Février 2010

Dernière mise à jour:dimanche 28 février 2010 - Accueil - Message






Enquête de sens (2)
- Coupable ou fiable ? -




Mercredi 3 février
Rédigé et modifié du 26 janvier au 3 février


Ma plongée vers les profondeurs se révèle plus complexe que je ne pensais : ça part dans toutes le directions ! Les idées foisonnent et chaque pensée nouvelle, chaque prise de conscience, en entraînent d'autres, en cascade. Je touche à des choses importantes qui me "travaillent" et recomposent en permanence mon paysage intérieur. Il est certainement bon que je me laisse porter...

Je ressens la nécessité de poser le paysage actuel en revenant sur ce qui l'a dessiné dans le passé. Quelques années en arrière, à la toute fin de l'année 2003. Au moment où Charlotte [mon épouse] m'avait été demandé de me déterminer afin de savoir vers quoi je choisissais d'orienter ma vie. En clair, soit je continuais ma vie de couple... soit je me lançais à l'aventure, avec tout ce que cela contient d'imprévus. Les deux voies avaient chacune attraits et inconvénients, perspectives et limites. Pour faire ce choix crucial je m'étais retiré trois jours dans la solitude et le silence, emportant avec moi 272 pages imprimées de ce journal, représentant les six derniers mois de mes écrits. Histoire de faire les choses en toute conscience, avec lucidité et réflexion. Je n'étais pas du genre à prendre ce genre de décision à la légère...

Le résultat avait été net et c'est « en mon âme et conscience » que j'ai opté pour une forme de liberté... avec toutes les conséquences envisageable pour ma vie de couple. Confirmant la décision prise quelques mois plus tôt c'était un choix extrêmement engageant qui me demandait de me dédire, en quelque sorte, de mon engagement dans le mariage. Je faisais clairement un autre choix que celui de poursuivre seulement avec Charlotte « pour le meilleur et pour le pire ». Pour quelqu'un qui, comme moi, avait comme valeurs premières l'honnêteté et la fiabilité, ce n'était pas rien ! Il fallait que la motivation de mon changement en vaille vraiment la peine !


J'ai estimé que c'était le cas. Je vivais une alors une amitié amoureuse qui m'était extrêmement précieuse et m'ouvrait à de vastes horizons inexplorés. Pas parce que j'aurais bêtement eu envie de voir si l'herbe était plus verte de l'autre côté de l'Atlantique, mais parce que cette amitié-là correspondait à ce que je n'osais même pas espérer au fond de mes rêves. Je m'étais senti accepté tel que j'étais, encouragé, soutenu dans ma démarche de conscientisation et de réalisation personnelle. Non jugé, non critiqué. Je n'avais que très rarement connu ça et c'était une émulation enthousiasmante, vivifiante. C'était comme si un idéal se réalisait. Le lien qui s'était établi était pour moi une merveilleuse révolution, une ouverture au monde, et je sentais que renoncer à ce lien aurait été comme m'interdire de vivre. C'était la vie qui palpitait là ! Je le sentais de façon viscérale avec une intensité incontournable. Il fallait qu'il y ait une une telle force pour me faire choisir une voie qui, je le savais, risquait fort d'induire une réaction d'éloignement de Charlotte, mon ancrage jusque-là. Charlotte, avec qui et autour de qui s'était articulée ma vie depuis l'âge de 18 ans. J'aimais beaucoup ma femme... mais je n'aimais pas qu'elle. Je souhaitais ardemment son bonheur et son épanouissement, mais pas que le sien.

Pour une fois j'écoutais mon ressenti intérieur davantage que ma raison. Même si je faisais appel à la raison pour justifier que je m'en émancipe...

Alors voila... j'ai écouté l'élan vital qui m'appelait. Mais il y a des questions que je ne me suis pas posées.  En fait, elles ne se posaient même pas : elles ne faisaient tout simplement pas partie de mon univers ! Pour moi il était indubitablement évident que ma façon de vivre cette relation était réciproquement partagée. Rien ne me disait le contraire.

Il y a quelques jours, en pleine période de lassitude sentimentale, d'intégration de mon état solitaire, et au vu de l'évolution cauchemardesque de cette relation parallèle, je me suis demandé... je me suis interrogé... ai-je fait le bon choix ? Le referais-je de la même façon ?
[Nb : Le dialogue intérieur qui a découlé de ce moment de doute est laissé au présent bien que cet exercice m'ait fait prendre conscience que le passé s'imposait dorénavant].

Je ne me pose pas la question par rapport à moi, mais par rapport à Charlotte, à nos enfants.

Et alors ?

Je n'ai pas la réponse.

En es-tu sûr ?

Il y a eu tellement de bouleversements, tant de choses ont changé... Et puis je n'ai encore pas assez de recul. Six ans, c'est trop court pour dresser un bilan.

Tu sais pourtant ce qu'il est advenu de votre vie de famille.

Ouais... ça fait un peu mal. C'est pas ce que je voulais... Je ne pensais pas que Charlotte s'éloignerait autant de moi, ni que tant de domaines de partage deviendraient proscrits. J'ai raisonné avec mon mode de pensée, pas le sien, que j'ignorais largement.

Tu la connais mieux, maintenant. Tu découvre aussi pourquoi ça ne fonctionnait pas toujours très bien. Tu sais qu'il y avait entre vous un décalage, des visions différentes de la vie.

Qui n'en a pas ? Il n'y avait rien d'insurmontable. Et... justement, fin 2003 tout était encore possible.

Mais tu étais occupé ailleurs...

J'étais aspiré ailleurs. J'ai choisi la solution qui me faisait évoluer le plus, qui était la plus prometteuse, la plus rapide.

Tu as choisi la facilité.

J'ai choisi... un certain bonheur. Un grain de folie, de fantaisie. L'exaltation, le rire, l'évasion. J'ai choisi aussi de transgresser des limites, d'oser, de m'émanciper. Je ne voyais que du positif à "entendre" ces aspirations fortes. Tandis qu'avec Charlotte... il allait falloir labourer en profondeur, affronter des difficultés. Je sentais bien qu'elle n'était pas prête à une évolution de couple. Elle voulait revenir "comme avant". J'imaginais en avoir pour des années avant de trouver un épanouissement relatif. J'avais l'impression de m'enterrer...

