Mai 2005

Dernière mise à jour - Accueil - Premier jour - Archives - Message



Circonstances




Mardi 3 mai


Puisqu'il a fallu passer par la séparation du couple que je formais avec Charlotte, j'ai tout fait pour que cela s'effectue en douceur. Évolution vers un nouveau rapport plutôt que rupture radicale, même si, au bout du compte, cela matérialisera bien une forme de rupture. J'y trouve mon compte, et Charlotte aussi, puisque nous nous soutenons, nous accompagnons dans cette étape majeure de notre existence. Je peux même dire que cette solidarité dans la séparation aura été une grande surprise. Nous nous sommes découverts autrement, en nous appréciant davantage. Sans que cela ne remette pourtant en question cette inéluctable séparation...

Ça peut paraître curieux de se "rapprocher" pour se séparer, mais ce n'est finalement pas étonnant puisque nous allons dans un même sens. Alors forcément... ça crée un nouveau lien.

Peut-on dire qu'il est plus facile de se séparer de cette façon? Ce serait une vision simpliste. Oui, c'est moins difficile parce qu'on atténue la douleur, qu'on se soutient, qu'on s'entraide. On évite la béance du vide. Mais le revers de la médaille c'est que cela dure beaucoup plus longtemps, avec maintien dans le bain doux et chaud que l'on sait devoir quitter. Vous savez, c'est comme de rester sous la douche bien chaude alors que la salle de bain paraît glaciale. C'est le piège du confort temporaire. Ben oui, quand on s'entend bien, c'est forcément difficile de se séparer... même si on sait qu'il le faut bien.

Alors régulièrement nous reprenons nos bases d'accord: poursuivre le processus de séparation en dissociant nos vies toujours davantage. Parce qu'autrement... nous nous laissons vite prendre dans nos habitudes anciennes. Et comme, par obligation, je suis souvent de passage chez Charlotte, et bien très naturellement elle m'invite à rester pour le repas. Ben oui... normal. Et puis on en a envie, surtout durant les périodes de vacances scolaires puisque la maison familiale retrouve alors une convivialité particulière.
Souvent nous bavardons longuement tous les deux... toujours pour en arriver au même constat. Nous entendant généralement très bien, il reste pourtant quelques sujets sensibles, notamment lorsqu'une idée de "trahison" est émise. Il faut alors décortiquer de nouveau pour que chacun exprime son ressenti et qu'il soit entendu et respecté par l'autre. Très enrichissant d'aller au fond des choses, et indispensable si on veut que la relation reste saine. Mais bon... tous ces échanges entretiennent le lien qu'ils sont censés séparer. Ça en devient paradoxal.

Il n'empêche que le processus se poursuit, pas après pas. En fait, intellectuellement nous sommes tous les deux prêts et convaincus. Mais pour ce qui est du passage à l'acte... il y a un réveil de peurs qui contrarient les idées. Peut-être surtout de ma part, d'ailleurs. Ce "saut dans le vide" m'effraie toujours...

Et pourtant, je sais bien que c'est à moi d'agir.


Aurait-ce été plus facile en d'autres circonstances? Certainement. Mais on ne choisit pas les circonstances...







De la graine au fruit



Mercredi 4 mai


S'il y a une chose que j'aurais apprise, et continue à perfectionner jour après jour, c'est à ne pas me projeter vers l'avenir. Mais vivre l'instant présent. Et laisser filer le passé sans chercher à le retenir. C'est une évidence, bien sûr, de ne pas se "prendre la tête" au sujet de ce qui ne peut pas être maîtrisé, mais c'est loin d'être spontané chez moi. Je n'y parviens qu'au prix d'un conditionnement mental renouvellé. Si je me laissais aller, je serais sans cesse en va et vient entre ce qui n'est plus et ce qui pourrait-être. Regrets ou craintes qui pourraient être terriblement anxiogènes.

Depuis plusieurs mois j'ai retrouvé une vie quasiment "normale" (si toutefois ce mot peut avoir un sens...). Je ne suis plus ni dans l'intensité euphorique des débuts relationnels, ni dans le désespoir de leur impossible suite. Je m'efforce de prendre les choses comme elles viennent. Il y a eu un apaisement progressif, fait de renoncements, d'acceptation, de mise en face de la réalité de la distance et de ses conséquences. J'ai dû me détacher d'un passé qui m'avait fait toucher le merveilleux, et ne plus pleurer l'impasse d'un avenir devenu impossible en l'état actuel des choses. Accepter ce qui est. Garder la mémoire d'un passé fertile et agir pour lever les obstacles qui bloquent un avenir souhaité. Mais toujours en gardant bien les pieds dans l'instant, puisque c'est le seul temps qui soit vraiment vécu. Ça semble tout simple, en théorie...

Et ça marche... si je regarde seulement la surface. Ça fait même une belle illusion puisque je m'y laisse prendre. Mais en fait, je suis en train de me rendre compte que ce travail constant masque une angoisse souterraine. Pire: je m'habitue à cette angoisse de fond, devenue presque invisible. Je vis avec. Elle m'accompagne sans que ne la perçoive vraiment. Et ça, c'est pas bon ! Je ne dois pas ignorer cette inquiétude, mais au contraire la mettre à jour pour en venir à bout. Oui, je suis anxieux. Parce que le temps passe et que je persiste à me sentir "responsable" d'une lenteur de mouvement. De fait je le suis, mais je ne dois surtout pas m'en culpabiliser. Je fais ce que je peux, au rythme de l'intégration profonde et de l'évolution de mon mode de pensée. Je ne peux ni ne dois accélerer les choses. Il faut du temps. C'est inévitable, incontournable, nécessaire. Je dois accepter ce temps, cette lenteur évolutive. Tout comme une graine met un certain temps à donner des fruits après avoir germé. Il faut une maturation, jour après jour.

Une fois de plus je réalise que je me mettais une forme de pression invisible, et que cela nuit à ma sérénité. Or c'est en paix que je veux vivre. Pas seulement comme un objectif lointain, mais aussi (et surtout) au présent. Je prépare certes un avenir, mais c'est maintenant que je vis. Il est essentiel que je m'en souvienne.







Racines




Vendredi 6 mai


Hier j'ai passé la journée sur le parvis d'un chateau. « Classé monument historique - Château XI - XVIIe », précisait la pancarte à l'entrée. Très chouette cadre, magnifiques tours anciennes coiffées de chapeaux pointus, architecture hetéroclite composée de rajouts successifs au fil des siècles, mais dans une belle harmonie d'ensemble. Je sais que ce batîment est dans la même famille depuis des générations. les propriétaires portent le nom du village, à moins que ce ne soit l'inverse. Bref, l'héritage s'ancre loin dans l'histoire.

Je pensais aux héritiers de ce genre de patrimoine familial et du poids dont ils sont chargés. Outre le fait que ça doit coûter très très cher d'entretenir de pareils bâtiments, même en ayant quelque fortune, je songeais surtout à l'aliénation que représente cette possession. Comment peut-on se sentir libre lorsqu'on hérite d'un tel passé? J'imagine, surtout dans ce genre de famille, si le propriétaire avait envie d'une autre vie. Partir... en vendant ce bien que des générations se sont fait un honneur de conserver et améliorer. Il me semble qu'on peut alors sentir le regard lourd de reproches de ces aïeux suspendus en peinture dans les escaliers. Une limite supplémentaire à dépasser...

Bon... je ne suis pas un de ces chatelains et mes possessions sont bien plus modestes. Je sens cependant qu'elles sont déjà un frein pour imaginer un avenir librement. J'ai bati des projets il y a quelques années, censés m'assurer une certaine stabilité et répondant à mes besoins d'alors. Maintenant j'ai cette sécurité... mais mes besoins ont évolué et elle est devenue une entrave à ma liberté. Normal: ce sont deux concepts diamétralement opposés. Lorsque j'ai imaginé de changer de vie, immédiatement s'est présentée cette limite. Elle n'est pas insurmontable, mais entraîne vers une réflexion poussée. Tout quitter ? s'affranchir de ses racines ? comment le vivrais-je ?

