Décembre 2004
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La preuve par l'absurde



Jeudi 2 décembre


Si chaque épreuve de la vie est une chance, parce qu'elle permet de grandir, alors je suis un sacré chanceux! Pensez donc: une séparation, c'est déjà le genre de situation sacrément déstabilisante. Donc une superbe occasion d'apprendre plein de choses sur soi et sur le sens de la vie. Mais moi, petit veinard... et bien je vis deux séparations simultanément! Hé hé, faut le faire, hein?

Vouais... je dis "séparations", mais en fait elle sont de nature bien différente. D'un coté je m'affranchis lentement et en douceur d'un amour au long cours qui a peu à peu évolué vers l'amitié. Et de l'autre il a été nécessaire de couper le contact dans une relation amoureuse fondamentale qui n'avait pas assez de place pour se développer. 

Il semble que cette exclusivité temporaire était inévitable pour que les choses puissent se faire sans heurts. En fait, je ne fais que rétablir l'ordre dans lequel les évènements auraient dû se dérouler: d'abord régler ma situation de couple, et ensuite seulement investir une autre relation. Ben oui... il m'a fallu du temps pour comprendre. J'ai dû en passer par les errements de l'expérience, comprendre l'importance de ce bouleversement majeur dans ma vie, m'affranchir de la culpabilité [il en reste...], démonter et reconstruire mes repères... Bref, je ne crois pas que je pouvais éviter de ce cafouillage. J'ai été dépassé par une situation aussi inattendue qu'inconnue dans ma vie. Ma tentative de tout concilier aura considérablement alourdi mon "travail" et il est évident que je n'ai pas su gérer la complexité dans laquelle je me suis trouvé emporté. C'est comme ça qu'on apprend...

Maintenant des décisions ont été prises par celles qui n'ont plus pu me suivre, puis par moi. Cela a mené à cette double "séparation" et, bien que chacune de ces séparations me demande beaucoup d'énergie et de réflexion dans des registres différents, il y a quand même un chemin qui se trace. Et rien que ça, même si émotionnellement c'est parfois difficile à vivre, ça dégage l'horizon. Il reste bien des doutes, mais beaucoup moins d'indécision. J'essaie donc de me dépatouiller au milieu de ce chantier en tentant de rester le plus zen possible. C'est loin d'être facile à vivre, mais c'est un bon apprentissage...



Double séparation, donc, mais qui comporte aussi un double paradoxe:

- coté couple conjugal, la séparation en cours entretient une communication plutôt soutenue: partage dans la découverte des peurs que cela engendre, soutien mutuel en préparant l'épreuve à venir, et bien souvent une agréable convivialité. En fait, nous nous retrouvons autour d'un projet de couple assez inhabituel: nous libérer l'un de l'autre. Unis dans la séparation. Cocasse, non?
Union qui ne tient que parce que nous sommes d'accord sur l'issue, ne nous leurrons pas...

- coté couple amoureux-désirant, c'est l'absence de communication qui caractérise la séparation physique actuelle. Sentiments rentrés, amour devenu brutalement silencieux, sourd d'un coté et muet de l'autre. J'avoue avoir encore des difficultés avec cette forme de solidarité dans le silence... Je dois régulièrement me faire violence pour en accepter le bien-fondé. Mais ça vient...

Il y a eu une inversion assez inattendue des capacités communicantes dans les deux relations. Comme pour confirmer qu'actuellement elles ne pouvaient que s'exclure l'une de l'autre. Là encore, ce genre de surprise est un apprentissage fort utile. Et puis bon... finalement c'est une intéressante mise à l'épreuve par l'absurde: proximité dans la relation d'éloignement, et mise à distance de la relation la plus intime. Au moins, je ne pourrais pas me dire que je n'ai pas tout tenté... y compris le diable!



J'aurai aussi appris quelque chose: une séparation étant parmi les évènements personnels les plus difficiles à vivre, en traverser deux simultanément (quoique de nature différente) et tenir à peu près le choc me montre que je suis quand même assez solide dans ma tête. Donc probablement capable de bien me remettre d'éventuels séismes émotionels. Toutes ces épreuves augmentent ma souplesse et ma capacité à "rebondir".

Un temps de réflexion en situation complexe, c'est comme la préparation minutieuse avant un saut dans le vide avec un élastique accroché au pied. Concentration, évaluation précise des risques. Toute la garantie de la réussite est dans cette capacité à vivre le grand frisson sans s'écraser en bas. Mon "saut dans le vide", il n'y a que moi qui puisse en garantir la sécurité. Je ne dois compter sur personne pour me tendre les bras ni me retenir. Mon élastique, c'est ma capacité a éviter le choc, c'est la confiance que j'ai en moi et ma juste estimation des enjeux.








Le risque et la chance




Dimanche 5 décembre


Avec le temps une certaine sérénité semble s'installer. Oh, ce n'est pas un état permament, loin de là, mais je le sens venir de plus en plus régulièrement. Les émotions fortes se raréfient et les peurs s'apprivoisent.

De plus en plus j'accepte l'idée que la suspension de ma relation avec nathalie sera longue. Ça ne peut que l'être, parce que je dois auparavant me "délier" de ma relation de couple, mais aussi modifier en profondeur mes attentes et les raisons de mon manque de confiance en moi. Je sais d'ailleurs que les deux (couple et immaturité affective) sont étroitement liés.

Je n'ignore pas que ce temps de silence comporte une part de risques, avec évolution probable des sentiments qui nous ont liés du temps où nous étions en contact permanent. Il comporte aussi une part de chance, nous permettant d'évoluer séparément tout en conservant le bénéfice de ces quatre années de découverte progressive, et forts des souvenirs du temps passé ensemble. Pour ma part, j'ai envie de croire à la chance...

Et pour cette chance, ou d'autres à venir, je continue le processus d'émancipation.

Car j'ai bien compris que c'était finalement l'élément principal: me sortir des dépendances diverses qui brident ma personnalité. Quitter la relation insatisfaisante qui s'était établie dans mon couple conjugal sur une base d'amour ternaire dont au moins la composante amour-filial n'aurait jamais dû s'installer. Cet amour là aura empêché l'amour-désir de s'installer. Reste donc l'amour-amitié que j'ai choisi de préserver.



Et finalement, je suis de plus en plus convaincu que la suspension de ce qui existe entre nathalie et moi était la seule chance de voir renaître, si les circonstances sont à nouveau favorables, une relation assainie dans laquelle ne se rejouera pas le scénario du petit garçon en manque de regard aimant.

Me retrouver seul, à l'écoute de moi-même et de mes désirs personnels, est bien l'unique façon de m'affranchir de cette attente. Être capable de vivre un amour adulte.



J'ai envie de vivre seul. C'est devenu mon projet et j'ai hâte qu'il se réalise. Même si je suppose que le sevrage pourra être difficile, il sera forcément moins douloureux que celui que j'ai vécu ces derniers mois... Je n'ai jamais vécu seul et je me doute que le manque de présence risque d'être pesant sur la durée. Mais j'ai envie de l'affronter. C'est à la fois une peur et un désir de la dépasser.

Tout pourrait aller très vite maintenant, puisque nous sommes d'accord avec Charlotte sur les bases de notre séparation. Ne reste qu'à agir concrètement.  Et c'est là que la réalité montre ses limites: toujours ce problème financier qui ne nous permet pas d'avoir deux logements. Même si j'ai bien redressé ma situation ces derniers mois, il n'y a pas de visibilité suffisante. Pas de marge de manoeuvre tant que je n'ai pas trouvé de sources de revenu complémentaire. Ce sera l'objectif des prochains jours puisque j'entre dans la période de temps disponible qui me le permettra.






Mécanique lancée




Mardi 7 décembre


Soleil blême d'un matin d'hiver. Nous nous rendons dans la toute petite ville proche. C'est jour de marché et, malgré la froideur, la place est animée. Je ne connaissais pas cet endroit, je le trouve agréable avec ses arcades voutées. Il y a un petit coté italien dans cette architecture. L'entrée que nous cherchons est un peu plus loin, nettement visible. Petit escalier étroit, ancien. Sonner, entrer. Même pas le temps d'aller dans la salle d'attente, une femme élégante, grande, nous invite à passer dans son bureau.

Nous sommes tous les deux un peu intimidés, mais pas le loisirs de tergiverser: l'avocate nous demande la raison de notre venue. Il n'y a pas cinquante façons de dire les choses... «nous venons pour une séparation». Suite de questions interrompue sur notre contrat de mariage, sa date, nombre d'enfants, leur âge, notre situation patrimoniale, les revenus de chacun. Elle note tout. Hop, en quelques minutes on voit déjà ce qui ne posera pas de problème.

La madame élégante nous précise un peu les différentes possibilités de séparation, entre le divorce et la séparation de biens. La nouvelle loi 2005 qui fait que le divorce par consentement mutuel semble plus rapide, mais laisse les conjoints décider tout seuls des aménagements divers en terme de garde d'enfants, pensions alimentaires, partage des biens. Effectivement, si les deux sont d'accord, tout paraît être assez simple.

C'est notre cas, jusqu'à présent. Et l'avocate semble plutôt satisfaite de nous voir parler d'un commun accord. Elle voit très bien que nous sommes dans une démarche de respect mutuel. Elle nous parle des différents "deuils" à faire dans les mois à venir, durant la mise en place de tout ce processus. Elle souligne aussi le décalage qui peut exister entre les deux conjoints, l'un étant souvent plus en avance que l'autre dans la démarche et l'acceptation.

Nous sommes sortis côte à côte, détendus et souriants...
Pas d'inquiétude particulière, au contraire, plutôt soulagés de voir que ça ne paraît pas très compliqué. Pas de tristesse non plus. Nous parlions des étapes suivantes, des démarches à entreprendre, des renseignements à rechercher. Car les choses se précisent peu à peu, notamment pour l'ordre dans lequel il faut agir. Pour nous, il faut d'abord passer par un notaire qui nous indiquera comment se fera le partage des biens.

Pour le moment tout se passe bien. Charlotte s'imagine déjà dans un nouvel appartement, dans une autre ville un peu plus grande. Il y a un certain enthousiasme partagé devant le changement à venir. Il se peut que ça ne dure pas... mais bon, tant que tout va bien nous en profitons.

Coté famille élargie, ça risque de se passer moins bien. Le père de Charlotte était, paraît-il, «effondré» lorsqu'elle lui a dit où nous en étions. Le mot "divorce" fait peur, et reste synonyme d'échec dans notre milieu. Nous-même devons lutter contre cette tendance résiduelle à une vague culpabilisation. Comment expliquer que se séparer peut aussi être une démarche positive? Qu'on peut parfois ressentir le besoin de reprendre une autonomie afin d'évoluer librement, plus en conformité avec nos aspirations? Faut-il tenter d'expliquer un peu, ou bien renoncer en laissant chacun penser ce qu'il veut?

Finalement, la seule chose qui compte c'est que nous soyons tous les deux d'accord sur les raisons et les orientations de la démarche que nous avons entreprise.

Ce qui me surprend le plus, c'est qu'une fois que la mécanique est lancée, il semble que tout se déroule selon une logique à laquelle on ne peut plus se soustraire. Il y a comme une fluidité, une évidence. Une fois que le choix est fait, l'horizon se dégage du brouillard de l'incertitude, et la progression peut se poursuivre.






Vagues





Samedi 11 décembre


J'écris moins en ce moment. Ou alors je garde, puis finalement ne mets jamais en ligne. C'est pas plus mal. Je me retrouve ainsi en mode de réflexion solitaire et je crois que c'est nécessaire. Etaler mes états d'âme m'a fait parfois plus de mal que de bien. Ça me "force" trop, je ne respecte pas mon rythme d'évolution naturelle, ou bien m'expose excessivement.

Cette retenue me permet de tergiverser à l'écart des regards. Il est inutile de relater par le menu les différentes phases de déprime par lesquelles je passe. Je préfère écrire quand ça va relativement bien. Je trouve plus gratifiant de montrer de moi une image sereine que bouffée d'angoisse ou de tristesse. Bon... faut dire qu'il y a des périodes de la vie où il est difficile d'être vraiment jovial.

Pour finir avec toutes ces raisons, je crois aussi que "quelque chose" a changé. Une intégration [à défaut d'acceptation...] plus grande de la durée de séparation d'avec nathalie. Un "lâcher prise" sur le temps qui passe. Je ne cherche plus à accélérer un mouvement qui, par ailleurs, nécessite une lenteur évolutive. Tant pis, je fais ce que je peux pour orienter mon avenir mais verrai bien ce qu'il sera.



