Enquête
de sens (2)
-
Coupable ou fiable ? -
Mercredi 3 février
Rédigé et modifié du 26 janvier au 3 février
Ma plongée vers les profondeurs se révèle
plus complexe que je ne pensais : ça part dans toutes le
directions ! Les idées foisonnent et chaque pensée nouvelle,
chaque prise de conscience, en entraînent d'autres, en
cascade. Je touche à des choses importantes qui me
"travaillent" et recomposent en permanence mon paysage
intérieur. Il est certainement bon que je me laisse
porter...
Je ressens la nécessité de poser le paysage actuel en revenant
sur ce qui l'a dessiné dans le passé. Quelques années en
arrière, à la toute fin de l'année 2003. Au moment où Charlotte
[mon épouse] m'avait été demandé de me
déterminer afin de savoir vers quoi je choisissais d'orienter ma
vie. En clair, soit je continuais ma vie de couple... soit je me
lançais à l'aventure, avec tout ce que cela contient d'imprévus.
Les deux voies avaient chacune attraits et inconvénients,
perspectives et limites. Pour faire ce choix crucial je m'étais
retiré trois
jours dans la solitude et le silence, emportant avec
moi 272 pages imprimées de ce journal, représentant les six
derniers mois de mes écrits. Histoire de faire les choses
en toute conscience, avec lucidité et réflexion. Je n'étais pas
du genre à prendre ce genre de décision à la légère...
Le résultat avait été net et c'est « en mon âme et conscience »
que j'ai opté pour une forme de liberté... avec toutes les
conséquences envisageable pour ma vie de couple. Confirmant la
décision prise quelques
mois plus tôt c'était un choix extrêmement engageant
qui me demandait de me dédire, en quelque sorte, de mon
engagement dans le mariage. Je faisais clairement un autre choix
que celui de poursuivre seulement avec Charlotte « pour
le meilleur et pour le pire ». Pour quelqu'un qui, comme
moi, avait comme valeurs premières l'honnêteté et la fiabilité,
ce n'était pas rien ! Il fallait que la motivation de mon
changement en vaille vraiment la peine !
J'ai estimé que c'était le cas. Je vivais une alors une amitié
amoureuse qui m'était extrêmement précieuse et m'ouvrait à de
vastes horizons inexplorés. Pas parce que j'aurais bêtement
eu envie de voir si l'herbe était plus verte de l'autre côté de
l'Atlantique, mais parce que cette amitié-là correspondait à ce
que je n'osais même pas espérer au fond de mes rêves. Je
m'étais senti accepté tel que j'étais, encouragé, soutenu dans
ma démarche de conscientisation et de réalisation personnelle.
Non jugé, non critiqué. Je n'avais que très rarement connu ça et
c'était une émulation enthousiasmante, vivifiante. C'était
comme si un idéal se réalisait. Le lien qui s'était établi
était pour moi une merveilleuse révolution, une ouverture au
monde, et je sentais que renoncer à ce lien aurait été comme
m'interdire de vivre. C'était la vie qui palpitait là ! Je le
sentais de façon viscérale avec une intensité incontournable. Il
fallait qu'il y ait une une telle force pour me faire choisir
une voie qui, je le savais, risquait fort d'induire une réaction
d'éloignement de Charlotte, mon ancrage
jusque-là. Charlotte, avec qui et autour de qui s'était
articulée ma vie depuis l'âge de 18 ans. J'aimais beaucoup ma
femme... mais je n'aimais pas qu'elle. Je souhaitais ardemment
son bonheur et son épanouissement, mais pas que le sien.
Pour une fois j'écoutais mon ressenti intérieur davantage que
ma raison. Même si je faisais appel à la raison pour
justifier que je m'en émancipe...
Alors voila... j'ai écouté l'élan vital qui m'appelait. Mais il
y a des questions que je ne me suis pas posées. En fait,
elles ne se posaient même pas : elles ne faisaient tout
simplement pas partie de mon univers ! Pour moi il était
indubitablement évident que ma façon de vivre cette relation
était réciproquement partagée. Rien ne me disait le contraire.
Il y a quelques jours, en pleine période de lassitude
sentimentale, d'intégration de mon état solitaire, et au vu de
l'évolution cauchemardesque de cette relation parallèle, je me
suis demandé... je me suis interrogé... ai-je
fait le bon choix ? Le referais-je de la
même façon ?
[Nb : Le dialogue intérieur
qui a découlé de ce moment de doute est laissé au présent
bien que cet exercice m'ait fait prendre conscience que le
passé s'imposait dorénavant].
Je ne me pose pas la question par rapport à moi, mais par
rapport à Charlotte, à nos enfants.
Et alors ?
Je n'ai pas la réponse.
En es-tu sûr ?
Il y a eu tellement de bouleversements, tant de choses ont
changé... Et puis je n'ai encore pas assez de recul. Six ans,
c'est trop court pour dresser un bilan.
Tu sais pourtant ce qu'il est advenu de
votre vie de famille.
Ouais... ça fait un peu mal. C'est pas ce que je voulais... Je
ne pensais pas que Charlotte s'éloignerait autant de moi, ni que
tant de domaines de partage deviendraient proscrits. J'ai
raisonné avec mon mode de pensée, pas le sien, que j'ignorais
largement.
Tu la connais mieux,
maintenant. Tu découvre aussi pourquoi ça ne
fonctionnait pas toujours très bien. Tu sais qu'il y avait
entre vous un décalage, des visions différentes de la vie.
Qui n'en a pas ? Il n'y avait rien d'insurmontable. Et...
justement, fin 2003 tout était encore possible.
Mais tu étais occupé ailleurs...
J'étais aspiré ailleurs. J'ai choisi la solution qui me
faisait évoluer le plus, qui était la plus prometteuse, la plus
rapide.
Tu as choisi la facilité.
J'ai choisi... un certain bonheur. Un grain de folie, de
fantaisie. L'exaltation, le rire, l'évasion. J'ai choisi aussi
de transgresser des limites, d'oser, de m'émanciper. Je ne
voyais que du positif à "entendre" ces aspirations fortes. Tandis
qu'avec Charlotte... il allait falloir labourer en profondeur,
affronter des difficultés. Je sentais bien qu'elle
n'était pas prête à une évolution de couple. Elle voulait
revenir "comme avant". J'imaginais en avoir pour des années
avant de trouver un épanouissement relatif. J'avais
l'impression de m'enterrer...