Toute évolution personnelle renvoie vers quantité de ce genre de réflexion. Chaque vie s'est construite en s'appuyant sur plusieurs bases d'appui que l'on pense fondatrices. Elles sont toutes reliées. L'assemblage est comme un échafaudage construit par ajouts successifs, dont on ne sait plus très bien sur quoi chaque élément prend appui. Alors pour chaque modification il faut vérifier que tout ne va pas s'écrouler d'un autre côté. Changer de vie c'est ça: aller vers quelque chose de meilleur tout en ne négligeant pas les bases indispensables. Ou alors on casse tout et on recommence... C'est plus rapide, plus efficace... mais pas forcément mieux. Ça manque peut-être de patine et d'authenticité. C'est un peu comme si on rasait ce vieux chateau pour contruire un batiment moderne et fonctionnel, assurément beaucoup plus performant. Mais quel en serait le sens ?

Je pense que j'ai un faible pour les vieilles pierres, une sorte de respect, même si je suis parfois impressionné par l'architecture moderne. Il y a dans la durée et l'histoire, l'adaptation au lieu et aux limites technologiques de l'époque quelque chose de propice à l'imaginaire. Une humilité aussi, due au rapport au temps: on perçoit mieux qu'on n'est que de passage. Les vieilles pierres, si on continue à les entretenir amoureusement tout en les adaptant par une évolution nécessaire, seront probablement encore là dans plusieurs siècles. Alors que le batiment moderne et fonctionnel aura peut-être été remplacé par d'autres, plus modernes et plus fonctionnels. Je n'aime pas faire table rase du passé. Je crois qu'on y perd une partie de son âme...



Oh... et puis est-ce ce cadre historique qui m'a inspiré ? Non, plutôt le temps dont j'ai disposé: le simple fait d'avoir écrit la veille que je devais accepter de ressentir une forme d'angoisse m'en a largement libéré. Au pied de ces tours fortifiées j'ai laissé venir et pu nommer précisement mes peurs. Je suis entré dans cette forteresse d'angoisses et cela lui a fait perdre beaucoup de son pouvoir. J'ai pu repréciser ce que le flou de mes peurs diluait. Depuis hier je vais très bien. Plus léger.







Victime par choix




Dimanche 8 mai


Parmi les grandes avancées de ces derniers mois, la prise de conscience de ma part de responsabilité dans ce qui m'arrive aura été une des plus prometteuses. C'est incroyable comme j'avais établi, depuis la sortie de l'enfance, un comportement de "victime" sans m'en rendre aucunement compte. Et tout aussi stupéfiant de réaliser à quel point cela orientait une existence dont... je souffrais sans vraiment le savoir. Ça me fait penser au titre, évocateur, d'un bouquin que je n'ai pas encore lu: «Victime des autres, bourreau de soi-même». Oui, c'est tout à fait ça. Ma vie de mal-être existentiel, c'est bien moi qui l'ai... acceptée [pour ne pas dire "choisie"]. Jusqu'à ce que, fort heureusement, je ne la supporte plus.

Booon, l'avantage de le savoir c'est que maintenant je suis ramené, à chaque flagrant délit de victimisation, à un peu plus d'humilité. Donc à un peu plus de sagesse puisque c'est une occasion de mieux me connaître. Tout cela est extrêmement positif. Toujours parce que cela me donne des moyens d'action pour en sortir. J'adore détecter ce genre de faille, parce que je sais en même temps que je vais enfin pouvoir "travailler" dessus. Et c'est là que je dois faire preuve d'indulgence en me donnant le temps de changer.


Hum... si je relisais ce journal je sais que je découvrirais, à chaque période de crise relationnelle, cette mise en position de pôôôv' victime de mes crè-crè-méchant(e)s partenaires. Je retrouverais aussi des montagnes de justifications plus ou moins valables [plutôt moins que plus...] visant à me disculper. Ben tiens, c'est tellement plus commode de rendre l'autre responsable de mon malheur ! Et puis beaucoup, beaucoup de bêtises (par ignorance) indicatrices de mes tâtonnements: j'ai pensé et écrit des choses que je ne pense plus. Notamment au sujet de mes deux relations d'intimité, avec lesquelles j'ai souvent été injuste. Parce que je ne me connaissais pas assez. Parce que je n'étais pas assez attentif à mes émotions et ressentis vrais, parce que je les refoulais. Parce que... j'attribuais les causes de mon mal-être à l'autre. Pouark... quel aveuglement sur soi !

Ce n'est qu'avec le recul que je mesure combien j'étais alors immature et en attente d'acceptation. Je le suis encore, mais en voie de guérison. Ce parcours évolutif impliquait forcément d'inévitables fausses-routes et impasses. Elles sont mêmes partie intégrante de la compréhension.
Je ne m'en culpabiliserai donc pas: erratique, ce cheminement était le seul que je pouvais faire, donc le bon. Je ne peux qu'être désolé d'avoir entraîné dans ces égarements les personnes qui croient en moi. Tout en gardant à l'esprit qu'elles aussi m'entraînaient dans leurs propres fragilités. Lorsqu'on avance ensemble dans une histoire intime, le comportement de chacun influe sur l'autre et c'est ainsi qu'on se construit mutuellement, pour le meilleur de chacun et de la relation. Le versant sombre de chacun, celui qui crée les crises, devant servir de repoussoir vers la lumière qui conduit à la compréhension de soi.


Ouais, ouais, je sais: bien souvent je ne fais que redécouvrir des règles universelles. Ce que j'intègre maintenant je l'avais lu dans des bouquins depuis longtemps. Je le savais, je l'avais quelque part dans la tête, mais ce n'était pas encore révélé. Compréhension latente, en attente d'intégration profonde.

D'ailleurs je cherche de moins en moins à consigner mes réflexions. Ça se passe beaucoup en interne, sans que je n'aie besoin de l'écrire pour m'en imprégner. Je crois qu'auparavant j'avais besoin de cette auto-persuasion en passant par l'écriture publique. Maintenant elle devient superflue.

Je ressens aussi beaucoup moins le besoin de me dire et de partager mes palpitantes découvertes sur l'individu absolument paaassssionnant que je suis. Je n'attends plus [hum... disons... beaucoup moins] ce regard rassurant de l'autre qui me démontre ainsi que je suis "intéressant" et digne d'être apprécié, aimé.

Vouais... je m'aime de plus en plus :o)








Coupable ?



Mardi 10 mai


Poursuite du regard retrospectif. Aujourd'hui la culpabilité.
C'est bien un truc de gamin, ça: se sentir coupable.

De quoi me suis-je senti "coupable" ? De tout, ou presque. Pour la période la plus récente ç'aura été de perturber l'équilibre mon couple conjugal et de déclencher une souffrance chez mon épouse (mais jamais d'aimer une autre femme...). Aussi de ne pas me sentir suffisamment libre pour aimer ailleurs, de ne pas évoluer assez vite, de ne pas savoir aimer, de ne pas suffisamment exprimer mes désirs, ou de trop les exprimer. Et puis coupable d'avoir des peurs multiples, de ne pas oser assez franchement. Et même, je me suis senti coupable... de me culpabiliser !

Bref: coupable d'être imparfait. Ou coupable de ne pas correspondre à l'idée que je me fais de l'attente des autres. Le truc à devenir dingue, quoi...

J'ai dépassé beaucoup de ces culpabilités. Et je crois que je suis en train de dépasser la notion même de culpabilité. Ça ne sera pas la moindre avancée ! Il est grand temps...

La dernière étape aura été cette "lenteur" évolutive que j'ai souvent évoquée. Ben non, je ne suis pas lent: je prends le temps qu'il me faut. Je n'ai pas à me sentir coupable de ce délai. Je fais comme je peux, comme je sens, et il n'y a aucune "norme" en la matière.
C'est moi, je suis fait ainsi, et dans les circonstances que je vis il me faut ce temps. Point final.







Bon... "point final", c'est la version officielle. Ici je peux développer un peu, c'est pour ça que j'écris.
Cette supposée "lenteur" ressentie à deux origines: d'abord le regard que j'attribue aux autres. Tant de temps pour évoluer, à répeter les mêmes choses, c'est pas "normal" [aarrrk ! quel concept débile !]. D'autres se décident beaucoup plus vite, se séparent en quelques jours ou semaines et tournent la page. D'autres ne se retiennent pas de vivre, n'ont pas peur de se lancer. D'autres ne seraient pas restés aussi longtemps dans une situation floue et inconfortable. Ben oui, mais ces autres sont dans une situation qui leur est propre, et moi je suis dans la mienne, qui est unique. Alors ce que font les autres peut m'intéresser, mais pas me servir de référence. Je peux m'inspirer de ce qui me semble bon dans leur parcours, mais sans adopter ce qui ne me correspond pas. Question de personnalité, de circonstances.

