Juillet 2005

Dernière mise à jour:mardi 2 août 2005 - Accueil - Premier jour - Archives - Message



Réussite




Samedi 2 juillet


Quelques jours de vacances en bord de Méditerranée, et retour avant les grandes migrations. Les vacanciers étaient encore peu nombreux, le temps idéal, la mer déjà chaude. Nous étions dans ce secteur miraculeusement préservé que j'affectionne, là où les grands pins vont jusqu'en bord de plage et que les vignes ou les forêts de chêne-verts tapissent les collines.

Nous sommes partis en famille, accompagnés par l'amie ("petite amie") de mon fils aîné. La décision du séjour était restée en suspens puisqu'il fallait que l'ambiance avec Charlotte nous permette cette promiscuité à laquelle nous ne sommes plus habitués. Mais tout s'est très bien passé, au point que parfois il nous aurait été facile "d'oublier" notre situation actuelle.

Je crois que tout le monde a apprécié ce temps partagé tous ensemble, dont la fréquence est devenue finalement assez rare depuis que les enfants sont grands. Et sans doute encore davantage depuis notre séparation. C'est avec une totale simplicité et la plus grande évidence que nous avons temporairement repris nos habitudes anciennes. La sérénité en plus puisqu'il n'y a pas eu la moindre tension. Tout était idéal.

Plusieurs fois nous avons eu de longues discussions avec Charlotte, avec une entente cordiale. Nous nous retrouvions spontanément à deux pour aller faire des courses ou une promenade. Pourquoi refuser ce qui fait plaisir? Mais si extérieurement rien ne laissait entrevoir notre situation, nos dialogues portaient souvent sur ce que nous sommes en train de vivre, version positive. Tout semble en voie d'apaisement et les choses suivent leur cours. Récemment c'est la psy qui suit Charlotte qui lui a dit: «votre mari a démarré le moteur, maintenant c'est à vous d'appuyer sur l'accélérateur...». Effectivement c'est ce qui se passe puisqu'après que j'ai modifié l'équilibre du couple je n'ai plus su quoi faire et Charlotte a pris le relais pour poursuivre. Processus qui opère donc en commun, alternativement ou conjointement.



Vue sur mer





Durant ce court temps de vacances nous avons largement plaisanté avec les enfants, qui ont maintenant une aisance surprenante avec nous. Il y a une connivence dans une fausse rebellion à notre égard qui permet à tous de prendre une place. Et nous, parents, jouons d'une fausse autorité qui ne dupe personne. Je suis presque étonné que nous puissions avoir de si bons rapports, n'ayant pratiquement pas eu à affronter les fameuses "crises d'adolescence".

Et, alors que nombre de nos amis déplorent (ou se réjouissent...) que leurs enfants ne veuillent plus les suivre, les notres aiment ces moments passés ensemble. Probablement parce que nous les laissons vraiment libres de choisir...
Probablement aussi parce que nous avons des dialogues très sincères avec eux. Pour ma part je reconnais fréquemment toutes les erreurs que j'ai pu faire lorsque j'étais un jeune père inexpérimenté. Je fais volontiers de l'autodérision, maintenant que j'ai compris et quitté le système éducatif qui reproduisait ce dont j'avais souffert. Je constate que les enfants sont sensibles à cette reconnaissance des abus d'autorité dont ils ont pu être victimes.



Finalement, quelle que soit l'évolution du couple conjugal, le plus important est que la cellule familiale demeure. C'est ce à quoi je tenais le plus. Et si le couple continue de fonctionner dans sa dimension parentale, c'est encore mieux.
Je crois que nos trois enfants sont notre plus belle réussite de couple et je suis heureux que ce qui se passe au sein du conjugal n'ait pas de répercussion significative sur eux.

D'ailleurs, j'ai l'impression d'avoir enfin accepté que cette séparation n'était pas grave. Importante, mais pas grave. Mes angoisses récalcitrantes du matin me paraissent soudain surévaluées. Cette séparation pourrait bien ne pas avoir les conséquences hautement inquiétantes que j'avais des difficultés à imaginer devenir réelles. Il semble que j'ai maintenant accepté ce qui découle de mon choix: vivre seul. Seul, mais pas isolé.



Mer bleu-vert









Abandophobie




Mercredi 6 juillet


L'année scolaire s'est terminée avec les résultats des examens. Réussite sur toute la ligne pour nos trois enfants. Derniers évènements: le baccalauréat avec mention pour notre fille, et un passage en troisième année de fac (université) pour l'aîné. Ils sont bien ces petits. Ils travaillent tout seuls sans qu'on ait besoin de les pousser.

Voila déjà un souci de moins pour les parents préoccupés que nous sommes parfois.


De mon côté tout va bien. Je ne cesse de m'étonner en constatant à quel point mes questions existentielles se sont éclaircies. Tout se simplifie maintenant. J'ai fait des pas de géant et le bien-être prend la place. Assez surprenant après les mois pénibles que j'ai vécus il y a quelques temps...

Du côté de Charlotte c'est plus fluctuant. C'est elle qui est maintenant en profonde remise en question et son moral varie sensiblement. Parfois sereine et profitant de sa nouvelle liberté, parfois tourmentée ou désespérée lorsqu'elle réalise sa part de responsabilité dans ce qui nous est arrivé. Mais c'est aussi dans d'autres domaines, extérieurs à notre relation, que s'étendent ses remises en question. Le fait que nous ayons restauré notre confiance fait que je peux alors lui apporter mon amical soutien. Elle me dit que je suis gentil... constatant qu'elle ne l'avait peut-être pas été lorsque j'étais au plus mal. Mouais... je me suis débrouillé tout seul, c'est vrai.

C'est surprenant de voir à quel point nos rapports sont différents de ce qu'ils étaient autrefois. Chacun prend conscience de ses erreurs, les accepte, les énonce et s'allège simultanément la conscience. Les barrières de protection tombent quand les faiblesses se dévoilent. Qui pourrait en vouloir à quelqu'un qui souffre de constater ses propres imperfections?




Pour le reste... l'essentiel de mes réflexions se fait maintenant hors de ce site. En ce moment il ne convient plus. L'esprit du journal est le monologue, or j'ai besoin de confronter mes pensées à d'autres pour avancer. Je passe donc énormément de temps dans des échanges centrés sur l'amour, le désir, la fidélité. C'est incroyable comme ces mots, en apparence tout simples, peuvent avoir des sens différents pour chacun. Plus on cherche à les définir, plus on leur découvre de nuances et de prolongements subjectifs. Ils en deviennent presque indéfinissables.

Tout cela m'aide à préciser les contours que moi je leur donne. Ma définition intime, ma façon de les vivre. D'ailleurs... c'est en discutant que je me suis rendu compte que lorsque je parlais de fidélité "à vie", il y a quelques temps, cette idée de durée ne s'entendait qu'au présent ou futur proche. Il serait fou de m'engager à quelque chose dont j'ignore le sens que je lui donnerai dans l'avenir. J'ai déja fait cette erreur, et je veux éviter dorénavant de me projeter dans le futur de cet autre que je serai.
La fidélité ne peut s'observer qu'en regardant en arrière. On peut la constater, pas l'anticiper.

En fait ce désir de garantir une fidélité ne fait que trahir mon angoisse de l'abandon. Je suis abandophobique, de façon irraisonnée. C'est ça que je dois soigner.







Interactions




Vendredi 8 juillet


Ben voila... c'est l'anniversaire.  iiiii [cinq bougies]
Cinq ans d'écriture en ligne. Plus de 10% de mon temps de vie écoulée. Cinq ans d'écriture qui ont accompagné autant que suscité le bouleversement de mon existence. Expérience d'écriture en interaction avec le vécu qui se révèle extrêmement fructueuse, quoique non dénuée de risques de dérives. Notamment celui de ne plus savoir laquelle des actions entraîne l'autre. Dans quel mesure mes mots n'ont-ils pas joué un rôle dans l'histoire qu'ils racontaient? Journal devenu acteur de la vie du narrateur. Témoin agissant...


J'avais proposé de répondre aux questions de ceux que cette pratique intéresse et le nombre de mails que j'ai reçu est indicatif de cet intérêt. La bonne trentaine de messages qui sont parvenus dans ma boite depuis cet appel se décompose ainsi:

Il y a eu un gros paquet de diaristes. Des vieux de la vieille, des anciens, de véritables dinosaures du web qui tout d'un coup sortaient de leur silence et réactivaient éphémèrement une liste de discussion éteinte depuis des années (j'avais oublié que j'y étais abonné). Des noms connus seulement des pionniers de cette pratique, bien avant que je m'y adonne: Le Tisserand, Zuby, la célèbre Sophie, Nicolas le parodieur de diaristes... Les noms de Tehu et de Mongolo ont été évoqués. Combien se souviennent de tous ceux-là, qui représentaient alors des "personnalités" reconnues par leurs pairs dans ce petit cercle d'initiés. Je crois que rares parmi ceux qui me lisent les identifieront. Le diarisme d'origine a été englouti par une blogosphère en effervescence. L'écriture du moi s'est multipliée de façon exponentielle. 

Mais je m'égare... En fait les messages reçus de tous ces gens là n'avaient pas pour but de me poser des questions. Leurs échanges n'avaient rien à voir avec mon texte. Simple coïncidence.

J'ai aussi reçu des messages de diaristes en activité (oups! j'allais écrire "encore vivants"...). Bon... comme il s'agissait d'avis de mise à jour, ça ne m'a pas été très utile pour faire ce fameux bilan de cinq ans. Mouais...

Ah oui, des lecteurs m'ont écrit ! Euh... non. En fait c'est en leur nom qu'un robot m'a écrit: deux désabonnements de ma liste de mise à jour. Dois-je l'interpréter comme un signe ostensible de désintéret ? Voire une véhémente désapprobation de mes écrits? C'est bizarre, deux le même jour... A chaque fois qu'un lecteur se désinscrit, je me demande ce qui a pu motiver sa décision. Peut-être simplement le ras le bol de recevoir un avis alors qu'ils ne me lit plus depuis longtemps...

Donc, je récapitule:
zéro anciens diaristes + zéro diaristes en activité + zéro lecteurs = zéro.
Hé hé... bon ben j'ai compris, y'aura pas de bilan.

Bah, je le ferai peut-être un autre jour, selon l'inspiration...





Oooh... et puis c'est aussi le cinquième anniversaire de la découverte de celle par qui mon existence allait être bouleversée! Ceci n'étant pas un hasard puisque ma pratique du journal internet est liée à la rencontre de sa pensée mise en mots.

En fait la lecture du « Journal de l'Inc*****e », en réveillant mon moi enfoui, lança à la fois mon désir d'écrire et la profonde remise en question qui en aura découlé. Simultanément débutait entre nous une correspondance nourrissant ce travail de réflexion. C'est la combinaison de l'écriture intime publique et de nos échanges épistolaires qui aura permis le changement intérieur. Il allait mener autant à l'épanouissement d'une relation qui fût magnifique qu'à un changement intérieur. Les lecteurs de longue date auront pu le suivre au jour le jour...

Pour être plus précis, tout a commencé le jour où j'ai découvert sur le JMag (webzine défunt consacré au diarisme en ligne) une interview de l'Inc*****e réalisée par Mongolo (cité plus haut parmi les pionniers de cette pratique).
... et avant cela c'est la lecture d'un article de Télérama (citant notamment Mongolo et l'Inc*****e) qui m'avait appris que des gens un peu fous tenaient leur journal intime sur internet.

