Mars 2006

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Désir en panne




Jeudi 9 mars


Hier, tandis que j'étais en formation, je songeais à la dualité qui sépare l'homme réfléchi que je suis et toute cette part fragile que j'ai longuement laissé s'épancher ici. Je me suis montré sous mes vulnérabilités, mes faiblesses, mes insécurités de... petit garçon. C'est une autre part de moi, bien réelle, mais qui normalement n'apparaît pas. On apprécie plutôt ma pondération, mon recul, voire une certaine sagesse.

Dans le train je lisais un livre qui évoque les projets et les désirs. Me revenait en tête toute cette part émotive et créatrice que j'avais fait naître il y a trois années, et qui me donnait un fabuleux enthousiasme. Me mettre à l'écoute de mes désirs, les rendre possible, y croire et agir. J'avais senti se développer mes potentialités, mon audace, je quittais ce carcan dans lequel j'avais non-vécu si longtemps. Un grand vent de liberté soufflait sur mes pensées. Je me sentais vivre !

Et puis tout s'est grippé... Je n'étais pas prêt dans toutes les dimensions de mon être, pour tout un tas de raisons qui tenaient à la fois de mon immaturité, de circonstances externes, et d'une volonté de solidarité avec les personnes qui m'accompagnaient de près. Je ne me sentais pas le droit de les faire souffrir.

C'est terrible ce qui s'est passé à ce moment-là, parce qu'en renonçant à l'élan de désir en train de naître, c'est comme si j'avais cassé cet élan. Je l'ai assez dit: je me suis planté. Retombé après une tentative de grand vol. C'est mon désir, ma créativité, qui sont restés au fond.

Mon mal actuel c'est que je n'ai plus de désir identifié, ou accessible à court terme. Je suis en panne de désir. Perdu en ce qui concerne le sens que je veux donner à mon existence. Les idées en vrac. C'est préoccupant, vu ma situation. Si je n'avais pas une certaine solidité mentale l'ombre de la dépression ne serait sans doute pas loin: à mi-vie je me retrouve devant un vide professionnel et privé de motivation. C'est inquiétant. Et bien que peu à peu j'émerge de mes déboire affectifs, les épreuves consécutives ont mobilisé énormément de mon énergie. Durant ces dernières semaines je me suis vu complètement épuisé, avec une très profonde tristesse que mon optimisme ne parvenait pas toujours à dissimuler. Les personnes les plus proches ont senti, peut-être mieux que moi, à quel point j'avais été éprouvé. J'ai tendance à nier ce qui est trop lourd en moi, pour ne pas le faire porter sur mon entourage. Je veux me débrouiller seul, mais j'atteins parfois mes limites.

Dans la formation que je suis c'est l'adolescence que nous décortiquons actuellement. Je dois bien reconnaître que la crise que je vis est très largement comparable à celle de l'adolescence. Tout ce qui ne s'était pas réglé à ce moment-là me revient dans la figure depuis pas mal d'années. Et les complications relationnelles que j'ai vécu (et fait vivre) sont très largement issues de conflits non-réglés à cette époque de transition enfant-adulte. Oui, il s'agit bien d'une crise d'adolescence différée. Je ne m'en sens pas honteux: je vois ce qui est. Ce n'est pas facile pour l'entourage, ça ne l'est pas davantage pour moi.

Pourtant, lentement le moral et un certain enthousiasme reviennent. Je garde confiance en moi et je sens bien que les épreuves me solidifient, parce que je sais en tirer des enseignements. J'apprends la vie, et c'est bon, quoique difficile.






Me retrouver




Samedi 11 mars


Allez, un peu d'optimisme !

Mon moral revient en force, et il est probable que le désir désire renaître. Ce n'est pas un hasard si je constate cette panne de désir vital. Probablement un point bas, un signal d'alarme qui me fait prendre conscience que je ne peux pas rester ainsi. Hé, la vie est là, qui passe !

J'ai vécu une série de cruelles désillusions... parce qu'il devait en être ainsi. Il était nécessaire que je passe par là pour évoluer et continuer à grandir. Je vous assure que je me sens plus fort maintenant, et plus sûr de moi. Être obligé de faire des deuils, passer par des séparations conséquentes, est déstabilisant. Il est tout à fait normal que j'en sois affecté. J'avais entrepris des projets de changement de vie et il n'ont pas été possibles en l'état, il est naturel que je ressente une forme d'abattement après ce constat.

Maintenant il me faut rebondir et partir sur autre chose. Ce qui s'est passé il y a un mois m'a permis de tourner une page. Quelque chose s'est éteint à ce moment-là. Très vite d'ailleurs. En quelques jours quelque chose avait cédé. Je ne cherche pas à définir ce quelque chose, mais je ressens sans conteste le changement. Depuis, chaque jour a été une confirmation. Un éloignement s'est installé, avec une drôle d'impression: non, ce n'était pas si difficile. Je crois que j'y étais prêt. Et peut-être que je cherchais cette limite. Comme pour un fruit mûr, c'était le moment.

Les jours passent et la séparation opère, se marque, se creuse. Le rien, le silence sont de puissants signifiants. Je les perçois, les écoute. Ils ont quelque chose d'appréciable, dès lors que l'acceptation s'est faite: ils ne coûtent aucune énergie. La durée n'a plus d'importance, et l'infini pourrait prendre place s'il doit en être ainsi. Accepter le passage au passé, dans l'album des souvenirs. C'est bizarre d'en arriver à accepter ça vis à vis de quelqu'un dont j'ai pu me sentir aussi complice, intime, aimant, amoureux.

