Génèse - Août 1999
 
 
... «Et puis, j'ai rencontré "Vanille". Par le plus grand des hasards. C'était la veille du départ en vacances et je me suis mis a naviguer sur internet. Mon fils m'avait soupçonné, quelques jours auparavant, de me connecter à des dialogues avec d'autres internautes. Si j'avais effectivement quelquefois pratiqué les forums, je n'étais jamais entré dans ce qui s'appelle les "chat". C'est à dire des espaces de discussion en direct, par clavier interposé.
 
J'avais un peu de temps disponible et j'ai tenté le coup, non sans quelques craintes. Je me suis trouvé au milieu d'une cacophonie de lignes de texte mélant plusieurs conversations simultanées et il m'a fallu quelques minutes pour comprendre de quoi il s'agissait. Puis j'ai tenté ma première intervention, en demandant ce qui se passait ici. Peu à peu j'ai pris un semblant d'assurance et me suis mis a commenter ce que je lisais et les impressions que je ressentais en découvrant ce salon. Etonné, j'ai eu des réponses et des commentaires sur mes remarques. Vint Vanille. Je trouvais ce pseudo joli et l'écrivis. Vanille me remercia. Puis régulièrement elle se mit a commenter mes interventions qui devenaient de plus en plus désabusées devant ce qui m'apparaissait comme une interminable série de monologues ou de dialogues sans intérét, voire stupides. Vanille me trouva amer et un dialogue s'engagea peu à peu entre elle et moi. Apparemment intéréssée par le fil de la discussion et alors que je signalais mon envie de partir elle me communiqua son e-mail. Je le notais et lui envoyais le mien, mais trés surpris de cet échange d'adresses inopiné. La conversation continua un peu, puis, alors qu'il était déja 2 heures du matin, je décidais de quitter les lieux. C'est alors que Vanille me demanda de rester. Flatté de cette soudaine sollicitude, je restais quelques temps afin de savoir si elle me retiendrait et comment elle s'y prendrait. Chaque fois que je donnais mon opinion et disant que je ne trouvais pas de raisons de rester, elle m'obligeait à accepter de voir que j'avais un certain plaisir a discuter, ce qui devenait effectivement vrai. Les autres se mêlaient a notre conversation, encourageant Vanille a tenir bon "Vas-y accroche-toi Vanille", "Ne laches pas", Ne le laisses pas partir".
Devant tant de sollicitude, j'acceptais de rester un peu. Notre conversation repris, sur un ton un peu plus confident et bientot, on nous proposa d'aller discuter en privé. Je ne savais pas que l'on pouvait se séparer du groupe pour se trouver en "tête à tête" virtuel.
J'eus quelques craintes a me trouver seul avec une fille, fusse sous couvert de l'anonymat et sans contact possible. Mais l'aventure me tenta. Aprés tout, je ne risquais rien. Aprés quelques explications techniques laborieuses, Vanille pris l'initiative et ouvrit la discussion privée.
 
