Octobre 2005

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Jamais en force


Mercredi 12 octobre


Ce n'est guère surprenant: c'est au moment où je m'interroge en profondeur sur les paradoxes de la communication (quand au lieu de lier elle sépare) et les différentes approches de la sincérité-franchise (auquel chacun donne une portée et un sens différents) que je ne m'exprime plus sur ce journal. C'est comme si les mots étaient devenus une langue étrangère, impropre à être comprise. L'expression de soi comme entreprise à risque, champ de mine, bombes à retardement. Prudence, presque méfiance.

Pour moi qui voyait dans la mise en contact des pensées une sorte de panacée aux conflits, la surprise est de taille... Ainsi, il ne suffit pas de vouloir communiquer, ni même d'adopter des méthodes censées favoriser la liberté de parole, pour que le résultat espéré soit obtenu. Il semble demeurer toujours des parts insaisissables. De l'incompréhensible, quelle que soit l'attention que l'on puisse y mettre.

Et pire: il semble que la volonté même d'expression et de transparence puisse agir de façon négative sur son objectif. Rechercher à tout prix la communication et la sincérité serait délétère, aussi absurde qu'un acharnement thérapeutique. Moyen d'approche et de liaison, mais pas but. L'expérience me montre que plus je cherche à communiquer pour rétablir des malentendus, plus ceux-ci s'accroissent. Au contraire, lorsque j'accepte qu'ils existent, que je ne crains pas de voir les effets de leur durée... la communication semble se rétablir d'elle-même.

Peut-être que là aussi le facteur temps est incontournable. Laisser mûrir les pensées, ne pas vouloir hâter ce qui demande réflexion intime. Ne pas craindre de voir se réaliser ce qui est redouté: incompréhension et éloignement.
En acceptant de "perdre" Charlotte, en cessant de vouloir maintenir un lien intenable, en lâchant prise, je l'ai retrouvée dans une relation pleine d'authenticité. Quelque chose de différent, mais pas moins riche ni moins fort. Au contraire. Mais il a fallu du temps pour cela...

En fait, j'aurais dû me souvenir qu'il ne faut jamais forcer les choses. Ce qui doit se faire se fera, et ce qui ne peut tenir lâchera. Quels que soient les efforts illusoires que l'on peut faire temporairement.








Le temps d'apprendre, le temps de comprendre



Jeudi 20 octobre


Mon ouverture vers les autres, chemin qui s'est peu à peu révélé comme étant une aspiration vitale, fonctionne et s'améliore. Moi qui n'avais pas d'amitiés vraies, de celles qui permettent les confidences, je sais maintenant que je peux compter sur des liens de confiance pluriels, renouvelés et a priori renouvelables. En fait, tout dépend de moi et de mon désir d'aller vers autrui... Il suffit que j'ai envie pour oser [ouais bon, ça peut paraître évident mais ça ne l'était pas pour moi, auparavant].
Ce qui fait que, quoique de plus en plus autonome, je ne me sens pas seul. C'est probablement ce qui me permet d'accepter sans angoisse majeure le célibat qui s'installe. Je suis plutôt bien avec moi-même. Même si euh... je ne me sens pas particulièrement attiré par la solitude amoureuse... 
Mais bon... chaque chose en son temps. Pour le moment j'ai suffisamment à gérer des suites de la désagrégation quasi-simultanée de mes deux relations de couple [ah ben tu l'avais bien cherché en ne décidant rien...]. En particulier celle en laquelle j'avais placé tant [trop ?] d'espoirs de renouveau...

C'est donc mon ex-relation conjugale qui, pour le moment, évolue le plus favorablement. L'écoute, la franchise du dialogue, le respect, sont devenus les maîtres-mots. Dans ces conditions il n'y a rien d'étonnant à ce qu'une harmonie nouvelle soit née, même en installant une certaine distance. Chacun tenant compte des aspirations de l'autre, les compromis finissent toujours par se trouver, du moment qu'on laisse aux choses le temps de prendre leur place. Que rien n'est forcé. Car laisser le temps c'est aussi une forme de respect, de soi et de l'autre...
Alors peu à peu les questions trouvent leurs réponses, les fulgurances s'affirment en évidences, le doute initial fait place aux certitudes durables. Ça semble couler de source. Conjointement. Se détacher ensemble, plutôt que séparément. Curieux paradoxe... [j'adore les paradoxes, vous avez remarqué ?]