Pendant quelques temps j'ai ressenti une grande tristesse, teintée de résignation : je savais toute résistance vaine. Cela à duré deux ou trois semaines. La colère, elle n'a duré que quelques jours. Ensuite, c'est progressivement un sentiment de paix qui a pris place, qui ne cesse de se développer. Oui, même fâché, la paix revient en moi. J'ai fait ce qu'il fallait de mon côté. J'ai lâché prise. Paradoxalement c'est à compter du jour où j'ai admis que je ne devais pas chercher à comprendre que tout s'est dénoué. En ne m'accrochant plus à ce besoin se libéraient tous les éléments incompréhensibles. Processus surprenant, que je ne chercherai pas à décrire.

Je ne suis plus triste. Une amie est partie au loin, un grand amour aussi. C'est son choix, le mien était différent mais ça me va comme ça. Je sais ce qu'il en est de mon côté, je suis lucide, cohérent avec moi-même, et ne cherche plus à maîtriser ce qui ne dépend pas de moi. Ce fût sans doute le plus grand soulagement: ça ne dépend plus de moi. Je n'avais plus à lutter, et j'ai pu me consacrer à moi. Je me suis retrouvé, pour mon plus grand bien.



« Dans le silence de la solitude on n'entend plus que l'essentiel »

Camille Belguise







Pensées rebelles




Dimanche 12 mars


Je ne peux pas tricher avec mon corps... En écrivant hier que j'étais en paix, mon métabolisme m'a prouvé que j'avais cherché à m'en convaincre. Contrarié par ces mots, ou sensibilisé au sujet que j'avais abordé, j'ai passé une très mauvaise nuit d'insomnie semi-sommeil. Je suis certain d'avoir écrit certaines choses qui ne me convenaient pas. Sans doute cette idée de "fin", contre laquelle mes pensées se sont rebellées cette nuit.

Je me sens bien en paix avec moi-même, certes, mais je ne le suis pas avec elle. Je crois que je reste fâché/contrarié/triste, davantage que je n'en ai conscience. Nous ne nous sommes pas quittés en bonne conditions, mais sur une mésentente. Un désaccord profond. Et ça, ça ne me laissera pas en paix.

D'un côté il y aurait une certaine facilité à accepter totalement l'installation de ce silence: laisser filer sans rien dire. Accepter [ou me résigner à] la possibilité d'un "oubli" tacite, aucun des deux ne recontactant l'autre.
Je ne crois pas que ce soit une bonne solution. Ce ne serait pas "propre" comme fin. D'ailleurs ce ne serait pas une fin, mais une fuite devant la difficulté de mettre en mots et se confronter à l'autre. Bien qu'étouffée par le silence, une telle forme de rupture est violente par son inexpression. Elle n'est pas claire, elle n'a pas de sens parce que les mots sont absents. Accepter le silence infini est une passivité qui fait écran à la remontée des émotions. Un faux-oubli.

Selon moi le déficit de communication qui nous éloigne depuis des mois est une aberration, un non-sens. La seule façon que j'ai de "l'accepter" est de me couper de mes émotions. Les anesthésier, les nier. En tentant de passer à autre chose et me détacher de ce passé, j'occulte mes pensées... mais ne supprime pas mon ressenti. J'étouffe ma révolte.
Tout ça ne concorde pas du tout avec ma volonté de lucidité sur moi-même.


(...)


En fait ma lucidité est active... mais je crois préfèrable désormais de la garder pour moi.




Mis en ligne le 24 mars






Solidarité de couple




Lundi 13 mars


Depuis que j'étais en couple, et peut-être même avant, je considérais que cette forme de relation était une aventure solidaire. S'aimer c'était se lier en unissant deux vies. Je dirais volontiers "pour le meilleur et pour le pire", si la formule n'était pas déjà employée plus officiellement...

Je pensais cela sans faire référence à un quelconque engagement légal ou religieux. C'était une sorte d'engagement affectif mutuel (ou considéré comme tel). Je réalise encore aujourd'hui à quel point cette idée d'engagement solidaire est fortement implantée en moi, alors même que je suis doublement séparé.

Or j'ai constaté que, d'une part cette solidarité était moins réciproque que je ne croyais, et d'autre part pouvait être préjudiciable à la relation !


Cette solidarité affective, ce lien indissoluble, correspondait à ce que j'appelle "fidélité". Loin de la définition courante qui associe ce terme à l'idée d'exclusivité sexuelle, ma conception de la fidélité correspond en fait à une solidarité. Dans un texte correspondant largement à ma vision des choses, Gourmande l'a appelée "fidélité morale": «c'est une fidélité à toute épreuve. Un engagement à la solidarité envers l'autre. Un accompagnement qui se voudrait permanent et qui ne périrait pas, quoi qu'il arrive dans la vie des deux partenaires, même s'il y a séparation, les deux resteraient unis par un lien l'amour altruiste, une sorte de "fraternité".»
C'est ce a qui fait que, même dans les bras d'une autre, je me sentais toujours fidèle à mon épouse. Et ce n'est pas un tour de passe-passe lexical, ni une entourloupe sémantique pour m'accomoder avec ma conscience: je le ressens vraiment ainsi. C'est bien ce qui m'a permis d'aimer en double: j'étais fidèle à deux femmes. Polyfidèle, pour ceux qui ont suivi mes longues dissertations sur le sujet.