A cet instant les choses prirent une autre tournure. J'étais désormais seul avec elle. Nous nous mîmes a échanger nos impressions. Ce que nous ressentions l'un face à l'autre. Assez vite Vanille m'avoua se sentir "bizarre". Elle disait ressentir des choses étranges. Je devinais vite de quoi elle voulait parler, d'autant plus que moi aussi je ressentais ces sentations. Nous avions entamé un jeu de séduction mutuelle et cela semblait fonctionner au delà de ce que nous envisagions. Je pris un peu peur devant les risques que nous prenions a nous séduire ainsi. Je sentis aussi que Vanille, célibataire, risquait beaucoup plus que moi des désillusions. Je lui dis rapidement qu'il n'était pas question pour moi d'aller au delà d'un échange virtuel. Je lui avais dit que j'étais marié. Face a mes questions, elle m'affirma qu'elle ne cherchait pas quelqu'un, bien qu'aucun homme ne partageat sa vie. Je craignais vraiment de la laisser souffrir avec des illusions inutiles et lui proposais plusieurs fois d'arréter là notre échange. Elle s'y opposa. Nous poursuivîmes notre découverte mutuelle. Je lui avouais que ce qui se passait, j'en avais toujours révé. C'était virtuel, mais cependant nous étions bien tous les deux en phase de séduction. Je me rendais bien compte que nous fantasmions tous les deux sur un idéal. Je pensais même que je n'aurais rien voulu savoir de son physique parce que je lui en avais attribué un dans mon esprit.
Certaines phrases montraient facilement son trouble "je veux tout faire pour te rendre heureux", "j'aimerai avoir du plaisir avec toi". Ses idées étaient claires. Mais plus le temps passait, plus je sentais son trouble. Elle me demanda brusquement que l'on se rencontre, "une seule fois seulement". Cette phrase résonna dans ma tête. C'étaient les mots que j'avais prononcé au téléphone à Laura, un amour passionné que j'avais recontacté des années aprés nous être perdus de vue...
Je voulus cesser, sentant que le jeu devenait dangereux. Elle me supplia de rester. Etre supplié de rester par une fille qui tombait amoureuse de moi... que pouvais-je entendre de plus beau? Je ne savais plus comment faire. Parfaitement heureux de ce que je vivais, je mesurais aussi la souffrance qui allait naître chez Vanille. Je ne pouvais pas la laisser tomber ainsi. Alors je lui racontais une partie de mon histoire singulière avec Laura, amour d'ado. Elle ne me permis pas de l'achever, disant que cela lui faisait trop mal. Sans comprendre vraiment pourquoi, je tentais de lui dire que tout s'était terminé. Mais elle voulu soudainement arréter cette conversation. Elle avait honte de ce qu'elle m'avait dit alors que j'étais marié. Elle regrettait de me proposer des choses impossibles. Je tentais de la calmer en lui proposant toute mon écoute si elle en avait besoin. Je ne voulais pas la laisser tomber et se débrouiller toute seule maintenant. Je ne pouvais pas faire ce que Laura m'avait fait.

La conversation s'acheva peu aprés, elle semblait infiniment triste et abattue. Je lui proposais de reprendre une autre fois. Elle me dit de jeter son adresse et de la laisser tomber. Elle avait perdu toutes ses illusions. Son nouveau rêve disparaissait.
Nous nous séparâmes, aussi tristes l'un que l'autre. Le jour commençait a poindre. J'avais passé la nuit avec une fille inconnue... avec l'impression d'avoir vécu quelque chose d'extraordinaire. Je constatai pourtant que ma mémoire n'en était que peu imprégnée. Comme si les mots écrits ne s'imprimaient pas aussi bien qu'une discussion orale, réelle.
Le lendemain, nous partions en vacances. Je n'eus que trés peu de temps mais pût lui envoyer un e-mail tentant de lui expliquer mon point de vue et lui proposant, si elle le souhaitait, mon aide. Ma préoccupation était de ne pas l'abandonner ainsi.

