour où je
l'écoutais parler de "l'élan vital" pendant une émission de radio.
J'étais quelque part sur une route de l'ouest, de retour de
vacances, et j'avais décidé quelques jours plus tôt de rencontrer
celle par qui mon existence découvrait des dimensions
insoupçonnées. Un mois plus tard nous étions dans les bras l'un de
l'autre et, ébloui, j'avais l'impression de redécouvrir
l'intensité de la vie. Les yeux grand ouverts je dépassais le
stade irréversible qui ouvre la conscience. Le retour en
arrière était désormais impossible : je savais. Et plus que
savoir, j'avais ressenti. Vibré d'une onde
inoubliable. Six mois plus tard, en transit dans un aéroport grand
ouvert sur le monde pour aller de nouveau a sa rencontre, je
ressentais avec une incroyable vitalité le souffle de la
liberté. Inoubliable. Et puis chez elle, dans ce pays autre
que le mien, cette sensation intense que je touchais-là
l'essentiel de la vie.
Ces émotions issues de mon être profond, cette vibration
intérieure, ont été des expériences intimes. Je ne crois pas les
avoir vraiment partagées. Peut-être dépassaient-elles ma
capacité à les mettre en mots ? Ou bien n'ai-je pas perçu une
écoute, un attention, une pulsation intime à la hauteur de leur
puissance ? Je les ai ressenties en vivant quelque chose de très
puissant avec une altérité... mais peut-être déjà en solitaire.
Peut-être était-ce là l'illusion dans laquelle je me suis égaré
? Je ne sais pas...
Cela fait partie des questions qui, à la longue, finissent par
monter à la surface : étions-nous vraiment "ensemble" ?
Jusqu'où nous sommes nous liés et à partir de quand une
invisible barrière est-elle apparue, empêchant de nous
rapprocher davantage ? Qu'est-ce qui, bien avant la fin, l'a
rendue si rapidement possible ? Quels peurs intimes n'ont-elles
pas été dépassées ?
Avec le temps j'ai perçu que les questions infinies autour d'un
indicible ne m'empêchaient pas de poursuivre mon chemin.
Simplement il fallait que je le redéfinisse. Que je renonce à
celui en lequel j'avais cru pour en trouver un autre me permettant
d'atteindre les objectifs mis en évidence : vivre, m'approcher de
ce qui constitue mes aspirations les plus fortes, tendre vers mon
équilibre intérieur.
C'est ce à quoi je m'emploie depuis que je suis allé au bout de ce
qui m'était possible. Je n'ai pas tenté de me rapprocher davantage
de l'inaccessible. Question de confiance...
Jeudi 13 mai
Il n'aura pas échappé à mon lectorat le plus fidèle qu'au fil du
temps le rythme de mes interventions ici s'est considérablement
espacé. De longues périodes de mutisme ont même émaillé le fil
du récit, lui-même devenant plus évasif.
Cela indiquerait-il un moindre désir d'écrire ? En partie
oui. Une moindre nécessité. Mais cette expression
atténuée est surtout due à une retenue volontaire. Retenue
sous-tendue par plusieurs raisons d'origines diverses mais
conjuguées. Sans ordre hiérarchique j'ai envie de les préciser,
afin de mieux comprendre ce qui se passe en moi autour de cette
non-écriture, contraire à un désir d'expression plutôt spontané
chez moi.
Je remarque, en écrivant ce mot, « spontané », que ma
retenue va à l'encontre de ma démarche originelle : une
libération pour aller vers davantage de spontanéité.
J'en suis venu à me retenir parce que je sentais que je touchais
à quelque chose de "sacré", et que le simple fait d'y toucher
était déjà le malmener. Le profaner, pourrais-je dire...
Ce sacré, c'est l'intimité. La confiance qui la rend
possible, le respect qui la protège. Je veux parler là de
l'intimité d'une histoire commune, voire de l'intimité d'une
autre personne que moi. Mon intimité c'est moi qui en
définis les contours, mais dès qu'elle s'allie à celle d'autrui
je deviens détenteur d'une part d'intimité qui ne m'appartient
pas. Il y a un partage d'intimité et je n'en suis pas le
seul dépositaire.
J'ai abondamment relaté ici des faits qui faisaient partie d'une
intimité de couple. Ce faisant, je suis allé au delà de ce que,
consciemment, éthiquement, j'aurais voulu respecter le plus
absolument. Sauf que j'ai été emporté par mes affects, perdant
mes propres repères dans une décohésion de mon être. En quelque
sorte j'ai "perdu le contrôle de moi-même". Non pas dans le
sens souhaité (la spontanéité, la liberté
d'être et d'oser), mais dans un sens indésirable et
redouté (ne plus savoir me contenir).
Pour diverses raisons évoquées dans les méandres de ce journal,
et surtout parce que j'ai été dépassé par une expérience à très
fortes résonnances personnelles, j'ai outrepassé des limites et
me suis aventuré bien au delà de mon simple "moi".
La culpabilité que j'en ai ressenti, en partie justifiée (je
commettais bien une "faute", selon mes valeurs personnelles),
en partie inappropriée (je répondais par un
simple réflexe de "survie psychique"), m'a souvent
poussé à agir de façon très désordonnées, contradictoire,
générant un profond trouble intérieur : je savais que j'agissais
"mal" alors que je cherchais des façons de revenir vers quelque
chose de "sain". Ce va et vient incessant entre diverses
instances de ma pensées, entre différents états du moi, a abouti
à une gesticulation désordonnée, préjudiciable. J'avais
parfaitement conscience des dégats que j'occasionnais, mais ne
trouvais pas d'autre solution que d'en passer par là pour me
"sauver" et tenter de sauver ce à quoi je tenais. C'est un peu
comme si, pris dans des rapides, j'avais le choix entre la
noyade ou m'aggriper à "n'importre quoi" pour survivre. Même si
ce "n'importe quoi" était contraire à mes valeurs personnelles
ou détruisait ce qui m'était cher. Il a résulté de cette panique
une culpabilité supplémentaire, ne serait-ce que celle de
préférer me sauver que de protéger autrui...
Lorsque le tumulte des flots s'est apaisé, j'ai pu reprendre mes
esprits, me calmer, et revenir vers un respect de ce qui avait
tant de valeur à mes yeux. Sauf que les périodes de
tranquillité ont parfois été de courte durée et que divers
évènements, extérieurs à moi-même ou issus de mes profondeurs,
réveillaient mes vieux démons ou m'entraînaient de nouveau vers
des eaux bouillonnantes et incertaines. Ainsi, selon les
périodes, j'oscillais entre le calme enfin retrouvé et la chute
dans une cascade inmaîtrisable.
Il a fallu beaucoup de temps pour que je reprenne suffisamment
de contrôle sur moi même et puisse me diriger de façon sensée,
réfléchie, mesurée, adaptée. Et qu'enfin je retrouve ma
capacité à respecter mes valeurs essentielles.
Le respect de l'être, valeur première à mes yeux, m'a donc
conduit à... me taire. Quitte à ainsi faire violence à
un autre aspect du respect : celui que je me dois. Me respecter,
c'est me permettre de me dire, c'est accorder mon attention à
des besoins qui s'expriment en moi par des jaillissements
spontanés d'idées, de pensées, de sentiments, de ressentis. J'ai
compris que ma vérité intérieure, gage de ma libération, ne
pouvait qu'être favorisée dans son expression si je voulais
"devenir ce que je suis".
D'un côté j'étais poussé à me taire, de l'autre à m'exprimer.
C'est ce qui a fait qu'écrire ici est devenu une affaire
extrêmement complexe.