Ça ne veut pas dire que tout est facile et sans jamais aucune tristesse. On ne se sépare pas d'un quart de siècle de partage symbiotique sans une remise en question totale, à la fois sur les choix de vie, les besoins affectifs, l'origine des complications, et les inquiétudes face à l'avenir. Mais dans une séparation harmonieuse il reste suffisamment de confiance pour que chacun puisse aller dans sa direction sans y ajouter le calvaire de l'incompréhension. Cet insupportable trou, ce vide noir qui envahit les pensées, qui rallonge et complexifie considérablement le chemin à parcourir en le déchirant de "pourquoi ?" [wow ! tant que ça ?]. Oui, tant que ça... Dans l'accompagnement réciproque vers l'autonomie de l'un et de l'autre je sais qu'il y a aussi une belle preuve d'amour. Du même ordre, sans doute, que celui de parents qui encouragent leur enfant à s'émanciper d'eux [hmm? relation parent-enfant ??]. Sans brutalité, en aidant à une prise d'autonomie affective, acceptée et... sans retour possible. Va, vis et deviens, comme le dit un titre de film. Obligés de se séparer, certes, mais dans le respect de la sensibilité et des fragilités. Dans l'évitement d'inutiles traumatismes. Il y en a déjà suffisamment d'inévitables... Viendra bien assez tôt le temps de souffrir du vide que créent les pertes, les renoncements, et la mort... Car, à l'évidence, pour moi tout se rapporte à cette peur fondamentale dont on ne se libère que par la violence de chocs plus ou moins anticipés.
Ainsi s'effectue donc la transition: passer d'une forme d'amour à une autre. Rester proches sans perdre l'essentiel: la confiance.


Cependant, l'incompréhension a probablement quelques vertus intéressantes [ah ouin ?]. Difficilement supportable, elle me contraint à chercher le sens de ce qui n'en a pas en apparence. Les "pourquoi ?" me permettent de découvrir des pistes multiples, de trouver des réponses provisoires, plausibles, envisageables. De supposer, supputer, imaginer, puis réfuter. Préciser, affiner, ou abandonner. « Pourquoi s'est-il passé ceci ? Qu'est-ce qui a fait que les choses se sont déroulées ainsi ? Pouvait-on l'éviter ? Comment ? »
Assurément le dialogue vrai peut accélérer ce processus exploratoire infiniment lent, mais si ce dialogue ne fonctionne pas... alors c'est probablement qu'il y a encore des choses à chercher isolément [positivons !]. En tâtonnant, en faisant des erreurs, en cherchant des solutions, j'apprend. Je donne du sens aux choses. Et je finis par comprendre. Ou du moins à avoir des réponses satisfaisant à mes questions. Tout cela demande du temps.

Je crois que j'ai souvent voulu aller trop vite. Dans les ruines de ma relation amoureuse désintégrée, dont je refusais obstinément la disparition, j'ai mis beaucoup de temps à comprendre qu'il ne servait à rien de vouloir la restaurer. Plus d'un an. Ma partenaire ex-complice avait choisi l'éloignement et j'ai dû finir par l'accepter [ben oui, rien d'autre à faire...]. Seul, je ne pouvais parvenir à rien [l'était temps que tu t'en rendes compte...]. Pire: mon acharnement à montrer que je ne lâchais pas allait finir par ressembler à un harcèlement. Oh non, surtout pas ça ! [oh la la non...]. Alors j'ai lâché prise, d'un coup. J'ai cessé ce qui était finalement une forme de pression, proportionnelle à la résistance opposée concomitamment, et me suis mis à distance [bieeeen...]. Cette fois c'est moi qui ai proposé le silence. Et enfin nous avons trouvé un point d'accord, non imposé cette fois, pour un temps sans aucun contact. Un temps défini et conjointement accepté. Ça change tout...

En supprimant mes initiatives inopportunes, j'ai aussi éteint toute forme d'attente. Je n'ai plus à montrer que je ne lâche pas puisque je l'ai surdémontré jusqu'à saturation. Je craignais beaucoup de cet étouffement des sentiments, mais de toutes façons ils n'avaient plus aucune place pour s'exprimer. Et pas le moindre retour... Mes élans, de plus en plus timides et apeurés, s'engluant à force d'être trop souvent coupés, en devenaient ridiculement pathétiques (ce que je hais...). Enfin prêt, j'ai choisi de les étouffer jusqu'à les enfouir profondément et voir comment les choses évolueront. J'ai pris le risque (ou la chance ?) du silence, dont je redoutais tant les effets. Finalement je n'ai plus peur de cette mise à l'épreuve. Ce qui doit se faire se fera.
Depuis, ma pensée chemine librement. Elle arpente des directions que je m'interdisais. En découle un éclairage nouveau, et sans doute une libération vers quelque chose de plus lucide et plus authentique. Assurément je ne suis plus le même [il fallait juste oser lâcher prise...].

