Octobre 2013

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Restructuration


Dimanche 20 octobre 2013
[mis en ligne le 1 novembre 2013]


Alors ça y est, tu reviens ? Tu te décides à reprendre le fil et sortir du silence.

Disons qu'aujourd'hui j'écris. Pour la suite on verra plus tard...

Qu'est-ce qui te pousse à réactiver ce journal ? On aurait pu le croire définitivement éteint...

Dans mon esprit il ne l'a jamais été. Je le considérais comme en sommeil. En attente...

En attente de quoi ?

J'avais besoin de retrouver une sensation de libre expression. Besoin de m'extraire d'un confinement devenu étouffant. Je me sentais complètement coincé, ici. Il y a eu nécessité d'éloignement.

Tu as tenté à plusieurs reprises de revenir, mais tu n'a jamais été jusqu'à mettre en ligne. Pourquoi ?

Je sentais que c'était trop tôt. Je n'étais pas encore prêt.

L'es-tu aujourd'hui ?

Je crois que je le suis davantage. Quelque chose a mûri. Et puis cette fois... c'est le retour qui me semble nécessaire. Ou du moins utile.

Que s'est-il passé dans ta vie, depuis tout ce temps. Le blog n'en parle pas beaucoup...

Le blog c'est vraiment un autre type d'expression. Dès le départ j'ai évité d'aborder les sujets les plus impliquants, pour moi ou vis à vis d'autrui, mais je me rends compte qu'à la longue il m'est de plus en plus difficile de trouver matière à écrire. L'espace est un peu trop ouvert à mon goût, trop fréquenté, trop exposé, alors je mesure beaucoup ce que je donne de moi. Du coup c'est assez calibré. D'où la sensation d'un manque de liberté.

Qui n'est autre que de l'autocensure ?

Évidemment...

Mais tu ne m'as pas répondu : que s'est-il passé dans ta vie pendant près de deux ans ?

Hmmm... probablement une des meilleures choses qui pouvaient m'arriver...

Tu as rencontré une femme ? Raconte, dis ! Raconte !

Pfff... n'importe quoi !

Alors quoi ? Qu'est-ce qui peut être aussi important ?

Rien de tangible. Tout s'est passé à l'intérieur. Après avoir été durablement perturbé par les turbulences qui ont suivi le grand effondrement de 2004, j'ai vu se dessiner un chemin de sérénité. En le suivant c'est tout un mode de pensée qui a progressivement pris place, d'une façon que je n'avais même pas imaginée. Une découverte. Un peu comme si je suivais un balisage qui se révèlerait à moi au dernier moment. Non pas comme si j'étais dans un brouillard ou une obscurité, mais plutôt comme si... comme si une intuition me guidait. Plus qu'une intuition : une évidence.

Et elle consiste en quoi ? Elle te mène vers quoi ?

Vers davantage de conscience, davantage de paix intérieure, davantage de lucidité.

C'est le cheminement normal d'un adulte...

Assurément ! Mais je crois que ma chance est d'avoir bénéficié de conditions permettant une émergence accrue de ce processus. Le choc que j'ai eu a surmonter m'a ouvert à des horizons qui, sans cela, me seraient restés cachés. Et si au départ j'ai maudit ce qui m'arrivait... par la suite j'en ai découvert les bienfaits. Et cette découverte continue...

Pourrais-tu en dire un peu plus ?

Je vais essayer. La première chose qui me vient à l'esprit, c'est la gratitude. Un mot que je n'aurais jamais employé auparavant, tant il me semblait désuet et vaguement connoté religieusement. C'est pourtant celui qui s'est imposé lorsque j'ai compris que ce qui avait existé de bon, de doux, de merveilleux, ne pourrait jamais m'être retiré, quoi qu'il advienne. Longtemps j'ai regretté que ce qui avait existé ne soit plus. J'en ai même voulu à celle qui m'avait privé de sa présence et de ce que j'avais envie de vivre avec elle. Et puis j'ai compris que si je désirais prolonger quelque chose... alors c'était que ça avait été très bon ! Certes, je ne l'avais plus... mais je l'avais eu ! J'avais été nourri par cela, j'avais ressenti du bonheur, de la joie, et mon regard sur la vie avait pu en être changé. Je ne pouvais donc que ressentir... de la gratitude envers qui m'avait permis de vivre cela.

Même si ça t'était désormais refusé ?

Exactement ! A une personne qui m'aurait permis de partager son repas pendant quelques temps, pourrait-je lui en vouloir de ne ne plus vouloir le faire ? C'est ça la gratitude : se réjouir de ce qui a été, en être reconnaissant. Et cela me fait penser à une autre idée, assez proche: me souvenir des belles choses. Garder au coeur le meilleur, sans regretter que ce ne soit plus. Ce que j'appelle la nostalgie heureuse : avoir un sourire plutôt que de la tristesse en songeant au passé. Et ainsi, le sachant, vivre le présent heureux sans me soucier par anticipation de le voir filer vers le passé.

Et c'est ce qui t'a permis de vivre mieux ?