Donc tu as fait le bon choix !
Oui... et en même temps j'ai "abandonné" Charlotte.
Tu sais bien que ce n'est pas aussi
simple : tu as été toi-même et tu étais prêt à poursuivre
avec elle, sous une forme à inventer. Mais elle ne voulait
pas.
Oui, c'est vrai.
Tu peux donc voir les choses autrement,
et tu le sais bien : grâce à ta relation parallèle tu as pu
savoir vers quoi tu voulais orienter ta vie. La rencontre de
cette autre femme a été une chance extraordinaire, et la
personnalité qu'elle avait a été suffisamment attrayante
pour que tu trouves au fond de toi la force de t'arracher à
ta condition. C'est énorme, ça !
Oui, je sais...
Ne l'oublie jamais !
Ouais... j'ai tendance à confondre les deux histoires.
Ben oui, elles étaient très imbriquées.
Non, c'est moi qui avais du mal à lâcher l'une pour aller vers
l'autre.
Mais l'autre histoire avait-elle un
avenir ?
Oups ! Ça c'est un point crucial ! Tout est là !
TOUT EST LÀ !
Pourquoi donc ?
Parce que je n'en sais fichtrement rien ! Et que je ne l'ai
jamais su ! Ça se vivait au présent...
Hmmm, et as-tu cherché à le savoir ?
Euh... non. Surtout pas !
Tiens tiens...
Je crois que je redoutais trop d'entendre que rien n'était sûr.
Je le savais, mais il fallait que je n'en tienne pas
compte. Sinon... je n'aurais peut-être pas osé aller aussi
loin. C'était trop risqué. Ça m'effrayait de bouleverser ma
vie à ce point. Je sais que je me suis trompé. Je ME suis
trompé. Je n'ai pas été aussi loin que nécessaire. Je n'ai
pas vérifié si l'implicite supposé était explicitement posé.
J'ai carrément fait une impasse sur quelque chose qui m'était
pourtant fondamental...
Et ce fondement était ?
La durée. Je n'ai pas voulu penser à la notion de durée.
C'est ça : tu ne t'es pas embarrassé
l'esprit avec ça. Tu as suivi ton inspiration. Même si
certains t'avaient mis en garde : ça ne durera pas.
J'ai balayé ces stupidités avec morgue : Peuh ! ce que nous
vivions était au dessus de ça... Ce n'était pas une petite
histoire et elle n'allait pas s'éteindre comme ça !
" Vous" ? En es-tu sûr ?
À l'époque, oui. Maintenant je devrais dire « ce que je
vivais ». Je ne pouvais même pas envisager qu'une fin
puisse arriver.
Vraiment ?
J'avais foi en ce que je vivais, j'avais foi en "nous"...
Tssss.. la foi n'est ni objective,
ni lucide.
Certes, mais elle permet beaucoup de choses. Elle est même
parfois indispensable.
Elle peut aussi aveugler... Dis plutôt
que tu as refusé d'explorer cette possibilité d'une fin.
Grmblll... ouais, c'est vrai. Ce n'était pas entendable.
Trop difficile. Sujet trop sensible. Perdre un lien de
cette nature aurait été une catastrophe affective et
émotionnelle, un effondrement.
Et tu l'as pourtant perdu.
Oui.
Malchance ?
Non. Passage obligé, sans aucun doute. Il s'est fait ce qui
devait se faire.
Destin ?
Si le destin est vu comme un chemin tout tracé et inévitable,
non. Si c'est celui que l'on se forge, oui.
Choix ?
Choix inconscient, certainement. Je ne peux pas dire que c'est
le hasard qui a fait les choses. Je sais précisément un
certain nombre d'actes, attitudes, mots, qui ont orienté les
choses sans un sens ou un autre.
Et maintenant, où veux-tu en venir avec
ce nouveau flash-back ?
A quelque chose d'aussi simple qu'énorme, qui contribue
largement à motiver mes années de recherche post-cataclysmiques,
le très profond changement intérieur qui m'affecte et le regard
nouveau que je porte sur les relations.
Euh... tu cherches à justifier
quoi avec ce baratin ?
Et bien, que si j'avais pu avoir conscience que ma façon de me
lier « pour la vie » n'était pas partagée, et qu'une fin
était envisageable... je n'aurais pas mis mon couple en danger.
Tu veux dire que ton choix aurait été
différent à l'issue de tes trois jours de solitude ?
Absolument. Je crois que je n'aurais même pas eu besoin de
ces trois jours. D'ailleurs, si cette "fin" avait été envisagée,
la relation aurait été toute autre, pour
moi. Vécue sur un mode plus léger. Je ne me serais pas
"engagé" de cette façon. Je ne sais pas ce qu'il en
aurait découlé, mais assurément je n'aurais pas remis en
question mon engagement avec Charlotte.
Ouh la, ça va loin ce dont tu prends
conscience. Ça veut dire que tu
regrettes ton choix ?
Absolument pas ! Je l'ai fait en toute conscience, avec ma
conscience du moment. Mais je me suis trompé. J'ai fait une
erreur en ne poussant pas dans cette direction sensible. Et
je m'en sens coupable aujourd'hui.
Ah, nous y voila : la culpabilité !
Oui, parce que mes choix ont eu des conséquences très lourdes
sur la vie de Charlotte et de nos enfants. Les assumer au nom
d'une raison "vitale" pour moi n'a déjà pas été chose aisée,
surtout en voyant la profonde détresse de Charlotte, mais au
moins c'était "justifié". Par contre, quand je me rends compte
que je ne me suis pas posé clairement la question de
l'engagement... j'ai clairement commis une faute.
La faute serait de rester dans la
culpabilité : tu voulais t'émanciper et tu as
réussi. Il y aurait forcément des conséquences, et tu
le savais.
Oui mais... vu ce qui s'est passé... est-ce que ça vallait le
coup de tout foutre en l'air ?
Tu le sais.
Oui...
Alors laisse tomber cette culpabilité,
qui n'a pas à entrer en ligne de compte. Ce n'est pas
parce que la relation parallèle a capoté que ça remet en
question le choix initial. Rappelle-toi que les deux
histoires sont distinctes !