... mais tout ceci n'aurait pas capté mon attention si je ne m'intéressais pas auparavant à la pratique du journal intime sur papier, via l'Association pour l'autobiographie.

... cela parce que je tenais moi-même un tel journal et que je voulais comprendre le sens et la portée de cette autoanalyse.

... écriture confidentielle elle-même apparue d'un trop plein d'émotions à vivre un amour passionné, lorsque j'avais de 16 ans.

... celui-ci l'étant parce que je me sentais seul et que l'amour m'avait magnifiquement (déjà...) redonné goût à la vie.

... la déprime antérieure étant consécutive à une inadaptation à "rentrer dans le moule" scolaire et à un sentiment de différence d'avec la place masculine que je croyais devoir prendre.

... impression née d'une impossibilité de mimétisme avec mon père autoritaire et dénué d'affectivité. Lui même venant d'une famille plutôt austère.

Euh... ce qu'il y avait avant, je ne sais pas.



Ainsi s'enchainent quelques uns des éléments qui m'ont conduit à ce que je suis aujourd'hui.



Qu'adviendra t'il ensuite? Que garderont mes enfants de ce père qui fait tardivement sa révolution intérieure? Autour de quelles références vont-ils construire leur façon d'aimer et de s'aimer? C'est déjà l'avenir de leur parcours qui se prépare...

Quelles conséquences mon évolution aura-t-elle eu sur l'itinéraire des personnes que j'ai cotoyé de près? Inès, qui a divorcé peu de temps après notre relation d'amitié amoureuse, ce qui n'a certainement pas été un hasard. Cela a aussi changé la vie de son mari et de ses filles... Puis de l'homme qu'elle a rencontré, et de sa femme, ses enfants...
Charlotte, qui aura été entraînée dans mon sillage et qui à son tour opère sa mue, chamboulant le consensus du non-dit familial autour de violences passées...

Et nathalie...

Chaque acte influe sur le parcours des autres. Nous sommes tous, à des degrés divers, inter-reliés.
En poussant un peu, je pourrais dire que certains des mots que j'écris ici ont pu, en ouvrant ma conscience, modifier le cours de mon existence, donc modifier celle de mon entourage, et ainsi participer à changer (infinitésimalement) le monde. Comme les mots écrits par d'autres ont influé sur mon existence. Et qui sait si les lignes de ce journal n'ont pas participé à changer quelque chose dans le parcours de ceux qui me lisent?








Ambivalences, ambiguïtés, et autres paradoxes




Dimanche 10 juillet

Je ne sais pas si ça se sent, mais ce journal ne me va pas en ce moment. Je n'aime plus ce que j'y écris. Je ne m'y sens pas à l'aise. Y'a quelque chose qui cloche...

D'un côté j'aimerais trouver un nouveau ton. Des sujets plus diversifiés [y'en a marre de mon nombril...]. Je voudrais retrouver une spontanéité, une liberté d'écriture. Laisser venir les mots sans y penser. Oui, oui, comme avant. Lorsqu'ils coulaient comme une source guillerette.

De l'autre je me dis que je devrais cesser d'écrire, parce que je ne suis pas certain que cela me fasse du bien de me heurter sans cesse au mur de l'indicible. L'exutoire ne peut plus remplir son rôle. Je contourne ce que j'aurais besoin d'exprimer. L'écoulement n'est plus fluide, son cours est entravé. Et pourtant je persiste. Ambivalence...



Ailleurs je suis très absorbé par des échanges approfondis. C'est dense [trop dense...] et j'avance beaucoup. Mais est-ce que je m'y perds pas? N'est-ce pas aussi une façon d'éviter de penser ? Réfléchir pour ne pas penser. Laisser l'esprit se faire envahir pour qu'il n'y ait plus de place libre. De ces échanges aussi je voudrais me libérer. Mais je ne le fais pas. Ambiguïté...



Toute ma vie pourrait changer. Notamment parce que je pense selon un nouveau mode relationnel. J'apprends à aimer en réduisant le parasitage, sans fausseté inconsciente, dans l'ouverture à l'autre. A tous les autres. Je perçois toute la sérénité que je pourrais acquérir dans le détachement. Et pourtant je reste aliéné à des automatismes...
Ma relation avec Charlotte se trouve considérablement améliorée. Cependant il existe des sujets essentiels que nous ne pouvons aborder [un lapsus m'a fait écrire "absorber"...]. Ceux qui sont au coeur de notre problématique. Ceux qui nous maintiennent à la fois liés et séparés. Comme s'il ne fallait pas parler de ce qui montre la faille. Maintenir une illusion morte. Contourner ce qui devra bien être exprimé. Jeu de dupes.

Quant à ma vie amoureuse, elle est dans l'indicible.



Du côté du moral la façade est correcte. J'ai retrouvé une apparente joie de vivre, une légereté de surface. Rires et plaisanteries sont souvent au rendez vous. Et puis la méthode coué est efficace: il suffit de penser à tout ce que j'ai appris des recettes du bonheur. Profiter de l'instant présent, voir le côté positif, prendre les épreuves comme des sources de connaissance... ouais ouais... Généralement ça marche, avec une belle illusion à laquelle moi-même me fais prendre.
Mais le fond reste tourmenté et inquiet. Profondément. Il suffit de peu pour que se craquèle la mince pellicule d'apparence. Je ne le montre pas. J'essaie de ne pas y laisser libre cours. En faisant cela je nie la réalité. Ai-je une autre solution?
Il me faut tenir. Je me suis engagé sur une voie difficile, exigeante. Et, pour tout dire, périlleuse. Davantage que je ne le croyais.
Je n'ai plus d'autre choix que de réussir. Trouver du courage. Encore.
Me réjouir du chemin parcouru, qui en vaut la peine. Et savoir que je serai heureux d'avoir persévéré. Mais là j'avance presque dans le noir. Aucun projet, aucune vision lointaine de mon avenir. Garder confiance...


Cet ensemble de contradictions me fait vivre dans un état éparpillé. Maintenir ma cohésion me demande énormément d'énergie. Je m'y épuise. Je draine mes forces, qui ne sont plus vitalisées comme auparavant. Une part de moi grandit tandis qu'une autre pousse, pourtant prometteuse, se flétrit faute de soins. Je n'ai pas encore trouvé en moi une source d'énergie suffisante. Je n'ai plus assez d'apports extérieurs et ma quête étendue ne comble pas ma soif.

Je me déssèche, je m'étiole.








Il faut trancher




Mardi 12 juillet


«Je suis au bout du rouleau». Ce sont les mots que j'ai prononcés. Ils sont lourds de sens.

Je n'en peux plus. Je n'ai plus d'énergie. Je ne suis pas déprimé, mais vidé. Vouloir que ça aille bien malgré tout consomme beaucoup trop de mon énergie vitale. Mon métabolisme ne s'y laisse pas tromper. Mes forces me lâchent parce que je sollicite trop mon mental.

J'ai voulu une séparation la plus douce possible, et je fais ce qu'il faut pour cela. Mais à quel prix ? Sans cesse confronté à mes angoisses profondes, ravivant le souvenir de ce qui n'a plus de possibilité d'existence, je fais un va et vient constant d'adaptation entre ce qui était et ce qui n'est plus. Il semble qu'un couple qui se sépare ne peut éviter une phase de rupture avant d'entrer en amitié. Il faut probablement que quelque chose se passe. Qu'il y ait un "avant" et un "après".

Je ne crois pas que je pourrais éviter de partir, au moins un certain temps. Il me faut apprendre à vivre vraiment seul, sans Charlotte à proximité. Sans veiller sur elle, sans compter sur elle. Déconnexion. Nous sommes trop interdépendants, trop prévenants, trop en contact, et cela nuit au travail de séparation. Pour partir vers de nouvelles vies librement nous devons nous dissocier davantage.



Nous sommes restés à proximité pour des raisons financières et professionnelles. Il y a eu des avantages à cette situation puisqu'elle nous a permis de prendre le temps de mettre beaucoup de choses au clair depuis presque un an. Nous sommes parvenus, par des accords successifs, à réhabiliter notre amour-amitié. C'était primordial. 
Mais maintenant nous convergeons vers cette nécessité de passer un cran au dessus. Même si ça nous inquiète, même si nous avons [surtout moi...] des difficultés à le faire. Nous avons fait tous les constats nécessaires, envisagé toutes les options, et nos incompatibilités persistent à se manifester sur certains points cruciaux. Ni l'un ni l'autre n'avons été tentés par une marche arrière dans nos décisions. Il ne reste qu'à trancher...

Encore faut-il que cela soit possible.

Maintenant une échéance se précise: au printemps prochain je peux continuer le métier que j'exerce (celui qui me maintient par obligation près de Charlotte), ou bien y renoncer. Envisagée depuis un an, c'est une décision majeure que je dois anticiper. En fin d'été je dois savoir quel sera mon choix. Déjà s'est engagée une démarche de reconversion partielle, qui s'activera en septembre. Voila l'occasion de franchir le grand pas et de m'éloigner de Charlotte tout en cherchant un emploi ailleurs.
Je crois que je suis parvenu au terme d'un beau projet: l'entreprise que j'ai créée pour exercer le métier que j'aimais. Au bout de ce que je pouvais lui donner de moi et de ce qu'il pouvait m'apporter. J'y ai consacré beaucoup d'énergie depuis quinze ans, mais je n'en ai plus pour persévérer. Depuis plusieurs années se confirme cette tendance lourde: j'ai perdu ma passion. Mes désirs ont changé et je ne leur vois plus d'avenir. Un peu comme un amour qui se serait fané...
Peut-être parce que je n'ai pas su en retirer des avantages proportionnels à mon investissement personnel ? Ou bien parce que j'y sacrifiais trop de ma liberté sans en recevoir suffisamment en retour ? Les contraintes ont fini par peser plus lourd que les satisfactions, notamment pécuniaires. Il aura suffi que s'y ajoutent des évènements météorologiques désastreux à répétition, une conjoncture défavorable, et voila que ma comptabilité est entrée en zone rouge.
Démotivé depuis trois ans, j'avais cessé de m'engager sur le long terme. Comme si, déjà, je me préparais à arrêter...

En fait tout est lié: trop d'investissement personnel ==> usure du métier ==> désinvestissement professionnel ==> remise en question de ma vie ==> découverte de manques vitaux ==> nouvelles aspirations.
Métier, amour, ego... il est devenu évident qu'une insatisfaction globale a fait que je ne me sentais pas à ma place dans la vie que je menais. Je ne suis plus celui qui a fait ses choix de jeunesse. J'ai changé.
Une direction s'est donc clairement dessinée, longuement élaborée avec ce journal. J'ai essayé une voie que j'ai très candidement crue possible: aussi simple qu'un double saut périlleux vrillé... Et je me suis magnifiquement planté [et en faisant pas mal de dégats autour de moi]. Malheureusement je n'avais pas prévu de "plan B". Je n'avais pas envisagé l'échec. C'est une grosse erreur...

D'autant plus grave que j'y avais mis toutes mes ressources, profitant d'un apport d'énergie inespéré. L'objectif en lui-même autogénérait l'énergie nécessaire, mais le soutien complice de ma providentielle muse aidait beaucoup. L'énergie que procure une relation amoureuse est colossale...

Actuellement tout est en panne. Je me trouve pris dans plusieurs cercles vicieux où chaque élément dépend de l'autre:
Le manque d'argent empêche ma liberté d'action, ce qui bloque mon élan de vie, lui-même me privant de l'énergie vitale qui me donnerait le courage de me remotiver professionnellement afin de gagner l'argent de ma liberté etc...