Il y a quelques jours j'avais une séance psy. [Anecdote: la psy avait une sale tête, l'air fatiguée, déprimée. J'ai failli lui demander si ça allait bien. Je ne me sentais pas à l'aise pour raconter mes malheurs si elle n'était pas réceptive. Puis j'ai compris que cette fois elle n'était pas maquillée. Oups... j'ai évité une gaffe! En fait elle m'a fait un large sourire pour lancer la séance, et ça a marché. Tout ça pour dire que je suis vaaachement attentif à ce que tout aille bien, en face de quelqu'un, sous peine de me sentir "en faute" (de je ne sais quoi...).]

J'ai parlé de la grosse prise de conscience de toute la part enfantine qui bloque mon évolution dans différents domaines. Cette immaturité de laquelle j'ai toutes les peines à sortir alors que je sais que je dois m'en affranchir. Non seulement c'est difficile mais, en plus, ceux qui ont contribué à me maintenir là dedans ne comprennent pas qu'il faut me laisser me débrouiller. On veut m'aider, alors que je veux agir seul, que je dois le faire, que c'est indispensable pour mon équilibre maintenant. Charlotte reste souvent très attentive et présente, ce qui confirme notre bonne entente, mais ce "confort" rend parfois mon émancipation encore plus difficile. Ma mère, à qui j'ai pourtant dit que j'avais besoin de me trouver confronté aux réalités de la vie... me propose de m'aider financièrement. C'est très gentil, je comprends son geste, son inquiétude... mais cette sollicitude me rappelle une position d'assisté que je ne supporte plus.

J'apprécie beaucoup qu'on me soutienne ou m'encourage dans cette phase décisive de mon existence. J'en ai énormément besoin et finalement bien peu de mes connaissances m'offrent cette présence. Mais je ne veux pas que l'on prenne soin de moi en pensant à ma place. Je ne veux pas que mes proches m'aident selon ce qui leur semble être le mieux pour moi. Je veux grandir en me débrouillant seul dans mes prises de décision. C'est à moi de choisir vers qui je me tourne si j'ai envie de soutien, d'encouragement ou de pistes de réflexion.
Je disais à la psy qu'il m'est bien compliqué de m'émanciper de tout un cadre rassurant, celui que précisément je n'ai jamais vraiment oser quitter... C'est difficile d'aller vers l'incertitude, de chambouler à mi-parcours ma vie affective, amoureuse, professionnelle. Je choisis librement et délibérément d'en chier [maso!]. En espérant vivre plus épanoui ultérieurement... Il me faut garder foi en moi.

Madame psy, qui me suit depuis des années, sait très bien que j'ai tout fait pour en arriver là et que je ne peux plus faire marche arrière. Elle a souri quand j'ai fait ce constat.



Ce qui m'inquiète, c'est l'amplitude des changements à venir. La plus grande incertitude pèse sur mon activité professionnelle et l'aspect financier qui en dépend. Dois-je arrêter le plus tôt possible ou tenter de faire durer? Mais comment être disponible pour une autre activité si je n'arrête pas? Et comment subvenir à mes besoins sans complément de revenus? Pour le moment les opportunités de travail en intérim ne semblent pas très concluantes. Et puis mon métier, n'est-ce pas une partie de mon identité? N'est-ce pas un "projet de vie" qu'il serait encore un peu plus déstabilisant de laisser tomber d'un coup? Ou alors, est-ce que je manque de l'audace un peu folle de ceux qui lâchent tout pour suivre leurs désirs? Désirs... dont la réalisation ne dépend de moi que pour partie.

Toutes ces questions reportent toujours plus loin dans le temps ce à quoi j'aspire. Pourtant, je ne perds pas durablement mon optisme [sans lui j'aurais sombré]. Les moments de découragement, douloureusement pénibles, ne s'installent pas. J'essaie de les laisser passer sans trop m'apesantir, attendant le retour certain de l'enthousiame à "avancer" vers moi-même.

Il n'empêche qu'une part importante de ma vie est marquée par un grand vide à un moment crucial. Même si je retrouve une existence à peu près "normale" [hormis ces questions lancinantes], tout ce que je vivais avec nathalie me manque. Et je ne crois pas que l'apprentissage de l'autonomie y change quelque chose. Elle, dans son entier, me manque. Ce que j'ai envie de vivre avec elle, et seulement elle, reste comme une promesse suspendue. Une confiance à l'avenir incertain.
Il ne se passe jamais beaucoup de jours sans qu'une tristesse s'insinue dans mes pensées, quoi que je fasse, et avec qui que je sois.

Ce qui est certain, c'est que ces vagues de tristesse ne devront pas m'accompagner trop longtemps... Il faudra bien que la joie de vivre et le rire facile reviennent, quelle que soit l'issue.






Toujours déterminé





Dimanche 12 décembre


Ce matin le brouillard qui régnait sur la région depuis le début de la semaine avait disparu. Soleil radieux et montagnes au loin. C'est un peu comme cette tristesse sombre qui avait envahi mes pensées depuis quelques jours: pfuiiit, dissoute. Il en reste bien quelques fragments, mais j'ai retrouvé une certaine sérénité. Les bonnes discussions que j'ai avec mon amie Charlotte m'y aident souvent. J'aime ce rapport de confiance que nous avons retrouvé. Il semble que nous soyons devenus solidaires dans l'évolution que suit notre couple. Et même si je ressens encore souvent une culpabilité à avoir bouleversé ses rêves, elle sait trouver les mots pour me dire que ce n'est plus pour elle une souffrance. Elle souffre infiniment moins que lorsque notre relation se désagrégeait. Le moment du "lâcher prise" est passé: elle a accepté la situation et refuserait tout retour en arrière. Pas question de me voir vivre avec ma tristesse, pas question de partager ce simili-amour dénué de désir, pas question de me voir reculer dans ma démarche par peur. Elle veut me voir en homme.

Nous sommes tous les deux inquiets face à l'avenir, mais aussi rassurés par cette confiance que nous avons pu rétablir. La grosse angoisse qui demeure concerne les aspects financiers de cette séparation, et surtout la nécessité de faire face aux échéances. Mais de toutes façons... il aurait bien fallu que je trouve un appoint, que nous restions sous le même toit ou pas. Nos grands enfants ont des études à faire, et cela demande de l'argent. La situation actuelle n'a fait qu'accélérer les choses.


* * *




Lorsque l'angoisse m'oppresse, je vois les choses sous leur angle le plus noir. J'imagine le pire, anticipant la souffrance à venir qui en dépendrait. C'est le meilleur moyen pour rester figé dans l'immobilisme, avec une trouille au ventre qui empêche toute prise de décision. Vous savez, cette manie stupide de voir un ensemble de choses, comme une montagne insurmontable, plutôt que de les regarder une par une. Je commence à bien connaître ce mécanisme de la pensée...

C'est très con! La souffrance imaginée n'existe que parce qu'on l'anticipe. Elle est réelle dans le ressenti, mais totalement virtuelle dans les faits. Ce qui fait alors souffrir est seulement la peur de la souffrance.
Au contraire, la souffrance réelle vient de l'incertitude, de l'immobilisme qui précède la décision. Et celle là, croyez-moi, elle bouffe la vie!
Voila pourquoi maintenant je m'efforce d'avancer toujours, même si c'est à pas de fourmi.

Et puis il y a aussi quelque chose qui paraît assez logique: le choix de la moindre souffrance. Fuir la souffrance vécue, bien réelle, lorsque l'échappatoire est possible en affrontant cette foutue peur de la souffrance anticipée. Ce n'est pas choisir la voie de la facilité pour autant. Il y a des moments où il faut affronter une certaine souffrance pour passer certaines étapes décisives.

Souvent j'oublie que je suis en situation de souffrance, parce que je vois devant moi une éventuelle souffrance à venir et que cela me bloque. Et cela depuis très longtemps. Mal-être diffus, auquel j'étais habitué, autrefois, de ne pas trouver ma place au monde. Malaise devenu de plus en plus aigu lorsque l'impossibilité de vivre une double relation s'est imposée à moi. Souffrance intense lorsque j'ai dû accepter la coupure dans ma relation avec nathalie. En fait, la remise en question quand elle touche à des éléments aussi essentiels, est une souffrance permanente, heureusement contrebalancée par les avancées qui sont faites. Emotions exacerbées, passage obligé vers une certaine maturité.
Depuis bientôt deux ans je suis dans cette sur-vie, cette hyper-vie. Au début il y avait une grande exaltation puisque je croyais pouvoir concilier les deux relations dont je jouissais. Puis la prise de distance de Charlotte a largement déséquilibré la balance bonheur/souffrance, au point de perturber toute ma vie affective. Le pire ayant été lorsque la séparation avec nathalie s'est concrétisée: il n'y avait plus que souffrance et Charlotte ne pouvait pas grand chose contre ça. Peu à peu, l'acceptation se faisant, le déséquilibre est atténué mais la souffrance reste grande. Bien supérieure à ce qu'elle était lorsque Charlotte me fuyait...

Pourtant... je sais qu'en grande partie cette souffrance est due à la peur. A l'incertitude. A une anticipation d'un avenir inquiétant. Car objectivement, même si le contact avec nathalie me manque, je n'en souffrirais pas autant si je ne craignais de le voir devenir définitivement coupé. Suspendre une relation pendant une longue période est déjà très difficile à vivre, mais l'incertitude quant à son rétablissement est particulièrement terrible à supporter. Véritablement oppressant.



Bon... il y aurait bien une solution pour ne pas anticiper sur la peur: plonger dedans. J'ai peur d'une perte définitive? Alors décider d'en finir. Accepter la fin de ce qui s'est passé, le voir comme une belle histoire sans lendemain. Trancher, couper, pulvériser tout espoir de retour et se dire qu'on ne se reverra jamais. Décider même de ne jamais chercher à se revoir.

Débile, selon moi. Au minimum je peux accepter un «peut-être jamais». Et laisser la vie suivre son cours en me fiant à un éventuel retour des circonstances, sans l'attendre.
Ouais... c'est ça qu'il faudrait faire pour ne plus en avoir peur. Ce serait aussi le meilleur moyen pour qu'il ne se passe effectivement plus rien. Personne n'entretiendrait le contact, laissant les choses se faire... ou pas. Et à l'autre l'initiative d'une éventuelle démarche. Ne serait-ce pas une façon de vérifier la fidélité des sentiments?

J'y crois pas. On ne construit rien en restant passif. Laisser passer des mois de silence, étouffer ses sentiments ou les laisser s'éteindre, piétiner les rêves et les projets, éteindre le moteur même qui dopait l'existence...c'est le plus sûr moyen de se couper de ses élans de vie. Défaitiste et triste. Ce n'est pas dans ma nature. J'ai lutté fort pour faire tenir ces deux relations simultanément alors que parfois il m'était demandé d'abandonner. Il m'a souvent fallu du courage pour deux, si ce n'est pour trois, entretenir la flamme, maintenir les liens malgré les difficultés que je vivais. Je m'accrochais, je donnais beaucoup de moi. J'attendais sans doute trop en retour, et j'en souffrais. Finalement cet écartèlement était impossible à tenir. Inhumain. J'ai du céder. Que pouvais-je faire d'autre? Il m'a fallu procéder par ordre et choisir. L'urgence était de sauvegarder mon équilibre de base en m'occupant de la relation la plus ancienne, la plus quotidienne, la plus impliquée... et aussi celle qui était "sacrifiée" en devant évoluer. Il aura fallu du temps, et il en faut encore, mais ce serait trop bête qu'entretemps l'amour que je souhaitais vivre pleinement s'étiole au point de ne plus pouvoir exister.

Parfois, je crains pourtant que ce soit ce qui se passe en ce moment, dans ce silence total (je ne sais plus rien de nathalie depuis trois semaines).
C'est ça qui me déprime, ensuite. Parce que je me sens coincé entre les désirs de silence exprimés par nathalie, que je souhaite respecter, et mon intuition du danger que cela représente pour la suite. L'aimer, est-ce m'en tenir à ce qu'elle m'a demandé, ou au contraire lutter contre une vision que je trouve défaitiste?

Mais vouloir maintenir un contact, n'est-ce pas douter de la force de ce qui nous lie? Une totale confiance permettrait de se passer du moindre contact jusqu'à ce que je sois libre de la retrouver... Et d'ici là, je ne devrais entretenir aucun espoir...