Donc tu as fait le bon choix !

Oui... et en même temps j'ai "abandonné" Charlotte.

Tu sais bien que ce n'est pas aussi simple : tu as été toi-même et tu étais prêt à poursuivre avec elle, sous une forme à inventer. Mais elle ne voulait pas.

Oui, c'est vrai.

Tu peux donc voir les choses autrement, et tu le sais bien : grâce à ta relation parallèle tu as pu savoir vers quoi tu voulais orienter ta vie. La rencontre de cette autre femme a été une chance extraordinaire, et la personnalité qu'elle avait a été suffisamment attrayante pour que tu trouves au fond de toi la force de t'arracher à ta condition. C'est énorme, ça !

Oui, je sais...

Ne l'oublie jamais !

Ouais... j'ai tendance à confondre les deux histoires.

Ben oui, elles étaient très imbriquées.

Non, c'est moi qui avais du mal à lâcher l'une pour aller vers l'autre.

Mais l'autre histoire avait-elle un avenir ?

Oups ! Ça c'est un point crucial ! Tout est là ! TOUT EST LÀ !

Pourquoi donc ?

Parce que je n'en sais fichtrement rien ! Et que je ne l'ai jamais su ! Ça se vivait au présent...

Hmmm, et as-tu cherché à le savoir ?

Euh... non. Surtout pas !

Tiens tiens...

Je crois que je redoutais trop d'entendre que rien n'était sûr. Je le savais, mais il fallait que je n'en tienne pas compte. Sinon... je n'aurais peut-être pas osé aller aussi loin. C'était trop risqué. Ça m'effrayait de bouleverser ma vie à ce point. Je sais que je me suis trompé. Je ME suis trompé. Je n'ai pas été aussi loin que nécessaire. Je n'ai pas vérifié si l'implicite supposé était explicitement posé. J'ai carrément fait une impasse sur quelque chose qui m'était pourtant fondamental...

Et ce fondement était ?

La durée. Je n'ai pas voulu penser à la notion de durée.

C'est ça : tu ne t'es pas embarrassé l'esprit avec ça. Tu as suivi ton inspiration. Même si certains t'avaient mis en garde : ça ne durera pas.

J'ai balayé ces stupidités avec morgue : Peuh ! ce que nous vivions était au dessus de ça... Ce n'était pas une petite histoire et elle n'allait pas s'éteindre comme ça !

" Vous" ? En es-tu sûr ?

À l'époque, oui. Maintenant je devrais dire « ce que je vivais ». Je ne pouvais même pas envisager qu'une fin puisse arriver.

Vraiment ?

J'avais foi en ce que je vivais, j'avais foi en "nous"...

Tssss.. la foi n'est ni objective, ni lucide.

Certes, mais elle permet beaucoup de choses. Elle est même parfois indispensable.

Elle peut aussi aveugler... Dis plutôt que tu as refusé d'explorer cette possibilité d'une fin.

Grmblll... ouais, c'est vrai. Ce n'était pas entendable. Trop difficile. Sujet trop sensible. Perdre un lien de cette nature aurait été une catastrophe affective et émotionnelle, un effondrement.

Et tu l'as pourtant perdu.

Oui.

Malchance ?

Non. Passage obligé, sans aucun doute. Il s'est fait ce qui devait se faire.

Destin ?

Si le destin est vu comme un chemin tout tracé et inévitable, non. Si c'est celui que l'on se forge, oui.

Choix ?

Choix inconscient, certainement. Je ne peux pas dire que c'est le hasard qui a fait les choses. Je sais précisément un certain nombre d'actes, attitudes, mots, qui ont orienté les choses sans un sens ou un autre.

Et maintenant, où veux-tu en venir avec ce nouveau flash-back ?

A quelque chose d'aussi simple qu'énorme, qui contribue largement à motiver mes années de recherche post-cataclysmiques, le très profond changement intérieur qui m'affecte et le regard nouveau que je porte sur les relations.

Euh... tu cherches à justifier quoi avec ce baratin ?

Et bien, que si j'avais pu avoir conscience que ma façon de me lier « pour la vie » n'était pas partagée, et qu'une fin était envisageable... je n'aurais pas mis mon couple en danger.

Tu veux dire que ton choix aurait été différent à l'issue de tes trois jours de solitude ?

Absolument. Je crois que je n'aurais même pas eu besoin de ces trois jours. D'ailleurs, si cette "fin" avait été envisagée, la relation aurait été toute autre, pour moi. Vécue sur un mode plus léger. Je ne me serais pas "engagé" de cette façon. Je ne sais pas ce qu'il en aurait découlé, mais assurément je n'aurais pas remis en question mon engagement avec Charlotte.

Ouh la, ça va loin ce dont tu prends conscience. Ça veut dire que tu regrettes ton choix ?

Absolument pas ! Je l'ai fait en toute conscience, avec ma conscience du moment. Mais je me suis trompé. J'ai fait une erreur en ne poussant pas dans cette direction sensible. Et je m'en sens coupable aujourd'hui.

Ah, nous y voila : la culpabilité !

Oui, parce que mes choix ont eu des conséquences très lourdes sur la vie de Charlotte et de nos enfants. Les assumer au nom d'une raison "vitale" pour moi n'a déjà pas été chose aisée, surtout en voyant la profonde détresse de Charlotte, mais au moins c'était "justifié". Par contre, quand je me rends compte que je ne me suis pas posé clairement la question de l'engagement... j'ai clairement commis une faute.

La faute serait de rester dans la culpabilité : tu voulais t'émanciper et tu as réussi. Il y aurait forcément des conséquences, et tu le savais.

Oui mais... vu ce qui s'est passé... est-ce que ça vallait le coup de tout foutre en l'air ?

Tu le sais.

Oui...