Ouais ouais, c'est évident, je sais... Mais de l'écrire c'est encore mieux. Là, que ça me rentre bien dans le crâne !

Deuxième origine: si je ne vais pas assez vite dans mon évolution, je risque de me retrouver tout seul. Ben voui... mais contre ça je ne peux rien. Je n'ai pas de pouvoir sur les réactions des autres. Je fais ce que je peux, à la vitesse optimale. Pas maximale, sinon je finis par mettre les machines en surchauffe, avec risque d'explosion. Non merci, je ne suis pas tenté, j'ai connu ça l'an dernier !
De toutes façons ce ne serait pas "moi". Je suis et demeure méticuleux et scrupuleux. J'ai besoin que ce qui me tient à coeur soit de qualité. Tendre à réduire les défauts cachés et les conséquences extérieures néfastes. J'ai assez triché avec moi-même, et donc avec les autres, en occultant des détails importants de mes besoins et désirs. Maintenant je veux du travail bien fait. Propre et net sous toutes ses faces. Donc, ça prend du temps. Le but n'est pas de finir vite-fait mal-fait le travail, mais de prendre plaisir dans l'élaboration même du projet de vie, sans qu'il ne nuise à autrui.

Parfaitement: ce que je vis à chaque instant doit être "bon". Je désire vivre le temps du cheminement sans me focaliser, anxieux, sur les étapes à franchir ou un hypothétique objectif final.

Depuis que j'accepte ce temps d'évolution (que tout au fond de moi j'ai toujours su être la bonne chose à faire), je me sens beaucoup mieux. C'est ma marque de fabrique, ma singularité. En prenant le temps de régler posément l'évolution de ma relation de couple j'ai retrouvé un équilibre et une paix intérieure... même si de l'autre coté... euh... bref, n'en parlons pas.

En fait j'ai simplement repris le travail dans un ordre cohérent: être libre avant de (re)partir à l'aventure. Libre dans la tête, libre affectivement, et indépendant financièrement: autonome.
Les hasards de la vie ont réveillé le désir de vivre avant que je ne sois suffisamment libre. C'était très bien comme stimulant, très concret: j'ai senti de tous mes sens et de toute mon âme ce qui existait en moi. Le possible. L'accessible. Maintenant à moi de continuer à me rendre disponible pour le vivre.

Sans aucune trace de culpabilité.








Responsable




Jeudi 12 mai


Faut pas croire: ma vie ne se résume pas à ce que j'écris ici. Je ne pense pas QUE à ce que je relate jour après jour [ouais, bon ok, parfois j'y pense quand même pas mal...]. Oui, oui, j'ai une vie ailleurs! Je ris, je me sens bien, de plus en plus libre acteur d'une vie forte pleine d'ouvertures possibles. Je jouis du temps qui passe au présent. Vie intérieure, mais vie relationelle aussi, ou projet d'évolution professionnelle qui prend de plus en plus corps. Idées de voyages, de grands changements. Tout semble envisageable...

Et puis hors du temps d'écriture, durant lequel je pose les mots qui précisent mes avancées dans la connaissance du "moi", je suis en prise directe avec la réalité terrestre. En contact avec la nature et les variations de l'éclosion de mi-printemps, dont je me repaît avec plaisir. C'est de la réalité bien vivante, sensitive et émotionnelle, quoiqu'elle encourage aisément à la contemplation. J'ai l'immense chance (voulue...) d'être au quotidien dans un lieu dont beaucoup rêveraient pour des vacances paisibles, loin de nombre des futilités de notre société.  
Je reste pourtant en lien avec ce qui se passe dans le monde (avec un épais filtre), même si je n'en parle presque jamais ici [c'est vrai ça, on pourrait croire que je suis enfermé dans une bulle narcissique...]. Ceci dit, j'ai peu de liens sociaux en face à face. Ça reste un manque que je n'ai encore pas su remplir.

Car... dois-je... puis-je... dire que, malgré le fait qu'elle ne quitte jamais mes pensées, et soit de temps en temps en contact avec moi, notre complicité d'autrefois me manque ? Oui, je le peux, puisque c'est ma réalité. Mon ressenti. Je ne dois pas l'occulter. Le sentiment d'absence demeure, un vide toujours au creux du coeur. La situation est ainsi et il me faut faire avec, quelle que soit la tristesse optimiste dans laquelle je l'accepte. Je trouve peu à peu des dérivatifs, d'autres centres de préoccupation et d'ouverture. Et j'assume ma part de responsabilité dans ce qui s'est passé.




Tiens, parlant de responsabilité... après la victime consentente, l'absence de coupable... il y a quand même bien un responsable de ce que je vis: moi. Évidemment. Ou co-responsable, pour être plus juste, puisqu'il s'agit de relations et qu'il faut être deux pour cela. Mais entièrement responsable du rôle que j'y joue, et libre d'y rester ou pas.

Ça aussi c'est une des grandes découvertes de la période tourmentée que j'ai vécue: me savoir être responsable de ma façon de vivre une situation. C'est bien différent que de se sentir "victime". Et ça aussi ça me semble être une évidence... maintenant que je le sais. Dans une relation, les bonheurs se vivent si deux personnes ont simultanément envie de les partager. Et s'il y a souffrance... alors c'est qu'il n'y a pas, ou plus, cette simultanéité. Que l'un des deux soit indisponible, absent, distant, devenu étranger; ou que l'autre soit trop disponible, omniprésent, envahissant, le malheur c'est lorsque l'autre n'est plus à l'autre bout de la relation comme on le désire. Que ce soit réel ou ressenti. Et là encore, chacun est responsable de ses ressentis, même s'ils prennent leur origine dans l'enfance lointaine.


Dans une relation ma part de responsabilité est d'être doublement attentif: donner à l'autre en écoutant ses désirs. Et savoir recevoir ce qu'il/elle m'offre, sans rien attendre. Puis me réjouir si ça fonctionne à deux, à cet instant là. S'il y a concordance. Et si ça ne fonctionne pas... et bien rien. Recommencer en restant disponible pour la prochaine opportunité, tant que le désir de rester en relation est là.
Je crois que quelqu'un a dit qu'on donne ce qu'on aimerait recevoir. C'est probablement assez juste... Le risque c'est qu'à trop "donner" de cette façon on peut finir par imposer. Créer un déséquilibre. On envahit l'autre. Et... on ne reçoit pas davantage. C'est parfois l'inverse de ce qu'on désire qui se produit. Dès lors, des forces d'éclatement fissurent la relation, avec responsabilités partagées. L'un en demandant plus que ce que l'autre peut donner, l'autre en donnant moins que ce dont le premier a besoin. Dans toute relation il y a ces forces de cohésion (alliance), et de décohésion (individualisme). Les secondes tendant à se manifester plus fortement dans le temps.

Chacun donne dans des domaines de prédilection, qui ne correspondent pas forcément à ceux de l'autre. Avec Charlotte nous étions frustrés tous les deux du fait que l'autre ne répondait pas à nos besoins fondamentaux. Maintenant, avec une dissociation accrue, un équilibre s'est rétabli; chacun prenant en compte les désirs de l'autre. Et la relation a retrouvé une cohésion.
Avec nathalie il m'a fallu beaucoup de temps pour comprendre que depuis longtemps je "donnais" trop de ma présence et d'attentions [hum... en vue d'obtenir une réciprocité]. Que je m'y épuisais tout en n'obtenant pas ce que je désirais. Là aussi un équilibre s'est peu à peu rétabli. Je m'efforce de le respecter en ne proposant pas plus qu'il ne faut. 

Tout cela demande une écoute attentive de l'autre et le respect de ce qui est exprimé plus ou moins implicitement. A égalité avec une expression de mes désirs profonds. N'oublier ni l'autre, ni soi, afin que perdure l'harmonie relationnelle. Ainsi chacun est à part égale co-responsable de la relation et de son évolution. C'est une notion importante à prendre en compte pour ne pas entrer en culpabilité. Personne ne donne "trop" ou "pas assez". Chacun selon sa vision propre, est co-responsable de l'évolution de la relation. Il n'y a ni victime, ni coupable.