Et je constate que ce long temps de questions sans réponses est une étape constructive. Certes c'est douloureux de ne pas comprendre depuis des mois, d'être contraint au silence sur ce qui pourrait me libérer, mais c'est aussi très instructif. Pendant ce temps je grandis, j'affermis mes convictions. Je deviens autre et vois les choses autrement. L'injustice criante du vide de l'incompréhension génère un bouillonnement d'idées propice à l'exploration. Et si je n'ai accès qu'à une seule moitié du tissage relationnel défait, la mienne, je peux quand même la compléter en fonction de ce que je comprends, ou crois comprendre, de l'autre moitié. Enquête sur des fragments éparpillés. Peu à peu les points d'interrogation se lèvent et donnent du sens. Je n'ai pas d'autre alternative pour en sortir. 

Sauf... celle d'accepter de ne pas comprendre.

C'est probablement la bonne pour ce "nous" suspendu à un fil devenu si ténu qu'il ne pouvait plus supporter la moindre contrainte. Mais je persiste à croire [têtu !] que tout ce qui demeurera incompris restera mal exploré, donc probable écueil caché pour la suite de nos existences respectives. Que ce soit avec ou sans l'autre. La franchise, ce n'est pas seulement dire, c'est aussi accepter d'écouter...









C'est peut-être une bonne chose...





Vendredi 21 octobre


Je lis fidèlement les Regards solitaires d'Eva depuis que je connais le diarisme en ligne (vous savez, ces ancètres des blogueurs). Bien souvent je me suis retrouvé dans sa façon de percevoir le monde, ou dans son rapport à l'écriture. Depuis quelques années nos parcours respectifs se sont croisés: elle est entrée en couple alors que j'en sortais. Le décalage en est devenu assez amusant puisqu'elle découvrait les plaisirs d'une vie partagée (ils sont nombreux) tandis que j'en décrivais les inconvénients (ils sont nombreux aussi...).

En lisant une de ses dernières mises en ligne j'en viens à apprécier les avantages de mon statut de semi-célibataire. Je ne partage plus avec ma future ex-épouse (f.e.é... fée ?) que les bons moments. Nous nous retrouvons assez souvent, mais peu longtemps. Un repas en commun de temps en temps, une conversation qui dure si elle est agréable, une soirée télé avec les enfants si un film me plaît, un petit réconfort à se prendre dans les bras parce que ça fait du bien. Pour le reste: chacun sa vie. Il est devenu rare que nous ayons à aborder des sujets lourds. Et comme le décrit Eva... il s'agit souvent de questions d'argent. L'argent et l'amour ne font pas bon ménage... D'une manière générale les contraintes matérielles sont assez peu aphrodisiaques.
D'ailleurs, c'est bien pour des questions d'argent (que je ne gagnais pas suffisamment) que le regard de Charlotte à mon égard était devenu nettement moins admiratif. L'obligation de se serrer la ceinture n'arrangeait rien... De là en a découlé ce moindre désir amoureux, et tout ce qui aura suivi. Ce ne fût pourtant qu'un des déclencheurs, révélateur de quelque chose de beaucoup plus ancien et profond.

Quoi qu'il en soit j'ai découvert depuis à quel point l'idée de liberté était attachée à l'argent. A l'indépendance que permet l'argent. Que ce serait-il passé si j'avais été financièrement autonome? Avec Charlotte ? Et avec nathalie ? Certainement tout autre chose. Aurait-ce été une bonne chose... ça, je ne le saurai jamais. Mais je crois que rien ne se fait au hasard...

Maintenant je ne me vois absolument plus partager le quotidien permanent d'une femme (ni d'un homme d'ailleurs). J'y vois trop de risques de perdre la flamme qui... euh... reviendra peut-être un jour m'animer. Je ne sais plus vraiment quelle est ma vision de l'amour, mais je sais ce dont je ne veux plus. J'ignore totalement comment il pourra de nouveau prendre place dans ma vie, et de quelle façon j'aurais envie de le vivre. Je crois que je suis devenu très... méfiant prudent.
Après ce qu'il me faut bien accepter de voir comme un magistral échec, ma relation avec nathalie, il est certain que je ne suis plus prêt à aimer de la même façon. J'emploie le terme "échec", mais pas dans un sens négatif: j'ai énormément appris de cet échec. C'est l'échec constructif, l'expérience, qui donne envie de recommencer pour faire mieux. Et si je regrette quelque chose, c'est uniquement de n'avoir pas trouvé avec elle comment poursuivre de façon agréable et épanouissante pour nous deux. Y aura t-il une seconde chance ? A voir...

