Avril 2010

Dernière mise à jour:lundi 3 mai 2010 - Accueil - Message






Ce que je n'écris pas



Vendredi 16 avril


Je n'écris plus beaucoup. Un peu faute de temps, un peu parce que je suis occupé aillleurs [ce qui revient au même...], un peu parce que j'ai décidé de prendre du champ avec le monde immatériel. Et puis parce que c'est mieux ainsi. C'est plus simple.

Ouais, je crois que j'ai opté pour la simplicité : arrêter de me "prendre la tête". Laisser tomber quand je sens que mes pensées commencent à se mettre en marche de façon incontrôlée. J'aime penser librement, mais pas quand ça tourne en rond. J'aime l'errance, pas le ressassement faute de réponses.

J'ai eu envie de changer d'air. De passer à autre chose.

Oublier les problématiques relationnelles, me déconnecter des complications lourdes, des dynamiques pesantes. Et je dois bien reconnaître que la vie en solo a maintenant toutes mes faveurs !

La liberté, de faire et d'être, m'est devenue indispensable.







Pourquoi seul ?




Mardi 20 avril


Mon intimité affective et sentimentale a, pendant des années, soutenu l'essentiel de mes écrits. Sur le ton candide de la confidence j'explorais passionnément de vastes territoires dont je méconnaissais largement la diversité. Et puis il y a eu ce désastre que j'ai longuement, très longuement, tenté de décortiquer en vue de "sauver" ce qui pouvait l'être. Rendre de nouveau possible ce qui ne l'avait plus été. J'ai échoué, sans savoir si ma persévérance avait apaisé ou au contraire empiré la catastrophe. Quoi qu'il en soit, pour maintenir le status quo qui s'est instauré, j'évite désormais, autant qu'il m'est possible, de m'aventurer vers les horizons marécageux de l'expression de cette intimité-là. Je laisse seulement éclore dans mon jardin intérieur, au gré d'inopinées inspirations, les pensées fertilisées par la décantation du temps.

Il est rare que s'écoule un jour sans que quelque situation ne m'apporte, par analogie, un éclairage nouveau. Toutefois je préfère ne pas divulguer le fil de mes découvertes, tissant en moi-même la trame sur laquelle je progresse. Je sais qu'il me serait difficile de m'ouvrir sans être immanquablement aspiré vers ce qui reste du domaine de l'indicible : inexprimable et impartageable. Et d'ailleurs j'en viens à me dire que tout ne gagne pas à être nommé. Les mots, trop souvent, enferment, délimitent, circonscrivent et finalement peuvent desservir.

Alors j'explore seul, en silence, en m'accordant le temps de cheminer. Et c'est très bien ainsi...

Sauf que je ne suis pas que sagesse ! Parfois je ressens l'envie d'écrire, comme autrefois. L'envie de me "libérer" de tout ce que je garde... Je m'en empêche, sans être certain que ce soit une bonne solution. Mais bon, c'est celle que je choisis...

Alors de temps en temps je transige en me permettant de faire le point. Poser mes réflexions, comme des jalons, pour aller plus loin. Parfois je peux en parler, et cela me dispense d'écrire, mais j'ai constaté que rares étaient les personnes par qui je me sentais vraiment écouté : sans jugement, sans dénégation, sans simplification, sans minimisation, sans interprétation excessive. Je crois que ce que je soulève touche de trop près aux représentations fondatrices de l'autre. Ça induit des réactions autodéfensives peu propices à un véritable échange.

L'écriture pourrait combler ces défaillances. Elle fut pour moi un très efficace outil de conscientisation. En privé, initialement, en public ensuite, ici même. Mais j'écris de moins en moins. L'intime, dans le domaine que j'explorais ici, n'a plus sa place. Or c'était la raison d'être de mon journal, devenu "en ligne".

La question de sa continuation sous cette forme se pose donc régulièrement en moi.