Tant de mots inquiétants ont été énoncés, répétés... et puis les pensées évoluent, celles du présent n'ont peut-être plus rien à voir avec celles du passé. Entre les mots d'autrefois chargés de promesses, et ceux plus récents marqués de pessimisme, auxquels puis-je me fier? Quels éléments me manque t'il pour comprendre ce qui a fait basculer nathalie de la solidarité à la prise de distance?

Sans réponses comprises, je me perds en suppositions vaines. Pourtant, je garde encore ma détermination, quoique il m'arrive de vaciller. Je trouve même que je m'en sors plutôt bien, peu à peu.





Éclatement d'une bulle




Mercredi 15 décembre



Gnnn hmmmpf gnnn hmmmpffff... Paf ! Fffsschhhiioufllbblllbll...



Elle a éclaté, la bulle surgonflée. La boule de mes inquiétudes, le ballon-sonde de mes angoisses, la montgolfière de ma culpabilité, le zeppelin de mes questionnements. Explosés, anénantis, volatilisés, disparus. Plus rien! 

Il fallait juste que j'ai des réponses aux questions en suspens qui me bouffaient l'existence depuis des mois. Il suffisait que je les pose clairement, que j'ose les énoncer sans craindre ce qui suivrait. Que le temps passe, aussi...

Je n'avais besoin que d'une chose: savoir que l'avenir n'était pas définitivement fermé. Que le «jamais» ne le serait peut-être pas, que l'impossible ne l'était que sous conditions. Pour le reste, j'en fais mon affaire. Mais qu'au moins je puisse continuer à conquérir ma liberté avec des chances non nulles de parvenir à mes fins.


Il va maintenant me falloir quelques temps pour comprendre l'effet de dominos qui s'est déclenché depuis deux jours. C'est en cascade que cèdent les constructions mentales et autres fantasmes négatifs que mon enfant intérieur avait érigés. Cette part bien trop fragile avait envahi une place disproportionnée depuis que semblait être survenu ce que je redoutais le plus: la perte d'un lien de confiance.

Il n'en était rien

Immédiatement la baisse de pression s'est faite sentir: j'ai retrouvé une désinvolture dans chaque instant de la vie. Je revis, je ris, je savoure, je me détends. J'ai l'impression de sortir d'une très longue période de non-vie, de respirer à nouveau.

Je soupçonne même mon corps de me transmette des signes d'apaisement puisqu'hier j'ai été assommé de fatigue, comme après une longue, longue marche. Je me suis endormi à plusieurs reprises dans la journée, puis la soirée, et finalement couché bien plus tôt qu'à mon habitude pour une nuit très prolongée.

Surmené, moi? Allons donc...
Ne me dites pas que le stress dû à un questionnement permament pourait être à l'origine de cet épuisement. Allons, allons...







Horizon éclairci





Jeudi 16 décembre


Me voila, de façon assez inattendue, brusquement sorti de mon errance en pays de doute et de souffrance. Toute la noirceur de mes angoisses, entretenue par les fantômes de mon enfance, s'est subitement éclairée dans l'apparition d'un avenir moins inquiétant.

Car j'ai bien compris que j'avais hypertrophié la réalité des choses. Déformé au travers de la loupe de mes pires angoisses la venue de ce que j'avais toujours redouté: perte de confiance et, au delà, abandon. Ouais... c'est comme ça. J'ai pas pu faire autrement. Tout cela touchait des choses bien trop sensibles et ma part enfantine s'est réveillée et a clamé toute sa détresse. Hum... j'ai ainsi vu de moi une face dont j'ignorais l'importance, mais qui me permet de comprendre bien des choses dans mon rapport à autrui.

Oh, je ne vais pas récapituler l'origine de tout ça: enfance inquiète, père qui m'a "cassé" en me privant de la confiance qu'il aurait dû me transmettre, trahisons ressenties et pertes de confiance à répétition...
Je ne vais pas davantage analyser l'importance surdimentionnée que je donne au concept de "confiance", ni pourquoi je me débrouille inconsciemment pour créer ce que je redoute le plus. Non, tout ça je le sais. C'est du ressort de la psychologie profonde, voir de la psychanalyse. Je ne suis qu'un cas tout à fait ordinaire et je retrouve ma "trace" dans tous les ouvrages de psycho que je lis. On reproduit en amour toute une part de ses rêves ou souffrances enfantines, c'est bien connu. Le savoir intellectuellement est une chose, en supprimer le mode de répétition en est une autre. Il me faut pour cela passer par une conscientisation approfondie, entrer dans le registre du ressenti émotionnel pour atteindre la conviction inébranlable. Des moments de transition tels que ceux que je vis actuellement sont des étapes majeures pour entrer dans ce ressenti.

Retrouver la joie de vivre en si peu de temps me montre que j'ai la capacité de me sortir de mon mal-être chronique. J'en suis persuadé. Toute la question est de faire durer ces périodes de rémission... Car ce n'est pas la première fois que mes doutes sont balayés par une conviction sereine de mes choix de vie, de mes désirs existentiels. Aujourd'hui je dirais volontiers que je suis "guéri", mais je n'ignore pas que mon inconscient, un moment mis à nu, reprendra rapidement ses tentatives de sape par des voies détournées. A moi d'être vigilant. Pourtant, ce dont je suis certain, c'est qu'il perd à chaque fois de sa puissance récessive. Les temps de confiance en moi durent de plus en plus et, surtout, le décalage temporel entre les réactions négatives et la prise de conscience de leur absurdité se réduit. Je parle là de ce qui se passe au quotidien, pas de l'épisode terrible de ces derniers mois.

Ouais, parce que là j'en ai vraiment chié. Régression maximale, fragilité paroxysmique, émotivité cataclysmique. Je pense que jamais plus je ne vivrais ce genre de chose. J'en ai été "vacciné". J'ai subi l'épreuve du feu, ou tout comme. Exercice grandeur nature. Ça ressemblait trop au pire du pire de ce qui pouvait m'arriver. Je redoutais ça depuis toujours, ce qui m'avait "empêché" de me lier trop fort à qui que ce soit, et puis... non seulement ça n'est pas arrivé, mais en plus j'ai compris que je pourrais passer au travers.

C'est bizarre, mais j'ai l'impression d'avoir soudainement pris un très grand recul. C'est un peu comme s'il ne s'agissait plus de la même personne, à quelques jours d'intervalle. Je me sens réhabilité, j'ai retrouvé ma confiance en moi et dans le sens de ma démarche. Maintenant que l'enfant désemparé a été rassuré, l'adulte a repris sa place. Et la confiance avec. Autant de ma part vis à vis de mes plus proches compagnes que par l'absence de leur côté d'un sentiment d'abandon. Car il m'était intolérable de supposer que l'une ou l'autre ait pu le croire.

Je me sens bien davantage capable d'avancer seul maintenant. C'est d'ailleurs le but de ma démarche... Mais parfois, pour apprendre à avancer seul, il faut être accompagné. Ouais... un peu paradoxal. Simple rattrapage d'un accompagnement vers l'âge adulte qui n'avait pas été fait lorque c'était nécessaire. Il n'est jamais trop tard pour trouver un "père" qui apprend l'émancipation et la confiance en soi, ou qui que ce soit qui puisse remplir un rôle similaire.

Mais vient un moment ou il faut quitter père et mère, même de substitution.



Je me sens bieeeeen, vous pouvez pas savoir!
Je siflotte, je chantonne, j'entreprends des démarches sans hésitations...
Y'a pas grand chose de changé dans la situation. Seulement un horizon qui s'est éclairci, d'apparentes barrières qui se sont montrées moins hermétiques que ce que je redoutais. L'avenir que je souhaite reste possible, et c'est tout ce que je voulais savoir.







Accompagné vers l'autonomie




Vendredi 17 décembre


Lorsque je vais chez ma psy, bien souvent elle ne dit que quelques mots. Peut-être même rien. Et moi je parle, je parle, avec comme seul repère son regard, ses esquisses de sourire, et surtout sa non-intervention. Souvent je précise ce que j'ai découvert au fil de mes pages d'écriture ou durant mes échanges avec les autres. Mais il y a toujours aussi une part d'inconnu, d'inexploré qui se révèle et permet d'aller plus loin.

Elle ne dit rien... et je pense que ce n'est pas un hasard. Je suppose qu'elle a compris que j'étais hyper-attentif à ce que les autres peuvent penser de moi (de plus, je lui ai clairement énoncé), et surtout très perméable à tout "conseil". Soit qu'ils me déplaisent lorsqu'ils vont à l'encontre de mes désirs inassouvis, soit qu'ils m'influencent lorsque je ne sais pas me décider entre désir et peur. Alors la seule façon de m'aider à faire le tri... c'est de me laisser le faire seul. Ou bien de m'apprendre à le faire en m'accompagnant avec des questions, ce que peu de gens savent faire sans avoir auparavant fait un travail de réflexion sur eux-même. Moi je ne sais pas encore très bien poser des questions aux autres [ah ouin? pourtant, coté réflexion sur soi...].

Quand on me donne un "conseil" et que ça m'énerve, je sais maintenant que je dois dépasser cette réaction épidermique et aller voir ce qui est sollicité. Pourquoi est-ce que je refuse ce qui m'est dit, en quoi je suis heurté, quelle part de moi ai-je laissée dans l'ombre?



Quand je "parle" sur ce journal, répétant sous toutes les formes ce que je sais mais n'ose pas appliquer (ou bien ce que je rédécouvre sans cesse en l'ayant "oublié" autant de fois), qu'est-ce que j'attends? Surtout pas de "conseils" qui pourraient aller à l'encontre de l'inclination que je n'ose prendre qu'infiniment lentement. Pas davantage de recommandations qui iraient dans le sens que je souhaite... mais me mettraient face à cette lenteur de mise en acte. Je crois que ce dont j'ai besoin c'est un accompagnement, silencieux ou discret.
Un peu comme celui de... parents, bienveillants à l'égard de leur rejeton maladroit, mais dont ils savent qu'à force de tâtonnements il trouvera la bonne façon d'avancer.

Oui, bien souvent j'ai donné à vos yeux de lecteurs un rôle de "parents". Devant vous, ou vos prédécesseurs, j'ai fait mes premiers pas, puis je me suis lancé dans une aventure rocambolesque en me prenant parfois de sacrées gamelles. Un peu trop téméraire, pas assez aguerri aux complexités de la vie. Dernièrement, depuis quatre mois, j'ai laissé éclater mon groooos chagrin [bouhoouu, snif snif...], je me suis découragé, j'ai perdu mes espoirs avant de les retrouver, les reperde, les re-retrouver... Un vrai petit enfant perdu. Mais "vous", personnalité globale, individuellement impersonnelle pour la plupart, avez majoritairement gardé le silence. Comme ma psy. Encore davantage qu'elle, puisque bien souvent pas un mot ne répondait à mon désarroi. Que dire, en effet, face à celui qui ne sait pas ce qu'il veut, ou n'ose pas s'écouter?

Par ailleurs, en d'autres lieux du net, j'avais au contraire beaucoup de "retour", ce qui, à la longue, s'est révélé ne pas être forcément une bonne chose: je rabachais inlassablement, et sous de multiples formes, mes tergiversations autant hésitantes qu'indécises. C'était loin d'être inutile pourtant, parce que les commentaires qui m'étaient faits me poussaient à aller toujours plus loin, là où je n'aurais pas pensé à chercher. Et je trouvais des réponses à ces questions informulées. Ce qui était plus néfaste, c'est aussi que je cherchais toujours à me justifier. Comme si j'avais peur d'être pris en faute... Comme si je faisais "pas comme il faut", hors norme.
Maintenant je crois que ce bain de réflexion permanente, d'analyse en continu, de sur-analyse et de méta-analyse ont mené l'auto-thérapie jusqu'à ses limites: ma vie entière était devenue quête d'explications. Introspection et/ou justification dont je ne sais pas bien quelle part m'était vraiment essentielle et quelle part s'adressait au regard supposé des autres. Je perdais de vue ce que je désirais vraiment, moi tout seul, et pour me recentrer ramenais le monde qui m'entoure à l'échelle de mon nombril. Dans ma tête, dans mes conversations, dans mes écrits, les questionnements sans fin étaient omniprésents. Envahissement total. Je pateaugeais au milieu d'un puzzle épars dont je ne cessais d'assembler des fragments, les tourner dans tous les sens indéfiniment sans plus pouvoir rien construire.

Stoooooop !!!