Elan de vie bloqué ==> perte d'énergie vitale ==> immobilisme ==> démobilisation.
Bref: je suis dans une situation de merde.

La seule chose sur laquelle je sens que je peux agir, c'est de retrouver la liberté d'action pour réamorcer la machinerie énergétique. Pour cela il faut que je sois libéré de ce couple qui ne fonctionne plus dans le même sens. Et cela passe obligatoirement par le renoncement à mon métier.

Il n'y a pas d'alternative. Tout doit changer en même temps.
C'est pour ça que cette évolution est si longue à se mettre en place.







La vie mortifiée



Mercredi 13 juillet


Il y a quelques jours ma mère a eu un incident cardiaque nécessitant une hospitalisation. L'angoisse de la mort est entrée dans sa vie avec bien plus de présence que jamais.

Nous avons longuement discuté, hier soir, et avons convenu que face aux épreuves de l'existence on se retrouve toujours seul. Et face à la mort en particulier. C'est ce dont j'avais pris conscience en voyant un homme choisir de mourir, dans un documentaire sur le suicide médicalement assisté tel qu'il se pratique en Suisse. Au dernier moment je sentais à quel point il "rentrait en lui". Il se fermait déjà au monde, se coupait de ses proches, son regard était ailleurs. Seul avec lui-même. Seul face à la plus redoutable épreuve de la vie: la mort. J'avais même eu une impression d'égoïsme...

Je mesure, toutes proportions gardées, cette grande solitude dans l'épreuve que je traverse actuellement. Personne ne peut la partager, personne ne peut ressentir ce que j'essaie d'alléger en le racontant. C'est un leurre que de tenter de le communiquer. Aucun mot ne pourra transcrire ce que je vis. Vous, lecteurs, n'êtes qu'une illusion de soutien. C'est de ma part, je m'en rends compte maintenant, une tentative de négation de la solitude dans laquelle je suis. J'écris, j'écris... mais je suis le seul à souffrir de mon angoisse de la solitude à venir. Je tente de "partager" et de "témoigner", mais à travers cela je cherche surtout à me sentir exister. En imaginant vos regards sur mes pensées, je cherche à me croire que je suis moins seul. C'est pathétique...

Ouais, j'ai peur de me retrouver bientôt seul. J'ai vachement peur. Une putain de trouille ! C'est cette angoisse terrible qui m'oppresse chaque soir et chaque matin. J'ai peur du célibat. J'ai peur de ne plus avoir une épaule rassurante sur qui m'appuyer quand ça ne va pas, ou pour partager mes bonheurs. Mais ce besoin de partager les émotions, n'est-ce pas au fond un moyen de repousser l'angoisse de la solitude existentielle ? Comme si à deux je me sentais plus fort dans ma vie.
J'ai peur de m'ennuyer, et de déprimer. J'ai peur de regretter ma vie d'avant. J'ai peur du vide des sentiments, du vide de l'amour. L'amour n'est-il pas ce que je considère comme étant le plus "vivant" parce qu'il me donne l'illusion de n'être pas seul ? Et si mes plus grands bonheurs je les ai ressenti dans le partage émotionnel, n'est-ce pas parce qu'à ces moments-là je repoussais le spectre de la mort très loin ? Cet "élan vital" que j'évoque souvent, n'est-il pas une façon d'oublier la solitude, anticipation de celle qui accompagne la mort ? L'amour comme trompe-la-mort ?

Et si ma recherche de l'amour et du partage ne faisait que masquer une terrible angoisse de la mort ?
Et si c'était cette angoisse qui créait ma dépendance amoureuse, avec l'illusion que cette osmose me protège de la mort ?


Entre la crainte de l'abandon et l'angoisse de la mort, ma vie semble conditionnée par la peur.
Mais c'est cette peur qui mortifie ma vie... Ma peur de la mort m'empêche de vivre. Absurde ! Totalement absurde !







Reprendre la route ?




Samedi 16 juillet


D'avoir pris conscience de mes angoisses fondamentales m'a aidé à en alléger l'intensité. C'est comme si j'avais éclairci un mystère en donnant un coup de projecteur dans ce recoin sombre ou sont tapies mes peurs. C'est moins inquiétant. Du coup j'ai retrouvé une belle énergie et mon chemin de vie a pu se préciser davantage.

Finalement le célibat qui m'attend devient, par certains côtés, presque attirant par le changement qu'il va mettre dans ma vie. Et puis bon... j'espère quand même ne pas être vraiment célibataire solitaire esseulé...



Ces peurs sont celles que nous partageons tous, à divers degrés. Il se pourrait que le fait que la vie m'a plutôt épargné m'a du même coup laissé assez vulnérable face à certaine épreuves redoutées. N'ayant jamais vécu de séparation brutale et irréversible (décès), je garde intacte ma peur de cet inconnu. En fait je base mes références sur les diverses pertes, ruptures ou séparations que j'ai vécues ou aperçues chez les autres. C'est un peu maigre...

Mais maintenant je crois avoir passé au scanner toutes les étapes de ma vie, de la séparation de la naissance à la peur de la mort, en passant par les diverses "pertes" marquantes qui ont jalonné mon existence. J'y vois plus clair. Je sais que tout cela se confond en une peur unique: celle de l'abandon. Et au delà celle de la solitude.
Je vais continuer à approfondir tout ça, mais je crois que l'essentiel a été passé en revue.



Honnêtement, j'en ai un peu marre de ne parler que de mes soucis existentiels. Ras le bol d'être dans le questionnement permanent et obsédé par ce besoin d'analyser pour "avancer". J'ai beaucoup avancé dans ma tête et maintenant j'ai envie que ça bouge dans les actes. J'ai envie de me retrouver seul pour me trouver, enfin.

Moi face à moi.
Pour ne plus attendre le regard des autres.







Être ce que je suis




Samedi 17 juillet


Le jour où j'aurais intégré que je suis seul à mener ma vie, j'aurais passé un cap important. Quelles que soient les personnes avec qui je partage mon existence, c'est à moi d'abord que je dois penser.

Mode de pensée inverse de celui que j'ai eu tout au long de mon existence, dès lors que je suis au contact de l'autre. Car en solitaire je sais bien penser à moi. Mais dès que l'autre est là, en cherchant à être aimé pour ce que je suis [lire "ce que je voudrais être"], je me perds entre mes aspirations et celles que je suppose de l'autre à mon égard.

C'est débile...

Je cherche à répondre aux attentes de l'autre, selon ma propre grille de lecture. Absurde. Pensées fantasmatiques.

Pire: j'entends parfois les désirs que l'autre exprime, mais une part de moi persiste à écouter les désirs que ma pensée lui attribue ! Charlotte désire une vie plus indépendante, séparée de moi... et pourtant je reste dans l'impression tenace de l'abandonner si je m'éloigne d'elle. Ahurissant, non ? Je transfère ma propre peur sur elle. Et même quand elle me dit qu'elle a besoin de cette liberté, je ressens un plaisir à lui faire plaisir en ce sens. Je ne pense à moi qu'après avoir pensé à elle. Dingue...

Et pourtant, je pense aussi à moi lorsque j'agis, bien sûr. Mais avec mauvaise conscience si ça ne va pas dans le sens souhaité [ou supposément souhaité...] par l'autre. Je suis toujours dans le souci du regard de l'autre. Merde à la fin ! C'est très chiant !

Comment on fait pour croire en soi ? Pour oser penser à soi tout en l'assumant parfaitement ? Pourquoi il n'y a que seul que j'y parviens ?

J'en ai marre d'exister à travers le regard des autres !
Non: à travers le désir de recevoir un regard positif des autres. C'est pas pareil...

Quand vais-je comprendre que le seul regard qui importe c'est le mien ? Que les seuls désirs qui priment sont les miens ? L'accord avec les autres ne peut venir qu'après, une fois que je me suis positionné. Pas dans l'attente de connaître leurs désirs avant d'adapter les miens aux leurs.

Il me faut oser être ce que je suis.

Il me faut oser être ce que je suis


Meeeerde, mais quand vais-je y parveniiir ?






Les yeux gris clair





Mercredi 20 juillet


Dans la file d'attente d'un cinéma, une rencontre fortuite. De loin j'ai repéré une silhouette élancée avec qui Charlotte discutait pendant que j'étais allé garer la voiture. Collègues de travail, le hasard à fait qu'elles se retrouvent côte à côte ici. Je m'approche et je remarque immédiatement les yeux de cette inconnue. Ni bleus ni verts, très clairs. Gris. Des yeux magnifiques et un visage duquel émane un charme certain, puissamment attirant. Elle a un sourire accueillant qu'elle délivre volontiers, montrant de belles dents qui mordent la vie. J'aime !


[Je pourrais arrêter là, j'ai dit l'essentiel]


Qu'est-ce qui fait que ce regard me trouble au point de me faire engager un brin de conversation et tenter quelques plaisanteries? Une certaine ressemblance avec une que j'aime, mais ce n'est pas suffisant.
La forme du visage, à la fois fin et aux traits affirmés; un très joli grain de peau ? oui, assurément. Son aisance et son sourire ? indéniablement. Mais aussi, sans conteste, ce corps élancé dont les épaules dénudées me donnent un aperçu. Confirmé par des regards furtifs dès que je ne puis être repéré. Oui, je suis l'homme qui observe une femme avec une idée de... de... de quoi ? Désir ?

Si j'en parle, c'est parce que j'ai eu quelques échanges à propos du regard masculin sur la gent féminine, accompagné d'une vigoureuses prise de bec avec une féministe fanatique quelque peu mordante (genre "Chiennes de garde"). Échange qui pourrait être considéré comme stérile si je ne ne m'en servais pas comme base de réflexion personnelle.


Comment fonctionne mon regard? Dans ce cas-là, c'est précisément le regard de la belle qui a déclenché mon émoi. Probablement aussi parce que j'avais perçu de loin une silhouette "attirante" selon mes critères en la matière. Il y en avait d'autres dans la file d'attente, encore plus "intéressantes" en tant que... corps féminins proches de certains standards (et judicieusement mis en valeur comme tels grâce à un habillement adéquat).

La différence entre le corps et le regard, c'est que le second suscite un contact réciproque, nettement plus propice au ressenti émotionnel. Le regard était troublant parce qu'il croisait le mien.

Éveille t-il un désir sexuel? Hmmnnon, pas vraiment. Sexué, mais pas sexuel. C'est une ébauche de contact (d'emblée sans issue) qui pourrait éveiller un désir de poursuivre le rapprochement (et susceptible d'éveiller quelque lointaine perspective d'intimité). Impossible en l'occurence ce soir là puisque son mari était à côté, ainsi que Charlotte [bon, même si on est se sépare, je ne suis pas encore "libre" de mes élans...]. Et puis de toutes façons, mon audace à lier connaissance avec une quasi-inconnue, aussi charmante soit-elle, me semble encore assez peu performante.
Tiens, et pourquoi pas l'audace? Euh... ben parce que je sens trop ce que contient une entreprise de rapprochement, si je lui laisse la possibilité d'être sans limites.


[Je pourrais aussi arrêter là, ayant expliqué les raisons de l'essentiel]


Hum... sans limites...

Je sais que me frotter à cette peur du rapprochement "sans limites" fait partie intégrante de la liberté à laquelle j'aspire. Je perçois qu'il existe un lien entre mes élans étouffés et une peur/attirance de la séduction. Tout est là: entre peur et désir. Désir parce qu'inconnu, peur parce qu'inconnu. Projections, rappels du passé, éveil d'un futur espéré. Futur censé réparer le passé. Je ne suis plus dans le présent. Je ne suis plus dans l'accueil de l'instant et de tous ses possibles. Je vois trop loin. Je pré-vois. Et je me déconnecte de mon ressenti. Je m'excentre...