Fort opportunément Coumarine s'est récemment interrogée sur le désir de publication de l'écriture intime : « J'aimerais savoir pourquoi on écrit son "intime" et pourquoi on le donne à lire sur la place publique. (blog ou livre)
Pourquoi fait-on au contraire le choix de le tenir secret ? Pour sa liberté intérieure ? Que risque-t-on donc à dire en vérité qui on est ?
Si on se dévoile, est-ce pour que l'autre, les autres, sachent enfin qui on est dans la vérité de son âme ?
Est-ce pour soi? pour se délivrer d'un secret trop lourd à porter, et qu'on vient jeter ici dans l'anonymat du Net, comme une bouteille à la mer ? dans l'espoir d'obtenir une lecture en empathie ? En compréhension ? En non-jugement ? »


Ces questionnements ont ravivé les miens et j'ai fait part à Coumarine du regard que je porte maintenant sur cette question : « N'est-ce pas le manque de mots [échangés] qui pousse à les libérer ? Publier ce qui est intime c'est exprimer ce qui, pour toutes sortes de raisons, n'a pas trouvé sa place ailleurs. Parce qu'il y a des personnes qui ont besoin de dire et d'autres qui ont besoin de l'inverse, selon le rapport que chacun entretient avec l'intime ».

Dans ce commentaire de portée générale m'apparaît, de façon flagrante, ce que j'ai mis en évidence depuis bien longtemps par rapport a mon journal : l'espace de liberté que j'y avais autrefois s'est transformé. L'ailleurs secret est devenu, en partie, place ouverte. En rentrant en relation avec des personnes ayant accès à cet espace, évoquer mes pensées intimes dans les registres les impliquant à complètement changé la donne. L'interaction s'est installée. Et d'autant plus que l'implication affective est, ou a été, forte. Or elle a pu être cruciale, déterminante, fondatrice...

Aujourd'hui, que je le veuille ou non, que je tente d'en faire abstraction ou pas, les faits sont là et l'inconscient n'est pas dupe : dès qu'il y a contact il se joue quelque chose. L'écriture devient contact à l'instant où elle est lue. Et même quand rien n'est dit il se joue quelque chose dans l'espace ou ce silence prend place ! Il n'y a pas besoin de mots pour que l'imaginaire et autres fantasmes se mettent en marche et partent à la dérive... Bien au contraire !

Malgré ces interactions plus ou moins perceptibles j'ai voulu continuer à écrire ici, pour de multiples raisons parfaitement contradictoires. Une de mes phrases montre bien l'absurdité de mon pari :« Ce que je publie de moi c'est ce que je ne peux pas dire aux personnes par qui j'aimerais que ce soit "entendu", accepté, écouté, reconnu. Alors je le dis à d'autres (...) ». Ici, sur ce site, tout s'est mélangé puisque j'ai écrit « à d'autres » sous le regard des personnes concernées, dans une bien illusoire tentative de séparation des genres. Comme si je pouvais ignorer que chacun de mes mots pouvait être lu et me soustraire de tout désir d'influence ! C'est bien sûr rigoureusement impossible. J'ai toujours eu parfaitement conscience des mots adressés à telle ou telle personne, aussi perdus soient-ils au milieu d'autres propos à l'adresse de tous. Et soupeser, filtrer, censurer ce que j'avais envie de dire tout en me demandant si c'était judicieux a oté toute spontanéité à mes écrits depuis bien longtemps. Laborieux contournements de l'écriture en fonction des regards imaginaires...

C'est pour cesser ce jeu tordu que j'ai progressivement espacé mes interventions. J'ai aussi eu des tentations pour clore ce journal, en prévoyant des échéances toujours reliés à des dates chargées d'une symbolique personnelle. Jusque-là je n'en ai rien fait. Mais cette éventuelle perspective, toujours possible, ces fins imaginées, contribuent à me faire cheminer.

Plusieurs raisons peuvent expliquer que je n'ai pas non plus migré vers un espace "secret", ou du moins "discret", à l'écart des regards concernés. Je l'ai tenté, un certain temps, sans perséverer. Non seulement je ne goûte qu'assez peu aux cachotteries, mais en outre m'installer dans cette "liberté d'écriture" aurait été une fuite devant la complexité. Car c'est bien là l'enjeu : une très grande complexité à me dire en toute authenticité sous de potentiels regards que je charge d'importance. Regard porteurs d'une réalité subjective que j'ignore largement et que j'ai tendance à imaginer. En ces circonstances la complexité peut être féconde : n'étant pas (moralement) "libre" de me présenter sous le jour qui me conviendrait je me contraint a faire correspondre mes écrits et mon être, mais aussi à tenir compte de la pluralité des réalités. Cela m'oblige à penser autrement que selon ma programmation personnelle. Cela m'oblige à regarder à l'intérieur de moi plutôt qu'à l'extérieur. Il est si facile de projeter hors de soi les raisons de nos propres défaillances...