Aujourd'hui ce lieu reste un espace d'expression utile,
nécessaire, mais que je n'investis qu'avec une grande prudence.
J'ai déjà évoqué les nausées qui avaient pu me saisir au moment
de la mise en ligne de textes qui n'étaient pas totalement
épurés de "ce que je ne veux pas dire". En même temps je sens
bien que "quelque chose a à se dire". D'où ce louvoyage dans des
eaux à peu près limpides en surface, mais que je ne veux pas
agiter sous peine de les troubler de nouveau. J'ai l'impression
de naviguer dans des marais peuplés d'esprits et de présences,
qui m'observent et qu'il ne faudrait surtout pas déranger...
Cela dit ce parcours sous surveillance est propice à une
réflexion approfondie, chacun de mes gestes étant évalué en
fonction de conséquences envisageables. Ainsi je continue mon
avancée avec une infinie précaution. Avancée toute en
lenteur, mais au contact direct des sensations qui me
parcourent. Progression lente laissant toute sa place à la
réflexion, à l'observation.
De marin haté de s'élancer au large, se sentant un peu vite "le
maître du monde", j'en suis venu à prendre une attitude
nettement plus humble, m'adaptant à un environnement méconnu que
je parcours avec le souci de n'en pas déranger l'ordonnancement.
Je ne suis qu'un élément de cet écosystème relationnel humain,
interagissant avec d'autres éléments que mon itinéraire n'a pas
à perturber outre mesure.
Du
courant d'air dans les toiles d'araignées
Samedi 15 mai
Je suis maintenant [et depuis
pas mal de temps...] persuadé que mes ressentis
relationnels et le récit que j'en fais ici se sont mutuellement
nourris l'un de l'autre. La question n'est plus de savoir si
l'existence de ce journal public a intérféré et interfére encore
dans le récit que j'y développe, mais jusqu'à quel point cela
agit. Il me paraît certain que je n'aurais pas accordé autant
d'importance narrative à un épisode de ma vie, aussi déterminant
soit-il, si ce journal n'avait pas été ouvert au regard d'autrui
[et, plus encore, au regard de
personnes impliquées]. Je n'aurais pas autant fait
corps avec cette part de mon histoire si je n'avais pas pu la
raconter selon un déroulement qui ne doit rien au hasard.
L'important ce ne sont pas les faits que je raconte, mais la
façon dont je les raconte. Le sens que je leur donne,
ou cherche à leur donner.
Je m'explique : me sachant lu j'ai conscience de disposer d'un
canal de communication avec un autre multi-identitaire.
L'écriture-lecture étant un lien distant, abstrait du réel,
laisse donc à mon imaginaire tout loisir de construire des
représentations diverses de cette altérité, en correspondance à
ma fantasmatique [et
inversement pour vous, lecteurs...]. Une petite partie
de mon imaginaire est accessible à ma conscience mais une large
part échappe totalement à cette analyse. Quant au votre, hé hé,
je vous le laisse...
Lorsque j'écris, à chaque instant je peux choisir, plus ou moins
consciemment, les mots, phrases, idées que je vais donner à
lire. Je me sens maître de ce que je veux montrer, cacher,
suggérer, induire, mais mon inconscient est le vrai maître de
ces choix... qui m'échappent largement. Vis à vis de la plupart
d'entre vous l'enjeu relationnel est peu significatif puisque
nous ne nous connaissont pas, ou peu. Mais pour moi-même [qui
suis mon premier lecteur] et pour des personnes
auxquelles mon inconscient attribue un rôle, une fonction
particulière, il se joue dans le dévoilement introspectif
quelque chose qui n'est pas anodin. Et, bien évidemment, plus je
charge un personnage-lecteur de mes projections, plus je peux
être tenté d'interagir avec, si besoin. Largement à mon
insu puisque, quoique je sente bien que "quelque chose cherche à
se dire", j'ignore souvent dans quel sens et avec quel objectif
j'agis. Ce n'est qu'avec le temps que je découvre
progressivement où mon inconscient à voulu me conduire...
Vous n'y comprenez rien ? Attendez, je vous explique.
Mes mots s'écrivent ici au "je" mais il y a plusieurs
narrateurs. Plusieurs états et représentations du moi
qui peuvent être tentées de s'exprimer. Freud aurait
peut-être dit qu'il y a moi, ça et surmoi,
mais c'est certainement plus complexe du fait que j'extériorise
ce conflit intrapsychique universel. Non seulement ces entités
sont instables et instantanément changeantes, mais pour peu que
j'imagine les réactions de lecteurs en leur attribuant des
personnalités aussi diverses que les miennes, et c'est encore
plus de possibilités qui se présentent.
Cela dit je ne m'en inquiête pas : peu ou prou, nous
fonctionnons tous ainsi ! Moi aussi je me vois "imaginé" par les
autres. Euh... ce n'est pas insignifiant
puisque l'autre me sert à me définir et construire mon
identité ! Chez un psy on parlerait de transfert
et de contre-transfert. Ici cette interaction est
*simplement* [hum...]
multipliée par la diversité...
Généralement le contact réel nous permet de réajuster
régulièrement les personnages imaginaires à la réalité des
individus qui les incarnent. Vous savez comme moi combien on
peut « se faire des films » tant qu'on n'a pas eu
l'occasion de se réajuster. Bon... ça ne marche pas à tous les
coups et parfois on reste malgré tout dans son cinéma intérieur.
Et peut-être est-ce nécessaire ! Peut-être que cela a une
fonction psychique, allez savoir...
Connaissant ma propension à imaginer la réalité... je cherche le
réel. J'ai besoin de toucher du doigt le concret, m'y
confronter. Là encore je réponds à un guidage
inconscient. Peut-être pour mieux savoir où est
l'imaginaire et dans quelle direction il peut se déployer ?
Peut-être pour pouvoir rêver plus librement ? Peut-être pour
vivre ceux de mes rêves qui sont réalisables ?
Or ici j'ai un gros problème pour toucher le réel. Ben oui,
forcément : ce ne sont que des mots...
Ah la la, l'imaginaire et le réel, l'idéal et la réalité, j'y
reviens toujours... Ici l'imaginaire prend beaucoup de place. Et
c'est tant mieux, d'ailleurs : il fertilise ma pensée ! Mais
étant à la recherche d'un "moi" je trouve surtout un
"moi-écrivant"... qui n'est assurément pas le même. Le
dialogue intime de soi à soi n'est pas le même quand il se fait
devant autrui. Cela dit, puisque le moi n'a de sens que face à
autrui, l'exercice de l'écriture de soi en public est loin
d'être inutile ! Il me semble même très éclairant. Et
d'autant plus quand on parvient à observer ce que cette
expression ouverte met en jeu en soi. Quand le soi parvient
à observer avec suffisamment de recul le soi-écrivant.
Ouhla, la mise en perspective devient vertigineuse !
Mais... comment dire... ici c'est encore
un peu plus compliqué [oui,
oui, c'est possible !]. Ouais, pas mal plus
compliqué... parce que... figurez-vous que ce journal est... attendez,
approchez... plus près... figurez-vous
que ce journal
est...
HANTÉ ! Oui,
parfaitement : hanté ! Un fantôme le hante.
HoouuoOOooouuUUUu
[hullulements et bruits de
chaînes dans les toiles d'araignées]
Un fantôme c'est pas vraiment concret, hein ? C'est invisible et
ça n'existe que pour ceux qui y croient. On ne peut que sentir
leur présence...
Et bien moi je sens sa présence ! Oh c'est pas une
présence qui me fait peur, non. C'est simplement qu'elle est
là. Quelque chose de son esprit demeure et vit
encore. Et puis son regard passe là, ou peut y passer à
l'improviste. Je n'en vois nulle trace mais... ouais, c'est ça :
je la sens.