J'ai toujours envie d'aimer, d'être amoureux, de désirer, de partager quelque chose de fort avec... qui le désirera simultanément. Un jour mon coeur meurtri en sera de nouveau capable, parce que j'aurais tourné la page... si elle doit l'être. Les hasards de la vie me mettront peut-être face à un coeur prêt à s'ouvrir. Mais je crois que jamais plus je ne rechercherai une communion étroite, jamais plus je ne chercherai cette "osmose" durable dont la perte est bien trop atrocement douloureuse. Il me faudra rester vigilant...
Mes désillusions auront été terribles (mais salutaires, bien sûr). Je cherchais un leurre, un paradis originel qui n'existera jamais plus. Le temps de la fusion est passé depuis que je suis sorti du ventre de ma mère... Seuls des moments de partage intense peuvent exister, mais ne durent pas. Ne doivent pas durer sous peine de souffrir de leur fin. Sous peine de craindre leur perte et en souffrir. Le bonheur n'est qu'au présent, dans l'instant. Ephémère et fragile. Ici et maintenant.

Je ne suis pas du tout triste d'avoir compris tout cela. Au contraire je suis heureux d'avoir atteint ce degré de conscience. Je préfèrerai toujours la lucidité. Ma naïveté n'a le droit d'exister que tant que je suis ignorant. J'aime ma candeur, mon idéalisme, l'optimisme de certaines de mes idées... mais pas au point de m'y accrocher. Lorsque je sais, je change. Même s'il faut du temps...

Voila où j'en suis désormais. Et quelle que fût ma douleur et sa durée je ne peux que me réjouir d'en être arrivé là. Je me sens infiniment plus libre et maître de moi-même.



La semaine dernière je disais à ma psy que j'avais été tellement affecté par la dégradation de ma relation avec nathalie que jamais plus je ne pourrai aimer de la même façon. Ajoutant en hésitant que... c'était peut-être une bonne chose.

Elle a répété en souriant, l'air entendu: « c'est peut-être une bonne chose !»







Le tour de la question





Dimanche 23 octobre


Ah ben t'as encore parlé de cette histoire amoureuse ?

Gnêêêh ?

T'avais dit que tu n'en parlerais plus sur ce journal.

Ouais, ouais, je sais...

T'as craquéeuh, t'as craquéeuh...

Oh ta gueule !

Et que je me plains de rien comprendre, et que je raconte ma tristesse, et que je me gargarise de mes avancées, et que j'utilise des superlatifs grandiloquents... Tu crois pas qu'il est temps de tourner la page ? Un an que ça dure ces jérémiades.

Oui ben justement, c'est bien pour ça que j'en parle. Pour passer à autre chose.

En en parlant ? En y pensant ?

Meuh... j'y pense pas tant que ça. Mais bon... il y a des moments ou ça me travaille un peu plus. Tiens, justement parce que ça avance, parce que je comprend ou assimile des trucs! Alors j'écris... ça m'aide à passer le cap.

Vouais... mais quand tu écris, quand tu te laisses aller à y penser, ça te travaille encore plus.

Pfff, c'est bien ce que je constate. Fait chier...

Alors laisse tomber ! T'as autre chose à vivre. Là c'est ter-mi-né ! Y'a plus d'espoir.

Ben euh...

Nan, tu le sais bien. Tout te montre ce que tu sais bien depuis longtemps.

Pfff, fait chier.

Oui, mais c'est comme ça. Tu dois ac-cep-ter. Pas seulement en mots, mais en plein.

J'accepte... ça rentre peu à peu.

T'es un grand garçon maintenant.

Pas autant que je le voudrais.

Raison de plus pour agir comme si tu l'étais: tu le deviendras.

Ouais mais quand même c'est dur ce que je vis.

Oooooh, pôv'choupinet... T'as essayé un truc hypercompliqué, ça a pas marché... y'a pas de quoi en faire un drame.

Ouais mais quand même c'est pas facile.

Ben oui, mais c'est comme ça. C'est pas en te lamentant que ça sera plus facile. T'as appris plein de choses, tu as vécu de très bons moments, c'est-y pas super ?

Ah ben si ! Justement, j'aurais voulu qu...

Tsss, t'as eu des moments excellents, c'est ce qui compte. T'as découvert qui tu étais et ce que tu avais envie de vivre. C'est un cadeau de vie inestimable. Et tu as su le saisir.

Oui mais...

Mais t'es chiant ! Qu'est-ce que tu voulais de plus ? Que ça dure toute la vie ?

Oui... euh non... euh j'en sais rien. Mais pas que ça se termine.