Plusieurs fois j'ai été tenté de tout arrêter. Cesser la réflexion face à un public. Revenir à une réflexion intime, face à face avec moi-même. Pour le moment je n'y suis parvenu qu'en partie... Il faudra peut-être que je prenne quelques décisions radicales car je sens bien que ce pari de la transparence a des cotés négatifs en me maintenant dans un état infantile. Pourquoi cette volonté d'être au plus près d'une totale sincérité [relative], si ce n'est celle du petit enfant qui veut être accepté dans son entier? Qui s'impose de ne rien cacher d'important à ses "parents". Qui se justifie sans cesse afin d'éviter d'être jugé sévèrement? Ou encore qui veut montrer comme il avance bien [ahem... là c'est un peu raté...], ou combien c'est difficile pour lui, pôv'petit...

Auto-justification, auto-encouragements, auto-apitoiement... mais j'attends quoi? Une acceptation par tout le monde? Me sens-je à ce point coupable de ce que j'ai entrepris et des inévitables dégats collatéraux que cela entraine?
Oui, évidemment...



Ah oui, j'oubliais: j'écrivais aussi sous des regards particuliers. Quelques personnes que je connais, de façon plus ou moins approfondie, et dont la présence silencieuse était perçue comme une sorte de soutien distant. Et puis surtout... je m'exprimais sous le regard supposé de celle qui m'a accompagné de près depuis quatre ans. Ah la la... il m'a fallu du temps pour faire abstraction de ce regard là...
Je me rendais bien compte qu'à de multiples reprises j'avais essayé de faire passer des messages, de dire ce que je n'avais pas eu le temps de préciser, tenter de me "rattraper", me justifier, ou lancer des appels que je savais vains... ou presque. Je me faisais du mal pour rien, et je ne suis pas sûr de ne pas lui en avoir fait aussi... Jusqu'à ce qu'une certaine "coupure" tranche dans cette dépendance et finalement me permette de passer une, puis deux étapes décisives. Finalement, comme tout ce qui arrive "par hasard", c'était une très bonne chose.



Je me retrouve donc maintenant dans une situation de prise de conscience et d'émancipation accrue. J'ai un peu grandi... Me voila devenu davantage autonome, plus sûr de moi. Normalement, ça devrait se sentir peu à peu dans ce journal. Son ton pourrait [devra!] changer en allant moins dans l'exploration nombrilo-egocentrée. J'ai envie d'élargir un peu mes sujets de préoccupation, retrouver d'autres thèmes de réflexion que mes complications amoureuses qui ont envahi tout l'espace depuis je ne sais combien de mois. Ou bien les aborder sous un angle plus général.
Je crois que le gros du travail a été fait. Ou du moins qu'une ligne de crête a été passée.






L'amour comme un art





Samedi 18 décembre


Vous a t'on appris à aimer? Vous a t'on décrit les mécanismes complexes qui entrent en jeu dès lors que s'installe cette sarabande d'émotions et de sentiments? Vous a t'on prévenu des écueils qui allaient fatalement se présenter? Si c'est le cas, vous avez eu de la chance... Mais je crois, vu la somme de souffrances, d'échecs, de désillusions que l'on peut constater autour des soi, que cet apprentissage de l'amour est assez rare.

Pourtant, comme toute chose, aimer devrait s'apprendre. Au moins les bases, de façon à ne pas se lancer dans une aventure toujours périlleuse avec la candeur du novice. Aimer nécessite une certaine discipline, comme la pratique d'un art ou d'un sport. On ne s'improvise pas amoureux sans risquer de cruelles déconvenues. Ensuite... tout est question de pratique et d'entrainement.

Il m'aura fallu souffrir d'aimer pour me pencher un peu sur le sujet. Les livres qui décrivent ce que je ressentais, et en expliquent les raisons, je ne les ai ouverts que face au problème. C'est normal, me répondrez-vous, on ne soulève le capot de la voiture que lorsque le moteur ne tourne pas rond...
C'est un tort. Parce que bien souvent c'est trop tard, la panne est là. Alors qu'en étant un peu vigilant on aurait peut-être fait ce qu'il fallait pour l'éviter.



J'ai pas appris à aimer. Un jour c'était là, et je me suis débrouillé comme j'ai pu. J'avais quinze ans.
Au début c'était merveilleux. Un souffle de vie, une impression de légereté incroyable de l'existence. Et puis comme une accoutumance à cette drogue, qui faisait en vouloir toujours plus. Avec, fatalement, une limite atteinte un jour, puis le manque qui suit. La dépendance. De ce que l'autre voudrait bien donner découlerait mon bonheur ou ma souffrance.

Aberrant... mais pourtant tellement répandu.

Ensuite, je n'ai vraiment aimé qu'une seule fois. Je n'avais pas vingt ans. Reproduisant plus ou moins le phénomène, je me suis pourtant mieux débrouillé et ça a marché sans trop se soucis. J'avais fini par trouver un équilibre qui me préservait de ces moments de souffrance trop intense. Finis les plongeons, finies les montagnes russes... et finis les sommets! Amour tranquille, permettant de vivre plutôt bien en évitant les peurs et l'incertitude. Je pensais avoir trouvé le meilleur compromis et bien maîtriser le sujet. Je pensais savoir aimer. J'étais globalement satisfait, plutôt heureux. Ça ronronnait, sauf des moments de crise qui ne duraient pas. On avait appris à les éviter en lissant les aspérités, rabotant les points d'accrochage, sachant éviter les zones de turbulence.

Peut-être un peu ennuyeux, à la longue... Un peu plat. La fameuse routine du couple. Tout allait bien... en apparence.


Alors lorsque les hasards ont fait que les émotions sont venues réveiller tout ça, mon sang n'a fait qu'un tour. Trop heureux de retrouver les sensations oubliées et cet élan de vie qui s'était essoufflé. Ouais... sauf que l'apprentissage n'était pas bien meilleur que lors de mes quinze ans. Je pratiquais encore l'amour en amateur. Certes avec quelques compétences acquises par l'expérience, mais pas du tout aguerri au grand art que cela demande quand on veut flirter avec les sommets. Je ne connaissais qu'imparfaitement la théorie, et très peu la pratique. Ma partenaire maîtrisait bien mieux que moi cette discipline, connaissait ses limites et n'allait pas au delà. Moi je voulais me surpasser sans m'en laisser le temps, sans en avoir la carrure à ce moment là. Inévitablement j'ai fini par tomber dans les pièges les plus grossiers: doute, dépendance, manque d'expression des désirs. Et incapable d'y faire face, de modifier mon comportement. Je ne savais tout simplement pas faire.

Fatalement, vu la complexité des circonstances et le stress du risque d'échec avec une partenaire plus expérimentée, j'ai fini par me planter. Par nous planter. Maintenant j'ai compris: je dois connaître mes limites avant de jouer une partition en duo. Je dois acquérir une pratique qui me donne suffisamment confiance en moi si je veux vivre l'amour comme un art...

Pour cela, je dois impérativement me sentir à égalité avec ma partenaire.
En amour, celui qui perd est celui qui doute.
Si aucun ne doute, les deux sont gagnants.






La crise nécessaire





Dimanche 19 décembre


Ayant maintenant retrouvé la capacité de pratiquer une analyse saine, sorti de l'aveuglement de la souffrance, le temps est venu de comprendre les enseignements d'une grande leçon de vie. Car la souffrance n'a de sens que si elle permet d'aller plus loin en soi, et de vivre mieux ultérieurement. La douleur n'est utile que comme messagère, indicatrice de dysfonctionnements. Il faut la laisser s'exprimer, l'écouter, car elle se répètera tant que la leçon n'aura pas été comprise.

Soyons clair: j'ai souffert comme jamais. Un peu contradictoire pour quelqu'un qui avait pour objectif de vivre mieux, n'est-ce pas? Il était loin le temps du «bonheur absolu», de «l'émerveillement», de la «relation extraordinaire»... Le bonheur devait-il avoir ce prix de douleur lorsqu'il disparaît? Non, assurément. La fin des moments de plénitude ne doit pas retrancher ce qui a été vécu. Il faut savoir additionner le bonheur sans rien y soustraire à la fin de l'opération.

Aujourd'hui, je ne souffre plus. Vraiment! J'ai retrouvé une vie sensiblement normale, quoique encore largement soumise à des questions cruciales. Et pourtant, il ne s'est pas passé quoi que ce soit de particulièrement merveilleux ces derniers temps. J'ai seulement compris un certain nombre de choses, qui m'ont fait voir autrement la fin de ma relation avec nathalie. Oui, j'utilise bien le mot "fin", parce que, nous en avons convenu, ce qui a existé entre nous est terminé. J'ai eu un peu de mal avec cette idée, mais d'une part je ne pouvais qu'accepter ce qu'elle en ressentait, et d'autre part j'ai bien compris que beaucoup de choses seraient désormais différentes entre nous. Chacun pour nos raisons propres, nous aurons vécu cette séparation comme la fin de quelque chose.

Cette fin ne signifie pas que plus rien ne sera jamais possible, mais que cette éventuelle suite sera nécessairement différente de ce qui a précédé. Je devrai ne plus être engagé dans une autre relation, avoir restauré cette confiance en moi qui faisait défaut et, surtout, ne plus être en état de dépendance. Sans ces conditions, il n'y aura plus de relation possible entre elle et moi. Pour cela, j'ai à poursuivre ce travail sur moi, en solitaire. Et j'ai encore pas mal de réflexions à mener, surtout autour de l'importance que je donne à la confiance et à sa pérénnité dans le temps.



En fait tout cela s'ancre très loin dans mon histoire, et le même phénomène a probablement été à l'origine de la distanciation de mon couple conjugal. Lorsque j'ai construit ma relation avec Charlotte j'étais totalement soumis à l'idée traditionnelle de l'amour: fusionnel. Or la défusion, ré-individualisation inévitable dans chaque couple après quelques mois, n'a pas vraiment donné lieu à la crise nécessaire. Jamais aucun "break", j'en refusais le principe. Je ne voulais pas de crise, j'en avais trop peur. Alors l'évolution s'est faite plus ou moins bien, malgré quelques crises annexes ne permettant pas d'aller vraiment au fond des choses. La première vraie crise du couple, c'est celle que nous vivons depuis deux ans. Elle s'est concrétisée autour de l'absence d'intimité en communication et désir.

Un peu trop tard, puisque si la communication vraie a pu finalement s'installer, j'avais déjà investi le champ vierge du désir avec une autre. Et c'est là, donc avec nathalie, que s'est concrétisée la véritable crise de fond. Celle qui n'avait jamais eu lieu dans mon couple conjugal: la défusion. Malgré ma vigilance, malgré une forte (mais insuffisante) conscience de cet écueil, je n'ai pas su l'aborder. Je n'ai même pas à me justifier d'aucune façon: je ne savais pas comment faire. Point.

Que ce soit avec l'une ou avec l'autre, j'ai reproduit le système quasiment à l'identique. C'est à dire que si je comprenais bien que le couple doit sortir de l'état fusionnel avec une liberté individuelle pour chacun (surtout à 5900 km de distance...), je ne concevais cette liberté que dans un seul sens: je laissais ma partenaire libre... mais moi-même ne prenais pas cette liberté. Je renoncais à ma moitié de liberté, de façon à être toujours disponible pour l'autre et retrouver ainsi, au maximum, les moments de présence [réassurance...]. Tout cela se faisant évidemment au prix d'une frustration lorsque "j'attendais" en vain...

Avec Charlotte, par un hasard qui n'en est sans doute pas, un équilibre s'était fait: travaillant à domicile j'étais aisément accessible. Disponible pour elle quand elle le souhaitait, ce qui était rassurant, elle avait aussi toute latitude pour avoir sa liberté individuelle. De mon côté, j'avais mon indépendance dans la journée. Mais ma vie sociale n'existait pas sans Charlotte. Relation de co-dépendance assise sur ma disponibilité (pour elle), et son ouverture sociale (pour moi). Equilibre insatisfaisant puisque Charlotte n'était jamais seule à domicile, et que moi je n'avais pas d'amitiés personnelles. Mes relations étaient surtout celles entretenues par Charlotte; jusqu'à ce qu'internet entre dans mon existence et que je prenne ma part de liberté...

Avec nathalie il s'est passé quelque chose de similaire: j'étais toujours disponible pour elle, tous les soirs en ligne, lui écrivant quotidiennement. De son coté, elle avait la liberté de me retrouver quand elle le désirait. C'était simple: elle n'avait qu'à se manifester et elle me trouvait. Et moi qui l'attendais, j'étais tout content de ces moments partagés avec elle. Oui... sauf que je m'oubliais. Cette disponibilité permanente finissait par me coûter d'autant plus qu'elle était inégalitaire et parfois peu récompensée. A la longue, c'était intenable. Forcément.