Ouiiiii, mais c'est quand même rageant...
Ah ben ça !
Et puis... quand même : c'est bien parce que je vivais cette
amitié amoureuse que Charlotte m'a demandé de choisir. Ce
n'est pas mon désir d'émancipation qui a mené à cette situation,
mais bien la présence d'une autre femme...
Et c'était ta chance ! Demande-toi ou
tu en serais s'il n'y avait pas eu cette rencontre ?
Certainement pas très loin de ce que j'étais alors...
Enquête
de sens (3)
-
À la hauteur de l'inaccessible -
Dimanche 7 février
Blocage complet, finalement, tant la contrainte du respect de
la vie privée est forte… Je n’ai plus su comment évoquer ce
qui s’agitait en moi sans faire référence à un passé qui
n’implique pas que moi.
Frustration de ne pouvoir me « libérer » de ce qui, par son
indicibilité, pèse encore sur mon parcours. Or l'indicible,
est ce qui cherche le plus à se dire...
Alors je me suis « lâché » sur mon blog, compulsivement, sans
dire un mot de tout ce dont il est question ici, en laissant
libre cours à mes pensées. Démarche hasardeuse, en
contradiction avec la distance que je veux rendre à cet
espace, mais qui a eu le mérite de débloquer quelque chose.
Notamment grâce à la réponse que j’ai faite à un commentaire
qui me demandait si je n’étais pas dans une « peur de
lâcher la rampe du "maitrisé" ».
« Il m'est difficile de savoir
exactement ce qui se passe dans mon inconscient qui, en
toute logique freudienne, m'est inaccessible. Cependant,
plutôt que la maîtrise, je dirais qu'il s'agit d'une très
grande crainte du jugement par autrui. Donc oui, ça se
situe davantage dans le registre de la peur que dans celui
de l'incapacité. Disons que c'est une peur
incapacitante...
J'ai besoin de repères assez sûrs pour oser. Pas tant
parce que je redoute de me casser la figure, mais parce
que je crains le jugement face à toute "audace"
insuffisamment réfléchie et préparée. Comme si pour oser
il fallait... oui, "maîtriser" les suites. Ce qui aboutit
à un immobilisme certain tant les imprévus surviennent dès
qu'on modifie un équilibre. Impossible de tout prévoir !
Et le juge suprême, en la matière, à travers moi... c'est
mon père (ce que j'ai intégré de lui).
(…) Laisser sortir ce qui vient de moi c'est prendre le
risque de me tromper. Comme si je pensais "de travers". Et
si je me trompe c'est que c'est moi l'erreur... C'est
comme si ma pensée avait besoin d'être validée par une
autorité de référence. Elle ne s'exprime donc que très...
timidement. Prête à rentrer dans sa coquille à la moindre
désapprobation par une entité reconnue comme détentrice
d'un pouvoir de jugement. (…) Si je me "casse la figure"
dans ce que j'entreprends ce n'est pas l'échec qui me sera
pénible, mais la petite voix intérieure qui me dira : «
Tu vois, si t'avais réfléchi un peu plus... ».
Celle-là je la HAIS !»
Et là, avec évidence, je vois se dessiner le lien avec ce que
j’essaie d’élucider ici : le sens de mon implication dans la
fameuse histoire de laquelle j’essaie de me sortir.
La plus grande audace dont j’ai fait preuve, ce n’est ni de me
marier, ni d’avoir des enfants, ni de changer de métier, ni de
créer une entreprise, ni de construire une maison, ni de
réaliser un grand projet… mais de mettre tout cela en jeu.
Comme au poker !
Avec comme objectif l’audace même d’aller vers… la liberté,
les envies, la spontanéité. Vers un « vrai » moi qui ne
demandait qu’à exister. Et je l’ai réfléchi ce projet.
Préparé, anticipé, évalué. Et puis j’ai osé ! Pour moi c’était
énorme d’oser ce projet « fou ». J’ai lâché une main, j’ai
avancé au milieu du gué…
Et puis… et puis… quelque chose a foiré. Et tout s’est cassé
la figure.
Quand je lis ce que j’ai cité plus haut, je réalise à quel
point le « Tu vois, si t’avais réfléchi un peu plus… »
m’est insupportable. Parce que cette réflexion je l’ai menée,
aussi poussée qu’il m’était possible. Parce que, malgré
l’incertitude de l’avenir j’ai quand même osé. Je me suis fait
confiance. J’ai eu cette audace !
Oui, je me suis cassé la figure et, d’une certaine façon, ça
donnait cruellement raison à cette voix odieuse et castratrice
: Tu vois, si t’avais réfléchi un peu plus…
Je crois que c’est en grande partie à cause de cette voix que
je me suis senti si mal et que j’ai été à ce point atteint par
cet « échec ». Ça… et beaucoup d’autres enjeux tout aussi
importants. Décidément, cette histoire était lourdement
lestée.
Alors je m’en veux d’avoir apporté tout ça avec moi, de
n’avoir pas su m’en alléger suffisamment rapidement… et en
même temps je sens bien que cette culpabilité est injustifiée.
Parce qu’il fallait bien que quelque chose se passe pour que
je sorte de mon carcan. Et ce quelque chose… c’est ce que
j’osais faire !
Encore aujourd’hui je vois l’absurdité de la situation : une
étroite passerelle à franchir. Avec le vide en dessous et
personne pour m’aider. La condition de la réussite c’est d’y
parvenir seul. Donc d'avoir confiance en moi !
L’impression que j’en garde c’est que je n’ai pas été assez
vite. Que ma lenteur à été la cause de l’échec. Que les
précautions que j’ai voulu prendre tant pour ma propre
sécurité que pour la sauvegarde de ceux que je laissais ont
pris trop de temps.
Alors oui, je me sens coupable… mais c’est injuste.
Coupable aussi de m’être « engagé » sur cette voie, engagé à
réussir et aller jusqu’au bout… et de n’y être pas parvenu.
Avec là encore un sentiment d’injustice, parce que les
épreuves étaient difficiles et que je ressentais beaucoup
d’exigence. Comme si l’autre rive s’éloignait quand
j’avançais.
Comme s’il fallait que je me montre à la hauteur… de
l'inaccessible.
