Mai 2006

Dernière mise à jour - Accueil - Premier jour - Archives - Message



De moi à moi



Mercredi 24 mai


Voila un mois que tu n'as plus écrit ici. Pourquoi ce changement après des années de régularité ?

Le changement n'est pas si récent: cela fait plusieurs mois que mon écriture sur ce journal s'est raréfiée. Il m'est devenu compliqué d'y écrire. Le blog était censé prendre le relais.

Lui aussi semble te poser des problèmes. Ton écriture y devient sporadique, alternance de silences et d'interventions serrées.

En fait j'avais ouvert ce blog pour me livrer à une forme d'écriture plus libre que sur ce journal. Quelque chose d'allégé, moins impliquant, abordant d'autre sujets que mon intériorité. Mais... mes réflexions existentielles ont peu à peu contaminé le blog. Ce que je voulais éviter d'exprimer ici a migré vers le blog. Du coup je me retrouve coincé là-bas aussi.

En fait, même si tu t'en écartes parfois, l'essence même de ton écriture est une plongée dans ton intériorité. Et ce depuis l'origine.

Oui, tant que je n'aurais pas réglé suffisamment de choses je ne pourrais avoir une écriture ouverte sur le monde.

Mais pourtant, depuis le temps que tu écris, tu as beaucoup avancé. Pourquoi ce besoin de toujours décortiquer plus loin ?

Tant que des questions se posent, j'ai envie d'aller plus loin. Ou plutôt: tant que des questions me posent un problème et gênent mon avancées, je leur cherche des réponses.

N'est-ce pas une quête sans fin ?

Probablement. Mais il semble que je sois fait ainsi: j'ai besoin de comprendre. J'aime trouver le sens des choses, pourquoi tel ou tel évènement se produit au sein des relations humaines. Je ne crois pas au hasard, mais au contraire que tout à un sens. Et c'est en trouvant le sens que je pense pouvoir influer sur le cours des choses.

N'est-ce pas un désir de contrôle ?

Je crois qu'on peut contrôler un certain nombre de choses du cours de son existence... Par exemple: je sais que l'expression écrite me permet d'avancer vers la connaissance de moi-même et d'autrui. Si je n'écris plus, quel est le sens de cette retenue ? Une lassitude ? Un évitement ? Quel est l'avantage que je trouve dans ce silence ? Est-ce une façon de ne plus avancer ? Ou d'avancer autrement ? Est-ce que je me protège de quelque chose ? Qu'est-ce qui se passe en moi lorsque je décide de me mettre en retrait ? Qu'est-ce que je retiens de moi en fermant mon expression ?

Le sais-tu ?

Je le découvre peu à peu. Mais les raisons sont évidemment multiples, entrecroisées, intereliées...

Et... crois-tu pouvoir en venir au bout ?

Non. Justement, je suis en train de prendre conscience que je ne comprendrai jamais tout. Plus j'irai loin... et plus je constaterai que je peux encore avancer. C'est peut-être ce qui m'arrive en ce moment: j'appréhende l'immensité infinie du moi, et l'infinie diversité du moi de chacun. Je ne parviendrai jamais au bout de la connaissance.

C'est vertigineux !

Oui, c'est ça. Chercher à écrire l'infini serait une folie. Du coup, je ne sais plus comment écrire. Mais il y a d'autres raisons, qui sont davantage de l'ordre de la protection. Je réalise que je ne peux pas m'exposer sans risques. Je l'ai beaucoup fait par le passé, mais cela concernait souvent des domaines "faciles". Or plus je vais dans les profondeurs du moi, plus je m'approche de fragilités. Je les ai souvent réveillées... Or je comprends qu'il ne faut y aller que progressivement. Laisser un temps d'assimilation. Trop à la fois et c'est le risque d'overdose. C'est potentiellement dangereux.

Ainsi le silence te préserverait ?

Le silence peut effectivement préserver de questionnements dérangeants. En évitant l'expression, on contient à l'intérieur ce qu'on n'est pas prêt à voir. Mais le silence peut aussi être un temps de maturation, de travail intérieur. L'isolement relationnel temporaire peut permettre de laisser se placer les choses.

C'est ce que tu fais lorsque tu n'écris plus ?