Serais-je un illuminé ? Arhhh, c'est ça le problème : pas
possible de savoir ! Aucune certitude.
Mais le simple fait de sentir cette présence fait que
j'en tiens compte. Donc, de fait, elle est
là. Même si ce n'est que dans ma tête, elle est là. Je me
sens... observé. Intuition ou délire ? Allez savoir...
En fait je m'en fiche un peu d'être observé ou pas. C'est
pas ça qui importe. L'important, c'est ce que moi j'imagine de
cette présence ! C'est la place que je lui donne, les rôles que
je lui assigne, les représentations que j'ai de ce qui lui a
donné corps. Ouais, tout ça se passe dans mon imaginaire [mes
fantasmes, projections et autre représentations], et
c'est là une des clé de l'énigme que je suis pour moi-même. Ce
fantôme, en fait, j'en fais mon allié. Je l'utilise. Je me sers
des différentes fonctions que je lui attribue pour observer ce
que j'en ressens. Selon que je l'imagine bienveillant, sensible
ou persécuteur, je vois comment je me sens, quelles émotions me
traversent. Je me demande aussi ce qui fait que je le
perçois ainsi, d'où ça me vient, ce qui stimule dans un sens ou
dans l'autre mon imaginaire.
Mon inconscient tente de me faire communiquer avec cette
présence absente, même si je me répète qu'elle ne répondra pas.
Ce n'est pas son rôle... Alors je me tais. Plus ou moins.
Pour des tas de raisons égoïstes ou altruistes, selon le moment.
Je ne peux qu'imaginer des scénarios, des éventualités
aboutissant à la fin de cette hantise. Selon que je m'en
sente bien, ou en colère, triste ou réjoui, tout l'intérêt
consiste à comprendre ce qui entraîne ces réactions. Je peux
même être hilare en pensant à l'absurdité de la situation qui
l'a faît naître et, plus encore, durer !
Sacré fantôme ! Sacrée histoire...
Ouais... cette présence est là. Pas que dans ce journal,
bien sûr. Ici ce n'est que le lieu où je tente de donner un peu
de réalité à une "communication" formellement proscrite.
Formellement...
Hé hé, ça me fait rire... parce que le fantôme ne l'est pas tant
que ça. Il a eu des regards bien réels sur mes lignes, parfois,
ce fantôme, interagissant de fait. Mi-fantôme, mi personne
réelle, quoi...
Je ne ne sais pas quelle est la fonction de cette présence
spectrale, si ce n'est me faire "grandir". J'aurais très bien pu
décider de m'y soustraire en "disparaissant" à mon tour, me
couper du lien réel et "tourner la page", comme on
dit. M'intéresser davantage aux vivants désireux de
communiquer avec moi qu'a d'autres avec qui j'ai pu accepter,
autrefois, d'aller vers une place d'objet. Oui, c'est
probablement ce qui se travaille en moi en ce moment : la place
que j'ai envie de m'accorder face à l'autre. Le droit d'être
moi, tel que je me sens être. Pas tel que l'autre voudrait me
voir... Et cela passe par la confiance que j'ai en moi, mon
estime personnelle. Quoique elle se soit fortement solidifiée,
y'a encore du boulot !
Alors non, je ne choisis pas cette forme de fuite qui
consisterait à passer à autre chose que ce qui me
dérange. Car c'est à moi de changer mon regard sur le monde
relationnel. Je continue à me confronter à mes vieux
démons. Et aux fantômes ! Enfin... au fantôme
puisqu'il n'y en a qu'un qui joue vraiment un rôle. J'ai encore
des comptes à régler avec cette présence-là. Observer la stature
qu'elle conserve me sert à quelque chose. Ça fait
travailler quelque chose en moi. Ne serait-ce que m'interroger
sur la place que je lui accorde encore ! Désactiver ce qui n'a
plus lieu d'être tout en conservant ce qui le mérite.
Au delà, par similarité, je cherche à mieux comprendre comment
interagissent les humains dans leurs rapports relationnels.
Ainsi que, probablement, admettre que moi aussi je peux être imaginé,
perçu comme autre que ce que je suis, et inconsciemment
utilisé pour cela. Moi aussi être la correspondance
fantasmatique d'un imaginaire insuffisamment partagé. Car être
en relation sainement c'est avant tout librement
partager...
C'est en cela que l'on se sent sujet agissant, et non
pas objet agi. Le respect de l'altérité, seul, induit la
confiance qui, réciproque, peut mener à la véritable rencontre.
Dimanche 16 mai
L'automne dernier, après moult complications post-rupture,
laborieusement étalées sur des années de flottement, j'ai
accepté (décidé ?) de « laisser aller » l'étonnante
amie-amoureuse avec qui j'avais vécu une Rencontre
hors du commun. J'ai admis que je ne pouvais que céder
devant sa demande et que ma persévérance était vaine,
quelles que soient les raisons qui m'avaient poussé à agir
en faveur d'une réconciliation. Celle-ci a cependant eu
lieu, dans une version minimaliste, puisque nous nous sommes
mis d'accord, pacifiquement [j'ai
même ressenti un léger souffle de douceur], pour en
rester là. J'ai décidé de ne plus rien tenter, quoi qu'il
puisse m'en coûter de brider mes élans. J'y ai gagné en
tranquillité d'esprit, allégé de la crainte d'être encore
rejeté lorsque l'envie me prenait de communiquer. Mais en
agissant ainsi je me suis aussi figé dans une sorte
d'immobilisme agaçant.
En acceptant cette "fin" [les
guillemets s'imposent, vu les détours et sinuosités de
notre histoire commune...] je pense l'avoir libérée
de la pression qu'elle pouvait ressentir de ma part.
Débarassée de mon embarassante présence elle pouvait
continuer sa route sans plus rien savoir de moi. Sauf
à suivre volontairement ma trace, mais ça... ce n'est plus
de mon ressort.
Cette possibilité n'est cependant pas neutre. De ma part
elle correspond clairement à un désir de maintenir un lien,
aussi ténu soit-il, conformément à ce que j'ai souhaité
jusque-là.
Car en acceptant de la « laisser aller » je n'ai pas
pour autant renié ce que j'étais, ni renoncé totalement à ce
qui m'importait : j'ai continué, en solo assumé, à laisser
émerger ce qui m'apparaissait. Après ces années d'une
relation particulièrement contrastée, riche d'enseignements,
beaucoup de choses ont à se dire. En moi d'abord, à qui veut
l'entendre ensuite. Je ne m'exprime toutefois qu'avec
prudence, discrètement ou hors-contexte, m'efforçant de
n'évoquer publiquement que ce qui m'appartient en propre.
J'ai recentré ma réflexion sur mes ressentis, mes
impressions, mes émotions. Celle-ci est devenue beaucoup
plus intérieure et n'apparait que sporadiquement dans mes
écrits. Je crois qu'une façon d'être, de percevoir l'autre
et d'interagir m'imprègne lentement. Le regard que je porte
sur moi et mon rapport au monde a changé. Je crois être
devenu beaucoup plus responsable, ou du moins conscient de
ce qui est de ma responsabilité. Par voie de conséquence
plus conscient aussi de ce qui est de la responsabilité de
chacun dans ses choix existentiels, conscients ou
inconscients. Cette aventure a eu le mérite de m'interroger
abondamment sur la position de "victime"...