Durant une semaine sans nouvelles d'elle, il me fut difficile de penser a autre chose que cette expérience extraordinaire. Je me disais que rencontrer, dés la première fois une expérience pareille sur le "chat" tenait d'un hasard inimaginable. Je savais que cela ne se reproduirait jamais.
Dans l'impossiblité de communiquer avec Vanille, je cherchais s'il existait quelque Cyber café dans le Vercors, où je me trouvais alors, mais ce ne semblait pas être le cas! J'imaginais alors de rentrer dans un bureau, ou n'importe où pour demander si quelqu'un avait Internet. Je trouvais enfin un bureau de poste qui offrait ce service. Malheureusement, je n'avais pas le code d'accès à ma boite et ne pût donc savoir si elle m'avait répondu, ni lui envoyer de message. J'étais vraiment désemparé et étonné de me retrouver ainsi dans la situation du mari volage qui cherche à l'insu de sa femme à joindre une amante. En même temps, cela m'amusait. J'étais content de constater que je pouvais cacher une double vie à mon épouse
Quelques jours plus tard, je ne pus m'abstenir de lui en parler. Elle sent trés bien lorsque j'ai la tête ailleurs et s'en inquiétait. Nous partimes tous les deux sur une petite route et je commençai a lui raconter. Etonamment, elle ne s'offusqua de rien et interrompit même mon récit pour raconter sa propre séduction d'un homme dont je savais l'attirance qu'elle ressentait a son égard. Soulagée de se confier de ce qu'elle avait vécu deux ans auparavant, elle n'eut aucune peine à accepter ce que je disais. Cette complicité inattendue nous rapprocha encore plus, alors que je craignais un rejet de sa part.

Quand enfin, au bout d'une semaine je pus revenir au domicile, seul pour quelques heures, je me précipitai sur l'ordinateur pour lire un message. Il y en avait bien. Elle me disait clairement qu'elle avait eu un coup de foudre et qu'elle m'aimait. Elle attendait que nous continuions a nous parler. Immédiatement je lui expédiais un autre message, disant pour finir que je resterais connecté un certain temps sur le chat. Il était peu probable qu'elle lise son courrier rapidement, mais je tentais le coup. Alors qu'au bout d'une demi-heure j'allais me déconnecter, j'eus la surprise de la voir entrer sur le chat. Je sentis mon coeur battre a toute allure, comme avant une rencontre amoureuse. Quelques secondes plus tard, elle m'appelait en privé. Je ne savais plus quoi dire, tremblant et moite. Cette fois la discussion fut beaucoup plus directe. Elle me parla clairement de son coup de foudre, inexplicable, injustifiable, mais pourtant bien là. Tout reprenait comme la semaine précédente et allait crescendo. Alors je lui rappelais mes principes et que je ne voulais pas la faire souffrir. Elle me dit qu'on pouvait parfois avoir du plaisir quitte à en souffrir. Je comprenais tout a fait ses sentations, éclairé par mon expérience avec Laura. D'un coup elle employa une phrase, pour décrire son trouble, qui cassa quelque chose "je ressens quelque chose dans le bas du ventre..." Alors là, je voyais quelque chose de beaucoup trop direct pour moi qui semblait montrer une certaine habitude de sa part à avoir des dialogues "chauds". Elle sentit ma réticence et regretta tout de suite cette phrase et s'en excusa. Mais c'était trop tard. Elle venait de casser l'image idéale que j'avais d'elle. La conversation se poursuivit, mais ce n'était plus pareil. Un peu plus tard elle récidiva en disant carrément qu'elle avait envie de faire l'amour avec moi. Regrettant aussi immédiatement ce débordement de sa pensée. J'essayais de lui dire que, pour moi, les sentiments passaient bien avant les sentations physiques. Nous ne savions même pas si notre physique nous plairait. Je lui rappelais bien que notre relation n'était que virtuelle, fondée sur l'imaginaire et qu'on ne pouvait la transposer dans la réalité.
Moi un peu refroidi, elle génée de s'être laissée aller, nous nous séparâmes en nous donnant nos dates respectives de retour de vacances, prochaine échéance de rencontre. Assez déçu, mais finalement soulagé de n'avoir pas eu trop le temps de croire a cette histoire, j'expliquais à ma femme que ce serait bientôt fini. Cette fille n'était pas ce que je croyais. Tant pis pour l'idéal et le rêve, la réalité reprenait ses droits. Je ne pensais plus a elle ni ne cherchais a communiquer. J'attendrais de voir si elle voulait poursuivre, mais de mon coté c'était clair. C'était fini.