L'évolution de chacune de mes relations ne tient donc que pour moitié de ma part. Je ne suis pas le seul initiateur dans la séparation de mon couple conjugal. Je ne le suis pas davantage dans la suspension du couple amoureux que je formais avec nathalie. Je désirais, dans chacune des relations, poursuivre en restant fidèle à ce que j'étais. Si ce que j'étais n'était pas acceptable pour mes partenaires, cela entre dans leur part de choix. Tout comme il est de ma part de responsabilité de n'avoir pas pu accepter leur façon de vivre la relation à un moment donné.
Pour être juste, il faudrait aussi ajouter une troisième part: les circonstances extérieures. Ce qui ne dépend d'aucun des partenaires. Comme... un océan entre deux aimants, par exemple. Et ça, il faut bien avouer que ça complique sérieusement les choses.


Tout cela ressemble fort à de la justification. Mais est aussi une réponse à certaines questions qui me sont posées par mail...



Pfff...avec tout ce que je dissèque, comprends, et intègre des rapports amoureux j'aurais bientôt de quoi écrire un bouquin...
Je crois qu'on appelle ça "expérience".



«L'expérience est une lanterne que l'on porte dans le dos: malheureusement elle n'éclaire que le chemin parcouru»








Dopé !



Vendredi 13 mai


Allez hop, après mon triptyque victime/coupable/responsable, je vais passer à autre chose. Y'en a un peu marre des problèmes existentiels, relationnels, personnels, vous ne trouvez pas? Moi oui. Alors zap !


L'évolution personnelle ne passe pas que par des crises de couple, hein? Y'a autre chose dans la vie. Le travail par exemple. Oui, une des conséquences de mon éveil à la vie épanouie aura été la remise en question de mon métier. Trois mois d'accompagnement qui m'on mené au bout d'un projet: transmettre mon savoir-faire et mes compétences. Bel objectif, non? Communiquer, entrer en relation, échanger, c'est exactement dans le sens de mes désirs.

Hier matin j'étais à Lyon pour préciser la formation individualisée que j'allais suivre. La dame m'a posé quelques questions, histoire de voir si j'avais une idée un peu aboutie. Elle a semblée tout à fait satisfaite, voire impressionnée par mon projet et son originalité, au point de convergeance de plusieurs disciplines, donc relativement "unique". Même surprise lorsqu'elle me demandait si je différenciais bien certains concepts pédagogiques. J'ai commencé par dire que c'était un peu flou pour moi, mais en quelques mots il semble que j'avais parfaitement cerné les différences, vu sa moue approbatrice. Bieeeen, ça fait plaisir. Satisfait aussi de l'entendre dire que je n'avais pas besoin de me former à communiquer, puisqu'il lui semblait évident que je n'avais pas de problème à ce sujet. Bieeeeeeen!

Comme quoi, je dois être un peu trop sévère avec moi et surdimensionner mes "problèmes". Les regards extérieurs semblent bien plus indulgents que je ne le suis. Bon à savoir...
Il est vrai que me me vois maintenant parler sans trop de timidité et capter aisément l'attention.

Tout cela me dope. Mon projet se matérialise, me motive, et me fait entrevoir de réelles possibilités d'accomplissement. Et si je réussissais ce que je désirais vraiment sans avoir jamais osé y croire? Ça serait plutôt pas mal, non? Il ne me reste plus qu'à me lancer à fond. Élaborer mon programme en détail, me faire connaître, et savoir "vendre" ce que je vais proposer. Du boulot sur la planche, que je commence à intensifier.



Réflexion annexe: pour ce rendez-vous je me suis trouvé arpendant les bureaux assez sinistres de fonctionnaires de l'éducation nationale. Sortant de ma cambrousse et de mon univers privilégié, je m'imaginais ce que peut être le travail dans ce cadre: toujours le même décor lugubre, les mêmes horaires, les mêmes collègues, les mêmes paperasses, la promiscuité et le bruit ambiant... Hmmm, pas enthousiasmant à première vue. Même si l'ambiance avait l'air plutôt très cool question boulot (ça semblait papoter plutôt travailler...). Mouais... je me disais que j'aurais quand même du mal si je devais un jour renoncer à ma liberté d'organisation, mon travail solitaire et silencieux, même si j'ai d'autres contraintes pas toujours faciles à gérer.








Question de vie ou de mort




Samedi 14 février


J'ai eu un petit down il y a quelques jours. Un court épisode régressif tristouille. Normal, je ne peux pas toujours être en phases d'amélioration constante. Mais ce qui est bien c'est que ces rechutes ne durent pas. Mieux: elles me revitalisent rapidement. Comme je connais maintenant très bien leur processus de fonctionnement, je peux intervenir et désamorcer l'affaire. En quelques heures, quelques jours au pire, tout est réglé et je poursuis ma route d'épanouissement. Et le changement intérieur reprend alors trop vite pour que je le consigne ici.

Fantastique, non ?
Yeaaah !


J'ai mieux compris que des "pulsions de mort" entravaient souvent mon chemin vers "l'élan vital". Ouh là, "de mort", rien que ça? C'est une image, un terme qui indique un sens de régression, de blocage, un empêchement de la libération. Ces deux pôles contraires nous animent, le premier empêchant l'épanouissement du second. Je ne vais pas répéter ce que disent bien mieux que moi des auteurs patentés, mais comprendre que ces "vieux démons" (pour employer une autre terminologie) nous pourissent la vie, tant qu'on ne les a pas domptés par une réflexion approfondie, est un grand pas. Pour ma part je détecte le mode "mortifère" lorsque je me sens triste, contrarié, blessé, déçu, fermé, mutique. Et le mode "vivant" lorsque j'ai un grand sourire dans la tête, une envie active d'avancer, un enthousiasme volubile, une légèreté de l'âme et les yeux qui pétillent. C'est évidemment ce sens que je souhaite donner à ma vie.

Bon... le problème c'est que mon pétillement d'oeil se heurte parfois aux froncement de sourcils des autres, qui ne partagent pas systématiquement mon enthousiasme. Ou pas la façon dont je l'énonce (la précision est importante...). Je me trouve alors face à leur "pulsion de mort", qui a souvent raison de mon "élan vital" en réveillant mes "vieux démons" («sois raisonnable, reviens à la réalité, c'est pas possible, arrête de rêver, tu n'y arriveras pas, etc...»). L'autre devient alors, sans que je ne le perçoive, comme un ennemi. Un coupe-élan. Un brise-désir. Il peut, sans le vouloir, étouffer ma vitalité et ma spontanéité dans ses propres peurs et limites. Et il se peut, selon le degré d'attachement que j'ai avec cet autre, que je me laisse alors contaminer parce que mes propres peurs profondes se réveillent: peur de décevoir, de ne plus être apprécié, et finalement peur de perdre un regard aimant dont j'ai besoin. Je me perds dans le regard de l'autre. Mes ennemis se confondent parfois avec mes plus proches, les personnes à qui je tiens le plus... mais c'est bien moi qui leur donne ce rôle castrateur.

Tout cela vient évidemment de mon enfance, et pourrait bien expliquer le fait que pendant très longtemps je n'ai pu, comme par hasard, contruire de véritable amitié. Trop méfiant...
Jusqu'il y a cinq ans, seule Charlotte avait été investie de tout, mais je vois où cela m'a mené aujourd'hui: dissociation (séparation) parce qu'impossibilité de nous épanouir librement dans un couple traditionnel, tendance unitaire.

Et c'est très bien comme ça ! Nous en sommes tous les deux convaincus désormais, sans désir aucun de revenir en arrière.



J'apprends donc à dissocier en chacun de mes proches leur part "vitalisante" et leur part "mortifère". Ne pas me laisser emporter vers leur côté sombre (la force obscuuuure...). Leur laisser cette part dans laquelle je n'ai aucun pouvoir de changement, et partager avec eux seulement leur face lumineuse, enjouée, pétillante. Prendre le meilleur et se préserver du pire. Ce n'est que comme ça qu'on peut se retrouver avec l'autre dans un élan commun et bâtir quelque chose d'épanouissant pour les deux. Se frotter à la face sombre de l'autre est un exercice périlleux, qui demande une bonne dose de confiance en soi. Il faut savoir établir des barrières mentales solides pour ne pas se laisser contaminer par le subtil poison de l'autre. Ça ne signifie pas que je laisse l'autre "dans sa merde" avec ses problèmes, mais que j'établis une limite de protection. Je peux écouter, aider, encourager l'autre dans ses difficultés (c'est le fondement même d'un lien de confiance...), mais sans entrer dans son jeu. Rester dans une distance de sécurité. Nous y parvenons très bien avec Charlotte, désormais. J'y parviens également de mieux en mieux avec mes parents, dont la puissance nocive a pu être très grande.