Si l'une des deux semblait tout à fait accepter cet état (voire le préférer ?), l'autre ne le pouvait résolument pas. Malheureusement, comme j'aimais vraiment les deux... j'étais aussi "engagé" auprès des deux. Engagement affectif, moral, et indissoluble. D'où mon impossible choix. Je ne pouvais pas trahir, c'était viscéralement, fondamentalement, rigoureusement impossible. Le dilemme devenait invivable vu les enjeux et mon impossibilité à me partager.

Dilemme qui occupait toutes mes pensées, m'angoissait, me torturait: comment pouvais-je faire ? Comment allais-je pouvoir trouver une solution ? Cette inquiétude constante a contaminé peu à peu mon insouciance originelle, mon enthousiasme et mon bonheur, et empoisonné les échanges que j'avais avec chacune de mes partenaires. Je parlais beaucoup de ce souci ou de ses conséquences, à l'une comme à l'autre.

Et là... ben j'ai eu tort.

Parce qu'en confiant mes soucis et mon incapacité à les résoudre, je me conduisais de façon infantile. J'étais peut-être courageux et responsable dans ma recherche, vu de l'extérieur, mais puéril en la dévoilant aux personnes avec qui j'étais en relation. Je n'étais plus l'homme rassurant et tranquille qu'elle avaient pu apprécier, mais un être égaré et incapable de prendre une décision. Choix que j'étais dans l'incapacité absolue de le faire, d'une part pour ne pas trahir, et d'autre part parce que... ben je n'étais pas capable de m'assumer seul. Ni financièrement, ni affectivement. J'étais bel et bien coincé.

C'est là que la notion de fidélité morale a été quelque peu ébranlée, parce que chacune d'elle s'est finalement déterminée et à "sauvé sa peau". C'était normal et plutôt sain de leur part: la fidélité à soi-même passe avant la fidélité à l'autre... Elles m'ont donc plus ou moins fermement laissé me débrouiller, ne poussant pas aussi loin leur fidélité que je l'imaginais. En fait elles étaient plus autonomes que moi, et capable de s'assumer là où je ne le pouvais pas.

Je le sais maintenant: j'ai privilégié la lente déliaison avec mon épouse à la fois pour ne pas la lâcher (même si elle me le demandait), et pour qu'elle ne me lâche pas non plus. Solidarité réciproque. J'avais encore besoin de grandir, avec son soutien (elle aussi, quoique de façon moindre). Il m'a fallu longtemps pour accepter l'idée qu'elle pouvait se débrouiller seule et que je ne devais plus me culpabiliser de la "laisser tomber" (la libérer, en fait). Qu'on pouvait rester solidaires dans l'amitié tout en désinvestissant le lien conjugal. Mais je reconnais volontiers que c'est moi qui étais le plus fragile des deux sur ce point-là. En fait je transposais sur elle mon propre ressenti. Ayant "besoin" d'elle, je considérais qu'elle avait "besoin" de moi d'une façon similaire.

Je réalise lentement, un peu honteux, que ce n'est pas le cas.
Je reste coincé par des histoires d'argent, mais aussi... parce que mon amie nathalie s'est énormément désinvestie et que je me retrouve "seul". La présence solidaire de Charlotte m'aide incontestablement. Notre séparation solidaire nous convient à tous les deux, quoique en étirant le processus, cela ralentit l'émancipation. L'avantage de l'option contraire, trancher net, est que cela oblige a réagir et évoluer très vite... mais pas toujours sans séquelles à long terme.

Ce n'est pas de vivre seul qui m'inquiète, mais d'être affectivement seul. Je crois que j'aime beaucoup aimer et être aimé, désirer, partager en confiance.
Par contre, je m'interroge sur le lien de solidarité : que signifie t-il ? Jusqu'où s'exerce t-il ? Pourquoi lui ai-je donné autant d'importance ? Je sais que je ne veux plus créer de liens de cette nature. Il y avait une tendance "fusionnelle", bien trop proche de rapports parent-enfant avec la dépendance y afférant.
Pour le moment je suis encore un peu pris dans cette dynamique avec les liens amoureux antérieurement créés, quoique la décision récente de nathalie a eu le rôle d'électrochoc qui m'amène à comprendre tout ça. J'ai beaucoup été dans les confidences et une transparence excessive avec les deux femmes qui m'ont aimé. Je me suis montré fragile, parce que je l'étais [mais n'est-ce pas une force de le savoir ?] et que je les considérais sans doute comme des figures parentales symboliques pouvant tout entendre. Envers qui je pouvais "m'abandonner". Quelque chose qui ne doit pas exister dans l'amour amoureux, hormis peut-être dans certains moments de grande intimité. N'est-ce pas précisément cette intimité que je recherchais ? Cette confiance "absolue" ? Je crois que j'attendais beaucoup de ces femmes qui m'aimaient. J'attendais une protection enveloppante, et une solidarité sans faille. Immature, je le sais maintenant...