Alors laisse tomber cette culpabilité, qui n'a pas à entrer en ligne de compte. Ce n'est pas parce que la relation parallèle a capoté que ça remet en question le choix initial. Rappelle-toi que les deux histoires sont distinctes !

Ouiiiii, mais c'est quand même rageant...

Ah ben ça !

Et puis... quand même : c'est bien parce que je vivais cette amitié amoureuse que Charlotte m'a demandé de choisir. Ce n'est pas mon désir d'émancipation qui a mené à cette situation, mais bien la présence d'une autre femme...

Et c'était ta chance ! Demande-toi ou tu en serais s'il n'y avait pas eu cette rencontre ?

Certainement pas très loin de ce que j'étais alors...






Enquête de sens (3)
- À la hauteur de l'inaccessible -





Dimanche 7 février


Blocage complet, finalement, tant la contrainte du respect de la vie privée est forte… Je n’ai plus su comment évoquer ce qui s’agitait en moi sans faire référence à un passé qui n’implique pas que moi.

Frustration de ne pouvoir me « libérer » de ce qui, par son indicibilité, pèse encore sur mon parcours. Or l'indicible, est ce qui cherche le plus à se dire...

Alors je me suis « lâché » sur mon blog, compulsivement, sans dire un mot de tout ce dont il est question ici, en laissant libre cours à mes pensées. Démarche hasardeuse, en contradiction avec la distance que je veux rendre à cet espace, mais qui a eu le mérite de débloquer quelque chose. Notamment grâce à la réponse que j’ai faite à un commentaire qui me demandait si je n’étais pas dans une « peur de lâcher la rampe du "maitrisé" ».

« Il m'est difficile de savoir exactement ce qui se passe dans mon inconscient qui, en toute logique freudienne, m'est inaccessible. Cependant, plutôt que la maîtrise, je dirais qu'il s'agit d'une très grande crainte du jugement par autrui. Donc oui, ça se situe davantage dans le registre de la peur que dans celui de l'incapacité. Disons que c'est une peur incapacitante...

J'ai besoin de repères assez sûrs pour oser. Pas tant parce que je redoute de me casser la figure, mais parce que je crains le jugement face à toute "audace" insuffisamment réfléchie et préparée. Comme si pour oser il fallait... oui, "maîtriser" les suites. Ce qui aboutit à un immobilisme certain tant les imprévus surviennent dès qu'on modifie un équilibre. Impossible de tout prévoir !
Et le juge suprême, en la matière, à travers moi... c'est mon père (ce que j'ai intégré de lui).
(…) Laisser sortir ce qui vient de moi c'est prendre le risque de me tromper. Comme si je pensais "de travers". Et si je me trompe c'est que c'est moi l'erreur... C'est comme si ma pensée avait besoin d'être validée par une autorité de référence. Elle ne s'exprime donc que très... timidement. Prête à rentrer dans sa coquille à la moindre désapprobation par une entité reconnue comme détentrice d'un pouvoir de jugement. (…) Si je me "casse la figure" dans ce que j'entreprends ce n'est pas l'échec qui me sera pénible, mais la petite voix intérieure qui me dira :
« Tu vois, si t'avais réfléchi un peu plus... ».

Celle-là je la HAIS !»


Et là, avec évidence, je vois se dessiner le lien avec ce que j’essaie d’élucider ici : le sens de mon implication dans la fameuse histoire de laquelle j’essaie de me sortir.

La plus grande audace dont j’ai fait preuve, ce n’est ni de me marier, ni d’avoir des enfants, ni de changer de métier, ni de créer une entreprise, ni de construire une maison, ni de réaliser un grand projet… mais de mettre tout cela en jeu. Comme au poker !

Avec comme objectif l’audace même d’aller vers… la liberté, les envies, la spontanéité. Vers un « vrai » moi qui ne demandait qu’à exister. Et je l’ai réfléchi ce projet. Préparé, anticipé, évalué. Et puis j’ai osé ! Pour moi c’était énorme d’oser ce projet « fou ». J’ai lâché une main, j’ai avancé au milieu du gué…

Et puis… et puis… quelque chose a foiré. Et tout s’est cassé la figure.

Quand je lis ce que j’ai cité plus haut, je réalise à quel point le « Tu vois, si t’avais réfléchi un peu plus… » m’est insupportable. Parce que cette réflexion je l’ai menée, aussi poussée qu’il m’était possible. Parce que, malgré l’incertitude de l’avenir j’ai quand même osé. Je me suis fait confiance. J’ai eu cette audace !

Oui, je me suis cassé la figure et, d’une certaine façon, ça donnait cruellement raison à cette voix odieuse et castratrice : Tu vois, si t’avais réfléchi un peu plus…

Je crois que c’est en grande partie à cause de cette voix que je me suis senti si mal et que j’ai été à ce point atteint par cet « échec ». Ça… et beaucoup d’autres enjeux tout aussi importants. Décidément, cette histoire était lourdement lestée.

Alors je m’en veux d’avoir apporté tout ça avec moi, de n’avoir pas su m’en alléger suffisamment rapidement… et en même temps je sens bien que cette culpabilité est injustifiée. Parce qu’il fallait bien que quelque chose se passe pour que je sorte de mon carcan. Et ce quelque chose… c’est ce que j’osais faire !

Encore aujourd’hui je vois l’absurdité de la situation : une étroite passerelle à franchir. Avec le vide en dessous et personne pour m’aider. La condition de la réussite c’est d’y parvenir seul. Donc d'avoir confiance en moi !

L’impression que j’en garde c’est que je n’ai pas été assez vite. Que ma lenteur à été la cause de l’échec. Que les précautions que j’ai voulu prendre tant pour ma propre sécurité que pour la sauvegarde de ceux que je laissais ont pris trop de temps.

Alors oui, je me sens coupable… mais c’est injuste.

Coupable aussi de m’être « engagé » sur cette voie, engagé à réussir et aller jusqu’au bout… et de n’y être pas parvenu. Avec là encore un sentiment d’injustice, parce que les épreuves étaient difficiles et que je ressentais beaucoup d’exigence. Comme si l’autre rive s’éloignait quand j’avançais.