Au moment-même ou je prends conscience de tout ça j'ai des échanges intéressants avec une lectrice qui m'éclaire beaucoup sur ce côté sombre, qui peut parfois devenir destructeur et violent. Il y a quelques années j'avais été confronté a une telle personne avec qui s'était pourtant établi initialement une relation forte d'amitié intime sur fond de séduction. Elle avait tellement d'agressivité contre elle qu'elle finisait par détruire toutes les relations qui lui apportaient quelque chose de bon. Incapable de se fixer et de construire une relation durable. Comme si, malgré elle, il fallait qu'elle confirme bien qu'elle n'était pas "aimable", qu'on ne pouvait se lier à elle. Il y a des gens comme ça qui rejettent ceux qui veulent partager quelque chose avec gentillesse et confiance. Lorsqu'après une crise elle finissait par reprendre ses esprits, elle m'expliquait desespérée qu'elle ne pouvait rien contre cela. Que c'était plus fort qu'elle. Qu'il fallait qu'elle détruise ce qui lui faisait du bien. Elle passait ainsi de la plus grande douceur à un véritable sadisme... pour revenir en larmes en abandonnant toute défense. J'ai fini par la quitter définitivement, non sans l'avoir prévenue plusieurs fois: je n'avais pas la capacité de résister à autant de souffrance et d'agressivité. Quelques mois plus tard je l'ai recontactée et elle a feint d'à peine se souvenir de mon prénom... ultime perfidie. Il n'y eut jamais plus de suite et je ne le regrette pas.

Je me demande si ce n'est pas la gentillesse qui crée parfois un rejet d'autant plus violent: plus on est attentionné, compréhensif, tolérant, plus on sera agressé dans des moments de crise jusqu'à craquer... et ainsi confirmer le désir inconscient et mortifère de la personne: je ne peux pas être aimé. Ainsi, en étant toujours fidèle et présent dans une relation, en supportant trop les failles de l'autre, je me demande si je ne m'expose pas à une forme de violence, qui ne peut disparaitre que lorsque je mets mes limites en place.
Je retrouve là ma part de responsabilité: je n'ai pas à accepter que les névroses et sautes d'humeur de l'autre nuisent à mon équilibre. En étant trop "gentil" et compréhensif je nie mon existence propre, parce que pas assez attentif à mes ressentis et mes fragilités.

Trouver la juste distance entre la présence et la protection. Être toujours la personne sur qui compter sur le long terme, mais pas forcément disponible à tout instant. Pas tout supporter.



Bon, y'a aussi autre chose qui me saute à la figure en ce moment: les modes de communication amoureux et les incompréhensions qui peuvent en découler. Un truc qui m'a l'air vachement important. J'y reviendrai sans doute.



Pfiouuuu, mais y'a bien des choses à comprendre pour vivre sainement ses relations ! Et c'est pas fini...

Mais je persévère...







La grande brune




Dimanche 15 mai


La porte du théatre était fermée et nous ne savions pas comment entrer. Est alors arrivée une grande brune, mince, seule, dont la silhouette se dessinait sous le porche d'accès. Dès qu'elle fût juste à côté je fus frappé par la ressemblance. Même souplesse longiligne, même genre de regard, mobile et pénétrant, même expressivité du visage, mi-curieux mi-amusé et... même particularité du sourire. Il se dégageait d'elle une grâce de grand oiseau.

Durant le temps que nous avons cherché comment entrer, retournant dans la rue, puis revenant vers cette porte close, montant sur un mur pour voir si une autre issue était visible à l'intérieur, je ne pouvais détacher mon regard d'elle. Une spontanéité se dégageait qui la portait à s'exprimer aisément, surmontant une timidité tout juste perceptible. Mais surtout, il y avait cet air enjoué et étonné que lui donnaient ses grands yeux... bleu azur. A part cette couleur rare, il y avait vraiment trop de ressemblances pour me laisser insensible.

Et puis finalement la porte s'est ouverte et nous sommes entrés en silence, hésitant dans le noir. Le spectacle était commencé. Les premiers sièges disponibles furent les bons, il n'était plus temps de choisir des places.

Ce n'est que lorsque les lumières se sont rallumées pour l'entr'acte que j'ai constaté qu'elle s'était assise juste devant moi, par un curieux hasard. J'ai longuement observé ses cheveux fins qui lui tombaient sur les épaules. Je carressais son cou du regard, suivais la courbe de son dos d'une main imaginaire, effleurais sa taille cintrée dans une chemise. J'étais ailleurs...

Cela n'a pas échappé à Charlotte, qui était à côté de moi. «Qu'est-ce qu'il y a, tu as l'air triste?». Vivant un bonheur fugace de souvenirs qui affluaient en masse, de sensations presque tactiles, je n'imaginais pas que mes yeux vagues pouvaient refléter de la tristesse. Mais c'était certainement le cas. Je peux faire confiance à la perception de Charlotte. Les femmes ont cette intuition de l'imperceptible. J'ai eu beau répondre qu'au contraire j'étais réjoui, elle a compris vers où mes pensées me portaient. «C'est la salle de spectacle qui te rappelle quelqu'un d'outre Atlantique ?». Je ne lui ai pas précisé ce qui était touché en moi, acquiescant seulement sur l'origine de cette heureuse mélancolie.


Lorsque la seconde pièce fût jouée, je voyais dans la pénombre la délicieuse silhouette de la grande brune. L'envie de la toucher vraiment, de la prendre par la taille, de la serrer dans mes bras était si forte... j'avais presque l'impression que c'était possible. Souvent je l'entendais rire, fort, sans retenue. Pas du genre à se gêner dans l'expression. De la même façon que...

Durant le spectacle un couple d'amoureux apparaissait du fond de la salle, suivi par la lumière, dans une danse très subtile. Tous les regards se tournèrent vers leur duo de tendresse, porté par la musique. La femme caressait la joue de son homme avec infiniment de grâce, tournoyait autour de lui au ralenti. Puis il la portait dans ses bras avant de la déposer plus loin. A l'évidence ces deux-là étaient vraiment amoureux, hors du spectacle. Ils reprirent un pas de ballet devant la scène, puis leurs longues caresses et effleurements du visage. C'était à la fois émouvant et sensuel. Surtout en sachant que devant tout ce public ils rejouaient, en les sublimant, leurs ébats intimes.

A la fin du spectacle la grande brune s'est levée pour applaudir, très démonstrative dans sa joie. Toujours avec cette expressivité du corps, sans ostentation mais particulièrement sensible. Je ne pouvais soustraire ses formes de mes pensées, les transposant sur une autre. Et puis tout le monde s'est levé dans le brouhaha. Je suis allé rejoindre les amoureux du spectacle puisque ce sont eux que nous étions venu voir: mon grand fils et son amoureuse.

Je n'ai plus revu la grande silhouette au regard enjoué. Elle s'est eclipsée, laissant dans ma tête ce mélange de joie et de tristesse.







Plus difficile qu'on ne l'imagine




Jeudi 19 mai


Je reçois parfois des courriels de la part de lecteurs de passage (surtout lectrices, en fait), arrivant sur ce site par le biais de moteurs de recherche. Rares sont ceux qui m'écrivent, mais ceux qui sont suffisamment touchés m'expriment leur ressenti. Généralement pour me dire la similarité de leur démarche de réalisation de soi, et me faire part de l'aide que mes mots ont pu leur apporter. C'est tout le sens de la mise en public de mon parcours et cela m'encourage à poursuivre.