Même si je le voulais je crois qu'il me serait difficile de
décrire le mouvement intérieur qui m'anime depuis mon
renoncement forcé. Probablement parce qu'il est encore
en action. Mouvement lent cette fois, loin de
l'effervescence mentale et émotionnelle du temps de la
rencontre, des grandes remises en questions et des
confrontations. Maintenant que je suis seul... j'ai le
temps ! Je ne suis plus tenaillé par l'urgence.
Il n'empêche que, souvent, j'ai envie de me mettre devant le
clavier. Mais pour écrire quoi ? Difficile d'évoquer ce
qui me concerne sans faire référence à... ce que j'appelle
"l'indicible". Pas tant par souci de répondre à
l'interdiction [?!]
de le faire que par incapacité de relier clairement des
idées. C'est comme si ce que j'explorais était trop
vaste pour que j'en saisisse un bout. Et puis je crois que
je me heurte rapidement à des mots insatisfaisants. Des mots
trop connotés, trop lourds de sens, trop chargés de
représentations.
Peut-être parce que j'ai mesuré à quel point j'avais été,
moi-même, emporté par des mots trop forts...
Lorsque j'analyse le déroulement de cette relation qui m'a
ouvert à moi-même, je repère des moments-clé. Et je dirais
même des mots-clé : ils ouvraient ou fermaient des pistes.
Mais ce qui m'a le plus surpris c'est que ces mots m'ont
parfois été donnés de l'extérieur, alors que moi je n'en
utilisais pas. Avec le recul je me dis que ces termes,
rendus nécessaires par le besoin de communication, m'ont
parfois orienté vers des directions que je préférais alors
laisser dans l'incertitude. Probablement parce que je
sentais confusément que mettre des mots aurait restreint le
champ des possibles. Le terme insensé (dénué de sens) le
plus flagrant aura été le [pas de mot
existant] que j'employais pour ne pas
nommer ce que je ressentais d'une relation perçue comme
"extraordinaire". Pour moi elle l'était. Je
découvrais un mélange de sentiments, de désir, de
connivence, et surtout d'une confiance que je n'imaginais
pas possible. À mes yeux c'était l'alliage précieux de
l'amour et de l'amitié, placé sous le double signe de la
liberté et du réengagement permanent. Une chimère,
peut-être...
Je me souviens avoir résisté
à l'emploi de mots que je trouvais trop restrictifs, tels
que "amitié" et "amour", mais j'ai fini par devoir nommer
les choses, répondant à des besoins de précisions des
personnes avec qui j'en parlais. C'est Charlotte qui, en me
disant « tu l'aimes ? », m'a fait réaliser que ça
pouvait se dire ainsi. Mais le dire ainsi, c'était
enclencher tout un processus de réactions attachées au sens
très fort de ce mot. C'est comme s'il y avait eu un besoin
de classifier pour savoir comment répondre...
Il en a été de même pour l'emploi du terme
"couple". Cette fois c'est moi qui me suis laissé
emporter dans mes représentations, quand ma partenaire l'a
employé pour caractériser notre relation. Je n'avais alors
pas conscience de l'importance considérable qu'allaient
prendre ces six lettres en rencontrant le sens que mon
héritage psychique lui donnait. Dans mon esprit un
couple était forcément durable, était forcément
marqué par une volonté d'engagement en ce sens. À ce
moment-là j'étais encore dans l'illusion de la solidité
indestructible du couple que je formais avec Charlotte. Il
était tout simplement impensable que cette relation de
couple se termine... et pareillement pour le nouveau lien
qui, en étant nommé ainsi, acquérait à mon insu ce statut
d'éternité.
Je crois que ce simple mot est à l'origine de l'effondrement
qui a eu lieu quand j'ai compris que je m'étais trompé.
Intellectuellement je savais bien que des tas de couples se
séparaient, mais en mon for intérieur ça ne pouvait pas
arriver dans les relations de couple desquelles je faisais
partie. Parce que j'y mettais la ferme volonté de faire ce
qu'il fallait pour que ça dure.
Aujourd'hui encore j'en suis à "travailler" sur ce concept,
que je remanie profondément en faisant appel aux multiples
références qui ont constitué ma représentation fondatrice de
ce mot de haute valeur. Il en va de même pour ce qui
concerne "amour" et "aimer". Et tant que je ne serais pas
suffisamment au clair avec ces mots, leur ayant enfilé un
nouvel habit de sens, je crois que je ne pourrais pas
vraiment m'approcher de ce qu'ils définissent.
Si ces mots n'ont plus de sens pour moi, alors je ne vois
pas comment je pourrais vivre ce qu'ils (ne) représentent
(pas).
Par contre je peux aller vers des termes qui leurs sont
connexes : le désir, la séduction, l'amitié, la tendresse,
l'intimité, la sexualité. Tout... du moment que je ne
m'approche pas des mots "insensés". Ni couple, ni amour !
Celles qui, depuis, ont tenté de me "forcer" en ce sens
auront pu voir avec quelle détermination j'y resistais.
Jusqu'à la colère si je me sentais acculé...
* * *
À toi...
Après
avoir écrit ce qui précède, mû par je ne sais quelle
pulsion je suis allé farfouiller dans mes dossiers
poussiéreux à la recherche de la correspondance que
nous avons échangée quand nous n'étions encore qu'au
stade de l'amitié teintée de séduction. Ces très
longs dialogues écrits par lesquels nous décrivions
nos façons de vivre l'amour, les relations
affectivo-sentimentales, le désir, et surtout notre
conscience du besoin de liberté. Je sais que c'est
dans ces échanges que s'est scellée notre amitié
bien spéciale, longue approche faite de confiance et
de confidences, de dévoilement prudent et de respect
de l'autre. Une richesse d'échange inégalée, une
profondeur jamais connue avec qui que ce soit
d'autre, et surtout... un humour qui, huit ans
après, m'a encore fait rire.
Bon
sang... tout cela me paraît encore si proche,
tellement accessible...
Drôle d'impression que de relire les échanges
chaleureux de ces anciens complices devenus,
quelques années plus tard, froidement "étrangers"
l'un à l'autre. Deux êtres profondément changés dans
ce qu'ils ne partagent plus. Deux hypersensibles
émotifs devenus incapables de s'ouvrir à l'autre
simplement, directement.
Ce
qui m'a sans doute le plus surpris est de ne pas me
reconnaître ! La tonalité de mes écrits était aussi
enjouée, lègère et profonde, que la tienne. Il y a
avait une évidence, une simplicité bien loin de ce
que j'écris maintenant, toujours sous la crainte
diffuse de déclencher je ne sais quelle réaction
explosive. Oui, il y avait une confiance évidente,
entreprenante, et tout ça allait de l'avant
joyeusement. Et tu étais heureuse.
Merde, que nous sommes devenus... tristes ! La
façade ne fait pas illusion...
Mais
qu'avons-nous fait de nous ?
Je
sais que tu n'y crois plus, n'en veux plus. Je
respecte ton choix, bien que le mien soit différent,
mais quand j'y songe ça me met en colère de voir à
quoi nous en sommes venus. Colère triste et
rieuse à la fois, parce que ces moments-là étaient
vraiment bons, joyeux et tellement vivants.
Merci à toi d'avoir pu vivre cela, infiniment.
|
Mercredi 19 mai
Un mot aura suffi. Un seul mot me donnant la clé de
l'énigme que je cherchais à comprendre depuis tant de
temps...
Bon sang... mais c'est bien sûr ! [m'exclamè-je
en frappant ma main avec mon poing].
Mais ça crevait les yeux ! Il suffisait de changer de
perspective !
Le réel, l'imaginaire... le virtuel, les fantasmes...
depuis le temps que je tourne autour de ça et je n'avais
même pas pensé à changer de regard !