Hé hé... ça veut dire durer, ça...

Oui, je voulais qu'au moins l'amitié et la complicité durent.

Aaaah... mais y'a l'amour qu'est entré en jeu ! Et ça complique tout.

Je savais pas.

Ben maintenant tu sais ! Une expérience de plus, youpiii !

Grmbllll... oui mais quand même, c'est cher payé.

A toi de voir ce que tu veux. Personne ne t'obligeait à poursuivre. T'aurais pu tirer un trait.

Ah ben non alors !

T'as voulu tout avoir... et t'as perdu ce à quoi tu tenais. C'est comme ça, c'était prévu, on te l'avait bien dit.

Je sais, je sais... Je me suis cru plus malin. Je nous croyais plus forts.

Hé hé, ta fameuse "foi" en vous.

Ben oui.

La foi est aveugle, c'est bien connu. La foi n'encourage pas à se poser les questions de fond.

Bfff...

Et puis arrête de voir ce que tu as perdu: tu as surtout gagné de la liberté, de la connaissance, de la maturité. Et des souvenirs inoxydables.

Oui mais bon...

Allez, tu vas t'en sortir. T'as compris des tas de choses maintenant. T'es devenu bien plus fort.

Ben... pas tant que ça. La preuve.

Meuhnon, tes lamentations ce sont juste de mauvaises habitudes de victime qui persistent encore, mais ça va disparaître parce que tu le sais. Question de temps.

Elles m'énervent ces habitudes...

Il ne tient qu'à toi de les faire disparaître.

Pas facile...

A toi de voir.

Tellement de choses que je n'ai pas comprises...

A toi de voir si c'est si important de les comprendre. Faut savoir ce que tu veux: quémander des réponses qui ne viendront pas, ou prendre ce qui t'es donné.

Mgnnn, ben c'est pas beaucoup.

Pas beaucoup... ou pas assez pour toi ?

Mfmgrrgnnn...

C'est ça ou rien. A prendre ou à laisser. Avant de tomber amoureux, tu appréciais beaucoup vos échanges, non ? Souviens-toi: à trop vouloir on peut tout perdre. Est-ce ce que tu veux ?

Non, ça serait dommage. Ça couperait tout.

Ouais, ça serait dommage.

Je tiens à ce lien. Et tant pis s'il est différent de ce qu'il a pu être.

Alors il faut accepter vraiment que ce soit différent. Pas seulement en mots.

Oui, oui, je sais. Faut que je continue à travailler là dessus. Repartir à zéro, comme elle m'a dit il y a un an. Autrement.

Ben oui, ce que tu ressens maintenant elle l'a vécu il y a un an. Vous avez un an de décalage.

Chouette... c'est bon signe si on se retrouve au même niveau maintenant.

Tsss, t'en sais rien du tout! Depuis un an elle a aussi cheminé.

Eh ben je verrais bien. De toutes façons, je n'ai plus que ça à faire. Je ne baisserai les bras que vaincu. Là je ne suis que euh... découragé... enfin... j'sais plus trop... faut plus que j'espère.

T'as trop forcé, et n'importe comment. T'as pas voulu entendre ce qu'elle te disait d'elle.

J'étais pas prêt. Je connais pas tout ça, moi. Jamais vécu de séparation. Novice en la matière.

Hé hé, ben t'auras encore appris ça, c'est cool !

Je m'en serais bien passé.

C'est la vie. Se séparer pour grandir. Tu n'as qu'à t'inspirer de ta séparation d'avec Charlotte: changer de façon d'aimer sans tout casser...

Je pensais pas en arriver là un jour avec nathalie...

La vie est pleine de surprises ! Souviens toi, elle te disait « rien n'est jamais acquis ».

Je m'en souviens très bien. Faut croire que j'y croyais pas vraiment...

Elle, elle savait.

Elle savait plein de choses. C'est bien pour ça que je suivais souvent aveuglément ce qu'elle me disait. C'est aussi pour ça que je m'y suis perdu, parce que je ne m'écoutais plus assez. C'est même au coeur de notre problématique tout ça: puisque je pensais qu'elle savait, et moi pas, je suivais. Je me suis laissé guider, je lui ai donné et laissé prendre une place d'ascendence sur moi. Et ça, c'est fatal.

Yep, nouvelle expérience à incorporer à la base de données.

Je manquais de confiance en moi...

Fatal aussi.

Il en découlait souvent un manque de spontanéité.

Rédhibitoire !

Oui mais faut dire qu'elle mettait vachement d'obstacles en n'admettant guère les dysfonctionnements!

T'étais pas obligé d'accepter son mode de fonctionnement.