J'aurais dû (et ai tenté de le faire), être moins systématiquement disponible. Mais je projetais sur nathalie mes propres inquiétudes: je craignais qu'elle ne se sente moins aimée, moins désirée. Je donnais du sens selon ma perception des choses...

Je pense que c'est ce déséquilibre dans l'autonomie qui nous aura perdus, de façon plus ou moins directe. Le plus fragile des deux devient dépendant de l'attention de l'autre, en souffre, et crée un malaise chez son/sa partenaire. Dépendance évidemment liée à la peur de la perte, anticipation sur l'angoisse de l'abandon, elle même découlant du manque de confiance en soi. La chaine infernale, celle qui condamne les relations si on ne désamorce pas à temps. Et là, ce n'est pas faute de mises en garde et vigilance de nathalie: j'aurais dû en parler bien plus franchement. Ouais... mais j'avais peur, puisque je savais qu'elle ne voulait surtout pas de cette dépendance et l'avait parfois manifesté fermement. Or je voulais éviter toute crise. Cercle vicieux.



Il fallait une vraie crise pour en sortir, et c'est celle que nous vivons. C'est assurément une très bonne chose [je dis ça maintenant que je suis sorti de la souffrance...]. Reste à savoir si notre relation pourra renaître un jour... Il y a encore bien des choses à régler auparavant. Et beaucoup, beaucoup de choses à aborder en profondeur, conjointement.

Ce qui est certain, c'est que je ne suis plus en attente. J'ai moi-même, maintenant, besoin de ce break. Tout comme j'ai besoin de concrétiser ma séparation d'avec Charlotte. J'ai besoin de vivre seul, d'apprendre à m'écouter. Dans un des bouquins que je relis par bribes (La danse du couple), j'ai trouvé ceci: «Il faut avoir suffisamment de narcissisme, d'estime de soi, pour ne pas se sentir contraint en permanence d'essayer d'être quelqu'un d'autre que soi-même pour obtenir l'amour de l'autre». C'est exactement ce que je dois apprendre.

Je dois aussi apprendre à ne plus craindre les crises, ni les colères. De ma part et de celle de mes partenaires. Là encore un travail d'archéologie dans les sédiments des souvenirs d'enfance est à entreprendre pour extraire l'origine de cette peur. 






«Le fait est que je ne suis pas arrivée à tout gérer de front, avec la même énergie. Et comme par hasard, la chose que j'ai laissée de côté, c'est mon évolution personnelle. Peut-être la chose la plus difficile, celle qui me fait le plus peur.
J'essaie d'ouvrir les yeux sur où j'en suis. Je vois une fille qui n'a toujours pas confiance en elle, qui se perd en circonvolutions et fait des noeuds avec son cerveau. Et qui parfois s'étrangle avec. Où j'en suis, hein, où j'en suis ?
Ca me fait mal de le reconnaître, mais un sentiment qui me caractérise, c'est la peur. Il y a des tas de choses qui me font peur. Ca exerce sur moi une pression qui explique en partie la fatigue que je me traîne depuis des mois. Ca aussi, c'est effrayant. Je suis capable de rester des mois dans cette peur sans m'en sortir.»



Sans prétention
- 18/12/2004










Penser dans le bon sens





Lundi 20 décembre


Après avoir posté mon texte d'hier, quelque chose n'allait pas bien. Vague impression de malaise. Hum... n'avais-je pas écrit quelque chose que je n'assumais pas vraiment? Ce matin, en me relisant, j'ai décelé ces fragments un peu ambigus.


1- Je parlais de ma disponibilité quotidienne, jadis, et ce terme est largement imprécis. 

- D'abord parce que ce n'est pas vrai: parfois nathalie était en ligne et j'étais retenu de mon coté (généralement pris en grande discussion avec Charlotte). Or à ces moments là je donnais priorité à la discussion en cours (généralement assez "lourde"). D'une part parce qu'il est difficile d'interrompre ce genre d'échange, et d'autre part parce qu'il aurait été un peu *délicat* que Charlotte sache que j'allais retrouver nathalie. Donc, honnêtement, je n'étais pas "disponible" à ces moments là.

- Ensuite, si j'étais effectivement souvent "disponible" parce que présent, je ne l'étais pas nécessairement intellectuellement. J'avais du temps disponible, mais pas forcément les pensées (ou le coeur?) disponibles, vraiment ouvertes au partage. Assez souvent j'étais inquiet, soit à cause de ma situation de couple et de ce fameux "choix" que je devais faire, soit (et c'est un peu la même chose...) parce que j'avais besoin que mes doutes soient rassurés. J'étais disponible... en vue d'être rassuré sur la pérénnité de notre lien.

En revanche, nathalie me disait être disponible entièrement lorsqu'elle venait me rejoindre via internet. La plupart du temps c'était vrai.



2- J'ai écrit que si nous parvenions à reprendre le fil de notre relation, il y aurait «beaucoup de choses à aborder en profondeur, conjointement». Certainement... mais il s'agit surtout de questions que j'aurais à poser. Car trop pris dans mon inquiétude, souvent emporté dans un mécanisme de pensée basé sur le doute, j'ai eu le grand tort de laisser trop de place à mon imagination négative au lieu de poser directement les questions. Redoutant d'hypothétiques réponses qui seraient allées dans le sens de mes craintes... je m'abstenais, échafaudant alors je ne sais quels scénarios improbables.

Cette propension à imaginer le pire de ce qu'on redoute est une véritable catastrophe relationnelle. Il y a transposition sur l'autre de nos blessures d'enfance, réactivation de souvenirs douloureux, interprétation allant dans le sens des peurs. Je le sais parfaitement, je connais ce mécanisme de sabordage inconscient largement décrit dans les livres, mais j'ai pourtant beaucoup de mal à en sortir. C'est pour cette raison que cette séparation est une bonne chose pour moi. J'apprends la patience et l'autonomie thérapeutique au lieu de guetter (et dépendre de) l'immédiate réassurance. Et surtout je marine dans mon jus tout seul, me rendant finalement compte à quel point il est nauséabond et délétère.



3- J'ai utilisé le terme de "besoin" de séparation et de vivre seul. Il n'est pas exact. J'aurais dû écrire "nécessité", parce que ce "besoin" je choisis de me l'imposer. C'est un acte de courage [oui oui...]. Bien au contraire, mon premier besoin, enfantin, serait de trouver des moyens d'apaisement de mes inquiétudes. Mais ce serait entretenir cette immaturité affective dont je veux sortir. C'est bien parce que ce besoin de réassurance existe qu'il est nécessaire que j'apprenne à me passer d'aide extérieure. Et plutôt que le besoin (de contact, de présence, de soutien, de réassurance...), c'est le désir qui soit gouverner ma vie. Un désir inassouvi est frustrant, mais ne met pas l'équilibre personnel en jeu. Alors qu'un besoin inassouvi entraine une souffrance et perturbe l'existence. Le besoin est un repliement qui naît du manque ou de la peur, le désir est un élan de vie. Deux directions opposées...


Voila, je préférais clarifier ces éléments de façon à retrouver toute ma sérénité. Si je traquais tous ces moment où je pense dans le mauvais sens, ce serait déjà une bonne base de changement, non?
[Oh la la... quel boulot!!!]
Le mieux, ce serait déjà de ne pas écrire ces choses que je n'assume pas ensuite, n'est-ce pas?
Ça viendra...





Défier l'impossible





Mardi 21 décembre


J'aime cet enthousiasme qui me porte de nouveau, ainsi que ma sérénité retrouvée. C'est comme ça que je me sens bien et que je m'aime. Et qu'on m'aime, je crois... Certes, ce n'est pas un état permanent puisque régulièrement l'inquiétude s'insinue subrepticement et que les pensées négatives tentent de me décourager [les perverses!], mais j'ai retrouvé cette confiance en l'avenir que j'avais auparavant. Je sais que si le soleil disparait un temps derrière les nuages de mes angoisses il reviendra inéluctablement. Il suffit de patienter sans s'affoler.

Patience, c'est le maître-mot. Laisser le temps pour que les choses se fassent, que la pensée évolue à son rythme, laisser germer les graines semées depuis des mois avec régularité. C'est un travail de fond qui opère, et toute brusquerie ne ferait que perturber l'écoulement fluide d'un enchainement naturel. J'ai profondément labouré ma conscience, travaillé le terreau de mes pensées, et tout est en place pour que le renouvellement se produise. [Oui, en plein hiver je me la joue bucolique...]

Je sais que ce qui naîtra de ce travail aura une large part d'imprévisible, mais j'ai confiance: ce ne pourra qu'être du mieux.



En attendant ce renouveau printanier... la séparation de mon couple opère lentement dans nos consciences. Certains auraient opté très rapidement pour des solutions tranchées, d'autres supporteraient indéfiniment de se figer dans une situation bancale, mais pour nous cette lenteur dans le mouvement convient parfaitement. Les choses s'accélereront probablement lors de la dissociation totale de nos lieux de vie, mais je pense que nous y serons alors prêts. D'ici là, je me laisse pénétrer par cette évidence que je refusais auparavant. Ce n'est pas toujours facile, mais ce temps préparatoire avant le grand changement est nécessaire. C'est un peu comme si nous organisions une expédition en terres lointaines, chacun partant de son côté.
Pourtant, bien qu'engagé vers cette aventure en solitaire, je regarde régulièrement ce que nous aurions mal fait [relents de culpabilité à sortir du "droit chemin"?], mais toujours j'en viens à la même conclusion: nous avons fait au mieux de ce que nous pouvions, et nous continuons de même parce que c'est la seule chose à faire.

Maintenant que je ne suis plus dans une logique de choix entre l'une ou l'autre de mes relations privilégiées, je sais en toute conscience que j'ai choisi la liberté de vivre selon mes aspirations. Mi-idéaliste, mi-absolutiste, celles-ci me portent souvent vers une certaine intensité de vie. J'aime les défis, j'aime une certaine prise de risques, j'aime inventer ma vie, j'aime le dépassement de soi. Et l'inconnu m'attire. Autant d'élements qui m'ont donné la détermination de bouleverser mon existence lorsque la chance m'a permis de rencontrer une âme-soeur outre-atlantique.

Auparavant je trouvais mon équilibre dans d'autres défis, mais c'est finalement au coeur même de mes désirs que résidait le plus grand: oser être moi-même. Oser entendre le cri étouffé de mes désirs muets, et agir pour vivre ce désir. Et le crier, et en jouir ! Aaaarhhh! [orgasme de plaisir du désir vécu !] Booon, je l'ai bien assez écrit: je t'étais pas encore prêt ni n'étais libre pour cela. Qu'importe, je ne fais que différer le mouvement en continuant à m'activer dans le sens souhaité. Je sais que c'est possible, accessible, et continue à y croire et agir pour le vivre.



Vivre quoi?
Tout ce qui m'est possible. Tout ce que je souhaite et que j'ai matériellement la capacité d'entreprendre. Des voyages, des rencontres, créer, inventer, innover... Ou bien, par exemple [au hasard...], vivre un amour transatlantique. Non que ce défi de la distance me stimule particulièrement (quoique...), mais parce que les circonstances ont fait que c'est de l'autre côté de l'océan que j'ai reconnu une très proche alter-ego. Alors oui, c'est quelque chose de compliqué à vivre et pour bien des gens la raison voudrait que j'y renonce sagement. Parce que l'amour ne se vivrait pas à distance, parce qu'il y aura de la frustration et du manque. Alors il serait plus "raisonnable" [pouah !] que je conserve la relation rassurante, la sécurité, plutôt que de tenter une aventure "impossible".
Peut-être... mais je n'ai pas cette sagesse-là. Je n'ai pas cette capacité au renoncement. Cette résignation anticipée. Je n'ai pas envie de me priver de ce désir très vivace au nom d'une sécurité relative. Je sais ce que j'y perdrais: ma capacité d'émerveillement. Mes rêves et mes désirs. Mon élan de vie. Mon âme.
Je préfère pouvoir vivre peu de moments intenses plutôt que d'opter pour une vie tranquille et rassurante. J'ai envie de rêver les yeux grand ouverts. Un alpiniste de haut niveau, lorsqu'on lui parlait du danger de ses défis à la montagne, disait «je préfère vivre un jour comme un lion que cent ans comme un mouton». Au nom de cette devise, certains sont morts. Bon, sans aller jusque là, je dois dire que cette vision "absolutiste" me séduit...
Je ne me sens pas à l'âge de me "ranger" [Eh, je suis rangé depuis bien assez longtemps!]. Je ne veux pas que mes peurs dictent mes possibilités de vie ni n'en restreignent le champ d'investigation.