D'autres fois c'est pour me dire une souffrance à lire mon histoire, dont certains éléments leurs rappellent beaucoup trop celle qu'ils/elles vivent...
D'ailleurs je réalise à quel point le sujet des amours difficiles est préoccupant pour de nombreuses personnes lorsque je lis des mots-clé qu'ils ont saisi, tels que: « retrouver son couple aprés une rupture; perte du sentiment amoureux; il n'est plus amoureux; pardon trahisons conjugales; comment atténuer ma jalousie et reprendre confiance en moi; elle me témoigne de l'interet mais m'aime t-elle; je ne sais pas pourquoi ton éloignement me pèse lourd sur mon coeur mon amour; comment lui montrer que je tiens a elle; dépassement de la crise de couple; aliénation relationnelle couple; je sais pas si je dois divorcer; reprise de la vie de couple après s'être séparé; suradaptation en couple; mon mari m'aime mais a un problème personnel de mal être à régler avant de revenir; amour se saborder; je vais stopper notre amour... ». Je pourrai en citer bien davantage tant chacun aborde le sujet sous un angle personnel.


Il y a quelques jours j'ai reçu un message de ce genre, assez troublant, de la part d'une personne en grande détresse après le départ de son conjoint. Celui-ci manifestait le besoin de prendre du recul et venait de quitter le domicile commun. Cette lectrice, très affectée, me suggérait de faire une mise en garde à l'usage de ceux qui sont tentés par l'aventure de la découverte de soi et de signaler les ravages que cela peut faire chez leur partenaire.

Je vais aller plus loin, tout en ne pouvant entièrement repondre à son souhait: oui, aller vers soi est une aventure à la fois difficile pour celui qui s'y lance et particulièrement déstabilisante pour son partenaire amoureux. Surtout si l'amour demeure, car le désir de ne pas faire souffrir le conjoint complexifie considérablement le processus, quel que soit le "quittant" et le "quitté". Il faut alors non seulement avoir le courage d'être soi, démarche particulièrement longue et complexe, mais en plus rester "accompagnant" envers la personne qui se sent délaissée par quelqu'un qu'elle ne reconnaît plus. Lutter contre un sentiment de culpabilité à infliger une souffrance terrible à qui n'a rien demandé et «ne le méritait pas», selon un terme souvent employé. Et éventuellement résister à une forme de rejet face au sentiment d'abandon ou de trahison ressenti par cet autre.

De tout cela, je crois qu'on n'a pas une réelle conscience lorsque le désir de vivre pleinement se manifeste. On sous-estime les conséquences sur la relation.

Faudrait-il renoncer à la démarche ? Résolument non ! Mais bien se préparer au fait qu'elle sera bien plus difficile que ce qu'on croit. Parce qu'on ne maîtrise par les réactions de l'autre et que la soufffrance engendrée peut très sérieusement malmener la relation, qui n'y résistera pas forcément. Il y aura une telle violence psychique ressentie que des dérapages sont à craindre, de part et d'autre. Cela demandera beaucoup d'amour et d'écoute pour en réduire l'impact. D'une certaine façon, c'est comme s'il fallait de la force pour deux: pour soi, et pour accompagner l'autre. J'ai d'ailleurs souvent évoqué cet apparent paradoxe: se rapprocher pour mieux se dissocier (à moins que ce ne soit l'inverse...).
Quant au partenaire il a aussi un travail double à effectuer: supporter cet "abandon" et aimer pourtant l'autre jusque dans sa démarche d'émancipation. Pas facile... Beaucoup se laissent envahir par la souffrance et ne peuvent pas du tout accompagner celui qui a besoin d'évoluer. La rupture est alors violente, chacun ayant besoin de se préserver.



J'écris tout cela tout en me disant que ce genre de mise en garde est probablement inutile: elle ne peut servir qu'a posteriori, hélas. Juste pour se dire «on m'avait pourtant prévenu». Je me souviens très bien de cette correspondante régulière qui me disait que je m'engageais vers une démarche qui allait engendrer beaucoup de souffrance dans notre couple. Je n'y croyais pas trop, imaginant qu'un parcours similaire au mien pourrait être fait par mon épouse... Mais d'une part elle n'allait pas forcément faire le même, et d'autre part je n'en étais qu'au tout début et ignorais ce qui m'attendais. Cependant, quelle que soient les difficultés, je n'ai jamais regretté d'avoir opté pour cet itinéraire. Avais-je le droit d'y entraîner mon épouse, dont je découvre chaque jour combien elle a su, elle aussi, tirer profit? La réponse peut se discuter, mais je ne crois pas qu'elle le regrette. Je sais aussi que cela a pu relativement bien se passer parce que notre relation était saine auparavant. Frustrante parfois, mais globalement saine. Sans lourds griefs ni rancune accumulée. Chacun a pu rester présent et attentif. Je n'ai pas fui devant sa souffrance et j'ai enduré son besoin de distance affective. Et toujours cherché à maintenir un dialogue soutenu... qu'elle a accepté, et parfois initié lorsque c'est moi qui m'isolais dans ma douleur. Dialogue, cela signifie aussi remise en question acceptée de la part de chacun. Se responsabiliser, accepter d'entendre les manques de l'autre, ses souffrances. Et surtout les reconnaître. C'est essentiel.

Je suis persuadé qu'il y a tout à gagner dans le dialogue, lorsqu'on veut conserver des liens. C'est même indispensable. Voila pourquoi je ne suis pas un homme de ruptures. Je préfère la souplesse des évolutions lentes vers un nouvel état.

Il n'empêche que le même genre de remise en question, dans un couple moins solidaire, peut avoir des conséquences bien plus douloureuses que ce à quoi Charlotte et moi parvenons.


C'est un peu bizarre, mais je crois que pour bien se séparer, il faut beaucoup d'amour...







Les gènes d'Achille




Vendredi 20 mai


Elle était jeune couturière. Lui, Achille, était le fils de commerçants réputés dans la ville. J'ignore comment ils s'étaient connus, mais ils se sont suffisamment attirés pour qu'elle se retrouve enceinte. Leur histoire ne dura pas très longtemps car leur origine sociale compliquait les choses. Pas question que ce fils fortuné épouse une modeste ouvrière.

Était-ce Achille qui ne voulait pas, ou bien ses parents? Apparemment il hésitat longtemps. Peut-être ne se sentait-il pas sûr de lui? Peut-être n'osait-il pas défier les convenances? Il hésitat trop longtemps: sa belle finit par se lasser et décida pour lui.

Le bébé est né et fût reconnu par un autre père que celui qui l'avait engendré. Ce dernier paya quand même les frais de nourrice de ce fils qui ne porterait jamais son nom. Cela se passait il y a près d'un siècle. Le bébé était mon grand père.

Il n'a pas eu la vie facile avec sa mère décidée et autoritaire. Lui il était artiste dans l'âme, distrait, rêveur, mais elle lui interdisait d'exercer son art. Il a toujours obéi à sa mère, qu'il vénérait, et fît donc carrière dans des bureaux. Il n'eût vraiment la possibilité de dessiner que très loin d'elle, lorsqu'il fût prisonnier de guerre.

Je ne sais pas grand chose d'Achille, arrière grand-père de sang, si ce n'est son patronyme qui ne sera jamais inscrit sur mon arbre généalogique. J'ignore si sa famille, ses descendants, savent que quelque part d'autres descendants ont du sang d'Achille dans les veines. Et des gènes communs.

Ce qui est certain c'est que j'ai hérité d'une partie des gènes d'Achille l'indécis. Tout comme ma mère hésitante. Tout comme mon grand-père rêveur et artiste inaccompli. Du côté de mon père, toujours très organisé, ponctuel, anticipant tout et ne supportant pas le flou, il semble que nombre de gènes n'aient pas été transmis...



Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai une tendresse particulière pour cet Achille dont le chemin à croisé, peut-être seulement une nuit, celui de mon arrière grand-mère. Auraient-ils pensé que, cent ans plus tard, il resterait une trace de leur éphémère idylle?








Liens et pertes




Lundi 23 mai


J'étais en déplacement ces derniers jours et les longs trajets sont des moments que je mets à profit, laissant mes réflexions solitaires prendre le temps d'y vagabonder au gré de leurs envies. Tandis que mon itinéraire routier est connu d'avance, mes pensées choisissent librement leur destination. Entre autres, ces moments de solitude sont toujours l'occasion de faire le point de ma situation. Je me retrouve face à face avec moi-même, sans la présence proche de Charlotte qui, je le sais, influe sur ma sensibilité. La savoir tourmentée m'affecte toujours et, si je me laisse trop impressionner à son contact, ravive mes peurs qu'il me faut de nouveau affronter.