Euh... elle se mettait en colère si j'insistais.

Et alors ?

Ben ça me faisait peur.

Pôv' bébé...

J'osais pas parce qu'elle devenait menaçante et que je sentais se manifester de sa part un défaitisme qui m'inquiétait. Comme si pour elle il était évident qu'on n'y arriverait pas. Du coup je ne pouvais pas parler de ce qui n'allait pas pour moi.

T'aurais du insister, affirmer tes points de vue, te positionner. Te montrer solide.

Fallait être vachement fort pour aimer une femme aussi exigeante en matière relationnelle. Pour moi c'était un sacré défi. Je pensais que je parviendrais à me corriger suffisamment vite. J'ai énormément appris... mais je n'étais pas assez aguerri pour tenir sur la longueur.

L'essentiel c'est que tu aies appris.

Ah oui, j'ai une bonne expérience maintenant !

Oui... mais liée à cette seule histoire. Or elles sont toutes différentes.

Les femmes ?

Non, les histoires. Mais les femmes aussi.

Je sais pas si je pourrais aimer de nouveau...

Mais si, mais si. Comme tout le monde !

Je ne sais pas quand.

Quand tu seras prêt.

J'ai pas envie pour le moment.

Normal, faut que tu laisses passer du temps, que t'oublies.


Je pourrais pas oublier nathalie.

Tu ne l'oublieras pas, mais tu rencontreras certainement d'autres personnalités attachantes.

Je sais pas si elles feront le poids...

Ooooh, mais tu l'idéalises, là !

Non... c'est plutôt de... l'estime.

Pareil !

Non... j'estime et respecte son chemin de vie. Et puis j'aime son mode de pensée... euh... quand elle va bien. Non: quand elle se sent en confiance. C'est à ces moments là que je me sentais "complice".

A toi de faire en sorte qu'elle retrouve cette confiance avec toi...

Hmmm... ça va être difficile après tout ce qui s'est passé.

Y'a rien qui presse... Garde le meilleur précieusement dans un coin de ta tête. Ce que vous avez partagé ça vaut de l'or. C'est comme pour Charlotte: tu aimes toujours ce que vous avez partagé de beau ensemble. Ce sont ces souvenirs qu'ils ne faut pas gâcher dans des moches disputes. Même si l'amour s'en va... il demeure. Tu le sais bien. Amour et état amoureux sont bien différents.


Je sais que nathalie tient quand même à moi. Sinon elle aurait disparu.

Elle s'est protégée, et c'est bien normal.

Tout ça m'attriste. Quel gâchis...

C'est parce que tu regardes ce qui n'est plus. Le côté sombre. N'oublie-pas la face lumineuse. Tu sais bien qu'au fond elle existe toujours quelque part, celle que tu as aimé. Même si elle ne t'es plus vraiment accessible.

Oui, j'en suis certain.

Ben voila, t'as fait le tour de la question.









Hep... t'as remarqué que je t'ai influencé ? T'es beaucoup moins résigné sur la fin de la conversation.

Euh... ah ben oui, c'est vrai ça. Meeerde. Salopard, tu m'as bien eu !

Hé hé, ça part pas comme ça l'espoir. Malgré toi t'y crois toujours autant que moi.

Oh merde, ta gueule. D'abord j'y crois plus de la même façon. Et puis y croire c'est pas comme avoir ta *foi* et gna gna gna. Croire c'est pour atteindre un objectif réaliste et qui tient compte de l'autre... et savoir jusqu'où le faire. Savoir réduire ses ambitions si nécessaire. Ou même y renoncer.









Tu te rends compte de l'image que je donne ? C'est vraiment celle du gars qui lâche pas son idée fixe.

Ben... y'a de ça, non ?

C'est pathétique...

Ou rooOoomantiiiiiique hi hi hi

Aaah, déconne pas avec ça, c'est ridicule. Idées à la con.






Je vais bien





Jeudi 27 octobre


C'est important de le dire: je vais bien. Je me sens bien. De plus en plus souvent. Je retrouve au fil du temps mon état "normal". Non pas ma vie d'avant, puisque jamais plus je ne serai comme avant, mais disons... une vie équilibrée et (presque) remplie. Les tempêtes d'émotions, d'inquiétude, de tristesse, se sont espacées, atténuées, adoucies. La fréquence de leur retour diminue, de même que leur intensité. Un jour, sans doute bientôt, il n'y en aura plus.