Comme s’il fallait que je me montre à la hauteur… de l'inaccessible.





Enquête de sens (4)
- L'impasse de l'exigence -




Dimanche 14 février


Toujours aussi compliqué d’écrire ici, où je ne m’autorise que péniblement à évoquer un sujet… dont l’évocation est fort délicate. Pas pour moi, évidemment, mais en songeant au respect dû aux tiers. Évidemment ce n’est pas le manque de mots qui me pose problème, mais au contraire l’afflux d’idées. À titre de comparaison je viens de me laisser aller à une écriture « libre », automatique, et le flux ne tarissait pas. Mais ces écrits resteront privés. Je renoue ainsi avec la pratique d’une écriture « pour moi-même ».

Alors que dire ? Qu’est-ce qui reste « présentable » publiquement ? Assurément beaucoup ! La difficulté venant du tri à faire entre le dicible et l’indicible. Ou plutôt entre ce qui est publiable ou pas. Et plus précisément entre ce qui est acceptable par une potentielle lectrice particulière, et ce qui ne l’est pas. Sauf que je ne sais pas ce qui l’est et ne peux que supposer. Imaginer. Projeter mes pensées à la place d’une autre.

Et c’est bien le drame de ce récit au long cours depuis que j’ai partagé une période de ma vie, fort enrichissante, avec cette lectrice particulière : il y a eu une importante part de représentations imaginaires, probablement à l’origine de bien des incompréhensions. Mes écrits, parce qu’ils étaient lus, mettaient en évidence un décalage de perception entre un vécu personnel qui ne m’était que partiellement accessible et la représentation que j’avais de la part manquante. Malheureusement ce qui aurait pu donner lieu à des ajustements de perception n'opéra qu'imparfaitement. Alors dans ma tête j’imaginais une personnalité complète, pour la part qui interagissait avec moi, en comblant les parts qui restaient inconnues. Je n’en avais bien sûr pas conscience, autrefois, ou à peine. Et de toutes façons c’est une propension naturelle de la pensée que de construire quelque chose de plausible pour soi en se fondant sur des faits observés.

C’est un des points majeurs de ma réflexion depuis près d'un an : où commence l’imaginaire ? Qu’est-ce qui est réel ?

Il y a quelques mois j’avais tellement remis à plat les faits réels et ce que je m’étais représenté que j’en étais arrivé à me demander si je n’avais pas imaginé le réel du temps jadis. Sans garder en mémoire des écrits très clairs j’aurais pu me demander si je n’avais pas entièrement imaginé, interprété, des faits dans un sens qui m’aurait convenu.

J’en suis venu à me poser des questions sur ma santé mentale et une éventuelle schizophrénie rampante. Aujourd’hui je ne suis pas certain d’être parfaitement sain d’esprit, mais quand même capable de discerner entre les faits (les écrits peuvent en faire partie) et ce qui tient de mes représentations (ce que mon esprit a construit à partir de faits, réels et/ou interprétés).

Bon, ce préambule étant posé, qu’ai-je envie de consigner ?

D’une part que ce que j’écris ne correspond qu’à ma réalité. C’est une histoire que je raconte et à laquelle je donne sens selon ma représentation des faits. C’est une évidence mais je crois bon de la rappeler, et de la souligner : la vérité de ce que je raconte n’est que celle perçue à travers le filtre de ma subjectivité.

Ensuite que le phénomène de représentation imaginaire, fantasmée, idéalisée, existe toujours dans ma pensée, comme dans celle de quiconque. L’imaginaire construit la réalité de chacun, en donnant un sens aux faits réels. La réalité et le réel ne sont pas superposables, seul le réel est vérifiable, unique, incontestable, factuel.

Ce que j’analyse ici est donc ma réalité, interprétée et décryptée selon les traces laissées dans mon parcours de vie. Je consigne des ressentis, des impressions, des émotions. Ces états sont réels, même s’ils sont très éloignés d’autres réalités. C’est du réel ressenti qui s’appuie en partie sur des faits réels, et en partie sur des interprétations imaginées. Mon objectif est sans doute de faire le tri dans tout ça…

Ces précautions scripturales étant prises je me sens un peu plus libre de me laisser aller…

Alors voila : je ressens un tenace culpabilité… ou plutôt… une déception vis-à-vis de moi-même de n’avoir pas été à la hauteur.

À la hauteur de quoi ?

À la hauteur de l’enjeu, à la hauteur de mes exigences, à la hauteur de celles d’autres personnes que j’ai considérées comme étant « référentes ». À savoir mon père, à travers son substitut féminin : celle de qui je fus l’ami.

Je suis déçu par moi-même, et en même temps je porte sur moi un regard bienveillant : j’ai fait ce que j’ai pu, et du mieux que j’ai pu. Je peux être fier de ce que j’ai accompli comme cheminement, même s’il n’a pas été suffisant pour atteindre ce que je convoitais dans le temps imparti. Je ne devrais donc pas m’en vouloir... et pourtant il y a de ça.

C’est là qu’apparaît la distinction entre deux instances du moi, que je fais dialoguer ici de temps en temps : le ça et le surmoi. L’enfant spontané et l’adulte normatif. Parfois l’enfant rebelle et le parent protecteur. Il en émerge peu à peu l’adulte responsable. Les familiers auront bien sûr reconnu les termes de l’Analyse Transactionnelle…

Longtemps j’aurais voulu que soient reconnus les efforts que j’ai fait pour atteindre… ce qui m’était demandé. Ou ce que j’avais intégré ainsi. Je sais désormais que la seule personne sur laquelle je puis compter sur ce point c’est moi. Même si, et je les en remercie, beaucoup de mes lecteurs/lectrices/ami(e)s ont eu un rôle considérable dans cette confiance que je me suis peu à peu accordée. Leur infime pouvoir, par effet additif, m’a incontestablement aidé.