Enquête
de sens (4)
-
L'impasse de l'exigence -
Dimanche 14 février
Toujours aussi compliqué d’écrire ici, où je ne m’autorise
que péniblement à évoquer un sujet… dont l’évocation est
fort délicate. Pas pour moi, évidemment, mais en songeant
au respect dû aux tiers. Évidemment ce n’est pas le manque
de mots qui me pose problème, mais au contraire l’afflux
d’idées. À titre de comparaison je viens de me laisser
aller à une écriture « libre », automatique, et le flux ne
tarissait pas. Mais ces écrits resteront privés. Je renoue
ainsi avec la pratique d’une écriture « pour moi-même ».
Alors que dire ? Qu’est-ce qui reste « présentable »
publiquement ? Assurément beaucoup ! La difficulté venant
du tri à faire entre le dicible et l’indicible. Ou plutôt
entre ce qui est publiable ou pas. Et plus précisément
entre ce qui est acceptable par une potentielle lectrice
particulière, et ce qui ne l’est pas. Sauf que je ne sais
pas ce qui l’est et ne peux que supposer. Imaginer.
Projeter mes pensées à la place d’une autre.
Et c’est bien le drame de ce récit au long cours depuis
que j’ai partagé une période de ma vie, fort
enrichissante, avec cette lectrice particulière : il y a
eu une importante part de représentations imaginaires,
probablement à l’origine de bien des incompréhensions. Mes
écrits, parce qu’ils étaient lus, mettaient en évidence un
décalage de perception entre un vécu personnel qui ne
m’était que partiellement accessible et la représentation
que j’avais de la part manquante. Malheureusement ce qui
aurait pu donner lieu à des ajustements de perception
n'opéra qu'imparfaitement. Alors dans ma tête j’imaginais
une personnalité complète, pour la part qui interagissait
avec moi, en comblant les parts qui restaient inconnues.
Je n’en avais bien sûr pas conscience, autrefois, ou à
peine. Et de toutes façons c’est une propension naturelle
de la pensée que de construire quelque chose de plausible
pour soi en se fondant sur des faits observés.
C’est un des points majeurs de ma réflexion depuis près
d'un an : où commence l’imaginaire ? Qu’est-ce qui est
réel ?
Il y a quelques mois j’avais tellement remis à plat les
faits réels et ce que je m’étais représenté que j’en étais
arrivé à me demander si je n’avais pas imaginé le réel du
temps jadis. Sans garder en mémoire des écrits très clairs
j’aurais pu me demander si je n’avais pas entièrement
imaginé, interprété, des faits dans un sens qui m’aurait
convenu.
J’en suis venu à me poser des questions sur ma santé
mentale et une éventuelle schizophrénie rampante.
Aujourd’hui je ne suis pas certain d’être parfaitement
sain d’esprit, mais quand même capable de discerner entre
les faits (les écrits peuvent en faire partie) et ce qui
tient de mes représentations (ce que mon esprit a
construit à partir de faits, réels et/ou interprétés).
Bon, ce préambule étant posé, qu’ai-je envie de consigner
?
D’une part que ce que j’écris ne correspond qu’à ma
réalité. C’est une histoire que je raconte et à laquelle
je donne sens selon ma représentation des faits.
C’est une évidence mais je crois bon de la rappeler, et de
la souligner : la vérité de ce que je raconte n’est
que celle perçue à travers le filtre de ma subjectivité.
Ensuite que le phénomène de représentation imaginaire,
fantasmée, idéalisée, existe toujours dans ma pensée,
comme dans celle de quiconque. L’imaginaire construit la
réalité de chacun, en donnant un sens aux faits réels. La
réalité et le réel ne sont pas superposables, seul le réel
est vérifiable, unique, incontestable, factuel.
Ce que j’analyse ici est donc ma réalité,
interprétée et décryptée selon les traces laissées dans
mon parcours de vie. Je consigne des ressentis, des
impressions, des émotions. Ces états sont réels, même
s’ils sont très éloignés d’autres réalités. C’est du réel
ressenti qui s’appuie en partie sur des faits réels, et en
partie sur des interprétations imaginées. Mon objectif est
sans doute de faire le tri dans tout ça…
Ces précautions scripturales étant prises je me sens un
peu plus libre de me laisser aller…
Alors voila : je ressens un tenace culpabilité… ou plutôt…
une déception vis-à-vis de moi-même de n’avoir pas été à
la hauteur.
À la hauteur de quoi ?
À la hauteur de l’enjeu, à la hauteur de mes exigences, à
la hauteur de celles d’autres personnes que j’ai
considérées comme étant « référentes ». À savoir mon père,
à travers son substitut féminin : celle de qui je fus
l’ami.
Je suis déçu par moi-même, et en même temps je porte sur
moi un regard bienveillant : j’ai fait ce que j’ai pu, et
du mieux que j’ai pu. Je peux être fier de ce que j’ai
accompli comme cheminement, même s’il n’a pas été
suffisant pour atteindre ce que je convoitais dans le
temps imparti. Je ne devrais donc pas m’en vouloir... et
pourtant il y a de ça.
C’est là qu’apparaît la distinction entre deux instances
du moi, que je fais dialoguer ici de temps en temps : le
ça et le surmoi. L’enfant spontané et l’adulte normatif.
Parfois l’enfant rebelle et le parent protecteur. Il en
émerge peu à peu l’adulte responsable. Les familiers
auront bien sûr reconnu les termes de l’Analyse
Transactionnelle…
Longtemps j’aurais voulu que soient reconnus les efforts
que j’ai fait pour atteindre… ce qui m’était demandé. Ou
ce que j’avais intégré ainsi. Je sais désormais que la
seule personne sur laquelle je puis compter sur ce point
c’est moi. Même si, et je les en remercie, beaucoup de mes
lecteurs/lectrices/ami(e)s ont eu un rôle considérable
dans cette confiance que je me suis peu à peu accordée.
Leur infime pouvoir, par effet additif, m’a
incontestablement aidé.
Là où j’en suis aujourd’hui de ma vie je me suis rendu
compte que j’étais entré dans un système trop protecteur.
Trop blindé. Trop carapacé. Certes je suis tranquille et
serein dans mon état de solitaire. Plus vraiment de
problèmes relationnels, plus d’attentes à gérer. Peinard !