Je découvre depuis quelques temps que je n'ai plus besoin d'écrire pour avancer. Mes pensées évoluent trop vite pour que je puisse les fixer. Et en plus, ce serait inutile puisque la conscientisation n'a plus besoin d'être inscrite pour être efficace.

Alors ce journal devient superflu ?

Parfois je me le demande... Mais il a depuis longtemps d'autres fonctions que celle de révélateur de pensées. J'ai toujours considéré qu'il avait valeur de témoignage.

De quoi veux-tu témoigner ?

Et bien... peut-être tout simplement du fait qu'en se prenant en charge on peut changer sa vie. Qu'en partant à la découverte de soi on peut trouver le sens de son existence. Le parcours est plein d'épreuves, mais c'est en les surmontant qu'on grandit et se libère. Pour moi c'est un message d'espoir, et je voudrais le transmettre.

Pourtant... ce que tu vis pourrait être considéré comme un échec.

Je ne le vois pas comme ça. Moi je vois une réussite en mouvement. L'échec temporaire peut aussi être une réussite si je m'en sers pour rebondir. L'échec véritable se serait de m'arrêter. M'immobiliser. Refuser d'avancer. Une résignation. Or je n'ai renoncé à rien de ce qui me fait vivre...

Tu as pourtant renoncé à beaucoup de choses qui étaient importantes pour toi.

J'ai renoncé à ce qui était inatteignable, mais seulement à cela. Je poursuis mon chemin sans renoncer à mes objectifs lointains. Des portes se sont fermées, mais aucune qui me priverait de quelque chose de vital.

Tu restes donc optimiste ?

Je crois que c'est ma nature profonde. C'est ce qui me permet de rebondir, même après les pires déconvenues. Si un jour je perdais mon optimiste, je me sentirais mort...







Clés de liberté




Dimanche 28 mai


Ça m'a souvent titillé d'écrire ici...

J'ouvrais mon logiciel, j'essayais quelques mots... et puis ça coinçait très vite. Je voyais bien que mes idées s'orientaient vers ce dont je ne pouvais voulais plus parler. Alors je refermais.

Pourtant je constate que que n'est pas une solution viable. Il faudra bien que ça sorte un jour... Il faut bien que je retrouve ma liberté. Il faut bien que je continue à avancer.

Alors... j'essaie.

Je suis prudent, ayant compris les effets délétères d'une écriture contournant l'expression directe. Je sais que je ne dois plus utiliser ce stratagème et j'ai attendu d'avoir suffisamment la paix en moi pour éviter cet écueil. 

Cependant, comment retrouver la liberté d'écrire ? Ce journal reste habité par une présence fantômatique. Durant trop de temps il fût une tentative maladroite d'expression, cherchant au mieux à pallier un dysfonctionnement de la communication. J'étais sorti du cadre que doit respecter l'écrivant public: ne rien exprimer de négatif vis à vis d'une personne identifiée avec qui il existe un lien de confiance.

Bon... la question de la confiance se trouve vivement mise en avant... Elle est évidemment au coeur de la problématique. Rien ne se passe par hasard: la rencontre s'était largement faite autour de ce sujet, et c'est par celui-ci que les complications sont venues. On ne peut éviter ses vieux démons tant qu'on n'est pas allé au bout des choses.

Tout a fini par s'écrouler, parce que certaines bases n'étaient pas assez solides.
Retour à la case départ.
Ou presque...

Deux intimes qui sont devenus étrangers l'un à l'autre. Tout est à reconstruire... ou pas. Incertitude. Les autres bases sont-elles suffisamment solides ? La confiance a t-elle un socle suffisant ? Le désir de reconstruire différemment est-il partagé ? Autant de questions qui n'ont pas encore de réponse. Un travail opère de chaque côté, pas forcément dans le même sens. Oublier ou reconstruire ? Avec des questions: est-ce que ça vaut la peine ? est-ce que ça peut mener à quelque chose ? est-ce que c'est souhaitable ? est-ce que c'est souhaité ?

Tout cela, et bien plus, travaille en moi. Je ne peux le cacher. Alors, en parler ou pas ? Pourquoi en parler ? Pour qui ?