Voila pourquoi j'ai complètement sombré lorsque ma lointaine partenaire m'a déclaré qu'il fallait qu'on s'oublie. Je l'ai ressenti comme une trahison... alors que moi-même j'avais l'impression de la trahir en ayant opté pour une solution qui me laissait le temps de grandir (pour la retrouver en de meilleures conditions). Tout cela n'ayant pas existé en simultané, mais ayant évolué au fil du temps: il y a bien un moment où j'avais "renoncé" avec elle, parce que totalement égaré devant le choix à faire. A compter de cet instant-là il s'est passé quelque chose de fatidique, je le sais: nathalie a commencé à désinvestir, jour après jour. Et je voyais ça, effaré, impuissant, incapable. D'autant plus incapable qu'elle me «repoussait vers ma vie d'avant », celle dont justement je voulais m'émanciper, mais sans y parvenir seul.

De mon côté, par solidarité, je m'efforcais de rester au plus près de nathalie. Je la percevais, à tort ou à raison, comme étant dans les suites d'une souffrance dont je me sentais responsable J'étais inquiet, je pensais pouvoir lui montrer qu'elle pouvait garder confiance en moi...
A trop insister il semble bien que j'ai aggravé les choses puisque je parlais aussi de ma propre souffrance et de mes inquiétudes face à son éloignement. Bref, quelque chose de bien compliqué...


Voila l'histoire d'un bel échec [constructif !]. Celui d'un homme qui a voulu grandir en brûlant les étapes. Et pourtant, sans nathalie... combien de temps m'aurait-il fallu pour oser vivre ? Aurai-je même découvert ce qu'il y avait en moi ? Qui d'autre qu'elle et les circonstances de notre rencontre lointaine aurait pu me donner cette "force" de m'émanciper ?


Maintenant, ce qui fait que je me sens dans le vide et sans désir stimulant c'est la perte de cette force qu'elle me transmettait autrefois. Paradoxalement, c'est depuis que je la sentais de moins en moins présente que je perdais mes forces pour la rejoindre. Depuis qu'elle s'est désolidarisée en amour je cherchais à savoir si sa force me serait encore accessible un jour. Mais cette inquiétude n'a fait que l'éloigner davantage. Sans elle... je me suis vu sans élan, sans désir. Je sais que tout cela est en moi, mais pour le moment presque éteint. Elle était le carburant de mon moteur intérieur et actuellement je n'ai pas retrouvé de source d'énergie aussi performante. Seule la voie d'une reconversion professionnelle me donne une petite énergie.

Et d'un autre côté il me faut cette énergie pour m'émanciper financièrement [nourricièrement ?] de mon épouse qui reste solidaire... tout en me poussant [poouuuuussssez !] hors de ce lien de dépendance [cordon ombilical ?] qui doit mourir. Et je l'encourage à maintenir cette force d'expulsion [d'accouchement ?], seule façon de me mettre devant la réalité des choses. Voila pourquoi cette panne d'envie est inquiétante [ça donne des enfants morts-nés, si ça dure trop...].

Par ailleurs ma solitude professionnelle n'est pas la meilleure chose puisque ce temps me permet de beaucoup penser plutôt que d'être occupé par une vie active.

Je vous le dis: il ne fait pas bon être en panne de désir !

Heureusement que ma vie familiale et amicale m'apporte des satisfactions et un réel bien-être. Et puis, aussi, une confiance dans l'avenir et en ma capacité à en sortir.



Mis en ligne le 24 mars






Il suffirait...



Vendredi 24 mars


Long silence dans ce journal, avec la durable retenue des deux textes écrits précédemment. J'ignore pourquoi je les ai délaissés, différant leur mise en ligne, mais il y avait certainement un besoin d'appropriation. Maintenant ils sont en partie dépassés, ma pensée ayant cheminé, mais je considère qu'ils sont importants. Je sais qu'ils marquent une étape dans le processus de compréhension personnelle.

J'ai autocensuré une part du premier texte. Cela correspond au désir de moindre transparence. Beaucoup de mon "travail" se fait maintenant par la pensée, ou par écrits secrets. Je comprends peu à peu que la lucidité sur une situation n'implique pas de se dévoiler... Tout le monde n'a pas la capacité de comprendre ce qui transparaît entre les lignes. Ce que je donne de moi tend parfois à l'analyse, et cela ne regarde pas les personnes avec qui je suis en relation.

Je découvre énormément de choses, notamment en comprenant mieux le fonctionnement de l'inconscient profond, celui qui est inaccessible. Ma formation est très éclairante à ce sujet et m'offre beaucoup de pistes. Rien n'est jamais certain dès qu'on aborde la psychologie, mais certains éléments donnent un sens et, sans être certains, paraissent fort plausibles.


En me relisant, j'ai eu envie de corriger certains passages. Je ne l'ai pas fait parce que j'aurais dénaturé la cohérence du cheminement. Mais je constate que lorsque je parle de mon immaturité c'est assez simplificateur. Elle n'est que partielle, relative à des domaines circonscrits. A l'inverse je sais avoir une grande maturité dans des zones très voisines. Personne n'est un monolithe de maturité ou d'immaturité. Nous avons tous nos axes de connaissance et nos fragilités. Mes deux partenaires, sont parfois plus solides que moi, mais dans d'autres cas la situation s'inverse. C'est bien ce qui fait la richesse des relations...