Toujours cette impossibilité de nous rencontrer sur un même chemin: ce qui est pour moi élan de vie correpond, si elle l'accceptait, à une pulsion de mort: un sacrifice. Et inversement. Nous aurions bien un désir d'aller l'un vers l'autre... mais plus sur le même chemin. Alors il nous faut bifurquer...

Régulièrement nous procédons à ce genre de réglage, ajustant la distance nécessaire pour que chacun se sente au mieux. Ni trop proches, ni trop éloignés. C'est parfois un peu douloureux pour l'autre lorsque l'un des deux demande d'augmenter la distance. Un épisode un peu froid s'installe, durant lequel celui à qui le recul est demandé ne sait plus trop quelle attitude avoir. Nous dansons ce tango depuis plus d'un an, même si l'amplitude de ses mouvements s'est considérablement atténuée.




Dans ma chambre d'hôtel j'ai regardé la télé. Pas grand chose d'autre à faire... Je suis tombé sur un documentaire en cours, particulièrement intense: celui d'un homme qui, se sachant atteint d'une maladie dégénérescente incurable, veut disparaitre avant de sombrer dans la souffrance et la déchéance. Conviction ancrée de longue date chez lui, qui a vu s'éteindre un parent de cette façon. Conviction qui ne me laisse pas insensible puisque depuis longtemps j'ai opté pour ne pas vivre cette déchéance si cela devait advenir.
Au fil du temps on suivait donc cet homme et le verdict d'évolution de sa maladie encéphalique. Il avait une détermination infaillible et un calme surprenant, tout à fait lucide sur son état. Il en parlait avec une parfaite maitrise de soi, espérant simplement que l'échéance serait la plus lointaine possible. La proximité qu'il avait avec sa compagne était émouvante, tant leurs gestes, leurs paroles et leurs regards, étaient marqués de tendresse et d'amour.
Lorsqu'à l'issue d'un nouvel examen il s'avéra que les médicaments utilisés étaient sans effet et que la tumeur continuait son expansion, il a regardé bien en face les choses qu'il savait: l'échéance serait toute proche puisqu'il lui fallait agir rapidement, avant de risquer toute détérioration qui le priverait de ses moyens. En effet, la législation suisse prévoit que seul le "suicidant" peut s'administrer la mort médicalement assistée. Il posa quelques questions précises au médecin qui lui répondit sans détours, et en quelques instants cet homme décidait ainsi du temps qu'il lui restait à vivre: trois semaines.

Décider de sa mort...
Je n'avais pas poussé ma réflexion assez loin lorsque j'envisageais imprécisément la chose, vue de loin. Décider de l'échéance et initier ainsi un compte à rebours ne doit pas être une décision facile à prendre... Savoir que chaque jour rapproche d'une fin décidée, vivre chaque instant avec la saveur bien particulière du décompte. D'ailleurs, les propos de cet homme faisaient réfléchir au sens de la vie et à la futilité de bien des choses.

Plus tard le reportage le suivait à la veille de la date choisie. Il parlait très calmement, même si une certaine crainte était perceptible. Crainte de ne pas pouvoir agir à temps plutôt que de mourir, m'a t-il semblé. Une dernière fête réunissait ses proches, comme s'il allait partir dans quelque pays lointain. Il plaisantait, était presque rassurant vis à vis de ses amis, quand même perplexes et incrédules en le voyant là, apparemment si "vivant". Rien ne paraissait de son état. Et lui savourait ses derniers moments avec un certain sourire, s'offrant l'ultime plaisir de trois gros cigares.

Le lendemain, entouré de quelques proches, le silence s'était fait. Tout les mots avaient été dits depuis plusieurs jours. Quelques échanges de propos anodins, ou utilitaires (où a t-il mis les clefs de la voiture?). Les minutes qui restent passent dans un mutisme lourd de sens, quand plus aucun mot n'est nécessaire et que chacun sait ce qui va se passer dans si peu de temps.

L'homme avait demandé les dernières précisions sur le déroulement de l'endormissement définitif, afin d'être bien rassuré sur sa fin. Il semblait être très conscient et apaisé. Le plus possible avant un tel saut dans le néant. Jusqu'à la dernière seconde il pouvait changer d'avis. Il absorba le breuvage sans hésiter, puis s'installa dans son lit. Il échangea encore quelques minutes avec sa compagne. Il se disait «être bien», et le répéta plusieurs fois, visiblement satisfait de la façon dont cela se déroulait. Et de fait il paraissait serein. Le débit de ses mots ralentit rapidement, tandis que sa compagne l'entourait d'affection en lui parlant. Un grand baillement de fatigue, les yeux qui se ferment comme pour dormir. Peut-être entendit-il encore quelques secondes les murmures à son oreille...

La caméra était là et ne cessa pas de capter ces instants. Moment assez intense qui me renvoyait à ma propre mort, mais aussi à mes proches. Car si seul son point de vue était entendu, je ne pouvais m'empêcher de penser à sa compagne qui l'accompagnait tout au long de ses dernières semaines. Ce serait bien elle qui, brutalement, allait devoir faire face à l'absence.

Ce que j'ai trouvé très positif dans cette mort choisie était qu'elle donnait le temps de faire ses adieux à la vie, et d'aller très en profondeur dans les liens affectifs. L'essentiel. La démarche avait toutefois un côté très individualiste: c'est cet homme qui choisissait de disparaître ainsi, et l'avis de ses proches semblait ne pas influer. Il décidait pour lui, ce qui est à la fois tout à fait normal... et... peut-être un peu... égoïste. Je n'ai pu me défaire de cette pensée dérangeante. En effet, à qui fait-il du bien? A lui, en s'évitant de donner une image dégénérative? A ses proches, en les préservant de ce spectacle?

D'un autre côté, s'il devait lui-même s'administrer la substance mortelle, il lui fallait le faire alors qu'il était en pleine validité...
Et puis les proches, aussi affectés qu'ils soient, restent bien vivants, eux. C'est leur propre rapport à la perte qui est sensibilisé, leur propre peur de la mort. Vouloir retenir le candidat à l'euthanasie volontaire serait aussi un acte d'égoïsme...
Les liens ne sont-ils pas des palliatifs temporaires à la grande angoisse de la mort et de l'absolue solitude dans laquelle on se retrouvera au moment du passage ?

J'avoue que j'ai été assez touché par ce reportage (pour ça que j'en parle longuement, hein...) et vivement intéressé par les questions qu'il pose. Je crois que quelques graines ont été semées dans ma réflexion. Il est important qu'elles le soient tôt pour germer lorsqu'il le faudra.



Et puis... je dois dire que la situation un peu particulière que je vis, alors que l'expression "les plus proches" prend un sens surréaliste et que je double certains liens affectifs prépondérants, à de quoi me faire cogiter un peu différemment d'autrefois.
Ce n'est pas la première fois que je réfléchis à ça...


Car si chaque lien qui se crée est une ouverture à la vie, il initie aussi une nouvelle perte à venir.







Oui ou non?




Jeudi 26 mai


Lorsque je vote je fais toujours partie de minorités. Je n'ai jamais suivi les grands partis politiques. Pour le fameux référendum qui approche je ne fais pas exception puisque je me situe dans la catégorie des indécis. Ce qui n'est guère étonnant pour le pétri d'intangibles certitudes que je suis...

Au départ, par évidence, j'aurais voté oui. Parce que je suis pour l'Europe, et que je vois là une grande idée d'union et de solidarité. Dire non était pour moi le signe des adeptes du repli sur soi. Et puis peu à peu j'ai entendu ces voix discordantes, qui interpellaient mes convictions mal étayées. Qui présentaient les choses sous un autre angle. Mais j'ai aussi continué à entendre les voix officielles omniprésentes, celles des médias, celles de "l'évidence". Alors depuis pas mal de temps, oscillant entre le oui et le non, je ne sais plus où j'en suis. Si j'observe les partisans de l'une ou de l'autre option, hommes ou femmes politiques pour lesquels j'ai une quelconque estime, je ne suis pas plus avancé.


Parce que l'idée d'Europe me plaît, que nombre d'idées inscrites dans cette constitutions semblent être des avancées significatives, alors j'ai envie de voter oui.
Le fait que l'extrême droite vote non ne peut que renforcer ce choix...