Là où j’en suis aujourd’hui de ma vie je me suis rendu compte que j’étais entré dans un système trop protecteur. Trop blindé. Trop carapacé. Certes je suis tranquille et serein dans mon état de solitaire. Plus vraiment de problèmes relationnels, plus d’attentes à gérer. Peinard ! Oui… mais est-ce la vie que j’ai envie de vivre ? Est-ce pour ça que je me suis battu ? Est-ce pour en arriver là que j’ai fait en sorte de me retrouver « libre » ? Assurément pas ! Mon envie de vivre est venue parce que j’étais en relation avec une espiègle demoiselle et que cela m’apportait d’immenses satisfactions. Parce qu’avec elle, grâce à ce que nous partagions ensemble, je me sentais vivre comme jamais. C’est au nom de cette vie, de cet « élan vital », que j’ai persévéré dans une voie qui risquait fort de me mener, je le sentais confusément, vers un important chamboulement.

Alors maintenant, quelques années plus tard, quand je constate que par déception sentimentale je me suis replié sur moi-même par crainte de souffrir dans des relations « décevantes »… je me dis que je ne suis pas fidèle à mes engagements. À ceux que j’avais pris envers moi-même. Et que si ma partenaire d’alors n’est plus là… ça ne change rien à ce que j’avais senti comme un appel.

Si ça n’a pas pu se vivre avec elle jusqu’au bout, du moins tel que je l’entendais, je n’ai pas envie que ça m’empêche de tendre vers cet objectif. Ce serait réaliser le « crime » que j’ai voulu éviter en renonçant à vivre selon mes aspirations. Tout cela n'aurait donc servi à rien... si ce n'est générer de la souffrance.

J’ai cru qu’on pouvait vivre sans attentes dans des relations affectives. Je suis en train de réaliser que c’est impossible : l’affectif crée des liens, des attaches, et des attentes. Par contre avoir des attentes et les exprimer est une chose, en devenir dépendant en est une autre. Ce n’est pas les attentes que je devais supprimer, mais la dépendance. La soumission aux attentes.

Je peux aussi accepter que l’on ait des attentes à mon égard, qu’on les exprime… sans me sentir coupable de ne pas y donner à chaque fois satisfaction. Le bonheur de l’autre ne doit pas dépendre entièrement de mon bon vouloir, ce serait un pouvoir trop lourd à porter. Mais il ne peut non plus en être totalement indépendant : j'ai le pouvoir d'apporter du bonheur. Je crains que la recherche d'une autonomie complète ne mène vers un désert affectif, exacerbe un narcissisme excessif, et finalement mette en évidence une immaturité affective due à la peur de l’autre que protégent des exigences intenables. Trop exiger de l'autre conduit à l'exclure. À rendre les relations "impossibles". À se rendre inatteignable. Intouchable. Or, bien que je sois vulnérable, je ne suis pas fragile ! Il y a donc là une voie erronée sur laquelle j'ai pu être tenté de m'engager par un mimétisme sans avenir.

Se faire croire que l'on peut se passer de l'affection des autres, se passer de l’amour, c’est tendre vers un ascétisme qui nous éloigne de l’humain tel que je le ressens. C’est ce que j’ai réalisé en ayant orienté quelques temps mon cheminement dans cette direction. La vie n’est pas dans la protection mais dans la rencontre, dans le risque, dans l’aventure, dans la déstabilisation. À moins de viser une carrière d'ermite...

Je ne voudrais pas me tromper de voie.

Une chose est de se sentir « libre » en n'étant pas dépendant d’un retour d’amour, une autre est de refuser de se laisser toucher par crainte de perdre sa liberté. Quand on craint de perdre sa liberté on n’est déjà plus libre.

Quant à attendre de l’autre qu’il n’ait pas d’attentes… la formulation est suffisamment éloquente pour montrer son absurdité.






Enquête de sens (5)
- L'audace et la peur -




Jeudi18 février


Lorsque je vis, ce qui représente quand même l’essentiel de mon temps, je ne suis pas dans les réflexions filandreuses que je remâche ad nauseam sur ce journal. Mes pensées sont ailleurs. Autres. Légères, fluides, souples, épousant le réel. Il m’arrive toutefois, durant certaines périodes de cheminement-réflexion, de penser, dès que j’en ai la possibilité (souvent durant mes trajets domicile-travail) à ce qui me préoccupe ici. Mais c’est alors de façon infiniment plus éclairée, vivante, créative. En fait il est fréquent que je reprenne ici pensées qui m’ont traversé ailleurs. Dès que je dispose de temps je m’installe devant mon clavier et rassemble mes idées, les associe, les tricote en essayant de leur trouver du sens.

Durant mes périodes de concentration je constate que j’ai besoin de beaucoup de temps en solitaire. Je me mets un peu à l’écart du monde, durant quelques jours, quelques semaines tout au plus. C’est presque une double vie qui se met en place, avec un important « travail » de décorticage et d’analyse qui s’appuie sur un bouillonnement de pensées dont émerge parfois une idée innovante, un lien passé inaperçu, une déclic éclairant. Mais ce bain de réflexions, un peu déconnecté du réel, à des effets bizarres. Le matin, au moment du réveil, à l’instant ou je retrouve la conscience en émergeant de rêves impalpables, je me dis, déçu : « Zut, je suis dans le vrai monde et rien n’a changé ! Je n’ai pas résolu mon problème ! ». Retour un peu pénible dans le monde réel où se maintient la part d’irrésolu qui s’exprime ici depuis des années. Quasi exclusivement ici. Hypertrophie d’une énigme qui mange une part de ma vie mais en reste cependant assez distincte. J’ai deux vies : la vraie et sa part irrésolue.

Je crois que je n’oublie jamais vraiment cet irrésolu. Il se manifeste fréquemment, inopinément déclenché par les nombreuses sollicitations qu’offrent les hasards du quotidien. Je vis avec cette énigme. Simplement je lui laisse place ou non dans mes réflexions. Dans ce journal c’est presque toute la place. Mais cette mise en mots n’est qu’une clé qui me permet d’explorer ma conscience. La résolution de l'énigme est un moteur d'avancement. Tel Sherlock Holmes j’enquête… sur qui je suis. Et sur le fonctionnement humain lorsque je pense pouvoir extrapoler de mes propres agissements une relative généralisation. Eh… il faut bien quelques éléments de repères et de stabilité ! Quitte à les supprimer ultérieurement s’ils se révèlent être erronés.