De passage a la maison une semaine plus tard, j'ouvrais ma boite avec quelque curiosité. Trois messages datant du début de la semaine s'y trouvaient. Tous disant qu'elle pensait beaucoup a moi et qu'elle m'aimait. Je trouvais qu'elle s'exprimait avec un peu d'impudeur. De plus, des fautes de frappe et l'absence de ponctuation montraient que ces messages avaient été écrits sans tout le soin que j'aurais cru exigible d'un courrier amoureux. Je répondis poliment à ses messages et l'invitant à relativiser les qualificatifs élogieux qu'elle m'attribuait. Je n'y mettais pas une chaleur excessive, mais montrant quand même que je gardais plaisir à discuter avec elle. De retour quelques jours plus tard, je constatais, un peu surpris que plus aucun message ne m'était parvenu. J'attribuais ce silence à un empèchement, ou une prolongation imprévue de ses vacances. Mais les jours passèrent sans aucune manifestation de sa part, alors que, en cachette de mon épouse, je continuais à expédier des messages tous les deux ou trois jours. Il se produisit alors quelque chose que je commençais à connaitre: que je la sente s'attacher à moi, et je prenais mes distances. Qu'au contraire je la sente disparaitre, alors elle me manquait et je cherchais le contact. Mes messages devenaient de plus en plus inquiets, je commencais à me demander si elle n'aurait pas été victime d'un accident ou de graves problèmes. Sentant que je devenais de plus en plus dépendant d'une attention qu'elle ne semblait plus m'accorder, je décidais de ne pas sombrer dans cette spirale trop bien connue. Déja, je vérifais trois fois par jour mon courrier au prix d'une décéption que je supportais de moins en moins bien. Tous les soirs je me connectais sur internet en espérant la croiser. Je restais des heures, sans avoir envie de communiquer avec qui que ce soit d'autre qu'elle. J'aurais eu l'impression de la tromper. Et puis je n'avais aucune envie de discuter avec d'autres personnes.

Je lui envoyais donc, aprés deux semaines de silence de sa part, un long message dans lequel je lui faisais par de mon désarroi et de ma décision de stopper tout envoi. Je décidais que sans réponse de sa part c'est qu'il lui serait arrivé malheur. Il ne m'était pas supportable de croire que mes relations avec les femmes devraient se terminer par un silence fuyant. Ce message prévenait de l'envoi d'un message d'adieu en cas de non réponse.
Cette fois, contrairement à ce qui s'était passé avec Laura, mon message porta. Dans l'aprés midi j'en recus un de sa part expliquant qu'elle voulait se désintoxiquer de moi, qu'elle m'aimait trop mais que mes messages l'empéchaient de m'oublier. Dés que ce fut possible, c'est à dire lorsque Charlotte se fût absentée, je me connectais sur le "Chat". J'y restais prés de trois heures, toujours en "écoutant" les autres "parler" sur mon écran, sans mot dire. Et puis soudain, je vis apparaitre le pseudonyme de Vanille. J'allais immédiatement la saluer... mais elle ne répondit pas et disparut du "Chat". J'étais perplexe. Elle avait dû me voir et ne souhaitait pas me parler? Pourtant son message disait exactement le contraire. Mon coeur s'était emballé et un profond désarroi avait suivi cette joie. Quelques minutes plus tard, je vis apparaitre son prénom véritable. Je me mettais immédiatement en contact privé avec elle
 
>bonjour Julie
>Vanille, ca te dit quelque chose
>>non, pourquoi?
> et Rouen, tu connais
>> J'y suis passée hier
 