Un jour nathalie m'a demandé comment, en pratique, j'imaginais vivre cette relation. Certainement pas de façon conventionnelle (ce qui, je l'avoue, n'est pas pour me déplaire...) puisque actuellement nous ne pouvons quitter nos proches durablement. Je lui ai répondu que ce qui m'importait c'était de ne pas m'interdire de le vivre. Inventer ce qui peut nous satisfaire au mieux des possibilités, voila un défi. Et vivre bien plus intensément les moments rares et précieux que nous pourrions partager. Si elle le veut bien...

C'est à cela que je me prépare, comme on prépare une expédition dans un milieu difficile. Car ce genre de cheminement partagé demande une autonomie et une force personnelle. Aucun des deux ne peut prendre l'autre en charge, déjà bien occupé à vivre les choses pour soi. Il faut être libre de ses mouvements pour vivre l'amour de cette façon. On ne gravit pas l'Everest avec un amateur. Les partenaires doivent tous les deux avoir un excellent niveau et une bonne préparation psychologique, connaître leurs limites et ne pas les dépasser. Et se respecter. Et se faire la plus grande confiance. Deux solitaires devenant solidaires. Unir les forces. Compter l'un sur l'autre sans en dépendre. C'est au prix de cette discipline que l'on peut, lorsque toutes les conditions sont réunies, vivre des moments vraiment extraordinaires. Et ce sont ces instants d'éclat qui stimulent par anticipation, autant qu'ils nourrissent par les souvenirs laissés. Préparer les temps d'intensité et les prolonger ensuite.

Nous l'avons déjà un peu vécu et je crois fermement que c'est possible de le vivre encore.
Vivre l'amour comme un défi à l'impossible. Et le rendre possible.





«Pourtant, j'ai une plus grande peur encore : celle que ces doutes, un jour, ne soient plus là. Car la certitude de l'amour m'apparaît parfois comme un plus grand danger encore que la peur d'être délaissée : si je suis assurée à vie de son amour, aurais-je encore envie de le surprendre, de le séduire, de l'aimer ? Si je ne doute plus, pourrais-je encore me croire amoureuse ? Tant que j'ai des noeuds dans le ventre et des larmes brillantes dans les yeux, je sais que je l'aime. Comme avant. Plus qu'avant même. Comme si ma peur me faisait à nouveau tomber amoureuse de lui chaque matin. J'ai peur, donc j'aime. J'aime, donc j'ai peur.»


Eva - Regards solitaires
- 01/12/2004








Maltraiter la relation




Mercredi 22 décembre


Accrochez-vous ! Je crois que je vais me lancer dans un de mes textes emberlificotés à souhait, abordant simultanément diverses pistes inter-reliées [pensée en arborescence, comme disait nathalie]. Ouais, je sais, j'avais écrit que dorénavant j'éviterais les analyses. Mouais... mais il semble que le moment n'est pas encore venu. En fait, je crois bien que l'écriture m'aide à booster un peu ma lenteur d'assimilation [arf ! imaginez ce que ce serait si je n'écrivais pas...].

Bon, le vif du sujet :
Hier j'ai écrit mon texte et j'en étais tout revigoré. J'aime bien quand je crois en moi. Sauf que, en y pensant encore après, je me suis rendu compte que c'était bien beau de rêver... mais encore faut il en avoir les moyens! Meeeeerde, l'argent. Pffff, toujours la même chose, ce manque de sous [un des thèmes de réflexion qui est en attente et que je "travaille" dans ma tête depuis quelques temps].

Rappel bien réel et un peu casse-moral, donc, puisque je suis pour le moment bloqué, et ultérieurement je risque fort de ne pas être Crésus [je devrais me lancer comme écrivain de best-seller, tiens...]. L'argent, c'est bien un des gros points délicats quand on vit un amour transatlantique [et je ne parle même pas des considérations écologiques à contribuer honteusement à bouffer du kérosène...].

J'en étais là, à mesurer les limites de mes élans, tout en travaillant sur mon ordinateur quand, en cherchant des fichiers, je tombe sur des enregistrements anciens de nos conversations avec nathalie, sur tchat. Curieux, je vais en relire un bout. Pfff, c'est fatal ce genre de choses. Ne ja-mais solliciter des souvenirs quand on n'est pas en super-forme. Beuh... retrouver l'ambiance de nos douceurs et de nos rires, de notre timidité et nos précautions... floutch, moral dans les chaussettes. [gnnn, raviver le manque, c'est vraiment pas le truc à faire].

En fait, j'étais en train de copier des photos familiales pour les donner à Charlotte, en vue de notre distanciation géographique à venir. Et là encore... p'tit coup de blues en voyant son visage parfois grave, parfois souriant ou éclatant de rire. Parcelles de vie figées et souvenirs qui reviennent. Et euh... culpabilité de ma part en songeant à ce que mon évolution inflige à celle que je n'aurais jamais voulu faire souffrir. Beuh... suis triiiste :o(

Total: trois éléments, pas fondamentaux, mais un ti-peu déprimants quand même. Sur ces entrefaits Charlotte arrive et me raconte ses soucis. Hop, très bonne diversion. On bavarde un moment puis, comme tous les jours, on dérive sur notre couple. Je lui parle de ma culpabilité, mais elle semble attacher moins d'importance que moi à ce que je ressens à son égard. C'est moins "grave" que ce que je perçois. C'est rassurant, dans un sens.
Elle en vient à me dire «on n'a jamais fait de conneries ensemble. Lorsque j'étais avec C. (celui qui m'a précédé de façon éphémère, avant qu'on se fréquente), on déconnait tous les deux». Saisissant la balle au bond, je lui dis qu'effectivement on n'avait pas le même genre d'humour, et que «oui, on ne rit pas ensemble». Simple constat pour moi, assez général, ne niant pas le fait qu'évidemment il nous arrive assez souvent de plaisanter. Mais disons qu'on n'a pas la complicité du rire, et encore moins celle du fou-rire. Je la fais rire, en faisant l'andouille (c'est un indicateur de mon moral), mais elle ne sait pas bien me faire rire [et le rire, ça ne se force pas, hein ?]. Nous ne rions pas pour les mêmes choses, hormis ce qui nous relie aux anecdotes du quotidien, ou ce qui se passe avec les enfants. Bon, c'est déjà pas mal, me direz-vous.
Mais Charlotte n'a pas entendu ça. Elle s'est arrêtée sur mon constat qu'elle a ressenti comme «négatif». Crac... à compter ce cet instant ça a commencé à foirer. Incompréhension, le ton monte, chacun défend ce qu'il a compris de la situation. Plus tard elle m'a dit que je «maltraitais notre couple» lorsque j'en parlais de façon négative.
[Bon... en fait je pense qu'elle a aussi perçu que je songeais silencieusement à ma complicité dans le rire avec nathalie. Rire qui, il est vrai, est un puissant atout de séduction et donnait une joyeuse dynamique à nos échanges]




C'est là que je commence l'analyse [veuillez vous étendre sur le divan, je vous prie].

Lorsque je décris ce qui ne va pas, j'ai l'impression de faire un constat. Pour moi c'est important puisque cela me permet de comprendre un des élements qui ont fait que quelque chose ne tournait pas toujours bien entre nous. Je pointe donc sur l'élément problématique, mais... en omettant de dire aussi ce qui allait bien. Parce que pour moi il semble évident qu'il y a eu des tas de choses qui allaient bien si on est restés si longtemps ensemble, et si je tiens autant à ce que cette relation évolue sans éclater. Évident... mais je ne l'ai pas dit à ce moment là. Il est donc ressorti pour Charlotte, ce jour-là, uniquement du "négatif" (dévalorisation, culpabilité). Elle a réagi émotionnellement, avec une certaine véhémence, ce qui a touché ma sensibilité (dévalorisation, culpabilité)... et tous les ingrédients étaient en place pour une magnifique séance d'incompréhension. Manque d'ouverture à l'autre, alors même qu'on prenait le temps d'essayer de comprendre ce qu'il voulait signifier. Mais on ne parlait pas sur le même plan et la rencontre n'avait pas lieu.

Ce qui m'intéresse, au delà du coté anecdotique d'une dispute, c'est cette perception "négative". Car [et c'est un des avantages d'une double relation] je crois qu'il s'est parfois passé le même genre de choses avec nathalie. Il lui arrivait de me dire, fatiguée par mes attentes chroniques, «avec toi il n'y en aura jamais assez». Je m'insurgeais alors en disant que selon moi il y avait de moins en moins (de contacts). Oubliant peut-être de dire (mais ça me semblait alors évident), combien j'appréciais ces moments.

Double perception d'une même situation, là encore. Chacun réagissant selon ses critères et sa sensibilité personnelle.

Je repense aussi à tout ce que j'ai dit et écrit sur les dysfonctionnements de mon couple, l'an dernier, pouvant laisser croire que Charlotte était une mégère acariâtre. Ou plus récemment lorsque j'ai pointé sur les dysfonctionnements de ma relation avec nathalie. Au point qu'on pourrait se demander pourquoi je tiens tant à cette relation, si ça fonctionnait aussi "mal", n'est-ce pas ?
Incohérent. Les moments de bonheur, les instants merveilleux, je ne les oublie évidemment pas. Mais j'ai le tort d'en ommettre le rappel lorsque j'évoque les périodes moins agréables. Vu de l'extérieur, ça paraît évidemment peu objectif. Ce qui est dans ma tête n'apparaît pas en transparence.

Alors je me dis qu'il doit y avoir un problème dans ma façon de présenter les choses...
Ou plutôt... dans ma façon de les vivre. Car si, après un constat de blocage je ressors des vieux trucs censés expliquer comment on en est arrivés là, c'est que manifestement il y a eu un déficit de compréhension à ce moment-là. Que les choses n'ont pas été mises à plat, comprises, assimilées et dépassées. Donc... qu'il y a eu déficit de communication. Disharmonie résiduelle dont les scories se déposent inlassablement sur le continuum relationnel [ça veut rien dire mais ça fait classe !].
Et là, j'ai toute ma part de responsabilité : si je n'ai pas tout compris, pas tout accepté... et ben j'aurais dû en parler [bougre d'andouille, depuis le temps qu'on te le dit !]. Ne pas garder ces furoncles mal soignés s'infectant au moindre désaccord.

Tout ce qui ressort des mois ou des années (voir des décennies) après, ce sont des éléments pas suffisamment éclaircis sur le moment. Pourquoi ? Parce que je n'avais alors pas osé en parler vraiment. Ou pas voulu entendre ce qui se manifestait en moi. Je cherchais tellement à ce que tout se passe bien que je ne creusais pas pour assainir jusqu'au fond. Les plaies et blessures gardaient une partie infectée [plein de pus... beuaark !]. En fait, sur le moment j'étais généralement rassuré parce qu'en apparence tout était soigné, mais s'il y avait des récidives je ne les traitais pas suffisamment. J'aurais dû dire, à chacune de mes partenaires : «écoute, ce truc là je n'ai pas compris, ou je n'accepte pas». J'aurais dû me manifester, exprimer mieux ce que je ressentais, mes limites, mes désirs. Qu'on éclaircisse, trouve un point de compromis (ou pas) et qu'on en tienne compte pour la suite. Mais qu'au moins on sache à quoi s'en tenir. Que la situation soit claire et saine.

En ne respectant pas mes ressentis, j'ai fini par ne pas respecter la relation, et pas respecter ma/mes partenaire(s). Putain, c'est vraiment con !

En fait, cette transparence que j'appelle de mes vœux, cette sincérité que j'essaie de pousser au plus loin, cette confiance que je souhaite totale... je me demande [non non, ne te demande pas, c'est bien ça !] si ce n'est pas la projection sur l'autre de ma propre incapacité à les appliquer. Je suis transparent, sincère... sur ce qui m'est dicible. Et je cache (autant à l'autre qu'à moi) ce qui pourrait potentiellement menacer la relation et l'équilibre harmonieux que je souhaite. Stupide ! Car évidemment c'est en ne disant pas tout, en n'étant pas authentiquement moi-même, que j'introduis un déséquilibre. Pas vraiment digne de confiance, donc... Je ne suis pas le "vrai", mais celui que je voudrais être. Je ne m'accepte pas entièrement.