Je pressens que ma capacité à aller vers les autres, tous les autres, est liée subtilement à ma libido. Car plus je suis séduit, plus je perds mes moyens. Comme si j'avais peur de ce qui se passe. Ou de ce qui pourrait se passer si...
Je réalise ainsi que je suis dans l'attente d'un paradis perdu/espéré, d'une harmonie désirée, ce qui me déconnecte de moi-même en me décalant vers le futur. Attendre... et ne pas vivre le présent.

A contrario il me semble évident que plus je serai dans le présent de l'instant, plus j'aurais la capacité d'aller vers les autres. Et cet épanouissement passe par la liberté d'être ce que je suis, là, ici et maintenant, jusque dans mes élans. Tous mes élans, sans peur de m'approcher de limites qui agissent comme autant de stimulants. Abolir les limites de la pensée ou du désir, pour ne plus chercher à les dépasser.

Ne me demandez pas pourquoi j'écris cela, je n'en sais rien. C'est juste une tentative intuitive. Une ébauche de pressentiment que je ne suis qu'aux portes d'une autre façon de vivre le monde.
C'est une réfléxion inaboutie mais, pour l'heure, je ne saurais aller plus loin.


Lorsque je serai capable de n'écrire que mon premier paragraphe et m'en tenir là, j'aurais compris pas mal de choses...


[Ecrit et modifié entre le 20 et le 23 juillet]








Stimulus




Jeudi 21 juillet


Nos longues discussions sur le devenir de notre futur ex-couple continuent à un rythme variable. En ce moment nous passons régulièrement en revue les différentes options en ce qui concerne le départ de l'un de nous. Depuis quelques mois il était convenu que Charlotte garderait la maison. Notamment parce qu'elle y est bien et que je ne voulais pas la priver de ce lieu à cause de mon besoin de grandir. Mais il faut avouer que ça complique pas mal les choses puisque je travaille à proximité immédiate. D'où ma récente décision d'arrêter mon activité pour évacuer ce problème.

Comme bien souvent, le choix d'une décision modifie un équilibre et l'ensemble s'ordonne différemment ensuite. Du coup, et puisque l'arrêt de mon activité demande encore une dizaine de mois, cette échéance lointaine à poussé Charlotte à une nouvelle orientation: finalement c'est elle qui partirait en me laissant la maison. Il est vrai que cette situation serait la plus logique puisqu'elle supprime cette proximité dont l'éternisation nous dérange. Logique aussi puisque c'est Charlotte qui me quitte davantage que l'inverse.

Plus simple à mettre en oeuvre aussi puisque cela m'allège d'un des trois gros deuils que je devais faire simultanément: couple, métier, lieu de vie. Un peu lourd et, de ce fait, ralentissant le processus.

Mais... laissons tout cela décanter, peut-être qu'un nouvel ordonnancement des idées va apparaître.



Au cours d'une de ces conversations elle a eu un geste qui m'a surpris. Elle a posé sa main haut sur l'intérieur de ma cuisse nue (j'étais en short), dans un mouvement d'effleurement spontané. Comme si elle avait "oublié" que nous n'avions plus ce genre de contact. Stimulus eléctrisant: personne ne touche plus ma peau depuis des mois, surtout à un endroit aussi sensible. C'était assez troublant, mais pas désagréable du tout.








Un quart de siècle




Samedi 23 juillet


Soirée en tête à tête avec Charlotte hier, à la terrasse d'un délicieux restaurant de pleine campagne. Une fontaine coulait juste à côté, masquant le contenu de notre conversation aux tables voisines.
J'ai beaucoup aimé ce moment là, qui était l'anniversaire du jour où nous sommes devenus un couple d'amoureux. C'était il y a vingt-cinq ans. La première fois que je disais "je t'aime", la première fois que j'embrassais, la première fois que je sentais le contact d'un autre corps. Nous étions dans un parc et je l'avais installée sur mes cuisses, sur un banc...

[tiens... curieux hasard... c'est dans les mêmes circonstances que j'ai senti la première fois le corps de nathalie sur le mien...]

Charlotte a beaucoup changé ces derniers mois. Elle est devenue volontiers bavarde. Elle prend toute sa place dans nos conversations. J'aime la voir devenir femme autonome, plus solide, plus sûre d'elle-même.
Nos échanges ont été délicieux et nous avons pu immédiatement désamorcer les micro-tensions qui autrefois dégénéraient rapidement. Entente cordiale. Nous devenons deux adultes regardant avec bienveillance les êtres immatures que nous étions ensemble.

Ces moments d'échange nous permettent la mise à plat de nos années de dysfonctionnement. Et nous nous entendons généralement à merveille pour en analyser ensemble les raisons. Pour dire aussi que nous sommes heureux d'en être sorti et du chemin que l'on prend, quelle qu'en soit la difficulté. Nous partageons nos peurs partageables, nous nous encourageons. Avec le temps nous savons que certains domaines restent sensibles et nous ne les abordons qu'avec prudence et respect.

Charlotte, autant que moi, apprend à croire en son intuition, en ses sensations et émotions plutôt qu'écouter les judicieux "conseils" que d'autres lui prodiguent parfois. C'est en partie pour cela que les débuts de notre séparation étaient difficiles: elle pensait devoir agir d'une certaine façon («femme bafouée») en craignant de se "faire avoir" par moi («salaud de mari»). Elle pensait davantage selon "ce qu'il faut faire" que selon ce que lui dictait son coeur.

Il semble que tous les deux nous parvenions à un équilibre intérieur progressif, de plus en plus centré sur notre authentique individualité. Nos différences et ressemblances s'affirment et nous les acceptons bien. Cela nous permet un apaisement propice à la mise en pratique de notre séparation dans les meilleures condition. L'inquiétude matérielle et financière étant déjà bien suffisante pour ne pas être alourdie par une mésentente...




Détail amusant: Charlotte m'a demandé si j'attachais une valeur symbolique à des lieux qui ne sont "qu'à nous", ou si j'envisageais d'y amener une autre femme un jour. Quelques instants plus tôt j'avais pensé justement à cette éventualité pour le charmant restaurant où nous étions.

Nous avons ainsi un peu parlé, à l'initiative de Charlotte, de ce que j'avais vécu avec nathalie. Je suis resté très prudent, ayant peur d'en dire trop et de susciter une jalousie. Il n'en a rien été. J'ai aussi succinctement évoqué l'état de notre relation actuelle. J'ai aimé pouvoir un peu lui en parler...

Dans ma tête la dissociation entre mes deux amours est très claire, même si effectivement j'essaierai probablement d'éviter de mélanger les histoires de lieux chargés de symbole. En lui expliquant cela je n'ai pu éviter de ressentir une émotion en songeant aux lieux parcourus aux côtés de nathalie, qui restent empreints d'une nostalgie heureuse. Même si tout cela illumine mes souvenirs, l'absence reste quelque chose qui n'est pas exempt de traces de douleur.
Je me suis abstenu de dire que la dernière fois que j'avais mangé en tête à tête avec une femme, c'était un soir de l'été dernier, avec une autre qu'elle...
Je n'ai pas davantage parlé de ce qu'évoquait en moi le reflet d'une pleine lune dorée dans les eaux du lac que nous avons longé...


Hmmmm, il est certain trésors de l'existence qu'il ne faut pas chercher à partager. Chaque histoire a ses secrets. 







Esprit de famille




Lundi 25 juillet


Il existe depuis quelques années, dans la famille de Charlotte, des rassemblements de cousins. Il paraît que certains appellent ça des "Cousinades"... En s'inscrivant dans la régularité ces retrouvailles maintiennent une cohésion qui pourrait aisément se disjoindre en fonction des distances géographiques de résidence. Cela maintient un "esprit de famille" indéfinissable dont la métaphore arboricole me semble la plus judicieuse: racines et branches. Sans hésitation j'ai participé à cette rencontre, quel que puisse être notre statut de couple dissocié. Charlotte avait une petite appréhension en craignant le regard de "ceux qui savent", mais il y a eu un total respect et aucune question ni remarque subtile. Ce qui ne nous a permis de n'en parler que discrètement, selon les affinités.

La première journée fût l'occasion d'une reprise de contact. Chacun répéta à moult reprise les dernières nouvelles professionnelles ou familiales au fur et à mesure de l'arrivée des participants. Passage en revue des enfants, de leurs études et réussites diverses. Beaucoup sont dans les phases décisives de l'orientation, ou déjà dans les premiers pas de l'insertion professionnelle. 

Lorsque la quarantaine de convives fut au complet, une marche vers un des sommets environnant permit d'être ensemble individuellement (seuls dans l'effort, mais ensemble à le faire) tout en laissant s'organiser de petits conglomérats spontanés selon les affinités du moment. Quelques haltes permirent de rassembler l'ensemble du groupe et de mettre le rire en commun. Le chemin de retour scinda le groupe, entre les plus intrépides, qui voulaient poursuivre jusqu'au sommet, et ceux qui se satisfaisaient d'avoir déjà pu jouir d'un panorama magnifique. Le petit plaisir supplémentaire d'atteindre le point sommital étant de pouvoir observer le paysage sur 360 degrés et, raffinement supplémentaire, reconnaître les sommets et massifs environnants, proches ou lointains. Avec, bien sûr, celui que l'on cherche à voir depuis tous les sommets alpins, le plus haut de tous, la cerise sur le gâteau: le Mont Blanc.





Montagnes de Chartreuse





Après le retour et quelque temps de repos complice, les conversations devinrent plus poussées.
Auparavant je restais facilement "scotché" à Charlotte, n'étant pas forcément à l'aise parmi tous ces gens que je ne vois que rarement. Cette année il m'a bien fallu prendre les choses en main et me débrouiller seul pour aller au contact. C'est une très bonne chose. Ce ne fut pas toujours facile, mais j'ai eu néanmoins de bonnes conversations. Je n'approfondissais pas trop les échanges qui s'éternisaient sur l'aspect professionnel: d'une part parce que parler de mon métier ne m'intéresse pas beaucoup, et d'autre part parce que ce n'est pas lui qui me définit. C'est toutefois, je le reconnais, une façon commode d'entrer en contact...

J'ai particulièrement discuté avec une femme avec qui j'ai découvert de fortes affinités dans le mode de vie, le rapport à la société, et la vision du monde. J'ai aussi rencontré un idéaliste désirant s'épanouir, mais voulant sans cesse se surpasser. Deux objectifs parfois difficilement conciliables. Comment lâcher prise en voulant toujours plus ? Hum... drôle d'impression de voir ça de l'extérieur, pour l'idéaliste que je suis [ou que j'étais ?]. J'ai trouvé plus absolutiste que ce que j'ai été et ça fait plutôt peur, retrospectivement...
J'ai échangé avec une psychologue [tiens tiens, là cet aspect professionnel m'intéresse...], ainsi que, très longuement, avec une... conseillère conjugale ! Pas pour demander des conseils puisque je crois avoir largement exploré la conjugalité, ses limites et ses atouts, mais plutôt sur le métier en lui-même. Certes j'ai quand même fini par parler de notre situation de couple, mais c'est davantage à un un partage de réfléxions et de constats que nous sommes livrés. Très intéressant d'ailleurs. Avec une question qui est restée en suspens: c'est quoi un couple ?