Je serais tenté d'établir la théorie suivante: un même acte peut être à la fois signe de maturité ou d'immaturité. Je pense notamment à toute décision qui vise à "trancher" dans l'incertitude. On peut considérer que trancher manifeste un désir de sortir d'une situation inextricable. Acte mature et responsable, donc. Mais que signifie "inextricable", en matière relationnelle ? Est-ce une question de temps ou de globalité des enjeux ? Ne peut-il pas y avoir davantage de maturité à modifier certaines données sans tout casser ? Ou bien à faire preuve de persévérance dans la recherche de solutions ?

Qu'est-ce qui importe le plus ? Avancer, ou trouver la meilleure solution ? Le court ou le long terme ? Il n'y a évidemment pas de recette absolue. Les solutions extrêmes sont toujours inapplicables et c'est dans leur subtil dosage que s'obtiendra le meilleur compromis.

J'ai l'immense chance de pouvoir faire un comparatif en direct live: deux séparations, avec trois personnalités différentes. Je suis du côté des patients, décortiqueurs de sens, et chercheurs de compromis. Donc de la sagesse ou de la frilosité, selon la perception de chacun. Mes partenaires ont chacune leur façon d'être, plus ou moins radicales dans leurs choix. Première évidence: c'est le besoin de sortir d'une souffrance qui impose des choix radicaux. Deuxième évidence: les choix radicaux ne sont pas forcément les meilleurs. Leur but est de sortir au plus vite d'une souffrance, pas de trouver la meilleure solution à long terme.
Or je suis adepte des meilleurs choix possibles, avec peut-être une certaine capacité à endurer la souffrance si j'estime qu'elle est un état transitoire avant une suite meilleure. Avec à l'esprit l'idée qu'il faut parfois fournir un effort important pour obtenir quelque chose qui en vaut la peine. On ne parvient pas au sommet de la montagne sans grimper.

Le problème, c'est que dans une relation il y a deux partenaires, pas forcément d'accord sur le chemin à suivre ni sur l'effort à fournir. Parfois l'un des deux flanche et voudrait tout arrêter parce que ça lui semble trop difficile, ou même impossible. La pente semble trop raide, l'ascension trop longue, le but ne pas mériter tant d'efforts. Après tout... on n'est jamais certain que ça vaille la peine de faire des efforts.

Ce qui est certain c'est qu'il faut que les deux partenaires aient envie de suivre un chemin en commun.

Dans ma relation avec Charlotte, nous avons fini par trouver ce chemin. Il est différent de celui sur lequel nous nous étions aventurés initialement. Nous sommes passés par des tensions assez fortes au moment où nous avons compris que nos routes divergeaient. Mais avec le temps et beaucoup de dialogue, de remise en question, d'écoute et de respect, nous sommes parvenus à trouver le compromis satisfaisant pour les deux. Chacun a renoncé à certaines choses, et nous nous sommes orientés en suivant les points de convergeance. Cela a demandé du temps, et des efforts, mais en vallait la peine. Charlotte a renoncé aux solutions radicales (rupture et divorce immédiats), et de mon côté j'ai accepté son besoin d'éloignement. Je crois que c'est une séparation "intelligente", où personne ne se sent floué ni trahi. La meilleure façon de continuer dans une nouvelle vie, sans rancune ni incompréhensions majeures. La confiance est maintenue, voire renforcée. Bref, une séparation qui fait preuve de maturité.

Dans ma relation avec nathalie... c'est beaucoup plus compliqué. Manque évident de communication sur ce qui pose problème. Conjuguaison d'immaturités qui se sont exacerbées, projections diverses d'idéaux négatifs et jeux croisés d'inconscients. "Sabotage relationnel" conjoint. De notre relation il pouvait se développer le meilleur. Nous ne sommes jamais allé dans le pire... et pourtant un processus semble nous y mener inéluctablement depuis longtemps. Jusqu'au néant ?
Il y a une sorte d'autodestruction qui semble s'être enclenchée malgré nous.
Je nous sens à la fois très proches dans notre regard sur l'altérité, et radicalement opposés. Avides de sincérité, de liberté, d'authenticité, de franchise... c'est par ces convergences perçues différemment que nous semblons nous éloigner ! En elle il y a toute une part de moi que je retrouve comme je n'ai jamais trouvée en quiconque, mais aussi une vision du monde et des rapports humains parfois antinomique. Tantôt elle me paraît très mûre, saine et solide, tantôt ce n'est qu'un masque trompeur qui me leurre. Tant de paradoxes et de contradictions m'ont entraîné aux confins de l'incompréhensible. C'était à en perdre la raison.
J'ai l'impression que pour elle j'apportais une sorte d'équilibre et de force, mais que ses certitudes faisaient vaciller en moi. C'est comme si elle avait pris les rênes de la relation... alors que c'est moi qui ai toujours eu la foi de continuer. Depuis longtemps elle n'y croit plus et conduit notre attelage dans la direction qui lui convient. Celle de ses attentes inconscientes...

Ainsi se défait lentement ce que nous avions construit d'extraordinaire et qui nous avait fait vivre ce que ni l'un ni l'autre ne croyait possible.

Je sais que ma foi et ma force pouvaient nous mener vers le meilleur de nous-même. Et pourtant... c'est cette foi et cette force qui étaient sans cesse soumises au doute et mises à l'épreuve.

Il y avait quelque chose de fou dans cette relation.

Il aurait suffi... il suffirait d'inverser le sens de cette spirale de l'éloignement et choisir la confiance a priori plutôt que laisser la méfiance faire un travail constant de sape.

Il suffirait...






Alors, heureux ?