Pas étonnant qu'après je dise «ne pas exister»...
Pas surprenant non plus que je «maltraire la relation» en pointant sur ce qui ne me va pas parce que j'ai voulu "passer par dessus" sans vraiment y parvenir. A ne pas dire sur le moment mes ressentis, je reporte une certaine amertume, qui finit toujours par ressortir un jour.
Pfff... ce que j'intègre là est à la fois déprimant et très réjouissant (piste d'évolution).

Merde... que de temps pour en arriver là !
Que de moment gaspillés, endommagés.



... je crois que lorsque j'ai rencontré nathalie par les mots, nous ouvrant lentement l'un à l'autre, c'est la totale transparence mutuelle que nous avions qui m'a fait autant de bien. J'étais absolument sincère, car nous avions tout à découvrir l'un de l'autre. Relation sans aucun nuage, qui est allée jusqu'au «bonheur absolu» lorsque je me suis senti accepté dans mon intégralité et que tout chez ma partenaire me plaisait. Ouais, le fameux truc "fusionnel" des débuts amoureux, quoi. Jusqu'au jour où...
Je me souviens très bien de ce jour. C'était la première fois que je découvrais une nathalie différente de ce que j'avais cru. La première fois où, ayant ressenti le doute, j'avais exprimé une attente. Elle avait su rester authentique en m'exprimant sa conception des relations. Mais moi, à compter de ce jour-là je suis entré dans la crainte. Parce qu'elle s'était exprimée fermement et sans détour, avec un léger ton de "colère" (fort peu, pourtant) et que cela m'avait placé en position de fautif, de vilain petit garçon devant un "père" autoritaire. Ouais ouais, c'est ça qui s'est passé dans ma tête à ce moment là. Et depuis, cette crainte de perdre nathalie (c'était la "menace" qui était sous-entendue) a fait que j'ai essayé de lui plaire, ne pas la contrarier, pour ne pas la perdre. Et j'ai nié une part de moi. Je ME suis contrarié. Je n'ai pas été authentique.

Quel con !

Oh, ce constat est déjà ancien, mais j'y reviens parce que c'est LE point d'inflexion. C'est le moment où j'ai dérapé, reproduit le système pervers duquel je voulais échapper. Je me suis senti en position de vulnérabilité devant elle, passible de "sanctions" dramatiques si je n'étais pas «comme il faut» [devenant petit garçon bien obéissant ?]. Je l'ai perçue comme "celle qui sait, celle qui est forte". Et une fois parti là dedans, il a été bien difficile d'en sortir. Il y avait toujours cette menace lointaine d'un possible courroux de nathalie. Je guettais donc tout ce qui pouvait me rassurer et n'étais vraiment moi-même, authentique, que lorsque je la sentais bien avec moi. C'est ce qui créait cette dépendance en forme de «rassure moi, es-tu toujours bien là ?» [m'aimes-tu ???]. Etat d'hypervigilance peu propice aux rapports détendus. Et l'inquiétude venait dès qu'elle "disparaissait" pendant quelques jours, ou que nos contacts ne permettaient pas que je perçoive si tout allait bien, ou encore qu'elle avait le moral (et la communication) en baisse.
Tsss... affligeant n'est-ce pas ?

D'autant plus bête qu'avec le temps notre relation ne cessait de s'intensifier et notre complicité se renforcer (cet événement déclenchant datait de nos débuts amoureux). Mais bon... quand on doute de soi et du droit au bonheur...

C'est évidemment toute cette "dépendance" qui s'est manifestée lorsque nous avons dû interrompre le contact. La peur atroce d'avoir tout perdu, tout gâché à cause de... ma peur [hi hi, cocasse, non ?]. Car bien évidemment je sais que si nous en sommes là c'est toute ma part enfantine qui n'a pas su choisir entre deux sources de réassurance. Entre la relation conjugale qui était "acquise" quoique insatisfaisante, et celle avec nathalie que je sentais tellement propice pour me permettre d'ouvrir enfin mes ailes... mais pas suffisamment sûre tant que je restais en état de dépendance. Je savais bien que ma dépendance était la principale menace qui pesait sur nous, mais ça restait inopérant sur mon inconscient. Y'avait pas de solution...

Il fallait forcément passer par une forme de rupture. Je ne crois pas que la transition en douceur était possible. C'était trop "confortable", trop lent. Il fallait un éléctro-choc pour que je comprenne que je DEVAIS impérativement évoluer si je tenais à poursuivre. Ma chance est d'avoir rencontré nathalie, plus en avance que moi et sachant très bien ce qu'elle veut vivre. Mais j'étais encore trop "loin" d'elle et ne pouvais suivre. Et je ne crois pas qu'elle pouvait m'attendre indéfiniment.


Ma foi, il me semble qu'après la secousse je commence enfin à réagir...
Va maintenant falloir se préparer a un autre éléctrochoc : la séparation effective d'avec Charlotte.

Docteur, préparez le défibrillateur pour une deuxième secousse...





Avant le rituel



Vendredi 24 décembre


Noël, fête traditionnellement familiale. Rituel plus ou moins agréable. Inévitable corvée festive qui consiste à passer de la façon la plus agréable possible quelques heures avec un groupe hétéroclite constitué d'une famille originelle et de ses "pièces rapportées". Je n'y ai jamais dérogé, mais je pense que quelque chose me manquerait si je jouais les absents. Cela contribue au sentiment d'appartenance à une tribu, celle de mes racines. Pourtant je ne m'y amuse pas forcément beaucoup, malgré la convivialité et le rire. Trop de souvenirs d'enfance, de non-dits, de fausse consensualité jamais vraiment mise à plat. Respecter la sensibilité et les souhaits de chacun, donc ne pas parler de "choses qui fâchent" (même s'il n'y a pas de quoi fâcher grand monde...). Alors je vais me taper encore ces quelques jours "obligés", sans trop rechigner. Les enfants seront contents, nos parents aussi... Et puis moi aussi, quand même.
Le vrai noël, c'est celui que nous allons fêter tous les cinq ce soir. Le seul des trois noëls (élargissement à la famille de chaque conjoint) qui sera vraiment détendu et sans histoires d'arrière cour, sans traces de ressentiments mal digérés et faussement oubliés. Il flotte dans ces atmosphères familiales comme des relents aigre-doux. Demain ce sera dans ma famille, et après-demain dans celle de Charlotte. Qu'en sera t'il l'an prochain, lorsque nous serons séparés? Nous verrons bien...

Déjà sentirons-nous peut-être les regards interrogatifs: «alors? ils vont vraiment divorcer? c'est certain? Pourtant ils ont l'air de bien s'entendre, ils ne se disputent pas... C'est bizarre ça...». Un divorce sans disputes, ça existe? Un divorce d'un commun accord, en restant complices, détendus, proches... Ben oui, c'est comme ça que ça se passe entre nous jusqu'à maintenant. Et il n'y a pas de raison pour que ça change fondamentalement.



Noël, fête traditionnellement familiale. Et pourtant... parmi mes proches je penserai à elle. Comme tous les jours. Parce qu'elle fait partie de ma vie, même aussi loin, même sans contacts entre nous. Je suis lié à elle par la pensée.

Pour cette circonstance il n'y aura pas entre nous davantage de mots directs que les autres jours, mais je penserai tout particulièrement à elle, sans le partager avec quiconque de mes proches. Sans tristesse. Peut-être même avec un sourire secret dans la tête. Elle sera à la fois "là" et manquante. Le manque, ce n'est pas de la tristesse. C'est de la joie mise en stock pour le futur, une avance sur un plaisir espéré. C'est du désir retenu; d'autant plus grand, lorsque sa délivrance survient, que le manque aura été fort.

Je poursuis mon chemin vers cette délivrance.






Courage et persévérance




Mercredi 29 décembre


La neige lourde qui a aplati le jardin et écartelé les branches des arbres s'est trouvée prise en blocs avec le gel qui a suivi. Tout est figé dans ce froid blanc. Mes pas crissent dans la neige lorsque je fais mes va-et-vient entre mes deux lieux de vie. Maison chaude et habitée (les enfants sont en vacances) et vieille maison froide qu'un radiateur ne parvient pas à élever au dessus de 9° (au moment ou j'écris, gla gla...). J'ai ressorti pour l'occasion les chaudes chaussures achetées en février pour affronter l'hiver québecois. Inévitablement des souvenirs associent le froid, la neige... et tous les si doux moments que j'ai passé avec nathalie l'hiver dernier. Vague à l'âme...

Cette sensation diffuse m'accompagne depuis ces derniers jours. Les mois passant et le silence s'installant , le manque prend sa place, mélange de nostalgie, de douceur, d'espoirs. Parfois j'ai même des difficultés à vivre vraiment le présent puisque dès que je suis peu sollicité mes pensées s'envolent vers quelque souvenir qu'un détail ravive. A moins qu'une certaine inquiétude ne m'envahisse lorsque je pense au temps qui reste encore avant de pouvoir retrouver un jour notre lien. Allers-retours entre passé, présent et avenir... l'alternance des temps est caractéristique d'un état instable. Mais bon, globalement ça va. Je garde un moral solide malgré tout.

Et puis... il faut relativiser. D'autres vivent des manques sans espoir de retour. Le jour de noël c'est une de mes cousines qui est décédée, ayant manifestement poussé jusqu'a l'ultime limite une maladie aussi soudaine que sans issue. Toute sa famille était réunie en sachant très bien que c'étaient les derniers jours. Elle meurt deux ans après le décés accidentel de son fils de vingt ans, et le lien avec cette tragédie fait peu de doutes. Alors côté tristesse et peine... hein... j'ai rien à dire. Et je ne parle même pas des dizaines de milliers de morts anonymes lors du tremblement de terre en Indonésie... Ouais, tout est relatif.




Relatif aussi, le courage. Celui de l'urgence et celui du long terme. Tenir le choc d'un décès, sauver des vies au cours de catastrophes, reconstruire après avoir tout perdu... Actes de survie, ressources à trouver en soi par obligation. Aucune hésitation à avoir, l'urgence étant de vivre.
Mais il y aussi le courage banal qui consiste à se mettre volontairement en position instable, propice à l'évolution. Quitter un confort de vie, provoquer les évènements qui privent de ce à quoi l'on tient pour permettre de vivre autre chose. Ou détruire une part de ce qui existe pour reconstruire plus en rapport avec ce qu'on souhaite. C'est cette forme de détermination que je crois avoir en ce moment, sans forfanterie. Je disais à ma psy ma difficulté [euphémisme...] à oser me lancer, à croire en moi, à renoncer à un cadre rassurant. Je lui parlais de ce cliché de l'homme lâche qui n'ose pas quitter sa femme et renonce ainsi à conquérir jusqu'au bout celle qui l'aime et avec qui il ouvrait pourtant les portes de la liberté... Et je les comprends ces hommes. C'est vraiment très difficile de "tout quitter" (avoir cette impression) pour se lancer vers l'inconnu. «Difficile de quitter sa mère?» tenta la psy, sachant que j'acquiescerais. Puis elle opina du regard et de la tête lorsque je lui expliquais que, si je n'avais pas fait toute une démarche de conscientisation et d'analyse approfondie, je ne crois pas que je serais parvenu à résister. Il faut quand même être fort et solide [ou masochiste?] pour perséverer sans y être obligé. Être convaincu que c'est le seul chemin à suivre, à défaut d'être le plus simple... et oser le suivre.

Je dois bien me rendre à l'évidence: j'ai une certaine force, du courage, et de la persévérance pour continuer vers cette voie de l'émancipation. Il est important que j'en prenne conscience. Que j'aie cette lucidité pour mieux croire en moi. Que je retrouve une certaine estime de moi. Car, dans le fond, même si souvent j'ai peur, je sais que je peux compter sur mes ressources. Lorsque j'énonce mon parcours à un interlocuteur j'entends de mes mots toute une détermination qui me surprend moi-même. Le doute qui m'accompagne quand je suis seul semble alors disparaître.