Oui. Plutôt que de sentir le parfum de tristesse qui me revenait lorsque je songeais à ce dont j'étais privé, me réjouir de l'avoir vécu. Ça ne paraît peut-être pas grand chose, mais c'est toute une dynamique qui a changé.

Tu ne ressens plus de tristesse ?

Ça peut m'arriver de temps en temps, mais pas pour les mêmes raisons. Je la ressens quand je me dis que c'est dommage de n'avoir pas su changer le cours des choses. Mais en même temps je sais que je n'ai pas ce pouvoir... Et d'ailleurs, cette acceptation de ne pas être tout-puissant, malgré tous mes efforts, ma bonne volonté, le travail effectué, ma persévérance, mon évolution... aura été une grande leçon de saine humilité.

Tu pensais que tes efforts seraient récompensés ?

Oui, je l'ai longtemps cru. Ou espéré...

Mais n'était-ce pas un peu enfantin d'espérer être récompensé ?

Sans doute un peu. Il y avait de ça : si je fais tout bien "comme il faut", je serai forcément récompensé par l'obtention de ce pour quoi je me bats. Mais la vie ce n'est pas ça : il y a des défis qu'il est vain de tenter de surmonter. Le mur ne s'abaissera pas parce que je saute plus haut. Je peux me surpasser, mais je n'ai pas le pouvoir d'agir sur le mur.

Tu as essayé pourtant...

Sans succès. Un mur reste un mur. C'est son destin de mur...

Un mur n'a pas de conscience.

Celui qui en érige en a une... et c'est pour la protéger qu'est érigé le mur ! Choisi pour son hermétisme, son opacité et sa solidité. C'est ce qui le différencie d'une barrière, limite symbolique plus ou moins franchissable. Le mur, il ne faut pas chercher à le franchir... Quand c'est fermé il ne reste qu'à en prendre acte et trouver d'autres pistes. Pour ma part, puisque j'étais toujours attiré vers ce mur et ce qu'il cachait, je n'avais plus qu'à chercher en moi à quoi correspondait cette quête.

Et tu as trouvé ?

J'avance, j'explore encore. Les fragments constituent peu à peu quelque chose. Une lectrice ayant récemment découvert ce journal m'a proposé un texte qui fait référence à l'éparpillement de soi. Quand on a concentré une part essentielle de soi dans une relation, qui est à la fois un flux et une énergie, l'arrêt brutal provoque une décohésion. Cette image m'a parlé : il y a encore beaucoup de parts de moi qui restent dispersées après le choc. Je n'ai pas encore rassemblé tous les morceaux et j'ignore combien resteront irrémédiablement perdus. A cette lectrice j'ai répondu que j'avais semé quelque chose d'essentiel dans une terre qui ne m'est plus accessible. Je me sens privé d'une part de mon énergie vitale.

Même après des années ?

Oui, même après des années. Et il en faudra encore pour que je fasse l'inventaire final. Mais d'une certaine façon c'est une chance : les morceaux que je rassemble me donnent conscience qu'ils existent et me constituent. Sans cela je serais resté dans une illusion de cohésion.

Tu as souvent évoqué les aspects bénéfiques du choc. C'est un peu surprenant.

Passé la douleur, la tristesse, le chagrin, la révolte, la colère, et tout le cortège qui accompagne la frustration et la déception, s'est ouvert à moi un espace inattendu. Grâce à la solitude, je crois. Ce choix s'est immédiatement imposée à moi et c'était certainement la meilleure porte de sortie. J'avais investi beaucoup trop de moi dans une relation pour tenter de recommencer sans en tirer des enseignements. Je ne voulais plus me déposséder. Et de toutes façons, privé de l'élan vital qui m'avait transporté au delà de ce que j'imaginais accessible, tout m'a paru trop fade. La solitude était donc pour moi la seule façon de me reconstituer.

Tu en parles comme s'il s'agissait d'une destruction.

Non : une destructuration. Le choc m'a disloqué, pas détruit. Inutile, cependant, de m'embarquer dans de grandes aventures en étant dans cet état :)

Pourtant tu as fait des rencontres.

Bien sûr : je n'allais pas rester fermé à tout. J'ai seulement verrouillé ce qui avait été endommagé et nécessitait d'être reconstitué.

Mais n'est-ce pas l'essentiel qui a été atteint ?

Je ne crois pas, mais ça m'est encore difficile de le savoir. Une part de l'essentiel a été touchée, assurément. D'un autre côté je me suis rendu compte que cette part-là n'était pas vitale. Enfin si mais... elle n'a peut-être pas besoin de se vivre concrètement. Ça peut rester intérieur. Comme une source qui s'alimenterait par d'autres infiltrations. En fait tout cela m'a mis en contact avec des ressources que j'ignorais avoir en moi. C'est finalement très... rassurant... non : porteur. Ne dépendre de personne procure une sensation de grande liberté. D'autonomie.

C'est ce qui t'a manqué, dans le passé ?

Évidemment...

On en reparlera ?

Peut-être...









Mois de novembre 2013