Mercredi 29 mars


Ce matin, en me rasant [vous saurez que je ne suis pas barbu...] je me posais une question existentiellement abyssale: suis-je heureux ?

Drôle de question, en fait. Ne pas savoir si je suis plutôt heureux ou plutôt malheureux. Je songeais à cette situation bizarre dans laquelle je me trouve, entre deux vies. D'une certains façon j'avais « tout pour être heureux », il y a quelques années. Une femme que j'aime tendrement, plutôt jolie [ben oui, ça compte...]. Trois enfants vraiment sympas. Une jolie maison dans un coin de campagne. Un métier plutôt agréable, au grand air. C'était bien.

Puis est venu le temps de la remise en question. Est-ce que ce métier me plaît vraiment ? Vais-je le poursuivre toute ma vie alors qu'il ne me permet pas de vraiment gagner ma vie ? A quoi ça sert de travailler pour ne pas en vivre décemment ?
Et puis je voyais si peu de monde... J'avais besoin d'échanger, de nourrir mes pensées.

Je l'ai fait, et je me suis régalé. J'adore communiquer avec mes semblables. Avancer dans ma tête, m'enrichir, partager, ressentir des émotions. C'est bon tout ça !

Tellement bon que j'y ai consacré un temps considérable. Ce qui n'a pas arrangé mes affaires du côté professionnel. Ni du côté conjugal...

Ça fait à peu près cinq ans que ça dure.

Maintenant suis-je plus heureux ? Hum... je me sépare d'avec ma femme. C'est inquiétant (insécurisant). C'est attristant. Mais ça ne me rend pas malheureux. Pas heureux non plus, même si le souffle de la liberté reste plutôt attirant. Et puis je garde la grande amitié que j'avais avec elle, et c'est l'essentiel à mes yeux. Bon... on ne fait plus l'amour et on n'habite plus sous le même toit, mais ce n'est pas ça qui a de quoi rendre malheureux.

Je suis de moins en moins en contact avec nos enfants, mais ça c'est normal et tout à fait indépendant de mon évolution personnelle: ils sont en âge de s'éloigner. Un peu attristant aussi, mais c'est le cours normal des choses. Je suis heureux de les voir épanouis et d'avoir de bons échanges avec eux.

Je quitte un métier dans lequel je ne trouve plus vraiment de satisfaction. Ou plus suffisamment. Je n'en ai pas encore d'autre. Je suis "en recherche". Je gagne très peu d'argent. C'est inquiétant. [euh... un peu beaucoup inquiétant]. Voire stressant. Et le stress, si ça ne rend pas malheureux, on ne peut pas dire que ça rende heureux. C'est donc un gros souci. Je me donne du temps, je laisse venir, me disant que si je me trouve vraiment dans la merde je trouverai l'énergie nécessaire pour me dégotter un job alimentaire. J'aurai alors la motivation suffisante, pour éviter de voir mon compte en banque couler trop profondément en dessous du zéro.

Du côté de ce qui me rend heureux, c'est le sentiment de liberté. Celle d'avoir des échanges variés avec des amitiés plurielles. Le plus souvent féminines. C'était vraiment quelque chose qui manquait à ma vie d'avant. Là, j'y ai gagné quelque chose.

Liberté d'organisation de mon temps aussi, en tant que célibataire [ou presque...]. Liberté, un peu inquiétante, devant mon avenir professionnel. Devant ma vie sentimentale. Plus rien n'est tracé. C'est l'aventure. Pas forcément grandiose, d'ailleurs. J'avance sans trop savoir où je vais. C'est à la fois grisant et inquiétant. Probablement plus stressant que je ne veux bien l'admettre...
Ce qui est certain c'est que je ne m'ennuie pas.

Et l'amour dans tout ça ?
Et bien il est là, avec tous ces gens que j'aime à différents degrés. Toutes ces rencontres que je fais, et celles qui sont à faire.

Oui mais le vrai amour amoureux, celui qui rend heureux... ou malheureux.

Bah... je crois que je ne suis plus malheureux. J'ai perdu [en tous cas pour le moment] ce qui m'avait rendu tellement heureux. Mais j'y ai gagné quelque chose: je sais que le bonheur existe et qu'il peut survenir quand on ne s'y attend pas. Et puis j'aime toujours, mais autrement. Solitairement.

Quand j'y songe, je crois que je n'avais jamais été aussi heureux qu'avec elle. Ni aussi malheureux quand ça à commencé à se compliquer. Probablement parce que j'avais eu l'ingénuité de croire que ce bonheur pouvait durer éternellement et en permanence. C'était si bon...
Et il est probable que c'est parce que j'ai voulu le faire durer à tout prix que j'ai contribué à en précipiter la fin. C'était une erreur de débutant...
Je peux donc me réjouir d'avoir appris que ça ne pouvait pas durer. Je le saurai, pour la prochaine fois où il sera au rendez-vous. Car si le bonheur est fugitif, le malheur l'est aussi. Non ?

Bref, ma situation n'est peut-être pas vraiment enviable, mais elle n'est pas si pire non plus.






Le désir de séparation




Jeudi 30 mars


Ce soir il y avait une petite fête: dernier anniversaire du dernier de nos enfants. Ben oui, il a dix-sept ans. L'an prochain, à la même date, il deviendra majeur. Plus d'enfants... enfin, façon de parler : même à cinquante ans ils resteront nos enfants. Je l'ai invité, ainsi que Charlotte, au restaurant Chinois. Soirée trio très sympa, conviviale, agréable.