J'étais persuadé qu'elle jouait a faire l'inconnue, mais sans s'en cacher. Je continuais à chercher à savoir s'il s'agissait bien d'elle. Mais cette Julie-là persistait à le nier. Elle commença a me poser des questions sur ce qui s'était passé. J'essayais de me prendre au jeu, mais je la sentais me tester pour me faire dire des choses que je ne voulais pas dire. Au bout d'un moment je lui disais que le jeu était trop cruel et la suppliais d'arréter. Elle me jura que ce n'était pas elle. Je commencais à la croire et lui racontais mon histoire. C'est alors que Vanille refit son apparition sur le Chat. Cette Julie n'était donc pas la "mienne". Je pris vite congé en la remerciant de son écoute et tentais de joindre Vanille... qui venait de ressortir.
Je ne savais plus quoi penser. Du coup je retournais en compagnie de cette Julie-bis, que je trouvais fort sympatique et écoutante. Je lui expliquais ma méprise et mon incompréhension de la situation. C'est alors que je fus interrompu par une certaine Océane qui me parlait en privé. Océane me disait être Vanille/Julie et que son pseudo était utilisé par quelqu'un d'autre. Je compris enfin le mystère. Une nouvelle fois je pris congé de Julie-bis et me trouvais enfin en compagnie de celle que j'attendais. Les explications sur clavier, si elles vont droit à l'essentiel, ont l'inconvénient d'être fort longues parce qu'on peut réfléchir à la phrase que l'on vient de recevoir et a celle que l'on va envoyer. Nous n'avions qu'à peine ébauché les explications sur les conséquence de 15 jours de silence que je reçus des messages de plus en plus bizarres. Son clavier ne fonctionnait apparament plus et des lettres parasites rendaient les phrases presque incompréhensibles. Et puis il n'y eut plus rien, de nouveau des tentatives de sa part, je le sentais bien et imaginais sa frustration. Je tentais un monologue qu'elle pourrait lire de son coté. Puis elle expédia un dernier "je sais pas quoi faire, désolée" que j'ai eu beaucoup de peine a décrypter tant les lettres étaient noyées sous des parasites. Et puis plus rien, elle avait quitté le Chat.
Vraiment, il semblait que notre conversation étaient vouée à l'impossibilité. J'étais désemparé. J'envoyais alors un message me préparant à un silence de plusieurs jours, temps nécessaire pour réparer le clavier. Le lendemain, je préparais un autre message lui proposant de cesser, si elle le désirait, cette aventure qui, j'avais eu le temps d'en avoir confirmation, ne perdait pas de son ardeur pour elle. Elle avait eu le temps de me dire qu'elle m'aimait toujours et qu'elle désirait une rencontre. J'attendis pour l'expédier et tentais une nouvelle fois de me connecter sur le "Chat". C'était un dimanche aprés midi et il y avait peu de chance qu'elle y soit à cette heure-ci. J'attendais cependant. Je ne fus presque pas surpris de la voir arriver, tant il semblait que parfois ma présence l'attirait là. Elle s'exprima tant bien que mal en "petit nègre", alternant majuscules, minuscules et lettres manquantes en fonction des possibilités qui lui restaient. Ce n'était vraiment pas propice a une discussion telle que nous l'attendions. Au bout d'une demi-heure à ce régime, elle me proposa de nous appeler au téléphone, afin de faciliter la communication.