Attendez, je vous explique. Revenons quelques temps en
arrière.
Depuis quelques semaines je m'interrogeais sur mon choix
actuel d'une solitude affirmée. Peu à peu j'en étais
arrivé à me rendre compte que ma vie présente était
finalement bien assez remplie et que je ne ressentais ni
absence, ni manque, et n'avais de toutes façons pas le
temps pour ça. Une formule s'est imposée : « je n'ai
pas la place d'avoir des relations ». Je parle
bien entendu de relations affectives un tant soit peu
investies, qui demandent temps et disponibilité. En
laissant mes cogitations se poursuivre je me suis rendu
compte que cette vie bien remplie, sans place vide...
était aussi une façon de ne pas trop réfléchir à ce qui me
préoccupe depuis tant de temps. C'est aussi là que j'ai
pris conscience qu'une place importante était prise par ce
fantôme dont j'ai récemment parlé. Et pour
être plus exact, il s'agit autant du fantôme d'une
relation (dans ma vie) que d'une personne (sur ce
journal).
Bon... ne m'en veuillez pas si j'abrège et condense les
réflexions qui m'ont mené là , mais tout cela était
inabordable en mots ici auparavant. Parce que ça
touchait à cette présence fantômatique à laquelle je ne
voulais, précisément, pas laisser trop de place.
En gros, disons que mon choix de vie solitaire me semblait
en contradiction avec une aspiration profonde à aller à la
rencontre des autres. Et je pense en particulier à l'autre
de sexe féminin. C'était quand même ma quête initiale !
Bref, ça m'interrogeait tout ça...
Je... hum... fuis les rencontres
féminines dès qu'elles pourraient hypothétiquement
aller plus loin que l'échange verbal purement amical.
Surprenant, non ?
En y réfléchissant un peu plus j'ai compris que la
relation fantôme, parce que son achèvement restait
énigme non élucidée, gardait une place prépondérante
dans ma vie, notamment relationnelle. Cette persistance
agaçante paraissait inexplicable, si ce n'est absurde,
alors que je travaille depuis des années à "comprendre" ce
qui a pu se jouer dans cette aventure inénarrable.
Ouais, inénarrable. Indicible, innommable,
inexprimable. Mais pas forcément dans le sens que
j'imaginais.
Comme j'ai appris à me poser des questions sur le sens de
ce qui m'arrive dans l'existence, je me suis demandé quels
avantages indirects je trouvais à voir durer une situation
présentant des aspects sclérosés fort désagréables.
Qu'est-ce qui me maintenait dans cette recherche qui ne
trouvait que des fragments de réponses ? Je sentais que
"quelque chose avait à se dire"...
J'ai exploré mon inconscient, dans la mesure de ce qui
peut m'être perceptible. Je tournais autour de
l'imaginaire... de la fantasmatique et des
représentations... Qu'est-ce que j'avais bien pu projeter
dans cette relation ? Qu'avais-je transféré sur la
partenaire avec qui j'avais vécu cela ? Jusqu'où cela
avait-il été ancré dans le réel, à partir d'où, de quand,
l'imaginaire m'en avait éloigné ?
Difficile de m'en ouvrir ici, le risque était trop grand
d'être lu par la partie adverse. Car en l'occurence,
dans la recherche des réponses nous étions bel et bien des
adversaires : parole contre silence. Opposition radicale
entre désir et refus de restaurer le lien. J'ai donc évité
ce terrain d'expression de la façon la plus absolue qu'il
m'était possible. Et je peux vous assurer que cela a
été un combat contre moi-même. J'ai passé une énergie
inouïe à résister à un besoin viscéral d'expression, de
communication, de tentatives de dialogue. Résistance
heureusement transformée en énergie de changement
intérieur ! Et pour tout dire... je crois que cette lutte
interne a pris une place considérable dans l'emploi du
temps de mes pensées ! J'ai passé beaucoup, beaucoup, de
temps à ne pas m'exprimer. Il y avait là quelque
chose de contre-nature qui ne pouvait pas me laisser
insensible. Je me suis beaucoup nié dans cette histoire
(ses suites...) et c'était particulièrement insatisfaisant
par rapport au chemin que je faisais [quoique
les détours furent formateurs].
Pour simplifier, je pourrais dire qu'en luttant contre moi
j'ai empêché mes élans spontanés. Sacrifiant ma
liberté d'expression je me suis contrarié. Ou du moins...
canalisé.
Pourquoi ? Hmmm, c'est une autre question. Un autre
aspect de ma personnalité. J'ai, là aussi, trouvé des
avantages en choisissant inconsciemment cette option.
Disons que j'y trouvais une certaine force. Entre autre la
satisfaction d'une abnégation. Pas forcément bien placée
d'ailleurs. J'en attendais aussi une reconnaissance. Je
répondais à mon besoin éthique de me sentir respecter
l'autre. Mais, ce faisant, je me suis probablement un peu
trop négligé. Bon, globalement tout ça a été assez
compliqué à vivre, mais très instructif pour apprendre à mieux
vivre !
Comme je l'ai déjà écrit, le stock de données à analyser
est énorme et j'en ai pour des années à revenir à tout ce
qui s'est joué dans cette affaire. Son souvenir diffusera
pendant très longtemps tous les enseignements que je
voudrais bien y trouver.
Alors... la clé de l'énigme, c'est quoi ?
Encore un peu de patience, j'y viens...
Depuis quelques temps un mot me venait en tête. Je le
trouvais un peu... dérangeant. Peut-être injuste. Je le
percevais comme le probable signe d'un rejet vers
l'extérieur d'éléments que je ne voulais pas voir en moi.
Ma conscience est impitoyable sur ce sujet : dès que je
constate que je rejette une part de responsabilité sur
l'extérieur ma vigilance est attirée et je me demande ce
qu'ainsi je tente d'éviter de voir comme étant de ma
propre responsabilité. Ça, c'est que j'ai appris de
l'insupportable habit de victime que j'ai longtemps
endossé. Je ne supporte plus les postures de victime !
Cela dit, si je suis bien responsable de mes ressentis, je
ne suis pas pour autant responsable de tout ce qui
m'arrive. Dans les interactions avec autrui chacun amène
sa part. Pas toujours facile de discerner ce qui revient à
l'un et à l'autre.
Donc ce mot qui m'est revenu en tête à plusieurs reprises
est jouet. Je
me suis senti avoir été le jouet d'une
problématique personnelle qui me dépassait. Dans le jeu
relationnel, chacun joue sa partition, reprise ou refusée
par l'autre. Mais je n'avais jamais vraiment compris
que cela signifiait que l'un pouvait être le jouet de
l'autre [l'objet, en
langage psy], et inversement, selon les enjeux
psychologiques en action. En fait je le savais mais... ne
l'appliquais pas forcément aux personnes avec qui je suis
en relation.
Avoir été le jouet de l'autre, et donc ainsi "manipulé" ne
m'exonère pas de ma part de responsabilité : j'ai
accepté de l'être. J'aurais très bien pu refuser, me
positionner différemment et m'affirmer. La relation n'en
aurait été que plus saine et, qui sait, mener vers une
toute autre évolution. Ce qui me renvoie une nouvelle fois
vers la question : quel avantage inconscient ai-je trouvé
à me laisser manoeuvrer ? C'est là que le problème de
l'estime de soi prend toutes ses dimensions... Je manquais
de confiance en moi, je cherchais cette assurance et
croyais avoir rencontré quelqu'un qui allait m'aider à la
consolider. Reconnaître que je m'étais trompé [par
excès d'attentes], c'est aussi remettre en
question mon discernement... donc ma confiance en moi.