[Aparté: Il y a quelque jours je lisais dans un intéressant livre explorant le célibat des femmes que des mots tels que "amour" et "couple" devraient sortir du singulier pour entrer dans le pluriel. Le couple, ça ne veut plus dire grand chose: il y a "des" amours, "des" couples, tant la façon de vivre et percevoir ces notions est désormais extensible. A partir de quand entre t-on dans le sens commun de cette définition floue, et à partir de quand en sort-on ? Plus on cherche à circonscrire le sujet et plus on voit que les cas particuliers font éclater les définitions.]



Ce qui m'a le plus marqué dans cette conversation passionnée, c'est le très vif intérêt que j'ai ressenti pour la profession de cette femme, et la façon qu'elle avait d'en décrire le fonctionnement: encourager au dialogue ouvert, respectueux de l'autre et de soi. Aider les gens à trouver ce qui est en eux, à devenir acteurs de la vie qu'ils veulement mener, à entendre en eux comment ils veulent vivre leur couple. Ce qui passe évidemment par une écoute de soi, un travail introspectif, et une courageuse remise en question des bases sur lesquelles on est construit...

Hmhmmm... voila bien un domaine professionnel qui m'intéresse bigrement. De plus en plus bigrement...








Vivre avec





Mardi 26 juillet


Sentez-vous la sérénité qui est revenue entre mes mots ? Hmmm, j'apprécie ce retour au calme après les périodes de tourments. Finalement, maintenant que j'ai compris que cela fonctionnait par cycles, lorsque tout devient noir je patiente jusqu'à la prochaine embellie.

Je ne sais pas ce qui s'est passé ces derniers temps, mais à l'évidence nous avons fait un grand pas avec Charlotte. Probablement depuis que j'ai admis qu'elle était heureuse de l'avenir qui se dessine. Cette liberté qui s'annonce, finalement elle l'attendait depuis toujours. Elle aurait aimé la vivre avec moi, tout comme j'aurais aimé vivre la mienne à ses côtés, mais bon... le hasard en a décidé autrement. Pour le moment notre "amitié" nouvelle s'installe. Dimanche, à deux reprises (et pour la première fois), elle à utilisé sur le ton de la plaisanterie le terme "ami" à mon égard. «Tu viens, mon ami ?». Cette nouvelle forme relationnelle semble se placer correctement. Nous parlons succinctement de nos avenirs solitaires, de nos craintes, de nos frustrations sexuelles [bah oui, quand même...]. Quoique c'est davantage la tendresse que la sexualité qui fait défaut. Comme me disait jadis ma précieuse complice: «moins on le fait, moins on y pense»
C'est pas faux...

Et on se marre quand Charlotte évoque ses timides incursions sur des sites de rencontre, «juste pour voir à quoi ça ressemble». Pralinette à écrit un très bon texte à ce sujet [Sérieux s'abstenir], qui va exactement dans le même sens que nos constats [ben vouais, j'ai aussi glissé un oeil et l'étalage des photos féminines et leurs textes de présentation, au premier abord, n'est pas plus appétissant que celui des hommes...]. Mais bon, Charlotte ne semble pas prête à envisager de se lancer tout de suite vers une autre relation. Et surtout pas en couple traditionnel ! [tiens tiens, elle aussi ?] C'est plutôt une façon [peu convainquante au demeurant...] de s'imaginer autre chose qu'un célibat encore un peu inquiétant...

Nous verrons bien.

En attendant la séparation chemine dans les têtes, elle devient publique, annoncée à ceux de la famille et des amis qui sont réceptifs et ne se figent pas sur des apparences [ben oui, séparés mais encore ensemble, y'en a qui comprennent pas...]. C'est une excellente façon de voir se dégager des affinités dans l'écoute et la capacité de remise en question. Dans le respect dû au temps, aussi. Lorsque nous sommes en présence de telles personnes, nos mots sortent tout seuls, comme une évidence qui nous dépasserait, comme si nos langues savaient mieux que nos pensées ce qui doit être dit...
Pour d'autres proches [souvent ceux qui sont censé l'être le plus...] leur silence ressemble au déni, avec questions anachroniques s'adressant à une forme de couple qui n'existe plus. 
Hey, faut ouvrir les yeux ! On est sé-pa-rés ! On n'habite plus ensemble, même si on se retrouve occasionnellement. On parle, on rit, et y'a pas de guerre entre nous !

Notre histoire les perturbe, c'est évident. Pas dans la norme. Nous ne forçons pas les choses... ils comprendront quand ils seront prêts, s'ils le désirent.



* * *




Il y a quelques jours je me suis livré à une sorte de récapitulatif chez ma psy. Puisque de la naissance à la mort j'ai exploré mes peurs les plus fondamentales, je sais désormais l'étendue de ce que je dois affronter accepter. Les seuls mots qu'elle a prononcés, de toute la séance, c'est: «on doit vivre avec ses peurs». Voila plusieurs fois qu'elle ne dit presque rien, se contentant de sourire largement lorsque j'énumère les évidences auxquelles tout humain se confronte. Je sais que je vais du bon travail, je le sens. J'entre en conscience de moi-même. Je prend place en mon centre de gravité, je tends vers mon point d'équilibre. Et c'est bon.

Ces peurs fondamentales de l'abandon, de la solitude, et de la mort, je ne pourrai que tenter de les apprivoiser. Je ne les supprimerai jamais. Même si j'atteignais la plus haute sagesse, je ne pourrais me détacher de l'emprise de mes peurs que par la force de l'intellect. Elles sont viscérales, instinctives. A la fois point d'origine et de destination, une vie tendue entre deux néants. De la fusion utérine primitive à la solitude de l'instant ultime, la vie n'est faite que d'abandons, de pertes, de renoncements. Tout acquis n'est que provisoire. C'est le sens même de la vie. Vivre c'est se préparer à mourir, et l'inconscient le sait. Feindre de l'oublier c'est traîner une angoisse indicible. Je préfère regarder les choses en face et avoir la plus entière conscience possible de cette fin. C'est la seule chose que je puisse vraiment perfectionner jusqu'au bout [sauf si je perds la boule, hé hé...].

Hier j'ai eu une longue conversation avec ma mère, qui voit cette échéance beaucoup plus proche que moi, surtout depuis quelques jours. Echange d'adulte à adulte, avec sincérité et confiance. Confidences. Quelques allusions à un "au delà", auquel je préfère ne pas croire... tout en osant espérer que ce puisse être une surprise [cadeau bonus]. Ma mère semblait aussi douter de ce en quoi elle a toujours voulu avoir foi. Elle m'a dit «ce n'est pas un passage, c'est une issue». Ce à quoi j'ai préféré répondre «c'est une fin». Elle a acquiescé, un peu décontenancée. Quoi qu'il puisse exister "après", si on veut bien y croire, ce ne sera de toutes façons plus la vie terrestre. Et franchement, cet "après" n'a rien à voir avec toutes les audaces que l'on peut avoir dans la vie, lorsqu'on sait que le changement est toujours profitable. Parce que là on ne sait rien. Personne ne peut dire «ose, vas-y, je l'ai fait et ça fallait le coup». C'est le grand vide. Le saut de l'ange sans élastique, dans un gouffre dont on ne verrait pas le fond.








Devenir un homme





Mercredi 27 juillet


Hier soir j'ai invité la petite famille à manger chez moi. Euh... plus précisément c'est ma fille qui est venue me dire que Charlotte aimerait bien que je les invite, plutôt que ce ne soit l'inverse. Pour des raisons pratiques, je considère qu'il est moins agréable de venir chez moi: ma vieille maison est sombre, avec ses murs décrépis et son plafond noirci par la fumée des siècles précédents. Et puis je n'ai même pas de terrasse pour profiter du soleil et de la douceur des soirs d'été. Juste un chemin en pente régulièrement crépi de bouses de vaches (c'est par là qu'elles passent pour aller dans le champ d'à-côté).
Finalement, avec ma fille, on a quand même décidé de sortir la grande table en bois et on l'a installée sur un lieu plat, devant la grange à foin qui est à côté de ma "Maison de Hobbit" (c'est le nom que lui a donné nathalie...). Et tout s'est très bien passé, autour de trois pizzas apportées par l'amie de mon fils aîné. L'air était doux et la lumière dorée...

Je me suis ensuite occupé de la vaisselle, comme à mon habitude, en faisant chauffer une casserolle d'eau (je n'ai que l'eau froide...). Celle-ci faite, un rapide coup d'éponge sur le plan de travail parachevait l'ouvrage. Et hop, terminé !
Mais Charlotte n'en fut pas satisfaite. Elle a pris l'éponge à peine reposée et a entrepris de faire un brin de ménage comme elle l'entendait. C'est à dire en rangeant tout ce qui traînait encore (ouais bon, ce qui me sert tous les jours, je ne le range pas..), pour aller dans les recoins (ça sert à rien puisque je ne les vois pas...). Pendant ce temps je rouspétais fort en lui disant que c'était chez môa et que je faisais le ménage à ma façon. Mais elle a continué... «Naaan, c'est chez moi, ne viens pas faire mon ménage, je suis très bien comme ça !» Les enfants se marraient autour, et nous avec, car il y avait un petit coté provocation que je sentais bien.

Voila: exemple typique des différences homme-femme concentrées sur le ménage. Une femme comme Charlotte ne supporte pas que çe ne soi pas "propre" au sens auquel elle l'entend. Et un homme comme moi ne voit même pas ce qu'elle trouve "sale" (ou s'en contrefout...). Tout ça a souvent été un prétexte à des disputes entre nous sur l'inégalité de la répartition des tâches ménagères. Au delà, ce genre de différences contribue à entretenir une forme de sexisme, dont bien des femmes ne sont pas que les innocentes victimes, mais aussi d'ardentes participantes.


Voila voila, c'était ma minute "défendons les droits des hommes".




* * *




Puisque je suis lancé dans l'injustice à l'encontre des pauvres hommes... je continue.

Je commence à avoir quelques connaissances dans les rapports de couple et j'ai constaté qu'il est souvent dit des hommes, lorsqu'ils ont du mal à quitter leur épouse, que ce sont des lâches. En général ce sont des femmes qui disent ça... [je dirais volontiers des "bonnes-femmes"...].

Yep, c'est pas faux. L'apprenti-homme (petit garçon attardé) a peur de quitter maman. Petit garçon essaie de s'émanciper en allant au devant d'une femme (une vraie femme, pas une maman...), mais c'est pas facile pour lui de se lancer d'un coup. Alors si maman de fâche, où menace d'abandonner petit garçon, celui-ci a très peur et il revient vite dans les jupes de maman.

Lâcheté ? Hum... facile à dire et un peu réducteur. Je le vois plutôt comme une peur de grandir. Pourtant, il y a bien eu tentative d'émancipation. Aspiration à couper le cordon. Audace pré-virile. Aventure souvent orientée vers le sexuel. Premiers pas d'homme sans sa maman. Mais maman n'est pas du tout contente et gronde très fort, se met en colère, pleure, crie tout le mal que son petit garçon lui a fait. Alors petit garçon penaud et craintif n'a plus le courage de quitter maman. Il promet qu'il restera bien sage maintenant, qu'il ne recommencera plus. Il dit qu'il aime sa maman et qu'il s'était égaré juste pour une stupide "histoire de cul". Il n'assume pas. Et il choisit parfois de rester un petit garçon. Castré...

Combien ou ainsi loupé une excellente occasion de grandir ? Et combien de femmes-mamans ont ainsi gardé un éternel "petit garçon" (frustré) à leur côté. Beau gâchis...