Oui… mais est-ce la vie que j’ai envie de vivre ? Est-ce
pour ça que je me suis battu ? Est-ce pour en arriver là
que j’ai fait en sorte de me retrouver « libre » ?
Assurément pas ! Mon envie de vivre est venue parce que
j’étais en relation avec une espiègle demoiselle et que
cela m’apportait d’immenses satisfactions. Parce qu’avec
elle, grâce à ce que nous partagions ensemble, je me
sentais vivre comme jamais. C’est au nom de cette vie, de
cet « élan vital », que j’ai persévéré dans une
voie qui risquait fort de me mener, je le sentais
confusément, vers un important chamboulement.
Alors maintenant, quelques années plus tard, quand je
constate que par déception sentimentale je me suis replié
sur moi-même par crainte de souffrir dans des relations «
décevantes »… je me dis que je ne suis pas fidèle à mes
engagements. À ceux que j’avais pris envers moi-même. Et
que si ma partenaire d’alors n’est plus là… ça ne change
rien à ce que j’avais senti comme un appel.
Si ça n’a pas pu se vivre avec elle jusqu’au bout, du
moins tel que je l’entendais, je n’ai pas envie que ça
m’empêche de tendre vers cet objectif. Ce serait réaliser
le « crime » que j’ai voulu éviter en renonçant à vivre
selon mes aspirations. Tout cela n'aurait donc servi à
rien... si ce n'est générer de la souffrance.
J’ai cru qu’on pouvait vivre sans attentes dans des
relations affectives. Je suis en train de réaliser que
c’est impossible : l’affectif crée des liens, des
attaches, et des attentes. Par contre avoir des attentes
et les exprimer est une chose, en devenir dépendant en est
une autre. Ce n’est pas les attentes que je devais
supprimer, mais la dépendance. La soumission aux attentes.
Je peux aussi accepter que l’on ait des attentes à mon
égard, qu’on les exprime… sans me sentir coupable de ne
pas y donner à chaque fois satisfaction. Le bonheur de
l’autre ne doit pas dépendre entièrement de mon bon
vouloir, ce serait un pouvoir trop lourd à porter. Mais il
ne peut non plus en être totalement indépendant : j'ai le
pouvoir d'apporter du bonheur. Je crains que la recherche
d'une autonomie complète ne mène vers un désert affectif,
exacerbe un narcissisme excessif, et finalement mette en
évidence une immaturité affective due à la peur de l’autre
que protégent des exigences intenables. Trop exiger de
l'autre conduit à l'exclure. À rendre les relations
"impossibles". À se rendre
inatteignable. Intouchable. Or, bien que je sois
vulnérable, je ne suis pas fragile ! Il y a donc là une
voie erronée sur laquelle j'ai pu être tenté de m'engager
par un mimétisme sans avenir.
Se faire croire que l'on peut se passer de l'affection des
autres, se passer de l’amour, c’est tendre vers un
ascétisme qui nous éloigne de l’humain tel que je
le ressens. C’est ce que j’ai réalisé en ayant orienté
quelques temps mon cheminement dans cette direction. La
vie n’est pas dans la protection mais dans la rencontre,
dans le risque, dans l’aventure, dans la déstabilisation.
À moins de viser une carrière d'ermite...
Je ne voudrais pas me tromper de voie.
Une chose est de se sentir « libre » en n'étant pas
dépendant d’un retour d’amour, une autre est de refuser de
se laisser toucher par crainte de perdre sa liberté. Quand
on craint de perdre sa liberté on n’est déjà plus libre.
Quant à attendre de l’autre qu’il n’ait pas d’attentes… la
formulation est suffisamment éloquente pour montrer son
absurdité.
Enquête
de sens (5)
-
L'audace et la peur -
Jeudi18 février
Lorsque je vis, ce qui représente quand même l’essentiel
de mon temps, je ne suis pas dans les réflexions
filandreuses que je remâche ad nauseam sur ce
journal. Mes pensées sont ailleurs. Autres. Légères,
fluides, souples, épousant le réel. Il m’arrive toutefois,
durant certaines périodes de cheminement-réflexion, de
penser, dès que j’en ai la possibilité (souvent durant mes
trajets domicile-travail) à ce qui me préoccupe ici. Mais
c’est alors de façon infiniment plus éclairée, vivante,
créative. En fait il est fréquent que je reprenne ici
pensées qui m’ont traversé ailleurs. Dès que je dispose de
temps je m’installe devant mon clavier et rassemble mes
idées, les associe, les tricote en essayant de leur
trouver du sens.
Durant mes périodes de concentration je constate que j’ai
besoin de beaucoup de temps en solitaire. Je me mets un
peu à l’écart du monde, durant quelques jours, quelques
semaines tout au plus. C’est presque une double vie qui se
met en place, avec un important « travail » de décorticage
et d’analyse qui s’appuie sur un bouillonnement de pensées
dont émerge parfois une idée innovante, un lien passé
inaperçu, une déclic éclairant. Mais ce bain de
réflexions, un peu déconnecté du réel, à des effets
bizarres. Le matin, au moment du réveil, à l’instant
ou je retrouve la conscience en émergeant de rêves
impalpables, je me dis, déçu : « Zut, je suis dans le
vrai monde et rien n’a changé ! Je n’ai pas résolu mon
problème ! ». Retour un peu pénible dans le monde
réel où se maintient la part d’irrésolu qui s’exprime ici
depuis des années. Quasi exclusivement ici. Hypertrophie
d’une énigme qui mange une part de ma vie mais en reste
cependant assez distincte. J’ai deux vies : la vraie et sa
part irrésolue.
Je crois que je n’oublie jamais vraiment cet irrésolu. Il
se manifeste fréquemment, inopinément déclenché par les
nombreuses sollicitations qu’offrent les hasards du
quotidien. Je vis avec cette énigme. Simplement je lui
laisse place ou non dans mes réflexions. Dans ce journal
c’est presque toute la place. Mais cette mise en mots
n’est qu’une clé qui me permet d’explorer ma conscience.
La résolution de l'énigme est un moteur d'avancement. Tel
Sherlock Holmes j’enquête… sur qui je suis. Et sur le
fonctionnement humain lorsque je pense pouvoir extrapoler
de mes propres agissements une relative généralisation.