Ce nouveau pas vers une proximité beaucoup plus réelle me fit peur. Je refusais. Depuis le début j'avais décidé que je n'irais jamais plus loin qu'une liaison virtuelle. Et puis je craignais qu'elle identifie mon numéro. Pendant la conversation, je me renseignais sur les possibilités de ne pas laisser afficher le numéro appelant. Rassuré par cette possibilité, je devais bien convenir qu'une discussion téléphonique serait infiniment plus pratique. J'avais pourtant peur de me lancer dans quelque chose de dangereux. Ni Charlotte, ni les enfants n'étaient là. J'étais à la fois tenté et conscient que Charlotte n'apprécierait pas du tout cette initiative. Un peu grisé, curieux, je finis par accepter de l'appeler.
Comme je m'y attendais la voix de Julie ne correspondait pas à celle que j'aurais pu imaginer. Une voix douce et grave, qui me semblait faire plus que les 37 ans avoués. La conversation fut délicate à établir. La voix, c'est déja une présence, une intonation. Les mots ne venaient pas aussi bien que sur l'écran, et notre gène était bien perceptible. Julie me raconta quelques éléments de sa vie, les raisons de son célibat. Peu a peu la conversation reprit sur ce nouvel équilibre. Julie était génée de ce qu'elle m'avait dit et ne voulait pas que je lui rappelle. Elle me dit s'étre laissée emporter par des paroles. Puis nous en sommes venus à notre avenir. Quelles possibilités y avait-il? Elle me répéta clairement qu'elle m'aimait, même sans m'avoir vu, ce qui me semblait inconcevable dans mon sens. Puis elle me demanda si je l'aimais. Je ne pouvais mentir et lui expliquais la nature de mon attachement. S'il y avait bien eu séduction, attirance, je m'étais imposé des le départ une barrière que je franchirais pas. Déja le contact téléphonique était une transgression. Je savais les risques qu'il y aurait eu à vouloir aller plus loin. Il n'était pas question que je les coure. Elle essaya bien de me dire qu'il fallait suivre ses plaisirs, qu'il vallait mieux réaliser un fantasme et en être libéré ensuite plutôt que de fantasmer toute sa vie,... Je ne la suivis pas sur ce terrain. Le risque était de détruire la vie de mes proches, et sans doute la mienne pour quelques instants ou jours de plaisir. Je sentis bien qu'elle souffrait à l'autre bout du fil. Je ne savais plus comment faire pour nous sortir de cette situation.
J'étais effondré. Je sentais que chaque mot était une souffrance. Soit par mes refus, soit par mes tentatives de consolation qui relançaient encore ses sentiments. Nous sentions bien qu'il fallait cesser, immédiatement. Nos attentes ne pourraient pas se rencontrer. Alors nous nous fîmes nos adieux, dans les larmes. Il n'y avait rien d'autre à faire. Je la remerciais chaleureusement de tout ce qu'elle m'avait fait vivre, de ce qu'elle m'avait dit comme gentillesse et lui exprimais mes regrets de l'avoir fait souffrir contre ma volonté. A vouloir trop l'aider et l'écouter, je n'avais fait que renforcer les sentiments qu'elle avait pour moi. Je l'avais séduit par mes mots et chaque phrase que j'ajoutais augmentait cette attirance, alors même que je disais ma distance. C'était sans solution.
Aprés de longs silences, je lui demandais de prendre elle même la décision de raccrocher. Ce qu'elle fit rapidement.
Je fus assez chamboulé pendant les heures qui suivirent et sentis souvent les larmes me monter aux yeux. Puis, sans raison, je me mis a pleurer le soir, priant pour que Charlotte ne me voie pas dans cet état.
Le lendemain, je sentis que la douleur s'effacerait rapidement, même si jamais je n'oublierais cette expérience extraordinaire. J'essayais de voir si Julie ne m'envoyait pas quelque message... mais elle tint bon. Je savais d'ailleurs qu'elle tiendrait puisqu'elle avait déja décidé une fois de m'oublier.
 
De cette aventure je tirais deux conclusions. La première, que je pouvais séduire par mes mots, être demandé par une femme. Pis, j'avais l'impression de n'avoir qu'à dire "oui" pour me lancer dans l'aventure adultérine. Cette femme me demandait de lui faire l'amour, sans aucun effort de ma part. Ce qui me semblait n'arriver que dans les romans, ou aux ados préssés.
La deuxième, c'est que j'avais enfin oublié Laura. J'avais transféré mes attentes de l'idéal manquant sur Julie. Laura ne tenait plus aucune place dans mon esprit. Jamais, depuis quatre ans je n'avais été aussi distant d'elle et je sentais que c'était définitif cette fois.
 
 
 
Extrait d'un texte relatant ma première expérience de "relations virtuelles", écrit avant le début du journal en ligne.
 
 
 
 
 
 

 

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