Oh, c'était bien normal d'avoir réagi ainsi après ce qui s'est passé dans ma vie. Je ne pouvais pas rester zen face à quelque chose de quand même particulièrement douloureux à vivre. Mais finalement, je trouve que je m'en sors plutôt très bien. Certes ça a été assez long, et parfois la douleur a pu devenir obsessive, maladroite, déplacée. Mais bon... ça aussi c'était un apprentissage. Je n'avais jamais vécu de grand chagrin de toute mon existence, et je me suis laissé submerger par des émotions incontrôlées. J'y avais tellement cru à tout ça... J'avais tellement projeté ma vie vers cette évolution-révolution... avec elle. Oui, j'ai eu peur d'avoir tout perdu et j'ai cru que mon monde s'écroulait dans ce vide. En auront découlé pas mal de réactions désordonnées...

Mais bon, il s'est passé ce qui devait se passer et maintenant la vie continue, reprenant sur un autre mode. Je suis autre, changé, solidifié. Apaisé. J'ai grandi, et c'était probablement l'objectif inconscient de toute ma démarche. Il a fallu passer à la fois par le plus grand bonheur... et la détresse absolue de le croire perdu. Sans cela l'expérience aurait été incomplète. Maintenant je suis un grand garçon. Non: je suis un homme. Et je le suis devenu davantage encore grâce à cette épreuve. Alors dans le fond, je ne peux que m'en réjouir.

Parfois je me sens fort, sûr de moi, heureux de ce que je suis à l'intérieur. Je sais que... c'est plutôt du bon. J'aime alors ce que je suis. Je pense que je fais partie de ces gens qui croient que le meilleur est au fond de chaque humain et que le travail d'une vie est de le faire naître. Je sais que je suis heureux, parfaitement heureux, lorsque je me sens en paix avec moi-même et en harmonie avec les autres. Ce sentiment de plénitude, j'ai la conviction que c'est celui qu'il me faut viser. Je le lie d'ailleurs avec la mort, car c'est dans cet état que j'aimerais mourir. En paix avec moi et avec ceux qui m'entourent. Si l'idée de paradis existe, alors ce serait celui-là pour moi: mourir serein.




Pour le moment je n'ai évidemment pas cette sagesse. Ou... pas assez souvent. Je traîne tellement de casserolles de mon passé, de blessures mal cicatrisées. Je suis encore tellement souvent dans la souffrance, le déni de moi-même ou de l'autre. J'ai des peurs et elles me font réagir avec quelque violence (celle de la non-écoute) à l'égard de ceux qui m'entourent. Mais je connais l'objectif que je désire atteindre, et c'est l'essentiel. Cette conscience de ce que je suis et désire être, c'est avec ma complice d'autrefois que je l'ai découverte. C'est bien pour cela que l'enjeu était considérable... A tel point que je ne crois pas que je pouvais y parvenir en une seule fois. Il y avait une telle marche à franchir qu'il m'était impossible de le faire dans un temps réduit et sous diverses fortes contraintes. L'épreuve était, je le sais maintenant, inaccessible pour moi dans le délai que je me fixais. Le sentiment d'urgence m'aura été fatal.

Laisser le temps au temps... cette phrase fétiche, très précieux cadeau de mon amie Inès, il m'est souvent arrivé de l'oublier.

Alors maintenant je la fais de nouveau mienne. J'ai choisi de retrouver la paix intérieure en acceptant l'idée que tout changement demande du temps. En acceptant aussi que je ne pouvais pas changer certaines choses.






Au delà de la raison





Dimanche 30 octobre


Charlotte est partie.

Meuh non, ça n'a rien à voir avec notre histoire de couple. Ou du moins pas directement. Elle est partie pour une semaine dans un pays d'Afrique du nord, dans la famille d'une de ses collègues de travail devenue amie. C'est la première fois qu'elle part seule, aussi loin, et aussi longtemps sans moi ou nos enfants. Elle aura toute liberté de jouir de ce temps de vacances. Enfin femme libre plutôt que mère attentive...

Par culpabilité elle avait hésité, et je l'ai vivement encouragée à oser. Je sais à quel point un voyage choisi pour soi seul peut générer un sentiment inouï de liberté. Qu'elle le fasse me rend très heureux pour elle, qui ne l'aurait probablement même pas envisagé si nous avions été encore en couple.

Je l'ai accompagnée à l'aéroport et suis resté avec elle durant tout le temps qui sépare enregistrement et embarquement. Je la sentais un peu stressée et ma présence, nos discussions, l'ont rassurée.