Eh… il faut bien quelques éléments de repères et de
stabilité ! Quitte à les supprimer ultérieurement s’ils se
révèlent être erronés.
Donc là… en ce moment… fluctuant depuis quelques
semaines/mois… ça pense pas mal dans ma p’tite tête. Des
éléments nouveaux m’apparaissent sans que je ne sache
comment les relier entre eux. En fait je ne consigne ici
que très peu des pensées qui me viennent, faute de savoir
les assembler pour le moment.
Ici… c’est autre chose qui s’exprime. Pas
forcément ce que je préfèrerais montrer mais bon… je
fais avec ce qui vient et ce que je suis ! Imparfait.
Grandement imparfait. Mais je m’en fous…
Je sens que, de toutes ces pensées qui me viennent, émerge
une conscience nouvelle. Bien plus éclairée que celle
que j’avais auparavant. Je sens que ma pensée se
construit. C’est d’ailleurs un peu frustrant de sentir ce
mouvement intérieur et de ne pouvoir le fixer. Mais… c’est
peut-être aussi bien ainsi : ça reste des pensées
flottantes et mouvantes, épargnées de la fixité par des
mots agissant tels des aiguilles clouant des insectes dans
une collection morte. Tant que les pensées restent en
mouvement elles en fécondent d’autres.
C’est curieux que j’écrive ça alors que je consigne depuis
tant d’années mes pensées ! Du moins… certaines de mes
pensées. Celles que j’ai besoin « d’étudier », tel un
entomologiste le ferait avec des papillons… ou des
libellules.
Bon… avec toutes ces
digressions je ne sais même plus pourquoi je me suis mis
devant mon clavier ! J’avais pourtant des idées à
épingler !
Ah oui, ça me revient ! [notez
le dialogue intérieur, que je devrais utiliser plus
souvent puisqu’il me permet de me concentrer sur moi
plutôt que de penser aux regards qui se poseront sur mes
lignes…].
Donc, oui, je songeais, par toute une suite d’associations
d’idées extraites du vrac de mes pensées, à la nostalgie.
Elle a ceci de particulier qu’elle n’a pas de contraire et
qu’elle est, en elle-même, un assemblage d’émotions
contraires : la joie et la tristesse. Joie en se souvenant
d’un passé heureux, tristesse qu’il ne soit plus. Et
d’avantage qu’il ne soit plus : qu’il ne puisse plus être
! La nostalgie ce n’est pas la mort du passé, c’est celle
de l’avenir. Le passé, au contraire, reste parfaitement «
vivant » dans les souvenirs.
Quel rapport avec ce journal ? Quel rapport avec mon «
Enquête de sens » ? Et bien justement : c’est parce que je
cherche les raisons d’une imprégnation aussi durable dans
une relation achevée que j’en viens à arpenter des pistes
sous un angle nouveau.
Le rapport… tenez-vous
bien, ça risque d’être long... le rapport
disais-je, il est dans ce passé-présent-futur. Lié au
temps qui passe. Revenons quelques années en arrière :
qu’est-ce qui m’a fracassé ? L’annonce qu’il
n’y aurait pas d’avenir à la joie du partage
complice. Et pour être plus précis :
qu’il n’y aurait peut-être
pas d’avenir. Ce « peut-être » aura
eu une importance capitale, nous verrons pourquoi un peu
plus loin.
Pas d’avenir… le couperet tombait, tranchant du
même coup un pacte de confiance dans lequel JE m’étais
engagé.
Ah oui, je vais m’efforcer de
bien utiliser le JE, puisqu’il s’agit de MA perception
des choses et que ce n’est aucunement une garantie de
réalité ni de vérité absolue et incontestée.
Ce couperet, en tranchant dans la « confiance » (terme
aussi vague que vaste dans ma conception des choses), est
entré profondément dans mon être. Sans doute bien plus
profondément que ce qui pouvait être imaginé. Moi-même je
ne pouvais qu'en subodorer l'impact, le pressentir,
quoique avec une forte crainte qu’il puisse être
dévastateur. J’ai immédiatement senti que s’il était bel
et bien en train de se produire ce que je redoutais j’en
aurais pour des années à m’en remettre. Une dizaine
d’années, estimation à la louche. Je suis encore dans les
clous… même si le processus à l’œuvre m’aura mené bien
plus loin que je n’aurais imaginé et que les effets à long
terme seront assurément bénéfiques.
Actuellement ils sont bénéfiques et
douloureux. Bénéfiques en termes d’avenir, douloureux en
tant que passé. Mais dans des proportions qui se sont
totalement inversées avec le temps ! La douleur n’a cessé
de se réduire. Devenue parfaitement supportable, mon
objectif est qu’elle s’éteigne. C'est en bonne voie et je
crois profondément que ça vaut la peine que j'y travaille
encore un peu. J’aspire à cette paix complète de mon
esprit. La paix avec le passé.
J’en viens maintenant au « peut-être » qui a
accompagné le retrait de ma partenaire avant qu’il ne soit
assimilable à un couperet. Il est très important ce «
peut-être », parce qu’il laissait une chance de
rattrapage. Un espoir… Ces redoutables espoirs qui, en ces
circonstances, ont été bien davantage un poison à long
terme qu'une douceur immédiate. Parce que, espérant
pouvoir inverser la tendance… je me suis accroché autant
que j’ai pu.
J’ai entendu, interprété, cru comprendre… que la
résolution du peut-être dépendait de moi. Que si
je répondais aux conditions exigées… alors ce que je
voulais aurait pu être.
Pourquoi l’ai-je entendu ainsi ? Et surtout pourquoi ai-je
consenti à me plier à une telle exigence (réelle
ou fantasmée, là n’est pas la question) ? Je
mesure bien maintenant toute ma part de responsabilité
dans cette… soumission.
Je sais d’où cela provient dans mon enfance. Je sais aussi
que de cette enfance vient mon manque de confiance en moi.
Un déficit narcissique qui cherchait à se résoudre dans
une relation forte qui me demandait, ô combien, de croire
en moi-même. Pour oser…
Ouais, mais voila : vouloir ne suffit pas ! Encore faut-il
pouvoir. Être en capacité de pouvoir.
Ce qui a donné la tournure dramatique de l’histoire c’est
que j’y avais placé, « investi » énormément de moi. En
voulant tenter ma chance j’ai aussi pris un risque
considérable.