Je ne développerai pas aujourd'hui ce chapitre, parce qu'à
lui seul il explique, il me semble, tout le désastre qui
allait advenir. Mais je m'empresse d'ajouter que ce
désastre, en lui-même, à été une épreuve absolument
nécessaire et que si je n'étais pas passé par la perte
j'en serais probablement encore dans l'angoisse d'abandon
qui conduit à la dépendance. Mais bon... je ne vais pas
plus loin, il y a vraiment trop de choses à dire autour de
ça.
Donc, pour en finir aujourd'hui, quelle clé ai-je
découvert grâce à un seul mot ?
Oh elle est toute simple, évidente, et même pas
inconnue. Par contre ce qui restait "inconnu"
c'est... comment dire... l'élément probant. Celui qui
allait servir de déclencheur. Celui qui fait basculer
irréversiblement une construction mentale vers son
anéantissement.
Imaginaire. Voila
la clé. Personnage imaginaire.
Non pas celui que moi j'ai construit sur une autre entité,
identifié depuis longtemps, mais celui qui a été
construit sur moi. L'être que je suis imaginé.
Oui, je sais, c'est évident : nous plaquons tous sur
l'autre une image, une représentation et je suis donc,
comme tout le monde, imaginé par les autres. Mais...
disons que j'avais tellement trouvé de satisfaction à
établir une relation de confiance que je n'imaginais pas
que la personne à qui j'avais accordé ma confiance à un
tel niveau avait pu... euh... ne pas en être à la hauteur.
Dit autrement : j'avais mis à une telle hauteur mon idéal
de confiance que cela aboutissait nécessairement à
idéaliser les personnes à qui je l'accordais. Comme
si cette confiance devait me prémunir de la désillusion du
réel. Ouais... mon propre imaginaire est pour beaucoup
dans le coup de réel que j'ai pris derrière les oreilles !
Ce dont j'ai pris conscience aujourd'hui avec une accuité
changeant le cours des choses [je
l'avais pressenti à de nombreuses reprises, mais sans
"entendre" jusqu'au bout ce que ça signifiait],
c'est que ma partenaire d'infortune m'a largement
imaginé. M'a fait correspondre à ses
fantasmes. M'a, autant que je l'ai fait à son égard,
idéalisé. Dans un sens positif au départ, négatif
ensuite. D'autant plus que l'échange s'est espacé.
Et tout cela explique beaaaaauuuuucoup de choses qui
restaient incompréhensibles dans le domaine du rationnel.
Il suffisait que je me place du point de vue de son
imaginaire (sans avoir besoin de le connaître beaucoup)
pour que s'éclaire d'une autre lumière quantités de zones
obscures. Un peu comme la lumière ultraviolette fait voir
autre chose que le spectre lumineux habituel.
Je crois que les quelques pages relues de nos échanges
anciens m'ont remis en contact avec une réalité
d'autrefois, d'une toute autre nature que celle
d'aujourd'hui. La confiance qui s'offrait
généreusement à l'origine indiquait bien la nature de cet
imaginaire. S'en ouvrait, même. La relation était
alors très largement "virtuelle", agissant dans la
rencontre de nos imaginaires ouverts au partage. Puis le
réel est venu, nous a rapprochés... avant de nous
éloigner. Rattrapé par l'autre versant de l'imaginaire :
celui de nos parts sombres, de nos peurs. Avec le rejet de
l'altérité qui les révèle ! Et le repli sur soi
protecteur...
Nous avons été incapables de rattraper les choses, envahis
par nos projections, nos angoisses que nous n'avons cessé
de rendre plus "réelles" dans un processus
d'auto-confirmation : il se passait ce que nous redoutions
le plus, dans nos phobies existentielles respectives.
Voila. C'est tout simple.
La part d'imaginaire a pris le pas sur le réel. Je suis un
être imaginé. Pas étonnant que je me sois perdu à tenter
de comprendre un monde qui, pour moitié, existe dans un
autre système de pensée que le mien, quasiment
inaccessible. Et sans communication les imaginaires se
déconnectent du réel aussi sûrement que dérive un bateau
sans ancre.
C'est un choix.
Quant au mot qui, venant après d'autres du même ordre, à
déclenché ma prise de conscience... il est du registre de
l'absolu et du définitif. Quand ces mots sont réellement
ce qu'ils affirment et que se réalise concrètement ce
qu'imaginairement il sont censés indiquer, alors il sont
redoutablement efficace. Nets et tranchants, ils tuent
sans pitié ce poison amer qu'est l'espoir, libérant alors
la vie. Par contre il ne souffrent pas des demi-mesures et
des volte-face. Leur pouvoir s'émousse dans la
répétition. Il y a des mots à ne pas employer à la
légère... ou bien accepter les conséquences qui découlent
de cette fantaisie.
Quand des affirmations ne passent pas du déclaratif au
réel... comment ne pas se perdre dans cette apparente
double réalité ? Or il n'y a qu'un seul réel : ce qui se
réalise. Les intentions ne sont pas les actes.
C'est ce qui fait toute la complexité, donc l'intérêt, des
relations humaines. Et j'ai une grande tendresse pour
les personnes faillibles dans leurs certitudes.
Vendredi 21 mai
Quelques semaines de mauvais temps persistant et voila que
j'ai disposé jour après jour d'un espace de temps dans
lequel les pensées baillonnées ont pris place. Fatalement
elle se sont installées et ont fini par déborder quelque
part. Alors j'ai écrit, parce que c'est ce qui me vient le
plus aisément. J'écris... et je me demande pourquoi je
le publie. Le feuilleton de mes frasques
psycho-relationnelles à rallonge présente t-il un intérêt
majeur pour vous, chers lecteurs ? Et moi, qu'est-ce que je
gagne à m'exposer ainsi ?
Sans doute y a t-il un besoin de réhabilitation à mes
propres yeux...
Je me suis senti tellement... dévalué [en
rajoutant moi-même quelques bonnes louches
d'auto-dévaluation !] qu'il me faut sans doute tout
ce temps, ces mots, cette énergie pour retrouver une assise
suffisante. Oh, ce n'est pas que je me sente encore en
position de faiblesse, non : c'est plutôt que mon niveau de
conscience s'est élevé. Et mes exigences avec. Je n'ai
pas voulu simplement revenir là où j'en étais [boaf...],
mais profiter de ce que je reconstruisais pour faire mieux
qu'avant. Je crois que j'y parviens sur bien des points, à
l'exception notable d'un seul : mon rapport aux relations...
euh... d'amitié [non,
c'est pas ça...] de confiance [nan,
pas ça non plus ] d'intimité... sentimentales...
affectives... hum... disons "amoureuses" [?].
Ouais, là c'est bloqué.
Sans que ça me gêne vraiment, d'ailleurs. Mais ça
m'interpelle quand même un peu. Et ça me ramène
inéluctablement à l'origine de ce blocage. Donc à mes
cogitations irrésolues.
Pfff... rien à faire, je bute toujours là-dessus !
Ma difficulté à me dépêtrer de mon histoire ne peut se
comprendre qu'en admettant que le manque d'estime de moi [déficit
d'assises narcissiques] joue un grand rôle. Ce
déficit fait que je n'ai pas beaucoup de réserves
d'auto-estime : ma capacité à stocker des appréciations
positives est assez courte et, idéalement, j'aurais besoin
d'apports réguliers. Inversement je suis rapidement sensible
aux jugements négatifs. C'est donc dans le regard que
l'autre porte sur moi que je trouve une ressource qui me
constitue, me solidifie ou me fragilise. C'est dire ma
vulnérabilité aux opinions d'autrui à mon égard...