Mais... parce que:
Les "élites" autoproclamées et indéboulonnables votent massivement oui
Les partisans de l'économie libérale votent oui
Les grands patrons votent oui
Les adeptes de la langue de bois et de la démagogie votent oui

J'ai pas envie de voter ce oui


Aussi parce que:
Les tenants du non sont pris pour des demeurés ou des farfelus irresponsables
Le seul vote raisonnable serait le oui, sous peine de catastrophe irrémédiable
Parce que je me sens pris pour un con

J'ai pas envie de voter ce oui


Parce qu'à toujours dire oui on finirait par accepter l'inacceptable
Parce que les voix du non sont infiniment plus sympathiques
Parce que les voix du non lisent entre les lignes
Parce que les voix du non sont vivantes et inventives
Parce que les voix du non rêvent d'une autre société
Parce que les voix du non sont au contact des réalités sociales

J'ai envie de voter non.


Mais parce que la France ne pèse pas grand chose
Parce que notre monde se fiche de l'utopie et des rêves
Parce qu'il ne faut pas faire la fine bouche
Parce que la contestation n'est pas forcément réaliste
Parce que je me méfie des extrémismes de tout bord

Ben je ne sais plus quoi penser.


Dire non est-il un moyen de résister au monde tel qu'il devient?
Est-ce que ce peut-être un germe de changement?
Ou bien est-ce une tentative vaine qui nous disqualifiera?
A t-on plus à perdre ou à gagner en constestant un ordre qui se veut immuable?
Où est le courage? Où est la peur?
Ne faut-il pas savoir faire des concessions?
Faut-il exiger plus, ou se contenter d'un compromis?
Avancer et prendre le risque de ne plus pouvoir reculer?

Beaucoup de questions (et il y en a tant d'autres encore) pour l'homme hésitant que je suis. 

Et puis... j'ai une vague impression, quand on me fait comprendre que c'est "pour mon bien" que je devrais faire quelque chose, que c'est surtout pour le bien de celui qui me le demande. J'ai comme l'impression de me faire avoir quelque part, sans bien savoir où...

Je sens que ce n'est qu'en rentrant dans l'isoloir que je saurai quel bulletin je glisserai dans l'enveloppe. Indécis jusqu'au dernier moment, le coeur ou la raison trancheront...







Insatisfaisant




Dimanche 29 mai


Je ne m'étais pas trompé: c'est seulement au moment de mettre le bulletin dans l'enveloppe que je me suis décidé. Et même après, en faisant la queue pour glisser l'enveloppe dans l'urne, j'avais la tentation de changer. En sortant je n'étais pas vraiment satisfait de mon vote. J'ai dû accepter le manichéisme du oui/non au sujet d'un texte qui abordait des sujets multiples. Tout accepter en bloc, ou tout refuser en bloc. Absurde. Le oui ne me satisfaisait pas plus que le non. Il restait le vote blanc, mais comme il ne signifie rien, je me suis engagé... à contrecoeur.

Quel que soit le résultat il ne pouvait me satisfaire.

Et en écoutant les premiers commentaires qui étaient faits autour de ce "Non", glosant sur les conséquences politiques au niveau national, je me disais que vraiment ces gens qui nous gouvernent, et les médias qui les servent, sont stupides. Le débat se situait au niveau européen, et on nous ramène immédiatement ça au niveau riquiqui de notre supposé nombrilisme franchouillard ! Alors qu'au contraire le vaste débat qui a eu lieu à tout niveau de la population a montré que l'idée européenne intéressait massivement...

J'ai coupé la télé.







En profondeur





Lundi 30 mai


J'aurais beaucoup à dire sur ce que je pense des résultats du référendum et de la façon dont cela est traduit par les médias, mais ce n'est pas dans le ton de ce journal. Alors hop, après le petit intermède socio-politique, je reviens à mes sujets de préoccupation. Ceux pour lesquels j'ai une influence directe. Parce que le poids de mon vote, hein...


Hier il y avait une fête dans la famille élargie. De celle qui s'élargit tellement qu'on en arrive à ne plus savoir qui est qui. Les enfants de cousins ont grandi et l'ordre dans la fratrie, ou le prénom accordé à chaque visage, deviennent de plus en plus aléatoires. Des conjoints se sont rajoutés, dont je ne sais presque rien et vers qui le contact ne se fera probablement jamais. Une floppée de marmaille est apparue dont je n'ai même pas cherché à retenir les prénoms, ni de qui ils étaient les enfants. Les enfants des enfants de mes cousins... ça commence à faire bien éloigné.

Mais les relations directes avec la tranche de ma génération, ceux qui avaient tous la même grand-mère, restent des liens marqués. On se connaît depuis toujours, et même si les âges étaient parfois bien éloignés quand nous étions plus jeunes, peu importe maintenant que certains approchent la soixantaine alors que d'autres entrent à peine dans la quarantaine: nous sommes tous parents, en couple, et depuis longtemps engagés dans la vie d'adulte.

Ouais... bon... "en couple", justement, c'est là que des nouveautés apparaissent. Simultanément deux couples se séparent, ce qui était inédit dans cette famille. Nous étions donc deux à être venus en célibataire, accompagnés de nos enfants. Inévitablement le «comment ça va ?» que l'on me demande en m'accueillant est teinté d'une vague compassion. Et moi de répondre avec un grand sourire «ça va très bien!» rassurant mon interlocuteur. Lorsqu'avec certains je rentre un peu plus dans les détails, je raconte brièvement comment se passe cette séparation, insistant toujours sur le fait qu'elle se passe au mieux et que nous nous entendons bien.

Charlotte est quand même venue un peu plus tard, avant que je ne parte raccompagner notre fille à la gare. J'aime lorsqu'on nous voit ensemble, manifestement "amis", sans tensions entre nous. C'est important pour moi que cette harmonie perdure et... que les autres le voient. Sans que je ne sache bien pourquoi. Une façon de me déculpabiliser en rendant la chose moins tragique que l'idée généralement admise? Un désir de militer pour la séparation non-violente?

Pourtant, il semble que la bonne humeur que j'affiche surprend parfois. Une fois que je fus parti, Charlotte a discuté avec les mêmes personnes que moi et a rétabli les choses selon sa perception: oui, ça se passe bien quand on s'entend bien... mais ce n'est pas toujours le cas. Et la séparation reste un processus difficile à vivre.
Le soir venu nous en avons parlé tous les deux parce qu'elle était étonnée de l'image sereine que je donnais. Dans ces cas-là elle m'estime idéaliste et que je rêve un peu, ce qui m'agace vite. J'ai reconnu que cette sérénité affichée ne correspondait pas avec mon ressenti profond, mais je désire que ça se passe bien et adapte mes pensées à cet objectif. Je veux voir le bon côté des choses et faire preuve d'optimisme. Je veux retrouver une capacité à vivre et à être heureux, donc je me focalise délibérément sur ce qui est bon. Il est là le "rêve", mais tout à fait volontaire. Parce que dans le fond demeure une grande inquiétude, doublée d'un sentiment de... tristesse.
A quoi bon laisser remonter ça à la surface? Et pourquoi en parler aux autres? Je ne peux le faire que lors de conversations confidentielles avec des personnes qui ne chercheront pas à minimiser ou donner des conseils. Juste écouter et comprendre. Car comment dire qu'on se sépare alors qu'on s'aime? Comment expliquer que nous sommes devenus des amis, mais que le désir amoureux n'étant plus en phase nous ne pouvons que dissocier nos vies? Nous seuls pouvons le comprendre, ou d'autres qui auraient vécu une situation similaire. Car à chaque fois que nous en discutons, Charlotte et moi, nous parvenons au même constat: nous nous entendons de mieux en mieux, mais pourtant nous ne pouvons plus poursuivre en couple.

Il en découle un sentiment ambivalent: je suis heureux que nous reprenions le contrôle de nos vies respectives et que nous allions vers nos aspirations individuelles... mais je suis triste et inquiet de la "fin" de notre couple. C'était une belle aventure, à laquelle j'ai vraiment crû. J'ai beau me dire qu'il s'agit d'une adaptation, d'une évolution, et que le contact se maintiendra... il y a quand même bel et bien dissociation de nos parcours. 

Je ne crois pas qu'on puisse s'épargner la tristesse d'une séparation, aussi douce soit-elle.






Mois de juin 2005