Donc là… en ce moment… fluctuant depuis quelques semaines/mois… ça pense pas mal dans ma p’tite tête. Des éléments nouveaux m’apparaissent sans que je ne sache comment les relier entre eux. En fait je ne consigne ici que très peu des pensées qui me viennent, faute de savoir les assembler pour le moment.

Ici… c’est autre chose qui s’exprime. Pas forcément ce que je préfèrerais montrer mais bon… je fais avec ce qui vient et ce que je suis ! Imparfait. Grandement imparfait. Mais je m’en fous…

Je sens que, de toutes ces pensées qui me viennent, émerge une conscience nouvelle. Bien plus éclairée que celle que j’avais auparavant. Je sens que ma pensée se construit. C’est d’ailleurs un peu frustrant de sentir ce mouvement intérieur et de ne pouvoir le fixer. Mais… c’est peut-être aussi bien ainsi : ça reste des pensées flottantes et mouvantes, épargnées de la fixité par des mots agissant tels des aiguilles clouant des insectes dans une collection morte. Tant que les pensées restent en mouvement elles en fécondent d’autres.

C’est curieux que j’écrive ça alors que je consigne depuis tant d’années mes pensées ! Du moins… certaines de mes pensées. Celles que j’ai besoin « d’étudier », tel un entomologiste le ferait avec des papillons… ou des libellules.

Bon… avec toutes ces digressions je ne sais même plus pourquoi je me suis mis devant mon clavier ! J’avais pourtant des idées à épingler !

Ah oui, ça me revient !
[notez le dialogue intérieur, que je devrais utiliser plus souvent puisqu’il me permet de me concentrer sur moi plutôt que de penser aux regards qui se poseront sur mes lignes…].

Donc, oui, je songeais, par toute une suite d’associations d’idées extraites du vrac de mes pensées, à la nostalgie. Elle a ceci de particulier qu’elle n’a pas de contraire et qu’elle est, en elle-même, un assemblage d’émotions contraires : la joie et la tristesse. Joie en se souvenant d’un passé heureux, tristesse qu’il ne soit plus. Et d’avantage qu’il ne soit plus : qu’il ne puisse plus être ! La nostalgie ce n’est pas la mort du passé, c’est celle de l’avenir. Le passé, au contraire, reste parfaitement « vivant » dans les souvenirs.

Quel rapport avec ce journal ? Quel rapport avec mon « Enquête de sens » ? Et bien justement : c’est parce que je cherche les raisons d’une imprégnation aussi durable dans une relation achevée que j’en viens à arpenter des pistes sous un angle nouveau.

Le rapport… tenez-vous bien, ça risque d’être long... le rapport disais-je, il est dans ce passé-présent-futur. Lié au temps qui passe. Revenons quelques années en arrière : qu’est-ce qui m’a fracassé ? L’annonce qu’il n’y aurait pas d’avenir à la joie du partage complice. Et pour être plus précis : qu’il n’y aurait peut-être pas d’avenir. Ce « peut-être » aura eu une importance capitale, nous verrons pourquoi un peu plus loin.

Pas d’avenir… le couperet tombait, tranchant du même coup un pacte de confiance dans lequel JE m’étais engagé.

Ah oui, je vais m’efforcer de bien utiliser le JE, puisqu’il s’agit de MA perception des choses et que ce n’est aucunement une garantie de réalité ni de vérité absolue et incontestée.

Ce couperet, en tranchant dans la « confiance » (terme aussi vague que vaste dans ma conception des choses), est entré profondément dans mon être. Sans doute bien plus profondément que ce qui pouvait être imaginé. Moi-même je ne pouvais qu'en subodorer l'impact, le pressentir, quoique avec une forte crainte qu’il puisse être dévastateur. J’ai immédiatement senti que s’il était bel et bien en train de se produire ce que je redoutais j’en aurais pour des années à m’en remettre. Une dizaine d’années, estimation à la louche. Je suis encore dans les clous… même si le processus à l’œuvre m’aura mené bien plus loin que je n’aurais imaginé et que les effets à long terme seront assurément bénéfiques.

Actuellement ils sont bénéfiques et douloureux. Bénéfiques en termes d’avenir, douloureux en tant que passé. Mais dans des proportions qui se sont totalement inversées avec le temps ! La douleur n’a cessé de se réduire. Devenue parfaitement supportable, mon objectif est qu’elle s’éteigne. C'est en bonne voie et je crois profondément que ça vaut la peine que j'y travaille encore un peu. J’aspire à cette paix complète de mon esprit. La paix avec le passé.

J’en viens maintenant au « peut-être » qui a accompagné le retrait de ma partenaire avant qu’il ne soit assimilable à un couperet. Il est très important ce « peut-être », parce qu’il laissait une chance de rattrapage. Un espoir… Ces redoutables espoirs qui, en ces circonstances, ont été bien davantage un poison à long terme qu'une douceur immédiate. Parce que, espérant pouvoir inverser la tendance… je me suis accroché autant que j’ai pu.

J’ai entendu, interprété, cru comprendre… que la résolution du peut-être dépendait de moi. Que si je répondais aux conditions exigées… alors ce que je voulais aurait pu être.

Pourquoi l’ai-je entendu ainsi ? Et surtout pourquoi ai-je consenti à me plier à une telle exigence (réelle ou fantasmée, là n’est pas la question) ? Je mesure bien maintenant toute ma part de responsabilité dans cette… soumission.

Je sais d’où cela provient dans mon enfance. Je sais aussi que de cette enfance vient mon manque de confiance en moi. Un déficit narcissique qui cherchait à se résoudre dans une relation forte qui me demandait, ô combien, de croire en moi-même. Pour oser…

Ouais, mais voila : vouloir ne suffit pas ! Encore faut-il pouvoir. Être en capacité de pouvoir.

Ce qui a donné la tournure dramatique de l’histoire c’est que j’y avais placé, « investi » énormément de moi. En voulant tenter ma chance j’ai aussi pris un risque considérable.