Cela dit c'est bien moi qui accorde ce pouvoir à l'autre,
fort variable selon les personnes cotoyées et le vécu
partagé. Voila une piste de réflexion à explorer assidument
!
Dans le passé, lorsque des regards qui avaient pu être très
positifs se sont détournés de moi, me renvoyant brutalement
à un sentiment d'insignifiance trop connu, il est arrivé que
j'en sois déstabilisé jusqu'à mes racines. Le ressenti a pu
être violemment douloureux, avec réactions en conséquence.
Parfois cela a pu être verbalisé, partagé, discuté,
entendu... et j'ai pu comprendre les motivations du
changement de regard : ce n'était pas forcément moi qui en
étais la cause, mais la relation. À partir de cette mise à
plat j'ai pu faire un travail de deuil et accepter le nouvel
état relationnel. C'est ce qui s'est passé avec Charlotte.
Mais lorsque, pour diverses raisons, un tel échange n'a pas
pu se dérouler dans des conditions de qualité suffisante,
j'ai du me débrouiller seul avec la violence ressentie et
procéder par hypothèses et déductions pour l'apaiser. Assez
rapidement dans certains cas... beaucoup plus difficilement
pour d'autres [ahem... je
ne nomme personne...]. Dans le mal-être qui en
résultait j'ai pu être tenté de retourner la violence
ressentie : en rejetant, tranchant et posant des actes
définitifs. Façons de me sauvegarder. Reflexe de projeter
hors de soi un mal-être réactivé "par l'autre". Mais je
sentais bien que me laisser aller à l'extériorisation aurait
été pour moi solutions à court terme, globalement
insatisfaisantes et en désaccord avec mes valeurs. Je n'y
suis pas toujours parvenu...
Dans la situation qui m'agite encore, objet de mes écrits
depuis quelques années, j'ai beaucoup "travaillé" sur mes
blessures. Je me suis efforcé de résister à la
tentation manichéenne du rejet en luttant entre différentes
instances du moi. Le combat a pu être âpre...
Aussi, quand je parle d'avoir passé « une énergie inouïe
à résister à un besoin viscéral d'expression », je
n'oublie pas qu'en même temps cette friction interne a été
créatrice. Ne serait-ce que de sérénité et d'apaisement
profond. Car loin d'être dans la souffrance d'une
réflexion continue et pénible, c'est sur la longueur et dans
l'adoucissement que celle-ci s'est progressivement
effectuée. Travail considérable, certes... mais étalé
sur des années. En fait maintenant, la plupart du temps, je
vis bien tout cela. Il n'y a qu'à certains moments que
ça s'agite un peu plus dans mon bocal encéphalique, que ça
se met en ébullition et que je me trouve de nouveau
confronté à diverses limites de l'exprimable. Les vagues
répétées de questions qui auparavant me maintenaient
perpétuellement dans des tempêtes émotionnelles dignes des
quarantièmes rugissants se sont muées en ondes apaisées. Ça
ne vient plus que de temps en temps, de façon de plus en
plus espacée et atténuée.
J'apprends à accepter que ma façon de faire, ma quête de
dialogue, ne correspondent pas à toutes les
personnalités. Que les valeurs qui me fondent ne sont
pas nécessairement partagées. J'accepte de voir d'autres
façons de vivre les relations. Et si je ne les comprend pas
toutes, du moins ai-je intellectuellement accepté l'idée de
cette pluralité.
Maintenant je peux comprendre le besoin de se protéger en
fuyant une situation génératrice de souffrance,
d'inquiétude, d'incertitude. Inversement certaines
souffrances, inquiétudes et incertitudes peuvent trouver un
apaisement, une résolution dans la confrontation. Et même
dans le conflit, qui est une excellente façon d'affirmer sa
différence. Donc de se positionner. Donc d'être à
l'écoute de soi.
Je sais aussi que l'image négative dont est chargé l'autre
peut être nécessaire pour ne pas amoindrir sa propre estime
de soi. Ce faisant j'accepte d'avoir été imaginé comme
"mauvais objet". L'image défavorable qui m'était
renvoyée n'était pas la mienne (pas QUE la
mienne), mais celle d'un imaginaire qui avait
besoin de ce noircissement pour "se sauver". Ce décalage de
perception est important pour distinguer le personnage que
j'ai pu être imaginé et celui que je me sens être. Ça change
radicalement les enjeux autour de l'estime de soi.
Dimanche 23 mai
Le beau temps revenu devrait mettre rapidement un terme à
la vague de cogitations de ces derniers jours. L'appel de
l'extérieur est puissant ! Mais avant de clore cet épisode
j'ai envie de consigner encore quelques idées venues après
la libération par l'écriture. Je suis toujours étonné de
voir ainsi apparaître quelque chose d'inattendu...
J'ai griffonné quelques notes dans le petit carnet qui
m'accompagne, histoire de ne pas perdre l'essentiel de
fugaces pensées. Quelques heures plus tard elles sont déjà
moins claires et me demandent un effort pour les
retranscrire au delà des quelques mots inscrits.
Ainsi, « Retenir mes élans vers
autrui suscite mon ressentiment » signifie que
j'en veux à la personne qui, en ne donnant pas suite à mes
propositions, ou en les refusant, fait que j'en viens à
brider mes envies, donc ma spontanéité. Ce constat m'offre
plusieurs pistes de travail :
- mieux discerner ce que j'attends vraiment, afin de mieux
doser ce que je "donne"... pour rester sans attentes qui
me mettraient en difficulté.
- continuer à travailler sur ma confiance interne pour ne
pas me sentir amoindri en cas de refus.
- accepter de voir l'autre réagir à sa façon, sans que je
ne porte de jugement sur son bien fondé (qui correspond
toujours à une question d'équilibre personnel)
- me souvenir que chacun est libre de ses réactions, ce
qui sous-entend aussi qu'il en porte sa part de
responsabilité
- "entendre" les demandes de l'autre, prendre en compte
ses silences, fermetures, fuites, colères... n'implique
pas que je m'y plie forcément si cela me conduit à nier
quelque chose de très "vivant" en moi, et au delà de moi.
Bon... l'équilibre entre ces différents éléments n'est pas
forcément simple à trouver...
Une seconde fulgurance a immédiatement découlé de la
précédente : je constate ma «
tendance à tester la solidité de décisions que je
voudrais voir différentes ». En revenant à la
charge avec mes élans, alourdis de craintes du rejet et
encombrés du ressentiment des refus antérieurs, j'ai pu
inconsciemment chercher à tester la solidité de refus que
je percevais davantage décidés par principe que par
conviction, pas forcément aussi déterminés que leur
apparence. Je dirais maintenant que si je sens une
faille... je m'y infiltre. Je crois aussi que les
inconscients communiquent entre eux...
Si un besoin de coupure prend une tournure filandreuse...
c'est que la main qui tient le couteau n'a pas vraiment
envie de couper. Ma séparation d'avec Charlotte a été
claire parce que ses objectifs l'étaient. Difficile,
certes, mais sans ces retours en arrière qui rendent les
choses plus compliquées.
En écrivant cela je fais bien sûr référence à une
expérience vécue. Il m'a été pénible d'être présenté
comme quelqu'un qui ne sait pas entendre ce qu'on lui dit.
Qui s'accroche stupidement et ne veut pas lâcher devant
les évidences...
Or je sais renoncer et disparaître. M'effacer en silence
quand ce temps est venu. Et bien que je ne privilégie pas
cette option, je sais rompre définitivement !