Ouais, il y a des femmes qui castrent leurs hommes, qui eux-mêmes n'osent pas affirmer leur virilité. C'est quoi un homme viril ? Simplement un homme qui n'est plus un petit garçon, qui a surmonté le complexe d'Oedipe. Qui n'a plus eu peur de faire de peine à sa maman en s'assumant comme différent d'elle. Qui n'a plus peur d'être lui-même face à une femme, et qui la voit en tant que telle.
C'est quoi une femme castratrice ? Une femme qui "casse", consciemment ou pas, un homme qui n'est pas assez viril à ses yeux, un apprenti-homme qui n'est pas suffisamment émancipé d'elle ou des autres femmes. Une femme qui oublie peut-être qu'avant d'être de vrais hommes solides, ils n'en sont qu'une ébauche (parfois fort tard dans la vie...). Et tout aussi fragile qu'elle...

L'époque à laquelle nous vivons n'est pas la plus simple puisque les grands modèles sexués s'atténuent. La distinction entre hommes et femmes devient floue. Pas facile de se forger une indentité quand on est un homme sensible, ou simplement un homme resté longtemps "petit garçon". Faut aller au combat, faut faire sa place. Et les femmes ne sont pas les moindres adversaires... Sexe tout autant attirant que tendant à la castration. Le message qu'elles délivrent ressemble à ça:
Séduis-moi, mais ne m'approche pas trop près. Sois séducteur, mais n'approche pas des autres femmes. Agis, mais pas trop vite... ni trop lentement. Sois fin, mais pas féminin. Sois viril, mais surtout pas macho. Montre-toi fort, mais n'en use pas. Sois doux, mais pas mièvre. Sois romantique, mais pas cul-cul. Sois confident, mais ne me raconte pas tes problèmes. Sois audacieux, mais patient. Sois attentif, mais pas à mon service. Sois toi-même, mais tiens compte de ce que je suis. Sois entreprenant, mais ne me force pas. Sois présent, mais ne m'envahis pas... Liste infinie de doubles injonctions réversibles entre lesquelles il n'est pas aisé de se faire un chemin. Et le petit garçon qui essaie de grandir se trouve sans cesse confronté au couperet castrateur, au point d'y perdre la raison. De s'y perdre. Et de perdre toute capacité d'initiative.

Entre le trop et le pas assez, l'homme aimant n'a guère de marge de manoeuvre.
Non, vraiment, ce n'est pas facile de grandir tardivement...
Il faut le vouloir obstinément, se battre et lutter.


J'ai de la chance, c'est mon cas...







Tourments





Jeudi 28 juillet


Suite à une remarque pertinente, je reviens sur mon texte précédent: quand je dis qu'un homme veut une vraie femme, et pas une maman, je ne veux pas dire que maman et femme sont tes termes exlusifs l'un de l'autre (ce serait absurde...). Mais qu'il y a des femmes qui, parfois, sont davantage mère que femme. Et ça c'est très mauvais pour un homme qui a besoin de s'émanciper.



En citant une des mes phrases évoquant ma «sérénité retrouvée», une lectrice m'a suggéré l'emploi de la formule «moins tourmenté», ce qui m'a semblé plutôt bien vu. Oui, mon obstination à regarder le coté positif des choses montre une tendance à abuser de la méthode Coué. Je voudrais tellement que la paix revienne dans ma vie que je choisis les moments les plus adoucis en omettant un peu les parts plus sombres.

Oui, coté couple ça va dans un bon sens. Il reste des montagnes d'incertitude, et quelques gros renoncements à faire. Un divorce, même en prenant son temps, même en devenant amis proches, même quand tout se passe au mieux, demande quand même quelques incontournables sacrifices. Il y a des questions d'argent, de patrimoine, et la loi vient mettre son nez dans nos affaires. Avocat et notaire aussi, qu'il va bien falloir payer. Il faut vendre, partager, déménager au moins pour l'un des deux. C'est chiant et compliqué. Et surtout, il faut renoncer à des tas de choses (et de rêves). 
Heureusement, vu leur âge, il n'y aura pas trop de soucis du coté des enfants.

Tout cela reste donc pesant.

Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi mon changement de profession, qui dans mon cas a des implications plus lourdes qu'un simple changement d'employeur.

Mais surtout...
Surtout...

Il y a cette relation amoureuse suspendue (à quoi ? à un gibet ?).
Ouais... j'évite d'en parler parce que... ce n'est ni le lieu, ni le moment. Mais euh...

...

Vraiment, ça fait chier !

C'est euh... putain, ça me manque ! (le "ça" désignant l'ensemble de ce qui me manque, c'est à dire beaucoup de choses dont je n'aurais pas la cruauté de m'infliger l'énumération).

Pas un jour sans que je n'y pense. Elle est toujours en moi. C'est ce qui m'aide à tenir. Mon espoir indéfini. Même si je ne dois pas m'y accrocher et ne compter que sur moi. Et le taire...

Voila, j'en dis pas plus, parce que ça ne sert à rien. Mais c'est là.
Hop, méthode Coué, un grand sourire. Tout va bien...


Yeepee !! [ouais, c'est pas non plus nécessaire d'en faire des tonnes].


Non, honnêtement, c'est pas facile mais je surmonte l'épreuve. C'est ce qui fait que je continue d'apprendre sur moi et ça c'est bon. Et puis ça me fait à grandir, et ça c'est très bien. C'est même le but de toute cette aventure, alors pensez donc comme tout est parfait ! De toutes façons faut bien que je passe par là, alors hop, allons-y gaiement.


C'est sûr que parfois j'y pige rien. Mais bon...


Allez, fin de l'épisode.






Fin de l'épisode



Vendredi 29 juillet


Le temps de laisser décanter mon dernier texte [dont la dernière phrase au goût prémonitoire me sert de titre aujourd'hui...], il était déja périmé au moment de la mise en ligne. Entretemps j'avais eu, avec pour unique témoin celle qui l'avait impulsé, un insoupçonné élan de vitalité. De ceux qui me transportent et me mettent en joie, qui me remplissent et me donnent une incroyable force et toutes les audaces. De ceux qui ont guidé ma démarche depuis toutes ces années. Élan de vie, magique, quelques heures durant.


Il devient secret, mais m'a permis d'oser aller au fond des choses, sans tourner autour du pot. Dire et écouter. Préciser, décortiquer. Regarder la réalité en face, celle que je redoutais, celle que je n'entendais pas, celle que je refusais de tout mon être. Et pourtant, je savais. Je sentais..
Cette peur aussi il me fallait l'affronter. Je crois que j'y étais enfin prêt.


L'élan est devenu sans objet. Mort-né.
Je n'y ai perdu que des illusions.
De vains espoirs.
Sans rancoeur.


Et j'ai grandi.





«Faire sans cesse l'effort de penser à qui est devant toi, lui porter une attention réelle, soutenue, ne pas oublier une seconde que celui ou celle avec qui tu parles vient d'ailleurs, que ses goûts, ses pensées et ses gestes ont été façonnés par une longue histoire, peuplée de beaucoup de choses et d'autres gens que tu ne connaîtras jamais. Te rappeler sans arrêt que celui ou celle que tu regardes ne te doit rien, n'est pas une partie de ton monde, il n'y a personne dans ton monde, pas même toi. Cet exercice mental, qui mobilise la pensée et l'imagination, est un peu austère, mais il te conduit à la plus grande jouissance qui soit : aimer celui ou celle qui est devant toi, l'aimer d'être ce qu'il est, une énigme et non pas d'être ce que tu crois être, ce que tu crains, ce que tu espères, ce que tu attends, ce que tu cherches, ce que tu veux.»

Christian Bobin - "Autoportrait au radiateur"





Hyperparadoxe





Dimanche 31 juillet


Je clos un épisode marquant de mes hésitantes tribulations psycho-amoureuses.

Quittons la nébulosité qui nimbait mon texte précédent, et soyons clair: il y a quelques jours, suite à une demande très précise de ma part, nathalie m'a dit qu'elle n'était plus dans une dynamique amoureuse avec moi. Depuis un an.
Ok, je m'en doutais fortement puisqu'elle m'en avait parlé plus ou moins explicitement il y a déjà plusieurs mois. Mais bon, ça aurait pu évoluer, hein... [bien que rien ne le laisse croire]. Un an sans un seul mot de ce langage si particulier ne laissait que peu de doutes... J'essayais quand même de raviver tout cela, de ne pas baisser les bras, quoique sans bien savoir comment à cause des limites tacites dans les modes de communication et leur fréquence [que je pouvais difficilement prendre le risque de ne pas respecter...]. Elle n'a jamais joué un jeu ambigü et c'est bien moi qui, niant l'évidence, ai persisté à croire que les émotions pourraient se ranimer. J'assume.

Par contre, bien plus déterminant que cela, c'est lorsque j'ai entendu clairement qu'elle ne voulait plus d'un homme dans sa vie que j'ai pu comprendre enfin et passer un cap: mes efforts pour qu'on se retrouve au plus vite m'aparaissaient instananément comme totalement vains. Elle a fait le choix de retourner à sa vie solitaire et d'y rester pour le moment, ce que je n'avais pas saisi auparavant. Lorsque je l'avais entendue parler de «repartir à zéro» j'avais cru à une possibilité de redémarrer quelque chose [ouais bon, j'ai p't'être pris mes désirs pour la réalité...].

Propre, net et enfin clairement énoncé: plus amoureuse et ne désirant plus l'être actuellement...

Booon, on fait quoi dans un cas comme ça ? Continuer à être amoureux tout seul et entretenir un feu à demi-éteint qui ne se ranimera peut-être jamais ? Humm, ce serait quand même passablement absurde. Je sais que je m'y épuise. Pire: je m'y consume... Et puis c'est ridiculement pathétique. Naaaaan, pas de ça.
Tout arrêter, comme me l'a suggèré S. en offrant son oreille attentive et amicale à ma déconvenue ? Comprenant dans quelle situation je me trouvais après mon bel élan avorté, elle m'a proposé cette solution assez radicale: commencer un travail de deuil en coupant net tous les ponts avec nathalie, pour me rendre disponible à un autre amour. Certes, tenter "l'oubli" est une solution, déjà choisie par nathalie en septembre. Mais pas davantage qu'à cette période je ne le désire. D'une part je ne veux pas tirer un trait sur nathalie et ce que nous avons partagé [je me connais trop bien sur ce point: ma fidélité relationnelle n'est pas un vain mot et j'en aurais pour des années de souffrance]. Et d'autre part cette relation là est quand même très spéciale . Ce n'est pas un amour comme les autres. A mes yeux c'est beaucoup plus que ça: avant tout une vraie amitié-complicité [quelque peu malmenée par les complications amoureuses, il est vrai...].
Cependant, je ne peux pas exclure qu'il faille un jour en passer par là. Il est des amours "impossibles".


Ma préférence va vers la solution médiane: renoncer au partage de sentiments amoureux tout en conservant [ou restaurant...] l'amitié-complicité qui nous a liés initialement. Et laisser aux hasards de l'existence la possibilité de nous "retrouver"... si les conditions nous redeviennent favorables un jour. Et si nous le désirons simultanément.
C'est la voie de laquelle je n'ai jamais dévié, que j'ai choisi de pouvoir vivre en m'émancipant de la conjugalité: ne pas se couper des possibles. Le choix de rester ouvert à la vie. Rien n'est garanti, mais rien n'est interdit.


J'en étais là le premier jour, et j'ai laissé décanter tout ça...