Les aînés n'étaient pas là puisque le week-end n'a pas commencé. Le plus grand est de moins en moins présent, c'est bien normal. Et notre fille est toujours autant occupée par les manifs anti-CPE. Ce matin elle faisait partie de ceux qui bloquaient une des avenues principales de la ville. Elle m'a écrit que « les policiers étaient méchants » et avaient interpellé plusieurs d'entre eux, les trainant à terre. Je m'amuse de ce vocabulaire enfantin, ignorant s'il est à prendre au premier degré vu sa propension au facéties verbales.
Je suis surpris par sa persévérance à défendre ce en quoi elle croit. La semaine dernière elle a fait partie d'une délégation qui est "montée" à Paris pour la méga-manif. Par contre, je me demande ce que ça va donner du point de vue des études. Voila près d'un mois qu'elle n'a plus cours...


Ce soir j'ai lu Eva. Elle se marie dans deux jours. Je retrouve dans ses réflexions et inquiétudes ce qui avait pu se passer lorsque le futur jeune couple que j'allais former avec Charlotte s'y préparait. Tout ce cérémonial, une certaine lourdeur des traditions familiales, les attentes parentales qui se font insistantes, les implications différentes des deux "amoureux"...
[un doute en écrivant ce mot: étais-je vraiment amoureux d'elle ?]

Il y a quelques jours Eva enterrait sa solitude : « En retrouvant ma solitude, mon amie de toujours, je peux lui dire enfin adieu. Adieu, peut-être pas pour toujours, mais adieu tout de même. Putain, qu'est-ce que ça fait du bien de la quitter enfin... ».

C'est marrant parce qu'à peu près au même moment j'entre de plus en plus dans cette vie de solitaire. Et j'en ai hâte. Je pourrais presque inverser le sens des mots d'Eva: j'enterre la vie à deux. Sans regrets [euh... ça dépend des jours...]. Depuis tous ces mois (deux ans, en fait) que je vis seul (excepté une tentative de retour de six mois), j'ai enfin pleinement accepté cette évolution. J'ai terminé mon deuil de la vie en couple. Je suis prêt à la séparation. Je la désire, je l'attends.

Quel changement, puisque cette idée m'était auparavant inadmissible !

Voila plusieurs fois que je me surprends à exprimer cette évidence. Ce matin c'était avec ma psy, qui semble de plus en plus réjouie de m'entendre. Elle qui auparavant gardait le masque assez impassible de la neutralité, exprime maintenant clairement sa satisfaction avec de grands sourires francs.

Oui, beaucoup de choses ont changé, et notamment depuis deux mois. La décision de nathalie a vraiment eu des répercussions importantes dans le lien que j'avais avec elle. Mais aussi sur toute mon approche de la relation amoureuse. Cela m'a éclairé sur un certain type de rapports qui existaient encore avec Charlotte.

En fait... je finis par me dire [c'est très récent] que tout ce qui m'est arrivé est une bonne chose. Une excellente chose ! Je me demande si ce n'est pas ce que je cherchais inconsciemment : être "abandonné". Vivre ma plus grande angoisse. Perdre les personnes vis à vis de qui j'avais créé un lien de solidarité et de dépendance. De confiance [excès de confiance...]. Miracle, je n'en suis pas mort ! Je peux être "abandonné" et continuer à vivre en autonomie, suffisamment heureux. J'aspire maintenant à être seul, à vivre par moi-même, à devenir indépendant. J'ai besoin de me le prouver.

J'écris "abandonné" avec des guillemets parce que ce n'est qu'un abandon partiel. Il ne s'agit pas de rupture, mais de désinvestissement. Le lien demeure (semble t-il...), mais demande un ajustement. Le désir de rapprochement s'est mué en désir d'éloignement. Ou en éloignement du désir, ce qui revient au même. En finissant par accepter la prise de distance [toute résistance s'étant montrée inutile] il semble que j'ai réussi, dans un des couples au moins, à éviter qu'elle ne s'accroisse. J'ignore encore ce qui se passera dans le couple que je formais avec nathalie, mais là aussi j'ai cessé toute résistance. Elle demande de la distance ? Je lui accorde. Et je vis désormais en paix. Je ne lutte plus en vain. Je me désolidarise. C'est très reposant.

De ce fait je retrouve une énergie à consacrer à moi-même.







Révolutionnaire


Vendredi 31 mars


Je me surprends moi-même: écrire que je désire me séparer !
Incroyable...

En fait je désire surtout me sentir libre.

Défusionner.

Car je constate avec un effroi restrospectif que je ne savais aimer qu'en couple. Créer une sorte de bulle, où l'amour serait réciproque, également investi, idéalement partagé. Quelque chose qui ressemblerait à une sorte de "perfection". Ce qui, évidemment, n'existe pas.

Je crois que c'est cette désillusion qui m'a fait tant souffrir. Vaine quête d'une chimère inaccessible.

En se désolidarisant, par deux fois (sa demande qu'on s'oublie, puis l'imposition de six mois de silence), nathalie m'a contraint à me libérer de cette façon d'aimer "fusionnelle". La solidarité n'est que temporaire, fragile, et le soi passe avant le couple. Exactement le contraire de tout ce que j'avais appris, intégré, et que je désirais certainement, inconsciemment, mettre en place.