Mais ce n’est pas tout [bah
oui, ce serait trop simple !]
Dans cette fameuse et fabuleuse rencontre [veuillez
apprécier la tournure joyeuse de la nostalgie] il
s’est joué autre chose que l'ébauche d'une démarche solidaire
de construction. Notez déjà que le terme « solidaire »
entend une implication dans une aventure non égoïste.
C’est là que la notion de « confiance » prend toutes ses
dimensions : dans mon esprit on se lançait à
deux dans une double aventure
intérieure. Un équipage. Des coéquipiers. Des complices.
Pour un voyage au long cours…
L’aspect très important [décidément
tout était « très important » dans cette histoire…]
qui s’y ajoutait, c’était la dimension… oserais-je
le terme… oui… altruiste. Comment
expliquer ça ? Il se trouve que, comme cela m’était
rarement arrivé dans mon parcours, j’ai été profondément
touché, ému, bouleversé, par certaines confidences
vibrantes de sincérité qui m’avaient été offertes. À
partir de là, allez savoir pourquoi et ce qui a été touché
en moi, une dimension supplémentaire a magnifié ce qui
était déjà promesse d’épanouissement.
Ouais, ça donnait quelque chose de vraiment fort !
Je sais maintenant que l’intensité et une certaine
complémentarité/attirance/ressemblance (?) ne garantissent
pas la réussite…
Après moult complications les choses ont été estimées «
trop compliquées ». Ou pas assez simples, ce qui
revient à peu près au même. Et je n’en disconviendrai pas,
tant j’ai pu souffrir en essayant de correspondre à… ce
que je pensais devoir être [!!!].
La situation a pu être très difficile pour moi, à certains
moments. Douloureuse au point que j’avais envisagé
plusieurs fois d’arrêter. Je
ressentais des exigences hors de ma portée. Hors de la
portée de beaucoup d’humains d’ailleurs… Mais je
m’accrochais ! Parce que j’y tenais à cette relation de
complicité ! Parce que je trouvais cette exigence saine,
expurgée de faux-semblants. Parce que je me disais qu’à
force je parviendrais bien à surmonter mes vieux démons,
mes peurs, mes doutes. J’avais confiance : on était
coéquipiers !
Confiance ? Pas si sûr… Et comment aurai-je pu alors que
je sentais comme une épée de Damoclès au-dessus de ma
tête. J’avais perçu, à tort ou à raison, des demandes, des
conditions. Et que si je n’y répondais pas, alors... «
ça ne marcherait pas entre nous ». Ai-je donné à ces
mots un autre sens que celui qui leur avait été assigné ?
Je l’ignore. Mais en moi il est indéniable qu’ils ont
réveillé mon tortionnaire intérieur : si tu n’es pas à
la hauteur… alors tu perdras ce que tu as. Tu
retrouveras ta place de garçon incapable, sans audace ni
personnalité, indigne de réussir. Inintéressant.
Pour moi l’enjeu était tel que je ne devais pas rater ! De
la réussite dépendait, du moins le pensais-je, mon
accession à une confiance accrue en ce que je vaux.
Fallait surtout pas que je me plante ! Surtout pas ! Et
fallait surtout pas que je laisse filer une partenaire
aussi précieuse !
Avec une telle pression, dont l’entière responsabilité me
revient de l’avoir endossée, je serrais les fesses ! Oh,
très peu au début. Quelques coups de semonce m’avaient
juste mis en éveil. Mais insidieusement, le temps passant,
j’évitais les zones à risques. Et peu à peu je suis entré
dans le règne de la peur : il y avait des sujets qui
devenaient « tabou », alors même que j’avais intégré une
injonction de franchise qui correspondait exactement à la
notion de confiance qui m’importait tant. Oui mais voila…
tenter la franchise est une chose… encaisser ses
conséquences en est une autre. J’étais trop sensible aux
remarques de désapprobation.
Bref, quelque chose de très compliqué a pris place, entre
désir d’être et capacité à l’être. Décalage. Je suis
devenu de plus en plus tiraillé entre différents états du
moi. Et c’est là qu’entrent en scène les aspects
paradoxaux de ce journal, qui est toujours resté
accessible, offrant ainsi deux aspects de ma personnalité
: le réfléchi et l’émotionnel. L'adulte et l'enfant.
L'audace et la peur. Dans les faits je ne parvenais pas
être ce que ma pensée m’avait enseigné. Je « savais »,
mais ne parvenais pas à appliquer ce savoir. Je savais...
mais je n'étais pas !
Pendant longtemps ce double langage n’a pas semblé poser
trop de problème. Au contraire, je crois que j’offrais
avec sincérité et honnêteté le constat de cette
dichotomie. Je ne me cachais pas. J’appliquais ce concept
qui m’avait séduit : « en ne cachant pas mes
faiblesses je deviens plus fort ». Ouais… c’était
loin d’être aussi simple que ça ! En tout cas ça ne s’est
pas passé simplement ni sans douleurs. Ni
rapidement. L'oeuvre était de longue haleine !
(À suivre...)
18 février, je
me souviens...
Le monde s'ouvrait à moi. J'avais osé et j'en
avais ressenti un incroyable souffle de vie.
Partir seul, si loin, pour vivre mes
désirs. Vivre mon rêve. Te retrouver. Vivre
avec toi.
J'étais là, dans le couloir, à l'endroit de la
photo. Et dans ton jardin d'hiver il y avait
cette grande banderolle qui
m'accueillait. J'en fus ému...
|
Dimanche 28 février
Mon enquête de sens, en
apportant un léger décalage avec une relation dont l’éloignement
est devenu la seule issue, se révèle être efficace :
cela me permet de prendre le recul que je sentais
nécessaire. Glisser du «
pourquoi tout cela est-il arrivé ? »
au «
pourquoi cela m’a
t-il tant marqué ? »
m’a remis au centre, à ma place d’acteur, responsable de
ce que je fais des aléas de mon existence.