En parler parce que c'est ma réalité. Parce que l'occulter serait le plus gros déni que je puisse faire sur ce journal, le rendant "faux" parce que masquant l'essentiel de ce pour quoi il est né. Il est une aide à la compréhension, en public. Il est aussi le reflet d'une réalité qui touche ceux qui vivent quelque chose de similaire. Son authenticité fait sa valeur.

Mais il est impératif d'éviter au maximum tout ce qui serait parasitage, le double langage, les messages subliminaux. Prudence. Grande prudence.

Je pense en être capable, maintenant que l'essentiel de mon travail s'est fait "hors ligne".

Je crois qu'il m'est important d'écrire pour passer à un autre stade. Évacuer, expulser, pour me libérer. Mes plus anciens lecteurs savent comment est né ce journal et à quel point il est indissociablement lié, tout au long de sa durée, à l'histoire qui a bouleversé mon existence. Je ne vois pas comment je pourrais passer sous silence les conclusions auxquelles je suis parvenu sans faire perdre tout le sens de mon écriture en ligne. Continuer ce journal sans expliquer comment je suis parvenu à surmonter l'épreuve le viderait de sa substance.

Il est important pour moi que je continue mon témoignage, parce que le chemin de ma libération peut être un espoir, offrir des pistes pour ceux qui souffrent d'une situation comparable. Et cela existe puisque c'est par le partage d'expériences similaires que j'ai pu moi-même dépasser mes blessures et "comprendre" (trouver un sens) ce qui s'était passé. Les réponses que je n'ai pas pu obtenir directement, c'est par d'autres femmes que je les ai eues. Leurs vécus, leurs douleurs, leurs ressentis, leurs choix... autant d'expériences croisées dont j'ai recoupé les similitudes pour gagner des clés de compréhension. J'ai pu établir des hypothèses et peu à peu en vérifier la probablilité. C'était pour moi la seule façon de comprendre la signification de ce qui a pu se passer, pour que ça ne se reproduise pas.

Notre échec relationnel, bien d'autres en ont vécu de semblables...
Les ressemblances sont confondantes.

Ce travail très mobilisant m'a énormément apporté sur le plan humain. Il me mène vers toujours plus de paix intérieure, et a enrichi ma personnalité. Aussi douloureux que cela ait pu être, je ne regrette rien. J'y ai gagné beaucoup, tant en ouverture d'esprit, en capacité d'écoute, qu'en liberté...







La chance de l'échec




Lundi 29 mai
[Mis en ligne le 5 juin]


Dans mon texte précédent j'ai utilisé le terme "échec relationnel". Le sens d'échec, c'est "insuccès". Indéniablement il s'agit bien de cela. Pourtant je ne vois absolument pas l'échec comme quelque chose de dramatique. Au contraire, c'est la révélation d'une impasse. Une façon de faire qui n'a pas fonctionné. Il reste toutes celles qui n'ont pas été essayées... Rien ne dit qu'en changeant ce qui n'a pas fonctionné l'échec se répétera. Il y a même toutes les chances de ne pas le répéter, pour peu que ses raisons aient été comprises, et corrigées.

Réparer un échec est une belle réussite.

Pendant longtemps je me suis senti principal responsable de cet échec. Allez savoir pourquoi...
Sans doute par un manque de confiance en moi. Réveil d'anciennes névroses mal réparées, propension à la culpabilisation. Attitudes de ma partenaire, aussi, puisque rien ne se fait tout seul dans une relation duale.

A la longue j'ai bien compris que je ne pouvais être seul responsable. J'ai exploré un certain nombre de mes erreurs, ai tenté de les corriger. J'ai "travaillé" sur moi-même pour atténuer ce qui n'allait pas. En tenant à cette relation j'étais prêt à tous les efforts. Sans doute un peu trop...

Maintenant je sais ce qui venait de moi, ce qui venait d'elle, et ce qui créait donc des zones de friction. J'ai mené l'enquête. J'ai décortiqué.

Je ne me sens plus coupable de rien, tout en mesurant bien ma part de responsabilité. J'ai fait au mieux de mes possibilités du moment, avec une réelle volonté de réussite et selon ce que je comprenais de la situation. Assurément elle était compliquée, mais quelle relation ne présente pas des moments de complications ?