Et pourtant... bien souvent, lorsque ma pensée se projette vers l'avenir et que je réalise vraiment que je vais séparer ma vie de celle de Charlotte, j'ai l'impression de vivre un cauchemar. C'est comme un vertige qui me prend et me vrille la pensée: «mais je suis fou!!!». Comme si subitement je réalisais tout le coté définitif de ce qui s'est mis en place. Qu'il ne s'agit pas d'une lubie de quelques mois, mais d'une vraie séparation de nos chemins de vie. Malgré ces instants de panique... je continue, mû par je ne sais quelle force impérieuse. Mois après mois l'idée prend sa place, devient moins inimaginable
La difficulté vient surtout du mode de transition en douceur, et du souhait de maintien des liens. Car sans cesse des questions reviennent et ravivent les doutes. Ai-je raison de poursuivre? Est-ce que je ne suis pas dans une illusion? Est-ce que je ne me leurre pas inconsciemment? [cette question étant la plus angoissante...] Faut-il privilégier l'inconnu et sa part de chance ou bien garder précieusement l'acquis censé préserver des risques? Bien sûr que je connais les réponses: elles s'imposent d'elles-mêmes. Mais il faut cependant une franche détermination pour avancer et se sortir lentement de l'emprise de tout le coté agréable que procure un confortable immobilisme.

Je mesure bien à quel point le "confort" de ma relation actuelle avec Charlotte complexifie ma démarche. Cette amitié de couple est agréable et rassurante, donc encore plus difficile à quitter. Un peu comme s'il fallait sortir d'une maison bien chaude pour affronter les rigueurs du froid et de la neige... Le moment de transition est le plus difficile à passer. Chaque jour nous "défusionnons" un peu plus, nous désimbriquons nos personnalités respectives de ce couple au long cours. Et d'ailleurs, maintenant que le désir de séparation effective est certain, je préfèrerais que nous vivions à l'écart l'un de l'autre. Même si, objectivement, les choses se passent plutôt très bien entre nous. 
Il faut désormais que ça bouge, que des actes soient posés. Il m'est nécessaire d'affronter la réalité d'une vraie séparation, sans la présence de Charlotte à proximité. Nos six mois de semi-séparation nous ont montré que la semi-présence, dans ces circonstances, est pire que l'absence. Il y avait trop de frustrations à nous cotoyer dans un ballet de fuite-attente et élans retenus. Il y avait un besoin de contact contrarié par une souffrance, devant l'impossibilité de trouver une conciliabilité dans nos désirs.

Actuellement tout va bien... uniquement parce que nathalie est temporairement sortie de la problématique. Mais il suffit que j'évoque mon désir de la retrouver pour que l'ambiance s'alourdisse... . Donc j'évite. C'est pourtant une réalité incontournable qu'il faudra bien affronter. Tant que je ne suis pas financièrement indépendant ma liberté relationnelle est restreinte.




Si la séparation demande que je croie en mes forces et en ma capacité à devenir autonome, il me faudra la même conviction pour reconquérir, autant qu'elle me le permettra, ma belle complice. Bien qu'elle ait initialement refroidi mes ardeurs à plusieurs reprises, semblant ne plus croire en l'avenir possible du couple assez singulier que nous tentions de construire, je n'ai jamais pu durablement renoncer [sa logique et son assurance m'ont parfois convaincu de manière éphémère]. Il se pourrait même que ce soit là que se situe toute ma vitalité: la persévérance malgré des difficultés qui pourraient paraître "insurmontables". Depuis que j'ai finalement pu être rassuré sur ses intentions, j'ai retrouvé la piste du courage nécessaire.

C'est un nouveau chantier qui se met en place et s'intensifiera dès que je serai libre d'attaches. Il me faut poursuivre une réflexion approfondie sur mes désirs et mes limites. Trouver le juste équilibre entre l'expression de soi et la non-attente; l'envie de l'autre et la non-dépendance; la présence et la liberté; l'audace et le respect des limites. Tout un défi... [mais aimer une fille aussi indépendante et fluctuante que nathalie n'est-il pas déjà un défi pour un gars comme moi?].
Il faudra aussi, quoi qu'on en dise, le rétablissement d'une confiance réciproque qui a été quelque peu malmenée par des mots ou des actes. Car nos façons de douter et de garder confiance sont assurément différentes et ne s'appliquent pas de la même façon. A chacun ses failles et ses forces. A nous d'unir nos vigueurs plutôt que de dynamiser nos faiblesses [et dynamiter notre lien !]. Le fond de confiance qui nous a liés reste intact, j'en suis certain, mais les réactions de l'un ou de l'autre auront probablement laissé des traces marquantes qu'il faudra cicatriser. Des zones très sensibles ont pu être touchées.

D'ailleurs, il y a longtemps que nous aurions dû être beaucoup plus vigilants sur certains point délicats de nos différents modes de fonctionnement. La distance géographique qui nous sépare complexifiait notablement notre dynamique relationnelle, exacerbant des ressentis que le regard ou le geste ne pouvaient nuancer. Je doutais trop de moi, n'ai pas osé aller assez loin dans l'expression, ai tenté me suradapter en ne comprenant pas toujours le mode d'évolution de notre relation. A l'évidence nous n'avons pas assez mesuré, ni communiqué suffisamment, sur le problème majeur de notre relation: trouver l'ajustement adéquat, la distance optimale entre mes besoins de réassurance et son besoin de liberté. Ce sera la première et indispensable étape de la restauration que je désire. Il me semble que j'ai là toute ma place à prendre dans cette reconquête, car il est apparu que je ne devais compter que sur moi pour que des initiatives soient prises. A moi de voir ce que je veux... ou ne veux plus. Seule cette détermination pourra rétablir l'équilibre entre nos "forces" respectives. Car il est évident que nathalie n'est pas plus "forte" que moi... à condition que je croie en mes propres ressources.

Puisque la confiance demeure, il n'y a d'autre urgence que le manque. Les sentiments évolueront ou pas selon ce qui nous anime vraiment. Ce n'est plus une crainte pour moi. Et si un jour le temps est passé... alors ce sera ainsi. Contre ça, il n'y a rien à faire. C'est que l'amour, la complicité, l'amitié n'auront pas été aussi forts qu'on le croyait, ou bien que la vie réservait de nouveaux hasards de rencontre [ou que j'aurais été beaucoup trop lent...].

«Rien n'est jamais acquis», me répétait-elle souvent. Ce qui nous lie ne dépend que d'une volonté commune de le faire durer. Chacun dispose à égalité du pouvoir de vie et de mort sur une relation. Si les deux veulent qu'elle vive, alors il y a les meilleures chances pour que cela advienne.

Et moi je le veux toujours.

[alors... agis !]







Les liens essentiels




Vendredi 31 décembre


Je pensais me livrer à un bilan de l'année écoulée, qui aura été fertile de découvertes et de contrastes, et ce sera son avant-dernier jour qui m'en aura offert un condensé. En cette semaine traditionnellement dédiée aux retrouvailles festives, la vie continue avec des moments de peine qui s'octroient un petit anachronisme.

Hier était un moment de transition pour toute une famille, parmi d'autres. Accompagnement de l'avant vers l'après, de la présence vers l'absence, de la vie vers la mort. Nous enterrions celle qui me portait dans ses bras le jour de mon baptême. Pour chacun des présents il y avait une relation particulière, plus ou moins proche. Ce qui nous unissait c'était cette conjonction de liens avec une seule personne, maintenant physiquement disparue, mais pourtant étonnamment "vivante" ce jour-là. Et les jours d'avant. Et les jours d'après. La mort a ceci de particulier qu'elle ravive des souvenirs, les ressuscite, les rends encore plus précieux et "immortels" au coeur de chacun. Jamais, peut-être, ne pense t-on aussi unanimement à une personne. De cette communion de pensée émane une profonde intensité. Quelque chose de palpable. Une forme d'esprit commun.
Bien sûr il y a beaucoup de tristesse et de larmes, mais aussi une sorte de... bonheur. Celui d'être ensemble à ce moment particulier, tous soudés dans le même élan du coeur. Soutien mutuel, dont les plus touchés sont parfois les plus prodigues.

Ce grand rassemblement familial impromptu avait quelque chose de joyeux. Les groupes venant de différentes régions se rassemblaient et grossissaient au hasard des trains qui convergeaient vers le point de rendez-vous. Les discussions s'ouvraient, totalement détachées de la raison pour laquelle nous nous retrouvions. Ce n'est qu'en entrant dans l'église que les visages se sont figés et que l'émotion a pénétré chacun de nous en retrouvant ceux qui étaient déjà là. Je n'ai plus la foi, et ne peux plus prononcer ces paroles d'un rituel religieux que je connais pourtant par coeur, mais j'étais cependant pénétré par là "communion des esprits" qui émanait de cette foule.

Les circonstances ont fait que quelques heures s'écoulaient entre deux moments forts. Ce délai fût l'occasion de retrouver un moment d'échanges animés. On aurait dit un rassemblement pour quelque fête familiale et, s'il n'y avait sans doute pas de grands éclats de rire, l'ambiance était plutôt d'humeur gaie. J'ai trouvé ça très apaisant, agréable, et une bien belle façon de continuer à vivre. Puis le dernier rassemblement des intimes a eu lieu, permettant une expression poignante de ce que chacun ressentait. C'est à l'issue de cet ultime contact que les vivants ont laissé la morte s'éloigner. Moment très fort que la sortie de la cérémonie, ou chacun lance, par des mots ou des gestes, un appel à la vie. Exhortation à vivre intensément chaque instant avec ceux qu'on aime, et le leur dire. On ne dit jamais assez qu'on aime...
Il régnait beaucoup de chaleur dans ce mélange de rires et de larmes, profonde tristesse et joie du partage. Chacun est reparti assez souriant à la fin de la journée, et la vie à repris son cours. Les groupes se sont disloqués comme ils s'étaient rejoints. De retour dans leur ville, j'ai racompagné les parents de ma cousine jusque chez eux, et ils nous ont souhaité en souriant, à ma soeur et à moi, une bonne fin d'année. Comme si tout était normal. Comme s'ils n'avaient pas perdu leur fille.

Est-il permis de dire que j'ai beaucoup aimé cette enterrement?




Inévitablement des tas de pensées m'ont traversé la tête durant cette longue journée. Nous parlions, avec ma soeur, de la valeur du socle familial élargi et de la solidarité de coeur qui y règne. C'est, je crois, un bien précieux dont je ne mesure pas toujours la valeur. Je songeais aussi à la cellule familiale réduite, celle de mes origines: frère-soeurs et parents. Encore intacte mais dont je mesure avec plus d'acuité que c'est un état condamné à disparaître. Me venait aussi en tête, par analogie avec ceux dont je voyais la douleur, la perte d'un des membres de la famille-noyau que j'ai constituée avec Charlotte. C'est évidemment quelque chose de réellement "inimaginable"...

Et puis... en cette période un peu trouble de ma séparation de couple... je sentais aussi la profondeur de l'attachement que j'ai avec celle dont je partage le chemin depuis si longtemps. Ce fameux lien que je n'ai pas voulu perdre et auquel je m'accroche pour qu'il perdure dans les meilleures conditions. Cet amour profond dont la part "amoureuse" ou "désirante" n'est qu'une infime, quoique essentielle composante.

Je pensais aussi, bien évidemment, à nathalie. A cette place que nous avons l'un pour l'autre tout en étant aussi éloignés. Pour nos familles respectives, nous n'avons pas d'existence, ou à peine. Ce qui nous lie n'est pas "reconnu" socialement, familialement. Si l'un de nous deux décédait, qui penserait à prévenir celui qui se trouve de l'autre coté de l'océan? Qui pourrait comprendre sa peine? Qui pourrait la partager?

nathalie ne fait pas partie de ma famille. Elle fait partie de mon intériorité. Ce lien puissant n'existe qu'entre elle et moi et, quoique pas secret, n'a vraiment d'existence qu'à nos yeux. C'est tout le contraire du mariage, cette cérémonie qui intronise l'appartenance de l'autre dans une cellule où il/elle sera reconnu (et ce, indépendamment de l'amour qui les relie...). Ou même simplement de la formation d'un couple qui, traditionnellement, vit sous le même toit. Cette distance qui nous sépare nous prive de tout une partie de notre vie relationnelle extérieure et de l'intégration au regard des autres...

En quittant la cérémonie, je pensais simultanément à Charlotte et nathalie. Deux femmes que j'aime différemment et dont la disparition me serait particulièrement cruelle. Je ne regrette pourtant pas le choix que je fais de me séparer de Charlotte tout en maintenant nos liens tissés dans le passé. Je crois que je ne regrette même pas d'en être arrivé à la période actuelle, séparé de nathalie, parce qu'elle me permet d'assainir un lien auquel je tiens très fort. Dans ce bain de réflexions profondes sur la valeur de la vie, je mesurais bien à quel point chacune d'elle m'est essentielle, de façon différente. Tout comme je tiens de façon différente aux membres de ma famille.




Voila. Le bilan sur cette année 2004 viendra sans doute un peu plus tard...







Mois de janvier 2005