Mais ce n’est pas tout [bah oui, ce serait trop simple !]

Dans cette fameuse et fabuleuse rencontre [veuillez apprécier la tournure joyeuse de la nostalgie] il s’est joué autre chose que l'ébauche d'une démarche solidaire de construction. Notez déjà que le terme « solidaire » entend une implication dans une aventure non égoïste. C’est là que la notion de « confiance » prend toutes ses dimensions : dans mon esprit on se lançait à deux dans une double aventure intérieure. Un équipage. Des coéquipiers. Des complices. Pour un voyage au long cours…

L’aspect très important [décidément tout était « très important » dans cette histoire…] qui s’y ajoutait, c’était la dimension… oserais-je le terme… oui… altruiste. Comment expliquer ça ? Il se trouve que, comme cela m’était rarement arrivé dans mon parcours, j’ai été profondément touché, ému, bouleversé, par certaines confidences vibrantes de sincérité qui m’avaient été offertes. À partir de là, allez savoir pourquoi et ce qui a été touché en moi, une dimension supplémentaire a magnifié ce qui était déjà promesse d’épanouissement.

Ouais, ça donnait quelque chose de vraiment fort !

Je sais maintenant que l’intensité et une certaine complémentarité/attirance/ressemblance (?) ne garantissent pas la réussite…

Après moult complications les choses ont été estimées « trop compliquées ». Ou pas assez simples, ce qui revient à peu près au même. Et je n’en disconviendrai pas, tant j’ai pu souffrir en essayant de correspondre à… ce que je pensais devoir être [!!!]. La situation a pu être très difficile pour moi, à certains moments. Douloureuse au point que j’avais envisagé plusieurs fois d’arrêter. Je ressentais des exigences hors de ma portée. Hors de la portée de beaucoup d’humains d’ailleurs… Mais je m’accrochais ! Parce que j’y tenais à cette relation de complicité ! Parce que je trouvais cette exigence saine, expurgée de faux-semblants. Parce que je me disais qu’à force je parviendrais bien à surmonter mes vieux démons, mes peurs, mes doutes. J’avais confiance : on était coéquipiers !

Confiance ? Pas si sûr… Et comment aurai-je pu alors que je sentais comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. J’avais perçu, à tort ou à raison, des demandes, des conditions. Et que si je n’y répondais pas, alors... « ça ne marcherait pas entre nous ». Ai-je donné à ces mots un autre sens que celui qui leur avait été assigné ? Je l’ignore. Mais en moi il est indéniable qu’ils ont réveillé mon tortionnaire intérieur : si tu n’es pas à la hauteur… alors tu perdras ce que tu as. Tu retrouveras ta place de garçon incapable, sans audace ni personnalité, indigne de réussir. Inintéressant.

Pour moi l’enjeu était tel que je ne devais pas rater ! De la réussite dépendait, du moins le pensais-je, mon accession à une confiance accrue en ce que je vaux. Fallait surtout pas que je me plante ! Surtout pas ! Et fallait surtout pas que je laisse filer une partenaire aussi précieuse !

Avec une telle pression, dont l’entière responsabilité me revient de l’avoir endossée, je serrais les fesses ! Oh, très peu au début. Quelques coups de semonce m’avaient juste mis en éveil. Mais insidieusement, le temps passant, j’évitais les zones à risques. Et peu à peu je suis entré dans le règne de la peur : il y avait des sujets qui devenaient « tabou », alors même que j’avais intégré une injonction de franchise qui correspondait exactement à la notion de confiance qui m’importait tant. Oui mais voila… tenter la franchise est une chose… encaisser ses conséquences en est une autre. J’étais trop sensible aux remarques de désapprobation.

Bref, quelque chose de très compliqué a pris place, entre désir d’être et capacité à l’être. Décalage. Je suis devenu de plus en plus tiraillé entre différents états du moi. Et c’est là qu’entrent en scène les aspects paradoxaux de ce journal, qui est toujours resté accessible, offrant ainsi deux aspects de ma personnalité : le réfléchi et l’émotionnel. L'adulte et l'enfant. L'audace et la peur. Dans les faits je ne parvenais pas être ce que ma pensée m’avait enseigné. Je « savais », mais ne parvenais pas à appliquer ce savoir. Je savais... mais je n'étais pas !

Pendant longtemps ce double langage n’a pas semblé poser trop de problème. Au contraire, je crois que j’offrais avec sincérité et honnêteté le constat de cette dichotomie. Je ne me cachais pas. J’appliquais ce concept qui m’avait séduit : « en ne cachant pas mes faiblesses je deviens plus fort ». Ouais… c’était loin d’être aussi simple que ça ! En tout cas ça ne s’est pas passé simplement ni sans douleurs. Ni rapidement. L'oeuvre était de longue haleine !



(À suivre...)


18 février, je me souviens...

Le monde s'ouvrait à moi. J'avais osé et j'en avais ressenti un incroyable souffle de vie. Partir seul, si loin, pour vivre mes désirs. Vivre mon rêve. Te retrouver. Vivre avec toi.
J'étais là, dans le couloir, à l'endroit de la photo. Et dans ton jardin d'hiver il y avait cette grande banderolle qui m'accueillait. J'en fus ému...




Enquête de sens (6)




Dimanche 28 février

Mon enquête de sens, en apportant un léger décalage avec une relation dont l’éloignement est devenu la seule issue, se révèle être efficace : cela me permet de prendre le recul que je sentais nécessaire. Glisser du « pourquoi tout cela est-il arrivé ? » au « pourquoi cela ma t-il tant marqué ? » m’a remis au centre, à ma place d’acteur, responsable de ce que je fais des aléas de mon existence.