Oh non, je n'étais pas dans le fusionnel au sens classique [à 6000 km d'écart, ça semblait difficile...]. Connaissant bien les effets délétères de cette forme d'amour, j'avais pris soin d'accepter une certaine distance, de laisser le temps prendre sa place, de faire en sorte que chacun (et surtout elle...) garde sa liberté. J'étais vigilant [du moins le croyais-je..]. Je pensais éviter les pièges.

Raté !

C'est le fond de mon système de pensée qui me piégait. Je n'avais pas suffisamment intégré qu'on est toujours fondamentalement seul. L'amour n'est qu'une fragile alliance, magnifique, mais de durée temporaire. Je t'aime, tu m'aime, on s'aime... tant que ça dure. Le "nous" ne se construit que conjointement, à égalité d'investissement.

Vision peut-être un peu cynique de l'amour, qui peut conduire à ne pas trop s'investir et rapidement désinvestir en cas de complication. Comment sait-on si ça vaut encore la peine de faire des efforts ?

C'est ça qui m'a été le plus difficile à accepter lorsque j'ai été privé de parole : mes efforts avaient été vains. J'ai trouvé la sentence terriblement injuste. Depuis des mois je tentais de comprendre ce que je devais faire, comment maintenir la confiance, et comment m'adapter à des désidératas imprécis. Je changeais. J'évoluais, dans un sens meilleur, me semblait-il. J'ai vraiment passé beaucoup d'énergie au maintien de cette relation dans des conditions difficiles et la "récompense" ressemblait à une sacrée punition : « puisque tu ne veux pas comprendre, alors je t'impose six mois de silence. Et on verra si on peut repartir sur quelque chose ».

La saine colère déclenchée par cette injustice m'a fait réagir très fort. Le message était clair, à défaut d'être clairement formulé. J'ai compris que j'avais accepté beaucoup trop à cause de la mal-communication qui s'était installée.
J'ai tenté de comprendre le sens profond de ce silence, lui trouver une origine plausible. Longue période de réflexion, de tristesse, de déception. Je suis resté durablement très contrarié. Les semaines sont passées.

Et puis tout d'un coup cette évidence, autour d'un mot: solidarité. Idée forte dans ma façon d'aimer et d'être aimé. Cette solidarité qui existe entre Charlotte et moi... et qui ne nous empêche pas de nous séparer. Relation non dénuée d'une certaine forme de protection.

Or qui protège en aimant ?

Les parents ! Amour parent-enfant. C'est ainsi, dans une solidarité poussée, que j'avais toujours aimé, et cru qu'on aimait. Erreur qui fût pourtant fatale au couple conjugal.

L'amour n'est pas la reproduction du lien parent enfant ! On n'est pas ensemble pour se protéger, mais pour s'aimer, se désirer mutuellement. Or... on ne désire pas ses parents. L'amour filial est tout sauf un amour désirant [en fait il l'est inconsciemment, et c'est l'impossible oedipien].

C'est devenu limpide.
Préparé depuis mes années de réflexion ici-même. Il me manquait cette pièce maîtresse, pourtant mise bien en évidence devant mes yeux.

Non seulement nathalie n'était pas tenue de rester solidaire, mais surtout moi je n'avais pas à le rester avec elle dans ces circonstances ! C'est ce qui me menait à l'égarement le plus total, nettement perceptible dans ce journal. Tout ce que je faisais pour aller vers elle, dans un élan de solidarité donnée et attendue, ne pouvait me mener qu'à la souffrance. Parce qu'elle n'était pas (ou plus) solidaire. Elle était elle-même, agissant pour elle.

Le "nous" n'existait plus.

En me "lâchant" une seconde fois elle m'a presque instantanément libéré de cette solidarité surannée. L'idée s'est imposée en quelques jours. J'ai attendu de voir si elle s'installait vraiment, et c'est bien le cas.

En acceptant l'idée qu'on s'aime avant d'aimer l'autre, donc que l'altruisme ne passe qu'après l'égoïsme (pour simplifier outrageusement), j'ai enfin pu penser d'abord à moi. C'est pour ça que je n'ai plus résisté, que je ne lui ai pas écrit.
J'ai aussi compris, en parallèle, que le désir de transparence menait à la folie. Notamment avec ce journal qui s'est révélé totalement inefficace comme palliatif de communications, mais aussi carrément néfaste par excès de sincérité.

La sincérité n'est pas un but en soi. Seulement un moyen à utiliser avec parcimonie, et seulement lorsque c'est nécessaire. Trop utilisé le dévoilement de soi perd son intérêt et sa préciosité. Il doit rester rare. Se vouloir "transparent" n'est qu'une façon d'entretenir un lien de dépendance et souvent une preuve de fragilité. Il n'y a qu'a ses parents que le petit enfant peut tout dire...

Je ne suis plus un enfant et je n'ai pas à faire porter sur les autres le poids de mes inquiétudes, impuissances, ou faiblesses. Et surtout lorsqu'ils (elles) sont concernés. Je n'ai pas à attendre d'être "protégé" de mes propres failles.

Si l'amour est bien douceur, il est aussi individualisme et même résistance contre cet autre qui pourrait manger ma liberté. Même l'être aimé est une menace contre mon territoire individuel. C'est à moi que je dois penser, avant de penser à l'autre.


Ma prise de conscience de tout cela est tout simplement révolutionnaire.





Mois d'Avril 2006