En fait l'échec a été double: dans la parole et dans l'écoute. Comme dans beaucoup de relations, je suppose... Navrant, puisque nous savions que c'est bien là que se situaient les risques. Il y avait bien sûr d'autres zones de risques, mais une vraie communication authentique et libre aurait permis d'en venir à bout.

Raté !

Dès lors le champ était libre pour que les complications aillent en s'aggravant, de non-dits en évitements. Le ver était dans le précieux fruit. En quelque sorte l'issue était prévisible depuis très longtemps. Je crois même qu'elle était inévitable. Et sans doute nécessaire dans nos parcours respectifs.

Avec le recul, je me dis que cet échec aura été une chance. En mettant tout par terre, il permet de faire un vrai choix, en connaissance de cause. Pour moi il aura été l'occasion de poursuivre le travail de remise en question en allant très en profondeur. Je sais maintenant bien mieux qui je suis, quels sont mes besoins et mes limites. Là où je n'irai plus, avec personne [oui, je sais, on dit ça...]. Je peux me positionner plutôt que d'être dans le vague d'un flot de nouveautés qui parfois me submergeait. Je n'ai plus de "guide" à suivre puisque je sais faire ma trace tout seul. J'ai moi aussi acquis de l'expérience... J'ai passé les épreuves, je me suis émancipé. Je me sens très différent de celui que j'étais: hésitant, inquiet, inexpérimenté en maintes circonstances. Dès que les choses se compliquaient, je perdais mes moyens, ne comprenant plus ce qui se passait. Dépassé.

Désormais je sais beaucoup de choses... Je sais même parfois voir ce qui n'est pas montré.



Ma chance, c'est d'avoir pris conscience que je ne savais pas vraiment écouter. J'ai changé. Je le vois avec mon entourage. Hier ma fille s'est longuement confiée sur un certain mal-être chronique, que j'ignorais. Elle n'en voyait que les symptômes. Je l'ai longuement écoutée et lui ai permis de remonter en amont vers l'identification d'une angoisse ancienne. Plus loin encore, elle l'a associée à certains faits qui en étaient probablement à l'origine. Je l'ai sentie soulagée et me suis vu ému d'avoir pu l'accompagner efficacement dans cette exploration. Je sais que je n'en aurais pas été capable il y a seulement quelques mois, cherchant probablement à la rassurer au plus vite...
Il en a résulté un échange très confiant, durant lequel j'ai pu reconnaître ma responsabilité de père dans un dérivé de ses inquiétudes. Le genre de discussion "idéale", où chaque partenaire s'écoute vraiment. C'est aussi ce qui se passe de plus en plus souvent avec Charlotte.

Les effets positifs indirects de l'échec relationnel sont donc indubitables.

J'ai aussi compris que je ne voulais plus de relation où les divergeances de point de vue s'expriment en luttes stériles et nocives. Que le conflit puisse exister est une chose, qu'il serve à imposer son point de vue en est une autre. C'est ce qui m'a fait accepter le silence: j'ai renoncé à prôner la discussion. J'ai renoncé à insister.

Silence plutôt que parole, et advienne que pourra...

J'ai accepté le silence, mais en revanche il m'aura fallu plus de trois mois pour commencer à accepter la façon il m'a été imposé. Quelles qu'en soient les raisons, il me semblait "inadmissible" que ce comportement existe dans une relation comme la nôtre. A tel point que je me demandais réellement si le contact pourrait être rétabli un jour. J'ai "travaillé" sur le sujet pour m'extraire de la sourde colère qui se manifestait avec régularité. J'ai longtemps été extrêmement fâché. Et puis... quelques échanges avec des correspondantes ont préparé le terrain de l'apaisement. Il aura suffit ensuite d'une mise en garde de ma psy, elle qui ne m'a pourtant jamais donné le moindre conseil, pour que je comprenne quelque chose d'essentiel. Depuis, beaucoup de choses se sont débloquées, ouvrant enfin la voie de l'apaisement.

Maintenant je peux accepter toute éventualité. Je n'ai plus peur.
Je me sens chaque jour davantage en paix avec moi-même.









Mois de juin 2006