Je constate que le temps que je laisse s’écouler entre rédaction et mise en ligne, de même que la non publication de certains textes, sont les signes d’un « travail » réalisé par la mise en mots. Il m’arrive de ne plus ressentir le besoin de diffuser certaines idées, ni celui d’aborder publiquement certains points qu’il m’importait d’exposer. Je sens bien qu’opère la dissolution d’
un
« nous » que j’ai très longtemps cherché à maintenir vivant…

Le texte suivant, bien que je ne l’écrirai plus tel quel aujourd’hui (la conjugaison au présent n’a déjà plus lieu d’être), marque une prise de conscience que je pense significative. C’est à ce titre que je le publie en différé.


- Une complicité singulière -



Rédigé et modifié du 15 au 22 février

Je sais depuis longtemps que ce journal en ligne ouvert sur mes doutes m’a servi autant que desservi. Il m’a aidé à « avancer » autant qu’handicapé dans cette démarche. Je dois à cette écriture publiée d’être ce que je suis… mais aussi, j’en suis presque certain, d’avoir œuvré à la destruction de ce que j’avais pensé construire. Je veux parler là d'une relation dont, en cherchant à en comprendre l'évolution, j’ai sans doute accru les dysfonctionnements. Mais si ma persistance à écrire publiquement a joué un rôle majeur, elle n’a cependant pas été seule à agir. Jusqu’au bout c’est à deux que les interactions ont travaillé en synergie.

Aujourd’hui, s’il m’est devenu très compliqué de m’exprimer ici, c’est parce que, conscient des interactions, je suis pris dans des contradictions : taire ou dire ? Quel est le plus bénéfique ? Bénéfique à qui ? À quoi ? Est-ce un acte courageux ou une faiblesse ? Une libération ou une aliénation ? Malheureusement je crois que tout cela ne s’oppose pas en terme de « ou », mais coexiste en « et ». C’est l’un et l’autre. Ambivalence.

Ce que je comprends maintenant c’est que la durée de cette grande aventure-mésaventure est (a été ?) partie prenante de son exploration. Je veux dire par là qu’il y a une auto-génération : ça dure parce que j’en parle et j’en parle parce que ça dure. J’en parle parce que c’est compliqué et c’est compliqué parce que j’en parle. J’en parle parce qu’il y a eu incommunication et c’est parce qu’il y a eu incommunication que j’en ai parlé. Parler, parler, parler… écrire, communiquer… tant de choses se sont nouées autour de ça… Fluidité réjouissante au départ, complication croissante ensuite jusqu’à finir dans un silence plombé. L’impossible dialogue.

Pour moi qui cherche à communiquer dans la confiance, je ne peux que reconnaître l’implacable évidence : il y a eu un échec magistral ! Comment ne pas m’interroger à ce sujet ? Comment ne pas rester perplexe ? Comment ne pas me demander où j’ai raté quelque chose ? Où je n’ai pas su, pas senti, pas compris…

J’ai cherché… jusqu’à ce que j’accepte de me dire, sans plus vouloir convaincre, que ma persévérance ne pouvait pas provenir d’un acharnement unilatéral : seul, je n’aurais pas tenu aussi longtemps ! Jusqu’au bout le jeu s’est joué à deux.

Et peut-être… peut-être était-ce ce que j’avais besoin de sentir. Comme un signe d’attachement.

Constat qui me permet de mettre en évidence un point important pour mon enquête de sens : ce que j’ai relaté ici et ce autour de quoi je me suis si longtemps accroché ne se situe pas précisément dans le temps. Ce n’est pas seulement un évènement daté qui m’a interloqué et propulsé dans le trouble, mais aussi la succession d’évènements qui ont suivi, découlant les uns des autres sans que je n’en saisisse la logique. Il y a eu le « avant », puis l’évènement déclencheur de mon effondrement, mais aussi toute la série de rebondissements postérieurs. Ce qui fait que ce ne sont pas des faits vieux de cinq ans qui ont alimenté une réflexion en circuit fermé, mais un continuum de faits, dont les derniers ne datent que de quelques mois.

Je veux dire par là que je ne suis pas resté figé sur un moment précis qui serait resté incompris, mais empêtré dans l’enchevêtrement d’évènements consécutifs dont le sens n’a cessé de se complexifier : ce que je croyais avoir compris un jour, ce qui me semblait avoir un sens, ce sur quoi je me basais pour "avancer", s’est trouvé plusieurs fois invalidé par des rebondissements inattendus. Ce qui fait que je me suis souvent dit qu’il y a avait là de quoi devenir fou… Chercher à comprendre des faits évolutifs qui se contredisent est, certes, une géniale gymnastique de l’esprit, mais aussi, à la longue, un véritable calvaire ! Un parcours du combattant dont je parviens cependant au terme...

J’avais besoin de comprendre comment la réalité d’une « suspension », en devenant rupture, pouvait correspondre à la relation que j’avais vécue en l’imaginant durable. La complicité de jadis, déchirée dans sa réalité, ne correspondait pas à ce que mon imaginaire persistait à croire impossible : sa fin définitive. Je pensais que tôt ou tard il allait être trouvé la faille, donc le moyen de "réparer" ce qui avait dysfonctionné. C’est à ça que je me suis acharné. Et si à plusieurs reprises, vaincu et épuisé, j’ai fait ce qu’il fallait pour aller vers l’acceptation de l’inacceptable, il s’est toujours trouvé ultérieurement une manifestation de présence, une sollicitation, une proposition, pour relancer le processus inverse. Ces espoirs entr'aperçus, même s’ils ont souvent été vite déçus, ont rendu le processus de deuil particulièrement difficile. Et pour tout dire… impossible ! Comment renoncer à quelque chose qui a pu renaître plusieurs fois de ses cendres ?

Alors maintenant, bien que j’en aie une idée plausible, ne sachant pas exactement pourquoi ma complice d’autrefois à choisi de s’éloigner toujours davantage de moi, ni pourquoi elle m’a "laissé ma chance"… sans y répondre lorsque j’ai été prêt, ni pourquoi elle est revenue vers moi autant de fois après avoir dit qu’elle ne le ferait plus… j’ai envie de croire, d’imaginer, que tout cela était le signe d’une relation vraiment importante pour chacun de nous. Quelque chose de fort, contrasté, ambivalent, complexement nourri par nos contradictions et similitudes. La chance d’une complicité singulière.