Je crois donc que ce journal, autant par ses idées spontanées que par ses mots soupesés, par ses pensées dissimulées mais aussi par ses silences, continue d'être un outil de conscientisation. Même les longues périodes sans un seul mot produisent quelque chose : ce que je n'écris pas je le pense et le laisse "travailler" en moi de façon différente que si je le fixais en mots. Il se peut que ce mode de réflexion flottante soit plus "vivant", épousant les formes changeantes de ma pensée. Ce qui se passe en moi depuis quelques années reste d'une grande complexité mais je me laisse désormais le temps de décantation nécessaire. Maintenant que je suis seul et préfère le rester je ne suis pas pressé.

D'ailleurs... c'est peut-être cette préférence qui m'intrigue et entretient mes questionnements : comment, après avoir exalté l'amour, ai-je pu en arriver aujourd'hui à choisir la solitude ?







Ça m'intrigue




Mercredi 21 avril


Ma détermination actuelle à rester seul, qui m'intrigue un peu, a certainement un sens profond qui m'échappe encore. Je crois qu'elle est du même ordre que celle qui, jadis, m'avait poussé à suivre une aspiration apparemment inverse : me laisser porter, transporter, transcender par une éblouissante relation d'amitié amoureuse. Refusant toute idée d'engagement dans le premier cas, autant que j'avais pu être très fortement investi dans le second. Les deux mouvements s'exercent dans le même domaine : partenariat, ou non, d'objectifs compatibles pour un projet commun.

Mon besoin de solitude actuel découle bien évidement directement des évènements qui l'ont précédé. Davantage qu'un besoin de solitude je crois que c'est un besoin de reliance avec moi-même, qui ne laisse que peu de place à d'autres investissements relationnels. Je le déplore un peu [relents de culpabilité] mais c'est ainsi en ce moment. Un passage obligé, en quelque sorte...

Depuis tout ce temps que je chemine autour du relationnel intime je ne sais pas ce qui "se cherche" en moi, mais je suis certain que je découvrirai, le moment venu, les véritables raisons de la longue marche qui m'aura fait traverser des terres aussi contrastées.

Je ne me sens pas l'âme du véritable solitaire. En même temps, je ne m'imagine plus vivre de relation comparable à ce qui m'a conduit là.

Oui, ça m'intrigue...





Pensées solitaires




Mardi 27 avril


Après réflexion, j'en viens à me dire que mon statut actuel de célibataire solitaire a probablement plusieurs origines. Temps de recentrage sur mon moi pour une reconstruction, une maturation, très certainement. Mais il y a probablement aussi un retour vers quelque chose de connu :une forme de liberté, délaissée durant mon temps de vie conjugale. Je la retrouve avec plaisir. Il se pourrait que cette aspiration à me sentir libre se combine avec un net recul par rapport aux investissements sentimentaux : je redécouvre des activités que je pratique préférentiellement en solitaire. La photo, la reprise de mon grand projet, les réflexions autour de ma formation, largement nourries par celles que je mène depuis ces dernières années dans le registre relationnel.

Ainsi tout semble se combiner pour que je parvienne à ce nécessaire recentrage. Disposer de temps pour réinvestir des centres d'intérêt, pouvoir librement m'y consacrer, retrouver un" vrai moi", sans tenir compte du regard d'autrui, éventuellement désapprobateur.

Tout ce qui se "travaille" là concerne un renforcement du moi. Autrement dit de l'estime de moi. Je me rends compte, depuis quelques temps, que j'avais là une grosse faiblesse. Du moins dans certains secteurs de ce qui me constitue. Secteurs dans lesquels j'avais besoin d'un regard extérieur pour "grandir". Or cette dépendance du regard de l'autre me rendait aussi très vulnérable. Je me mettais à la merci des attentes de l'autre, de ses projections, de ses fantasmes. Je me prédisposais ainsi à m'éloigner de mon moi profond. Donc à me "perdre" dans l'autre...

C'était évidemment intenable... et ça n'a pas tenu. Je me suis placé sous emprise, tout en résistant contre cet éloignement de moi-même. Attitude contradictoire qui a fait que, pendant très longtemps, je ne comprenais pas ce qui se passait. Différentes instances de moi luttaient l'une contre l'autre. Aspiration à la vie, à la liberté, contre pulsions de mort, d'immobilisme, d'enfermement. Je voulais grandir... tout en gardant des postures infantiles. Ça ne pouvait que craquer. Qu'aboutir à une crise. Un peu comme une adolescence tardive...






Mois de mai 2010