Je constate que le temps que je laisse s’écouler entre
rédaction et mise en ligne, de même que la non
publication de certains textes, sont les signes d’un «
travail » réalisé par la mise en mots. Il m’arrive de ne
plus ressentir le besoin de diffuser certaines idées, ni
celui d’aborder publiquement certains points qu’il
m’importait d’exposer. Je sens bien qu’opère la
dissolution d’un
« nous »
que j’ai très
longtemps cherché à maintenir vivant…
Le texte suivant, bien
que je ne l’écrirai plus tel quel aujourd’hui (la
conjugaison au présent n’a déjà plus lieu d’être),
marque une prise de conscience que je pense
significative. C’est à ce titre que je le publie en
différé.
-
Une complicité singulière -
Rédigé et modifié du 15 au 22 février
Je sais depuis longtemps que ce journal en ligne ouvert sur mes
doutes m’a servi autant que desservi. Il m’a aidé à « avancer »
autant qu’handicapé dans cette démarche. Je dois à cette
écriture publiée d’être ce que je suis… mais aussi, j’en suis
presque certain, d’avoir œuvré à la destruction de ce que
j’avais pensé construire. Je veux parler là d'une relation dont,
en cherchant à en comprendre l'évolution, j’ai sans doute accru
les dysfonctionnements. Mais si ma persistance à écrire
publiquement a joué un rôle majeur, elle n’a cependant pas été
seule à agir. Jusqu’au bout c’est à deux que les interactions
ont travaillé en synergie.
Aujourd’hui, s’il m’est devenu très compliqué de m’exprimer ici,
c’est parce que, conscient des interactions, je suis pris dans
des contradictions : taire ou dire ? Quel est le plus bénéfique
? Bénéfique à qui ? À quoi ? Est-ce un acte courageux ou une
faiblesse ? Une libération ou une aliénation ? Malheureusement
je crois que tout cela ne s’oppose pas en terme de « ou », mais
coexiste en « et ». C’est l’un et
l’autre. Ambivalence.
Ce que je comprends maintenant c’est que la durée de cette
grande aventure-mésaventure est (a été ?) partie prenante de son
exploration. Je veux dire par là qu’il y a une auto-génération :
ça dure parce que j’en parle et j’en parle parce que ça dure.
J’en parle parce que c’est compliqué et c’est compliqué parce
que j’en parle. J’en parle parce qu’il y a eu incommunication et
c’est parce qu’il y a eu incommunication que j’en ai parlé.
Parler, parler, parler… écrire, communiquer… tant de choses se
sont nouées autour de ça… Fluidité réjouissante au départ,
complication croissante ensuite jusqu’à finir dans un silence
plombé. L’impossible dialogue.
Pour moi qui cherche à communiquer dans la confiance, je ne peux
que reconnaître l’implacable évidence : il y a eu un échec
magistral ! Comment ne pas m’interroger à ce sujet ? Comment ne
pas rester perplexe ? Comment ne pas me demander où j’ai raté
quelque chose ? Où je n’ai pas su, pas senti, pas compris…
J’ai cherché… jusqu’à ce que j’accepte de me dire, sans plus
vouloir convaincre, que ma persévérance ne pouvait pas provenir
d’un acharnement unilatéral : seul, je n’aurais pas tenu aussi
longtemps ! Jusqu’au bout le jeu s’est joué à deux.
Et peut-être… peut-être était-ce ce que j’avais besoin de
sentir. Comme un signe d’attachement.
Constat qui me permet de mettre en évidence un point important
pour mon enquête de sens : ce que j’ai relaté ici et ce autour
de quoi je me suis si longtemps accroché ne se situe pas
précisément dans le temps. Ce n’est pas seulement un évènement
daté qui m’a interloqué et propulsé dans le trouble, mais aussi
la succession d’évènements qui ont suivi, découlant les uns des
autres sans que je n’en saisisse la logique. Il y a eu le «
avant », puis l’évènement déclencheur de mon effondrement, mais
aussi toute la série de rebondissements postérieurs. Ce qui fait
que ce ne sont pas des faits vieux de cinq ans qui ont alimenté
une réflexion en circuit fermé, mais un continuum de faits, dont
les derniers ne datent que de quelques mois.
Je veux dire par là que je ne suis pas resté figé sur un moment
précis qui serait resté incompris, mais empêtré dans
l’enchevêtrement d’évènements consécutifs dont le sens n’a cessé
de se complexifier : ce que je croyais avoir compris un jour, ce
qui me semblait avoir un sens, ce sur quoi je me basais pour
"avancer", s’est trouvé plusieurs fois invalidé par des
rebondissements inattendus. Ce qui fait que je me suis souvent
dit qu’il y a avait là de quoi devenir fou… Chercher à
comprendre des faits évolutifs qui se contredisent est, certes,
une géniale gymnastique de l’esprit, mais aussi, à la longue, un
véritable calvaire ! Un parcours du combattant dont je parviens
cependant au terme...
J’avais besoin de comprendre comment la réalité d’une «
suspension », en devenant rupture, pouvait correspondre à
la relation que j’avais vécue en l’imaginant durable. La
complicité de jadis, déchirée dans sa réalité, ne correspondait
pas à ce que mon imaginaire persistait à croire impossible : sa
fin définitive. Je pensais que tôt ou tard il allait être trouvé
la faille, donc le moyen de "réparer" ce qui avait
dysfonctionné. C’est à ça que je me suis acharné. Et si à
plusieurs reprises, vaincu et épuisé, j’ai fait ce qu’il fallait
pour aller vers l’acceptation de l’inacceptable, il s’est
toujours trouvé ultérieurement une manifestation de présence,
une sollicitation, une proposition, pour relancer le processus
inverse. Ces espoirs entr'aperçus, même s’ils ont souvent été
vite déçus, ont rendu le processus de deuil particulièrement
difficile. Et pour tout dire… impossible ! Comment renoncer à
quelque chose qui a pu renaître plusieurs fois de ses cendres ?
Alors maintenant, bien que j’en aie une idée plausible, ne
sachant pas exactement pourquoi ma complice d’autrefois à choisi
de s’éloigner toujours davantage de moi, ni pourquoi elle m’a
"laissé ma chance"… sans y répondre lorsque j’ai été prêt, ni
pourquoi elle est revenue vers moi autant de fois après avoir
dit qu’elle ne le ferait plus… j’ai envie de croire, d’imaginer,
que tout cela était le signe d’une relation vraiment importante
pour chacun de nous. Quelque chose de fort, contrasté,
ambivalent, complexement nourri par nos contradictions et
similitudes. La chance d’une complicité singulière.
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