Une autre piste de réflexion m'est venue, qui n'a aucun
rapport direct avec ce qui précède. J'ai repensé à ce mot
que je cherchais pour mon dernier texte, en parlant de ma
fermeture à certains types de relations. Puisque je
ne suis pas parvenu à trouver le vocable correspondant à
que je voulais faire passer, j'ai laissé, faute de mieux,
le terme "amoureux". Mais non, ce n'était pas ça non plus
: je ne suis absolument pas à l'abri d'un nouveau choc
amoureux ! Ce n'est pas parce que j'évite ce qui pourrait
y mener que j'en suis protégé. Ça frappe sans prévenir ces
choses là...
Non, l'idée qui cherchait à se dire est la suivante : rien
ne m'empêche de vivre des relations dans toutes la
diversité des possibles. Amitié, séduction, confiance,
connivence, désir, réflexion partagée, sensualité,
intimité, intellectualité, sexualité, spiritualité et j'en
passe. Par contre ce qui a peu de chances de ce
(re)produire c'est de partager avec une seule et même
personne un grand nombre de ces registres. Et c'est
là que j'ai réalisé que c'est la simultanéité qui avait
rendu "extraordinaire" la relation que je ne cesse
d'évoquer en filigrane. Comme toutes les relations elle
était "unique", mais elle était singulièrement unique,
représentant une conjonction particulièrement rare
d'éléments attractifs [quoique
forcément incomplète...]. Et c'est ça qui
cherchait à se dire ! [entre
autres...]
Si j'ai été autant impressionné et bouleversé par cette
relation difficilement descriptible, et plus encore par
son achèvement, c'est parce qu'elle était « rare et
précieuse », comme nous le clamions conjointement à
l'époque de ses beaux jours. Et ce n'était pas une formule
exaltée, "pour faire joli", mais bel et bien la perception
juste d'une rencontre hors du commun. Le genre de chose
qui peut arriver à beaucoup... mais rarement dans une vie
[dans la mienne, en tout
cas...]. Je n'ai cessé de le répéter tout au long
de ces années... sans vraiment réaliser ce que cela
signifiait : il y a peu de chances que je retrouve un jour
une relation du même ordre. Peu ne signifie pas aucune,
mais bon...
D'où ma difficulté à la considérer comme définitivement
perdue. Cela dit, puisque cette rencontre est devenue,
avec la plus ferme détermination de mon ex-coéquipière,
vouée à ne jamais être réactivée d'aucune façon... elle
restera expérience limitée. Circonscrite dans le temps
comme dans ses possibles. Une forme d'idéalisation ?
Bizarrement, malgré ma persévérance à ce qu'il en soit
autrement, j'ai fini par accepter cela ! J'ai l'impression
que ça fait déjà longtemps, mais c'est peut-être récent.
En tout cas c'est indatable. Je crois que c'est juste
avant mon voyage en terre Québecoise, l'automne dernier,
que s'est dit ce qui allait me mener à l'acceptation.
Alors que ma partenaire d'autrefois, après avoir pris le
temps de la réflexion, m'a expliqué pourquoi elle n'avait
pas envie de me revoir [ce
dont je lui suis gré], je l'ai à mon tour
informée que, très clairement, ma propre envie n'existait
que si la sienne était là ! Je m'étais rendu "libre" pour
retrouver un possible mais ne désirais pas rencontrer
quelqu'un qui ne l'aurait pas désiré aussi ! Autrement
dit, je n'aurais aucune envie de la retrouver tant qu'elle
n'en aurait pas envie ! Ce qui laisse, il me semble, toute
liberté à chacun. À partir de là il m'a paru clair que
toute expression de mon envie ne pouvait en aucun cas être
perçue comme une forme de pression ou d'envahissement. Ma
complexe ex-complice restait totalement libre de répondre,
ou pas, à mes propositions. Et j'étais totalement libre de
continuer à exprimer dans le vent mes envies, tant
qu'elles existent...
Mais... en fait j'ai envie de quoi ?
C'est hier matin que ça m'est venu : j'ai envie de sentir
son envie. Celle de renouer un dialogue. Ben oui, même si
je sais [intellectuellement]
que ce n'est pas réciproque, il n'empêche que j'aurais
envie [viscéralement]
de retrouver la part de ce qui, malgré toutes les
déconvenues et difficultés annexes, me semblait éminemment
riche de potentialités d'évolution individuelle conjointe.
Je n'ai jamais démordu de cette intuition, venue du plus
profond de mes tréfonds. Même si, à certains moments,
j'étais tellement épuisé que j'étais prêt à renoncer [il
s'en est fallu de très peu, parfois...]. Je n'ai
jamais oublié combien ça avait pu être difficile quand on
ne parvenait plus à trouver l'indispensable confiance [en
soi et en l'autre] pour aller plus loin. Mais
j'ai encore moins oublié combien il avait pu se dessiner
quelque chose de puissant et prometteur entre nous.
C'est terminé ? Oui, dès lors que l'envie de poursuivre
n'a plus été réciproque à un moment donné. Les
timides tentatives de l'un ou de l'autre, depuis ce temps,
n'ont pas réussi à "raccrocher" durablement les
choses. Le domaine de la confiance a été profondément
atteint, difficilement réparable du fait des protections
qui se sont dressées. Mais j'ai envie de dire... « et
alors ? ». En quoi cela pourrait-il amoindrir mon
désir qu'il en soit autrement ? L'envie n'est pas un choix
raisonné, contrairement à l'acceptation de la voir
inassouvie. Je fais le constat d'une différence de
perception, peut-être d'une différence dans la façon de
vivre les relations, d'y "croire", mais peu importe. Cela
n'enlève rien à ce qui a été vécu, m'a éclairé et ouvert
l'esprit, le coeur, et fait prendre conscience de cette
force qui m'anime. Ce vécu il est... acquis. Impossible de
le supprimer. Oui, c'est un temps révolu, mais mes
souvenirs constituent un éternel présent. Ils m'animent,
participent de mon désir de vivre, nourissent mon
imaginaire et contribuent à l'organisation de mes
pulsions. Ces souvenirs sont une source d'énergie et un
moteur d'avancement. Orientés vers l'avenir ils me donnent
des objectifs pour le présent.
Alors non, je ne cherche pas à revenir en arrière. Ni à
revivre la même chose. Et non, je ne retrouverai
probablement pas une telle relation de totale complicité [qui
n'a d'ailleurs pas duré très longtemps sous sa forme
idéale...]. Parce que j'y ai laissé ma candeur.
Maintenant je sais la fragilité de ce qui relie les êtres.
Je sais l'alchimie délicate des rencontres, les équilibres
subtils, l'impalpabilité du désir. Des balises resteront
dans mes pensées, et cette expérience comme une sorte
d'idéal vécu. Éphémère, visiblement...
La relation est "éteinte" mais encore bien vivante en moi,
pour longtemps, probablement. Non seulement je ne cherche
pas à revivre quelque chose de semblable... mais en plus
je ne crois pas que ce soit possible ! En même temps... je
n'imaginais pas non plus vivre un jour cela. Alors...
Alors il faudra peut-être que j'envisage un jour de
retirer certains éléments trop protecteurs de mon affectif
sensible, si je veux me rouvrir à la possibilité de
rencontres entières [mais
en ai-je envie ?]. Pour aller au delà des
échanges fragmentés et nettement délimités hors du risque
amoureux. Accepter que, quoi qu'il puisse advenir, ce sera
de toutes façons incomparable avec ce que j'ai vécu, parce
que différent [je crains
de ressentir la fadeur...]. Je peux peut-être
m'orienter vers autre chose, à explorer, à découvrir...
Reprendre contact avec une certaine intensité.
Car j'ai peut-être simplement envie... d'être en vie.
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