Le deuxième jour fût celui de la colère. Une grande colère, avant tout contre moi [oh la la, si vous m'aviez vu en rage donnant des grands coups de pieds dans mon matériel, râlant, massacrant et foutant à la poubelle tout ce qui me déplaisait...]. En rage de me retrouver amoureusement "seul" après cet immense travail d'autonomisation commencé avec elle, avec comme attrait premier le fait que je puisse vivre «quelque chose» avec elle durablement [sinon je ne l'aurais probablement pas fait... ce en quoi j'aurais eu tort mais je ne l'aurais pas su.]. Impression désagréable de m'être laissé emporter par un excès de naïveté, de crédulité, de confiance. Perdre mes deux amours était le pire scénario et j'étais tombé dedans! On m'avait bien prévenu que ça me pendait au nez, mais ma confiance était inébranlable: «mais non, pas avec nathalie, on est bien trop complices». Bon, d'un autre côté elle me disait bien que «rien n'est jamais acquis», ce qui suscitait donc quelques inquiétudes au regard de l'enjeu.

C'est à ce moment là que tout le travail analytique de ces derniers mois m'a été utile: on ne me doit rien; c'est moi qui ai choisi; rien n'est jamais garanti; on est toujours seul dans la vie, et gna gna gna... Arrk, putain ça fait chier de se retrouver le nez dans sa merde ! Ouais, ouais, j'assume... pfff. Et on ne rigole pas !

Voila plusieurs mois que je relativise les conséquences de ma lente quête: si j'ai perdu deux relations amoureuses, j'ai aussi gagné une amitié nouvelle et assainie avec Charlotte, et je vais continuer à agir pour retrouver la complicité blessée avec nathalie. Au vu des évènements, il est devenu évident que je n'étais pas prêt à tout conjuguer de front...

Mais bon... les choses se sont faites ainsi et je me suis débrouillé de mon mieux.


Le troisième jour, après une nuit ponctuée d'insomnie, je me suis réveillé à la pointe du jour dans un tout autre état d'esprit. Vraiment apaisé, en acceptant la réalité des choses. En fait j'ai eu euh... une sorte de conciliabule interne avec... hum... le divin qui est en moi. Ouais, je papotais avec Dieu, ou n'importe qui ayant les mêmes attributions mystiques (ce qui ne m'arrive pratiquement jamais). J'ai entendu et suivi la "musique des anges", celle de mon coeur, plutôt que les vociférations de mes vieux démons.
La plénitude de l'amour universel et sans limites [celui qui s'est révélé à moi le 8 aôut 2003 sur une autoroute et qui régulièrement vient me visiter] m'a envahi. Ben oui, c'est comme ça ! Cet amour là est inconditionnel, se joue du temps et des distances. Je l'appelle "amour vrai". C'est celui qui demeure vis à vis de Charlotte, c'est celui qui existe envers nathalie... lorsque diverses peurs résiduelles et tenaces [ouais, comme les tâches de cerise sur les tissus...] ne l'étouffent pas.

Je sais que j'aime nathalie. C'est comme ça. Cet amour là m'habite depuis des années. Amoureux, amitié, ou [pas de mot existant], quel que soit son nom, il ne se quantifie pas, ne se fractionne pas, ne se soustrait pas, ne s'oublie pas. Il est.
Je ressens une grande force de cet amour, il me transcende et m'a toujours donné la résistance pour m'accrocher malgré les difficultés croissantes que nous avons connues.

Cet amour, qui ici s'embrouille un peu avec le sentiment amoureux, c'est l'amour de l'autre. De tous les autres. C'est celui que je cherche à approcher au plus près. Celui qui donne sans attente de retour. C'est celui s'ouvre à l'autre et mène vers lui...


Pfff, arrêtez de me regarder avec des yeux ronds !
Ben oui quoi, j'y crois à cet amour-là. C'est celui du message chrétien, sauf que je le vois davantage humain que religieux. Je sais qu'il mène vers une forme de paix et de bonheur, et vous ne m'en ferez pas démordre.


* * *


Depuis cette longue conversation avec elle, repassée en boucle dans ma tête, certains mots-clés m'ont permis d'avoir un nouvel accès au déroulement de notre relation depuis son origine. Le film s'est déroulé à l'envers dans ma tête, jusqu'à ses premières secondes. Comme si un zappeur fou projetait des images en vrac, les reliant dans un ordre logique. Mini-séquences qui se suivent indépendamment de la chronologie. Liens que le scénario ne rendait pas apparents. La trame du film m'a parue alors évidente...

En fait, tout était écrit, au propre comme au figuré. Ecrit dans nos échanges de mails initiaux, sur nos journaux respectifs, mais aussi "écrit" comme un destin que nous avons nous-même tissé. Nous avons oeuvré depuis l'origine au blocage de notre relation. Bizarre, hein ? Lorsque l'inconscient à des messages à faire passer, il procède ainsi. J'ai créé ce que je redoutais, et je crois comprendre que nathalie a fait de même. On n'y a vu que du feu.

Le scénario a été le suivant:
Une femme et un homme se rencontrent. Affinités communes, désirs communs. Découverte de l'autre, de ses ressemblance, de ses différences. C'est stimulant, enrichissant, passionnant, bouleversant. Célibataire ou marié longue durée, chacun avec sa vision de l'amour élargit la palette de nuances de l'autre. Ils parlent de leurs blessures et de leurs forces, de leurs manques et de leurs rêves; racontent une part de leur histoire. Ils se rejoignent et oublient leurs différences qui, au fond, les séparent. Elle veut que l'amour soit simple, lui le veut durable. Deux termes résolument antinomiques que les apprentis-sorciers négligent au profit d'un point commun: vivre ses désirs.

Simple et durable: tout est contenu dans l'incongruité de cette juxtaposition. Un amour qui veut durer demande un travail constant, donc ne peut pas être simple. A l'inverse un amour qui veut rester simple ne peut pas durer. Ou alors il faut opter pour la légèreté des sentiments, vivre une amitié amoureuse. C'est probablement ce qu'on a confusément cherché. 

Amour et amitié, deux termes aussi proches que différents, même si on veut en abolir les limites. Les nuances qui les relient et les séparent s'appuient sur des définitions personnelles et secrètes. Chacun sa définition de l'amitié, chacun sa définition de l'amour, même si les deux partenaires déclarent ne pas mettre de limites entre les termes. Les zones floues de chacun ne commencent ni ne finissent au même endroit. Vous vous souvenez de ce [pas de mot existant] que j'utilisais autrefois ? Et bien il n'avait probablement pas le même sens que celui que nathalie pouvait lui donner. Et pour cause: il n'existe pas.

Quand on se situe dans les entre-deux, les nuances, le hors-norme, c'est le risque à courir...
Nous n'avons pas assez précisé nos nuances autour des définitions. Nous n'avons pas été assez prudents.



Il faut aussi dire que...

... j'ai compris qu'il y avait des tas de choses qui resteraient incompréhensibles, parce que liées à la personnalité de nathalie, qui cultive le paradoxe comme un art. C'est sa façon d'être: changeante, insaisissable, contradictoire. Et elle le revendique haut et fort. Elle avait écrit un jour que la seule façon de la comprendre était de ne pas chercher à la comprendre. Avec un gars comme moi qui veut tout comprendre... cherchez l'erreur. Mais c'est justement là qu'est tout le paradoxe nathalien: c'est précisément avec un gars comme moi qu'elle s'est liée!!! Les exemples de ce genre sont inombrables.

nathalie c'est ça: le paradoxe d'un paradoxe. Faut croire que ça me stimule...

Et bien vous ne pouvez pas savoir combien ça me simplifie les choses d'avoir compris que je ne pouvais pas la comprendre ! Il m'aura fallu cinq ans pour cela. Ouf !!!

Je ne peux pas la comprendre.

Remarquez que je suis au moins aussi paradoxal qu'elle pour m'être lié avec une fille incompréhensible, qui veut rester libre [même si, par esprit de contradiction, elle peut refuser ce mot... qui serait trop logique], alors que je suis un adepte des liens ad vitam aeternam.

En repassant toute notre histoire, je n'ai fait que trouver des paradoxes de ce genre. Toutes les questions que je ne comprenais pas et qui m'inquiétaient trouvent une solution: elle sont incompréhensibles autrement que dans une logique de paradoxes. C'est débile, hein ?

Peut-être que c'est ce qui nous a liés si fortement ? Comme si on s'était "reconnus"...


Ceux qui lisaient nos journaux respectifs auront pu noter cette contradiction: alors que c'est par les mots que nous nous sommes liés, nos attitudes vis à vis de l'écrit ont divergé radicalement: nathalie a cessé presque totalement d'écrire, alors que je me suis lancé dans d'invraissemblables logorrhées. 
J'ai cherché à "communiquer" [en sachant qu'elle me lit] pour réduire la distance là où elle l'augmentait. Plus je cherchais à communiquer, devenant excessif, plus elle mettait une distance... tout en regrettant que je ne m'exprime pas suffisamment sincèrement avec elle. Ce qui, de mon côté, était compliqué à cause de cette "distance" qui m'inquiétait. Voila, c'est ça notre histoire: un amour paradoxal.

On est loin de la simplicité qu'elle désirait.
Mais pour une fille qui revendique sa complexité, chercher la simplicité en amour n'est pas le moindre des paradoxes.

En fait, pour une fille aussi compliquée, est simple ce qui fonctionne comme elle. En résumé, c'est la complexité qui est simple...

La pire des choses semble être de vouloir la comprendre, la cerner. A chaque fois que je m'y suis essayé, parce que j'étais complètement paumé et que j'avais besoin de me raccrocher à quelque chose se stable, j'ai expérimenté diverses facette du caractère pour le moins *affirmé* de ma chère complice en ces circonstances. Faut pas chercher à la définir ! A prendre telle quelle. Un jour comme-ci, un jour comme-ça. Au présent, toujours. Ce qui était valable un jour ne l'est plus quelques temps plus tard. Combien de fois me suis-je fait voler dans les plumes [vieille blague clin d'oeil...] parce que je me référais au passé. Nan, le passé n'a plus cours ! Le présent et seulement le présent. Pour un peu, elle mordrait...
Ce qui, vous l'aurez compris, peut faire peur à un petit garçon qui ne sait jamais s'il est à la bonne place...
Tout est là.

Car la simplicité voulue par nathalie passe par le refus des discussions "compliquées". Et pourtant, elle a toujours clamé qu'il fallait dire les choses pour les désamorcer au plus tôt. Les dire dans l'instant, puisque sinon elles deviennnent vite du passé et qu'elle n'aime pas revenir dessus.


Il y a aussi quelque chose d'important qui a découlé de cette conversation. En lui disant «merci» pour ce qu'elle m'avait dit, ce qu'elle n'a pas compris, je lui exprimais ma gratitude pour le poids qu'elle levait: je n'avais plus la terrible culpabilité de l'avoir "abandonnée" l'été dernier. Puisque c'est finalement elle qui a immédiatement désinvesti la relation et n'a accepté d'y revenir, avec parcimonie et six mois plus tard, sans dimension amoureuse, malgré tous mes efforts de reconquête et d'explications dont ce journal est le témoin.
De la même façon, en me disant qu'elle était "morte" dès le retour en avion, j'ai compris qu'elle s'était faite hara-kiri après la blessure sentimentale que je lui avais infligée. Ce n'est pas que moi qui ai tué l'amour. Et ma "décision" avait tout de même été très largement encouragée par elle-même, en me poussant à retourner vers Charlotte. Mon égarement n'a duré que quelques jours, mais il semble que les premières secondes aient été décisives. Il est capital pour moi que soit acceptée par tous les deux cette co-responsabilité dans la suspension-arrêt de notre relation amoureuse. Je ne peux pas porter l'entière responsabilité de cet échec, ce serait injuste. D'autant plus qu'il était en latence depuis plusieurs mois auparavant. Notre relation devenait de plus en plus compliquée, pas seulement à cause de mes divers blocages, mais aussi parce que les épreuves étaient de plus en plus difficiles. Je ressens, avec le recul, de plus en plus comme une évidence que nathalie "testait" inconsciemment mon amour. Il est probable que je faisais de même dans un sens contraire. Sabotage, tests... nos inconscients ont mené la vie dure à cette relation.