Je ne pensais pas que de l'accompagner à l'aéroport de Lyon St Exupéry serait une épreuve, même si je savais que ça ne serait pas insignifiant. Car... c'est là que j'ai laissé partir nathalie, que j'ai vu son regard et son sourire la toute dernière fois. Hum...
Deux vies qui s'entrechoquent. Le présent et un passé à forte connotation émotionnelle qui me revient en plein coeur. Trop de souvenirs, à la fois doux et tristes, sont attachés à ce lieu. Je sentais encore la trace de cette présence disparue. Jusqu'au dernier coucou de la main, derrière les contrôles de police... à l'endroit précis où j'ai eu ces mêmes gestes avec nathalie. Son ultime regard...

Charlotte avait pressenti que revenir en ce lieu ne me laisserait pas insensible et m'en a fait part. Nous en avons brièvement parlé et je ne me suis pas attardé sur mes pensées. Pour moi la distinction a toujours été nette entre ces deux relations, même lorsque elles s'entrecroisent. Et à l'évidence mes réactions émotives avec chacune d'elle auront été différentes. Mais bon, l'enjeu de ces départs n'avait que peu de similitudes.

Heu... je ne m'attarde pas sur ce sujet. Les souvenirs les plus contradictoires affluent en masse et ça n'est pas bon pour mon moral.


Yeaaaah, la vie continue...
[c'est davantage une volonté qu'une conviction...]







Me voila typiquement devant une difficulté à exprimer ce que je ressens. Une part de moi est tentée se lancer dans le registre émotionnel tandis qu'une autre sait que c'est à éviter pour tout un tas de raisons. D'abord parce que ça ravive des souffrances, ensuite parce que ça me fait dévoiler des fragilités, et enfin parce que je ne veux plus aller dans ces zones-là sans précautions.

Alors j'écris, je réécris... puis je zappe.
Est-ce que je reste authentique pour autant ? Non, en évitant une part brûlante de la vérité. Oui en répondant à une injonction personnelle visant à la sérénité. Certains jours je suis hésitant entre ces différents états de conscience. L'envie de tout déballer, de me vider, de me purger de ce qui pèse encore lourd dans mon existence. Et en même temps le désir de dépasser tout cela. Quitter cet état, donc éviter de trop y laisser place. Ces derniers temps il y a souvent cette dualité en moi. Et tout particulièrement depuis que j'ai repris les commandes de ma vie. Depuis que j'ai choisi de prendre des décisions plutôt que de subir celles d'autrui. Et dans mes décisions, il y a eu celle de sortir d'une situation de souffrance.

Mes émotions c'est mon coté humain. Elles sont changeantes, parfois contraires, souvent excessives. Je les subis bien davantage que je ne les oriente. Ce sont elles qui fréquemment me dominent. Parfois je regrette de leur avoir laissé libre cours... et en même temps je me dis qu'il est inévitable que cela se produise. Je ne sais pas jusqu'où je peux les nier, ni si c'est souhaitable.

Cette autre façon de penser c'est la raison. Combat contre les émotions. Autrefois cette raison tendait à réfréner mes envies d'émancipation. Maintenant elle calme des excès inverses. Tout ceci demande et gaspille beaucoup d'énergie. Je suis en lutte permanente contre moi-même.

Il y a un troisième mode de réflexion, bien différent des deux autres. Il ne tient d'aucun des deux, ni de la volonté qui réprime, ni de l'inconscient qui domine. Je ne saurai précisément comment le nommer, mais il est de l'ordre du dépassement de soi. Quelque chose de très fort, qui échappe à ma volonté mais l'oriente. Je l'appelle "esprit", parce qu'il correspond à ce que je conçois comme étant la spiritualité. Quelque chose qui s'assimile à un appel, une certitude, et va dans le sens du meilleur de ce que je suis. Ce mode de pensée m'apporte la paix en me mettant en harmonie intérieure. C'est cette forme de certitude qui m'a permis de suivre mon chemin avec constance alors que la logique de la raison s'y opposait, de même que parfois celles avec qui je souhaitais le partager. Ce qui par ailleurs a souvent réussi à me déstabiliser, avant de renforcer mes convictions.

Par pudeur et crainte de n'être pas compris je m'abstiendrai d'évoquer en détail cet état. En quelques mots, il consiste à aimer l'autre quel que soit sa différence, et à m'aimer entièrement dans ma relation à l'autre. C'est cette force qui me permet d'accepter ce qui doit l'être tout en renonçant à ce qui me tient à coeur avec tout le discernement nécessaire. C'est à dire à ne renoncer qu'à ce qui doit l'être, tout en gardant intact ce qui le mérite. En faisant cela je me rapproche d'un état de sérénité.

Hélas bien souvent mes émotions envahissent mes pensées et obscurcissent la part la plus élevée que j'aimerais me voir atteindre. Mais je sais qu'avec le temps cela va en s'améliorant.








Mois de novembre 2005