Plus j'étais inquiet et plus je m'accrochais, plus elle imposait une distance qui m'inquiétait. Le tout dans un registre «sois désirant mais pas amoureux, dans un registre sentimental mais pas trop»
L'éternel «Suis-moi et je te fuis; fuis-moi et je te suis». De ce coté-là, on n'a rien inventé tous les deux...

Encore fallait-il comprendre comment ça marchait.
C'est à dire en comprenant qu'on ne devait pas chercher à se comprendre.



Euh... attendez. C'est terrible ce que je viens d'écrire !
Je viens d'aller faire un tour vers mes archives pour lire ce que je disais du 8 août 2003, et je tombe sur tout un chapitre qui traite excatement de la même chose que ce que je "découvre" aujourd'hui. Madre mia, mais alors c'est sans issue ? L'histoire bégaie. J'écrivais alors, suite à notre première vraie dispute, que je devais «accepter de ne pas comprendre». A l'évidence je ne suis pas parvenu à ce renoncement... Bigre, diantre et fichtre... voila qui n'est pas rassurant.

A l'époque j'inventais les éphémères personnages [passablement puérils...] de Moloch et Fatalie, nos deux faces sombres, deux personnalités qui ne pourront jamais se comprendre parce qu'elles ne parlent pas le même langage. Ce sont nos deux pôles magnétiques qui se repoussent, aussi puissants que les pôles attractifs.

A ce moment-là, il y a deux ans, j'en étais à crever de frousse en imaginant les conséquence de la première rencontre réelle avec nathalie. Lorsque j'avais perdu 7 kilos tellement j'étais angoissé de devoir décider de répondre ou pas à son initiative.

La lecture de ce mois d'août 2003 est édifiante pour comprendre par quel processus je suis passé pour en arriver là où j'en suis aujourd'hui. C'est à ce moment là que j'ai décidé de changer ma vie, en envisageant les conséquences conjugales que nous vivons aujourd'hui avec Charlotte.
A l'évidence la proposition de rencontre de nathalie aura été à double tranchant: elle m'a permis de franchir un pas décisif, sans retour en arrière possible. Mais elle est aussi intervenue très tôt dans le processus, alors que, la réalité nous le montre, je n'étais pas encore prêt à changer de vie. Deux ans plus tard je reste suspendu dans un néant amoureux: les deux femmes que j'aime ne veulent plus de relation amoureuse avec moi [même si je sais qu'elles m'aiment d'une autre façon]. Le temps d'évolution est trop lent. Et moi je ne peux pas faire plus vite, notamment parce que ma relation avec nathalie s'est complexifiée et ne me "porte" plus. Je dois ramer seul et ça va beaucoup moins vite qu'avec un moteur amoureux. Celui-ci est tombé en panne, pour cause d'incompatibilité de carburant. Ma formule est trop complexe pour le moteur à essence simple de nathalie. Et son mélange à débit intermittent ne convient pas à mon moteur qui nécessite la régularité. Résultat: tout le monde est en panne et chacun se démerde comme il peut. Charlotte rame, nathalie rame probablement, et moi je rame assurément. Même si chacun a retrouvé un relatif équilibre de vie.


On a beau ramer, ça ne va pas vite. Et il n'y a pas moyen de faire autrement. On ne peut plus s'aider. Chacun son truc. Mais c'est certainement un passage inévitable pour évoluer.




«Il y a un an...

... je t'accueillais à l'aéroport pour deux semaines ensemble. Accueil un peu bizarre. Je ne sais pas bien pourquoi, mais il manquait de la chaleur émotionnelle qu'on aurait pu espérer, alors qu'on ne s'était pas vus depuis six mois. Nous n'avons pas élucidé ce mystère, chacun ayant ressenti ça chez de l'autre. Le coté magique n'était pas là. Tu sortais de huit heures de vol, et moi d'une douloureuse explication avec Charlotte, in-extremis. Ce sont les seules explications que nous avons trouvées.

Nous aurions dû prendre le temps de nous retrouver, nous toucher, nous sentir, nous regarder. Nous parler de nous. Bêtement nous sommes allés vers la voiture, l'autoroute... ce n'est pas ce qu'il fallait pour reconnecter nos sens. Je crois que cet instant raté à pesé lourd dans ce qui a suivi... 

Nous avons mangé dans un restaurant et le contact est revenu, nos sourires aussi. Puis tu as découvert les montagnes, qui t'impressionnaient. Tu les photographiais depuis la voiture. La montée en altitude t'inquiétait, toi qui n'es pas habituée à la hauteur. Tu te souviens de cette montagne blanche qui te servait de repère? La forêt qui la couvrait avait brûlé l'année précédente.
Quand nous sommes arrivés à cette petite ferme de montagne qui allait nous servir de refuge, tu l'as trouvée à ton goût. Je nous y sentais bien. J'étais heureux que tu sois là...»










Ça se sentait que j'étais encore dans une dynamique amoureuse, non ? Que j'en souffrais, non ? L'aurait quand même pu me faire signe... pas me laisser poireauter en vain. Pas laisser mes timides tentatives s'écraser sur du rien. Me sens con, moi...

J'sais pas moi, mais c'est quand même simple de dire que c'est pas la peine de continuer dans ce registre-là. Que c'est pas la peine de se donner du mal pour rien. Toute cette énergie et ces élans gaspillés en vain. C'est très mauvais de gaspiller des élans. C'est précieux un élan, ça n'est pas une source illimitée.


Bon bref, c'est pas grave. De toutes façons si je voulais savoir j'avais qu'à demander. Faut croire que j'étais pas prêt auparavant (parce que bien sûr que j'y avais déjà pensé, mais les conversations n'étaient pas allées dans ces directions hasardeuses...)

J'en suis à J + 4 de l'annonce fatidique. Ça se passe plutôt pas mal. Finalement je me sens libéré d'un grand poids. J'essayais de maintenir sous respiration artificielle quelque chose qui était mort. Un cadavre de relation. Ça commençait à puer un peu... C'est ça qui m'incommodait.

Je me sens plus léger, plus disponible. C'est con, hein, j'aurais dû demander les précisions plus tôt... Naaaan, ça marche pas comme ça: c'est venu quand c'était le moment. Un point c'est tout.

Honnêtement je ne pensais pas que j'avais fait autant de "travail" en souterrain pour me préparer à cette annonce fatidique. En quelques jours, pfuiiit, effacée la relation amoureuse ( pas sur que ça récidive pas, mais je vais tâcher d'être prudent...). Je retrouve... euh... je retrouverai quand ce sera prêt mon amie d'autrefois, si elle le veut bien. Oui, c'est bizarre hein, que la même personne puisse être amie ou amour A quoi ça tient ? Juste au désir de partager quelque chose dans une dimension plus intime. Juste un degré de confiance supérieur qui permet de décoiler ses sentiments et des émotions particulières. Il suffit (facile à dire...) de basculer le bouton sentiments sur "off", et ça devrait pouvoir marcher. Surtout en ce qui concerne l'expression des sentiments.

Y'a plus qu'a retrouver de nouveaux repères, des sujets de discussion qui évitent "la chose", et on verra ce que ça peut donner.


Pas oublié amour puisque parler de quelqu'un qui se trouve séparée de son amoureux qui vit de l'autre coté de l'Océan me plonge dans des pensées lourdes de tristesse.

Passage noir, en imaginant que nathalie ait pu se servir de moi. Me prendre puis me jeter. Ce qui est faux puisqu'elle est toujours là...

Et puis réveil en songeant que c'est moi qui attendais beaucoup. Envie de la retrouver comme amie. La comprendre l'écouter, la respecter dans sa différence. L'aimer dans ses complications et paradoxes.

Mademoiselle simple.


C'est une demoiselle qui vit seule, et qui aspire à une vie simple. Remarquez que je ne connais pas de gens qui aspirent à une vie compliquée, mais bon...
Mademoiselle simple veut que ses relations avec les autres soient simples. Aussi simples qu'elle est compliquée. Parce qu'en fait c'est tout simple: mademoiselle simple est compliquée. C'est sa façon d'être. Elle le revendique. On aurait pu l'appeler mademoiselle paradoxe.


 


Vouloir la simplicité dans le silence, c'est choisir la contemplation et l'idéliasation.

Dans une autre salle, une suite du film est proposée. L'amoureuse, blessée par l'homme, s'est suicidée, une amie la remplace. L'homme doit oublier l'amoureuse morte pour trouver l'amie.

Je ne sais pas encore si je saurais entrer dans ce film.
J'avais tant d'espoir pour le précédent...
Et c'est con d'y rêver tout seul.
Mais il portait mon avenir.


.

Je m'en veux de l'avoir oublié. Je m'en veux de ma naïveté, de ma crédulité.



Chacun a ses recettes, pour faire durer ou pour simplifier, et l'autre s'applique à les mettre en oeuvre, à sa mesure. Il faut du dialogue, beaucoup de dialogue. Mais en soi, le dialogue peut vite devenir compliqué... ce qui ne simplifie pas les choses. Alors il y a une recette apparemment infaillible: dire les choses dès qu'elles se présentent. Sauf qu'ils ne parlent pas forcément la même langue, qu'ils ne metten pas le même sens derrière les mots. Alors ça reste compliqué...

Mais ils s'accrochent, ils y tiennent à leur histoire, et chacun essaie de faire du mieux qu'il peut. Ça les soude, il se sentent plus forts à deux avec la même volonté de tenir.

Pourtant, avec une intensité égale, des forces de décohésion agissent à leur insu. Tout à tour il y a des actes de sabotage involontaires. Des peurs se réveillent, des vulnérabilité, des blessures anciennes se ravivent. Qu'il faut panser ensuite. Encore des complications.

Et puis leur vision du monde, finalement, et parfois radicalement opposée. Là ou l'un est optimiste, l'autre est parfois pessimiste. Et inversement. L'un croit beaucoup à l'amour, l'autre est incrédule. Tous les deux le savent, mais l'oublient. L'un est idéaliste, l'autre se veut réaliste. Et ces visions des choses sont autant de germes de discordance. Mais ils continuent à y croire, à s'accrocher. Ces différences les instruisent, les aident à grandir, tout autant qu'elles les séparent.

Ces deux là sont des aimants dont les polarités changent en permanence. Tantôt irrésistiblement attirés, tantôt impossibles à mettre en contact. Tout cela n'est pas simple... et inquiétant pour la durée.



Et maintenant ?

Maintenant que je sais, je fais quoi ? Maintenant que j'ai compris que je ne comprendrai pas, dans quelle direction orienter mes pensées ? Vers quoi projeter mes désirs, mon avenir ? Que dois-je faire de ce passé rempli de souvenirs bien trop présents ?

Continuer à avancer dans le sens que j'ai choisi: celui de la vie, des émotions, des élans... où tout cela se trouve t-il ?